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A-712-97

Le juge John E. Sheppard (demandeur) (appelant)

c.

Le Commissaire à la magistrature fédérale (défendeur) (intimé)

A-714-97

Le Commissaire à la magistrature fédérale (défendeur) (appelant)

c.

Le juge Thomas A. Beckett (demandeur) (intimé)

Répertorié: Sheppardc. Canada (Commissaire à la magistrature fédérale) (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, Strayer et Desjardins, J.C.A."Toronto, 2 juillet; Ottawa, 9 septembre 1998.

Juges et tribunaux Appel et appel incident d'ordonnances déclarant que deux juges de l'Ontario avaient droit au remboursement de leurs frais pour faire la navette entre leur résidence située à l'extérieur du district judiciaire auquel ils ont été affectés et leur bureauL'art. 38 de la Loi sur les juges prévoit qu'un juge de la Cour de l'Ontario (Division générale) qui, dans l'exercice de ses fonctions, siège dans un autre centre judiciaire de sa région d'affectation que celui dans lequel ou près duquel il réside a droit à une indemnité de déplacement pour ses frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacationL'art. 34 dispose qu'un juge d'une juridiction supérieure ou de la Cour canadienne de l'impôt qui, dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, doit siéger en dehors des limites oùla loi l'oblige à résidera droit à une indemnité de déplacement pour ses frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacationLes conditions de résidence ayant trait aux juges nommés par le gouvernement fédéral en Ontario ont été abrogées en 1990Le juge des requêtes a statué que les frais de déplacement étaient remboursables en vertu de l'art. 34(1) étant donné qu'aucun des deux juges n'était tenu par la loi de résider dans sa région respectiveL'art. 38 ne permet pas le paiement d'une indemnité de déplacement à un juge ontarien qui réside à l'extérieur de la région où est situé son bureauLa deuxième référence à uncentre judiciaireà l'art. 38 fait référence au même genre decentre judiciaireque celui qui est d'abord mentionné: c'est-à-dire un centre judiciaire de sa région de nomination ou d'affectationC'est là l'indice d'une intention de faire en sorte que l'indemnité payée en vertu de cet article soit autorisée uniquement pour les déplacements d'un juge de sa résidence située dans un centre judiciaire ou près d'un centre judiciaire de sa région de nomination jusqu'à un autre centre judiciaire de la même régionL'art. 38 autorise une indemnité de déplacement uniquement si le juge qui la réclame réside dans sa région d'affectationCette interprétation est compatible avec le but de l'article, c'est-à-dire le paiement d'une indemnité de déplacement aux juges qui doivent se déplacer dans l'exercice de leurs fonctionsAucun des deux juges ne résidant dans sa région d'affectation, leurs frais de déplacement pour se rendre de leur résidence à leur bureau ne sont pas autorisés par l'art. 38Comme l'art. 34 est assujetti à l'art. 38, la référence à l'art. 34 au fait qu'un juge siègeat any placedoit être interprétée comme s'appliquant à un lieu autre qu'uncentre judiciairesitué dans larégion d'affectationd'un juge ontarien.

Il s'agit d'un appel et d'un appel incident d'ordonnances déclarant que les juges Sheppard et Beckett avaient droit au remboursement de leurs frais de déplacement entre leur lieu de résidence respectif en Ontario et leur bureau au palais de justice de la région à laquelle ils ont été affectés en tant que juges de la Cour de l'Ontario (Division générale). Les deux juges avaient été nommés à la Cour de district de l'Ontario avant 1990 et résidaient à l'extérieur du district judiciaire de leur affectation. Le 1er septembre 1990, les cours de comté et de district de l'Ontario ont été abolies et tous les juges de ces cours ont été assermentés comme juges de la nouvelle cour supérieure d'archives issue de la réunification, la Cour de l'Ontario (Division générale). À la même date, les conditions de résidence énoncées aux articles 4 et 6 de la Loi concernant les juges nommés par le gouvernement fédéral en Ontario ont été abrogées. Les deux juges ont continué d'habiter à l'extérieur de la région judiciaire de leur nouvelle affectation. Ils ont tous deux réclamé des indemnités de déplacement pour faire la navette entre leur lieu de résidence et leur bureau. Le commissaire leur a refusé ces indemnités de déplacement en vertu de l'article 38 de la Loi sur les juges. L'article 38 dispose qu'un juge de la Cour de l'Ontario (Division générale) qui, dans l'exercice de ses fonctions, siège dans un autre centre judiciaire de sa région de nomination ou d'affectation que celui dans lequel ou près duquel il réside a droit à une indemnité de déplacement pour ses frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacation. L'article 34 dispose que, sous réserve des articles 36 à 39, un juge d'une juridiction supérieure ou de la Cour canadienne de l'impôt qui, dans le cadre de ses fonctions judiciaires, doit siéger en dehors des limites où la loi l'oblige à résider a droit à une indemnité de déplacement pour ses frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacation. Le commissaire s'est dit d'avis que les frais en question ne pouvaient être remboursés qu'aux termes du paragraphe 36(2) (le droit à une indemnité de déplacement en vertu du paragraphe 34(1) pour les juges qui résident en un lieu approuvé par le gouverneur en conseil). Les juges Sheppard et Beckett ont demandé le contrôle judiciaire de la décision du commissaire. Le juge des requêtes a statué que les juges avaient droit au remboursement de leurs frais de déplacement en vertu du paragraphe 34(1) parce que ni le juge Sheppard ni le juge Beckett n'étaient tenus par la loi de résider dans leur région d'affectation respective. Donc les mots "en dehors des limites où la loi les oblige à résider" employés au paragraphe 34(1) ne sont pas applicables.

La question était de savoir si les juges Sheppard et Beckett avaient droit au remboursement de leurs frais de déplacement entre leur résidence et le palais de justice où leur bureau est situé.

Arrêt: l'appel incident dans le dossier A-712-97 et l'appel dans le dossier A-714-97 doivent être accueillis.

Les articles 34 et 38 disposent explicitement que les indemnités de déplacement doivent être payées à un juge qui se déplace "dans l'exercice de ses fonctions". Bien que le sens de l'article 38 ne soit pas tout à fait clair, il peut raisonnablement être interprété comme n'autorisant pas le paiement d'une telle indemnité à un juge ontarien pour faire la navette entre son lieu de résidence, situé à l'extérieur de sa région de nomination ou d'affectation, et son bureau situé dans la région. La deuxième référence au "centre judiciaire" doit être considérée comme une référence au même genre de "centre judiciaire" que celui qui est d'abord mentionné dans la même phrase, c'est-à-dire un centre judiciaire de sa région de nomination ou d'affectation. C'est là l'indice d'une intention de faire en sorte que l'indemnité payée en vertu de cet article soit autorisée uniquement pour les déplacements d'un juge de sa résidence située dans un centre judiciaire ou près d'un centre judiciaire de sa région de nomination ou d'affectation jusqu'à un autre centre judiciaire de la même région. L'article 38 autorise une indemnité de déplacement uniquement si le juge qui la réclame réside en fait dans sa région de nomination ou d'affectation. Une telle interprétation semble compatible avec le but exprès de l'article. Ni le juge Sheppard ni le juge Beckett ne résident dans leur région d'affectation. Il s'ensuit donc que leurs réclamations de frais de déplacement pour faire la navette entre leur résidence et leur bureau ne tombent pas sous le coup de l'article 38 de la Loi ou ne sont pas autorisées par cet article.

L'article 34 est expressément assujetti à l'article 38. Par conséquent, il faut avoir les dispositions de l'article 38 très présentes à l'esprit pour être en mesure d'interpréter la portée du paragraphe 34(1) dans la mesure où celui-ci s'applique aux juges ontariens. Même si l'article 38 traite d'un juge qui siège dans un centre judiciaire de sa "région d'affectation", la version anglaise du paragraphe 34(1) fait référence au juge qui siège "at any place". Il semble raisonnable d'interpréter ce mot "place" dans le contexte général des deux articles comme s'appliquant à un lieu autre qu'un "centre judiciaire" situé dans la "région d'affectation" d'un juge ontarien.

Aux termes du paragraphe 15(4), un juge peut faire l'objet d'une "affectation temporaire . . . à un endroit quelconque en Ontario". Le libellé de l'article 38 ne s'applique pas aux frais de déplacement d'un juge qui est en affectation temporaire à l'extérieur de sa région d'affectation.

lois et règlements

An Act to Reform the Courts of the Province, S.N.S. 1992, ch. 16, art. 52.

Court of Queen's Bench Act, R.S.A. 1980, ch. C-29, art. 6.

Judicature Act, R.S.N. 1990, ch. J-4, art. 4, 22.

Loi de 1992 sur la réorganisation judiciaire de la Nouvelle-Écosse, L.C. 1992, ch. 51, art. 12, 13, 14, 15.

Loi sur la Cour du Banc de la Reine, L.M. 1988-89, ch. 4, art. 9.

Loi sur la réorganisation judiciaire de l'Ontario (1989), L.C. 1990, ch. 17, art. 28.

Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1, art. 4 (abrogé par L.C. 1990, ch. 17, art. 28), 5 (abrogé, idem), 6 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 11, art. 2; abrogé par L.C. 1990, ch. 17, art. 28), 34(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 51, art. 12), (2), 35 (abrogé, idem, art. 13), 36(1) (mod., idem, art. 14), (2), 37 (mod., idem, art. 15), 38 (mod. par L.C. 1990, ch. 17, art. 33), 39.

Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, art. 15.

Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q. 1977, ch. T-16, art. 32.

Loi sur l'organisation judiciaire, L.R.N.-B. 1973, ch. J-2, art. 4.

Queen's Bench Amendment Act, 1980 (The), S.S. 1979-80, ch. 91, art. 5.

Queen's Bench Amendment Act, 1996 (The), S.S. 1996, ch. 57, art. 3.

Supreme Court Act, S.B.C. 1989, ch. 40, art. 2.

jurisprudence

décision appliquée:

The King v. Dubois, [1935] R.C.S. 378; [1935] 3 D.L.R. 209.

doctrine

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville (Québec): Y. Blais, 1990.

APPEL ET APPEL INCIDENT d'ordonnances déclarant que les juges Sheppard et Beckett avaient droit au remboursement de leurs frais de déplacement pour faire la navette entre leur lieu de résidence en Ontario et leur bureau situé dans la région où ils ont été affectés comme juges de la Cour de l'Ontario (Division générale) (Sheppard, J. c. Commissaire à la magistrature fédérale (Can.) (1997), 136 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.); Beckett c. Canada (Commissaire à la magistrature fédérale), [1997] A.C.F. no 1214 (1re inst.) (QL)). Appel et appel incident accueillis.

ont comparu:

Le juge John E. Sheppard pour son propre compte dans le dossier A-712-97.

Peter A. Vita, c.r., pour le défendeur (intimé) dans le dossier A-712-97 (Commissaire à la magistrature fédérale).

Peter A. Vita, c.r., pour le défendeur (appelant) dans le dossier A-714-97.

W. Zimmerman et R. F. Bialachowski, pour le demandeur (intimé) dans le dossier A-714-97 (le juge Thomas A. Beckett).

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur (intimé) dans le dossier A-712-97 et pour le défendeur (appelant) dans le dossier A-714-97 (Commissaire à la magistrature fédérale).

Zimmerman & Associates, Hamilton, pour le demandeur (intimé) dans le dossier A-714-97 (Le juge Thomas A. Beckett).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A.: Les présentes affaires concernent deux ordonnances de la Section de première instance en date du 18 septembre 1997 [Sheppard, J. c. Commissaire à la magistrature fédérale (Can.) (1997), 136 F.T.R. 256; Beckett c. Canada (Commissaire à la magistrature fédérale), [1997] A.C.F. no 1214 (QL)], dans lesquelles le juge des requêtes a déclaré que le commissaire était tenu, aux termes de la Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1, et ses modifications (la Loi), de rembourser aux juges Sheppard et Beckett leurs frais de déplacement entre leur lieu de résidence respectif en Ontario et leur bureau au palais de justice de la région à laquelle ils ont été affectés en tant que juges de la Cour de l'Ontario (Division générale). Le juge Sheppard en appelle de l'ordonnance concernant en partie ses demandes de remboursement de frais de déplacement, et le commissaire a déposé un appel incident concernant cette ordonnance. Le commissaire en appelle également de l'ordonnance concernant les frais de déplacement du juge Beckett.

La question de savoir si les demandeurs ont droit à une indemnité pour ces déplacements dépend de l'interprétation qu'il convient de donner à la Loi dans son ensemble, et aux articles 34 [art. 34(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 51, art. 12)] et 38 [mod. par L.C. 1990, ch. 17, art. 33] en particulier. Ces articles sont rédigés dans les termes suivants:

34. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article et des articles 36 à 39, les juges d'une juridiction supérieure ou de la Cour canadienne de l'impôt qui, dans le cadre de leurs fonctions judiciaires, doivent siéger en dehors des limites où la loi les oblige à résider ont droit à une indemnité de déplacement pour leurs frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacation.

(2) Les juges n'ont droit à aucune indemnité de déplacement pour vacation dans leur lieu de résidence ou à proximité de celui-ci.

. . .

38. Le juge de la Cour de l'Ontario (Division générale) qui, dans l'exercice de ses fonctions, siège dans un autre centre judiciaire de sa région de nomination ou d'affectation que celui dans lequel ou près duquel il réside a droit à une indemnité de déplacement pour ses frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacation.

Le commissaire fait valoir qu'aucun de ces articles n'autorise le versement d'une indemnité dans les circonstances actuelles, mais il reconnaît que les articles 34 et 38 sont difficiles à interpréter. Dans les cas particuliers dont nous sommes saisis, toutefois, la Cour doit s'efforcer d'interpréter les articles pertinents de la Loi selon leur libellé actuel.

Contexte

Je propose tout d'abord de résumer brièvement les circonstances à l'origine des frais de déplacement en question.

En 1987, le juge Sheppard a été nommé juge à la Cour de district de l'Ontario et affecté à la Cour de district qui englobe Newmarket, où se trouve son bureau. Au moment de sa nomination, le juge Sheppard résidait à North York, c'est-à-dire à l'extérieur de ce district. Selon le paragraphe 6(2) de la Loi, en vigueur à cette époque1, il était autorisé à résider à North York pendant une période d'un an. Avec le consentement du juge en chef, le juge Sheppard a continué d'habiter à North York à la fin de cette période d'un an. Après l'expiration de cette période d'un an, il n'a pas réclamé d'indemnité de déplacement pour faire la navette entre son lieu de résidence à North York et le palais de justice de Newmarket. Toutefois, le commissaire lui a remboursé les dépenses engagées en raison de ses déplacements à l'intérieur du district dans l'exercice de ses fonctions à titre de juge de la cour de district.

En 1984, le juge Beckett a été nommé juge à la Cour de district de l'Ontario et a été affecté à la Cour unifiée de la famille à Hamilton dans le district judiciaire d'Hamilton-Wentworth. Au moment de sa nomination, le juge Beckett résidait à Hamilton, mais il s'est ensuite installé à Etobicoke, qui est situé dans la région torontoise de la Cour de l'Ontario (Division générale).

Le 1er septembre 1990, les tribunaux ontariens ont subi une réorganisation. Les cours de comté et de district de cette province ont été abolies et tous les juges de ces cours, y compris les juges Sheppard et Beckett, ont été assermentés comme juges de la nouvelle cour supérieure d'archives issue de la réunification, la Cour de l'Ontario (Division générale). À la même date, les conditions de résidence énoncées aux articles 4 à 6 de la Loi concernant les juges nommés par le gouvernement fédéral en Ontario ont été abrogées2. Le juge Sheppard a été affecté par le juge en chef à la région du Centre-Est qui comprend le centre judiciaire de Newmarket où se trouve son bureau3. Il a continué d'habiter à North York, qui se trouve à l'extérieur de la région judiciaire à laquelle il a été affecté. Le juge Beckett a été affecté à la région du Centre-Sud et son bureau est situé à la Cour unifiée de la famille à Hamilton4. Il a continué d'habiter à Etobicoke, qui est également situé à l'extérieur de la région judiciaire à laquelle il a été affecté. Le 30 juin 1991, le juge Sheppard a été réaffecté par le juge en chef au palais de justice de Whitby qui, comme Newmarket, se trouve dans la région du Centre-Est.

Les juges Sheppard et Beckett réclament des indemnités de déplacement pour faire la navette entre leurs lieux de résidence situés respectivement à North York et à Etobicoke jusqu'à leurs bureaux, situés respectivement à Whitby et à Hamilton. Le commissaire leur a refusé ces indemnités au motif qu'ils habitent tous deux à l'extérieur de la région à laquelle ils ont été affectés et qu'ils n'ont donc droit à aucune indemnité de déplacement aux termes de l'article 38 de la Loi. Le commissaire s'est dit d'avis que les frais en question ne pouvaient être remboursés qu'aux termes du paragraphe 36(2) de la Loi. Les juges Sheppard et Beckett ont demandé le contrôle judiciaire de la décision du commissaire devant la Section de première instance, en s'appuyant principalement sur le paragraphe 34(1) de la Loi.

Les décisions du tribunal inférieur

La question dont était saisi le juge des requêtes dans les deux cas était de savoir si chacun des juges a droit au remboursement de ses frais de déplacement entre sa résidence et le palais de justice où son bureau est situé. Le juge des requêtes note dans son ordonnance que la Loi n'impose plus de conditions de résidence aux juges ontariens. Bien que d'autres provinces aient comblé cette lacune en adoptant des dispositions législatives à cet effet, il fait observer qu'il n'y a aucune loi en vigueur en Ontario qui oblige les juges à résider dans la région à laquelle ils ont été affectés. Il conclut que le paragraphe 34(1) de la Loi renferme donc une "anomalie" relativement aux juges ontariens. Il soutient de plus que, même si l'expression "où la loi les oblige à résider" employée au paragraphe 34(1) a une signification précise dans les provinces qui ont des dispositions pertinentes sur la question, elle ne veut rien dire en Ontario parce qu'il y a un vide dans la législation de cette province. Il conclut finalement que les mots "où la loi les oblige à résider" ne s'appliquent pas aux juges ontariens et qu'ils doivent être considérés comme "invisibles" lorsqu'il s'agit d'interpréter l'article 34 de la Loi. Le juge des requêtes ne fait qu'une brève mention de l'article 38 de la Loi dans son analyse.

Le juge des requêtes poursuit en notant que le Parlement ou la législature provinciale pouvaient adopter des dispositions législatives ayant trait aux conditions de résidence imposées aux juges ontariens, mais que ni l'un ni l'autre ne l'ont fait. Il présume que ce n'est pas le rôle de la Cour de légiférer dans ce domaine. Il conclut donc que les juges Sheppard et Beckett ont droit au remboursement de leurs frais de déplacement. Toutefois, il ajoute qu'ils n'ont pas droit au remboursement de leurs frais quotidiens de déjeuner. Il conclut de plus que les dépenses que le juge Sheppard a engagées avant le 30 juin 1991 pour faire la navette entre North York et le palais de justice de Newmarket ne pouvaient plus être réclamés.

Les moyens des parties

Le commissaire fait valoir que le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que les juges Sheppard et Beckett ont droit au remboursement de leurs frais de déplacement pour faire la navette entre leurs résidences qui se trouvent à l'extérieur des régions de leur affectation et le palais de justice qui se trouve dans la région où leurs bureaux sont situés. Le commissaire fait valoir que les réclamations sont régies exclusivement par l'article 38 de la Loi et non par l'article 34. Selon lui, les articles 36 et 37 [mod. par L.C. 1992, ch. 51, art. 15] de la Loi indiquent que le Parlement n'avait pas l'intention de payer à un juge une indemnité pour ses déplacements entre son lieu de résidence et le palais de justice où son bureau est situé. Selon l'article 38 de la Loi, le juge doit en fait résider dans la région de son affectation pour être en mesure de bénéficier de cet article. Selon le commissaire, en adoptant l'article 38, le Parlement avait l'intention d'autoriser des frais de déplacement pour l'exercice de fonctions judiciaires dans la région, à l'exception du centre judiciaire dans lequel ou près duquel le juge réside. Le commissaire soutient que parce que l'article 38 est expressément applicable aux juges de la Cour de l'Ontario (Division générale), cet article a préséance sur les dispositions plus générales du paragraphe 34(1) de la Loi et doit être interprété comme s'appliquant à une situation dans laquelle un juge de cette cour est tenu d'exercer ses fonctions dans un centre judiciaire autre que le centre judiciaire de la région à laquelle il a été nommé ou affecté.

Le commissaire soutient de plus que la Loi établit un système élaboré de remboursement des frais de déplacement que les juges de la Cour engagent du fait de l'exercice de leurs fonctions judiciaires, mais pas à d'autres titres. Il faut, selon le commissaire, garder à l'esprit l'objet et le but de la Loi dans l'interprétation des dispositions pertinentes. Le commissaire s'appuie sur le passage suivant tiré de l'ouvrage de Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 2e édition (Cowansville (Québec): Éditions Y. Blais, 1990), aux pages 362 et 363 où l'auteur déclare ceci:

Selon les tenants de cette thèse, l'objet d'une loi, le but qu'elle cherche à accomplir, serait toujours un élément à considérer. En outre, on trouvera de nombreux jugements où il est affirmé que, dans la découverte de l'intention du législateur, l'objet poursuivi a au moins autant d'importance que le texte. Ainsi, dans City of Ottawa c. The Canadian Atlantic Railway Co., le juge Taschereau s'exprime ainsi (à la page 381):

Il nous faut donner aux termes de cette charte une interprétation raisonnable compte tenu de la matière et de l'objet public que le législateur visait [. . .]. On ne doit pas interpréter une loi de manière à faire échec à l'intention claire du législateur [. . .].

Quelques années plus tard, le juge Anglin écrit, dans l'arrêt Board of Trustees of Regina Public School District c. Board of Trustees of Gratton Separate School District, à la page 624:

Seul le "caractère absolument contraignant des termes employés" peut justifier une interprétation qui va à l'encontre de ce qui est clairement, l'objet principal d'une loi [. . .]. Il serait contraire à une saine interprétation de laisser l'emploi d'un terme plus ou moins juste faire échec à l'intention du législateur, car on ne doit pas supposer qu'il a prévu toutes les conséquences pouvant résulter de l'emploi d'un terme donné. [Renvois omis.]

Le commissaire soutient qu'il serait incompatible avec l'objet et le but de la Loi de rembourser aux juges ontariens les dépenses qu'ils engagent pour faire la navette entre leur résidence et leur bureau sans tenir compte du lieu où ils ont choisi de résider dans la province.

Les juges Sheppard et Beckett font tous deux valoir que le seul but du paragraphe 34(1) et de l'article 38 de la Loi est d'accorder aux juges le remboursement de leurs frais de déplacement et d'autres indemnités. Selon eux, ces articles constituent un système complet concernant le droit aux indemnités de déplacement accordées aux juges ontariens. Contrairement aux lois actuellement en vigueur en Colombie-Britannique5, en Alberta6, en Saskatchewan7, au Manitoba8, au Québec9, au Nouveau-Brunswick10, en Nouvelle-Écosse11 et à Terre-Neuve12, les lois de l'Ontario ne renferment aucune condition de résidence précise pour les juges de cette province.

Les juges Sheppard et Beckett soulignent que, parce que le lieu de résidence des juges ontariens n'est plus régi par la Loi, le Parlement était manifestement d'avis qu'il était préférable de laisser le règlement de cette question à la discrétion de la législature provinciale. Ils soutiennent qu'il n'appartient pas à la Cour d'intervenir et d'essayer de combler ce vide législatif en imposant une condition de résidence alors qu'il n'y en a pas dans la Loi. Étant donné que le Parlement a abrogé les dispositions de résidence applicables aux juges ontariens, ils prétendent qu'il serait contraire à l'intention du législateur d'interpréter l'article 38 de la Loi comme les obligeant à résider dans la région de leur affectation. Ils soutiennent que pour préserver la cohérence et l'intégrité de la Loi, le paragraphe 34(1) doit recevoir une interprétation suivant laquelle les mots "où la loi les oblige à résider" ne s'appliquent pas aux membres de la magistrature ontarienne.

Le juge Sheppard fait valoir pour sa part que, selon l'interprétation que le commissaire donne à l'article 38, un de ses collègues affecté à la région du Centre-Est qui réside dans cette région, c'est-à-dire dont le bureau est situé dans le centre judiciaire de Whitby et la résidence à quelque distance du palais de justice mais plus près d'un autre centre judiciaire dans la région, serait remboursé de ses frais de déplacement jusqu'à Whitby. Comme le centre judiciaire de la région du Centre-Est le plus près de son lieu de résidence est Newmarket, le juge Sheppard prétend qu'il est inéquitable que le commissaire lui refuse l'indemnité de déplacement jusqu'au centre judiciaire de Whitby simplement parce qu'il se trouve qu'il réside à l'extérieur de la région. L'avocat du commissaire a concédé que cela semble une anomalie que d'accorder une indemnité de déplacement à un collègue se trouvant dans la situation décrite ci-dessus et d'en refuser une au juge Sheppard. Néanmoins, il soutient que cette distinction est rendue obligatoire par l'article 38 de la Loi.

Le juge Sheppard soutient également que la question des frais de repas quotidiens n'était pas contestée entre lui et le commissaire et que, par conséquent, le juge des requêtes n'était pas à bon droit saisi de cette question. De plus, il soutient que le commissaire n'a jamais affirmé que sa réclamation pour ses frais de déplacement entre son domicile de North York et Newmarket entre le 1er septembre 1990 et le 30 juin 1991 était "périmée". Le juge Sheppard fait valoir que le juge des requêtes n'était pas non plus saisi de cette question de frais de déplacement. Je signale que le commissaire n'a adopté aucune position à l'égard de l'une ou l'autre de ces questions.

Les dispositions législatives

Afin de pouvoir apprécier et évaluer la valeur des arguments de chacune des parties, il est nécessaire de décrire brièvement l'historique des dispositions législatives en question depuis la création de la Cour de l'Ontario (Division générale) le 1er septembre 1990. Avant cette date, la Loi renfermait des dispositions qui précisaient la circonscription territoriale, le comté ou le district de l'Ontario dans lesquels les juges de cette province étaient tenus de résider. Les articles 4 à 6 de la Loi étaient rédigés dans les termes suivants:

4. Les juges de la Cour suprême de l'Ontario doivent résider dans la circonscription territoriale dénommée "Municipality of Metropolitan Toronto" ou dans un rayon de quarante kilomètres autour de cette zone, sauf autorisation du gouverneur en conseil de résider dans un autre lieu de la province pour une période déterminée.

5. Sous réserve de l'article 6, les juges des cours de comté résident dans le ou l'un des comtés qui sont du ressort du tribunal.

6. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les juges de la cour de district de l'Ontario résident dans le comté ou le district auquel ils ont été nommés ou affectés.

(2) Un juge de la cour de district de l'Ontario peut résider à l'extérieur du comté ou du district auquel il a été nommé ou affecté si le lieu de sa résidence est approuvé par le gouverneur en conseil.

Le 1er septembre 1990, la Loi sur la réorganisation judiciaire de l'Ontario (1989), L.C. 1990, ch. 17, est entrée en vigueur. En plus de permettre la réorganisation des tribunaux de l'Ontario aux termes de la loi provinciale qui est entrée en vigueur le même jour, comme il en a été question ci-dessus, cette loi fédérale abrogeait les conditions de résidence pour les juges ontariens qui étaient énoncées aux articles 4 à 6 de la Loi. Elle modifiait aussi légèrement l'article 38 pour y indiquer le nom de la Cour de l'Ontario (Division générale). La Loi sur la réorganisation judiciaire de l'Ontario (1989) ne modifiait pas les articles 34 à 37 ni l'article 39 de la Loi. Les articles 34 à 37 ont été modifiés le 30 janvier 1993, aux termes de la Loi de 1992 sur la réorganisation judiciaire de la NouvelleÉcosse, L.C. 1992, ch. 51 [art. 12, 13, 14, 15]. L'article 35 de la Loi a été entièrement abrogé. Les autres modifications, mineures, n'ont pas modifié le sens des dispositions législatives pertinentes qui étaient en vigueur le 1er septembre 199013.

Depuis le 30 janvier 1993, les articles pertinents de la Loi se lisent comme suit:

34. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article et des articles 36 à 39, les juges d'une juridiction supérieure ou de la Cour canadienne de l'impôt qui, dans le cadre de leurs fonctions judiciaires, doivent siéger en dehors des limites où la loi les oblige à résider ont droit à une indemnité de déplacement pour leurs frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacation.

(2) Les juges n'ont droit à aucune indemnité de déplacement pour vacation dans le lieu de leur résidence ou à proximité de celui-ci.

35. [Abrogé.]

36. (1) Il n'est versé aucune indemnité de déplacement:

a) aux juges de la Cour d'appel ou de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse pour vacation au centre judiciaire dans lequel ou près duquel ils ont installé leur bureau principal;

b) aux juges de la Cour suprême de l'Île-du-Prince-Édouard pour vacation dans la ville de Charlottetown;

c) aux juges de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique pour vacation dans la ville de Victoria ou de Vancouver, sauf s'ils résident dans l'autre de ces villes ou à proximité de celle-ci.

(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'empêcher les juges qui résident dans une localité approuvée par le gouverneur en conseil de toucher une indemnité de déplacement.

37. Le juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse qui, dans le cadre de ses fonctions judiciaires, siège dans un centre judiciaire situé dans les limites de la circonscription pour laquelle il est désigné comme juge résident mais qui n'est pas le centre dans lequel ou près duquel il réside ou a installé son bureau principal a droit à une indemnité de déplacement pour ses frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacation.

38. Le juge de la Cour de l'Ontario (Division générale) qui, dans l'exercice de ses fonctions, siège dans un autre centre judiciaire de sa région de nomination ou d'affectation que celui dans lequel ou près duquel il réside a droit à une indemnité de déplacement pour ses frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacation.

39. Les demandes d'indemnité de déplacement doivent être accompagnées d'un état des dépenses exposées certifié par l'intéressé et précisant le nombre de jours de déplacement.

Analyse

Le commissaire reconnaît que, depuis le 1er septembre 1990, aucune disposition législative n'oblige ni le juge Sheppard ni le juge Beckett à résider dans la région à laquelle ils ont respectivement été affectés. Je reconnais que tel est le cas. Simultanément, il faut aussi reconnaître que l'objet des articles 34 à 38 de la Loi est essentiellement de réglementer le paiement des indemnités de déplacement aux juges visés par ces articles. Il faut de plus reconnaître que les deux articles disposent explicitement que ces indemnités doivent être payées à un juge qui se déplace "dans l'exercice de ses fonctions".

D'après l'interprétation que le commissaire donne à l'article 38, le paiement des frais de déplacement d'un juge ontarien affecté, par exemple, à la région du Centre-Est à partir de son lieu de résidence jusqu'à son bureau au centre judiciaire de Whitby est autorisé uniquement si le lieu où réside le juge dans la région est situé dans un autre centre judiciaire de cette région ou à proximité de celui-ci. Le commissaire prétend que le remboursement de ces dépenses n'est pas autorisé si le juge réside à l'extérieur de la région. Bien que cela semble à première vue une anomalie, nous devons déterminer au mieux de notre connaissance si le législateur avait l'intention de rembourser les frais de déplacement dans le premier cas et non dans le second.

En l'espèce, cette recherche de l'intention du législateur doit porter principalement sur les dispositions des articles 34 et 38 de la Loi. C'est ce qu'a déclaré la Cour suprême du Canada dans l'arrêt The King v. Dubois, [1935] R.C.S. 378, à la page 381, où le juge en chef Duff déclare ceci:

[traduction] Dans chaque affaire, le tribunal a le devoir de s'efforcer loyalement de déterminer l'intention du législateur; et il doit le faire en lisant et en interprétant le texte que le législateur a lui-même choisi pour exprimer son intention.

Il est utile de reproduire encore une fois l'article 38 de la Loi:

38. Le juge de la Cour de l'Ontario (Division générale) qui, dans l'exercice de ses fonctions, siège dans un autre centre judiciaire de sa région de nomination ou d'affectation que celui dans lequel ou près duquel il réside a droit à une indemnité de déplacement pour ses frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacation. [Non souligné dans l'original.]

L'article 38 n'impose pas à un juge ontarien l'obligation de résider dans sa région de nomination ou d'affectation. En fait, il importe peu qu'un juge choisisse de vivre à l'intérieur ou à l'extérieur de cette région. Toutefois, la question demeure de savoir si l'article 38 autorise le paiement d'une indemnité de déplacement à un juge ontarien qui fait la navette entre son lieu de résidence, situé à l'extérieur de sa région de nomination ou d'affectation, et son bureau situé dans la région. Bien que le sens de cette disposition ne soit pas tout à fait clair, à mon avis, il peut raisonnablement être interprété comme n'autorisant pas une telle indemnité. Il me semble que, dans les mots que j'ai soulignés ci-dessus, la deuxième référence au "centre judiciaire" doit être considérée comme une référence au même genre de "centre judiciaire" que celui qui est d'abord mentionné dans la même phrase, c'est-à-dire un centre judiciaire "de sa région de nomination ou d'affectation". C'est là l'indice d'une intention de faire en sorte que l'indemnité payée en vertu de cet article soit autorisée uniquement pour les déplacements d'un juge de sa résidence situé dans un centre judiciaire ou près d'un centre judiciaire de sa région de nomination ou d'affectation jusqu'à un autre centre judiciaire de la même région. Autrement dit, l'article 38 autorise une indemnité de déplacement uniquement si le juge qui la réclame réside en fait dans sa région de nomination ou d'affectation. Une telle interprétation me semble compatible avec le but exprès de l'article. Comme l'a statué le juge des requêtes, ni le juge Sheppard ni le juge Beckett ne résident dans leur région d'affectation. Il s'ensuit donc que leurs réclamations de frais de déplacement pour faire la navette entre leur résidence et leur bureau à Whitby et à Hamilton, respectivement, ne tombent pas sous le coup de l'article 38 de la Loi ou ne sont pas autorisées par cet article.

Comme je l'ai noté ci-dessus, le juge des requêtes a conclu que les frais de déplacement en cause dans ces appels peuvent être recouvrés aux termes du paragraphe 34(1) de la Loi. Je reproduis de nouveau cet article pour plus de commodité:

34. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article et des articles 36 à 39, les juges d'une juridiction supérieure ou de la Cour canadienne de l'impôt qui, dans le cadre de leurs fonctions judiciaires, doivent siéger en dehors des limites où la loi les oblige à résider ont droit à une indemnité de déplacement pour leurs frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacation.

Le juge des requêtes était d'avis que le paragraphe 34(1) était applicable aux réclamations en cause parce que ni le juge Sheppard ni le juge Beckett ne sont tenus par la loi de résider dans leur région respective. C'est pour cette raison qu'il a considéré que toute l'expression "en dehors des limites où la loi les oblige à résider" utilisée au paragraphe 34(1) n'était pas applicable. À partir de cette conclusion, le juge des requêtes a statué que les réclamations devaient être considérées comme des indemnités de déplacement payables aux termes du reste du libellé de ce paragraphe.

Je reconnais que l'article 34 n'est pas facile à interpréter. Toutefois, nous devons de nouveau nous en remettre au libellé pertinent de la Loi dans son ensemble et de l'article en particulier pour y déceler l'intention sous-jacente du législateur. Contrairement à l'article 38 de la Loi qui s'applique expressément aux juges de la Cour de l'Ontario (Division générale), l'article 34 s'applique à un juge de toute juridiction supérieure au Canada de même qu'à un juge de la Cour canadienne de l'impôt. Les juges de la Cour de l'Ontario (Division générale) sont donc visés par cet article.

Il est expressément mentionné à l'article 34 que cette disposition est assujettie à l'article 38. Par conséquent, il faut, à mon avis, avoir les dispositions de l'article 38 très présentes à l'esprit pour être en mesure d'interpréter la portée du paragraphe 34(1) dans la mesure où celui-ci s'applique aux juges ontariens. Je note que même si l'article 38 traite d'un juge qui siège dans un centre judiciaire de sa "région d'affectation", la version anglaise du paragraphe 34(1) fait référence aux juges qui siègent "at any place". Il me semble raisonnable d'interpréter ce mot "place" dans le contexte général des deux articles comme s'appliquant à un lieu autre qu'un "centre judiciaire" situé dans la "région d'affectation" d'un juge ontarien. Comme nous l'avons vu, bien que le paragraphe 15(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires , L.R.O. 1990, ch. C.43, exige du juge en chef qu'il affecte tous les juges de la Cour de l'Ontario (Division générale) à une région donnée, aux termes du paragraphe 15(4), un juge peut faire l'objet d'une "affectation temporaire . . . à un endroit quelconque de l'Ontario". À cet effet, le juge Sheppard nous a informés qu'il avait déjà été affecté temporairement en dehors de la région du Centre-Est, comme Ottawa et Toronto. Le libellé de l'article 38 ne s'applique pas, à mon avis, aux frais de déplacement d'un juge qui est en affectation temporaire à l'extérieur de sa région d'affectation.

Je suis d'avis d'accueillir l'appel incident du commissaire dans le dossier nE A-712-97 concernant le juge Sheppard et son appel dans le dossier nE A-714-97 concernant le juge Beckett, d'infirmer les ordonnances de la Section de première instance du 18 septembre 1997 et de rejeter les demandes de contrôle judiciaire. Comme aucune des réclamations du juge Sheppard, y compris celles qui étaient considérées comme "périmées" par le juge des requêtes et les demandes de remboursement de repas quotidiens ne peuvent être remboursées en vertu de la Loi, je suis d'avis de rejeter l'appel du juge Sheppard. Puisque le commissaire n'a pas demandé les dépens, ceux-ci ne lui sont pas adjugés.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Desjardins, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1, modifiée par la Loi sur la réorganisation judiciaire de l'Ontario, L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 11, art. 2, ann., art. 3.

2 Loi sur la réorganisation judiciaire de l'Ontario (1989), L.C. 1990, ch. 17, art. 28.

3 Voir les affectations du 1er septembre 1990, effectuées par le juge en chef Callaghan dans le Dossier d'appel (A-714-97), aux p. 58 à 66. À la même date, l'art. 15 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43 était rédigé dans les termes suivants:

15 (1) Le juge en chef de la Cour de l'Ontario affecte chaque juge de la Division générale à une région donnée et peut le réaffecter à une autre région.

(2) Au moins un juge de la Division générale est affecté à chaque comté et à chaque district.

(3) Aucun juge de la Division générale qui était, avant le 1er septembre 1990, juge de la Haute Cour de justice ou de la Cour de district de l'Ontario n'est affecté, sans son consentement, à une région dans laquelle il ne résidait pas immédiatement avant cette date-là.

(4) Les paragraphes (1) à (3) n'ont pas pour effet d'empêcher l'affectation temporaire d'un juge à un endroit quelconque de l'Ontario.

4 Ibid.

5 Supreme Court Act, S.B.C. 1989, ch. 40, art. 2.

6 Court of Queen's Bench Act, R.S.A. 1980, ch. C-29, art. 6.

7 The Queen's Bench Amendment Act 1980, S.S. 1979-80, ch. 91, art. 5; The Queen's Bench Amendment Act, 1996, S.S. 1996, ch. 57, art. 3.

8 Loi sur la Cour du Banc de la Reine, L.M. 1988-89, ch. 4, art. 9.

9 Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q. 1977, ch. T-16, art. 32.

10 Loi sur l'organisation judiciaire, L.R.N.-B. 1973, ch. J-2, art. 4.

11 An Act to Reform the Courts of the Province, S.N.S. 1992, ch. 16, art. 52.

12 Judicature Act, R.S.N. 1990, ch. J-4, art. 4 et 22.

13 Avant les modifications de 1993, les articles 34 et 35 se lisaient comme suit:

34. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article et des articles 35 à 39, les juges d'une juridiction supérieure, d'une cour de comté ou de la Cour canadienne de l'impôt qui, dans le cadre de leurs fonctions judiciaires, doivent siéger en dehors des limites où la loi les oblige à résider ont droit à une indemnité de déplacement pour leurs frais de transport et les frais de séjour et autres entraînés par la vacation.

(2) Les juges n'ont droit à aucune indemnité de déplacement pour vacation dans leur lieu de résidence ou à proximité de celui-ci.

35. (1) Les juges des cours de comté n'ont droit à aucune indemnité de déplacement pour vacation au chef-lieu du comté dans les limites duquel ils résident ou au centre ou chef-lieu de la circonscription où ils sont nommés ou du circuit auquel ils sont affectés.

(2) Les juges des cours de comté n'ont droit à une indemnité de déplacement pour vacation à l'extérieur des comtés où ils sont nommés ou à l'extérieur des comtés ou circuits auxquels ils sont affectés que si le tribunal siège avec l'approbation du procureur général de la province et si le ministre de la Justice du Canada est convaincu de la nécessité de leur présence et du fait qu'elle était dûment autorisée.

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