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[2009] 2 R.C.F.                                                            salewski c. canada                                                                          532

IMM-4769-07

2008 CF 899

Anita Maria Salewski (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Salewski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Russell—Vancouver, 17 juin; Toronto, 23 juillet 2008.

    Citoyenneté et Immigration Statut au Canada — Résidents permanents — Demande de contrôle judicaire de la décision de l’agent d’immigration de révoquer et d’annuler la carte de résident permanent remise à la demanderesse — La carte a été délivrée à tort parce qu’aucune détermination du statut de résidence n’avait été faite — La demande de restitution de la carte au motif qu’il s’agissait d’un bien de Sa Majesté repose sur l’art. 53(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — La décision de l’agent était assez claire et ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale — Le législateur n’avait pas l’intention d’accorder des protections législatives en matière de pro- cédure à une personne dont la carte est révoquée La décision ne dépassait pas la compétence de l’agent — L’art. 53(2) du Règlement autorise expressément le Ministère à révoquer une carte de résident permanent Comme la carte a été délivrée à tort, l’exception à la doctrine du functus officio s’appliquait — Demande rejetée.

      Il s’agissait d’une demande de contrôle judicaire de la décision de l’agent d’immigration de révoquer et d’annuler la carte de résident permanent remise à la demanderesse. Cette dernière a présenté une demande de carte de résident permanent (la carte) pour des motifs d’ordre humanitaire. Après qu’une carte a été délivrée à la demanderesse et que celle-ci a quitté l’Allemagne pour se réinstaller au Canada, Citoyenneté et Immigration Canada (le Ministère) a constaté qu’aucune détermination du statut de résidence n’avait été faite au sujet de la demanderesse. Dans une lettre datée du 21 septembre 2007, un agent d’immigration a informé la demanderesse que sa carte avait été délivrée à tort et qu’elle devait la rendre aux agents du Ministère. La demanderesse a écrit une lettre dans laquelle elle signifiait son refus de rendre la carte et demandait des précisions sur les motifs de révocation de la carte.

      La demanderesse a reçu une lettre datée du 7 novembre 2007 d’un autre agent d’immigration demandant la restitution de la carte au motif qu’il s’agissait d’un bien de Sa Majesté en vertu du paragraphe 53(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), et informant la demanderesse que la carte serait annulée. L’agent a aussi réitéré la demande formulée auparavant pour que la demanderesse produise les documents et les renseignements demandés afin qu’il soit possible de déterminer son statut de résidente. Cette deuxième lettre est la décision visée par les présentes.

      Les questions à trancher étaient celles de savoir si : 1) la décision était contraire aux principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale, 2) la décision était du ressort de l’agent, et 3) l’agent était functus officio.

      Jugement : la demande doit être rejetée.

      1) Les motifs énoncés dans la décision de l’agent étaient assez clairs et ne constituaient pas un manquement à l’équité procédurale. Le fait de ne pas donner le nom de l’agent qui a délivré à tort la carte et l’omission de l’agent de prévenir la demanderesse de sa décision de révoquer et d’annuler la carte ne constituent pas des atteintes à l’équité procédurale ni à la justice naturelle. La disposition législative pertinente dit clairement que le législateur n’avait pas l’intention d’accorder des protections législatives en matière de procédure à une personne dont la carte est révoquée. La décision était de nature purement administrative, elle n’était pas définitive pour ce qui est du statut de résident permanent de la demanderesse et l’effet de la décision n’était pas important. Ni la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ni le Règlement ne prévoient que le détenteur d’une carte de résident permanent doit avoir la possibilité de présenter des observations avant que sa carte ne soit révoquée. En outre, la demanderesse a eu toute possibilité de faire valoir son point de vue avant la décision.

      2) Le paragraphe 53(2) du Règlement autorise expressément le Ministère à révoquer une carte de résident permanent. Lorsqu’une carte de résident permanent a été délivrée par erreur, l’annulation de la carte ne dépasse pas la compétence de l’agent ni, de façon générale, du ministère qui délivre les cartes. Le législateur n’avait pas l’intention de conférer au Ministère le pouvoir de révoquer la carte de résident permanent et de limiter aussi son pouvoir d’annuler la carte, surtout lorsqu’elle a été délivrée par erreur et que le détenteur refuse de la rendre.

      3) La carte de résident permanent a été délivrée à tort et, par conséquent, l’exception à la doctrine du functus officio s’appliquait. L’erreur commise en délivrant une carte à la demanderesse sans déterminer son statut de résident permanent ni prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire qui peuvent justifier une exception aux exigences de résidence ne doit pas empêcher le ministre de revoir la décision de délivrer une carte de résidant permanent à la demanderesse.

    lois et règlements cités

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 28 (mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 172(A)), 31, 44, 46, 72(1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 53(2), 59 (mod. par DORS/2004-167, art. 18), 60.

    jurisprudence citée

décisions appliquées :

Ikhuiwu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 35; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 3 C.F. 349 (1re inst.); Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848.

décisions examinées :

Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; Nozem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1449.

décisions citées :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Mauger c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] A.C.F. no 1117 (C.A.) (QL).

    DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration de révoquer et d’annuler la carte de résident permanent délivrée à la demanderesse. Demande rejetée.

    ont comparu :

Charles E. D. Groos pour la demanderesse.

Sandra E. Weafer pour le défendeur.

    avocats inscrits au dossier :

Charles E. D. Groos, Surrey (Colombie- Britannique) pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

    Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par             

[1]     Le juge Russell : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), au sujet de la décision de l’agent Matsui (l’agent), du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada (CIC ou le Ministère), rendue le 7 novembre 2007 (la décision), prévoyant la révocation et l’annulation de la carte de résident permanent remise à Mme Anita Maria Salewsksi (la demanderesse).

CONTEXTE

[2]     La demanderesse est une citoyenne allemande qui est devenue résidente permanente du Canada en 1958. Elle a quitté le Canada en 1968, après l’échec de son mariage. Rien n’indique que la demanderesse soit revenue au Canada à quelque moment entre 1968 et 2007. Elle est rentrée au Canada en février 2007. On ne sait pas si elle est entrée au Canada comme visiteuse ou comme résidente permanente, mais, le 19 juin 2007, elle a demandé le prolongement de son statut de visiteur.

[3]     Le 4 juin 2007, le Centre de traitement des demandes de Sydney (Nouvelle-Écosse) (le CTD de Sydney) a reçu de la demanderesse une demande de carte de résident permanent. Elle y allègue que, pendant le processus de demande, elle a informé CIC des faits suivants :

• elle a résidé au Canada pendant 10 ans (de 1958 à 1968);

• elle a trois enfants qui sont nés au Canada;

• elle est retournée en Allemagne en juin 1968 pour des raisons personnelles et elle y est restée jusqu’au 5 février 2007;

• elle entend maintenant rester au Canada, auprès de ses enfants, qui sont des résidents et citoyens du Canada;

• elle demande que la carte lui soit délivrée pour des motifs d’ordre humanitaire (CH).

[4]     Le 22 juin 2007, la demande a été renvoyée à la demanderesse parce que son répondant n’était pas un répondant autorisé. Sa demande, signée par un répondant autorisé, a été renvoyée au CTD de Sydney le 13 juillet 2007. Le 16 août 2007, la demanderesse a reçu une carte de résident permanent et, par conséquent, a cessé de résider en Allemagne et s’est réinstallée au Canada.

[5]     En septembre 2007, CIC a constaté qu’aucune détermination du statut de résidence n’avait été faite au sujet de la demanderesse et que, selon CIC, la carte de résident avait été délivrée à tort. Dans une lettre datée du 21 septembre 2007, l’agent Currie, du CTD de Sydney, a informé la demanderesse que sa carte de résident avait été délivrée à tort et qu’elle devait la rendre aux agents de CIC. En guise de réponse, la demanderesse a écrit à CIC une lettre datée du 27 septembre 2007, dans laquelle elle signifiait son refus de rendre la carte et demandait des précisions sur les motifs pour lesquels CIC révoquait cette carte.

[6]     Dans une lettre datée du 25 septembre 2007, CIC a invité la demanderesse à produire des renseignements et des documents à l’appui d’une nouvelle demande de carte de résident permanent. En guise de réponse, la demanderesse a envoyé une copie de sa lettre du 27 septembre 2007.

[7]     Comme la demanderesse n’avait pas rendu sa carte, la première lettre en date du 21 septembre 2007 de CIC a été suivie d’une lettre datée du 7 novembre 2007 et signée par l’agent Matsui, du service chargé des cartes de résident permanent à Vancouver. Cette deuxième lettre est la décision visée par la demande à l’étude.

[8]     À ce jour, la demanderesse n’a pas rendu sa carte de résident permanent à CIC.

DÉCISION CONTESTÉE

[9]     Dans sa lettre datée du 7 novembre 2007, l’agent Matsui a demandé la restitution de la carte de résident permanent, soulignant qu’il s’agissait d’un bien de Sa Majesté. Il a fait observer que le paragraphe 53(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) dispose : « [l]a carte de résident permanent demeure en tout temps la propriété de Sa Majesté du chef du Canada et doit être renvoyée au ministère à la demande de celui-ci ». La lettre informait également la demanderesse que la carte de résident permanent, d’une durée de cinq ans, serait annulée.

[10]     Dans cette lettre, l’agent Matsui disait également expressément que l’article 60 du Règlement, qui porte sur la révocation de la carte de résident permanent, ne s’appliquait pas à la situation de la demanderesse. Il demandait également à celle-ci de produire les documents et les renseignements demandés dans la lettre en date du 25 septembre 2007, pour qu’il soit possible de déterminer son statut de résidente.

QUESTIONS EN LITIGE

[11]     Les questions soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

1. La décision de révoquer et d’annuler la carte de résident permanent de la demanderesse est-elle contraire aux principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale?

2. La décision de révoquer et d’annuler la carte de résident permanent était-elle du ressort de l’agent?

3. L’agent était-il functus officio?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[12]     Les résidents permanents doivent satisfaire aux obligations de résidence suivantes, énoncées à l’article 28 [mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 172(A)] de la Loi :

    28. (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

    (2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

    a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

         (i) il est effectivement présent au Canada,

         (ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,

         (iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

         (iv) il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

         (v) il se conforme au mode d’exécution prévu par règlement;

    b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins de cinq ans, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquen- nale précédant le contrôle;

[13]     L’alinéa 28(2)c) prévoit la possibilité de faire exception aux exigences de résidence de la Loi pour des motifs d’ordre humanitaire :

    28. (2) [. . .]

    c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

[14]     L’article 31 de la Loi prévoit qu’il faut remettre au résident permanent un document attestant son statut et que, à moins qu’un agent n’en décide autrement, la personne qui possède un document attestant son statut est présumée avoir le statut mentionné dans le document :

    31. (1) Il est remis au résident permanent et à la personne protégée une attestation de statut.

    (2) Pour l’application de la présente loi et sauf décision contraire de l’agent, celui qui est muni d’une attestation est présumé avoir le statut qui y est mentionné; s’il ne peut présenter une attestation de statut de résident permanent, celui qui est à l’extérieur du Canada est présumé ne pas avoir ce statut.

[15]     Les dispositions du Règlement applicables en l’espèce sont le paragraphe 53(2) et l’article 60 :

    53. [. . .]

    (2) La carte de résident permanent demeure en tout temps la propriété de Sa Majesté du chef du Canada et doit être renvoyée au ministère à la demande de celui-ci.

[. . .]

    60. La carte de résident permanent est révoquée dans les cas suivants :

    a) le titulaire obtient la citoyenneté canadienne ou perd autrement son statut de résident permanent;

    b) la carte de résident permanent est perdue, volée ou détruite;

    c) le titulaire est décédé.

ANALYSE

          La norme de contrôle

[16]     La première question soulevée portait sur l’équité procédurale, une question de droit qui est susceptible d’examen selon la norme de la décision correcte. Quant aux deuxième et troisième questions soulevées par le demandeur, elles sont également, selon moi, susceptibles d’examen selon la même norme, car elles soulèvent des questions de droit. Si l’agent a agi sans avoir la compétence voulue ou était functus officio, la décision doit être annulée.

1.      La décision de révoquer et d’annuler la carte de résident permanent de la demanderesse est-elle contraire aux principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale?

[17]     La demanderesse soutient que CIC ne l’a pas informée des détails de l’erreur alléguée qui a mené à la délivrance de la carte de résident permanent; que CIC n’a pas donné de détails non plus sur l’auteur de la décision de délivrer la carte. En outre, la demanderesse soutient que CIC ne l’a pas prévenue de la décision de révoquer et d’annuler sa carte de résident permanent.

[18]     Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que la décision donne des détails insuffisants sur l’erreur de CIC qui a entraîné la délivrance de sa carte de résident permanent. Dans la lettre datée du 7 novembre 2007, l’agent Matsui renvoie à la lettre écrite par l’agent Currie le 21 septembre 2007, lettre qui expliquait clairement que la demanderesse ne satis- faisait pas aux exigences de résidence et qu’il faudrait déterminer le statut de résident. À mon avis, l’erreur et le motif de révocation de la carte étaient expliqués assez clairement dans la lettre adressée à la demanderesse. J’estime également que le fait de ne pas donner le nom de l’agent qui a délivré à tort la carte ne constitue pas une atteinte à l’équité procédurale ni à la justice naturelle. Il s’agit ici de savoir si la décision de l’agent de révoquer et d’annuler la carte de résident permanent de la demanderesse était contraire à la loi. Les motifs énoncés dans la décision de l’agent sont, à mon avis, assez clairs et ne constituent pas un manquement à l’équité procédurale.

[19]     Quant à l’allégation de la demanderesse voulant que l’agent ait omis de prévenir de sa décision la demanderesse, je n’estime pas que cela constitue un manquement à l’équité procédurale ni à la justice naturelle. Je souligne que la décision de l’agent portait sur la révocation et l’annulation de la carte de résident permanent de la demanderesse, et non sur son statut de résident permanent.

[20]     Récemment, dans la décision Ikhuiwu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 35, le juge de Montigny écrit, au paragraphe 19, que la simple possession de la carte de résident permanent ne confère pas, en soi, le statut de résident permanent :

    En ce qui concerne la carte de résidence permanente, le régime législatif prévu à la LIPR établit clairement que la simple possession d’une carte de résident permanent ne constitue pas une preuve concluante quant au statut d’une personne au Canada. En vertu du paragraphe 31(2) de la LIPR, la présomption selon laquelle le détenteur d’une carte de résident permanent est un résident permanent est manifeste- ment réfutable. En l’espèce, il est manifeste que la carte de résident permanent, qui a été délivrée par erreur après que l’agente des visas au Nigeria eut conclu que le demandeur avait perdu son statut de résident permanent, ne pouvait pas lui conférer le statut juridique de résident permanent et ne pouvait pas non plus avoir pour effet de rétablir son statut de résident permanent qu’il avait antérieurement perdu parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence prévues à l’article 28 de la LIPR. Rien dans la LIPR ou dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) n’indique que la simple possession d’une carte de résident permanent qui n’a pas été délivrée de façon régulière pourrait avoir pour effet de rétablir le statut antérieur de résident permanent d’une personne.

[21]     Comme la Loi le prévoit [à l’article 46], un résident permanent peut perdre son statut de l’une des manières prescrites suivantes :

    46. (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

    a) l’obtention de la citoyenneté canadienne;

    b) la confirmation en dernier ressort du constat, hors du Canada, de manquement à l’obligation de résidence;

    c) la prise d’effet de la mesure de renvoi;

    d) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile ou celle d’accorder la demande de protection.

    (2) Devient résident permanent quiconque perd la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté, sauf s’il est visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

[22]     Dans les circonstances présentes, la lettre que l’agent a écrite le 7 novembre 2007 dit clairement que la décision ne vise qu’à révoquer et à annuler la carte de résident permanent de la demanderesse et que, une fois la carte récupérée, le statut de résidence serait établi et que les facteurs humanitaires seraient pris en considération si la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences de résidence énoncées.

[23]     Le défendeur soutient que, étant donné que la carte appartient à Sa Majesté la Reine, l’équité procédurale n’exige pas qu’on demande des observations avant de réclamer le retour de la carte. Il soutient également que, même s’il était obligatoire d’entendre les observations de la demanderesse avant de demander la restitution de la carte, cette possibilité de présenter des observations lui a été consentie et elle s’en est prévalue avant que la décision ne soit rendue.

[24]     La demanderesse dit que sa vraie préoccupa- tion tient au fait que, pour autant qu’elle sache, la décision légitime de lui accorder le statut de résident permanent a été prise et que c’est pourquoi on lui a délivré une carte. Elle ajoute que la preuve présentée par le défendeur pour soutenir que la Cour est saisie d’une erreur administrative ne suffit pas à miner la présomption voulant qu’elle ait droit à la carte. Selon elle, les mesures prises par le ministre pour demander la restitution de la carte sont toutes aussi compatibles avec le fait qu’il a pris une décision favorable sur la résidence permanente (et qu’il tente maintenant d’annuler) qu’avec la justification présentée, celle de l’erreur administrative.

[25]     J’ai examiné les faits avec soin, et je ne puis être d’accord avec la demanderesse sur ce point essentiel. Il n’y a peut-être pas de preuve par affidavit de la personne responsable de l’erreur commise au CTD de Sydney, mais il n’y a aucune raison de rejeter l’explication de l’agent Matsui au sujet de ce qui s’est passé en l’espèce.

[26]     L’agent Matsui dit qu’il a étudié le dossier et que c’est le bureau de Vegreville qui a communiqué avec le CTD de Sydney, ayant remarqué qu’une carte de résidente permanente avait été délivrée à la demanderesse même si elle ne satisfaisait pas aux exigences de résidence. L’agent Matsui exprime ensuite l’opinion que [traduction] « le CTD de Sydney a ensuite communiqué avec notre bureau parce qu’il a remarqué qu’il n’y avait jamais eu de détermination de résidence et que, par conséquent, c’est à tort qu’on a délivré la carte » (au paragraphe 18 de l’affidavit de Glenn Matsui).

[27]     L’agent Matsui jure également qu’il [traduction] « connaît personnellement les faits et les questions en cause, et, lorsqu’il s’en remet à des renseignements et opinions, [il] estime qu’ils sont fondés » (au paragraphe 1).

[28]     La demanderesse soutient que, étant donné l’absence d’affidavit provenant du CTD de Sydney et qui aurait été fait par quelqu’un qui a été mêlé à l’erreur, la Cour ne peut se fier à ce que l’agent Matsui dit à cet égard. Or, la demanderesse a eu toute possibilité de contre-interroger l’agent Matsui à ce sujet et elle s’en est abstenue. Qui plus est, la demanderesse ne présente à la Cour aucune preuve montrant que ce qui s’est passé est autre chose qu’une erreur administrative. En fin de compte, la Cour doit mettre en balance l’explication présentée par l’agent Matsui — confirmée par d’autres documents qui figurent au dossier — et la thèse hypothétique de la demanderesse voulant qu’une décision autorisée sur son droit à la résidence permanente ait pu être prise à Sydney et que le ministre doive faire plus que régler une erreur administrative.

[29]     J’estime que je dois préférer le témoignage du défendeur à ce sujet. À mon avis, rien ne permet de croire que l’agent Matsui n’a pas livré à la Cour une description correcte de ce qui s’est passé ni que la demanderesse soit autre chose que la victime d’une erreur admin- istrative. Je dois conclure qu’on n’a jamais pris de décision sur le statut actuel de la demanderesse en matière de résidence.

[30]     À mon avis, la disposition législative pertinente dit clairement que le législateur n’avait pas l’intention d’accorder des protections législatives en matière de procédure à une personne dont la carte est révoquée. Le paragraphe 53(2) du Règlement dispose expressément que la carte de résident permanent est la propriété de Sa Majesté la Reine :

    53. [. . .]

    (2) La carte de résident permanent demeure en tout temps la propriété de Sa Majesté du chef du Canada et doit être renvoyée au ministère à la demande de celui-ci.

[31]     Ni la Loi ni le Règlement ne prévoient que le détenteur d’une carte de résident permanent doit avoir la possibilité de présenter des observations avant que sa carte ne soit révoquée. Le paragraphe 53(2) dit plutôt de façon expresse que la carte « demeure en tout temps la propriété de Sa Majesté [. . .] et doit être renvoyée au ministère à la demande de celui-ci » (non souligné dans l’original).

[32]     Toutefois, comme la Cour suprême du Canada l’a confirmé dans l’arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653 (ci-après Directeur de l’établissement Kent), « à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne » (voir également Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). Dans l’arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la page 668, la Cour suprême ajoute, citant Directeur de l’établissement Kent, qu’« il existe un droit général à l’équité procédurale indépendamment de l’application de la loi. Ce droit, s’il existe, ne peut résulter que de l’un des trois facteurs qui ont été tenus par notre Cour comme déterminants quant à l’existence de ce droit ». Ces trois facteurs sont les suivants : i) la nature de la décision que l’organisme administratif en cause doit prendre; ii) la relation entre l’organisme et la personne; iii) l’effet de la décision sur les droits de la personne.

[33]     En l’espèce, la décision est de nature purement administrative et, bien qu’elle soit définitive en ce qui concerne la carte délivrée à la demanderesse, elle ne l’est pas pour ce qui est du statut de résident permanent de la demanderesse. En outre, si celle-ci présente une autre demande de statut de résident permanent, comme elle a été invitée à le faire dans ce cas-ci, elle pourrait l’obtenir et, avec ce statut, elle pourrait recevoir la carte de résident permanent. Quant au deuxième facteur, il n’existe aucune « relation », à proprement parler, entre la demanderesse et le Ministère. Enfin, il n’y a de droit à l’équité procédurale que si la décision est importante et a des conséquences appréciables pour la personne. On ne peut prétendre que l’effet de la décision, en l’espèce, soit important. Elle ne refuse à la demanderesse aucun droit, privilège ni intérêt. Comme le paragraphe 53(2) [du Règlement] le dit clairement, le détenteur d’une carte de résident permanent n’a pas le droit absolu de conserver sa carte, et, comme le juge de Montigny l’explique clairement dans l’arrêt Ikhuiwu, la simple possession de la carte ne confère pas le statut de résident permanent. Le Règlement dit plutôt expressément que la carte demeure la propriété de Sa Majesté et doit être rendue lorsque le Ministère le demande. Pour ces motifs, je conclus qu’il n’y avait aucune exigence en matière de procédure à satisfaire avant de décider de révoquer ou d’annuler, à cause d’une erreur administrative, la carte de résident permanent de la demanderesse. De plus, cette dernière a eu toute possibilité de faire valoir son point de vue.

2.      La décision de révoquer et d’annuler la carte de résident permanent était-elle du ressort de l’agent?

[34]     La demanderesse soutient que la décision rendue par les agents de CIC n’est pas de leur ressort, car, selon elle, aucune disposition législative n’autorise un agent à révoquer ou à annuler une carte de résident permanent en pareilles circonstances. La demanderesse avance que la Loi et son règlement d’application définissent les circonstances dans lesquelles il est possible de révoquer une carte et contiennent des dispositions qui autorisent expressément les agents à annuler des documents ou des conditions. Toutefois, il n’en existe aucune qui les autorise à annuler une carte de résident permanent.

[35]     Le défendeur fait valoir que, aux termes du paragraphe 53(2), qui dispose que la carte de résident permanent demeure la propriété de Sa Majesté et doit être renvoyée à la demande du Ministère, l’agent avait compétence pour demander la restitution de la carte. Il souligne que, alors que le Règlement confère expressément au Ministère le droit de révoquer la carte de résident permanent, la demanderesse n’a aucunement le droit, selon la loi, de refuser de la rendre.

[36]     Je suis d’accord avec le défendeur sur ce point. Le paragraphe 53(2) du Règlement autorise expres- sément le Ministère à révoquer une carte de résident permanent. Bien que la Loi et son règlement d’application ne précisent pas qu’un agent peut annuler une carte de résident permanent préalablement délivrée, le Règlement (article 60) accorde le pouvoir de révoquer cette carte et il énonce (à l’article 59 [mod. par DORS/2004-167, art. 18]) les exigences à satisfaire pour qu’un agent puisse en délivrer une nouvelle. Lorsqu’une carte a été délivrée par erreur, comme c’est le cas dans les circonstances actuelles, je ne peux pas conclure que l’annulation de la carte dépasse la compétence de l’agent ni, de façon plus générale, du ministère qui délivre les cartes. Je ne pense pas que le législateur avait l’intention de conférer au Ministère le pouvoir de révoquer la carte de résident permanent, et qu’il voulait aussi limiter son pouvoir d’annuler la carte, surtout lorsqu’elle a été délivrée par erreur et que le détenteur refuse de la rendre. Pour ces raisons, je conclus que, dans la cause présente, l’agent n’a pas outrepassé sa compétence en révoquant et en annulant la carte de la demanderesse. Celle-ci n’a aucunement droit à cette carte et elle refuse simplement de la rendre.

3.     L’agent était-il functus officio?

[37]     La demanderesse soutient que la décision de l’agent est contraire au principe du functus officio. Selon elle, la délivrance de sa carte de résident permanent prouvait, en l’absence de preuve convaincante du contraire, qu’un agent de CIC avait décidé de renoncer aux exigences de résidence habituelles et de délivrer la carte pour des motifs d’ordre humanitaire.

[38]     La demanderesse soutient également que la carte a été délivrée à juste titre et que des agents de CIC ont dit plus d’une fois que c’est seulement après avoir étudié sa demande qu’ils avaient décidé qu’il faudrait en présenter une autre. Elle prétend que le défendeur n’a pas produit la preuve que la carte avait été délivrée dans des circonstances qui en entraînent la nullité dès le départ. Le simple fait que la carte a été délivrée d’une manière qui sort de l’ordinaire, avance la demanderesse, ne prouve en rien qu’elle ait été délivrée sans que l’agent ait l’autorité voulue pour éviter l’application du principe du functus officio. La demanderesse ajoute que la Cour n’est saisie d’aucun élément de preuve qui permettrait de dire que la décision de délivrer la carte a été prise par une personne qui n’est pas un agent ou par un agent non autorisé à renoncer aux exigences de résidence et à délivrer la carte pour des motifs d’ordre humanitaire. Au contraire, la demanderesse soutient que des éléments prouvent que la carte a été délivrée par suite d’une décision prise par un membre du personnel du CTD de Sydney où la demande a été reçue et étudiée au départ et dit [traduction] « qu’il y a des agents d’immigration là-bas ». Selon la demanderesse, la preuve donne à penser qu’un ou plusieurs agents de CIC ont eu des doutes au sujet de la décision de délivrer la carte et que, en pareilles circonstances, le principe du functus officio devrait s’appliquer.

[39]     Le défendeur fait valoir qu’il n’y a pas eu de « décision » au sujet du statut de résident permanent de la demanderesse. Par conséquent, étant donné que la carte de résident permanent a été délivrée sans que cette décision soit prise, la présente affaire correspond à l’une des exceptions à la doctrine du functus officio, celle de l’erreur administrative. À l’appui de cette thèse, le défendeur invoque l’arrêt Nozem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1449 (Nozem). Dans cette cause, un demandeur avait reçu deux avis de décision sur sa demande de statut de réfugié. La première décision portait acceptation de la demande de statut alors que la deuxième porte refus de la protection de réfugié. Il a cherché à faire annuler la décision défavorable au motif que le principe du functus s’appliquait et que le tribunal avait déjà rendu une décision favorable. La Cour a rejeté cette thèse et conclu, au paragraphe 32 :

    Le principe du functus officio ne trouve pas application en l’espèce parce que l’avis de décision du 20 août 2002 a été envoyé par erreur. Le tribunal n’a jamais eu l’intention de rendre une décision favorable dont il pouvait aviser le demandeur.

[40]     Le défendeur soutient que la cause à l’étude est analogue à l’affaire Nozem, étant donné qu’il n’y a au dossier aucune décision que la demanderesse respectait les exigences de résidence; et il était impossible d’en avoir, puisque la demanderesse a été absente du Canada pendant presque toute la période de cinq ans qui a précédé sa demande. Le défendeur ajoute qu’aucun élément au dossier n’atteste que, pour des motifs d’ordre humanitaire, on a exempté la demanderesse des exigences de résidence prévues à l’article 28 de la Loi.

[41]     Le défendeur fait valoir en outre que la preuve étaye la thèse voulant que la carte ait été délivrée à la demanderesse par erreur. La démarche suivie pour étudier les demandes de carte de résident permanent est décrite dans l’affidavit de l’agent Matsui. Dans sa déposition, il dit que, s’il est clair qu’une personne ne satisfait pas aux exigences de résidence énoncées dans les dispositions législatives, le dossier est renvoyé à un bureau local, soit, dans ce cas-ci, le bureau de Vancouver. Il ajoute que lui seul et une autre personne du bureau de Vancouver ont le pouvoir d’accorder l’exemption aux exigences de résidence prévues par la Loi pour des motifs d’ordre humanitaire. En outre, selon l’agent Matsui, les commis des services de l’immigration qui distribuent les cartes de résident permanent n’ont pas le pouvoir délégué voulu pour accorder l’exemption pour des motifs d’ordre humanitaire.

[42]     Le défendeur soutient que l’affidavit de l’agent Matsui établit que la démarche à suivre normalement pour déterminer si les obligations en matière de résidence ont été satisfaites n’a pas été respectée en l’espèce. En outre, le dossier montre que le CTD de Sydney était clairement d’avis que la carte avait été délivrée à tort. Un courriel des services à la clientèle de Sydney adressé au service de la résidence permanente à Vancouver dit ceci :

[traduction] La demande suivante de carte [de citoyen permanent] aurait dû­­­ être renvoyée à votre bureau pour vérification de la résidence. La cliente est demeurée à l’étranger pendant plus de cinq ans. Une carte [de résident permanent] a été demandée par erreur et accordée à la cliente le mois dernier [. . .] Il faut révoquer la carte et déterminer le statut de résident [. . .]

[43]     Le défendeur soutient que CIC ne s’est pas prévalu de son pouvoir pour vérifier si la demanderesse satisfaisait aux exigences de résidence (il est admis qu’elle ne les satisfait pas), car rien, dans le dossier, n’indique qu’un calcul pour les besoins de la résidence a été fait par CIC au moment où la demande de carte de résident permanent a été présentée. En outre, rien n’indique que, à CIC, quiconque — et plus précisément une personne qui ait le pouvoir délégué voulu — ait envisagé ou accordé une exemption aux dispositions de l’article 28 de la Loi. Ainsi, de l’avis du défendeur, aucune décision n’a été prise sur l’existence de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour soustraire la demanderesse aux exigences de résidence. Comme aucun pouvoir n’a été exercé, le ministre a maintenant la possibilité, de l’avis du défendeur, d’aborder la question de savoir si les exigences de la Loi et de son règlement d’application sont satisfaites.

[44]     Enfin, le défendeur fait valoir que, d’après l’interprétation que la demanderesse fait de la Loi, une fois qu’une décision est prise sur l’admissibilité d’une personne au Canada, on ne pourrait jamais réexaminer la question, même lorsque que de nouveaux renseigne- ments sont mis au jour ou qu’une erreur a été commise. Le défendeur soutient que cette interprétation ne cadre pas avec l’économie de la Loi, qui permet d’établir un rapport sur l’interdiction de territoire de résidents permanents (article 44), ni avec des décisions antérieures de la Cour et de la Cour d’appel fédérale, selon lesquelles les agents des visas peuvent revoir des décisions lorsque de nouveaux renseignements viennent au jour (voir Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 3 C.F. 349 (1re inst.) (ci-après Chan); Mauger c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] A.C.F. no 1117 (C.A.) (QL)).

[45]     La Cour suprême du Canada a examiné la doctrine du functus officio dans l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848 (ci-après Chandler), où le juge Sopinka, qui a rédigé les motifs pour la majorité, a écrit ce qui suit, à la page 860 :

    La règle générale portant qu’on ne saurait revenir sur une décision judiciaire définitive découle de la décision de la Court of Appeal d’Angleterre dans In re St. Nazaire Co. (1879), 12 Ch. D. 88. La cour y avait conclu que le pouvoir d’entendre à nouveau une affaire avait été transféré à la division d’appel en vertu des Judicature Acts. La règle ne s’appliquait que si le jugement avait été rédigé, prononcé et inscrit, et elle souffrait deux exceptions :

1. lorsqu’il y avait eu lapsus en la rédigeant ou

2. lorsqu’il y avait une erreur dans l’expression de l’intention manifeste de la cour. Voir Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., [1934] R.C.S. 186.

[46]     Dans cette cause, le juge Sopinka a conclu que la doctrine s’appliquait aux instances administratives aussi bien qu’aux tribunaux, mais il a ajouté la nuance suivante, à la page 862 :

C’est pourquoi j’estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel.

    Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante.

[47]     Ce passage a été examiné par la Cour dans la décision Chan, précitée, où le juge Cullen a écrit aux paragraphes 27 et 28, dans le contexte de l’ancienne Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] :

Si je comprends bien cet arrêt, les décisions rendues par des organismes administratifs, plus souples et moins formalistes que les décisions judiciaires, peuvent être « rouvertes » dans l’intérêt de la justice lorsque la loi habilitante envisage le réexamen d’une décision.

    La Loi sur l’immigration envisage-t-elle qu’un agent des visas puisse réexaminer sa décision? Rien dans la loi ne porte sur le réexamen éventuel, par un agent des visas, de ses décisions. Je n’interprète cependant pas ce silence comme prohibant un tel réexamen. Je crois plutôt que l’agent des visas a la compétence nécessaire pour reconsidérer ses décisions, particulièrement lorsque de nouveaux renseignements sont connus. On peut fort bien imaginer une situation opposée à celle en l’espèce. Qu’en serait-il si on avait dès le départ refusé un visa à la requérante parce que l’agent avait considéré qu’elle était membre de la triade Sun Yee On? N’aurait-elle pu présenter de nouveaux renseignements, et demander à l’agent des visas de reconsidérer sa décision? Si les nouveaux renseignements étaient convaincants, je ne doute pas que l’agent des visas aurait la compétence nécessaire pour rendre une nouvelle décision qui accorderait le visa. À mon sens, la même logique s’applique à l’espèce. L’agent des visas, sur réception de renseignements l’informant que la requérante était membre d’une catégorie de personnes non admissible, était compétent à reconsidérer sa décision antérieure et à révoquer son visa. Appliquer aux décisions administratives des agents des visas les mêmes règles de perte subséquente de compétence qui régissent les décisions judiciaires ne serait pas, à mon sens, en accord avec le rôle et les fonctions des agents des visas.

[48]     J’ai déjà dit mon avis sur ce que le témoignage du défendeur établit au sujet de ce qui s’est passé dans la présente affaire, et il est inutile de répéter ici mes conclusions. En conséquence, je dois être d’accord avec le défendeur sur ce point. Aucune décision sur le statut de résident permanent n’a été prise à l’égard de la demanderesse.

[49]     À l’instar de l’ancienne Loi sur l’immigration, la Loi actuelle n’empêche pas un agent de revenir sur la décision de délivrer une carte de résident permanent; la Loi ne dispose pas non plus que l’agent puisse le faire. Je retiens l’analyse du juge Cullen, décrite plus haut, et conclus que la doctrine du functus officio ne s’applique pas dans l’affaire à l’étude. Il ressort clairement de la décision et de la preuve dont je dispose que la carte de résident permanent a été délivrée à tort et, par conséquent, que l’exception à la doctrine du functus officio s’applique en l’espèce. Compte tenu de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Chandler, l’erreur commise en délivrant une carte à la demanderesse sans déterminer son statut de résident ni prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire qui peuvent justifier une exception aux exigences de résidence ne doit pas, à la lumière de ces faits, empêcher le ministre de revoir la décision de délivrer une carte de résident permanent à la demanderesse.

[50]     Il ne faut pas déduire de ce qui précède que les conséquences de l’erreur administrative commise dans la présente affaire sont sans pertinence pour ce qui est de la décision finale sur le statut de résident de la demanderesse. D’après les faits dont je suis saisi, rien ne permet de croire que la demanderesse a agi de mauvaise foi dans les moments importants. Tout problème qui aurait pu découler de l’erreur sera pris en considération dans la décision sur les motifs d’ordre humanitaire, et cette décision sera soumise aux procédures habituelles de contrôle judiciaire.

[51]     Pour ce qui est de la question étroitement circonscrite dont je suis saisi au sujet de la décision de l’agent Matsui, cependant, je dois rejeter la demande pour les motifs exposés ci-dessus.

[52]     Les avocats sont priés de signifier et présenter toute observation au sujet de la certification d’une question d’importance générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs de jugement. Chacune des parties aura trois autres jours pour signifier et déposer une réponse aux observations de l’autre partie, après quoi un jugement sera rendu.

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