IMM-740-96
Liberal Ferriera Da Costa (requérant)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)
Répertorié: Da Costac. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1re inst.)
Section de première instance, juge MacKay"Toronto, 19 février; Ottawa, 24 septembre 1997.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de résidents permanents — Contrôle judiciaire de la décision selon laquelle le requérant constituait un danger pour le public au Canada — Il a été déclaré non coupable d'un crime en raison d'un trouble mental, et détenu dans un hôpital psychiatrique sur ordonnance de la commission d'examen de l'Ontario constituée en vertu du Code criminel — Alors que l'appel interjeté de la mesure d'expulsion était pendant, une lettre avisant que le ministre envisageait d'émettre l'avis selon lequel le requérant constituait un —danger pour le public— a été envoyée à l'adresse des parents — Une copie en a été envoyée à l'avocate qui le représentait dans l'appel interjeté de l'expulsion — L'avocate a répondu en décrivant les circonstances de la détention — Demande accueillie — Le requérant est frappé d'incapacité — La Règle 1700(1)a) des Règles de la Cour fédérale s'applique, c'est-à-dire que les procédures de la Cour de l'Ontario (Division générale) devraient être respectées — Il n'existe aucune preuve que la signification de l'avis possible du ministre a été effectuée conformément au droit ontarien — Les autorités provinciales, responsables des intérêts du requérant, n'ont pas été avisées des procédures — Décision annulée — Questions certifiées: Dans les procédures engagées sous le régime de l'art. 70(5) de la Loi sur l'immigration, un avis, conforme au droit provincial, doit-il être donné à ceux qui sont responsables de la personne détenue dans une institution provinciale par suite de la décision de la Commission d'examen de l'Ontario constituée en vertu du Code criminel? 2) Dans l'affirmative, l'absence de preuve d'un tel avis constitue-t-elle un motif d'annulation de l'opinion selon laquelle la personne constitue un danger pour le public au Canada?
Pratique — Signification — Contrôle judiciaire de la décision, fondée sur la Loi sur l'immigration, selon laquelle le requérant constitue un —danger pour le public— — Le requérant est frappé d'incapacité en raison d'une maladie mentale — Détenu par ordonnance de la Commission d'examen de l'Ontario constituée en vertu du Code criminel — La lettre avisant que le ministre envisageait d'émettre l'avis selon lequel le requérant constituait un —danger pour le public au Canada— a été envoyée à l'adresse des parents — Une copie en a été envoyée à l'avocate qui le représentait dans l'appel interjeté de l'expulsion — La Règle 1700(1)a) des Règles de la Cour fédérale prévoit qu'une procédure engagée contre un incapable peut être engagée de la façon dont une telle procédure serait engagée devant une cour supérieure de la province où l'incapable réside — Les procédures de la Cour de l'Ontario (Division générale) s'appliquent — Il n'existe aucune preuve que la signification de l'avis possible du ministre a été effectuée conformément au droit ontarien — Les autorités provinciales responsables des intérêts du requérant n'ont pas été avisées des procédures — Décision annulée.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures criminelles et pénales — L'art. 12 de la Charte garantit le droit à la protection contre tous traitements cruels et inusités — Un vice de signification des procédures prévues à l'art. 70(5) de la Loi sur l'immigration ne constitue pas un traitement cruel et inusité.
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision selon laquelle le requérant constitue une "danger pour le public au Canada". Le requérant est un résident permanent qui a quitté le Portugal pour venir au Canada en 1969 à l'âge de quatre ans. Il souffre de schizophrénie chronique, ce qui lui donne des hallucinations, des fantasmes et de la paranoïa. Il a aussi, dans son passé, des problèmes de toxicomanie et d'alcool, et il possède un casier judiciaire. Par suite de l'infraction la plus récente dont il a été accusé, pour laquelle il a été déclaré non coupable en raison d'un trouble mental, il est détenu à un hôpital psychiatrique par ordonnance de la commission d'examen de l'Ontario constituée en vertu du Code criminel, en application de l'alinéa 672.54c ) du Code criminel. Il avait auparavant reçu la signification d'une mesure d'expulsion, qui faisait l'objet d'un appel lorsque le Ministère de l'intimé a avisé par lettre du 7 novembre 1995 que le cas du requérant était examiné aux fins de déterminer l'avis du ministre selon lequel il constituait un "danger pour le public au Canada" en application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration . La lettre a été envoyée au requérant, à l'adresse de ses parents où il ne résidait plus. Une copie en a été envoyée à l'avocate qui avait déposé l'appel interjeté par le requérant de la mesure d'expulsion. Elle a répondu qu'elle était l'avocate du requérant [traduction] "pour l'audition de l'appel qu'il a interjeté de la mesure d'expulsion prise contre lui", et elle a décrit les circonstances dans lesquelles il était détenu dans un établissement psychiatrique.
Il s'agit de déterminer si on avait, de façon appropriée, signifié au requérant l'avis de l'examen fait par le ministre pour émettre un "avis de danger".
Jugement: la demande doit être accueillie.
Il ressort de la lettre de l'avocate qu'une autre enquête s'imposait pour s'assurer que le requérant, à cause de son incapacité mentale, était à même de s'occuper de ses propres affaires, ou pour déterminer si quelqu'un d'autre ou un organisme, nommé pour s'occuper de ses affaires, devait être avisé des procédures prévues par la Loi sur l'immigration.
La Règle 1700(1)a) des Règles de la Cour fédérale prévoit qu'une procédure engagée contre un incapable peut être engagée de la façon dont une telle procédure serait engagée devant une cour supérieure de la province où l'incapable réside. Dans une action dont est saisie la Cour, y compris la présente demande de contrôle judiciaire, la Règle 1700(1)a) s'applique, et le requérant devrait être représenté conformément aux procédures de la Cour de l'Ontario (Division générale). La Couronne provinciale est responsable des intérêts et du bien-être des incapables, en vertu du droit provincial applicable. Il n'existe pas de preuve que la signification de la notification de l'avis possible du ministre a été effectuée conformément au droit ontarien. Les droits du requérant, y compris les droits en matière de procédure prévus par ce droit, qui est destiné à sauvegarder les droits civils des incapables, ne peuvent être méconnus dans les procédures engagées sous le régime du paragraphe 70(5). Les agents provinciaux responsables des intérêts du requérant n'ont peut-être pas eu l'avis des procédures qui le touchaient ou qui affectaient leurs responsabilités à son égard.
L'intimé fait valoir que le principe d'équité est la seule norme applicable au contrôle de la procédure suivie dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de rendre une décision administrative. Il est allégué qu'il n'y a pas eu défaut d'équité parce que l'avocate du requérant avait reçu l'avis, avait répondu pour le compte de ce dernier et présenté des observations dont le délégué du ministre disposait lors de la prise de la décision en question. Mais il n'existe pas de preuve que l'avocate était autorisée à agir pour lui sauf en ce qui concernait son appel de la mesure d'expulsion. En l'absence d'un avis approprié, les procédures n'ont pas satisfait aux normes d'équité minimales, et l'avis du ministre doit être annulé.
L'article 12 de la Charte garantit le droit à la protection contre tous traitements cruels et inusités. Un vice de signification de l'avis au requérant n'entraîne pas un traitement cruel et inusité.
Les questions suivantes ont été certifiées: 1) Dans les procédures engagées sous le régime du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, un avis, conforme au droit provincial, doit-il être donné à ceux qui sont chargés des affaires et des droits civils de la personne visée lorsque celle-ci est détenue dans une institution provinciale par suite de la décision de la Commission d'examen provinciale constituée en vertu du Code criminel? et 2) Dans l'affirmative, l'absence de preuve que l'avis relatif aux procédures engagées sous le régime du paragraphe 70(5) a été donné à ceux qui sont responsables de ses affaires constitue-t-elle un motif d'annulation d'une opinion selon laquelle la personne visée constitue un danger pour le public au Canada?
lois et règlements
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 12.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 672.54c) (édicté par L.C. 1991, ch. 43, art. 4).
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).
Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d'autrui, L.O. 1992, ch. 30.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 27(1)d) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16), 70(5) (édicté par L.C. 1995, ch. 15, art. 13), 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1700(1)a).
jurisprudence
décisions appliquées:
Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646; (1997), 147 D.L.R. (4th) 93; 212 N.R. 63 (C.A.); R. v. Hume, Ex p. Morris, [1965] 3 C.C.C. 118 (C.S.C.-B.); infirmé, pour d'autres motifs, par [1965] 3 C.C.C. 349 (C.A.C.-B.).
décisions citées:
Tsang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 37 Imm. L.R. (2d) 1; 211 N.R. 131 (C.A.F.); Casiano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 25 (C.F.1re inst.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270; (1992), 10 C.R.R. (2d) 348 (C.A.).
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision selon laquelle le requérant constituait un "danger pour le public", la demande étant fondée sur la signification irrégulière de l'avis des procédures engagées sous le régime du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration au requérant, qui était détenu dans un hôpital psychiatrique par ordonnance de la commission d'examen de l'Ontario constituée en vertu du Code criminel. Demande accueillie.
avocats:
Jeffrey A. House pour le requérant.
Jeremiah A. Eastman pour l'intimé.
procureurs:
Jeffrey A. House, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
Le juge MacKay: La présente demande de contrôle judiciaire a été entendue à Toronto, le 19 février 1997. Elle tend à l'obtention d'une ordonnance portant annulation de la décision, en date du 15 février 1996, prise par un délégué du ministre intimé en application du paragraphe 70(5) [édicté par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi), selon laquelle le requérant constitue "un danger pour le public au Canada". Cette décision a pour conséquence d'enlever au requérant le droit d'interjeter appel, devant la Commission d'appel de l'immigration, d'une décision antérieure selon laquelle il devait être expulsé du Canada.
Au moment de l'audition, les points litigieux soulevés comprenaient certaines questions qu'on s'attendait à ce que la Cour d'appel examine, comme elles ont été plus tard examinées dans l'arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.). Le prononcé de la décision en l'espèce a été remis à plus tard. Vu les questions alors soulevées et certaines mentions de documents législatifs et autres, concernant des situations analogues, présentées à la suite de l'audition par l'avocat du requérant à l'invitation de la Cour, et compte tenu de la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Williams, une ordonnance est maintenant rendue pour accueillir la demande. La décision repose sur des motifs juridiques en matière de procédure concernant l'avis approprié à donner au requérant et les mesures afférentes pour qu'il fasse des observations dans des procédures intentées en l'espèce par le ministre intimé ou au nom de ce dernier.
Le requérant, aux époques en cause de la décision du ministre fondée sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration et depuis, a été détenu sur ordonnance de la commission d'examen de l'Ontario constituée en vertu du Code criminel, par décision prise le 21 février 1995. Il a été détenu au St. Thomas Psychiatric Hospital à St. Thomas (Ontario), en application de l'alinéa 672.54c) [édicté par L.C. 1991, ch. 43, art. 4] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, modifié. L'ordonnance de la Commission prévoit qu'il doit être détenu à l'hôpital dans le cadre d'un programme de traitement en attendant sa possible réadaptation. En vertu du Code criminel, pendant qu'il est détenu à l'hôpital, le requérant doit être examiné annuellement pour déterminer s'il continue d'être une personne dangereuse contre qui le public devrait être protégé. Tant qu'il sera déclaré qu'il l'est, il demeurera en détention.
Il est utile d'exposer les antécédents du requérant jusqu'au moment de la décision contestée. Il est originaire du Portugal et est citoyen de ce pays. Il est venu au Canada avec sa famille en 1969, année où il avait presque quatre ans. Il continue de vivre depuis au Canada en tant que résident permanent sans avoir acquis la citoyenneté.
Le requérant a un casier judiciaire où figurent une condamnation pour dommages à la propriété publique en 1985 et, depuis lors, des vols qualifiés commis en 1991, 1992 et 1994. Il a aussi, dans son passé, connu de longues périodes de maladie mentale et, depuis 1984, il a été hospitalisé à plusieurs reprises. Il souffre de schizophrénie chronique, ce qui lui donne des hallucinations, des fantasmes et de la paranoïa. En outre, il a, dans son passé, des problèmes d'alcool et de toxicomanie. Parfois, même à l'hôpital, il a eu un comportement bizarre, agressif et violent, et ceci est exacerbé par son refus périodique de continuer de prendre des médicaments pour soulager son état et l'aider à contrôler ses impulsions.
La famille du requérant lui est d'un grand soutien, mais en raison de son comportement agressif périodique et capricieux, on dit que ses parents ne sont pas disposés à le reprendre dans leur maison s'il était autorisé à quitter l'hôpital St. Thomas, ou ne peuvent le faire.
L'infraction la plus récente commise par le requérant est survenue le 27 août 1994 lorsque, armé d'une fourchette, il a volé ou tenté de voler un dépanneur. La poursuite dont il a fait l'objet par suite de cette infraction a conduit à une conclusion en janvier 1995 selon laquelle il n'était pas criminellement responsable de l'infraction du fait de son trouble mental, et il a été ordonné qu'il soit détenu en attendant la décision de la commission d'examen de l'Ontario constituée en vertu du Code criminel. Ainsi qu'il a été noté, cette commission a ordonné en février 1995 qu'il soit détenu à St. Thomas en application de l'alinéa 672.54c) du Code criminel. Conformément à cette disposition du Code, cette décision a été prise "compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses".
Antérieurement, en novembre 1993, par suite d'une enquête de l'immigration, on avait signifié au requérant une mesure d'expulsion lorsqu'un arbitre avait jugé qu'il était une personne visée à l'alinéa 27(1)d) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] de la Loi, c'est-à-dire une personne qui, si elle demandait à être admise au Canada, ne serait pas admissible en raison de ses condamnations criminelles. L'avocat qui le représentait à l'époque a interjeté appel de cette mesure d'expulsion devant la Commission d'appel de l'immigration. Cet appel n'avait pas été entendu lors de l'engagement des procédures sous le régime du paragraphe 70(5) de la Loi.
Par lettre en date du 7 novembre 1995, le Ministère de l'intimé a avisé que le cas du requérant était examiné aux fins de déterminer l'avis du ministre selon lequel il constitue "un danger pour le public au Canada" en application du paragraphe 70(5) de la Loi. Cette disposition, qui est entrée en vigueur le 10 juillet 1995, porte:
70. . . .
(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre:
a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;
b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;
c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.
Cette disposition a été rendue applicable, au moyen d'une disposition transitoire, aux personnes comme le requérant qui avaient déposé un appel qui n'avait pas été entendu avant le 10 juillet 1995 (voir L.C. 1995, ch. 15. art. 13(4); Tsang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 37 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.); et Casiano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 25 (C.F. 1re inst.)).
Plusieurs questions ont été soulevées au nom du requérant dans la présente demande de contrôle judiciaire, y compris quelques questions constitutionnelles. À l'exception d'une seule question, je considère que les points litigieux soulevés sont maintenant tranchés; un certain nombre d'entre eux l'a été par la décision rendue au nom de la Cour d'appel par le juge Strayer dans l'affaire Williams, supra, décision rendue après l'audition de la présente demande. Dans l'affaire Williams (à la page 665), le juge a commenté en ces termes l'effet du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration:
. . . je ne suis pas disposé à présumer qu'un avis donné en vertu du paragraphe 70(5) devrait être assimilé à une mesure d'expulsion. Au pire, l'avis remplace un appel sur le droit et les faits par un contrôle judiciaire, remplace le pouvoir discrétionnaire de la section d'appel par le pouvoir discrétionnaire dont le ministre est investi d'accorder une dispense pour des raisons d'ordre humanitaire et remplace la certitude d'un sursis d'exécution d'origine législative par l'éventualité d'un sursis d'exécution judiciaire.
À mon avis, les questions suivantes soulevées en l'espèce sont maintenant tranchées.
i) Le paragraphe 70(5) de la Loi et la façon dont il s'applique en l'espèce ne font pas intervenir un droit à la liberté et à la sécurité de la personne prévu à l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], même si c'était l'avis du ministre fondé sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, mais tel n'est pas le cas, qui occasionne le renvoi d'un résident permanent du Canada. (Voir Williams, supra, à la page 665.)
ii) Le processus suivi en l'espèce dans l'application du paragraphe 70(5) de la Loi ne soulève pas de problèmes d'équité, relativement à l'article 7 de la Charte, ou à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III], ou en termes administratifs, par le défaut d'une audition orale (Williams, supra), par le délai prévu pour faire des commentaires sur les documents réunis en vue d'un possible avis du ministre ou de son délégué sous le régime du paragraphe 70(5), ou par le défaut de motiver l'avis (voir Williams, supra, page 672 et suiv. et page 678 et suiv.). En l'absence d'une exigence légale, il n'existe aucune obligation de motiver une décision, même si motiver est généralement recommandé.
(iii) Le paragraphe 70(5) de la Loi et la façon dont il s'applique en l'espèce ne portent pas atteinte au droit protégé par l'article 12 de la Charte, c'est-à-dire le droit à la protection contre tous traitements et peines cruels et inusités. (Voir Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270 (C.A.).) De plus, je ne suis pas persuadé qu'on puisse dire qu'un vice de signification de l'avis au requérant entraîne, comme on l'a prétendu en l'espèce, un traitement cruel et inusité, qui, en raison des caractéristiques personnelles du requérant, justifierait qu'il soit exempté de l'application du paragraphe 70(5). Une signification appropriée peut être requise. Mais le paragraphe 70(5), s'il est appliqué, n'entraîne pas de traitements cruels et inusités, contrairement à l'article 12 de la Charte.
De plus, je ne suis pas persuadé que le délégué du ministre en l'espèce ait commis une erreur dans l'interprétation et l'application de l'expression "danger pour le public". Je reconnais, comme l'a fait valoir l'avocat du requérant, que bien que, généralement, de semblables concepts soient utilisés au paragraphe 70(5) de la Loi (et à quelques autres articles), et aussi à l'article 672.54 du Code criminel du Canada, où il est fait état de "la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses", les facteurs concernant l'application de cette expression dans la Loi sur l'immigration peuvent différer de ceux applicables dans le contexte du Code criminel. À mon avis, la conclusion de la commission de l'Ontario à l'égard du requérant, savoir qu'il constitue un danger pour le public, ne lie nullement le délégué du ministre, tout comme une décision future de cette commission selon laquelle il ne constitue plus un danger pour le public et peut être mis en liberté ne lierait pas le ministre sous le régime du paragraphe 70(5) de la Loi.
Cependant, je ne suis pas persuadé, comme l'a prétendu l'avocat du requérant, que l'absence de preuve qu'il avait déjà blessé quelqu'un, et le fait qu'il était détenu dans une institution en application du Code criminel de telle sorte qu'il n'était pas en liberté parmi les membres du public, doivent conduire à la conclusion que le délégué du ministre a commis une erreur de droit en exprimant l'"avis de danger". Cet argument invite la Cour à substituer sa décision à celle du délégué du ministre, ce que la Cour ne peut faire.
Je ne suis pas persuadé qu'il n'existe pas d'éléments de preuve qui étayent l'avis du ministre. Dans ces circonstances, on ne saurait dire de l'avis qu'il est déraisonnable. Même si j'aurais pu prendre une décision différente d'après les éléments de preuve dont disposait le délégué du ministre, si je devais prendre cette décision, il n'est pas possible de dire que la décision a été prise sans tenir compte des éléments de preuve dont était saisi le décideur.
Cependant, un argument invoqué par l'avocat du requérant m'amène à conclure que, en l'espèce, il existait une erreur procédurale qui viole le principe juridique, pour ne pas dire la loi, et qui justifie que la Cour intervienne pour annuler l'avis et renvoyer l'affaire pour nouvel examen.
Il est allégué que le requérant n'a pas reçu une signification appropriée de la notification selon laquelle le ministre envisageait de formuler une "avis de danger" à son égard. Voici les faits qui découlent du dossier. La lettre du 7 novembre 1995 qui informait d'un avis possible du ministre et qui énumérait les documents à examiner, avec la possibilité pour le requérant de faire des observations dans un délai de 15 jours, a été envoyée au requérant à l'adresse de ses parents où il ne résidait plus. Une copie en a été envoyée à l'avocate qui avait auparavant déposé l'appel du requérant devant la Section d'appel relativement à la mesure d'expulsion qui avait été prise contre lui en 1993.
Le requérant lui-même n'a pas répondu à la lettre du 7 novembre. L'avocate, qui avait reçu une copie de cette lettre le 9 novembre 1995, a effectivement écrit le 23 novembre 1995 pour répondre à cette lettre. Dans sa réponse, elle a fait savoir qu'elle était l'avocate du requérant [traduction] "pour l'audition de l'appel qu'il a interjeté de la mesure d'expulsion prise contre lui". Elle a soumis des lettres à l'appui du requérant, notamment une lettre provenant de sa famille, y compris ses parents, et elle a décrit les circonstances dans lesquelles il avait été alors détenu dans un établissement de traitement jusqu'à ce que la commission de l'Ontario déterminât qu'il ne constituerait plus un danger pour le public. Qu'il soit détenu dans cet établissement ou qu'il en soit libéré, le requérant a été décrit comme quelqu'un qui avait besoin de soutien et de traitements dont on ne pouvait s'attendre à ce qu'ils lui soient disponibles s'il devait être expulsé au Portugal où il n'avait aucun parent proche ni aucun ami.
À mon avis, il ressort de la lettre de l'avocate qu'une autre enquête s'imposait pour s'assurer que le requérant, apparemment détenu en application du Code criminel, à cause de son incapacité mentale, était à même de s'occuper de ses propres affaires, ou pour déterminer si, le requérant étant apparemment frappé d'une incapacité, quelqu'un d'autre ou un organisme, nommé pour s'occuper de ses affaires, devait être avisé de ses intérêts dans les procédures fondées sur la Loi sur l'immigration. Je crois que ses circonstances sont claires, car, dans le "Rapport relatif à l'avis ministériel sur l'examen des cas de criminels accumulés, Danger pour le public", établi en janvier 1996, après que des observations eurent été présentées par l'avocate du requérant à l'époque, qui agissait auparavant relativement à l'appel interjeté par ce dernier, il est fait état de ce que le requérant est détenu à St. Thomas Psychiatric Facility. Ce rapport comprenait également une note de janvier 1995 concluant que le requérant n'était pas criminellement responsable du vol qualifié qu'il avait auparavant commis en raison du trouble mental. De plus, le rapport note que sa libération [traduction ] "attend la décision de la commission d'examen conformément à l'article 672.45 du C.C.". De plus, une lettre à l'appui du requérant, présentée par son avocate d'alors, traitait des circonstances dans lesquelles il était détenu et soigné.
Le requérant est un incapable en raison de sa maladie mentale. Il est détenu par ordonnance rendue par la commission de l'Ontario constituée en vertu du Code criminel. Dans une action dont est saisie la Cour, y compris probablement la présente demande de contrôle judiciaire, l'alinéa 1700(1)a) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] devrait s'appliquer, et le requérant devrait être représenté de la manière et selon les procédures y prévues, c'est-à-dire conformément aux procédures de la Cour de l'Ontario (Division générale). Je reconnais que la Règle 1700 ne s'applique particulièrement pas au ministre et à ses agents dans l'exercice de leurs fonctions sous le régime de la Loi. Toutefois, en vertu des principes généraux de parens patriae, s'occuper du bien-être et des intérêts d'un incapable tel le requérant est la responsabilité de la Couronne provinciale, responsabilité qui peut être exécutée par l'entremise des cours supérieures provinciales en ce qui concerne les procédures juridiques ordinaires devant les tribunaux, mais, en tout état de cause, une responsabilité établie en vertu du droit provincial applicable.
Dans la décision R. v. Hume, Ex P. Morris, [1965] 3 C.C.C. 118 (C.S.C.-B.), infirmée pour d'autres motifs par [1965] 3 C.C.C. 349 (C.A.C.-B.), la Cour suprême de la Colombie-Britannique a confirmé ce principe quant à l'application des dispositions du Code criminel qui se rapportaient à une enquête menée pour déclarer qu'une personne est un repris de justice. Dans cette affaire, le juge Munroe s'est exprimé en ces termes (aux pages 119 et 120):
[traduction] En Colombie-Britannique, la signification à personne d'une assignation ou d'autres actes de procédure à un patient confiné dans le Provincial Mental Hospital et qui se voit priver de sont droit de gérer ses propres affaires ne serait pas censée être une signification valable. Il est alors certain que la signification à une telle personne de l'important avis qu'impose le droit criminel ne saurait être considérée comme étant une signification valable. La loi s'occupe de sauvegarder les droits civils de telles personnes. Elle ne peut faire moins de zèle dans la préservation et la sauvegarde des droits de ces personnes dans les procédures pénales.
À mon avis, ce principe s'applique également aux procédures engagées en vertu de la Loi sur l'immigration, particulièrement aux procédures telles que celles prévues au paragraphe 70(5) qui sont engagées par le ministre intimé ou au nom de ce dernier et qui peuvent porter atteinte, sur le plan procédural, aux droits du requérant prévus par la Loi. En l'espèce, fait défaut la preuve que la signification de la notification de l'avis possible du ministre a été effectuée conformément au droit ontarien. À mon avis, les droits du requérant, y compris les droits en matière de procédure prévus par ce droit, qui est destiné à sauvegarder les droits civils des incapables, ne peuvent être méconnus dans les procédures engagées sous le régime du paragraphe 70(5) de la Loi. Sans l'avis approprié requis par le droit ontarien applicable dans le cas des actes de procédure administratifs concernant des incapables, les agents provinciaux responsables des intérêts du requérant ne peuvent être avisés des procédures qui le touchent ou qui affectent leurs responsabilités à son égard.
L'avocat de l'intimé fait valoir que la seule norme applicable au contrôle de la procédure suivie dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de rendre une décision administrative est le principe d'équité. En l'espèce, il est allégué qu'on ne pouvait prétendre sérieusement qu'il y avait eu défaut d'équité lorsque l'avocate du requérant avait reçu l'avis et avait répondu pour le compte du requérant et présenté des observations dont le délégué du ministre disposait lors de la prise de la décision en question. Cela présume résolue la question de savoir si l'avocate représentant le requérant relativement à son appel déposé antérieurement, concernant une mesure d'expulsion, était autorisée par la loi à le représenter dans d'autres procédures en matière d'immigration engagées après que le requérant, qui avait été jugé non responsable d'une infraction en raison d'un trouble mental, eut fait l'objet d'une ordonnance de détention dans un établissement psychiatrique jusqu'à sa mise en liberté sur ordonnance de la commission d'examen provinciale. Il n'existe pas de preuve que l'avocate qui représentait à l'époque le requérant était autorisée à agir pour lui sauf en ce qui concernait son appel devant la commission d'appel. Les procédures prévues au paragraphe 70(5) différaient de celles de la commission relatives à son appel.
Lorsque l'espèce a été entendue, j'ai demandé aux avocats de me donner des opinions sur les conditions de signification d'avis à un incapable dans le cas des décisions administratives semblables à celles en question en l'espèce. Malgré des tentatives qui, j'en suis sûr, étaient diligentes, aucune disposition législative ni aucune jurisprudence portant directement sur la question n'ont été suggérées. La Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d'autrui, L.O. 1992, ch. 30, dans la mesure où elle porte sur la personne et les décisions touchant un incapable, est quelque peu applicable.
À mon avis, il ressort du dossier que fait défaut la preuve que le requérant avait reçu l'avis des procédures fondées sur le paragraphe 70(5) conformément au droit ontarien applicable. En l'absence d'un avis approprié, les procédures ont été viciées en ce sens qu'elles ne satisfaisaient pas aux normes d'équité minimales. Dans ces circonstances, j'estime que l'avis du ministre ne saurait être confirmé. Une ordonnance sera rendue pour annuler cet avis et renvoyer l'affaire au ministre pour qu'il procède à un nouvel examen conforme à la loi.
À la fin de l'audition de la présente demande, j'ai laissé ouverte la possibilité pour les avocats de soumettre des questions aux fins de la certification prévue au paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi, en vue de leur examen par la Cour d'appel.
Avant de rendre une ordonnance accueillant la demande, je demande aux avocats de soumettre par écrit une question ou des questions conformément au paragraphe 83(1). Si les avocats peuvent s'entendre sur une question ou sur des questions et les soumettre avant le 6 octobre 1997, cela serait utile. S'ils ne peuvent s'entendre et si l'un ou l'autre des avocats soumet une question avant cette date, elle devrait être présentée à l'avocat de la partie adverse qui peut alors faire des commentaires écrits au plus tard le 10 octobre 1997.
* * *
[Ordonnance en date du 20 octobre 1997.]
VU la demande de contrôle judiciaire qui tend à l'obtention d'une ordonnance portant annulation de la décision, en date du 1er février 1996, prise par un délégué du ministre intimé et communiquée au requérant le 20 février 1996 selon laquelle il est d'avis, en application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration (la Loi), que le requérant constitue un danger pour le public au Canada;
APRÈS avoir entendu les avocats des parties à Toronto le 19 février 1997 lorsqu'il a été sursis à décision et après avoir examiné les arguments qui ont été présentés et que par la suite la Cour a déposé des motifs d'ordonnance qui invitaient les avocats à soumettre des questions aux fins de la certification prévue au paragraphe 83(1) de la Loi, et examiné les arguments présentés par écrit par les avocats à l'égard des questions soumises;
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE:
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. La décision, en date du 1er février 1996, selon laquelle le délégué du ministre était d'avis que le requérant constitue un danger pour le public au Canada, est annulée et l'affaire est renvoyée au ministre pour qu'il procède à un nouvel examen conforme à la loi.
3. Aux termes du paragraphe 83(1) de la Loi, les questions suivantes sont certifiées en vue d'un examen possible par la Cour d'appel:
1. Dans les procédures engagées sous le régime du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, un avis, conforme au droit provincial, doit-il être donné à ceux qui sont chargés des affaires et des droits civils de la personne visée lorsque celle-ci est détenue dans une institution provinciale par suite de la décision d'une commission d'examen provinciale constituée en vertu du Code criminel?
2. S'il convient de répondre à la question 1 par l'affirmative, l'absence de preuve que l'avis relatif à une procédure engagée sous le régime du paragraphe 70(5) a été donné à ceux qui sont responsables des affaires de la personne visée constitue-t-elle un motif d'annulation d'une opinion selon laquelle celle-ci constitue un danger pour le public au Canada?