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IMM-2836-97

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (requérant)

c.

Danilo Ramos Seneca (intimé)

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c.Seneca (1reinst.)

Section de première instance, juge Noël"Vancouver, 25 mars; Ottawa, 6 avril 1998.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Processus d'enquête en matière d'immigration Contrôle judiciaire du rejet par la section d'appel de la CISR de la requête préliminaire visant le rejet de l'appel de la mesure de renvoi conditionnel pour défaut de compétenceDemande de résidence permanente contenant des renseignements faux relativement au mariage antérieurL'intimé a satisfait à la condition dont était assorti son visa d'immigrant en épousant sa fiancée canadienne dans les 90 jours après avoir obtenu le droit d'établissementPar la suite, il a été déclaré coupable de bigamieÀ l'issue d'une enquête, il a été conclu que l'intimé était une personne visée à l'art. 27(1)d)(ii) (déclarée coupable d'une infraction qui pouvait être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans) et à l'art. 27(1)e) (ayant obtenu le droit d'établissement par suite d'une fausse indication sur un fait important)Une mesure de renvoi conditionnel a été priseLes termes et l'économie de la Loi permettaient à l'intimé d'interjeter appel de la mesure de renvoiSeul un résident permanent peut faire l'objet d'une enquête en vertu de l'art. 27(1)L'art. 32(2) reconnaît qu'une personne visée par une décision portant qu'elle appartient à la catégorie des personnes décrites à l'art. 27(1) demeure un résident permanent malgré cette conclusionL'argument portant que la décision de l'arbitre concernant la validité du visa de l'intimé a pour effet de le priver du droit d'appel, car sa qualité de résident permanent est nulle ab initio, est incompatible avec les art. 27 et 32Lorsqu'une personne a obtenu officiellement le statut de résident permanent, des dispositions précisent de quelle manière elle peut le perdre et cette procédure comporte clairement des droits d'appelEnfin, l'art. 70(1) confère un droit d'appel fondé sur toute question de droit ou de faitOn ne peut invoquer le statut d'une personne qui interjette appel d'une mesure de renvoi pour lui nier le droit d'appel prévu par l'art. 70(1)a) lorsque toute conclusion concernant son statut découle nécessairement d'une conclusion de fait ou de droit tirée par l'arbitreL'admissionlégales'entend d'une permission donnée ouvertement par l'autorité compétente sans égard à la façon dont elle a été obtenueLa Loi devra être modifiée si on veut qu'une conclusion positive en vertu de l'art. 27(1)e) ne soit pas susceptible d'appel.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire du rejet, par la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, de la requête préliminaire présentée par le ministre en vue d'obtenir le rejet de l'appel interjeté par l'intimé en vertu du paragraphe 70(1) à l'encontre d'une mesure de renvoi conditionnel prise en vertu du paragraphe 32.1(2) . L'intimé, un citoyen des Philippines, a fait une demande de résidence permanente en qualité de parent. Sa demande a été parrainée par sa fiancée canadienne. Dans sa demande, il a donné de fausses indications concernant son mariage antérieur et le nombre d'enfants qu'il avait. L'intimé a obtenu un visa d'immigrant assorti de la condition qu'il épouse sa fiancée dans les 90 jours après avoir obtenu le droit d'établissement au Canada, ce qu'il a fait. On a découvert par la suite que son mariage antérieur n'avait jamais été dissous, et l'intimé a été déclaré coupable de bigamie. À la suite d'une enquête, on a conclu qu'il appartenait à la catégorie des personnes décrites au sous-alinéa 27(1)d)(ii) (il a été déclaré coupable d'une infraction qui pouvait être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans) et à l'alinéa 27(1)e) (il a obtenu le droit d'établissement par suite d'une fausse indication sur un fait important). Une mesure de renvoi conditionnel a été prise. Lorsque l'intimé a interjeté appel, le requérant a déposé une requête préliminaire en rejet pour défaut de compétence, dont le rejet a donné lieu à la présente demande.

Selon le paragraphe 70(1), le résident permanent visé par une mesure de renvoi peut interjeter appel devant la section d'appel en invoquant: a) une question de droit ou de fait; ou b) le fait que, eu égard aux circonstances de l'espèce, il ne devrait pas être renvoyé. L'expression "résident permanent" est définie comme s'entendant d'une personne qui a obtenu le droit d'établissement et qui n'a pas perdu son statut conformément à l'article 24 ou 25.1. L'expression "droit d'établissement" est définie comme l' "autorisation d'établir sa résidence permanente au Canada".

La question en litige était celle de savoir si, lorsqu'un arbitre a conclu qu'une personne a obtenu le droit d'établissement sur la foi d'un visa obtenu irrégulièrement au sens de l'alinéa 27(1)e) et qu'une mesure de renvoi est prise contre elle pour cette raison, cette personne peut interjeter appel de cette mesure devant la section d'appel.

Jugement: la demande doit être rejetée.

Selon les termes et l'économie de la Loi, une telle personne a le droit d'interjeter appel de la mesure de renvoi en vertu du paragraphe 70(1). La qualité de résident permanent de la personne visée par une enquête en vertu du paragraphe 27(1) est une condition préalable à la compétence conférée à l'arbitre par cette disposition. Les articles 31 et 32 établissent la procédure à suivre après la tenue d'une enquête. Selon le paragraphe 32(2), s'il conclut que l'intéressé est un résident permanent se trouvant dans l'une des situations visées au paragraphe 27(1), l'arbitre prend une mesure d'expulsion contre lui. Le paragraphe 32(2) reconnaît donc par voie législative que la personne visée par une décision portant qu'elle appartient à la catégorie des personnes décrites au paragraphe 27(1) demeure un résident permanent malgré cette conclusion. L'intéressé pourrait donc, en cette qualité, interjeter appel de la mesure de renvoi qui en découle.

L'argument portant que, compte tenu du fait que la définition de l'expression "résident permanent" exige que l'intéressé ait obtenu légalement le droit d'établissement, la décision de l'arbitre concernant la validité du visa de l'intimé a pour effet de le priver du droit d'appel prévu à l'alinéa 70(2)b ) de la Loi, car sa qualité de résident permanent est nulle ab initio, est non seulement incompatible avec le libellé des articles 27 et 32, mais encore erroné pour deux raisons. (Le requérant soutenait que le raisonnement retenu par la Cour relativement aux appels fondés sur l'alinéa 70(2)b) s'appliquait également aux appels fondés sur l'alinéa 70(1)). La première de ces raisons découle de la définition de l'expression "résident permanent" (exigeant qu'une personne n'ait pas perdu son statut de résident permanent conformément à l'article 24 ou 25.1). Les articles 24 et 25.1 prévoient que la déchéance peut avoir lieu lorsque la personne ne réside plus au Canada ou "lorsqu'une mesure de renvoi n'a pas été annulée ou n'a pas fait l'objet d'un sursis d'exécution au titre du paragraphe 73(1)". Le paragraphe 73(1) prévoit les décisions que la section d'appel peut rendre relativement à un appel. Lorsqu'une personne a obtenu officiellement le statut de résident permanent, ces dispositions précisent de quelle manière elle peut le perdre et cette procédure comporte clairement des droits d'appel. Cette interprétation est compatible avec le libellé du paragraphe 69.4(2) qui confère à la section d'appel la compétence exclusive pour juger sur des questions de droit et de fait"y compris en matière de compétence"relatives à la prise d'une mesure de renvoi.

La deuxième raison pour laquelle cet argument ne pouvait être retenu touche plus directement les droits d'appel en général. Le droit d'appel était conféré par l'alinéa 70(1)a) (qui confère un droit d'appel fondé sur toute question de droit ou de fait). On ne peut invoquer le statut d'une personne qui entend interjeter appel d'une mesure de renvoi prise par l'arbitre pour lui nier le droit d'appel prévu par l'alinéa 70(1)a) lorsque toute conclusion concernant son statut découle nécessairement d'une conclusion de fait ou de droit tirée par l'arbitre. L'hypothèse selon laquelle l'intéressé n'a pas de statut parce qu'il n'a pas été admis "légalement" à l'origine ne saurait le priver de son droit d'appel sur cette question précise. L'autorisation ("lawful permission") s'entend d'une permission donnée ouvertement par l'autorité compétente sans égard à la façon dont elle a été obtenue. Il ne s'agissait pas de reconnaître à un immigrant malhonnête plus de droits qu'à un immigrant honnête, mais de respecter la volonté clairement exprimée par le législateur. Si le législateur souhaite qu'une conclusion positive tirée par un arbitre en vertu de l'alinéa 27(1)e ) ne soit pas susceptible d'appel, la Loi devrait être modifiée en conséquence.

La question soulevée en l'espèce a été certifiée.

lois et règlements

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 291(1).

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 10(2).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1) "droit d'établissement", "résident permanent", 24 (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 4), 25.1 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 14), 27(1)d )(ii) (mod., idem, art. 16), e), (2)g) (mod., idem), 31 (mod., idem, art. 20), 32 (mod., idem, art. 21), 32.1(2) (mod., idem, art. 23), 69.4(2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 70(1) (mod., idem, L.C. 1995, ch. 15, art. 13), (2) (mod., idem), (b) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 73(1) (mod., idem).

jurisprudence

décision appliquée:

Tran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 36 Imm. L.R. (2d) 275 (C.F. 1re inst.).

décisions non suivies:

Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 123 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.); Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 39 Imm. L.R. (2d) 97 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Wong (1993), 153 N.R. 237 (C.A.F.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hundal, [1995] 3 C.F. 32; (1995), 96 F.T.R. 306; 30 Imm. L.R. (2d) 52 (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Copeland, [1998] 2 C.F. 493 (1re inst.); Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408; (1993), 103 D.L.R. (4th) 564; 155 N.R. 129 (C.A.).

DEMANDE de contrôle judiciaire du rejet, par la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, d'une requête préliminaire visant le rejet, pour défaut de compétence, de l'appel interjeté par l'intimé en vertu du paragraphe 70(1) de la Loi sur l'immigration à l'encontre d'une mesure de renvoi conditionnel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Seneca, [1997] I.A.D.D. no 684 (QL)). Demande rejetée et question certifiée.

avocats:

Sandra E. Weafer pour le requérant.

Charles R. Darwent pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Charles R. Darwent, Calgary, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Noël: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section d'appel) a rejeté, le 18 juin 1997 [[1997] I.A.D.D. no 684 (QL)], la requête préliminaire présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le requérant) en vue d'obtenir le rejet de l'appel de Danilo Ramos Seneca (l'intimé) pour défaut de compétence.

Les faits

L'intimé est un citoyen des Philippines, né le 17 octobre 1953. Le 3 juillet 1976, il a épousé Leticia Torres à Baguio, aux Philippines. L'intimé a deux enfants issus de ce mariage; Ester Joy Torres Seneca, née le 14 avril 1977, et Barney John Torres Seneca, né le 13 octobre 1983.

Le 11 novembre 1986, l'intimé s'est adressé à l'ambassade du Canada à Manille pour faire une demande de résidence permanente au Canada en qualité de parent. Sa demande était parrainée par Priscilla Esther Boyce, sa fiancée canadienne. Dans sa demande, l'intimé a indiqué qu'il s'était marié plus d'une fois. Il a affirmé s'être marié avec Leticia Torres vers le 29 décembre 1980, mais en être séparé. L'intimé a également affirmé avoir un fils, Barney John Seneca, né le 13 décembre 19831. Dans sa demande, il a signé une déclaration sous serment portant qu'il s'était marié une seule fois et que le statut juridique de son mariage n'était pas clair2.

En se fondant sur les renseignements contenus dans la demande de résidence permanente de l'intimé et après avoir tenté sans succès de retracer l'enregistrement du prétendu mariage du requérant à Mme Torres survenu le 29 décembre 1980, l'agent des visas qui a évalué la demande de l'intimé a conclu que le mariage de l'intimé ne le liait pas en droit.

Le 30 juin 1987, un visa d'immigrant a été délivré à l'intimé en qualité de parent, mais il était assorti de la condition qu'il épouse sa fiancée dans un délai de 90 jours après avoir obtenu le droit d'établissement au Canada. L'intimé est arrivé au Canada le 12 août 1987, à l'aéroport international de Vancouver. Le 22 août 1987, il a épousé Priscilla Boyce à Red Deer, en Alberta.

En 1989, une enquête de la GRC sur la demande de l'intimé a révélé qu'il s'était en fait marié avec Mme Torres le 3 juillet 1976 et que son mariage n'avait jamais été dissous3. L'intimé a par la suite été accusé et déclaré coupable de bigamie sous le régime du paragraphe 291(1) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]. Le 13 septembre 1990, l'intimé a été condamné avec sursis et assujetti à une période de probation de 12 mois4.

En raison de sa condamnation, l'intimé a fait l'objet d'une enquête et un arbitre a conclu qu'il appartenait à la catégorie des personnes décrites au sous-alinéa 27(1)d)(ii) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16)]5. De plus, compte tenu des fausses indications données par l'intimé concernant son état matrimonial et de son omission de déclarer sa fille, l'arbitre a conclu qu'il appartenait à la catégorie des personnes décrites à l'alinéa 27(1)e) de la Loi6.

Le 28 janvier 1994, une mesure de renvoi a été prise contre l'intimé en vertu du paragraphe 32.1(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 23] de la Loi. L'intimé a interjeté appel de cette mesure en se fondant sur le paragraphe 70(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi. En réponse à l'avis d'appel de l'intimé, le requérant a déposé une requête préliminaire devant la section d'appel pour lui demander de rejeter l'appel de l'intimé pour défaut de compétence.

Le 18 juin 1997, la section d'appel a rejeté la requête du requérant et ordonné que l'appel soit inscrit pour instruction sur le fond. C'est cette décision que le requérant conteste dans sa présente demande de contrôle judiciaire.

Les arguments du requérant

Le requérant fait remarquer que, selon le paragraphe 70(1) de la Loi, le résident permanent visé par une mesure de renvoi peut interjeter appel devant la section d'appel en invoquant: a) une question de droit ou de fait; ou b) le fait que, eu égard aux circonstances de l'espèce, il ne devrait pas être renvoyé.

Le requérant souligne que l'expression "résident permanent" est définie au paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1] de la Loi comme s'entendant d'une personne qui remplit les conditions suivantes:

2. (1) . . .

a) elle a obtenu le droit d'établissement;

b) elle n'a pas acquis la citoyenneté canadienne;

c) elle n'a pas perdu son statut conformément à l'article 24 ou 25.1.

Est également visée par la définition la personne qui a acquis la citoyenneté canadienne mais l'a perdue conformément au paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté, compte non tenu du paragraphe 10(2) de cette loi.

Le requérant souligne ensuite que l'expression "droit d'établissement" est définie ainsi au paragraphe 2(1) [mod., idem ] de la Loi: "Autorisation d'établir sa résidence permanente au Canada". Le requérant soutient que l'expression "autorisation" ("lawful permission") exige que l'intéressé respecte les exigences de la Loi sur l'immigration et de ses règlements relativement au processus d'obtention de cette autorisation.

Le requérant cite ensuite deux causes portant sur des appels interjetés devant la section d'appel par des personnes qui n'avaient pas encore obtenu le droit d'établissement, mais auxquelles on avait délivré un visa (alinéa 70(2)b) de la Loi [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1995, ch. 15, art. 13])7. Dans ces deux causes, la Cour a conclu que, lorsque le motif essentiel de la délivrance du visa n'existe pas avant la délivrance effective du visa, le visa est nul ab initio et l'intéressé ne peut invoquer le droit d'appel prévu par l'alinéa 70(2)b).

Le requérant fait valoir que le raisonnement retenu par la Cour relativement aux appels fondés sur l'alinéa 70(2)b) s'applique également aux appels fondés sur le paragraphe 70(1). À son avis, la personne qui obtient le droit d'établissement sur la foi d'un visa nul n'obtient pas l'autorisation (lawful permission) d'établir sa résidence permanente au Canada. Selon le requérant, il s'ensuit que cette personne ne peut exercer le droit d'appel conféré aux résidents permanents par le paragraphe 70(1). Le requérant cite les décisions Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)8 et Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)9 à l'appui de cette prétention.

Dans l'affaire Peralta, le requérant avait obtenu un visa en qualité de parent comme fils à charge accompagnant le titulaire d'un visa. Au moment de sa demande de résidence permanente, le requérant n'était pas marié. Après la délivrance du visa du requérant, mais avant son arrivée au Canada, le requérant s'est marié. Il n'a pas révélé ce changement de son état matrimonial au point d'entrée. Le requérant a obtenu le droit d'établissement, mais une enquête sur lui a par la suite été ordonnée et une mesure d'expulsion a été prise contre lui. Son appel devant la section d'appel a été rejeté pour défaut de compétence.

Le juge Richard, saisi d'une demande de contrôle judiciaire, a confirmé la conclusion de la section d'appel parce que le visa du requérant n'était pas valide. En examinant la jurisprudence sur le sujet, le juge Richard a conclu qu'un visa, une fois délivré, demeure valide, sous réserve de quatre exceptions10. La première, l'exception établie par l'arrêt De Decaro11, s'applique lorsqu'il est évident qu'un nouvel acte a rendu impossible la réalisation d'une condition rattachée à la délivrance du visa. S'appuyant sur l'exception établie par l'arrêt De Decaro, le juge Richard a conclu que le mariage du requérant, survenu avant son entrée au Canada, constituait un nouvel acte qui rendait effectivement impossible la réalisation de la condition rattachée à la délivrance du visa (soit que le requérant soit un fils à charge). Pour cette raison, le juge Richard a conclu que la section d'appel avait tiré une conclusion juste en décidant que le requérant n'avait pas la qualité requise pour exercer le droit d'appel prévu par le paragraphe 70(1).

Le requérant fait remarquer que, dans l'affaire Tran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)12, la cause de jurisprudence contraire sur laquelle s'est appuyée la section d'appel pour rejeter la requête préliminaire, le juge McKeown n'a pas mentionné la décision antérieure du juge Richard. Dans l'affaire Tran, la requérante était célibataire au moment de sa demande de résidence permanente, mais elle s'était mariée avant la délivrance de son visa. Comme dans l'affaire Peralta, une enquête a été ordonnée à son sujet, il a été décidé qu'elle appartenait à la catégorie des personnes décrites à l'alinéa 27(1)e) et une mesure de renvoi a été prise contre elle. L'appel interjeté par la requérante à l'encontre de cette mesure a été rejeté par la section d'appel pour défaut de compétence. Toutefois, à la suite d'une demande de contrôle judiciaire, le juge McKeown a accueilli la demande de la requérante et ordonné qu'elle soit traitée comme une résidente permanente pour l'application du paragraphe 70(1).

Le requérant prétend que la décision Tran constitue une anomalie qui doit être examinée en regard de la décision ultérieure Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) dans laquelle le juge Dubé a suivi la décision Peralta et établi une distinction avec la décision Tran13. Dans Yu, la requérante n'a pas non plus révélé son mariage survenu après sa demande de résidence permanente (en qualité de personne à charge), mais avant la délivrance de son visa. En tenant compte de ces faits, le juge Dubé a conclu que la raison principale de la délivrance du visa de la requérante avait cessé d'exister avant la délivrance du visa et que la requérante, ayant obtenu la qualité de résidente permanente par fraude, n'avait pas le droit de se prévaloir des droits d'appel conférés par le paragraphe 70(1).

À partir de cette jurisprudence, le requérant soutient que l'intimé en l'espèce n'a pas la qualité requise pour invoquer le paragraphe 70(1) parce que la principale raison de la délivrance du visa de l'intimé a cessé d'exister avant sa délivrance et que le mariage de l'intimé avant son entrée au Canada constitue un "nouvel acte" qui a rendu impossible la réalisation de la condition rattachée à son visa14 .

Le requérant fait valoir qu'il ne serait pas conforme à l'intention du législateur de reconnaître un droit d'appel sous le régime du paragraphe 70(1) aux personnes qui ont obtenu la résidence permanente sur la foi d'un visa invalide. Le requérant fait remarquer qu'une personne qui s'est fait accorder le droit d'établissement au moyen d'indications fausses ne devrait pas se faire conférer plus de droits que la personne qui fait preuve de franchise au point d'entrée15.

Enfin, le requérant affirme ne pas soutenir que toutes les formes d'indications fausses portent atteinte à la légalité du droit d'établissement. Selon le requérant, un tel raisonnement viderait l'alinéa 27(1)e) de son sens. Le requérant fait simplement valoir qu'une personne n'est pas un résident permanent pouvant exercer un droit d'appel si l'indication fausse a une incidence sur la validité du visa16.

La position de l'intimé

L'intimé invoque deux moyens à l'appui de sa position. Premièrement, il soutient que l'exception établie par l'arrêt De Decaro sur laquelle s'appuie le juge Richard dans la décision Peralta ne s'applique pas en l'espèce. L'intimé souligne que dans la décision Hundal, précitée, le juge Rothstein a conclu que cette exception ne s'applique que dans les cas où un nouvel acte rend impossible la réalisation de la condition rattachée à la délivrance du visa. L'intimé affirme qu'il aurait pu obtenir un jugement de divorce avant de venir au Canada, ce qui lui aurait permis de satisfaire à la condition voulant qu'il se marie avec Mme Boyce. En d'autres termes, le mariage antérieur de l'intimé n'écartait pas la possibilité qu'il se conforme aux exigences de son visa.

Deuxièmement, l'intimé soutient qu'il a en fait avoué s'être marié dans sa demande de résidence permanente. Il estime que le requérant invoque maintenant l'existence d'une indication fausse pour couvrir [traduction] "l'erreur ou l'inadvertance de son propre agent dans le traitement du dossier de l'intimé au moment de sa demande de visa"17.

Décision

La question en litige telle que je la perçois peut être formulée ainsi: lorsqu'un arbitre a conclu qu'une personne a obtenu le droit d'établissement sur la foi d'un visa obtenu irrégulièrement au sens de l'alinéa 27(1)e) de la Loi et qu'une mesure de renvoi est prise contre elle pour cette raison, cette personne peut-elle interjeter appel de cette mesure devant la section d'appel en vertu du paragraphe 70(1)?

À mon avis une telle personne a le droit d'interjeter appel de la mesure de renvoi en vertu du paragraphe 70(1) de la Loi. Cette conclusion découle des termes et de l'économie de la Loi qui, selon moi, mènent à un résultat différent de celui des affaires Peralta et Yu.

Tel qu'il l'a été mentionné plus tôt, l'intimé en l'espèce a fait l'objet d'une enquête et l'arbitre a conclu qu'il appartenait à la catégorie des personnes décrites à l'alinéa 27(1)e) de la Loi. Voici l'alinéa 27(1)e):

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas:

. . .

e) a obtenu le droit d'établissement soit sur la foi d'un passeport, visa"ou autre document relatif à son admission"faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d'une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d'un tiers; [soulignement ajouté.]

Une personne qui fait l'objet d'une enquête en vertu du paragraphe 27(1) est donc amenée devant l'arbitre parce qu'elle est, juridiquement, un résident permanent. Il s'agit bien sûr d'une condition préalable à la compétence conférée à l'arbitre par cette disposition et les deux parties à l'instance reconnaissent que l'arbitre avait compétence pour traiter le dossier de l'intimé en vertu de cette disposition18.

Les articles 31 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 20] et 32 [mod., idem, art. 21] établissent la procédure à suivre après la tenue d'une enquête. Le paragraphe 32(2) prévoit ce qui suit:

32. . . .

(2) S'il conclut que l'intéressé est un résident permanent se trouvant dans l'une des situations visées au paragraphe 27(1), l'arbitre, sous réserve des paragraphes (2.1) et 32.1(2), prend une mesure d'expulsion contre lui. [Soulignement ajouté.]

Le paragraphe 32(2) reconnaît donc par voie législative que la personne visée par une décision portant qu'elle appartient à la catégorie des personnes décrites au paragraphe 27(1) demeure un résident permanent malgré cette conclusion. L'intéressé pourrait donc, en cette qualité, interjeter appel de la mesure de renvoi qui en découle.

Le requérant soutient néanmoins que, compte tenu du fait que la définition de l'expression "résident permanent" exige que l'intéressé ait obtenu légalement le droit d'établissement19 , la décision de l'arbitre concernant la validité du visa de l'intimé a pour effet de le priver du droit d'appel prévu au paragraphe 70(1) de la Loi, car sa qualité de résident permanent est nulle ab initio. Cet argument est non seulement incompatible avec le libellé des articles 27 et 32, mais encore erroné pour deux raisons principales.

La première de ces raisons découle de la définition de l'expression "résident permanent" figurant au paragraphe 2(1) de la Loi. Cette expression s'entend d'une personne qui remplit les conditions suivantes:

2. (1) . . .

a) elle a obtenu le droit d'établissement;

b) elle n'a pas acquis la citoyenneté canadienne;

c) elle n'a pas perdu son statut conformément à l'article 24 ou 25.1.

Est également visée par la définition la personne qui a acquis la citoyenneté canadienne mais l'a perdue conformément au paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté, compte non tenu du paragraphe 10(2) de cette loi. [Soulignement ajouté.]

Comme il l'a été mentionné antérieurement, seul un résident permanent peut faire l'objet d'une enquête en vertu du paragraphe 27(1). Il ne fait aucun doute que l'intimé avait le statut juridique de résident permanent avant la décision de l'arbitre. Selon l'alinéa c) susmentionné, les articles 24 [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 4] et 25.1 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 14] prévoient la déchéance éventuelle du statut de résident permanent. Selon les articles 24 et 25.1, la déchéance peut avoir lieu lorsque la personne ne réside plus au Canada ou lorsqu'une mesure de renvoi n'a pas été annulée ou n'a pas fait l'objet d'un sursis d'exécution au titre du paragraphe 73(1).

Voici ce que prévoit le paragraphe 73(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18]:

73. (1) Ayant à statuer sur un appel interjeté dans le cadre de l'article 70, la section d'appel peut:

a) soit y faire droit;

b) soit le rejeter;

c) soit, s'il s'agit d'un appel fondé sur les alinéas 70(1)b) ou 70(3)b) et relatif à une mesure de renvoi, ordonner de surseoir à l'exécution de celle-ci;

d) soit, s'il s'agit d'un appel fondé sur les alinéas 70(1)b) ou 70(3)b) et relatif à une mesure de renvoi conditionnel, ordonner de surseoir à l'exécution de celle-ci au moment où elle deviendra exécutoire.

Lorsqu'une personne a obtenu officiellement le statut de résident permanent, les dispositions qui précèdent précisent de quelle manière elle peut le perdre et cette procédure comporte clairement des droits d'appel. Cette interprétation est compatible avec le libellé du paragraphe 69.4(2) [mod., idem] de la Loi. Cette disposition se lit comme suit:

69.4 . . .

(2) La section d'appel a compétence exclusive, dans le cas des appels visés aux articles 70, 71 et 77, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait"y compris en matière de compétence"relatives à la prise d'une mesure de renvoi ou au rejet d'une demande de droit d'établissement présentée par un parent20 .

La deuxième raison pour laquelle l'argument du requérant ne peut être retenu touche plus directement les droits d'appel en général. Le droit d'appel en cause en l'espèce est conféré par le paragraphe 70(1) de la Loi, reproduit ci-dessous:

70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants:

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

L'alinéa 70(1)a) confère donc un droit d'appel fondé sur toute question de droit ou de fait. Logiquement, on ne peut invoquer le statut d'une personne qui entend interjeter appel d'une mesure de renvoi prise par l'arbitre pour lui nier le droit d'appel prévu par l'alinéa 70(1)a) lorsque toute conclusion concernant son statut découle nécessairement d'une conclusion de fait ou de droit tirée par l'arbitre. L'hypothèse selon laquelle l'intéressé n'a pas de statut parce qu'il n'a pas été admis "légalement" à l'origine ne saurait le priver de son droit d'appel sur cette question précise.

[35] Il paraît donc clair que l'autorisation (lawful permission) ou l'admission "légale", selon le cas, vise l'admission officielle de l'intéressé au pays. C'est dans ce sens qu'est employé le terme "légale" dans la Loi sur la citoyenneté21 , une loi in pari materiae avec la Loi sur l'immigration22. Le paragraphe 10(2) de cette Loi prévoit:

10. . . .

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens. [Soulignement ajouté.]

Bien que la Loi sur l'immigration ne reprenne pas le libellé précis de cette disposition, il semble clair, compte tenu du régime législatif examiné plus haut, que l'autorisation (lawful permission) visée au paragraphe 2(1) de la Loi doit être interprétée de la même façon. En bout de ligne, cette autorisation (lawful permission) s'entend d'une permission donnée ouvertement par l'autorité compétente sans égard à la façon dont elle a été obtenue.

Il ne s'agit pas de reconnaître à un immigrant malhonnête plus de droits qu'à un immigrant honnête. Il s'agit de respecter la volonté clairement exprimée par le législateur. Dans la mesure où le législateur souhaite qu'une conclusion positive tirée par un arbitre en vertu de l'alinéa 27(1)e) ne soit pas susceptible d'appel, la Loi devrait être modifiée en conséquence.

Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et la question énoncée au paragraphe 24 des présent motifs est certifiée.

1 P. 225 du dossier.

2 P. 166 du dossier.

3 P. 217 du dossier.

4 P. 208 à 213 du dossier.

5 C'est-à-dire qu'il avait été déclaré coupable d'une infraction qui pouvait être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.

6 C'est-à-dire qu'il avait obtenu le droit d'établissement sur la foi d'un document obtenu irrégulièrement ou par suite d'une fausse indication sur un fait important.

7 Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Wong (1993), 153 N.R. 237 (C.A.F.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hundal, [1995] 3 C.F. 32 (1re inst.).

8 (1996), 123 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.).

9 (1997), 39 Imm. L.R. (2d) 97 (C.F. 1re inst.).

10 Ce raisonnement a été élaboré par le juge Rothstein, dans la décision Hundal, précitée.

11 Cette exception découle de l'arrêt rendu par la Cour d'appel dans l'affaire Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408, et elle a été appelée ainsi par le juge Rothstein dans la décision Hundal, précitée.

12 (1996), 36 Imm L.R. (2d) 275 (C.F. 1re inst.).

13 Cette distinction se fonde sur le fait qu'il n'y aurait pas eu d'indication fausse de la part de la requérante concernant son état matrimonial. (Voir le par. 14 de la p. 101 de la décision). Cependant, il ressort clairement des faits de l'affaire Tran que la requérante a donné une indication fausse quant à son état matrimonial au point d'entrée.

14 Par. 15 du mémoire des faits et du droit du requérant. Le requérant semble mal interpréter le sens de l'expression "nouvel acte" car le mariage du requérant est antérieur à sa demande de visa. L'arrêt rendu par la Cour d'appel dans l'affaire De Decaro (précitée) illustre ce qu'on entend par l'expression "nouvel acte".

15 Par. 16 du mémoire des faits et du droit du requérant.

16 Par. 17 du mémoire des faits et du droit du requérant.

17 Par. 10 du mémoire des faits et du droit de l'intimé.

18 Je tiens donc pour acquis aux fins de l'instance que le dossier de l'intimé a été traité régulièrement en vertu de l'art. 27(1) et que l'art. 27(2)g) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] ne s'appliquait pas à lui.

19 Selon la définition de l'expression "droit d'établissement" figurant à l'art. 2(1).

20 Il faut souligner que l'art. 69.4(2) confère à la section d'appel le pouvoir de trancher des questions de droit et de fait, ainsi que des questions de compétence. S'il avait été de l'intention du législateur que l'arbitre ait le dernier mot sur le statut de résident permanent, l'art. 69.4(2) aurait été libellé différemment.

21 L.R.C. (1985), ch. C-29.

22 Le juge McGillis traite du lien étroit entre ces lois dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Copeland, [1998] 2 C.F. 493 (1re inst.).

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