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A-392-96

Banque Toronto-Dominion (appelante)

c.

Commission canadienne des droits de la personne et Association canadienne des libertés civiles (intimées)

Répertorié: Canada (Commission des droits de la personne)c. Banque Toronto-Dominion (C.A.)

Cour d'appel, juge en chef Isaac, juges Robertson et McDonald, J.C.A."Toronto, 1er et 2 décembre 1997; Ottawa, 23 juillet 1998.

Droits de la personnePolitique sur l'abus de drogues ou de médicaments de la Banque exigeant, comme condition d'emploi, que les employés nouveaux ou réembauchés se soumettent à une analyse d'urine destinée à dépister la présence de droguesLe refus de le faire constitue un motif de congédiementLes employés qui ont une dépendance envers la drogue peuvent perdre leur emploi s'ils refusent de participer à un programme de réadaptation ou si les efforts de réadaptation ne portent pas fruitLes usagers de drogues qui n'ont pas de dépendance envers la drogue peuvent perdre leur emploi s'ils continuent à utiliser des drogues après avoir obtenu un résultat positif au moins trois fois La Banque prend en charge les frais de réadaptation En vertu de l'art. 10 de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, de fixer des lignes de conduite En vertu de l'art. 3, ladéficienceest un motif de distinction illicite  En vertu de l'art. 25, ladéficiencecomprend la dépendance envers la drogue  La politique constitue un acte discriminatoire au sens de l'art. 10 de la LCDP  i) La politique de dépistage de drogues constitue à première vue de la discrimination parce que les employés qui ont une dépendance envers la drogue risquent de perdre leur emploi  ii) Le juge d'appel Robertson a statué que la politique constitue de la discrimination directe parce qu'elle a un effet direct sur les individus qui ont une dépendance envers la drogue; le juge d'appel McDonald a statué que la politique constitue de la discrimination indirecte parce qu'elle a un effet préjudiciable sur les employés qui ont une dépendance envers la drogue, et que ceux-ci appartiennent à une catégorie protégée par la LCDP  La question du genre de discrimination en cause est importante à cause des différents moyens de défense possibles  iii) Le juge Robertson a statué que le moyen de défense fondé sur une EPJ ne peut pas être invoqué à l'égard de la politique  La preuve n'étayait pas la thèse selon laquelle il existait un problème de toxicomanie parmi les employés de la Banque; il n'y a pas de relation de cause à effet entre la consommation de drogues illégales et la criminalité; la politique n'est pas raisonnablement nécessaire pour assurer le rendement au travail; la Banque n'a pas démontré que, parmi les méthodes raisonnables d'évaluation du rendement, le dépistage obligatoire est la méthode la moins attentatoire  iv) Dans le cas de la discrimination indirecte, il s'agit de savoir s'il y a un lien rationnel entre la politique et le rendement au travail  Le juge McDonald a statué que la politique n'avait pas de lien rationnel avec son objectif  L'application d'une politique de dépistage qui ne touche qu'un petit nombre d'employés, alors que rien ne donne à entendre que la consommation de drogues influe sur le rendement des employés n'est pas une bonne politique économique ou commerciale  Pour qu'il y ait accommodement raisonnable, on peut uniquement faire subir un test à l'employé si, après traitement, son rendement continue à être non satisfaisant  Il doit exister des éléments de preuve objectifs du mauvais rendement  Étant donné que la politique n'a rien à voir avec la question du mauvais rendement, elle ne satisfait pas à l'obligation d'accommodement  Le juge en chef Isaac (dissident): Le juge des requêtes n'a pas du tout compris pour quels motifs du Tribunal avait conclu que la politique n'était pas discriminatoire  Il n'a pas été établi que le Tribunal ait commis une erreur de fait ou de droit  S'il n'est pas établi qu'une erreur a été commise, la cour de révision ne doit pas intervenir  Si la politique constitue de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, elle satisfait au critère relatif au lien rationnel, compte tenu des objectifs fondamentaux, en tant que politique reconnaissant l'effet des drogues sur le rendement au travail, en ce qui concerne la vigilance, la perception et les autres aptitudes de travail  Il y a eu accommodement raisonnable jusqu'au point où il y aurait contrainte excessive.

Interprétation des lois  La définition dedéficiencefigurant à l'art. 25 de la Loi canadienne sur les droits de la personne comprend la dépendance envers la drogue Question de savoir si la loi vise à protéger les personnes qui ont une dépendance envers des substances illégales  La majorité a statué que l'art. 25, en tant que disposition relative aux droits de la personne, ne doit pas être interprété strictement en y incorporant le motlégalede façon à modifier le motdrogue.

Compétence de la Cour fédéraleSection d'appelAppel d'une ordonnance du juge des requêtes infirmant la décision du Tribunal des droits de la personne selon laquelle la politique sur l'abus de drogues ou de médicaments de la Banque n'est pas discriminatoire; appel incident de la décision selon laquelle la politique ne constitue pas de la discrimination directeQuestion de savoir si la C.A.F. a compétence pour examiner la question de la discrimination directe, qui n'avait pas été soulevée à titre de motif de contrôle judiciaire devant le juge des requêtes  L'omission du juge des requêtes de traiter de la discrimination directe dans ses motifs ne faisait pas de cette question une nouvelle question soulevée pour la première fois en appel étant donné que le Tribunal avait traité de cette question Même s'il s'agit d'une nouvelle question de droit, il n'est pas nécessaire de présenter d'autres éléments de preuve Le Tribunal disposait de tous les éléments de preuve pertinentsUn argument fondé sur le dossier ne constitue pas un nouvel élément de preuveLa question de savoir si la discrimination directe pouvait être invoquée a été débattue devant le juge des requêtes, qui a décidé qu'elle pouvait être invoquéeLes plaidoiries n'étaient pas défectueuses au point de prendre la Banque par surpriseLe litige était au départ axé sur l'allégation de discrimination directeLa décision du juge des requêtes relative à la suffisance de la requête introductive d'instance est confirmée.

Il s'agissait d'un appel de la décision par laquelle le juge des requêtes avait statué que la politique de la Banque Toronto-Dominion relative à l'abus de drogues ou de médicaments créait une distinction illicite à l'égard des individus qui ont une dépendance envers la drogue. L'Association canadienne des libertés civiles (l'ACLC) a interjeté un appel incident contre la conclusion du juge des requêtes selon laquelle la politique ne constituait pas de la discrimination directe. Pour maintenir un milieu de travail sain, sécuritaire et productif, pour protéger les fonds des clients, de la Banque et des employés ainsi que les renseignements y afférents et pour maintenir sa réputation, la Banque a mis en œuvre une politique sur l'abus de drogues ou de médicaments exigeant, comme condition d'emploi, que les employés nouveaux ou réembauchés se soumettent, dans les 48 heures de l'acceptation d'une offre d'emploi, à une analyse d'urine destinée à dépister la présence de drogues. La politique ne prend effet qu'après l'embauchage. Le refus de se soumettre au test de dépistage constitue un motif de congédiement. Les employés dont le test donne un résultat positif et qui ont une dépendance envers la drogue peuvent perdre leur emploi s'ils refusent de se prévaloir des services de réadaptation mis à leur disposition ou si les efforts de réadaptation ne portent pas fruit. Les usagers de drogues qui n'ont pas de dépendance envers la drogue peuvent également perdre leur emploi s'ils continuent à utiliser des drogues après avoir obtenu un résultat positif au moins trois fois. Les frais de réadaptation sont pris en charge par la Banque dans la mesure où les services nécessaires ne sont pas offerts dans le cadre des régimes provinciaux d'assurance-maladie. Les employés qui participent à un programme de réadaptation ont encore droit à leur salaire et aux autres avantages sociaux.

L'ACLC a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) une plainte dans laquelle il était allégué que la Banque enfreignait l'art. 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en se livrant à un acte de discrimination directe, qui privait les personnes d'un emploi sur la base d'une déficience, soit la dépendance envers la drogue. En vertu de l'article 10, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait pour l'employeur de fixer des lignes de conduite. En vertu de l'article 3, la déficience est un motif de distinction illicite et en vertu de l'article 25, la déficience comprend la dépendance envers la drogue. Le Tribunal des droits de la personne a conclu que l'article 25 vise tant les drogues licites que les drogues illicites. Il a conclu que l'ACLC n'avait pas fourni une preuve prima facie de discrimination, puisque personne ne se voyait refuser un emploi pour dépendance envers la drogue en vertu de la politique de la Banque. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge des requêtes a conclu qu'il s'agissait d'un cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable ou d'un cas de discrimination indirecte et que le Tribunal avait commis une erreur en concluant que la politique n'était pas discriminatoire. L'affaire a été renvoyée au Tribunal uniquement pour examen de la question de savoir si la politique de la Banque avait un lien rationnel avec le rendement au travail.

Les points litigieux étaient les suivants, à savoir: 1) La Cour avait-elle compétence pour examiner la question de savoir si la politique constitue de la discrimination directe, puisque cette question n'avait pas été soulevée comme motif de contrôle judiciaire devant le juge des requêtes? 2) La "dépendance envers la drogue" dont il est fait mention à l'article 25 est-elle destinée à protéger les individus qui ont une dépendance envers des drogues "illégales"? 3) La politique de dépistage de drogues de la Banque constituait-elle un acte discriminatoire au sens de l'article 10? Cette question comprenait quatre questions accessoires, à savoir: i) La politique de dépistage de drogues de la Banque constituait-elle à première vue de la discrimination? ii) Dans l'affirmative, la politique équivalait-elle à de la discrimination directe ou à de la discrimination indirecte? iii) À supposer qu'il s'agisse de discrimination directe, le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la Banque ne pouvait pas invoquer une exigence professionnelle justifiée (EPJ) comme moyen de défense? (iv) À supposer qu'il s'agisse de discrimination indirecte, le Tribunal a-t-il statué que le critère relatif au lien rationnel n'avait pas été satisfait?

Arrêt (le juge en chef Isaac, dissident): l'appel doit être rejeté; l'appel incident doit être accueilli.

Le juge Robertson, J.C.A.: 1) En ce qui concerne la question de la compétence, la question de savoir si l'ACLC avait le droit d'invoquer la discrimination directe a été pleinement débattue devant le juge des requêtes, qui a rendu une décision en faveur de l'ACLC. Étant donné que les plaidoiries n'étaient pas défectueuses à un point tel que la Banque soit prise par surprise et puisque le litige était au départ axé sur l'allégation de discrimination directe, la décision que le juge des requêtes a rendue au sujet de la suffisance de l'avis de requête introductive d'instance a été confirmée.

2) Il serait contraire à l'approche que la Cour suprême a adoptée en matière de droits de la personne d'interpréter l'article 25 strictement en y incorporant le mot "légale" de façon à modifier l'expression "dépendance envers la drogue". La dépendance envers les substances illégales est au moins aussi commune que la dépendance envers les drogues légales. Il ne serait pas pratique de protéger les individus qui ont une dépendance envers de soi-disant drogues "légales" puisque certaines drogues pourraient être obtenues ou utilisées d'une façon "illégale".

3) La politique de la Banque constituait un acte discriminatoire illicite.

i) Le Tribunal a commis une erreur en concluant que la politique ne constituait pas à première vue de la discrimination. Cette conclusion était fondée sur la conviction erronée que le fait que l'accommodement raisonnable est plaidé avec succès peut rendre non discriminatoire ce qui constitue à première vue de la discrimination. Le fait qu'il est conclu à l'existence d'un accommodement raisonnable n'empêche pas de tirer une conclusion de droit selon laquelle une politique d'emploi a un effet discriminatoire sur certains employés. La doctrine de l'accommodement constitue un moyen de défense lorsqu'il existe une preuve prima facie de discrimination; elle n'a pas pour effet d'éliminer pareille discrimination. Le Tribunal ne s'est pas rendu compte que si une règle d'emploi n'est pas "raisonnablement nécessaire", ou s'il n'existe aucun "lien rationnel" entre la règle et le rendement au travail, il importe peu que l'employeur veuille composer avec ses employés.

L'argument selon lequel, étant donné que tous les consommateurs de drogues (les consommateurs occasionnels ainsi que les individus qui ont une dépendance envers la drogue) sont traités de la même façon, il ne peut pas y avoir de discrimination n'était pas pertinent. Il s'agissait de savoir si la politique de la Banque était susceptible d'annihiler les chances d'emploi des individus qui ont une dépendance envers la drogue. La politique de dépistage de drogues de la Banque constituait à première vue un acte discriminatoire puisqu'il était possible que les employés qui avaient une dépendance envers la drogue perdent leur emploi. Une politique d'emploi qui vise à assurer un milieu de travail dans lequel on ne consomme pas de drogues illégales doit nécessairement avoir un effet préjudiciable sur les individus qui ont une dépendance envers la drogue.

ii) La politique de la Banque constitue de la discrimination directe.

La politique ne constituait pas de la discrimination indirecte parce qu'elle n'était pas neutre. Une politique qui vise à éliminer la consommation de drogues illégales dans le milieu de travail aura un effet immédiat ou direct sur les individus qui ont une dépendance envers la drogue. Une règle d'emploi qui vise à éliminer les employés qui appartiennent à une catégorie protégée par la législation sur les droits de la personne n'est pas neutre. Une politique d'emploi qui vise à assurer un milieu de travail exempt de drogues ne devrait pas être considérée comme neutre lorsqu'elle est conçue de façon à s'appliquer à tous les individus qui utilisent des drogues illégales et, nécessairement, à ceux qui ont une dépendance envers la drogue.

Pour être considérée comme de la discrimination directe, la politique doit être "à première vue discriminatoire". La politique ne vise pas à traiter différemment un groupe précis, mais le fait que les "individus qui ont une dépendance envers la drogue" ne sont pas expressément mentionnés dans la politique de la Banque n'est pas fatal aux fins d'une conclusion de discrimination directe. Une politique d'emploi contestée n'a pas à être manifestement restrictive pour qu'il soit possible de la considérer comme de la discrimination directe. Il peut également y avoir discrimination directe lorsque l'exclusion d'un groupe protégé est évidente sur simple lecture de la politique contestée. Il existe entre la politique de la Banque et la catégorie des individus qui ont une dépendance envers la drogue un lien suffisant pour permettre de conclure à la discrimination directe.

iii) Dans les cas de discrimination directe, l'employeur doit satisfaire aux exigences du moyen de défense fondé sur une EPJ, à défaut de quoi la règle d'emploi contestée doit être rejetée. Pour que l'employeur fasse valoir avec succès un moyen de défense fondé sur une EPJ, il doit établir selon la prépondérance des probabilités: 1) qu'il était de bonne foi en imposant la politique, et ce, à des fins liées au rendement professionnel; 2) que la politique est raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail en question. Selon l'élément relatif à la nécessité raisonnable, l'exigence professionnelle doit avoir un lien rationnel avec l'emploi en question et la politique doit être conçue de façon que l'exigence puisse être satisfaite sans imposer un fardeau excessif aux personnes concernées. Cette dernière exigence impose à l'employeur l'obligation de démontrer qu'il n'existe aucune autre solution plus raisonnable ou de caractère moins attentatoire. Le Tribunal a conclu avec raison que le moyen de défense fondé sur une EPJ ne pouvait pas être invoqué, et ce, pour les raisons suivantes. La preuve n'étayait pas la thèse selon laquelle il existait un problème de toxicomanie parmi les employés de la Banque; l'existence d'une relation de cause à effet entre la consommation de drogues illégales et la criminalité n'a pas été établie. La politique n'était pas raisonnablement nécessaire pour assurer le rendement au travail. Elle pourrait uniquement être considérée comme raisonnable si la Banque réussissait à démontrer l'existence d'une menace sérieuse pour les autres employés de la Banque et le public, ce qu'elle n'a pas réussi à démontrer. La Banque a en outre omis de démontrer que, parmi les méthodes raisonnables d'évaluation du rendement, le dépistage obligatoire était la méthode la moins attentatoire. L'observation, soit la méthode d'évaluation habituelle, permet d'atteindre les mêmes objectifs sans poser de problèmes sur le plan de la vie privée.

iv) La politique de la Banque doit être rejetée même si elle constitue de la discrimination indirecte. Dans les cas de "discrimination indirecte", le critère relatif au "lien rationnel" s'applique. Le fait qu'il existe une différence entre le critère relatif au caractère raisonnablement nécessaire et le critère relatif au lien rationnel doit être reconnu en tant que doctrine judiciaire. La Cour suprême devrait se prononcer sur la question de savoir si la distinction est rationnellement justifiée. Le "critère relatif au lien rationnel" n'oblige pas l'employeur à établir qu'il existe d'autres solutions raisonnables moins contraignantes. Le Tribunal a conclu qu'il n'y avait pas de lien rationnel entre la politique de la Banque et le rendement au travail dans le contexte du moyen de défense fondé sur une EPJ. Cette conclusion s'applique également dans le contexte de l'accommodement. Au mieux, la politique de la Banque montre si un employé a utilisé certaines drogues illégales au cours d'une période donnée. Pareil renseignement ne révèle rien au sujet de la capacité de l'employé d'accomplir le travail en question.

Le juge McDonald, J.C.A.: i) La politique de dépistage de drogues de la Banque constitue à première vue de la discrimination à l'endroit des employés qui ont une dépendance envers la drogue.

ii), iii) La politique de dépistage de drogues de la Banque constitue de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable parce que, même si la règle prévoyant le congédiement des individus dont le test donne un résultat positif à trois reprises ou qui refusent de se soumettre à une analyse d'urine s'applique également à tous les employés nouveaux ou réembauchés, elle a un effet préjudiciable sur les employés qui ont une dépendance envers la drogue. La politique est donc directement visée par la définition de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable: il s'agit d'une règle d'emploi qui s'applique également à tous ceux qu'elle vise, mais elle est discriminatoire parce qu'elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer. Le congédiement peut résulter de la consommation "chronique" d'une substance illégale, mais la règle cause néanmoins un préjudice plus grave à une catégorie d'individus protégée par la Loi canadienne sur les droits de la personne, à savoir les individus qui ont une dépendance envers la drogue.

La politique ne constitue pas de la discrimination directe parce qu'elle vise tant les consommateurs occasionnels que ceux qui ont une dépendance envers la drogue. Ce n'est que parce qu'elle vise à identifier tous les consommateurs de drogues que les employés qui ont une dépendance envers la drogue sont identifiés. La règle a un effet préjudiciable sur les employés qui ont une dépendance envers la drogue, mais elle ne constitue pas de la discrimination directe uniquement à l'égard de ces employés. Les employés qui ont une dépendance envers la drogue sont les seuls individus que la Loi protège contre cette politique. En outre, il ne faudrait pas présumer qu'une politique de dépistage de drogues ne peut jamais être neutre. Une politique qui vise à assurer un milieu de travail exempt de drogues et d'alcool peut être neutre si elle se rapporte au rendement professionnel et si elle vise à permettre la réadaptation des employés dont le rendement laisse à désirer à cause de leur dépendance envers la drogue. De fait, le dépistage des drogues dans les industries où la sécurité est essentielle est autorisé et effectué. Il faudrait donc s'assurer que la politique soit conçue de façon à satisfaire aux exigences de la LCDP plutôt que l'interdire carrément. Il est sensé, sur le plan économique et commercial, de prendre des mesures destinées à aider les employés dont le rendement laisse à désirer à cause de leur dépendance envers la drogue. Enfin, l'approche que le juge Robertson a adoptée à l'égard de la question de la discrimination a essentiellement pour effet d'éliminer la nécessité d'établir une catégorie à l'égard de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Cela n'est peut-être pas un résultat souhaitable, en particulier dans le contexte des politiques concernant l'abus d'alcool et de drogues. Le moyen de défense fondé sur une EPJ qui s'applique une fois qu'il a été conclu à la discrimination directe n'oblige pas l'employeur à assurer un accommodement raisonnable. Il est préférable d'examiner les questions telles que le dépistage des drogues dans le contexte de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable étant donné que l'employeur sera tenu de composer avec l'employé atteint d'une déficience, puisque c'est la meilleure façon de s'assurer que les politiques de dépistage de drogues soient conçues de façon à satisfaire aux besoins des individus qui ont une dépendance envers la drogue ainsi qu'aux besoins de l'entreprise.

iv) Pour déterminer s'il y a eu accommodement, il faut que la règle ait un lien rationnel avec l'emploi. La politique de la Banque n'avait pas de lien rationnel avec son objectif. Elle n'était pas globale. Il s'agissait de savoir si la politique avait été mise en œuvre pour de bonnes raisons économiques et commerciales. L'application d'une politique de dépistage qui ne touche qu'un petit nombre d'employés, alors que rien ne donne à entendre que la consommation de drogue influe sur le rendement des employés, n'est pas une bonne politique économique ou commerciale. Le juge des requêtes et le Tribunal auraient dû tenir compte de la question du rendement professionnel dans leurs analyses. Pour qu'il y ait accommodement raisonnable, on peut uniquement faire subir un test à l'employé si, après traitement, son rendement professionnel continue à être non satisfaisant. Ce n'est qu'à cette condition que la Banque peut à juste titre faire subir un nouveau test à l'employé et le congédier si son mauvais rendement est attribuable à la consommation de drogues. Dans un cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable, pour composer avec les employés dont le test de dépistage donne un résultat positif, il doit exister des éléments de preuve objectifs de leur mauvais rendement. Étant donné que la politique de la Banque n'a rien à voir avec la question du mauvais rendement (puisque les employés n'ont jamais la possibilité de travailler avant d'avoir à subir un test de dépistage, et que l'employé qui a suivi un traitement doit se soumettre à un autre test indépendamment de son rendement au travail), l'obligation d'accommodement n'est pas satisfaite. La politique de dépistage de drogues de la Banque constitue un acte discriminatoire illicite au sens de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le juge en chef Isaac (dissident): L'appel doit être accueilli. 1) Cette Cour avait non seulement compétence, mais aussi l'obligation d'examiner la question de savoir si la politique constitue de la discrimination directe. Le juge des requêtes n'a pas examiné la question de la discrimination directe dans ses motifs, mais il ressortait clairement de la façon dont les questions ont été formulées qu'il fallait traiter de la discrimination directe. L'omission de le faire ne faisait pas de la discrimination directe une nouvelle question soulevée pour la première fois en appel, d'autant plus que le Tribunal avait traité de cette question, quoique dans le cadre d'une remarque incidente. En outre, le principe fondamental est que l'appelant ne peut pas soulever un point qui n'a pas été plaidé ou débattu en première instance, à moins que tous les éléments de preuve pertinents ne figurent dans le dossier. Toutefois, une nouvelle question de droit peut être examinée dans la mesure où il n'est pas nécessaire de présenter d'autres éléments de preuve. La question de savoir si la politique constitue de la discrimination directe est une question de droit. Le Tribunal disposait de tous les éléments de preuve pertinents pour qu'il soit possible de régler la question. La question a été débattue devant le Tribunal et l'appelante avait à ce moment-là eu la possibilité de présenter tout élément de preuve nécessaire. Enfin, l'argument était fondé sur le dossier plutôt que sur de nouveaux éléments de preuve.

2) L'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne de façon à reconnaître le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement. L'article 2 renferme donc une restriction à l'égard des droits protégés par la Loi. Tous les membres de la société ont l'obligation de se conformer à la législation canadienne, y compris aux interdictions établies expressément ou non par la Loi sur les stupéfiants. L'article 25 doit être interprété de façon à s'appliquer uniquement aux individus dépendants envers la drogue qui veulent se réadapter et cesser d'utiliser illégalement des stupéfiants.

3) L'ordonnance faisant l'objet de l'appel était erronée en droit. Le juge des requêtes n'a pas du tout compris pour quels motifs le Tribunal avait conclu que la politique n'équivalait pas à de la discrimination. Le Tribunal a tiré plusieurs conclusions au sujet de la politique, et a conclu qu'elle ne constituait pas de la discrimination pour un motif de distinction illicite. Compte tenu de ces conclusions, le juge des requêtes a commis une erreur en disant que le Tribunal avait décidé qu'il n'y avait pas de discrimination parce que le congédiement en vertu de la politique visait tant les employés dépendants envers la drogue que les usagers occasionnels chroniques. Cette erreur avait pour effet de porter atteinte à la capacité du juge d'examiner et d'évaluer le bien-fondé, sur le plan juridique, des motifs que le Tribunal avait donnés à l'appui de sa décision. Le juge des requêtes a également commis une erreur en attribuant au Tribunal une conclusion de fait que celle-ci n'avait pas tirée, à savoir qu'en vertu de la politique, les employés dépendants envers la drogue étaient congédiés à cause de leur dépendance. Le Tribunal avait conclu que le congédiement résultait de la violation d'une condition d'emploi et qu'il n'était donc pas discriminatoire. Rien ne justifiait au vu du dossier cette assertion. Cette erreur a servi de fondement à l'analyse subséquente et à la conclusion voulant qu'il s'agisse d'une affaire de discrimination par suite d'un effet préjudiciable et que le Tribunal ait commis une erreur en concluant que la politique ne constituait pas de la discrimination. En tirant cette conclusion, le juge des requêtes n'a pas démontré que le Tribunal avait commis une erreur de fait ou de droit influant sur sa décision. La norme de contrôle qui s'applique à la décision du Tribunal est celle de la justesse. S'il n'est pas établi que le Tribunal a commis une erreur de droit ou de fait, la cour de révision ne devrait pas intervenir.

i) Toute politique qui est susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'un individu du fait qu'il a une dépendance envers la drogue est probablement à première vue un acte discriminatoire. La politique prévoit que les employés qui ne se conforment pas à la politique et qui obtiennent constamment un résultat positif risquent d'être congédiés. Le fait que l'appelante compose avec l'employé au moyen de programmes de réadaptation et de counselling ne veut pas dire que l'employé ne risque pas d'être congédié, si les tests qu'il subit donnent toujours un résultat positif. Parmi les employés qui risquent d'être congédiés, il y a ceux qui continuent à utiliser des drogues, même s'il ne s'agit que de consommateurs occasionnels, et ceux qui ont une dépendance envers la drogue. Par conséquent, il serait possible de dire que la politique est susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'individus qui ont une dépendance envers la drogue et qu'elle constitue donc à première vue de la discrimination au sens de l'article 10.

ii) Il y a discrimination directe dans le contexte de l'emploi lorsque l'employeur adopte une ligne de conduite qui, "à première vue", crée une distinction illicite. À première vue, la politique de la Banque n'empêchait pas qui que ce soit d'obtenir ou de continuer à exercer un emploi auprès de l'appelante; si le test donnait un résultat positif et si l'employé continuait à participer aux programmes de réadaptation, il n'était pas mis fin à son emploi pour cette seule raison. L'individu qui refusait de se soumettre au test de dépistage initial, ou qui refusait de se conformer aux autres exigences de la politique, violait une condition d'emploi et était réputé avoir rejeté l'offre d'emploi, de sorte qu'il risquait d'être congédié. La politique visait à traiter les employés qui avaient un problème de toxicomanie d'une manière juste et avec respect. Elle visait clairement à assurer la réadaptation et non à punir l'employé. Étant donné que la Loi ne protège pas le droit d'utiliser des drogues illégales, mais assure uniquement une protection contre des actes discriminatoires précis pour des motifs énumérés comme la dépendance envers la drogue, la politique ne crée pas de distinction illicite. La politique ne permet pas d'inférer que l'appelante présumait que les employés dont le test donnait un résultat positif étaient atteints d'une déficience. La politique s'applique de façon à interdire l'utilisation continue de drogues illégales indépendamment du motif de cette utilisation. Étant donné que les employés qui continuent à utiliser des drogues illégales risquent d'être congédiés, et ce, indépendamment de la question de savoir s'ils ont une dépendance envers la drogue, la politique ne peut pas être interprétée comme constituant de la discrimination directe à l'égard des employés qui ont une dépendance envers la drogue.

Il y a discrimination par suite d'un effet préjudiciable lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique à tous les employés, mais qui crée une distinction illicite à l'égard d'un seul employé ou d'un groupe d'employés, en ce sens qu'elle leur impose des obligations ou des conditions restrictives qui ne sont pas imposées aux autres employés. La politique est une règle d'emploi qui a honnêtement été adoptée pour des raisons économiques et commerciales. Elle s'applique également à tous les employés. L'employé dont le test donne un résultat positif à trois reprises risque d'être congédié. Parmi les employés qui s'exposent à une cessation d'emploi, il y a les employés qui utilisent de la drogue occasionnellement quoique d'une façon chronique, ainsi que ceux qui ont une dépendance envers la drogue. L'application de la politique donne donc lieu au congédiement d'une catégorie d'employés qui est visée par l'article 25 de la Loi. La politique constitue de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable.

iv) Selon le critère relatif à l'accommodement raisonnable, la politique doit avoir un lien rationnel avec le rendement au travail, et l'employeur doit composer avec l'employé sans pour autant subir de contrainte excessive. La politique vise fondamentalement à assurer un milieu de travail sain, sécuritaire et productif pour tous les employés et à protéger les fonds des clients, des employés et de l'appelante ainsi que les renseignements y afférents, et à maintenir la réputation de l'appelante. La politique reconnaît également l'effet des drogues sur le rendement au travail en ce qui concerne la vigilance, la perception et les autres aptitudes de travail. Étant donné que le critère relatif au lien rationnel, dans le contexte de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, n'est pas aussi strict que le critère relatif à la "nécessité raisonnable" s'appliquant au moyen de défense fondé sur une EPJ, la politique a été élaborée et adoptée pour de bonnes raisons économiques et satisfait à l'élément "lien rationnel" du moyen de défense fondé sur l'accommodement raisonnable.

L'accommodement fait partie intégrante de la politique. L'application de la politique est conforme au but de réadaptation énoncé: aucun employé dont le test initial donne un résultat positif ne sera congédié à cause de ce résultat. Le résultat positif initial demeure confidentiel et n'est pas communiqué. Des programmes de counselling et de réadaptation sont offerts aux employés qui obtiennent un résultat positif lorsque des tests subséquents sont effectués avant qu'on envisage de modifier leur statut. L'employé ne risque d'être congédié que s'il refuse de subir un test de dépistage ou de participer à un programme de réadaptation ou si les efforts de réadaptation échouent et si l'employé continue à consommer des drogues illégales. En outre, même en pareil cas, la situation particulière de l'employé concerné est examinée avant qu'une décision définitive soit prise au sujet de la cessation d'emploi, afin d'assurer que l'employé ait pleinement eu la possibilité de se réadapter et de se conformer à la politique. La politique prévoit expressément un accommodement raisonnable pour les employés touchés et il serait déraisonnable d'obliger l'appelante à en faire plus. La politique prévoit des mesures d'accommodement pour les employés touchés jusqu'au point où il y aurait contrainte excessive.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.

Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 2, 3(1), 10, 25 "déficience", 40(1),(5)b ).

Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N-1, art. 2 "stupéfiant", 3(1), ann.

jurisprudence

décisions appliquées:

Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; (1990), 111 A.R. 241; 72 D.L.R. (4th) 417; [1990] 6 W.W.R. 193; 76 Alta. L.R. (2d) 97; 12 C.H.R.R. D/417; 90 CLLC 17,025; 113 N.R. 161; Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.S.C. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; (1982), 132 D.L.R. (3d) 14; 82 CLLC 17,005; 40 N.R. 159.

décisions examinées:

Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 24 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Entrop v. Imperial Oil Limited (1996), 27 C.H.R.R. D/210 (Comm. d'enquête de l'Ont.); conf. par Imperial Oil Ltd. v. Ontario (Human Rights Commission) (re Entrop), [1998] O.J. no 422 (Div. gén.) (QL); Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525; (1994), 115 D.L.R. (4th) 609; 21 Admin. L.R. (2d) 169; 4 C.C.E.L. (2d) 165; 94 CLLC 17,023; 169 N.R. 281; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; [1992] 6 W.W.R. 193; (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 145; 13 B.C.A.C. 245; 16 C.H.R.R. D/425; 141 N.R. 185; 24 W.A.C. 245; Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53 D.L.R. (4th) 609; 10 C.H.R.R. D/5515; 88 CLLC 17,031; Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; (1985), 23 D.L.R. (4th) 481; 17 Admin. L.R. 111; 9 C.C.E.L. 135; 86 CLLC 17,003; 63 N.R. 185; Thwaites c. Canada (Forces Armées Canadiennes), [1993] D.C.D.P. no 9 (QL); Canada (Procureur général) c. Robinson, [1994] 3 C.F. 228; (1994), 21 C.H.R.R. D/113; 94 CLLC 17,029; 170 N.R. 283 (C.A.); Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241; (1996), 31 O.R. (3d) 574; 207 N.R. 171; 97 O.A.C. 161; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 14 O.A.C. 335; Niles c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada (1992), 94 D.L.R. (4th) 33; 18 C.H.R.R. D/152; 92 CLLC 17,031; 142 N.R. 188 (C.A.F.).

décisions citées:

Lamb v. Kincaid (1907), 38 S.C.R. 516; 27 C.L.T. 489; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1; Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571; (1996), 133 D.L.R. (4th) 449; 18 B.C.L.R. (3d) 1; 37 Admin. L.R. (2d) 1; 72 B.C.A.C. 1; 25 C.H.R.R. D/87; 194 N.R. 81; 119 W.A.C. 1; Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825; (1996), 133 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (2d) 131; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; (1995), 124 D.L.R. (4th) 609; C.E.B. & P.G.R. 8216; 95 CLLC 210-025; 29 C.R.R. (2d) 79; 182 N.R. 161; 12 R.F.L. (4th) 201; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303; Large c. Stratford (Ville), [1995] 3 R.C.S. 733; (1995), 128 D.L.R. (4th) 193; 14 C.C.E.L. (2d) 177; 95 CLLC 230-033; 24 C.H.R.R. D/1; 188 N.R. 124; 86 O.A.C. 81.

doctrine

Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des questions juridiques. Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 115 (21 décembre 1982).

Day, Shelagh et Gwen Brodsky. "The Duty to Accommodate: Who will Benefit" (1996), 75 R. du B. can. 433.

Etherington, Brian. "Central Alberta Dairy Pool: The Supreme Court of Canada's Latest Word on the Duty to Accommodate" (1993), 1 Can. Lab. L.J. 311.

Molloy, Anne M. "Disability and the Duty to Accommodate" (1993), 1 Can. Lab. L.J. 23.

Sopinka, John et Mark A. Gelowitz. The Conduct of an Appeal. Toronto: Butterworths, 1993.

APPEL d'une ordonnance du juge des requêtes (Assoc. canadienne des libertés civiles c. Banque Toronto-Dominion (1996), 22 C.C.E.L. (2d) 229; 25 C.H.R.R. D/373; 96 CLLC 230-021; 112 F.T.R. 127 (C.F. 1re inst.)) infirmant la décision du Tribunal des droits de la personne (Assoc. canadienne des libertés civiles c. Banque Toronto-Dominion (1994), 6 C.C.E.L. (2d) 196; 22 C.H.R.R. D/301; 94 CLLC 17,026 (T.D.P.)) selon laquelle la politique sur l'abus des drogues et de médicaments de la Banque Toronto-Dominion ne faisait pas de distinction illicite à l'égard des individus ayant une dépendance envers la drogue; appel incident de la décision du juge des requêtes portant que la politique ne constituait pas de la discrimination directe. Appel rejeté; appel incident accueilli.

ont comparu:

Robert P. Armstrong, c.r. et Steve J. Tenai pour l'appelante.

René Duval et Eddie Taylor pour la Commission canadienne des droits de la personne, intimée.

Martin J. Doane et Laura Young pour l'Association canadienne des libertés civiles, intimée.

avocats inscrits au dossier:

Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto, pour l'appelante.

René Duval, Ottawa, pour la Commission canadienne des droits de la personne, intimée.

Gowling, Strathy & Henderson, Toronto, pour l'Association canadienne des libertés civiles, intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge en chef Isaac (dissident): La Banque Toronto-Dominion (l'appelante) interjette appel contre une ordonnance rendue par la Section de première instance le 22 avril 1996 [(1996), 22 C.C.E.L. (2d) 229] à la suite d'une demande que la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) avait présentée en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision d'une formation du Tribunal des droits de la personne du Canada [(1994), 6 C.C.E.L. (2d) 196] (la formation), portant que la politique sur l'alcoolisme et l'abus de drogues ou de médicaments (la politique) de l'appelante ne crée pas de distinction illicite à l'égard des individus qui ont une dépendance envers la drogue.

L'ordonnance rendue en appel infirmait la décision de la formation et renvoyait l'affaire au Tribunal pour qu'une autre audience soit tenue "seulement sur la question de savoir si la politique . . . contre l'alcoolisme et l'usage de drogues illégales . . . présente un lien rationnel avec le rendement professionnel". L'ordonnance renfermait également des directives à l'intention de la formation: si la formation concluait qu'il n'y avait pas de lien rationnel entre la politique et le rendement professionnel, elle devait rejeter la plainte portée contre l'appelante par l'Association canadienne des libertés civiles (l'ACLC); toutefois, si la formation arrivait à une conclusion contraire, elle devait "décider . . . que la politique crée une discrimination par suite d'un effet préjudiciable qui n'a pas fait l'objet d'un accommodement, et dès lors, viole l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne"1.

De son côté, l'ACLC interjette un appel incident contre l'ordonnance au sujet de la question de savoir si la politique de l'appelante constitue de la discrimination directe.

La principale question soulevée dans l'appel et dans l'appel incident est celle de savoir si la politique crée une distinction illicite à l'égard des individus qui ont une dépendance envers la drogue.

Les faits

L'appelante a plus de 900 succursales et compte environ 30 200 employés. Vers 1987, des représentants du gouvernement fédéral ont fait part à l'appelante et à d'autres institutions financières des inquiétudes que suscitait le recyclage possible de l'argent constituant un produit de la criminalité. Ils ont demandé aux institutions financières de revoir et de resserrer leurs politiques et leurs contrôles afin de se protéger contre pareilles activités.

En réponse à cette demande et parce qu'elle s'inquiétait de ce que le problème général qui existait dans la société à l'égard de l'abus de drogues illicites puisse également exister au sein de l'organisme, l'appelante a décidé d'élaborer une politique sur l'alcoolisme et l'abus de drogues ou de médicaments. Avec l'aide de conseillers indépendants, l'appelante a élaboré une politique qui prévoit le dépistage des drogues. Cette politique se lit en partie comme suit2:

[traduction] Conformément à l'engagement de la Banque à assurer un milieu de travail sain et sécuritaire pour tous les employés, à protéger les fonds des clients, de la Banque et des employés ainsi que toute information s'y rapportant, et à préserver sa réputation, les mesures suivantes ont été adoptées afin de créer un milieu de travail exempt d'alcool et de drogues illégales.

Chaque dirigeant manifeste son appui à l'engagement de la Banque d'assurer un milieu de travail exempt de drogues en suivant un test de dépistage de drogue au cours de l'examen médical annuel des membres de la direction.

Obligation pour les nouveaux employés, à temps plein ou à temps partiel, les contractuels et les étudiants acceptant un emploi à la Banque de subir un test de dépistage de drogue. Cette mesure englobe les anciens (anciennes) employé(e)s TD réembauché(e)s après une absence d'au moins trois mois.

Les employés actuels devront subir un bilan de santé qui peut comprendre ou non un test de dépistage de drogue si on a de bonnes raisons de croire que le faible rendement au travail, le comportement inhabituel, les erreurs de jugement ou les manquements aux Règles de conduite sont attribuables à l'abus d'alcool ou à l'usage de drogues illégales. [Je souligne.]

Il est donc clair que la politique s'applique à tous les employés de l'appelante, même si elle n'est obligatoire qu'à l'égard de certains d'entre eux. Cette politique de l'appelante est notamment fondée sur les préoccupations suivantes: le maintien d'un lieu de travail sain, sécuritaire et productif pour les employés, la protection des fonds des clients, de la Banque et des employés ainsi que des renseignements financiers y afférents et le maintien de la réputation de la Banque. Tout au long de ses plaidoiries, l'appelante a maintenu que le secteur bancaire est fondé sur l'honnêteté, l'intégrité et la confiance. Partant, le lien qui existe entre la consommation de drogue et le crime organisé ainsi que le vol présente un risque inacceptable pour l'appelante, compte tenu du fait en particulier que les employés ont accès à de grosses sommes d'argent et à des renseignements financiers protégés.

À compter de la date d'entrée en vigueur de la politique, la demande d'emploi informait tous les candidats à un emploi que l'une des conditions d'emploi était que "tous les nouveaux employés signent une formule d'autorisation de test de dépistage de drogue selon laquelle ils acceptent de se soumettre à un examen conformément aux standards de la Banque"3. La formule d'autorisation fait partie de la demande d'emploi et comporte notamment le paragraphe qui suit4:

[traduction] Je comprends que l'acceptation des termes et des conditions d'emploi comporte l'acceptation de se soumettre à un test de dépistage de substances illégales et de se conformer aux conditions de la Banque si les résultats du test sont positifs. L'une de ces conditions est que le professionnel de la santé désigné par la Banque est autorisé à divulguer tout renseignement pertinent au service des ressources dans certains cas.

La formation a conclu que la politique ne s'applique pas avant que le candidat soit embauché, mais une fois seulement qu'il l'a été. Voici ce qui a été conclu5:

. . . l'obligation de se conformer à la politique de la Banque est une condition d'emploi. La LCDP ne renferme aucune disposition interdisant une telle exigence. L'avis qui accompagne cette condition comporte d'autres exigences:

" remise d'au moins trois références écrites satisfaisantes;

" réussite d'un stage probatoire à la satisfaction de l'employeur;

" confirmation que le postulant est médicalement apte à occuper le poste et examen médical à cette fin, si nécessaire;

" participation au programme d'invalidité de longue durée de la Banque; [et]

" autorisation d'obtenir par d'autres sources des renseignements sur la solvabilité du postulant ainsi que des renseignements personnels.

. . .

Le Tribunal considère que, lorsqu'il est mis fin à un emploi à la suite du refus d'un employé de se conformer à la politique de la Banque, qu'il s'agisse du refus de fournir un échantillon d'urine ou d'un refus manifesté à un stade ultérieur du processus de dépistage, le congédiement découle d'une violation d'une condition d'emploi et il n'est pas nécessaire d'examiner s'il existe une "présomption de dépendance envers la drogue".

L'appelante a retenu les services de deux compagnies privées qui exploitent les deux seuls laboratoires autorisés au Canada à effectuer des analyses pour déceler l'abus de produits intoxicants. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la formation a conclu que le protocole de prélèvement d'échantillons et de livraison au laboratoire prévoyait les mesures nécessaires pour identifier l'individu en cause et pour protéger l'anonymat de l'échantillon jusqu'à ce que les résultats soient transmis au Centre de santé de l'appelante, à Toronto, afin d'empêcher la falsification de l'échantillon et d'assurer la continuité de possession de l'échantillon tout au long du processus. La formation a également conclu que le protocole d'analyse à deux étapes suivi par les laboratoires fournissait des résultats tout à fait fiables.

Les laboratoires analysent les échantillons afin d'y déceler la présence de cannabis (marijuana et hachisch), de cocaïne et d'opiacés (codéine, morphine et héroïne). Ils pourraient effectuer des tests pour dépister une gamme plus vaste de drogues illicites, mais la preuve indique que le nombre de personnes qui consomment ces autres drogues est si faible dans la population en général qu'il ne vaut pas la peine d'effectuer des tests additionnels.

Le processus de dépistage de drogues comprend jusqu'à trois tests consécutifs qui sont ci-dessous décrits. L'employé nouveau ou réembauché est tenu de se présenter dans les 48 heures qui suivent la réception de l'offre d'emploi et de fournir un échantillon d'urine aux fins du test de dépistage de drogues.

Si le résultat du premier test est négatif, l'employé est avisé et cela met fin au processus. Toutefois, si le résultat est positif, l'employé est informé du résultat par téléphone et il est avisé qu'il devra fournir un autre échantillon pour un deuxième test. Le directeur des services de santé du Centre de santé fait ensuite parvenir à l'employé une lettre dans laquelle il indique la date à laquelle ce dernier doit fournir un deuxième échantillon. À ce stade, personne en dehors du Centre de santé, à part l'employé, n'est au courant du résultat.

En ce qui concerne la cocaïne et l'héroïne, l'employé est avisé d'un résultat positif et doit se présenter pour évaluation dans un gros centre de réadaptation aux frais de l'appelante pour qu'on puisse déterminer s'il doit suivre un traitement.

Si le premier test révèle la présence de codéine ou de morphine et si l'employé a fourni une raison médicale vraisemblable justifiant sa consommation de médicaments prescrits susceptibles de produire ce résultat, l'affaire est examinée avec le directeur des services de santé et on accorde le bénéfice du doute à l'employé.

Dans les autres cas, deux autres tests sont effectués. Si les résultats sont négatifs, cela met fin au processus et ni le service des Ressources humaines ni le superviseur de l'employé ne sont informés qu'un problème a été décelé. Ces renseignements sont conservés au Centre de santé de l'appelante en toute confidentialité.

Si le résultat du deuxième test est positif, l'employé en est avisé par téléphone dans les 24 heures qui suivent le moment où le Centre de santé reçoit le résultat et il est informé que le dossier sera transmis à une infirmière chargée de la réadaptation. L'employé reçoit ensuite une lettre de rappel indiquant qu'il doit se soumettre à une évaluation et au besoin à un programme de traitement. L'employé doit ensuite se présenter dans un délai de 48 heures au centre de traitement désigné pour y subir une évaluation.

Si, à la suite de l'évaluation, on recommande que des mesures plus précises de réadaptation soient prises, l'employé est renvoyé à son médecin pour discuter du programme de traitement recommandé par le centre d'évaluation. Il peut s'agir d'un programme en établissement ou pour patients externes. L'employé qui ne veut pas participer au programme de réadaptation risque d'être congédié pour avoir omis de se conformer à une condition d'emploi. Cependant, il n'est pas mis fin à l'emploi de l'employé qui accepte de participer à pareil programme.

Si, après des séances de counselling et un programme de réadaptation approprié, le résultat du test visant à déceler la présence de cannabis, de cocaïne ou d'opiacés continue d'être positif, le service des Ressources humaines de l'appelante en est notifié, et l'employé risque d'être congédié. Cependant, l'employé ne sera pas congédié s'il est possible de prendre d'autres mesures d'accommodement raisonnables. Avant qu'il soit décidé de congédier l'employé qui ne s'est pas conformé à la politique, la situation est examinée par le vice-président principal du service des Ressources humaines de l'appelante, qui peut proposer une prorogation de la période de probation ou un autre test6.

En avril 1991, l'ACLC a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) conformément au paragraphe 40(1) et à l'alinéa 40(5)b) de la Loi. Il y était allégué que l'appelante avait enfreint l'article 10 de la Loi en appliquant une ligne de conduite qui constituait de la discrimination directe, laquelle avait pour effet de priver certaines personnes d'un emploi pour cause de déficience, à savoir la dépendance présumée envers la drogue.

Le 16 août 1994, la formation a rendu une décision par laquelle elle rejetait la plainte pour le motif qu'elle n'était pas fondée.

La Commission a par la suite présenté une demande devant la Section de première instance en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision rendue par la formation. Par l'ordonnance du 22 avril 1996, le juge des requêtes a infirmé la décision de la formation et a renvoyé l'affaire au Tribunal en lui donnant des directives. Le présent appel et l'appel incident découlent de cette ordonnance.

Décision de la formation du Tribunal des droits de la personne du Canada

La formation a rejeté à l'unanimité la plainte de l'ACLC. Elle a statué que lorsqu'il est mis fin à un emploi à la suite du refus d'un employé de se conformer à la politique, le congédiement découle d'une violation d'une condition d'emploi et qu'"il n'est pas nécessaire d'examiner s'il existe une "présomption de dépendance envers la drogue""7.

La formation a également statué que la politique de l'appelante ne constitue pas de la discrimination pour un motif de distinction illicite au sens de la Loi. Elle a formulé sa conclusion comme suit8:

Le Tribunal conclut que le congédiement final ne découle pas d'une présomption de déficience (dépendance envers la drogue), mais plutôt de la consommation répétée d'une substance illégale même si, dans certains cas, la personne visée peut souffrir de toxicomanie. Par conséquent, la politique de la Banque ne constitue pas de la discrimination pour un motif de distinction illicite au sens de la LCDP.

Dans une remarque incidente, la formation a dit que si elle avait jugé que la politique établissait la discrimination contre ses employés en raison d'une déficience, à savoir la dépendance présumée envers la drogue, il s'agirait de discrimination par suite d'un effet préjudiciable. En effet, la politique s'applique de manière égale à toute une catégorie d'employés (les nouveaux employés et les employés réembauchés) et l'emploi n'est en fin de compte refusé qu'à une petite minorité de personnes pour lesquelles les tests effectués à trois occasions distinctes indiquent la consommation.

Toutefois, la formation a en outre conclu qu'en faisant subir une évaluation à l'employé lorsqu'un deuxième test s'avère positif, en défrayant les coûts de tout traitement indiqué et en gardant l'employé parmi les membres de son personnel pendant toute cette période, l'appelante a fait un effort raisonnable pour composer avec l'employé.

Dans une autre remarque incidente, la formation a dit que si elle avait jugé que la politique constituait de la discrimination directe, l'appelante n'aurait pas satisfait à la charge qui lui incombe de prouver l'existence d'une exigence professionnelle justifiée (EPJ) à l'appui de la politique. La formation a conclu que l'objectif de la politique était approprié dans la mesure où l'employeur cherchait à éliminer les drogues illicites dans le milieu de travail de ses employés en raison des effets qu'elles peuvent avoir sur le rendement au travail. Toutefois, elle a conclu que la méthode que l'appelante avait choisie, l'analyse d'urine obligatoire, a un caractère attentatoire et ne peut pas être jugée raisonnable en l'absence d'une preuve de fond indiquant l'existence d'une menace grave pour les autres employés de l'appelante ou pour ses clients, ou encore pour les deux.

Motifs du juge des requêtes

La Commission a présenté une demande à la Section de première instance en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la formation, en invoquant plusieurs motifs. Le seul motif pertinent aux fins du présent appel et de l'appel incident consiste à savoir si la politique est discriminatoire.

Le savant juge des requêtes a formulé la question comme suit9:

Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu que la politique n'était pas discriminatoire et si tel est le cas, s'agit-il d'une discrimination par suite d'un effet préjudiciable ou d'une discrimination directe? De la même manière, si la discrimination est par suite d'un effet préjudiciable, un accommodement a-t-il été dûment établi? [Je souligne.]

Le juge des requêtes a commencé son analyse comme suit10:

Le Tribunal a décidé qu'il n'y avait pas de discrimination parce que le licenciement en vertu de la politique visait tant les employés dépendants envers la drogue que les usagers occasionnels chroniques. Toutefois, le Tribunal a aussi conclu, comme conclusion de fait qui n'a pas été contestée devant moi, qu'en vertu de la politique, les employés dépendants envers la drogue étaient licenciés à cause de leur dépendance. Dans ces circonstances, il me semble que pour établir le caractère discriminatoire de la politique, le fait que la politique puisse avoir des conséquences défavorables qui ne sont pas prévues par la LCDP pour les usagers occasionnels chroniques et pour ceux qui refusent de respecter la politique, n'est pas déterminant dans la question de discrimination.

Le juge des requêtes a conclu qu'il s'agissait d'un cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable et que la formation avait commis une erreur lorsqu'elle avait conclu que la politique n'était pas discriminatoire.

En ce qui concerne la question de savoir si la politique est discriminatoire, le juge des requêtes a fait remarquer que la politique était neutre en apparence mais que le groupe auquel elle s'appliquait incluait un sous-groupe qui était menacé de licenciement illégal parce qu'il s'agissait de personnes qui avaient une dépendance envers la drogue.

Quant à la question de l'accommodement raisonnable, le juge des requêtes a conclu que la formation avait commis une erreur en ne tirant pas une conclusion claire et non équivoque au sujet de la question de savoir s'il existe un lien rationnel entre la politique de l'appelante et le rendement professionnel. Selon le juge, il ne suffisait pas de conclure, comme l'avait fait la formation, qu'il était approprié pour un employeur de chercher à mettre fin à la consommation de drogues illicites par ses employés à cause des effets que pareilles drogues pourraient avoir sur leur rendement professionnel. Le juge a statué que la conclusion que la formation avait tirée au sujet de la question du lien rationnel avait été tirée dans le contexte de la question de savoir si l'existence d'une exigence professionnelle justifiée avait été établie, et qu'elle ne se trouvait pas sous la rubrique "Accommodement". En outre, le juge a dit que cette conclusion n'incluait pas les termes "lien rationnel"11.

Le juge des requêtes était toutefois d'accord avec la formation pour dire qu'il y a contrainte excessive si l'employeur fait face à la présence continue d'un employé qui ne peut pas se réadapter et qui continue à acquérir et à utiliser des drogues illégales12.

Le juge des requêtes a réglé la demande de la façon ci-dessus énoncée.

Dispositions législatives pertinentes

Les dispositions pertinentes de la Loi sont ainsi libellées:

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant: le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience. [Je souligne.]

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

. . .

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale:

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

. . .

25. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

. . .

"déficience" Déficience physique ou mentale, qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.

Les dispositions pertinentes de la Loi sur les stupéfiants13 sont en partie ainsi libellées:

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

. . .

"stupéfiant" Substance énumérée à l'annexe, ou toute préparation en contenant14 .

. . .

3. (1) Sauf exception prévue par la présente loi ou ses règlements, il est interdit d'avoir un stupéfiant en sa possession.

Les points litigieux

Les principales questions soulevées par l'appelante dans le présent appel sont les suivantes:

Question 1" Le juge des requêtes a-t-il omis de faire preuve de la retenue appropriée à l'égard des conclusions que la formation avait tirées, à savoir que la politique n'était pas discriminatoire?

Question 2" Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en qualifiant les éléments contestés de la politique comme constituant de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable (discrimination indirecte)?

Question 3" Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en statuant [à la page 237] que la formation avait "omis de conclure sur un lien rationnel dans des termes clairs et sans équivoque".

Les questions soulevées par l'ACLC dans le cadre de l'appel incident sont les suivantes:

Question 1" Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en statuant que la politique ne constitue pas de la discrimination directe?

Question 2" Le juge des requêtes a-t-il eu raison de statuer que la politique constitue une preuve prima facie de discrimination par suite d'un effet préjudiciable et que la formation avait commis une erreur en omettant d'appliquer l'élément "lien rationnel" du critère relatif à l'accommodement raisonnable nécessaire pour établir une preuve prima facie de discrimination par suite d'un effet préjudiciable?

Il s'agit en fin de compte de savoir, dans le présent appel et dans l'appel incident, si la politique constitue un acte discriminatoire au sens de l'article 10 de la Loi.

Pour les motifs ci-après énoncés, j'ai conclu que l'ordonnance ici en cause comporte une erreur de droit et qu'elle devrait être infirmée. Premièrement, le juge des requêtes semble n'avoir pas du tout compris pour quels motifs la formation avait conclu que la politique n'équivalait pas à de la discrimination.

Dans ses motifs, la formation a tiré au sujet de la politique plusieurs conclusions, que j'énumère ci-dessous:

1. la Loi ne tolère ni ne protège la consommation illégale d'une drogue illicite;

2. la Loi protège cependant les personnes qui souffrent de toxicomanie contre les congédiements sommaires;

3. le dépistage obligatoire prévu dans la politique n'est pas effectué avant que le candidat soit engagé, mais une fois seulement qu'il l'a été;

4. l'obligation de se conformer à la politique est une condition d'emploi: la Loi ne l'interdit pas;

5. lorsqu'il est mis fin à l'emploi à la suite de l'omission de se conformer à la politique, qu'il s'agisse du refus de fournir un échantillon d'urine ou d'un refus manifesté à un stade ultérieur du processus de dépistage, le congédiement découle d'une violation d'une condition d'emploi et il n'est pas nécessaire d'examiner s'il existe une "présomption de dépendance envers la drogue";

6. il ne s'agissait pas ici d'une présomption de dépendance envers la drogue, mais d'un diagnostic posé par un professionnel;

7. le congédiement final (après trois résultats positifs) ne découle pas d'une présomption de déficience (dépendance envers la drogue), mais plutôt de la consommation répétée établie d'une substance illégale même si, dans certains cas, il peut y avoir dépendance envers la drogue.

En se fondant sur ces conclusions, voici ce que la formation a conclu15:

Par conséquent, la politique de la Banque ne constitue pas de la discrimination pour un motif de distinction illicite au sens de la LCDP.

Compte tenu de ces conclusions claires, qui sont étayées par la preuve, il est à mon avis erroné pour le juge des requêtes de dire ceci16:

Le Tribunal a décidé qu'il n'y avait pas de discrimination parce que le licenciement en vertu de la politique visait tant les employés dépendants envers la drogue que les usagers occasionnels chroniques.

À mon avis, cette erreur avait pour effet de porter atteinte à la capacité du juge des requêtes d'examiner et d'évaluer le bien-fondé, sur le plan juridique, des motifs que la formation avait donnés à l'appui de sa décision.

Les motifs du juge des requêtes renferment une erreur plus grave. Le juge attribue à la formation une conclusion de fait que cette dernière n'a pas tirée. Le passage pertinent se lit comme suit17:

Toutefois, le Tribunal a aussi conclu, comme conclusion de fait qui n'a pas été contestée devant moi, qu'en vertu de la politique, les employés dépendants envers la drogue étaient licenciés à cause de leur dépendance.

L'appelante a contesté cette assertion, en disant que la formation n'avait pas tiré pareille conclusion. J'ai lu les motifs de la formation à plusieurs reprises, ce qui m'a permis de confirmer que l'appelante a raison. À mon avis, rien ne justifie au vu du dossier l'assertion que le juge des requêtes a faite.

J'ai dit que cette erreur était plus grave, parce qu'elle a servi de fondement à l'analyse subséquente que le juge des requêtes a faite. Immédiatement après le passage cité au paragraphe 44, le juge a ajouté ceci18:

Dans ces circonstances, il me semble que pour établir le caractère discriminatoire de la politique, le fait que la politique puisse avoir des conséquences défavorables qui ne sont pas prévues par la LCDP pour les usagers occasionnels chroniques et pour ceux qui refusent de respecter la politique, n'est pas déterminant dans la question de discrimination.

Le juge a ensuite conclu, en se fondant sur un passage des motifs prononcés par la majorité des juges dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission)19, qu'il s'agissait d'une affaire de discrimination par suite d'un effet préjudiciable et que la formation avait commis une erreur en concluant que la politique ne constituait pas de la discrimination.

En concluant que la formation avait commis une erreur lorsqu'elle avait jugé que la politique ne créait pas de distinction illicite, le juge des requêtes n'a pas démontré que la formation avait commis une erreur de fait ou de droit qui influait sur sa décision. La jurisprudence enseigne, comme je le démontrerai ci-dessous, que la norme de contrôle qui s'applique à la décision de la formation est celle de la justesse. S'il n'est pas établi que la formation a commis une erreur de droit ou de fait, la cour de révision ne devrait pas intervenir. Dans ce cas-ci, comme je l'ai dit, le juge des requêtes ne l'a pas établi. De fait, comme je l'ai montré, le juge a mal compris les motifs donnés par la formation. Dans ces circonstances, je conclus que la formation avait raison de conclure, pour les motifs qu'elle a énoncés, que la politique ne constituait pas de la discrimination et que le juge des requêtes a eu tort de conclure le contraire, sans même examiner dans ses motifs le fondement véritable de la conclusion tirée par la formation. La formation a conclu que le congédiement n'était pas discriminatoire principalement parce qu'il résultait de la violation d'une condition d'emploi.

Si cette conclusion est erronée, et s'il est possible de dire que la politique équivaut à de la discrimination, cela constitue à première vue, à mon avis, de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, mais l'appelante a satisfait au critère établi par la jurisprudence pour réfuter pareille preuve prima facie.

J'examinerai cette question en traitant l'une après l'autre les questions accessoires suivantes:

a) La politique constitue-t-elle à première vue de la discrimination?

b) Dans l'affirmative, la politique équivaut-t-elle à de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable ou à de la discrimination directe?

c) S'il s'agit de discrimination par suite d'un effet préjudiciable, l'appelante a-t-elle satisfait au critère relatif à l'accommodement raisonnable?

Avant d'examiner ces questions accessoires, je traiterai de la question de la compétence, que l'appelante a soulevée dans le cadre de l'appel incident.

La question de la compétence

Dans l'exposé qu'elle a présenté dans l'appel incident et dans son argumentation orale, l'appelante (l'intimée dans l'appel incident) a soutenu que cette Cour n'avait pas compétence pour examiner la question de savoir si la politique constitue de la discrimination directe parce que cette question n'avait pas été soulevée comme motif de contrôle judiciaire devant le juge des requêtes. Selon l'appelante, c'est la raison pour laquelle l'ACLC ne peut pas ici soulever cette question.

Je ne souscris pas à cette prétention. Il faut d'abord remarquer que même si, dans ses motifs, le juge des requêtes n'a pas examiné la question de la discrimination directe, il ressort clairement de la façon dont les questions ont été formulées qu'il fallait traiter de la discrimination directe. À mon avis, l'omission de le faire n'a pas pour effet de faire de la discrimination directe une nouvelle question soulevée pour la première fois en appel, d'autant plus que, dans sa décision, la formation traitait de cette question, quoique dans le cadre d'une remarque incidente.

Deuxièmement, le principe sous-tendant cet argument est que l'appelante ne peut pas soulever un point qui n'a pas été plaidé ou qui n'a pas été débattu en première instance, à moins que tous les éléments de preuve pertinents ne figurent dans le dossier20. Il est bien établi qu'un tribunal d'appel ne devrait pas traiter d'un point qui est soulevé pour la première fois en appel, à moins qu'il ne soit clair que si ce point avait été soulevé en temps opportun, il n'aurait pas été possible de l'éclaircir21. Toutefois, une nouvelle question de droit peut être examinée dans la mesure où il n'est pas nécessaire de présenter d'autres éléments de preuve.

En l'espèce, la question de savoir si la politique constitue de la discrimination directe est-elle une question de droit? La formation disposait de tous les éléments de preuve pertinents pour être en mesure de régler la question. L'ACLC avait débattu la question devant la formation et l'appelante avait à ce moment-là eu la possibilité de présenter tout élément de preuve nécessaire.

Enfin, l'argument de l'ACLC était fondé sur le dossier plutôt que sur de nouveaux éléments de preuve. À mon avis, dans ces conditions, cette Cour a non seulement compétence pour entendre l'ACLC sur ce point, mais elle a aussi l'obligation de le faire.

La politique constitue-t-elle à première vue de la discrimination?

J'examinerai maintenant la question de savoir si la politique constitue à première vue de la discrimination au sens de l'article 10 de la Loi. Comme je l'ai déjà dit, la formation a répondu à cette question par la négative.

Selon l'article 10 de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, de fixer des lignes de conduite. En vertu de l'article 3 de la Loi, la déficience est un motif de distinction illicite, la déficience étant définie à l'article 25 comme comprenant la dépendance envers la drogue. Par conséquent, toute politique qui est susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'un individu du fait qu'il a une dépendance envers la drogue est probablement à première vue un acte discriminatoire.

La politique exige que tous les employés se soumettent à un test de dépistage de drogues. La politique s'applique à tous les employés, mais elle n'est obligatoire que pour certains employés.

L'appelante invoque deux raisons à l'appui de sa politique. En premier lieu, la politique ne constitue pas un acte discriminatoire, étant donné qu'elle a pour effet d'interdire la consommation continue de drogues illégales indépendamment de la raison pour laquelle pareilles drogues sont consommées. En second lieu, les employés risquent d'être congédiés uniquement s'ils ne se conforment pas aux exigences de la politique, soit en refusant de subir un test soit en continuant à consommer des drogues illégales, et ce, qu'ils aient ou non une dépendance envers la drogue.

La première objection que l'appelante formule à l'encontre de l'ordonnance ici en cause est que le juge des requêtes n'a pas fait preuve de la retenue appropriée à l'égard de la conclusion de la formation selon laquelle la politique n'est pas discriminatoire.

À l'appui de cette objection, l'appelante dit que la conclusion que la formation a tirée sur ce point était une conclusion de fait, et qu'étant donné qu'elle n'était pas manifestement déraisonnable, le juge des requêtes aurait dû faire preuve de retenue et n'aurait pas dû intervenir. Je ne souscris pas à la prétention de l'appelante sur ce point, et ce, pour les motifs suivants.

Premièrement, en rendant sa décision, la formation répondait à une question de droit ou à une question de fait et de droit. Cette décision était donc une décision à l'égard de laquelle les cours de révision n'ont pas à faire preuve d'énormément de retenue.

La Cour suprême du Canada a examiné à plusieurs reprises la question de la retenue dont il faut faire preuve à l'égard des décisions rendues par les tribunaux de droits de la personne. Le principe énoncé par le juge La Forest dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop22, lequel a récemment été confirmé dans les arrêts Gould c. Yukon Order of Pioneers23 et Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick24, de la Cour suprême du Canada est que l'expertise supérieure d'un tribunal des droits de la personne porte sur l'appréciation des faits et sur les décisions rendues dans un contexte de droits de la personne et ne s'étend pas aux questions générales de droit. Les cours doivent donc examiner les décisions rendues par le tribunal des droits de la personne sur des questions de droit ou sur des questions de fait et de droit du point de vue de leur justesse, et non en fonction de leur caractère raisonnable25.

En second lieu, la politique prévoit que les employés qui ne se conforment pas à la politique et qui obtiennent constamment un résultat positif risquent d'être congédiés. Le fait que l'appelante compose avec l'employé au moyen de programmes de réadaptation et de counselling ne veut pas dire que l'employé ne risque pas d'être congédié, si les tests qu'il subit donnent toujours un résultat positif. Parmi les employés qui risquent d'être congédiés, il y a ceux qui continuent à utiliser des drogues, même s'il ne s'agit que de consommateurs occasionnels, et ceux qui ont une dépendance envers la drogue. Par conséquent, il serait possible de dire que la politique est susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'individus qui ont une dépendance envers la drogue et qu'elle constitue donc à première vue de la discrimination au sens de l'article 10 de la Loi.

La discrimination directe

Compte tenu de cette conclusion, je dois déterminer s'il s'agit d'une discrimination directe ou d'une discrimination par suite d'un effet préjudiciable. La distinction entre la discrimination directe et la discrimination par suite d'un effet préjudiciable est importante parce qu'elle détermine entre autres les moyens de défense applicables et si la politique sera annulée ou maintenue une fois qu'il aura été conclu à la discrimination.

La Loi ne définit pas ce qu'est la discrimination, mais dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia26, la Cour suprême du Canada a défini ce mot comme suit:

. . . la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société.

La distinction entre la discrimination directe et la discrimination par suite d'un effet préjudiciable a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres27, où le juge McIntyre, au nom de la Cour, a dit ceci:

On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu'on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable en matière d'emploi. À cet égard, il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, "Ici, on n'embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir". . . D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés . . . Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer.

Dans l'arrêt Dairy Pool, supra, la Cour suprême du Canada a donné les précisions suivantes au sujet de la définition de la discrimination directe dans le contexte de l'emploi28:

En matière d'emploi, la discrimination directe consiste essentiellement à formuler une règle qui fait une généralisation quant à l'aptitude d'une personne à remplir un poste selon son appartenance à un groupe dont les membres partagent un attribut personnel commun, tel l'âge, le sexe, la religion, etc. L'idéal que visent les lois sur les droits de la personne est justement de faire en sorte que chacun reçoive un traitement égal en tant qu'individu, eu égard à ces attributs. Par conséquent, la justification d'une règle révélant un stéréotype de groupe dépend ou bien de la validité de la généralisation ou bien de l'impossibilité d'évaluer chaque cas individuellement, ou des deux.

Par conséquent, il y a discrimination directe dans le contexte de l'emploi lorsque l'employeur adopte une ligne de conduite qui "à première vue" crée une distinction illicite. À mon avis, la politique ici en cause n'est pas visée par cette définition. À première vue, elle n'empêche pas qui que ce soit d'obtenir ou de continuer à exercer un emploi auprès de l'appelante; si le test de dépistage de drogues donne un résultat positif et si l'employé continue à participer aux programmes de réadaptation, il ne sera pas mis fin à l'emploi pour cette seule raison. L'individu qui refuse de se soumettre au test de dépistage initial, ou qui refuse de se conformer aux autres exigences de la politique, viole une condition d'emploi et est réputé avoir rejeté l'offre d'emploi de l'appelante, de sorte qu'il risque d'être congédié.

En établissant sa politique, l'appelante cherchait à assurer un milieu de travail sécuritaire, sain et productif pour tous les employés, ainsi qu'un lieu de travail exempt de drogues. La politique interdit donc la consommation, la possession, la vente ou la distribution de drogues illégales pendant que l'employé est dans les locaux de l'appelante ou pendant les heures de travail. En même temps, la politique vise à traiter les employés qui ont un problème de toxicomanie d'une manière juste et de façon à respecter leur droit à la vie privée et à la dignité. La politique vise clairement à assurer la réadaptation et non à punir l'employé: les services de réadaptation sont offerts à tous les employés qui en ont besoin et il ne sera mis fin à l'emploi que si des mesures raisonnables d'accommodement ont été prises, mais qu'elles se sont avérées infructueuses ou si les efforts de réadaptation ont échoué ou ont été refusés. Il importe de noter que la politique exige que tous les dirigeants se soumettent à un test de dépistage de drogues, quoique sur une base volontaire, dans le cadre de leur examen médical annuel.

Étant donné que la Loi ne protège pas le droit d'utiliser des drogues illégales, mais assure uniquement une protection contre des actes discriminatoires précis pour des motifs énumérés, comme la dépendance envers la drogue, on ne peut pas dire, à mon avis, que la politique crée à première vue une distinction illicite.

L'ACLC soutient que le fait que tous les consommateurs de drogue ne sont pas dépendants envers la drogue ne devrait rien changer à la nature de la discrimination. Elle affirme qu'en ce qui concerne la question de savoir si l'employeur a créé une distinction illicite sur la base d'une déficience, il suffit que l'employeur présume que l'employé n'est pas apte à travailler. Toutefois, l'ACLC n'a présenté aucun élément de preuve pour établir que l'appelante considérait ainsi les employés touchés.

En outre, la politique ne permet pas d'inférer que l'appelante présumait que les employés dont le test donnait un résultat positif étaient atteints d'une déficience. Au contraire, comme la formation l'a fait remarquer, l'appelante ne se fonde pas sur des présomptions ou sur des hypothèses au sujet de la nature de la consommation de drogue par les employés, mais sur des diagnostics professionnels. L'employé dont les tests ont toujours donné un résultat positif risque d'être congédié parce qu'il continue à utiliser des drogues illégales29.

Dans ses observations écrites et orales, l'ACLC s'est en outre fondée sur la décision que la commission d'enquête de l'Ontario avait rendue dans l'affaire Entrop v. Imperial Oil Limited30, où il avait été conclu qu'une présomption d'inaptitude à travailler fondée sur la présence d'alcool ou de drogue dans l'organisme de l'employé constitue de la discrimination directe fondée sur une déficience.

La décision de la formation, qui était composée d'un seul membre, a été confirmée par la Cour divisionnaire de l'Ontario après l'audition du présent appel. La Cour a confirmé les conclusions suivantes que la commission d'enquête avait tirées: la politique constituait de la discrimination directe parce qu'elle exigeait [traduction] "la divulgation, par des gens qui ont des problèmes d'abus de produits intoxicants, et notamment d'abus et de dépendance envers la drogue". Il a également été jugé que la politique constituait de la discrimination directe à cause de31 :

[traduction] . . . diverses dispositions de la politique concernant le dépistage, en tant que mesures destinées à aider l'employeur à trouver et identifier les travailleurs qui doivent faire l'objet de mesures disciplinaires en raison d'une déficience, ou d'une déficience "présumée" dans le cas des gens dont le test de dépistage de drogue et d'alcool donne un résultat positif mais qui n'ont pas de problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie. Imperial Oil a nié avoir présumé que les employés qui consomment de la drogue sont atteints d'une déficience, mais la commission d'enquête a conclu que la politique traite même les utilisateurs occasionnels comme s'ils avaient une déficience et que cela suffisait pour que la protection prévue par le Code leur soit assurée.

Enfin, la Cour souscrivait également à la conclusion de la commission d'enquête selon laquelle Imperial Oil n'avait pas réfuté la preuve prima facie de traitement discriminatoire, parce qu'elle avait omis d'établir que le dépistage des drogues est pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer si l'individu a la capacité d'accomplir d'une façon sécuritaire, efficace et fiable les tâches essentielles que comporte son emploi.

Avant que la décision soit rendue dans cet appel, les avocats de l'ACLC et de l'appelante ont présenté par écrit des observations additionnelles fondées sur la décision de la Cour divisionnaire. J'ai lu et examiné ces observations et je suis d'accord avec l'appelante pour dire qu'il est possible de distinguer la décision que la Cour divisionnaire a rendue dans l'affaire Entrop quant à ses faits et que cette décision n'aide pas l'ACLC sur ce point.

Je conclus donc que la politique s'applique de façon à interdire l'utilisation continue de drogues illégales, et ce, indépendamment du motif de cette utilisation. Les employés dont le test donne un résultat positif ne sont pas congédiés parce qu'ils consomment de la drogue. Cependant, les employés qui continuent à utiliser des drogues et qui obtiennent un résultat positif à trois reprises risquent d'être congédiés s'ils ne participent pas au programme de réadaptation ou s'ils ne se conforment pas aux autres exigences de la politique. Étant donné que les employés qui continuent à utiliser des drogues illégales risquent d'être congédiés, et ce, indépendamment de la question de savoir s'ils ont une dépendance envers la drogue, la politique ne peut pas être interprétée comme constituant de la discrimination directe à l'égard des employés qui ont une dépendance envers la drogue. J'examinerai maintenant la question de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable.

La discrimination par suite d'un effet préjudiciable

Dans l'arrêt O'Malley, supra, le juge McIntyre a dit qu'il y avait discrimination par suite d'un effet préjudiciable lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui crée une distinction illicite à l'égard d'un seul employé ou d'un groupe d'employés en ce sens qu'elle leur impose entre autres des obligations ou des conditions restrictives qui ne sont pas imposées aux autres employés.

Dans l'arrêt Dairy Pool, supra, le juge Wilson a dit au nom de la majorité qu'il y a discrimination par suite d'un effet préjudiciable dans le cas32:

. . . d'une règle qui, neutre en apparence, a un effet préjudiciable sur certains membres du groupe auquel elle s'applique. En pareil cas, le groupe des personnes qui subissent un effet préjudiciable est toujours plus petit que le groupe auquel la règle s'applique. Dans les faits, fréquemment, le "groupe" lésé se composera d'une seule personne, savoir le plaignant. La règle est alors maintenue en ce sens qu'elle s'appliquera à tous sauf aux personnes sur lesquelles elle a un effet discriminatoire, pourvu que l'employeur puisse procéder aux accommodements nécessaires sans subir des contraintes excessives.

Les tribunaux ont appliqué dans diverses décisions les principes énoncés dans les arrêts Dairy Pool et O'Malley, supra; plus récemment, la Cour suprême du Canada a suivi ces principes dans les arrêts Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin33 et Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud34. La Cour suprême du Canada a d'abord examiné le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable dans le contexte de la législation provinciale sur les droits de la personne, mais le juge McIntyre a clairement fait savoir, dans l'arrêt Andrews, supra, que les principes d'égalité élaborés dans ces arrêts-là s'appliquent également aux affaires dans lesquelles l'article 15 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] est en cause35. À mon avis, ces principes s'appliquent a fortiori aux affaires régies par la législation fédérale sur les droits de la personne.

Le juge des requêtes a conclu que la politique constituait de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable parce que, même si elle est neutre en apparence et même si elle s'applique à tous les employés, elle a un effet préjudiciable sur un sous-groupe d'employés qui risquent d'être congédiés parce qu'ils ont une dépendance envers la drogue36.

L'ACLC soutient que la politique impose à certains employés, à cause d'une caractéristique particulière (la dépendance envers la drogue), des peines qui ne sont pas imposées aux autres membres de son personnel. Elle soutient également que la politique a pour effet d'exclure de l'emploi un nombre disproportionné d'individus qui ont une dépendance envers la drogue, de sorte que les éléments de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable sont présents.

De son côté, l'appelante soutient que le juge des requêtes a excédé la portée prévue de la Loi en concluant qu'elle protège également les individus dépendants envers la drogue qui utilisent des drogues illégales. L'appelante dit que pareille interprétation de la Loi est contraire à l'intention du législateur telle qu'elle se manifeste dans la Loi sur les stupéfiants et dans l'explication que le président de la Commission de l'époque a donnée au Comité permanent de la Justice et des questions juridiques au sujet de la portée de l'expression "dépendance, présente ou passée, envers la drogue". En outre, l'appelante dit que cette expression, qui figure à l'article 25 de la Loi, ne devrait pas être interprétée de façon à empêcher l'employeur de congédier un employé qui a fait l'objet d'un diagnostic fiable de consommation de drogue illégale. Dans ses observations écrites, l'appelante cite les remarques suivantes du président, confirmant que l'employeur a le droit de congédier un employé qui, a-t-on constaté, consomme des drogues illégales:

M. Robinson (Burnaby): Parfait. Par contre s'il s'agit d'une drogue illégale, un patron pourrait, en application de la loi actuelle, licencier un employé.

M. Fairweather: Oui37.

L'appelante soutient donc que si la Loi s'applique aux personnes qui ont une dépendance envers des drogues illégales, elle devrait uniquement protéger les individus dépendants envers la drogue qui veulent se réadapter et cesser d'utiliser des drogues illégales.

Je remarque ici que l'interprétation que l'appelante donne à l'article 25 est compatible avec l'article 2 de la Loi. L'article 2 prévoit que la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe suivant: le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement. L'article 2 renferme donc en soi une restriction à l'égard des droits protégés par la Loi. Tous les membres de la société ont l'obligation de se conformer à la législation canadienne, y compris aux interdictions établies expressément ou non par la Loi sur les stupéfiants. Par conséquent, à mon avis, comme l'appelante le soutient avec raison, l'article 25 de la Loi doit être interprété de façon à s'appliquer uniquement aux individus dépendants envers la drogue qui veulent se réadapter et cesser d'utiliser illégalement des stupéfiants.

La politique est une règle d'emploi qui a honnêtement été adoptée pour des raisons économiques ou commerciales. Comme il en a déjà été fait mention, la politique de l'appelante vise entre autres à assurer aux employés un lieu de travail sécuritaire, sain et productif, à protéger les fonds des clients, de l'appelante et des employés ainsi que les renseignements financiers y afférents et à maintenir la réputation de l'appelante. Le secteur bancaire est fondé sur l'honnêteté, l'intégrité et la confiance. Partant, le lien qui existe entre la consommation de drogue et le crime organisé ainsi que le vol présente un risque inacceptable pour l'appelante, compte tenu du fait en particulier que les employés ont accès à de grosses sommes d'argent et à des renseignements financiers protégés.

En outre, comme je l'ai déjà dit, la politique s'applique également à tous les employés. L'employé dont le test donne un résultat positif à trois reprises risque d'être congédié. Parmi les employés qui s'exposent à une cessation d'emploi, il y a les employés qui utilisent de la drogue occasionnellement quoique d'une façon chronique, ainsi que ceux qui ont une dépendance envers la drogue. L'application de la politique donne donc lieu au congédiement d'une catégorie d'employés qui est visée par l'article 25 de la Loi. Pour ces motifs, je conclus qu'il serait possible de dire que la politique constitue de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable.

L'accommodement raisonnable

Puisque j'ai conclu qu'il serait possible de dire que la politique constitue de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, je dois déterminer si l'appelante a satisfait au critère relatif à l'accommodement raisonnable. Dans les cas de discrimination directe, pour qu'un tribunal confirme une règle de travail, l'employeur doit satisfaire aux exigences du critère relatif à l'exigence professionnelle justifiée (EPJ). Dans les cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable, une règle continue à s'appliquer si l'employeur fait des efforts raisonnables pour composer avec les individus lésés.

Étant donné que j'ai conclu que la politique ne constitue pas de la discrimination directe, j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner le critère relatif à l'EPJ.

Le critère relatif à l'accommodement raisonnable a été énoncé par le juge Wilson dans l'arrêt Dairy Pool, supra. Les deux éléments du critère sont que la politique doit avoir un lien rationnel avec le rendement au travail et que l'employeur doit composer avec l'employé sans pour autant subir de contrainte excessive.

1) Le lien rationnel

Le juge des requêtes a conclu que la formation avait eu raison de conclure que l'appelante avait satisfait à son obligation d'accommodement à l'égard des employés dépendants envers la drogue sans pour autant subir de contrainte excessive.

Le critère relatif au lien rationnel a été énoncé comme suit par le juge Wilson dans l'arrêt Dairy Pool, supra38:

L'opinion du juge McIntyre dans l'arrêt O'Malley fournit certaines indications sur la façon de vérifier s'il existe un lien rationnel entre une règle donnée et l'emploi. À la page 551, il parle d'une "condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise . . ." Comme en l'espèce, la règle en cause dans l'arrêt O'Malley prescrivait la présence au travail certains jours, en l'occurrence deux samedis sur trois. La Cour a conclu que cette règle satisfaisait au premier volet du critère. Voici ce que dit le juge McIntyre aux pp. 555 et 556:

Pour relier ce principe de l'accommodement aux faits de l'espèce, nous devons commencer par le principe selon lequel l'employeur est légalement autorisé à exploiter une entreprise et à l'ouvrir le samedi. Il est en conséquence autorisé à engager des employés à la condition qu'ils travaillent le samedi.

Il s'ensuit, à mon avis, que l'intimée est également autorisée en l'espèce à organiser ses activités de manière à arrêter la production en fin de semaine de sorte que le lundi est une journée particulièrement chargée. La condition d'emploi fixée par l'employeur satisfait donc au critère du lien rationnel avec le travail de transformation laitière.

Dans l'arrêt Dairy Pool, supra, Mme le juge Wilson a donné des précisions au sujet du régime dans lequel la possibilité d'invoquer une EPJ ou l'obligation d'accommodement comme moyens de défense dépend du genre de discrimination en cause. J'estime que, ce faisant, elle a renoncé à imposer des exigences strictes permettant de justifier la règle, en adoptant plutôt ce qui semble être un critère préliminaire plus souple, en ce qui concerne le "lien rationnel", lequel aura pour effet d'amener plus rapidement l'examen de la question de l'accommodement.

Le juge des requêtes a statué que la formation avait omis de tirer une conclusion en des termes clairs et sans équivoque au sujet du lien rationnel existant entre la politique et le rendement professionnel.

L'appelante soutient que le juge des requêtes a adopté une approche trop formaliste en tirant pareille conclusion. Elle a fait à l'appui plusieurs observations. Premièrement, la formation avait tiré plusieurs conclusions en ce sens et le juge des requêtes avait rejeté les conclusions tirées au sujet de l'accommodement parce qu'elles ne figuraient pas sous la rubrique "Accommodement" des motifs de la formation. Deuxièmement, en appliquant le critère énoncé dans l'arrêt Brossard39 , lorsqu'elle avait tiré ses conclusions au sujet du lien rationnel, la formation avait conclu que le fait d'éliminer la consommation de drogues illégales constituait un objectif approprié en raison des effets que pareilles drogues ont sur le rendement au travail. Troisièmement, même si elle avait été tirée dans le cadre de l'analyse de l'EPJ, cette conclusion était tout aussi valable dans le cas de l'accommodement. Enfin, la formation avait retenu la preuve présentée au sujet de l'effet des drogues sur le rendement au travail et, cela étant, il n'était pas manifestement déraisonnable de conclure qu'une règle d'emploi interdisant la consommation de drogues illégales parmi les employés constitue une pratique commerciale appropriée.

La Commission a présenté en réponse plusieurs observations. Premièrement, la formation ne s'était pas demandé si la politique était liée au rendement au travail, et le juge des requêtes ne pouvait pas présumer que si elle l'avait fait, la formation aurait conclu que la politique est ainsi liée. Deuxièmement, la formation avait tiré des conclusions au sujet de la bonne foi et de l'intention de l'appelante, mais cela n'avait rien à voir avec la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Enfin, de nombreuses conclusions de la formation étaient incompatibles avec toute conclusion relative au lien existant entre la politique et l'emploi.

La jurisprudence de la Cour suprême du Canada enseigne qu'une règle qui est considérée comme constituant de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable est, par définition, neutre à première vue, et sera confirmée si l'employeur réussit à établir qu'il a satisfait à l'obligation qui lui incombait de prendre des mesures d'accommodement raisonnables avec l'employé lésé. Étant donné que la règle en soi n'est pas intentionnellement discriminatoire, le fondement la sous-tendant a une importance moindre; le critère préliminaire plus souple relatif au "lien rationnel" a donc été élaboré dans les affaires de discrimination par suite d'un effet préjudiciable, dans la mesure où il y a accommodement.

Comme il en a ci-dessus été fait mention, en adoptant sa politique, l'appelante cherchait à assurer un milieu de travail sain, sécuritaire et productif pour tous les employés, à protéger ses fonds ainsi que ceux des clients et des employés et les renseignements financiers y afférents et à maintenir sa réputation. La politique reconnaît également l'effet des drogues sur le rendement au travail en ce qui concerne la vigilance, la perception et les autres aptitudes de travail. La formation a conclu que si elle "présum[ait] . . . que l'objectif de l'employeur est d'éliminer les drogues illicites dans le milieu de travail de ses employés en raison des effets qu'elles peuvent avoir sur le rendement au travail, . . . il s'agit d'un objectif approprié"40. Étant donné que le critère relatif au lien rationnel dans le contexte de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable n'est pas aussi strict que le critère relatif à la "nécessité raisonnable" s'appliquant au moyen de défense fondé sur une EPJ, je suis d'avis que la politique a été élaborée et adoptée pour de bonnes raisons économiques et qu'elle satisfait à l'élément "lien rationnel" du moyen de défense fondé sur l'accommodement raisonnable.

2) L'accommodement raisonnable

La mesure dans laquelle l'employeur doit composer avec les employés lésés est limitée par les mots "raisonnable" et "sans subir de contrainte excessive"41. La question de savoir ce qui constitue un accommodement raisonnable est une question de fait qui dépend des circonstances. Dans ce cas-ci, la formation a conclu que la politique prévoyait des mesures d'accommodement à l'égard des employés touchés jusqu'au point où il y aurait contrainte excessive, et le juge des requêtes a souscrit à cet avis. En l'absence d'une preuve tendant à montrer que cette conclusion était abusive ou arbitraire ou que le juge des requêtes a commis une erreur en la retenant, il serait erroné à mon avis d'intervenir.

En outre, selon le propre énoncé de politique publié par la Commission à l'égard du dépistage des drogues, pour qu'il y ait accommodement, il suffit d'offrir aux employés la possibilité de se réadapter. Dans son énoncé de politique, la Commission reconnaît que si un employé n'arrive pas à surmonter sa dépendance, l'employeur n'est pas tenu de prendre d'autres mesures d'accommodement42:

Il peut s'agir d'envoyer un employé ayant obtenu un résultat "positif" à un programme d'aide aux employés à des fins d'évaluation et, en cas de besoin, de counselling et de réadaptation. L'obligation de consentir à des adaptations raisonnables a toutefois des limites. Par exemple, si l'employeur inscrit un employé à un programme de réadaptation et que l'employé ne surmonte pas sa dépendance, on considérera qu'il a respecté son obligation.

L'ACLC soutient que dans leurs conclusions, le juge des requêtes et la formation omettent de reconnaître et d'appliquer le critère qui s'applique à la contrainte excessive, en particulier en ce qui concerne la gamme des facteurs applicables relatifs au rendement et aux coûts financiers et la charge de la preuve relativement stricte. À l'appui de cette observation fondamentale, l'ACLC a avancé plusieurs arguments. Premièrement, elle a affirmé qu'il n'existe aucun élément de preuve au sujet du montant que l'appelante devrait dépenser lorsqu'elle renvoie l'individu dont le test a donné un résultat positif au programme de traitement approprié et au sujet de la façon dont cela influerait sur la rentabilité de l'appelante. Deuxièmement, rien ne permettait à la formation de conclure que l'employé qui était renvoyé à un programme de traitement ne serait de toute façon pas productif. Enfin, en vertu de la politique, certains employés qui n'avaient pas de problèmes de productivité étaient congédiés pour avoir consommé de la drogue. Par conséquent, pareille politique, en n'admettant pas d'exceptions, ne pouvait pas prévoir de mesures d'accommodement raisonnables compte tenu de l'avertissement donné par la Cour suprême du Canada, soit que les facteurs relatifs à l'accommodement raisonnable doivent être appliqués avec souplesse et dans un contexte factuel précis.

L'appelante soutient qu'exiger d'autres mesures d'accommodement en plus de celles qu'elle prend équivaudrait à exempter d'une façon absolue de la politique les employés qui ont une dépendance envers la drogue. Selon l'appelante, pareille interprétation de l'obligation d'accommodement va à l'encontre des avis exprimés par la Cour suprême du Canada, à savoir que les pratiques d'emploi qui constituent de la discrimination indirecte ne devraient pas être annulées et en outre que l'obligation d'accommodement comporte l'obligation correspondante de la part des employés d'aider à en arriver à un accommodement raisonnable43.

À mon avis, l'accommodement fait partie intégrante de la politique44. L'application de la politique est conforme au but de réadaptation énoncé: aucun employé dont le test initial de dépistage donne un résultat positif ne sera congédié à cause de ce résultat. Le résultat positif initial demeure confidentiel et n'est communiqué à personne. Des programmes de counselling et de réadaptation sont offerts aux employés qui obtiennent un résultat positif lorsque des tests de dépistage subséquents sont effectués avant qu'on envisage de modifier leur statut. L'employé ne risque d'être congédié que s'il refuse de subir un test de dépistage de drogues ou de participer à un programme de réadaptation ou si les efforts de réadaptation échouent et si l'employé continue à consommer des drogues illégales. En outre, même en pareil cas, la situation particulière de l'employé concerné est examinée avant qu'une décision définitive soit prise au sujet de la cessation d'emploi, et ce, afin d'assurer que l'employé ait pleinement eu la possibilité de se réadapter et de se conformer à la politique45.

En concluant que l'appelante prend des mesures d'accommodement raisonnables à l'égard des employés qui ont une dépendance envers la drogue, la formation a reconnu que l'appelante met l'accent sur la réadaptation, en faisant remarquer les attributs suivants de l'application de la politique46:

" lorsque le premier test s'avère positif, la Banque garde l'employé parmi les membres de son personnel;

" si le deuxième test est également positif, l'employé doit se soumettre à une évaluation dans une clinique;

" l'employé reçoit ensuite le traitement indiqué dans l'évaluation"des séances de counselling à un programme de traitement en établissement;

" pendant toute cette période, l'employé continue à faire partie des effectifs de la Banque;

" ce n'est qu'après qu'il a suivi un traitement et que le résultat d'un troisième test est positif qu'il est mis fin à l'emploi.

En outre, comme je l'ai déjà fait remarquer, la propre politique de la Commission reconnaît que si un employé ne réussit pas à surmonter sa dépendance, l'employeur n'est pas tenu de prendre d'autres mesures d'accommodement.

Par conséquent, je souscris respectueusement à la conclusion de la formation et du juge des requêtes, à savoir que la politique prévoit expressément un accommodement raisonnable pour les employés touchés et qu'il serait déraisonnable d'obliger l'appelante à en faire plus. Je conclus donc que la politique prévoit des mesures d'accommodement pour les employés touchés jusqu'au point où il y aurait contrainte excessive.

Sommaire

J'estime respectueusement que la politique n'est pas discriminatoire et que la formation a eu raison d'en arriver à cette conclusion. S'il était possible de dire que la politique constitue à première vue de la discrimination, il s'agirait d'une discrimination par suite d'un effet préjudiciable; or, l'appelante a démontré dans la mesure nécessaire qu'elle s'est acquittée de l'obligation qui lui incombait de prendre des mesures d'accommodement raisonnables avec les employés touchés.

Conclusion

Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel et je rejetterais l'appel incident avec dépens, j'infirmerais l'ordonnance du juge des requêtes et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A.: Cet appel découle de la décision de la Banque Toronto-Dominion (la Banque) d'obliger tous ses employés nouveaux ou réembauchés à subir un test de dépistage de drogue. La contestation judiciaire de cette politique ne repose pas sur la violation du droit à la vie privée, mais sur des motifs de distinction illicite visés par la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Cette Loi interdit aux employeurs d'adopter des lignes de conduite qui sont "susceptibles d'annihiler" les chances d'emploi d'individus atteints d'une déficience. Elle définit en outre la "déficience" comme comprenant les individus qui ont une dépendance envers la drogue.

Dans les motifs ci-après énoncés, je conclus que la politique de la Banque constitue un acte discriminatoire illicite au sens de la Loi. Plus précisément, je suis d'avis que la politique constitue de la discrimination directe et qu'elle ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle justifiée (le soi-disant moyen de défense fondé sur une "EPJ"). J'arrive à cette dernière conclusion parce que la Banque n'a pas réussi à démontrer que sa politique est "raisonnablement nécessaire".

S'il ne s'agit pas d'un cas de discrimination directe, je suis par ailleurs d'avis que la politique de la Banque constitue de la discrimination indirecte ou, comme on l'appelle communément, de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Toutefois, ici encore, j'estime que la politique en question doit être rejetée. La Banque a démontré que sa politique prévoit des mesures d'accommodement raisonnables à l'égard des individus lésés, mais cette politique doit être rejetée pour le motif qu'elle n'a pas de "lien rationnel" avec le rendement professionnel.

À mon avis, la doctrine à deux volets relative à la discrimination énoncée par la Cour suprême du Canada est ici contestée sur deux points importants. En premier lieu, l'affaire montre jusqu'à quel point il est difficile de savoir si une règle ou une politique d'emploi constitue de la discrimination directe, par opposition à de la discrimination indirecte. En second lieu, l'affaire nous oblige à reconnaître que la distinction qui est faite entre le critère relatif au "caractère raisonnablement nécessaire", qui s'applique dans le contexte de la discrimination directe, et le critère relatif au "lien rationnel", qui s'applique aux affaires de discrimination indirecte, n'est ni évidente ni justifiée en soi.

Les faits

En vertu de l'article 10 de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il "est susceptible d'annihiler" les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, de fixer des lignes de conduite. Selon l'article 3, la déficience constitue pareil motif. En outre, la déficience est définie à l'article 25 comme comprenant la dépendance, "présente ou passée", envers l'alcool ou la drogue. Ces dispositions sont ainsi libellées:

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience

. . .

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale:

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

. . .

25. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

. . .

"déficience" Déficience physique ou mentale, qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.

Le 1er octobre 1990, la Banque a adopté une politique sur l'abus de l'alcool et de produits intoxicants. La section se rapportant à l'abus de produits intoxicants exige que tous les employés nouveaux ou réembauchés se soumettent à une analyse d'urine dans les 48 heures de l'acceptation d'une offre d'emploi. Cette exigence figure sur la demande d'emploi de la Banque, où il est stipulé que comme condition d'emploi, le candidat à un emploi doit subir un test destiné à permettre de déceler la présence de "substances illégales". Il est déclaré que le dépistage obligatoire des drogues est effectué [traduction ] "[c]onformément à l'engagement de la Banque à assurer un milieu de travail exempt de drogues". La Banque maintient qu'elle cherche à assurer un milieu de travail exempt des effets de la consommation de drogues illégales. Sa politique est notamment fondée sur les préoccupations suivantes: les répercussions possibles sur la santé des employés et sur leur rendement au travail; la sécurité des fonds et des renseignements financiers; le lien possible entre la consommation de drogues illégales, les activités criminelles et la réputation de la Banque. Pendant toute la durée du litige, la Banque a affirmé avec insistance que le secteur bancaire est fondé sur l'honnêteté, l'intégrité et la confiance. La probité professionnelle de la Banque et de ses employés joue un rôle important, est-il allégué, dans le maintien de la confiance des clients.

Les employés nouveaux ou réembauchés qui refusent de se soumettre au test de dépistage sont congédiés pour avoir omis de se conformer à une condition d'emploi. L'employé dont le test est positif et qui a une dépendance envers la drogue peut perdre son emploi s'il refuse de se prévaloir des services de réadaptation qui sont mis à sa disposition ou si les efforts de réadaptation ne portent pas fruit. Les soi-disant usagers occasionnels de substances illicites, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas de dépendance envers la drogue, peuvent également perdre leur emploi s'ils continuent à utiliser des drogues après avoir obtenu un résultat positif au moins trois fois. Les frais de réadaptation sont pris en charge par la Banque dans la mesure où les services nécessaires ne sont pas offerts dans le cadre des régimes provinciaux d'assurance-maladie. Les employés qui participent à un programme de réadaptation ont encore droit à leur salaire et aux autres avantages sociaux. La question de la "confidentialité" n'a jamais été en cause.

En 1991, l'Association canadienne des libertés civiles (l'ACLC) a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) une plainte dans laquelle il était allégué que la politique de la Banque en matière de dépistage de drogues est un acte discriminatoire contraire à l'article 10 de la Loi. Le Tribunal des droits de la personne (le Tribunal) qui a entendu la plainte a conclu que l'article 25 de la Loi vise tant les drogues licites que les drogues illicites et non uniquement les drogues licites comme le soutenait la Banque. Le Tribunal a ensuite conclu que l'ACLC n'avait pas fourni une preuve prima facie de discrimination. En particulier, il a conclu qu'en vertu de la politique de la Banque, personne ne se voyait refuser un emploi pour dépendance envers la drogue. La plainte de l'ACLC a donc été rejetée.

Subsidiairement, le Tribunal a conclu que si la politique de la Banque était discriminatoire, il s'agissait d'une discrimination indirecte ou d'une discrimination par suite d'un effet préjudiciable et que les services de réadaptation que la Banque offrait aux employés qui avaient une dépendance envers la drogue constituaient un accommodement raisonnable jusqu'au point où il y aurait contrainte excessive. Selon cette analyse, la politique de la Banque demeure valide.

Subsidiairement encore, le Tribunal a conclu que si la politique de la Banque constituait de la discrimination directe, la plainte de l'ACLC est fondée parce que la Banque n'a pas réussi à établir le moyen de défense fondé sur l'EPJ. Le Tribunal a statué que la Banque avait agi de bonne foi, mais qu'elle ne satisfaisait pas à l'exigence voulant que sa politique soit raisonnablement nécessaire.

Je ferai ici une légère digression pour faire remarquer que, dans le contexte de la discrimination directe, les expressions "raisonnablement nécessaire" et "lien rationnel" ont toutes les deux été employées par la Cour suprême pour décrire le critère juridique auquel il faut satisfaire afin d'établir un moyen de défense fondé sur une EPJ. Dans le contexte de la discrimination indirecte, il est uniquement question dans les arrêts d'un "lien rationnel" entre la règle d'emploi neutre et le rendement professionnel. Pour éviter toute confusion, j'utiliserai l'expression "raisonnablement nécessaire" dans le contexte de la discrimination directe et du moyen de défense fondé sur une EPJ. L'expression "lien rationnel" sera réservée à la discrimination indirecte: voir ci-dessous.

La Commission a demandé le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. L'ACLC a agi à titre de partie intimée et elle agit encore à ce titre dans le présent appel. Le juge des requêtes a statué que la politique de dépistage des drogues constituait de la discrimination indirecte, mais que la Banque avait composé avec ses employés jusqu'au point de faire face à des contraintes excessives. Le juge des requêtes a reconnu qu'il y a contrainte lorsque la Banque continue à avoir à son service un employé qui ne peut pas se réadapter ou qui continue à utiliser des drogues illégales. Quant à la question de savoir si la politique de la Banque offre un accommodement raisonnable aux toxicomanes, le juge des requêtes a conclu que le Tribunal n'avait pas déterminé si la politique de la Banque avait "un lien rationnel avec le rendement" et qu'il n'avait donc pas tiré toutes les conclusions nécessaires pour trancher l'affaire. Il a donc fait droit à la demande de contrôle judiciaire et renvoyé l'affaire au Tribunal pour examen de cette question. Le juge des requêtes a ordonné que la plainte de l'ACLC soit rejetée si un lien rationnel pouvait être établi. Si le Tribunal devait tirer une conclusion contraire, le juge des requêtes lui ordonnait de conclure que la politique de la Banque constituait de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable qui n'avait pas fait l'objet d'un accommodement et qu'elle violait donc l'article 10 de la Loi.

La Banque interjette maintenant appel contre l'ordonnance par laquelle le juge des requêtes a infirmé la décision du Tribunal. Elle soutient que le Tribunal n'a pas commis d'erreur en rejetant la plainte de l'ACLC pour le motif que la politique de la Banque ne constitue pas un acte discriminatoire illicite au sens de l'article 10 de la Loi. L'ACLC interjette un appel incident en alléguant qu'il s'agit d'une affaire de discrimination directe et que la Banque n'a pas le droit d'invoquer une EPJ comme moyen de défense, et ce, pour les motifs énoncés par le Tribunal. La Commission interjette un appel incident en alléguant qu'il s'agit d'une affaire de discrimination indirecte et que la politique doit être rejetée parce qu'il n'existe pas de lien rationnel avec le rendement au travail.

Questions préliminaires

Je dois régler deux points préliminaires avant de procéder à l'examen des questions de fond ici en cause. En premier lieu, la Banque soutient que l'ACLC ne peut pas débattre la question de la discrimination directe puisque cette question n'a pas été soulevée dans l'avis de requête introductive d'instance. Il est vrai que la Commission a uniquement cherché à contester la politique de dépistage de drogues de la Banque en alléguant qu'il y avait discrimination indirecte, mais il est également vrai que la question de savoir si l'ACLC avait le droit d'invoquer la discrimination directe a été pleinement débattue devant le juge des requêtes, qui a rendu une décision en faveur de l'ACLC. Dans ces conditions, je ne suis pas prêt à infirmer la décision que le juge des requêtes a rendue au sujet de la suffisance de l'avis de requête introductive d'instance. Ce n'est pas le genre de cas dans lequel on peut dire que les plaidoiries étaient défectueuses à un point tel que la Banque a été prise par surprise. Il s'agit d'un cas dans lequel, au départ, le litige était axé sur l'allégation de discrimination directe.

Le second point à régler se rapporte à la prétention de la Banque selon laquelle la "dépendance envers la drogue" dont il est fait mention à l'article 25 de la Loi n'est pas destinée à protéger les personnes qui ont une dépendance envers des drogues "illégales". Dans ses plaidoiries écrites, la Banque a fondé cette hypothèse sur des extraits de la transcription des audiences qui ont eu lieu devant le Comité permanent de la justice et des questions juridiques au moment où le projet de loi a d'abord été présenté. Je remarque que dans les plaidoiries orales on n'a pas insisté sur ce point. Je me contenterai donc de faire une brève analyse.

À mon avis, il serait contraire à l'approche que la Cour suprême a adoptée en matière de droits de la personne d'interpréter l'article 25 de la Loi strictement en y incorporant le mot "légal" de façon à modifier l'expression "dépendance envers la drogue [légale]": voir Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor) , [1987] 2 R.C.S. 84, à la page 89. À coup sûr, il est reconnu que la dépendance envers les substances illégales est au moins aussi commune que la dépendance envers les drogues légales. Les remarques que le ministre de la Justice de l'époque, Mark MacGuigan, a faites devant le Comité permanent étaient fondées sur une analyse de l'approche américaine qui a été élaborée dans le contexte de la politique américaine concernant la "lutte contre la drogue" des années 1980. Or, notre législation n'est pas influencée par les mêmes politiques. Quoi qu'il en soit, il ne serait, à mon avis, pas pratique de protéger uniquement les individus qui ont une dépendance envers des soi-disant drogues "légales" puisque certaines de ces drogues pourraient être obtenues ou utilisées d'une façon "illégale". J'examinerai maintenant les questions de fond qui se posent en l'espèce.

Les points litigieux

Il s'agit en fin de compte de savoir si la politique de dépistage de drogues de la Banque constitue un acte discriminatoire illicite au sens de l'article 10 de la Loi. Dans ce contexte, quatre questions accessoires se posent. Premièrement, la politique de dépistage de drogues de la Banque constitue-t-elle à première vue de la discrimination? Deuxièmement, dans l'affirmative, la politique équivaut-elle à de la discrimination directe, par opposition à de la discrimination indirecte? Troisièmement, à supposer qu'il s'agisse d'un cas de discrimination directe, le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la Banque ne peut pas invoquer une EPJ comme moyen de défense? Quatrièmement, à supposer qu'il s'agisse d'un cas de discrimination indirecte, le Tribunal a-t-il statué que le critère relatif au lien rationnel n'avait pas été satisfait? La quatrième question montre jusqu'à quel point il est difficile de savoir dans quelle mesure le critère relatif au lien rationnel diffère du critère relatif à la nécessité raisonnable qui s'applique au moyen de défense fondé sur une EPJ. Toute analyse est fondée au départ sur les motifs pour lesquels le Tribunal a conclu que l'ACLC n'avait pas réussi à présenter une preuve prima facie de discrimination.

Conclusion du Tribunal selon laquelle il n'y avait pas à première vue de discrimination

À mon avis, le Tribunal a commis une erreur en concluant qu'on n'avait pas fourni une preuve prima facie de discrimination. Selon la Banque, deux passages cruciaux des motifs du Tribunal montrent ce sur quoi était fondée la conclusion relative à l'"absence de discrimination" (motifs du Tribunal, aux pages 211 et 212):

Le Tribunal considère que, lorsqu'il est mis fin à un emploi à la suite du refus d'un employé de se conformer à la politique de la Banque, qu'il s'agisse du refus de fournir un échantillon d'urine ou d'un refus manifesté à un stade ultérieur du processus de dépistage, le congédiement découle d'une violation d'une condition d'emploi et il n'est pas nécessaire d'examiner s'il existe une "présomption de dépendance envers la drogue".

. . .

Le Tribunal conclut que le congédiement final ne découle pas d'une présomption de déficience (dépendance envers la drogue), mais plutôt de la consommation répétée d'une substance illégale même si, dans certains cas, la personne visée peut souffrir de toxicomanie. Par conséquent, la politique de la Banque ne constitue pas de la discrimination pour un motif de distinction illicite au sens de la LCDP.

Les passages précités étayent la thèse selon laquelle ce n'est pas la politique de la Banque qui est susceptible d'annihiler les chances d'emploi des individus qui ont une dépendance envers la drogue; c'est plutôt l'omission de ces derniers de se conformer à la politique. Partant, la politique n'est pas discriminatoire. Il y a inobservation de la politique lorsqu'un individu qui a une dépendance envers la drogue refuse de participer au programme de réadaptation ou lorsque les tentatives de réadaptation s'avèrent infructueuses. Bref, il est soutenu qu'on ne saurait blâmer la Banque de congédier quelqu'un qui continue à consommer des substances illégales, compte tenu des services de réadaptation qu'elle met à ses frais à la disposition des employés. Ce ne sont pas les actions de la Banque ou une faute commise par la Banque qui mènent à la cessation d'emploi, mais le fait que l'employé nouveau ou réembauché omet de se soumettre au test de dépistage de drogues ou de cesser d'utiliser des drogues illégales conformément aux conditions de son contrat d'emploi. Cet argument est fondé sur la conviction que la Banque a le droit d'insister pour avoir un milieu de travail dans lequel les drogues illégales ne sont pas utilisées, étant donné qu'elle est prête à prendre des mesures raisonnables d'accommodement à l'égard des employés qui ont une dépendance envers la drogue. (Je ne tiens pas compte du fait que la politique de la Banque n'a pas une portée assez large dans la mesure où elle ne s'applique pas aux employés embauchés avant la date à laquelle la politique a d'abord été mise en œuvre. La Banque ne semble pas se préoccuper de l'"intégrité" des employés embauchés avant l'entrée en vigueur de la politique ou de la capacité de ceux-ci de s'acquitter avec compétence des tâches assignées.)

À mon avis, l'argument susmentionné est défectueux, et ce, pour deux raisons importantes. En premier lieu, il est fondé sur la conviction erronée que le fait que l'employeur plaide avec succès l'accommodement raisonnable rend non discriminatoire ce qui constitue à première vue de la discrimination. Or, le fait qu'il est conclu à l'existence d'un accommodement raisonnable n'empêche pas de tirer une conclusion de droit selon laquelle une politique d'emploi a un effet discriminatoire sur certains employés. C'est pourquoi il est question dans la jurisprudence du fait qu'il existe "à première vue de la discrimination". La doctrine de l'accommodement constitue un moyen de défense lorsqu'il existe une preuve prima facie de discrimination; cette doctrine n'a pas pour effet d'éliminer pareille discrimination. Dans le contexte de la Loi, ce moyen de défense, une fois qu'il est établi, a pour effet d'exclure l'acte discriminatoire de la catégorie des actes illicites.

Je m'oppose à la conclusion du Tribunal relative à l'absence de discrimination pour une autre raison: en effet, le Tribunal ne s'est pas rendu compte que si une règle d'emploi n'est pas "raisonnablement nécessaire", ou s'il n'existe aucun "lien rationnel" entre la règle et le rendement au travail, il importe peu que l'employeur veuille composer avec ses employés. Une simple analogie permet de confirmer le bien-fondé de cette conclusion. Supposons que la Banque mette en œuvre une politique obligeant les caissiers à porter un casque protecteur dans toutes ses succursales pendant les heures de bureau. Supposons également que la Banque soit prête à composer avec les employés (par exemple, avec les Sikhs) qui s'opposent à la règle pour des motifs religieux. Dans ces circonstances extrêmes, le bon sens permettrait selon moi de considérer la règle que la Banque a adoptée au sujet du "casque protecteur" comme n'étant ni raisonnablement nécessaire ni rationnellement liée au rendement professionnel et partant, inapplicable. Si l'on est prêt à retenir cette conclusion, il s'ensuit nécessairement que l'offre d'accommodement de la Banque ne constitue plus une considération pertinente. C'est pourquoi je suis d'avis que le Tribunal a commis une erreur en concluant que la politique de la Banque ne constitue pas à première vue de la discrimination.

Avant d'examiner les autres questions, j'aimerais parler d'un argument qui a été avancé en première instance et devant cette Cour, lequel à mon avis n'est pas fondé. Il est soutenu qu'étant donné que tous les consommateurs de drogues, c'est-à-dire les individus qui ont une dépendance envers la drogue ainsi que les consommateurs occasionnels de drogues, sont traités de la même façon en vertu de la politique de la Banque, il ne peut pas y avoir discrimination. La Banque soutient qu'il était approprié pour le Tribunal de tenir compte du fait que tant les consommateurs qui avaient une dépendance envers la drogue que les consommateurs qui n'avaient pas de dépendance (soit les consommateurs occasionnels) risquaient d'être congédiés lorsqu'il a conclu que la politique ne crée pas de distinction illicite.

À mon avis, l'argument susmentionné n'est pas pertinent. Il ne s'agit pas de savoir si les consommateurs occasionnels de drogues illégales et les individus qui ont une dépendance envers la drogue sont traités de la même façon. Il s'agit fondamentalement de savoir si la politique de la Banque est susceptible d'annihiler les chances d'emploi des individus qui ont une dépendance envers la drogue. À vrai dire, il y a plusieurs façons de définir aux fins d'une comparaison les groupes qui sont touchés par la politique de dépistage de drogues de la Banque. Ainsi, il serait possible d'élargir les groupes de façon à inclure tous les employés qui avaient été embauchés avant que la Banque ait adopté cette politique en 1990. Cependant, ce genre d'analyse est tout simplement inutile compte tenu du libellé précis de l'article 10 de la Loi. Cette disposition définit ce qui constitue de la discrimination et il n'est donc même pas nécessaire de se reporter à la définition donnée en common law: voir Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143.

La discrimination directe et la discrimination indirecte

Je ne vois pas comment il est possible de ne pas conclure que la politique de dépistage de drogues de la Banque constitue à première vue un acte discriminatoire. Je le dis parce qu'en vertu de la politique de la Banque, il est possible que les employés qui ont une dépendance envers la drogue perdent l'emploi qu'ils viennent d'obtenir. Une politique d'emploi qui vise à assurer un milieu de travail dans lequel on ne consomme pas de drogues illégales doit nécessairement avoir un effet préjudiciable sur les toxicomanes. À coup sûr, la politique de la Banque constitue à première vue de la discrimination, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une ligne de conduite qui "est susceptible d'annihiler" les chances d'emploi des individus qui ont une dépendance envers la drogue au sens de l'article 10 de la Loi. En outre, il faut se rappeler qu'à ce stade de l'analyse, il importe peu que la politique de la Banque soit protégée par un moyen de défense fondé sur une EPJ ou par la doctrine de l'accommodement. Une fois qu'il est reconnu que cette politique constitue à première vue de la discrimination, il faut se demander si elle constitue de la discrimination directe par opposition à de la discrimination indirecte. Il est opportun d'expliquer pourquoi cette distinction est pertinente.

L'approche à double volet que la Cour suprême a adoptée à l'égard de la discrimination est d'un intérêt immédiat au point de vue des moyens de défense que l'employeur peut invoquer. Dans les cas de discrimination directe, l'employeur doit satisfaire aux exigences du critère relatif aux EPJ, à défaut de quoi la règle d'emploi contestée doit être rejetée. Si l'employeur réussit à faire valoir ce moyen de défense, la règle d'emploi s'applique. En outre, on estime généralement que l'employeur n'est pas tenu de composer avec des employés individuels. Dans les cas de discrimination indirecte, l'employeur n'a pas à satisfaire aux exigences qui s'appliquent au moyen de défense fondé sur une EPJ. La règle d'emploi continue à s'appliquer. L'employeur est uniquement tenu de faire des efforts raisonnables pour composer avec les individus lésés. Des efforts d'accommodement doivent être faits dans la mesure où cela ne crée pas de contraintes excessives.

En ce qui concerne les décisions rendues par la Cour suprême, la distinction entre la discrimination directe et la discrimination indirecte n'a pas posé de problèmes en ce qui concerne le résultat juridique qui a été obtenu. Il est vrai que dans l'arrêt Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561, la Cour suprême a considéré la règle du "casque de sécurité" comme constituant de la discrimination directe, mais elle a par la suite rangé cette règle, dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission) , [1990] 2 R.C.S. 489, dans la catégorie de la discrimination indirecte. Néanmoins, le résultat juridique n'a pas changé. Dans toutes les affaires de droits de la personne sur lesquelles la Cour suprême s'est prononcée sauf une, la plainte se rapportait soit à la discrimination religieuse soit à la discrimination fondée sur l'âge. L'affaire Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279, dans laquelle le motif de discrimination allégué était fondé sur l'"état civil", est l'exception. En l'espèce, il faut absolument savoir si la politique de dépistage de drogues de la Banque est considérée comme une forme de discrimination directe ou comme une forme de discrimination indirecte compte tenu des moyens de défense contradictoires dont la Banque peut se prévaloir et des critères différents auxquels il faut satisfaire. La distinction entre ces deux formes de discrimination a d'abord été énoncée dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autre , [1985] 2 R.C.S. 536 (ci-après appelé l'arrêt O'Malley). Voici ce que le juge McIntyre a dit (à la page 551):

On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu'on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable en matière d'emploi. À cet égard, il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, "Ici, on n'embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir" . . . D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. Essentiellement pour les mêmes raisons qui sous-tendent la conclusion que l'intention d'établir une distinction n'est pas un élément nécessaire de la discrimination proscrite par le Code, je suis d'avis que cette Cour peut considérer que la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, décrite dans les présents motifs, contrevient au Code. Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer.

Bref, il y a discrimination directe lorsque l'employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction illicite. La discrimination indirecte est caractérisée par une règle ou une politique neutre d'application générale qui a uniquement un effet discriminatoire sur un sous-groupe. La discrimination est parfois qualifiée, dans le langage courant, de discrimination intentionnelle ou de discrimination non intentionnelle. La discrimination directe exige un motif alors que la discrimination indirecte est accidentelle. Dans l'arrêt Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, le juge Cory fait remarquer (à la page 541) que "[l]a discrimination par suite d'un effet préjudiciable peut survenir tout à fait involontairement". Cependant, il est clair en droit qu'il importe peu que la discrimination soit intentionnelle ou non. C'est l'effet de la politique qui a une importance cruciale.

Dans les motifs ci-après énoncés, je conclus que la politique de la Banque ne satisfait pas exactement aux critères établis pour qu'une règle d'emploi soit considérée comme constituant de la discrimination indirecte. Je conclus également que la politique de la Banque est, à première vue, directement discriminatoire. J'examinerai d'abord les critères qui s'appliquent pour qu'une règle ou une politique d'emploi soit considérée comme de la discrimination indirecte.

La politique de la Banque constitue-t-elle de la discrimination indirecte?

Il faut concéder que la politique de dépistage de drogues de la Banque satisfait à l'un des deux critères qui s'appliquent aux affaires de présumée discrimination indirecte. La politique s'applique à tous les employés nouveaux ou réembauchés, mais elle a uniquement un effet préjudiciable sur un sous-groupe. Ce groupe restreint est composé des consommateurs de drogues illégales, et notamment des individus qui pourraient s'avérer dépendants envers la drogue. Toutefois, c'est à l'égard du second critère que l'argument en faveur d'une conclusion de discrimination indirecte doit être rejeté. Je ne puis comprendre comment il est raisonnablement possible de maintenir que la politique de la Banque satisfait au critère de la "neutralité".

À mon avis, la politique de dépistage de drogues de la Banque n'est pas plus neutre qu'une politique qui exige que tous les employés éventuels se soumettent à un test de grossesse. Dans un certain sens, pareille règle est neutre parce qu'elle s'applique tant aux hommes qu'aux femmes; pourtant, elle n'a nécessairement des répercussions que sur les femmes et, qui plus est, sur les femmes enceintes. Pareille politique est-elle moins discriminatoire qu'une politique qui prévoit qu'aucune femme enceinte ne peut présenter une demande d'emploi? Il est franchement difficile de comprendre pourquoi une politique qui vise à éliminer la consommation de drogues illégales dans le milieu de travail peut être qualifiée de "neutre" puisque, de toute évidence, elle aura un effet immédiat ou direct sur les individus qui ont une dépendance envers la drogue.

Je ne puis concevoir qu'une règle d'emploi soit neutre lorsqu'elle vise à éliminer les employés qui appartiennent à une catégorie protégée par la législation sur les droits de la personne. Une politique d'emploi qui vise à assurer un milieu de travail exempt de drogues ne devrait pas être considérée comme neutre lorsqu'elle est conçue de façon à s'appliquer à tous les individus qui utilisent des drogues illégales et, nécessairement, à ceux qui ont une dépendance envers la drogue. La politique de la Banque s'oppose carrément aux règles d'emploi que la Cour suprême a considérées comme constituant des formes indirectes de discrimination. À coup sûr, il est difficile de comparer la politique de dépistage de drogues de la Banque et une règle d'emploi selon laquelle les employés doivent porter un casque protecteur sur un chantier de construction, ou une politique selon laquelle les employés doivent effectuer du travail par poste pendant la fin de semaine ou pendant la semaine. Il est plus probable qu'une règle neutre soit axée sur la façon dont le travail doit être accompli plutôt que sur des personnes isolées que l'on juge incapables de s'acquitter d'une façon adéquate des tâches assignées à cause d'une déficience: voir par exemple Bhinder, supra; O'Malley, supra; Dairy Pool, supra; Bergevin, supra.

La politique de la Banque constitue-t-elle de la discrimination directe?

À supposer que la politique de dépistage de drogues de la Banque ne soit pas considérée comme de la discrimination indirecte parce qu'elle n'est pas neutre, il reste à décider si elle constitue de la discrimination directe. Pour être considérée comme telle, la politique doit être "à première vue discriminatoire". Je concède volontiers qu'il ne s'agit pas ici d'un cas de discrimination directe si, par définition, cela ne s'applique que dans des circonstances où la règle contestée vise expressément à traiter différemment un groupe précis. Cela nous mène à nous demander si l'exemple de discrimination directe donné par le juge McIntyre "Ici, on n'embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir" était destiné à limiter la portée de la discrimination directe aux cas d'exclusion expresse de groupes précis. En l'espèce, il s'agit de savoir si le fait que les "individus qui ont une dépendance envers la drogue" ne sont pas expressément mentionnés dans la politique de la Banque nous empêche de conclure à la discrimination directe. Je ne le crois pas, et ce, pour la raison même que la plupart des commentateurs donnent. Sauf dans les cas de discrimination fondée sur l'âge, il est peu probable qu'une règle ou une politique d'emploi soit libellée en des termes discriminatoires aussi évidents. La distinction entre la discrimination directe et la discrimination indirecte en dehors du contexte de l'âge et de la discrimination religieuse devient donc chimérique: voir Shelagh Day et Gwen Brodsky, "The Duty to Accommodate: Who will Benefit" (1996), 75 R. du B. can. 433; Anne M. Molloy, "Disability and the Duty to Accommodate" (1993), 1 Can. Lab. L.J. 23, à la page 37.

Ainsi, Transports Canada ne manquerait pas de tact à un point tel qu'il annoncerait publiquement que les aveugles n'ont pas à demander une licence de pilote. Il serait suffisant d'exiger que tous les candidats passent un test d'acuité visuelle de façon à éliminer les candidats qui présentent un danger pour leur propre sécurité et pour celle du public. Cependant, la politique selon laquelle les aveugles ne peuvent pas présenter de demande est-elle différente de celle qui exige que tous les candidats à un emploi passent un test d'acuité visuelle? Le libellé différent des deux exigences est-il suffisant pour qu'il soit possible de conclure à la discrimination indirecte plutôt qu'à la discrimination directe? Je ne le crois pas.

Je ne vois pas pourquoi il faudrait qu'une politique d'emploi contestée soit manifestement restrictive pour qu'il soit possible de la considérer comme de la discrimination directe. Il peut également y avoir discrimination directe lorsque l'exclusion d'un groupe protégé est évidente sur simple lecture de la politique contestée. La politique de la Banque visant à assurer un milieu de travail exempt de drogues doit nécessairement avoir un effet sur les individus qui ont une dépendance envers la drogue. Il existe entre la politique de la Banque et la catégorie des individus qui ont une dépendance envers la drogue un lien suffisant pour permettre de conclure à la discrimination directe. Bref, je conclus que la politique de la Banque visant à éliminer les employés qui consomment la drogue de son milieu de travail est "à première vue" directement discriminatoire.

Je me rends bien compte que lorsqu'il est décidé que la politique de dépistage de drogues de la Banque constitue de la discrimination directe, les personnes qui sont atteintes d'une déficience font encore face à un autre obstacle lorsqu'elles cherchent à être admises et acceptées dans les milieux professionnels canadiens. S'il est conclu qu'une règle ou une politique d'emploi constitue une forme de discrimination directe, à supposer que l'employeur puisse invoquer une EPJ comme moyen de défense, le droit n'impose pas d'obligation d'accommodement raisonnable. Cette lacune pourrait empêcher les personnes atteintes d'une déficience d'obtenir un emploi qu'elles peuvent exercer avec compétence, à condition que le milieu physique de travail soit modifié ou que des concessions mineures soient faites au sujet de l'étendue des tâches assignées. Certaines assemblées législatives provinciales ont répondu à ce problème. Ainsi, en 1986, la législation de l'Ontario a été modifiée de façon à incorporer l'obligation d'accommodement en tant qu'élément essentiel dans les affaires de discrimination directe: voir le Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19 de l'Ontario. À ce jour, la Loi canadienne sur les droits de la personne n'a pas été modifiée en conséquence. La question de savoir si la Cour suprême est prête à réexaminer la doctrine à double volet relative à la discrimination qu'elle a adoptée relève de sa compétence exclusive.

Le moyen de défense fondé sur une EPJ

Si l'on reconnaît que la politique de la Banque constitue de la discrimination directe, cette politique constitue un acte discriminatoire illicite à moins que la Banque ne satisfasse aux exigences du moyen de défense fondé sur une EPJ. Les paramètres juridiques de ce moyen de défense sont énoncés dans la décision que la Cour suprême a rendue dans l'affaire Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202. Ici encore, le juge McIntyre a prononcé les motifs au nom de la Cour; voici ce qu'il a dit (en page 208):

Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.

Bref, pour que l'employeur fasse valoir avec succès le moyen de défense fondé sur une EPJ, il doit établir selon la prépondérance des probabilités: (1) qu'il était de bonne foi en imposant la politique, et ce, à des fins liées au rendement professionnel; et (2) que la politique est raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail en question. Le premier critère est considéré comme l'élément subjectif du moyen de défense et le second comme l'élément objectif. Dans l'arrêt Brossard, supra, aux pages 311 et 312, le juge Beetz a donné des précisions au sujet de l'élément objectif:

. . . en l'espèce cette "nécessité raisonnable" peut être examinée en fonction des deux questions suivantes:

(1) L'aptitude ou la qualité a-t-elle un lien rationnel avec l'emploi en question? C'est là un moyen de déterminer si le but visé par l'employeur en établissant l'exigence convient objectivement au poste en question. Dans l'affaire Etobicoke, par exemple, la force physique évaluée selon l'âge avait un lien rationnel avec le travail de pompier.

(2) La règle est-elle bien conçue de manière que l'exigence quant à l'aptitude ou à la qualité puisse être remplie sans que les personnes assujetties à la règle ne se voient imposer un fardeau excessif? Cela nous permet d'examiner le caractère raisonnable des moyens choisis par l'employeur pour vérifier si l'on satisfait à cette exigence dans le cas de l'emploi en question. Par exemple, l'âge de la retraite obligatoire à soixante ans dans l'affaire Etobicoke était d'une sévérité disproportionnée à son objectif qui était de s'assurer que tous les pompiers possédaient la force physique nécessaire pour s'acquitter de leurs fonction.

De toute évidence, dans l'arrêt Brossard, il est question du lien rationnel en tant qu'élément du critère relatif à la nécessité raisonnable énoncé dans l'arrêt Etobicoke, supra. Le passage précité définit de nouveau l'élément objectif du moyen de défense fondé sur une EPJ de façon à inclure deux critères objectifs: (1) l'exigence professionnelle doit avoir un lien rationnel avec l'emploi en question; et (2) la politique est conçue de façon que l'exigence puisse être satisfaite sans imposer un fardeau excessif aux personnes concernées. Cette dernière exigence a été interprétée comme imposant à l'employeur l'obligation de démontrer qu'il n'existe aucune autre solution plus raisonnable ou de caractère moins attentatoire. Ainsi, une règle exigeant une évaluation individuelle de l'aptitude physique des agents de police est plus raisonnable ou moins contraignante qu'une règle prévoyant la retraite obligatoire à 60 ans: voir le juge Sopinka dans l'arrêt Large c. Stratford (Ville), [1995] 3 R.C.S. 733, à la page 750.

Enfin, le Tribunal a conclu que le moyen de défense fondé sur une EPJ n'avait pas été établi. Quant à l'élément subjectif du critère, le Tribunal a statué que la Banque était de bonne foi. À la page 216 de ses motifs, il a dit que "les dirigeants de la Banque satisfont à l'exigence selon laquelle ils doivent agir honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que la politique est adoptée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question".

Quant à l'élément objectif du critère, le Tribunal a décrit comme suit le contexte analytique pertinent (à la page 216):

. . . nous devons examiner relativement à l'élément objectif du critère le lien rationnel entre le but visé par la politique et l'exécution du travail ou la "nécessité raisonnable" dont le juge Beetz a traité dans l'arrêt Brossard .

Comme l'a dit le juge Beetz, il faut tout d'abord à cette fin examiner l'exigence imposée par l'employeur afin de déterminer si elle est, d'un point de vue objectif, appropriée, et ensuite la méthode qu'il a choisie pour vérifier s'il a satisfait à cette exigence.

Bref, le Tribunal considérait que sa tâche était double. En premier lieu, il a examiné objectivement le bien-fondé des motifs pour lesquels la Banque avait adopté la politique. Sur ce point, il a parlé de "lien rationnel" et de "nécessité raisonnable" d'une façon interchangeable. En second lieu, il s'est demandé si la Banque disposait de solutions de rechange raisonnables qui étaient moins contraignantes pour les employés nouveaux ou réembauchés.

Selon les motifs du Tribunal, la Banque a avancé trois arguments à l'appui de la position voulant que la politique de dépistage obligatoire des drogues soit raisonnablement nécessaire ou qu'elle ait un lien rationnel avec le rendement au travail. J'examinerai chaque argument ainsi que la réponse du Tribunal.

Premièrement, la Banque a maintenu qu'il existait un problème de toxicomanie. Elle a soutenu que son personnel constitue un microcosme de la société canadienne et qu'étant donné que la consommation de drogues illégales est courante dans cette société, elle doit également l'être dans le secteur bancaire. En réponse, le Tribunal a d'abord fait remarquer qu'aucune recherche n'avait été effectuée afin d'étayer ce qu'il a décrit comme des hypothèses relevant de l'impression. Il a mentionné en se fondant sur le sens commun, que compte tenu de facteurs tels que les exigences en matière de formation, les effectifs de la Banque pouvaient différer considérablement de la population en général. Bref, la preuve n'étayait pas la thèse selon laquelle il existait un problème de toxicomanie parmi les employés de banque.

Le deuxième argument de la Banque était axé sur la relation qui existe entre la consommation de drogues illégales et la criminalité. La Banque a maintenu qu'il existe une corrélation entre la consommation de drogues illégales et la criminalité et qu'elle se préoccupait avec raison de la possibilité que les employés soient en contact avec les "éléments criminels" de la société. En réponse, le Tribunal a conclu que certains éléments de preuve étayaient l'existence d'une corrélation entre la criminalité et la consommation de drogues illégales, mais qu'aucune relation de cause à effet n'avait été établie. Le Tribunal a fait remarquer qu'au cours des 18 mois où la politique avait été en vigueur, 57 vols avaient été commis par des employés de la Banque, mais qu'aucun de ces vols n'était lié à la consommation de drogue. De fait, il avait été question dans la preuve d'un seul cas de vol par un employé de la Banque qui souffrait de toxicomanie et cet employé était un cadre qui avait été embauché avant que la politique soit mise en œuvre, de sorte qu'il n'aurait pas été assujetti à un test de dépistage de drogues.

Enfin, la Banque a affirmé avec insistance que la consommation de drogue avait un effet sur la productivité ou sur le rendement au travail. Le Tribunal a reconnu que selon certains éléments de preuve se rapportant à la consommation de drogue au sein du service postal américain, il existait une corrélation entre un test de dépistage dont le résultat était positif et le rendement au travail. Cependant, en l'absence de quelque élément de preuve établissant l'existence d'un problème de toxicomanie au sein des effectifs de la Banque, le Tribunal a statué qu'il ne pouvait pas voir comment cette preuve pourrait aider à établir le moyen de défense fondé sur une EPJ invoqué par la Banque. En outre, le Tribunal a statué que la Banque n'avait pas présenté d'éléments de preuve indiquant qu'il existait une corrélation démographique entre les employés du service postal américain et les employés de banque canadiens. Le Tribunal a ensuite fait remarquer qu'après plus de deux ans, au cours desquels plusieurs milliers de tests de dépistage avaient été effectués, la preuve permettait de conclure que le nombre d'employés nouveaux ou réembauchés qui consommaient de la drogue était très faible.

Quant à la question de savoir si la politique de dépistage de la Banque est raisonnablement nécessaire en vue d'assurer le rendement au travail, le Tribunal a tiré une conclusion négative. Il a conclu que si le dépistage obligatoire était réellement nécessaire, il devrait s'appliquer à tous les employés et être effectué sur une base régulière. Le Tribunal a statué que la méthode que la Banque avait choisie pour régler les problèmes possibles de toxicomanie comme le mauvais rendement et l'illégalité était de nature attentatoire et pourrait uniquement être considérée comme raisonnable si la Banque réussissait à démontrer que la chose menaçait sérieusement les autres employés et le public. De l'avis du Tribunal, la Banque n'avait pas réussi à le démontrer.

Après s'être prononcé sur les arguments avancés à l'appui de la décision de la Banque de mettre en œuvre sa politique de dépistage obligatoire, le Tribunal a examiné l'élément du critère objectif concernant les "solutions de rechange raisonnables". Sur ce point et étant donné l'absence de preuve convaincante à l'appui de l'existence d'un problème de toxicomanie, le Tribunal s'est posé la question de pure forme suivante [à la page 218]: "Si la surveillance constitue la méthode d'évaluation individuelle pour la majorité des employés, pourquoi n'en serait-il pas de même pour les nouveaux employés et pour les employés réembauchés même si la preuve a indiqué qu'il s'agissait d'une méthode imparfaite?" Cela laisse implicitement entendre que le Tribunal a conclu que la Banque n'avait pas démontré que, parmi les méthodes raisonnables d'évaluation du rendement, le dépistage obligatoire était la méthode la moins attentatoire. La méthode d'évaluation habituelle"l'observation" permet d'atteindre les mêmes objectifs sans poser de problèmes sur le plan de la vie privée.

Dans le cadre du contrôle judiciaire et en appel, la Banque a contesté la conclusion du Tribunal selon laquelle elle ne pouvait pas invoquer une EPJ comme moyen de défense. La Banque se trouve en fait à contester carrément les diverses conclusions tirées par le Tribunal et à affirmer que le Tribunal n'a pas tenu compte d'une façon appropriée de la preuve. Je ne puis constater de la part du Tribunal l'existence d'aucune erreur permettant d'infirmer la décision qu'il a rendue à cet égard. Toutefois, la Banque a soulevé deux questions que j'aimerais examiner. La première se rapporte à l'argument invoqué tant dans l'exposé que dans l'argumentation que la Banque a présentés devant la Cour au sujet de son "intégrité".

L'argument serait peut-être plus convaincant s'il s'appliquait à des agents de la paix ou à des athlètes professionnels ou amateurs. Cependant, je ne puis voir comment il étaye la preuve de la Banque. Toute relation de travail est fondée sur l'intégrité. La question de savoir si cela a une importance cruciale pour les banques ou, comme il a été allégué, si les banques ont des préoccupations spéciales, est dans une large mesure non justiciable.

La seconde question que j'aimerais examiner se rapporte à l'argument selon lequel la Banque ne disposait pas d'un personnel surveillant suffisant pour déceler la consommation de drogues chez les employés. La Banque soutient qu'un employé qui est sous l'emprise d'une substance illégale peut néanmoins être capable de s'acquitter adéquatement de son travail, de sorte que l'observation ne permettrait pas de déceler l'existence d'un problème. À mon sens, ce raisonnement confirme l'absence de lien entre la règle et le rendement au travail.

Le motif subsidiaire: la discrimination indirecte

À supposer que j'aie tort de conclure à la "discrimination directe", je suis prêt à examiner l'argument subsidiaire selon lequel la politique de dépistage de drogues de la Banque constitue de la "discrimination indirecte". Il faut donc examiner deux questions. La première se rapporte à la distinction qu'il convient de faire entre le critère relatif au "lien rationnel" qui s'applique dans les affaires de discrimination indirecte et le critère relatif au "caractère raisonnablement nécessaire" ou au "lien rationnel" qui s'applique dans les affaires de discrimination directe. En second lieu, il s'agit de savoir si le Tribunal a commis une erreur en concluant qu'il y avait eu accommodement raisonnable de la part de la Banque. Compte tenu de la conclusion que j'ai tirée au sujet de la première question, je n'ai pas à examiner la seconde question.

J'ai déjà énoncé les éléments du critère relatif au caractère raisonnablement nécessaire lorsqu'il s'agit d'établir l'existence d'une EPJ dans les cas de discrimination directe. Comme je l'ai déjà dit, il faut satisfaire à trois exigences: (1) l'employeur doit avoir été de bonne foi en adoptant la politique d'emploi; (2) la politique doit être raisonnablement nécessaire en ce sens qu'il existe un lien rationnel entre la politique et le rendement professionnel; et (3) il n'existe aucune solution de rechange raisonnable et moins contraignante. J'examinerai maintenant les éléments du critère relatif au lien rationnel qui s'applique aux affaires de discrimination indirecte. Il n'y a que deux arrêts de la Cour suprême qui portent sur cette question.

Dans l'arrêt O'Malley, supra, le juge McIntyre a brièvement mentionné que dans les affaires de discrimination indirecte, la règle d'emploi doit être "adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires". Dans cette affaire-là, la règle d'emploi neutre en question exigeait que les employés travaillent le vendredi soir et le samedi. La plaignante avait allégué qu'il y avait discrimination pour le motif que sa religion ne lui permettait pas de travailler ces jours-là. Le juge McIntyre a ensuite dit que, lorsqu'une règle d'emploi donne lieu à de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, "et que la règle incriminée est raisonnablement liée à l'exercice des fonctions" (à la page 559), l'employeur doit établir qu'il y a eu accommodement raisonnable de sa part. Le juge McIntyre a simplement dit que la règle d'emploi avait un lien rationnel pour le motif que "l'employeur est légalement autorisé à exploiter une entreprise et à l'ouvrir le samedi" (aux pages 555 et 556). Apparemment, l'employeur n'avait présenté aucun élément de preuve établissant l'existence d'un lien rationnel et la Cour suprême n'en a exigé aucun.

La seule autre décision concernant la discrimination indirecte qui est pertinente aux fins qui nous occupent est celle que la Cour suprême a rendue dans l'affaire Dairy Pool, supra. Comme dans l'affaire O'Malley, il s'agissait du cas d'un employé qui était tenu de travailler un jour saint. L'employeur n'exploitait pas son entreprise pendant la fin de semaine de sorte que le lundi était une journée chargée. Le plaignant, qui avait refusé de travailler un lundi à cause d'une obligation religieuse, avait été congédié. Au nom de la majorité, le juge Wilson a cité l'arrêt O'Malley et a statué que l'employeur était "autorisé . . . à organiser ses activités de manière à arrêter la production en fin de semaine de sorte que le lundi est une journée particulièrement chargée" (à la page 520). Il a donc été conclu que l'employeur avait établi que la règle d'emploi satisfaisait au critère relatif au lien rationnel.

Les raisonnements qui sont faits dans les arrêts O'Malley et Dairy Pool n'indiquent ni dans un cas ni dans l'autre quelles sont les limites du critère relatif au lien rationnel. Dans chaque cas, la Cour suprême s'est contentée de conclure que la règle d'emploi neutre avait un tel lien. Dans chaque cas, cette conclusion était étayée sur le fait que le bon sens montrait que la règle était nécessaire et qu'elle avait un lien rationnel avec le travail. Personne ne s'attendrait à ce que l'employeur prouve que l'obligation de porter un casque de sécurité sur un chantier de construction a un lien rationnel avec le rendement professionnel ou, plus exactement, avec la sécurité de l'employé. Personne ne s'attend non plus à ce que l'employeur s'attarde à prouver le bien-fondé de la décision qu'il a prise d'exercer ses activités pendant la fin de semaine.

À bien y penser, il est contestable qu'une règle d'emploi neutre donnant lieu à de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable soit une condition à l'égard de laquelle il n'est tout simplement pas nécessaire de démontrer qu'elle a un lien rationnel avec le rendement professionnel. Il est possible d'en arriver à la conclusion de droit nécessaire en se fondant sur le bon sens pour déterminer ce qui est raisonnable dans le milieu de travail. Bien sûr, cette façon de penser étaye simplement la position que j'ai ci-dessus prise, à savoir que la politique de la Banque constitue une forme de discrimination directe.

On s'est demandé ailleurs si le critère relatif au "lien rationnel" qui s'applique dans les affaires de discrimination indirecte, tel qu'il est énoncé dans les arrêts O'Malley et Dairy Pool, représente un recul par rapport à la norme de la "nécessité raisonnable" établie dans l'arrêt Etobicoke , supra et précisée dans l'arrêt Brossard, supra: voir Brian Etherington, "Central Alberta Dairy Pool: The Supreme Court of Canada's Latest Word on the Duty to Accommodate" (1993), 1 Can. Lab. L.J. 311.

Personnellement, je ne puis comprendre pourquoi un critère moins rigoureux devrait s'appliquer, en ce qui concerne le lien rationnel, dans le contexte de la discrimination indirecte. Ainsi, s'il est possible d'adopter une autre solution raisonnable que la solution prévue par la politique de dépistage de drogues de la Banque et si cette solution (par exemple l'évaluation au moyen de l'observation) est moins attentatoire ou contraignante pour les individus touchés, pourquoi importerait-il que cette politique constitue de la discrimination indirecte par opposition à de la discrimination directe? Malheureusement, la jurisprudence semble étayer la position voulant qu'il y ait une différence entre les deux critères. Voici ce que le juge Wilson a dit dans l'arrêt Dairy Pool, à la page 507:

Il faut remarquer qu'il n'est pas essentiel que la règle de travail à laquelle s'applique l'obligation d'accommodement soit "raisonnablement nécessaire", c'est-à-dire qu'elle soit une EPN. Il importe seulement qu'elle soit "une condition ou [. . .] une règle qui est raisonnablement liée à l'exécution des fonctions".

Le passage susmentionné étaye la thèse selon laquelle, dans les affaires de discrimination indirecte, les employeurs n'ont pas l'obligation additionnelle de satisfaire à toutes les exigences du moyen de défense fondé sur une EPJ. Ils doivent plutôt établir qu'ils étaient de bonne foi, que la règle a un lien rationnel avec le rendement professionnel et enfin, qu'ils sont prêts à prendre des mesures d'accommodement raisonnables à l'égard des employés auxquels la règle ou politique d'emploi neutre cause un préjudice. Le fait qu'il existe une différence entre le critère relatif au "caractère raisonnablement nécessaire" et le critère relatif au "lien rationnel" doit être reconnu en tant que doctrine judiciaire. Cependant, la jurisprudence ne montre pas d'une façon évidente quelle est l'étendue précise de chaque critère.

Je suis prêt à reconnaître que le "critère relatif au lien rationnel" diffère du "critère relatif à la nécessité raisonnable" dans la mesure où il n'oblige pas l'employeur à établir qu'il existe d'autres solutions raisonnables et moins contraignantes par rapport à la règle de travail neutre. Je le dis uniquement parce que s'il existe en droit une distinction entre les deux critères, la seule différence importante doit reposer sur le "critère relatif à la solution de rechange raisonnable". Toutefois, la Cour suprême devrait se prononcer sur la question de savoir si la distinction est rationnellement justifiée.

Cette affaire est non seulement d'autant plus compliquée parce qu'on ne sait pas trop quels sont les paramètres du critère relatif à la nécessité raisonnable et du critère relatif au lien rationnel, mais aussi parce que le Tribunal n'a pas tiré de conclusion expresse au sujet de la question de savoir si la politique de dépistage de drogues de la Banque satisfaisait au critère relatif au lien rationnel qui s'applique aux affaires de discrimination indirecte. Toutefois, toutes les parties conviennent que le Tribunal a statué que le critère relatif au lien rationnel est l'un des trois critères à satisfaire pour établir le moyen de défense fondé sur une EPJ. Il est reconnu que si le Tribunal a en fait conclu qu'il n'existait pas de lien rationnel, la politique de la Banque doit être rejetée si elle est considérée comme de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Bien sûr, le contraire est vrai.

La position de la Banque est claire. Elle soutient simplement que le Tribunal a conclu à l'existence d'un lien rationnel entre la politique et le rendement au travail. Cet argument est fondé sur le passage suivant qui se trouve à la page 218 des motifs du Tribunal:

Si nous présumons, en appliquant le critère formulé dans l'arrêt Brossard, que l'objectif de l'employeur est d'éliminer les drogues illicites dans le milieu de travail de ses employés en raison des effets qu'elles peuvent avoir sur le rendement au travail, le Tribunal conclut qu'il s'agit d'un objectif approprié.

L'ACLC maintient que ce passage équivaut tout simplement à une conclusion selon laquelle la Banque a adopté sa politique honnêtement et de bonne foi. Je suis d'accord. Juger le contraire, c'est omettre de tenir compte de presque toutes les conclusions cruciales tirées par le Tribunal, et notamment que la Banque s'est fondée, pour agir, sur des hypothèses relevant de l'impression, qu'il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve permettant d'établir l'existence d'un problème de toxicomanie au sein de la Banque, qu'il n'y a pas de corrélation entre la consommation de drogue illégales et la criminalité et qu'il n'existe pas d'éléments de preuve à l'appui. À mon avis, l'analyse et les motifs du Tribunal équivalent à une conclusion de fait selon laquelle il n'y a pas de lien rationnel entre la politique de la Banque et le rendement au travail. Cette conclusion a été tirée dans le contexte du moyen de défense fondé sur une EPJ, mais elle s'applique également dans le contexte de l'accommodement. Il faut se rappeler qu'au mieux, la politique de la Banque montre si l'employé a utilisé certaines drogues illégales au cours d'une période donnée. Pareil renseignement ne révèle rien au sujet de la capacité de l'employé d'accomplir le travail en question. Pour ces motifs, je suis d'avis que la politique de la Banque doit être rejetée même si elle constitue de la discrimination indirecte. Plus précisément, si le Tribunal avait en fait conclu à l'existence d'un lien rationnel avec le rendement professionnel, j'aurais été prêt à statuer que cette conclusion est "manifestement déraisonnable".

Sommaire

En fin de compte, je conclus que la politique de dépistage de drogues de la Banque constitue à première vue de la discrimination. La politique "est susceptible d'annihiler" les chances d'emploi des individus qui ont une dépendance envers la drogue. Je conclus en outre que la politique constitue de la discrimination directe et que la Banque n'a pas satisfait à l'élément objectif du critère relatif à l'EPJ. En d'autres termes, la Banque n'a pas réussi à établir que sa politique est raisonnablement nécessaire et qu'il n'existe pas d'autres solutions réalisables qui soient moins contraignantes à l'égard des employés nouveaux ou réembauchés. À supposer que je me trompe et qu'elle constitue de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, cette politique doit être rejetée parce qu'elle ne satisfait pas au critère relatif au lien rationnel. La politique de la Banque constitue donc un acte discriminatoire illicite au sens de l'article 10 de la Loi.

Conclusion

Pour les motifs susmentionnés, je rejetterais l'appel interjeté par la Banque, j'accueillerais l'appel incident, j'infirmerais l'ordonnance que le juge des requêtes a rendue le 22 avril 1996 et je rendrais une ordonnance faisant droit à la demande de contrôle judiciaire aux conditions suivantes: la décision que le Tribunal a rendue le 16 août 1994 devrait être infirmée et l'affaire devrait être renvoyée à une formation différemment constituée pour le motif que la politique de dépistage de drogues de la Banque constitue un acte discriminatoire illicite au sens de l'article 10 de la Loi. Je tiens à souligner que l'affaire est renvoyée à une formation différente par pure nécessité. En effet, pendant l'audition de l'appel, nous avons été informés que certains membres de la formation initiale avaient quitté la Commission.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McDonald, J.C.A.: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Robertson et je suis entièrement d'accord avec lui pour dire que la politique de la Banque Toronto-Dominion (la Banque) constitue à première vue de la discrimination à l'endroit des employés qui ont une dépendance envers la drogue. Je souscris également à la façon dont mon collègue règle l'appel. Toutefois, je ne puis souscrire à la conclusion selon laquelle la politique de dépistage de drogues de la Banque doit être d'une façon plus appropriée considérée comme de la discrimination directe plutôt que comme de la discrimination indirecte. J'estime que la politique de dépistage de drogues de la Banque est directement visée par la définition de la discrimination indirecte ou de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable que la Cour suprême a établie et qu'elle ne satisfait pas aux exigences, en ce qui concerne le lien rationnel et l'accommodement raisonnable.

Les faits ainsi que les décisions rendues par le juge des requêtes et par le Tribunal ont été énoncés par mon collègue le juge Robertson. Il n'est pas nécessaire d'y revenir. Je procéderai donc directement à l'analyse de la question de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable.

La discrimination par suite d'un effet préjudiciable et la nécessité d'un lien rationnel

Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 551, le juge McIntyre a dit que la discrimination par suite d'un effet préjudiciable se produit:

. . . lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés . . . Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer.

La politique de dépistage de drogues de la Banque constitue de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable parce qu'elle prévoit le congédiement des individus dont le test donne un résultat positif à trois reprises ou qui refusent de se soumettre à une analyse d'urine. Cette règle s'applique également à tous les employés nouveaux ou réembauchés, mais elle a un effet préjudiciable sur les employés qui ont une dépendance envers la drogue. La politique est donc directement visée par la définition de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable: il s'agit d'une règle d'emploi également applicable à tous ceux qu'elle vise, mais elle est quand même discriminatoire parce qu'elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer. Le congédiement peut résulter de la consommation "chronique" d'une substance illégale, mais la règle cause néanmoins directement un préjudice plus grave à une catégorie d'individus protégée par la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), à savoir les individus qui ont une dépendance envers la drogue.

Toutefois, la Banque soutient que la Loi ne protège pas les individus qui consomment des substances illicites étant donné que cela est contraire à l'intention du législateur et à l'esprit de la Loi sur les stupéfiants. Le Tribunal et le juge des requêtes ont tous les deux rejeté cet argument et je ne vois pas pourquoi je devrais intervenir. J'adopterais la déclaration suivante du Tribunal [à la page 209]:

La LCDP ne tolère ni ne protège l'activité illégale qu'est la consommation de drogues illicites. Elle protège cependant les personnes qui souffrent de toxicomanie contre les congédiements sommaires. Si ces personnes commettent un acte illégal, c'est la Loi sur les stupéfiants qui prévoit la sanction appropriée une fois qu'elles ont été reconnues coupables après application régulière de la loi. Il n'appartient pas à l'employeur d'agir comme le juge des faits et de se charger d'appliquer le droit criminel.

Puisque j'ai conclu que la politique constitue de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, je dois maintenant examiner la question du lien rationnel. Toutefois, j'expliquerai d'abord pourquoi je ne puis être d'accord avec mon collègue pour dire que la politique doit d'une façon plus appropriée être considérée comme de la discrimination directe.

La discrimination directe

Dans l'arrêt O'Malley, la Cour énonce la distinction qui existe entre la discrimination directe et la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Voici ce qui a été statué à la page 551:

On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu'on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable en matière d'emploi. À cet égard, il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, "Ici, on n'embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir" . . . D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés.

Je suis d'accord avec mon collègue pour dire que la règle ici en cause s'applique à tous les employés nouveaux ou réembauchés, mais qu'elle vise ceux qui consomment de la drogue. La Banque s'inquiète de l'effet que la drogue peut avoir sur le rendement des employés au travail et du lien qui existe entre la drogue et le vol. Elle veut assurer autant que possible un milieu de travail exempt de drogues. Elle a pour politique de ne pas tolérer les consommateurs de drogue. Toutefois, j'hésite à considérer cette politique comme constituant de la discrimination directe, et ce, pour les motifs suivants:

Premièrement, la distinction que mon collègue fait ne tient pas compte du fait que la politique vise tant les consommateurs occasionnels que les employés qui ont une dépendance envers la drogue et que la Loi ne protège pas les consommateurs occasionnels. La politique s'applique de façon à interdire toute consommation continue de drogues illégales indépendamment des raisons pour lesquelles la drogue est consommée. Les usagers occasionnels de drogue qui continuent à utiliser des drogues après que le test qu'ils ont subi a donné un résultat positif risquent d'être congédiés, et ce, indépendamment de la question de savoir s'ils ont une dépendance envers la drogue. La politique est destinée à permettre d'identifier tous les consommateurs de drogue plutôt que ceux qui ont une dépendance envers la drogue seulement. Ce n'est que parce qu'elle vise à identifier tous les employés qui utilisent de la drogue que les employés qui ont une dépendance envers la drogue sont identifiés. La règle a un effet préjudiciable sur les employés qui ont une dépendance envers la drogue, mais elle ne fait pas directement de distinction à leur égard. J'aimerais faire remarquer que si la Loi protégeait le droit à la vie privée, les consommateurs occasionnels seraient protégés contre les mesures de dépistage de drogues de nature attentatoire. Toutefois, comme le dit mon collègue, la question de la vie privée n'a pas été soulevée en l'espèce. Les employés qui ont une dépendance envers la drogue sont donc les seuls individus que la Loi protège contre cette politique.

Deuxièmement, mon collègue suppose qu'une politique de dépistage de drogues ne peut jamais être neutre. Voici ce qu'il dit [supra, au paragraphe 141]:

Je ne puis concevoir qu'une règle d'emploi soit neutre lorsqu'elle vise à éliminer les employés qui appartiennent à une catégorie protégée par la législation sur les droits de la personne. Une politique d'emploi qui vise à assurer un milieu de travail exempt de drogues ne devrait pas être considérée comme neutre lorsqu'elle est conçue de façon à s'appliquer à tous les individus qui utilisent des drogues illégales et, nécessairement, à ceux qui ont une dépendance envers la drogue.

À mon avis, il peut exister de bonnes raisons économiques et commerciales pour un employeur d'imposer une politique de dépistage de drogues qui est à première vue entièrement neutre.

Ainsi, une politique qui vise à assurer un milieu de travail exempt de drogues et d'alcool peut être neutre si elle se rapporte au rendement professionnel et si elle vise à permettre la réadaptation des employés dont le rendement laisse à désirer à cause de leur dépendance envers la drogue. De fait, le dépistage des drogues dans les industries où la sécurité est essentielle est autorisé et effectué. Il faudrait donc s'assurer que pareille politique soit conçue de façon à satisfaire aux exigences de la Loi plutôt que l'interdire carrément. Même l'Association canadienne des libertés civiles reconnaît que le dépistage des drogues pour un motif licite ne viole pas la Loi. Il est sensé sur le plan économique et commercial de prendre des mesures destinées à aider les employés dont le rendement laisse à désirer à cause de leur dépendance envers la drogue.

Une autre question se rapportant à l'analyse que je viens de faire me préoccupe: l'approche que mon collègue a adoptée à l'égard de la question de la discrimination a essentiellement pour effet d'éliminer la nécessité d'établir une catégorie à l'égard de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Je ne suis pas convaincu que ce résultat soit souhaitable, en particulier dans le contexte des politiques concernant l'abus d'alcool et de drogues. Comme mon collègue le fait lui-même remarquer, le moyen de défense fondé sur une EPJ qui s'applique une fois qu'il a été conclu à la discrimination directe n'oblige pas l'employeur à assurer un accommodement raisonnable. Le Code des droits de la personne de l'Ontario impose une obligation d'accommodement dans les cas de discrimination directe, mais la Loi ne le fait pas. Il est relativement facile d'imaginer un cas dans lequel une politique de dépistage de drogues serait probablement reconnue: par exemple dans une industrie où la sécurité est essentielle et où l'on a adopté une politique de dépistage de drogues pour un motif licite (lorsque la consommation de drogue influe sur le rendement de l'employé). Une fois qu'il est établi qu'il existe un moyen de défense valable fondé sur une EPJ, il n'existe pas d'obligation d'accommodement: la personne atteinte d'une déficience peut être congédiée.

Toutefois, selon l'analyse relative à la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, l'employeur serait tenu de composer avec l'employé en veillant à ce que ce dernier reçoive de l'aide. Ce résultat semble clairement plus souhaitable. Pourtant, mon collègue préfère étendre la portée de l'analyse de la discrimination directe de façon qu'elle s'applique dans ce cas-ci en se fondant sur ce qui est en fin de compte un jugement de valeur au sujet du motif pour lequel l'employeur met en œuvre une politique de dépistage de drogues. Étant donné qu'il existe dans la jurisprudence une tendance à faire correspondre davantage le critère relatif à la discrimination directe au critère relatif à la discrimination par suite d'un effet préjudiciable et à l'accommodement raisonnable, il est plus approprié à mon avis de considérer que la politique a un effet préjudiciable sur les employés qui ont une dépendance envers la drogue.

Le seul avantage qu'il y a à modifier la jurisprudence relative à la discrimination directe de façon qu'elle s'applique aux faits de la présente espèce est que cela permet à mon collègue d'annuler en entier la politique de la Banque. Ce résultat est clairement plus souhaitable, aux yeux des personnes qui s'opposent au dépistage des drogues. Il comporte également un avantage pour les consommateurs occasionnels de drogue qui ne sont pas protégés par la Loi. De fait, cette approche a pour effet de protéger le droit à la vie privée de tous les employés"soit une chose que la Loi ne fait clairement pas. Pourtant, on omet ainsi de tenir compte du fait qu'il est possible d'invoquer avec succès un moyen de défense fondé sur une EPJ à l'appui d'une politique de dépistage de drogues. J'ai déjà donné un exemple: le dépistage des drogues pour un motif licite dans une industrie où la sécurité est essentielle. J'estime donc que nous devrions éviter de manquer de perspicacité en choisissant la classification appropriée.

J'ai énoncé les raisons pour lesquelles je préfère considérer la discrimination ici en cause comme de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, tout en étant parfaitement au courant de l'argument qui est parfois invoqué, à savoir que la distinction entre les deux genres de discrimination n'est plus frappante ou n'est plus aussi valable. On a cité sur ce point la décision Thwaites c. Canada (Forces Armées Canadiennes), [1993] D.C.D.P. no 9 (QL), dans laquelle le Tribunal a statué ce qui suit [à la page 66 (QL)]:

Cette analyse nous conduit logiquement à conclure qu'on ne peut établir presque aucune distinction significative entre ce qu'un employeur doit prouver pour se défendre contre une allégation de discrimination directe et ce qu'il doit prouver pour répondre à une allégation de discrimination indirecte. La seule différence est peut-être d'ordre sémantique. Dans les deux cas, l'employeur doit tenir compte de l'individu en cause. Dans le cas de la discrimination directe, l'employeur doit justifier sa règle ou sa pratique en montrant qu'il n'existe pas d'autre solution raisonnable et que la règle ou la pratique est proportionnée au but visé. Dans le cas de la discrimination indirecte, la règle neutre n'est pas contestée, mais l'employeur doit tout de même montrer qu'il n'aurait pas pu composer autrement avec l'individu lésé particulièrement par cette règle. Dans les deux cas, que les mots clefs soient "autre solution raisonnable", "proportionnalité" ou "accommodement", l'examen a le même objet: l'employeur doit montrer qu'il n'aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l'individu.

Je souscris à cette analyse en ce sens que le moyen de défense fondé sur une EPJ et l'obligation d'accommodement exigent tous les deux une preuve objective ou digne de foi de la nécessité d'adopter une règle à l'égard des employés, mais néanmoins rien ne montre qu'en vertu du moyen de défense fondé sur une EPJ, l'employeur doive prendre des mesures et modifier le milieu de travail. Une EPJ n'oblige pas l'employeur à composer avec un employé en fournissant des services de réadaptation. Il existe donc encore à mon avis une différence fondamentale entre les deux. Mme le juge Wilson a reconnu la chose dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, aux pages 514 et 515, lorsqu'elle a dit ceci:

Lorsque, à première vue, une règle établit une distinction fondée sur un motif de discrimination prohibé, sa justification devra reposer sur la validité de son application à tous les membres du groupe touché. En vertu du critère du motif justifiable, il ne peut en effet y avoir d'obligation d'accommodement à l'égard des membres individuels du groupe puisque, comme l'a fait observer le juge McIntyre, cela saperait le fondement même de ce moyen de défense. Ou bien on peut validement établir une règle qui généralise à l'égard des membres d'un groupe ou bien on ne le peut pas. Par leur nature même, les règles qui constituent une discrimination directe imposent un fardeau à tous ceux qui y sont assujettis. Si tant est qu'elles puissent être justifiées, c'est dans leur application générale qu'elles doivent l'être. Voilà pourquoi la règle doit être annulée si l'employeur ne réussit pas à démontrer qu'il s'agit d'une EPN. Une telle règle doit être distinguée d'une règle qui, neutre en apparence, a un effet préjudiciable sur certains membres du groupe auquel elle s'applique. En pareil cas, le groupe des personnes qui subissent un effet préjudiciable est toujours plus petit que le groupe auquel la règle s'applique. Dans les faits, fréquemment, le "groupe" lésé se composera d'une seule personne, savoir le plaignant. La règle est alors maintenue en ce sens qu'elle s'appliquera à tous sauf aux personnes sur lesquelles elle a un effet discriminatoire, pourvu que l'employeur puisse procéder aux accommodements nécessaires sans subir des contraintes excessives. Dans l'arrêt O'Malley , le juge McIntyre met en lumière les conséquences différentes que comportent une conclusion à la discrimination directe ou une conclusion à la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Voici comment il s'exprime à la p. 555:

L'obligation dans le cas de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou la croyance, consiste à prendre des mesures raisonnables pour s'entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive: en d'autres mots, il s'agit de prendre les mesures qui peuvent être raisonnables pour s'entendre sans que cela n'entrave indûment l'exploitation de l'entreprise de l'employeur et ne lui impose des frais excessifs. Les cas comme celui-ci soulèvent une question très différente de celle que soulèvent les cas de discrimination directe. Lorsqu'on démontre l'existence de discrimination directe, l'employeur doit justifier la règle, si cela est possible en vertu de la loi en cause, sinon elle est annulée. Lorsqu'il y a discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la croyance, la règle ou la condition répréhensible ne sera pas nécessairement annulée. Elle subsistera dans la plupart des cas parce que son effet discriminatoire est limité à une personne ou à un groupe de personnes et que c'est son effet sur eux plutôt que sur l'ensemble des employés qui doit être examiné. Dans un tel cas, le problème de la justification ne se pose pas, car la condition raisonnablement liée à l'emploi n'a besoin d'aucune justification; ce qui est requis est une certaine mesure d'accommodement. L'employeur doit, à cette fin, prendre des mesures raisonnables qui seront susceptibles ou non de réaliser le plein accommodement. Cependant, lorsque ces mesures ne permettent pas d'atteindre complètement le but souhaité, le plaignant, en l'absence de concessions de sa propre part, comme l'acceptation en l'espèce d'un emploi à temps partiel, doit sacrifier soit ses principes religieux, soit son emploi. (Je souligne.)

De même, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Robinson, [1994] 3 C.F. 228 (C.A.), à la page 249, mon collègue le juge Robertson (les juges Stone et Mahoney souscrivant à son avis) a rejeté l'idée selon laquelle il existe une obligation d'accommodement dans le contexte de la discrimination directe. Voici ce qu'il a dit:

Dans l'état actuel du droit, il est reconnu qu'il n'existe pas d'obligation d'accommodement en cas de discrimination directe . . . C'est uniquement dans les cas de discrimination indirecte ou de discrimination par suite d'un effet préjudiciable qu'entre en jeu l'obligation d'accommodement et, même alors, cette obligation ne vaut que dans la mesure où il n'en résulte pas une contrainte excessive pour l'employeur.

Il semble donc que la principale différence entre les deux concepts soit la suivante: dans le cas de la discrimination directe, une fois qu'une EPJ est établie, l'employeur n'est pas tenu de composer avec l'employé en veillant à ce que ce dernier bénéficie de services de réadaptation, c'est-à-dire que l'employeur n'est pas tenu de prendre des mesures une fois qu'il a invoqué avec succès son moyen de défense. Dans le cas de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, l'employeur devrait offrir un programme de réadaptation en vue de satisfaire à l'obligation d'accommodement. À mon avis, les besoins des personnes atteintes d'une déficience ne peuvent être satisfaits d'une façon appropriée qu'au moyen de l'accommodement.

La Cour suprême du Canada a expressément reconnu jusqu'à quel point l'accommodement est important pour les personnes atteintes d'une déficience dans l'arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, aux pages 272 et 273, où le juge Sopinka (qui parlait au nom de la Cour sur ce point), a dit ceci:

L'exclusion de l'ensemble de la société découle d'une interprétation de la société fondée seulement sur les attributs "de l'ensemble" auxquels les personnes handicapées ne pourront jamais avoir accès. Qu'il s'agisse de l'impossibilité pour une personne aveugle de réussir un examen écrit ou du besoin d'une rampe pour avoir accès à une bibliothèque, la discrimination ne consiste pas dans l'attribution de caractéristiques fausses à la personne handicapée. La personne aveugle ne peut pas voir et la personne en fauteuil roulant a besoin d'une rampe d'accès. C'est plutôt l'omission de fournir des moyens raisonnables et d'apporter à la société les modifications qui feront en sorte que ses structures et les actions prises n'entraînent pas la relégation et la non-participation des personnes handicapées qui engendre une discrimination à leur égard. L'enquête sur la discrimination qui recourt au raisonnement fondé sur "l'attribution de caractéristiques stéréotypées", dans son acception courante, est tout simplement inappropriée dans le cas présent. Elle peut être considérée plutôt comme un cas d'inversion d'un stéréotype qui, en ne tenant pas compte de la condition d'une personne handicapée, fait abstraction de sa déficience et la force à se tirer d'affaire toute seule dans l'environnement de l'ensemble de la société. C'est la reconnaissance des caractéristiques réelles, et l'adaptation raisonnable à celles-ci, qui constitue l'objectif principal du par. 15(1) en ce qui a trait à la déficience.

C'est pourquoi je crois que la règle de la Banque constitue clairement de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable et qu'il est préférable d'examiner les questions telles que le dépistage des drogues dans ce contexte étant donné que l'employeur sera tenu de composer avec l'employé atteint d'une déficience. C'est la meilleure façon d'assurer que les politiques de dépistage de drogues soient conçues de façon à satisfaire aux besoins des individus qui ont une dépendance envers la drogue ainsi qu'aux besoins de l'entreprise.

Puisque j'ai dit pourquoi, à mon avis, la politique de la Banque constitue plutôt de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, j'examinerai maintenant les éléments "lien rationnel" et "accommodement raisonnable" de ce genre de discrimination.

Le lien rationnel

Comme mon collègue le juge Robertson le signale, une fois qu'il a été conclu à la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, il a été dit dans l'arrêt O'Malley que, contrairement à ce qui se produit dans le cas de la discrimination directe, on ne détermine pas si l'employeur a une EPJ, mais que la Cour doit plutôt confirmer la règle tout en déterminant s'il y a eu accommodement. Toutefois, avant d'en arriver au stade de l'accommodement, la règle en question doit avoir un lien rationnel avec l'emploi. Voici ce que le juge McIntyre a dit à ce sujet dans l'arrêt O'Malley, à la page 555:

Lorsqu'il y a discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la croyance, la règle ou la condition répréhensible ne sera pas nécessairement annulée. Elle subsistera dans la plupart des cas parce que son effet discriminatoire est limité à une personne ou à un groupe de personnes et que c'est son effet sur eux plutôt que sur l'ensemble des employés qui doit être examiné. Dans un tel cas, le problème de la justification ne se pose pas, car la condition raisonnablement liée à l'emploi n'a besoin d'aucune justification; ce qui est requis est une certaine mesure d'accommodement. [Je souligne.]

Dans l'arrêt Alberta Dairy Pool, à la page 520, le juge Wilson définit d'une façon plus précise ce qu'est le lien rationnel en disant ceci:

L'opinion du juge McIntyre dans l'arrêt O'Malley fournit certaines indications sur la façon de vérifier s'il existe un lien rationnel entre une règle donnée et l'emploi. À la page 551, il parle d'une "condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise. . ." Comme en l'espèce, la règle en cause dans l'arrêt O'Malley prescrivait la présence au travail certains jours, en l'occurrence deux samedis sur trois. La Cour a conclu que cette règle satisfait au premier volet du critère. Voici ce que dit le juge McIntyre aux pp. 555 et 556:

Pour relier ce principe de l'accommodement aux faits de l'espèce, nous devons commencer par le principe selon lequel l'employeur est légalement autorisé à exploiter une entreprise et à l'ouvrir le samedi. Il est en conséquence autorisé à engager des employés à la condition qu'ils travaillent le samedi.

Il s'ensuit, à mon avis, que l'intimée est également autorisée en l'espèce à organiser ses activités de manière à arrêter la production en fin de semaine de sorte que le lundi est une journée particulièrement chargée. La condition d'emploi fixée par l'employeur satisfait donc au critère du lien rationnel avec le travail de transformation laitière.

Comme les passages précités le montrent, la jurisprudence, en ce qui concerne la question du lien rationnel, ne nous aide pas beaucoup en l'espèce. De fait, toutes les parties conviennent qu'il s'agit ici de la première affaire dans laquelle la question du lien rationnel est directement en cause. Il est donc utile d'examiner la façon dont cette expression a été utilisée dans différents contextes.

Les tribunaux devraient faire preuve de prudence lorsqu'ils font passer des notions juridiques d'un contexte à l'autre, mais étant donné qu'une bonne partie des arrêts concernant la Charte canadienne des droits et libertés sont axés sur les droits de la personne, il est opportun d'analyser la façon dont l'expression "lien rationnel" a été employée dans le contexte de la Charte.

Dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, la Cour a énoncé les critères qui s'appliquent à une analyse effectuée en vertu de l'article premier de la Charte. Dans cet arrêt, il a été établi qu'afin de satisfaire au premier élément du critère de proportionnalité de l'article premier, une loi doit avoir un lien rationnel avec son objectif. Dans son analyse du lien rationnel, le juge en chef Dickson a décrit ce lien comme suit, à la page 139: "Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question." On se rappellera que dans l'arrêt Oakes , la Cour a annulé une disposition de la Loi sur les stupéfiants qui prévoyait que la possession d'une drogue illégale donnait lieu à une présomption selon laquelle l'individu en question possédait les drogues pour en faire le trafic. La Cour a conclu que la loi n'avait pas de lien rationnel avec son objectif (soit de protéger la société contre le trafic de stupéfiants). À la page 142, le juge en chef Dickson a conclu que "la possession d'une quantité infime ou négligeable de stupéfiants ne justifie pas une conclusion de trafic".

Malheureusement, depuis lors, le critère relatif au lien rationnel est devenu beaucoup moins important car il a été éclipsé par le critère selon lequel la loi doit porter le moins possible atteinte au droit en question. Toutefois, il nous aide à déterminer si la politique de la Banque a un lien rationnel avec son objectif.

La Banque affirme avoir mis en œuvre sa politique parce qu'elle s'inquiétait de l'effet que les drogues ont sur le rendement au travail des employés ainsi que sur leur responsabilité. La Banque cherche également à maintenir son intégrité et se préoccupe du lien qui existe entre la consommation de drogue et le vol. Par conséquent, s'il peut être démontré que la politique de la Banque est restrictive, et ce, à un point tel qu'elle arrive difficilement à atteindre son objectif, ou s'il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve permettant de justifier la nécessité d'adopter pareille politique, on ne peut pas dire que la politique a un lien rationnel avec son objectif. En outre, comme le signale mon collègue, "si l'application de la règle vise le rendement professionnel, la règle, pour qu'il existe un lien rationnel, doit tenir compte de la capacité de l'employé d'accomplir le travail en question." Je suis également d'accord avec mon collègue [supra , au paragraphe 170] pour dire que "le "critère relatif au lien rationnel" diffère du "critère relatif à la nécessité raisonnable" dans la mesure où il n'oblige pas l'employeur à établir qu'il existe d'autres solutions raisonnables et moins contraignantes par rapport à la règle de travail neutre".

Compte tenu des considérations susmentionnées, je conclus que la politique de la Banque n'a pas de lien rationnel avec son objectif. Premièrement, cette politique n'est pas assez large. Si la Banque s'inquiétait réellement de la corrélation qui existe entre la consommation de drogue et le rendement ou la responsabilité des employés, elle aurait adopté une règle prévoyant des tests de dépistage effectués au hasard s'appliquant à tous les employés, y compris les employés occupant des postes à des niveaux supérieurs. Elle aurait également procédé à des tests permettant de déceler la présence de diverses autres drogues. Deuxièmement, le fait que des quantités négligeables de drogue sont décelées chez un employé ne veut pas dire que ce dernier n'est pas productif ou qu'il est sur le point de commettre une infraction criminelle liée à son travail. De fait, aucun élément de preuve ne donnait à entendre que la criminalité liée à la toxicomanie posait un problème pour la Banque. Le Tribunal a expressément conclu qu'au cours d'une période de 18 mois, 57 vols avaient été commis à la Banque, mais qu'aucun d'eux n'était lié à la consommation de drogue. Le Tribunal a également tiré deux autres conclusions qui sont pertinentes aux fins qui nous occupent [aux pages 216 et 217]:

Aucune recherche n'a été faite auprès des employés de la Banque pour vérifier l'hypothèse de type impressionniste selon laquelle il pourrait exister parmi eux un problème de toxicomanie suffisant pour justifier l'adoption d'une telle politique.

. . .

Il s'agit manifestement en l'espèce d'un cas où l'employeur a des préoccupations d'ordre économique, qu'il s'agisse de la question des vols, de la productivité des employés ou de la réputation de la Banque. Il ne comporte "pour les employés ou le public aucun danger exceptionnel". Ainsi, si l'on se reporte aux termes utilisés par le juge McIntyre dans l'arrêt Etobicoke , il peut être difficile, voire impossible, d'établir qu'une telle condition (le dépistage des drogues) puisse être imposée sans égard à la capacité d'un employé en particulier de s'acquitter des fonctions de l'emploi.

En ce qui concerne l'argument de la Banque selon lequel le Tribunal a examiné la question du lien rationnel lorsqu'il a traité du moyen de défense fondé sur une EPJ et qu'il a conclu que la politique avait un lien rationnel avec son objectif, il existe deux réponses. En premier lieu, les deux critères sont différents et doivent être examinés séparément compte tenu de la décision rendue par Mme le juge Wilson dans l'arrêt Alberta Dairy Pool. Par conséquent, si le Tribunal avait examiné la question du lien rationnel dans le contexte de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, il l'aurait dit dans ses conclusions.

En second lieu, même si le Tribunal a examiné la question du lien rationnel, il a conclu que la politique n'avait pas de lien rationnel. Le passage du jugement du Tribunal sur lequel la Banque se fonde pour montrer que celui-ci a conclu à l'existence d'un lien rationnel est ainsi libellé [à la page 218]: "Si nous présumons, en appliquant le critère formulé dans l'arrêt Brossard , que l'objectif de l'employeur est d'éliminer les drogues illicites dans le milieu de travail de ses employés en raison des effets qu'elles peuvent avoir sur le rendement au travail, le Tribunal conclut qu'il s'agit d'un objectif approprié." Comme l'ACLC le signale, il ne s'agit pas de savoir si le but visé par la Banque lorsqu'elle a mis en œuvre la politique est approprié, mais si la politique que la Banque a adoptée en vue d'atteindre ce but a un lien rationnel avec l'emploi. Il s'agit de savoir si la politique a été mise en œuvre pour des bonnes raisons économiques et commerciales et si la politique est trop large ou pas assez large pour en arriver à cet objectif.

La lecture de la décision du Tribunal montre que ce dernier a expressément conclu que la politique n'a pas de lien rationnel avec son objectif. Les passages pertinents de la décision du Tribunal se lisent comme suit [à la page 218]:

. . . nous concluons après examen que la preuve est insuffisante en ce qui concerne la crainte de contacts avec des éléments criminels de la société et les risques qu'il y ait recyclage de l'argent. Certes, le fait que l'employé commet un acte criminel en consommant des drogues illicites est un sujet de préoccupation, mais cette question relève aussi des autorités chargées de l'application de la loi.

Après avoir examiné le caractère raisonnable de la méthode choisie par l'employeur, le Tribunal conclut que cette méthode"c'est-à-dire, l'analyse d'urine obligatoire"a un caractère attentatoire. Cette politique générale représente une étape importante dans l'invasion de la vie privée de nombreux individus dans le domaine de l'emploi. Cette méthode ne pourrait être jugée raisonnable qu'en présence d'une preuve de fond indiquant l'existence d'une menace grave pour les autres employés de la Banque et pour le public, ses clients.

Il est évident qu'il n'existe pas une telle preuve en l'espèce. La Banque n'a pas agi en se fondant sur la preuve de l'existence d'un problème, mais elle s'est plutôt appuyée sur des impressions et sur certains éléments de preuve obtenus d'autres sources, un grand nombre de ceux-ci provenant des États-Unis et étant peu pertinents dans la situation actuelle de la Banque.

Si la surveillance constitue la méthode d'évaluation individuelle pour la majorité des employés, pourquoi n'en serait-il pas de même pour les nouveaux employés et pour les employés réembauchés même si la preuve a indiqué qu'il s'agissait d'une méthode imparfaite? Il convient tout au moins de signaler qu'il n'existe aucune politique de ce genre dans aucune autre banque canadienne et que l'Association des banquiers canadiens n'a pas jugé nécessaire d'adopter une position de principe sur cette question.

En outre, je préciserai un point dont j'ai ci-dessus fait mention en disant que le fait de procéder à des tests de dépistage de drogue qui ne touchent qu'un petit nombre d'employés, alors que rien ne donne à entendre que la consommation de drogue influe sur le rendement au travail, n'est pas une bonne politique économique ou commerciale. Par conséquent, je rejetterais l'appel pour le motif que la politique ne satisfait pas au critère relatif au lien rationnel.

Après avoir conclu à titre subsidiaire que la politique ne satisfait pas au critère relatif au lien rationnel, mon collègue le juge Robertson n'a pas procédé à l'examen de la question de savoir si le Tribunal avait à juste titre tenu compte de la politique de la Banque à la lumière de l'obligation d'accommodement. Étant donné que j'estime que, dans leurs analyses, le Tribunal et le juge des requêtes ont commis une erreur sur ce point, j'examinerai la question.

L'accommodement raisonnable

La politique de dépistage de drogues de la Banque prévoit que des services de réadaptation sont offerts aux employés dont le test de dépistage est positif. Un employé ne risque d'être congédié que s'il refuse de participer à un programme de réadaptation ou si la réadaptation échoue et si l'employé continue à utiliser des drogues. Même alors, la Banque déclare qu'elle examine les circonstances précises avant de prendre une décision définitive au sujet de la cessation d'emploi. Les dispositions pertinentes de la politique de la Banque sont ainsi libellées:

[traduction] La présente politique vise à permettre à l'employé de se réadapter et non à le punir.

Si vous avez un problème d'alcoolisme ou de toxicomanie, des services de réadaptation sont mis à votre disposition et la Banque a l'intention de collaborer avec vous pour vous aider à surmonter vos problèmes.

. . .

La Banque vous aidera à venir à bout de votre problème d'alcoolisme ou de toxicomanie en vous permettant de participer à des programmes de réadaptation. Il se peut qu'il ne soit nécessaire de mettre fin à l'emploi que vous exercez auprès de la Banque que s'il y a eu un accommodement raisonnable, mais que la chose n'a pas porté fruit ou que les efforts de réadaptation ont échoué.

Si vous avez besoin d'aide, vous pouvez communiquer avec le programme d'aide aux employés . . . , le Centre de santé . . . ou le service des demandes de prestations d'invalidité et de réadaptation. Tous les programmes sont conformes aux normes professionnelles reconnues. La confidentialité est assurée.

Vous pouvez vous inscrire à ces programmes de trois façons:

3. Si le résultat du test de dépistage de drogues que vous avez subi est positif (voir ci-dessous), vous devrez participer à un programme de réadaptation si un professionnel de la santé le juge opportun.

. . .

Vous ne ferez pas l'objet de mesures disciplinaires et vous ne serez pas congédié si vous continuez à participer à un programme de réadaptation et si la chose semble porter fruit et si votre rendement au travail est satisfaisant. De plus, vous toucherez des prestations d'invalidité à court terme, au besoin, dans la mesure où vous participez à un programme de traitement reconnu et où vous suivez le traitement.

Je suis d'accord avec le juge des requêtes et avec le Tribunal pour dire que le programme de réadaptation offert par la Banque satisfait à l'obligation relative à l'accommodement raisonnable. L'obligation qui incombe à l'employeur de prendre des mesures d'accommodement raisonnables à l'égard des employés qui ont une dépendance envers la drogue a des limites. Dans l'arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, aux pages 994 et 995, la Cour suprême du Canada a reconnu qu'il incombe également à l'employé de prendre des mesures raisonnables en vue de faciliter la mise en œuvre des politiques de l'employeur:

Lorsque l'employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en œuvre, remplirait l'obligation d'accommodement, le plaignant est tenu d'en faciliter la mise en œuvre. Si l'omission du plaignant de prendre des mesures raisonnables est à l'origine de l'échec de la proposition, la plainte sera rejetée. L'autre aspect de cette obligation est le devoir d'accepter une mesure d'accommodement raisonnable . . . Le plaignant ne peut s'attendre à une solution parfaite. S'il y a rejet d'une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l'employeur s'est acquitté de son obligation.

Par conséquent, si l'employé qui a été envoyé à un programme de traitement ne peut pas se réadapter, la Banque n'est pas tenue de faire autre chose. Elle a pris des mesures d'accommodement raisonnables à l'égard de l'employé.

La Commission a reconnu qu'il y avait des limites à l'obligation qui incombe à l'employeur de prendre des mesures raisonnables d'accommodement à l'égard d'un employé qui a une dépendance envers la drogue dans son énoncé de politique, qui se lit comme suit:

Il peut s'agir d'envoyer un employé ayant obtenu un résultat "positif" à un programme d'aide aux employés à des fins d'évaluation et, en cas de besoin, de counselling et de réadaptation. L'obligation de consentir à des adaptations raisonnables a toutefois des limites. Par exemple, si l'employeur inscrit un employé à un programme de réadaptation et que l'employé ne surmonte pas sa dépendance, on considérera qu'il a respecté son obligation.

Le programme de traitement de la Banque (auquel on renvoie les employés qui ont une dépendance envers la drogue) satisfait donc à l'obligation de prendre des mesures d'accommodement raisonnables. Toutefois, la politique de dépistage de drogues de la Banque ne satisfait pas à pareille obligation en ce sens qu'aucune évaluation du rendement de l'employé au travail n'est prévue au stade de l'accommodement.

Le juge des requêtes et le Tribunal ont tous les deux conclu qu'il n'est pas nécessaire de tenir compte du rendement professionnel au stade de l'accommodement. En tirant sa conclusion sur ce point, le juge des requêtes s'est fondé sur la décision que cette Cour a rendue dans l'affaire Niles c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada (1992), 44 D.L.R. (4th) 33 (C.A.F.), décision qui, d'après le juge, étaye la thèse selon laquelle l'employeur n'a pas un devoir illimité d'accommodement à l'égard d'un employé dépendant envers l'alcool qui refuse de participer à un programme de réadaptation. En se fondant sur l'arrêt Niles, le juge des requêtes a conclu qu'il n'est pas nécessaire de tenir compte de l'effet des drogues sur le rendement professionnel [à la page 238]: "Dans ce cas, il n'existe pas d'exigence voulant que l'employé qui souffre d'une dépendance doit nécessairement avoir un rendement professionnel très faible. La dépendance même suffit à justifier le licenciement lorsque la réadaptation a échoué." Voici ce que le juge a conclu [à la page 238]:

L'argument selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il n'a pas tranché les questions de rendement individuel dans le cadre de l'accommodement ne peut être invoqué avec succès. Essentiellement, on peut conclure à l'existence d'une contrainte excessive pour l'employeur, du moins dans le cas d'une politique visant à lutter contre l'usage de drogues illégales, si l'employeur est confronté à la présence continue d'un employé qui ne peut être réhabilité et qui persiste dans son acquisition criminelle et dans son usage de drogues illégales.

À mon avis, le juge des requêtes a commis une erreur en interprétant l'arrêt Niles comme étayant la thèse selon laquelle il n'est pas nécessaire de tenir compte du rendement professionnel avant de procéder au dépistage ou après qu'un employé a été envoyé à un programme de réadaptation. J'estime que le juge des requêtes et le Tribunal auraient tous les deux dû tenir compte de la question du rendement professionnel dans leurs analyses parce que, pour qu'une politique de dépistage de drogues puisse prévoir des mesures raisonnables d'accommodement à l'égard des employés touchés, il faut tenir compte du rendement professionnel (sauf peut-être dans le cas des industries où la sécurité est essentielle). Si un employé ne consomme pas de drogues au travail, et si son rendement satisfait aux exigences de l'employeur, la déficience ne pose pas de problèmes. Toutefois, si le rendement de l'employé laisse à désirer et si la Banque croit que ce mauvais rendement est attribuable à sa dépendance envers la drogue, en pareil cas (et uniquement en pareil cas) la Banque devrait pouvoir faire subir un test à l'employé et, au besoin, l'envoyer à un programme de réadaptation ou de counselling quelconque. Pour qu'il y ait accommodement raisonnable, on peut uniquement faire subir un test à l'employé s'il a été traité et si son rendement professionnel continue à être non satisfaisant. Par conséquent, si après le traitement, le rendement de l'employé est satisfaisant, on ne devrait pas procéder à d'autres tests. Si après le traitement, le rendement de l'employé continue à être non satisfaisant, la Banque peut à juste titre lui faire subir un autre test et le congédier si son mauvais rendement est attribuable à la consommation de drogues. La Banque n'a pas à faire suivre d'autres traitements à l'employé.

Rien dans l'arrêt Niles ne donne à entendre que la façon dont j'interprète l'obligation d'accommodement n'est pas correcte. De fait, l'arrêt Niles étaye ma position. Contrairement à la façon dont l'arrêt Niles a été interprété par certains commentateurs, les faits de cette affaire montraient que le fait que l'employé était alcoolique nuisait à son travail. L'employé avait longtemps refusé de recevoir de l'aide. Après avoir affirmé à son employeur que tout allait bien, il avait continué à s'absenter et il avait endommagé la voiture de l'employeur. Il aurait alors pu être congédié, mais on s'était contenté de le suspendre. L'employé avait participé à un programme de réadaptation et on lui avait dit qu'il était essentiel d'assurer le suivi après le traitement. Or, l'employé n'avait pas été suivi après avoir été traité. En outre, la Cour a expressément conclu que la politique du CN en matière d'alcoolisme avait été suivie. Cette politique prévoyait notamment ceci [à la page 45]:

. . . elle [la compagnie] exige des employés visés qu'ils acceptent certaines conditions reliées au programme de réadaptation. En cas de refus de coopération ou si le traitement médical ou les autres mesures prises échouent, il faut considérer la possibilité du renvoi lorsque le rendement continue de se détériorer. Comme dans d'autres situations, le renvoi s'impose lorsque les normes minimales de rendement ne sont pas atteintes. [Je souligne.]

Cette Cour a également conclu, aux pages 49 et 50, que M. Niles avait été congédié entre autres parce que son rendement au travail était en-deçà de la norme: "Il m'apparaît clairement que le tribunal n'a pas fait de distinction appropriée entre une discrimination de la part d'un employeur qui est fondée sur un alcoolisme antérieur ou présent en soi et une réaction justifiée de la part d'un employeur à un rendement qui, à cause de l'alcoolisme, est tombé en-deçà de la norme, le motif pour lequel M. Niles a été congédié." À la page 50, le juge Heald dit que le Tribunal se préoccupait du fait que le CN avait omis d'évaluer l'employé après les tentatives de réadaptation, mais il faut tenir compte du contexte dans lequel cette remarque a été faite. L'employé avait déjà essayé à plusieurs reprises de se réadapter sans succès. Son rendement avait continué à être en-deçà de la norme après les tentatives antérieures de réadaptation. L'employé avait également refusé de poursuivre le traitement. Par conséquent, contrairement à l'interprétation donnée par le juge des requêtes, cet arrêt n'étaye pas la thèse selon laquelle il n'est pas nécessaire de tenir compte des indices de rendement étant donné qu'il en a été expressément tenu compte dans cette affaire-là.

Je souscrirais donc au raisonnement que la commission d'enquête a fait dans la décision Entrop c. Imperial Oil Limited (1996), 27 C.H.R.R. D/210, à la page D/225 (confirmé par [1998] O.J. no 422 (Div. gén.) (QL), où il est dit que [traduction] "l'employeur a le droit de s'assurer que son entreprise soit exploitée d'une façon sécuritaire, ainsi que le droit de déterminer si les employés sont capables de s'acquitter de leurs principales tâches" et j'ajouterais que dans un cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable, pour que l'employeur puisse composer avec les employés qui ont des problèmes de toxicomanie, il doit exister des éléments de preuve objectifs de leur mauvais rendement. Étant donné que la politique de la Banque n'a rien à voir avec le rendement des employés au travail (puisque les employés n'ont pas la possibilité de travailler avant d'avoir à subir un test de dépistage de drogues et que l'employé qui a suivi un traitement doit de nouveau se soumettre à un test indépendamment de son rendement au travail), la Banque n'a pas satisfait à l'obligation d'accommodement.

En conclusion, je suis d'avis que la politique de dépistage de drogues de la Banque constitue un acte discriminatoire illicite au sens de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'appel et l'appel incident devraient donc être réglés de la façon prévue par le juge Robertson. J'adopte les motifs que le juge Robertson a prononcés, mais uniquement dans la mesure où ils sont compatibles avec ceux que j'ai ici prononcés.

1 L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi).

2 Pièce HR-1, dossier d'appel, vol. III, à la p. 634.

3 Pièce R-9, ibid., à la p. 639.

4 Ibid.

5 (1994), 6 C.C.E.L. (2d) 196 (T.D.P.), aux p. 210 et 211.

6 D.A. vol. III, à la p. 630.

7 Supra, note 5, à la p. 211.

8 Id., à la p. 212.

9 (1996), 22 C.C.E.L. (2d) 229 (C.F. 1re inst.), à la p. 235.

10 Id., aux p. 235 et 236.

11 Id., à la p. 237.

12 Id., à la p. 238.

13 L.R.C. (1985), ch. N-1.

14 Dans l'annexe, il est notamment fait mention des stupéfiants suivants: cannabis (marijuana et hachisch), cocaïne, codéine, héroïne, morphine, opium.

15 Supra, note 5, à la p. 212.

16 Supra, note 9, à la p. 235.

17 Id., aux p. 235 et 236.

18 Id., à la p. 236.

19 [1990] 2 R.C.S. 489, à la p. 514 (Dairy Pool).

20 J. Sopinka et M. Gelowitz, The Conduct of an Appeal (Toronto: Butterworths, 1993), à la p. 51.

21 Lamb v. Kincaid (1907), 38 R.C.S. 516.

22 [1993] 1 R.C.S. 554 (Mossop).

23 [1996] 1 R.C.S. 571.

24 [1996] 1 R.C.S. 825.

25 Mossop, supra, à la p. 585.

26 [1989] 1 R.C.S. 143, à la p. 174 (Andrews).

27 [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 551 (O'Malley).

28 Dairy Pool, supra, à la p. 513.

29 Dossier d'appel, vol. I, à la p. 36.

30 (1996), 27 C.H.R.R. D/210 (Comm. d'enquête de l'Ont.); conf. par Imperial Oil Ltd. v. Ontario (Human Rights Commission) (re Entrop), [1998] O.J. no 422 (C. div.) (QL) (Entrop).

31 Id., au par. 30 et 31.

32 Dairy Pool, supra, aux p. 514 et 515.

33 [1994] 2 R.C.S. 525 (Bergevin).

34 [1992] 2 R.C.S. 970.

35 ;Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513.

36 Supra, note 9, à la p. 236.

37 Chambre des communes. Comité permanent de la Justice et des questions juridiques. Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 115 (21 décembre 1982), à la p. 115:44.

38 Dairy Pool, supra, à la p. 520.

39 ;Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279, à la p. 311 (Brossard).

40 Supra, note 5, à la p. 218.

41 Bergevin, supra, à la p. 546.

42 Politique 88-1, dossier d'appel, vol. VIII, aux p. 1379 et 1380.

43 O'Malley, supra, à la p. 555; Renaud, supra, aux p. 994 et 995.

44 Dossier d'appel, vol. III, aux p. 627 et 628.

45 Interrogatoire principal de M. Lawson, dossier d'appel, vol. I, aux p. 123 à 126.

46 Supra, note 5, à la p. 213.

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