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[1994] 3 .C.F 99

IMM-3365-93

Murugadas Thamotharampillai (requérant)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Thamotharampillai c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson—Toronto, 13 avril; Ottawa, 22 avril 1994.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Demande de contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié (SSR), selon laquelle le requérant était exclu de l’application de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés parce qu’il s’était rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies — Le requérant, un Tamoul originaire du Sri Lanka, a été reconnu coupable au Canada d’avoir comploté pour faire le trafic de l’héroïne — La SSR a considéré que la lutte contre le trafic des stupéfiants était l’un des buts des Nations Unies — Demande rejetée — L’interprétation donnée par la SSR à la clause d’exclusion comprise dans la Convention est la plus conforme à la justice et à la raison — Le crime pour lequel le requérant a été condamné pouvait avoir des répercussions internationales importantes — Élément de l’activité criminelle internationale contre laquelle les Nations Unies ont pris des initiatives importantes dans le cadre de leurs buts et de leurs principes — Pouvait avoir des répercussions sociales, culturelles, humaines et économiques terribles.

Droit international — Interprétation de l’art. 1Fc) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, qui exclut de l’application de la Convention les personnes dont on a une raison sérieuse de penser qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies — La décision de la SSR d’appliquer la clause d’exclusion n’est pas erronée, le requérant ayant été reconnu coupable d’avoir comploté pour faire le trafic des stupéfiants — Le crime du requérant faisait partie d’un plan international et avait des répercussions au-delà des frontières du Canada — L’interprétation donnée à la Convention est celle qui est la plus conforme à la justice et à la raison dans les circonstances.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision qu’a rendue la section du statut de réfugié (SSR), qui a statué que le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention, pour le motif que la clause d’exclusion de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, soit la section Fc) de l’article premier, s’applique à lui. Cette clause d’exclusion prévoit que la Convention ne s’applique pas aux personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Le requérant a plaidé coupable à l’accusation d’avoir comploté pour faire le trafic d’un stupéfiant (l’héroïne). Un rapport a été préparé contre lui, en vertu de l’article 27 de la Loi sur l’immigration. À l’audience tenue pour décider de son expulsion, il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Bien que la SSR ait conclu que le requérant avait une crainte bien fondée que, s’il devait retourner au Sri Lanka, il serait persécuté pour le motif de sa nationalité, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, et, bien qu’elle ait aussi déterminé que le requérant n’avait pas de possibilité de refuge dans une autre partie du même pays, elle a conclu que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention, pour le motif qu’il est une personne à qui la Convention ne s’applique pas en raison de la section Fc) de l’article premier de la Convention. La SSR a considéré que la lutte au trafic des stupéfiants est l’un des buts des Nations Unies.

La question en litige consistait à déterminer si la section avait commis une erreur de droit en choisissant de donner l’interprétation large et libérale qu’elle a donnée à la section Fc) de l’article premier de la Convention plutôt que l’interprétation plus restrictive suggérée par le Guide publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Bien que le crime commis en l’espèce par le requérant n’ait rien à voir avec les « atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale », que l’on a affirmé être sous-jacentes aux intentions des États signataires de la Convention de se réserver un vaste pouvoir d’exclusion du statut de réfugié à l’égard des auteurs de crimes internationaux, ce crime n’en avait pas moins une incidence internationale. L’héroïne n’est pas un stupéfiant produit au Canada. Le crime en question est un crime contre lequel les Nations Unies ont pris, coordonné et exécuté diverses initiatives internationales au moins aussi importantes que celles prises contre les détournements d’avion et les prises d’otages.

La SSR ne s’est pas trompée en concluant que le requérant ne pouvait pas bénéficier du statut de réfugié au sens de la Convention. Elle a adopté l’interprétation de la section Fc) de l’article premier de la Convention qui est la plus conforme à la justice et à la raison dans les circonstances. Le crime du requérant pouvait avoir au Canada des répercussions sociales, culturelles, humaines et économiques terribles, et, ce crime faisant partie d’un plan international, ses répercussions s’étendaient au-delà des frontières du Canada.

Aucune question n’a été certifiée quant à savoir si la section devrait adopter une interprétation restrictive ou une interprétation large ou libérale de la section Fc) de l’article premier de la Convention, étant donné que les arrêts Ramirez et Moreno ont déjà répondu à cette question. Par ailleurs, les faits de l’espèce ne se prêtaient pas à la certification d’une question concernant les circonstances dans lesquelles un crime commis au Canada devrait être considéré comme étant d’une nature telle qu’il nécessite l’application de la section Fc) de l’article premier de la Convention.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can no 6, art. 1, section F.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 27 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4), annexe (édictée par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 34).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298; (1993), 159 N.R. 210 (C.A.); Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306; (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), IMM-240-93, juge McKeown, ordonnance en date du 3-9-93, C.F. 1re inst., encore inédite.

DÉCISION CITÉE :

Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 153 N.R. 321.

DOCTRINE

Grahl-Madsen, Atle. The Status of Refugees in International Law, vol. 1. Leyden : A. W. Sijthoff, 1966.

Hathaway, James C. The Law of Refugee Status. Toronto : Butterworths, 1991.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, septembre 1979.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la SSR, qui a statué que le requérant, reconnu coupable au Canada d’avoir comploté pour faire le trafic des stupéfiants, est exclu de l’application de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, en vertu de la section Fc) de l’article premier de la Convention, qui a trait aux personnes qui se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Demande rejetée.

AVOCATS :

Mohamed M. Kamaluddin pour le requérant.

Mark M. Persaud pour l’intimé.

PROCUREURS :

Mohamed M. Kamaluddin, Scarborough (Ontario), pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Gibson : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 juin 1993 par la section du statut de réfugié (la « SSR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a déterminé que le requérant n’est pas, aux termes de la Loi sur l’immigration[1], un réfugié au sens de la Convention, pour le motif qu’il est une personne à l’égard de laquelle la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la « Convention ») ne s’applique pas, en raison de la section F de l’article premier de la Convention. Cette section de la Convention est retranscrite à l’annexe de la Loi sur l’immigration [édictée par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 34] et elle est rédigée de la façon suivante :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Le requérant est un jeune Tamoul de Jaffna, ville du nord du Sri Lanka. Il appuie sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur la crainte bien fondée qu’il allègue avoir d’être persécuté en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier, s’il devait retourner au Sri Lanka.

Les faits peuvent être résumés de la façon suivante.

Le requérant a été agressé à la fois par les policiers et par les militaires lorsqu’il était dans sa région de résidence habituelle, la partie nord du Sri Lanka. Il est déménagé à Colombo afin d’éviter d’autres agressions et d’entreprendre une nouvelle vie. Il y a été agressé par la police. Il craint d’être persécuté par les policiers et par les militaires s’il est forcé de retourner au Sri Lanka, et il allègue de plus qu’il a une crainte bien fondée d’être persécuté par les tigres tamouls.

Le requérant a fui le Sri Lanka et est venu au Canada en 1984. Il a été présumé être un réfugié au sens de la Convention par le ministre compétent du gouvernement du Canada en février 1985. Il a obtenu le droit de s’établir au Canada le 26 novembre 1986. Le 30 août 1990, il a été reconnu coupable d’avoir comploté pour faire le trafic d’un stupéfiant et il a été condamné à trois ans de pénitencier. Par suite de cette condamnation, un rapport a été préparé à son sujet en vertu de l’article 27 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4] de la Loi sur l’immigration. L’audience tenue pour décider de son expulsion a résulté en la prise d’une mesure d’expulsion conditionnelle. Il a à nouveau revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

C’est donc dans ce contexte que l’affaire a été portée devant la SSR.

La SSR disposait des motifs du juge qui a imposé la peine d’incarcération pour complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant au Canada. Bien que la SSR ne se réfère qu’incidemment à ces motifs dans les motifs qu’elle donne elle même de sa décision, je considère qu’ils sont importants aux fins du présent contrôle judiciaire de la décision de la SSR. Les motifs du juge qui a imposé la peine sont en partie rédigés de la façon suivante :

[traduction] Trois des quatre accusés[2] de l’instance ont plaidé coupables à l’accusation d’avoir comploté pour faire le trafic de l’héroïne. Le quatrième accusé a plaidé coupable à l’accusation d’avoir eu en sa possession les produits du crime. En l’espèce, ces produits consistaient en l’argent obtenu de la vente d’une quantité d’héroïne à un agent secret de la police.

À des degrés différents d’implication, chaque accusé du complot pour faire le trafic de l’héroïne s’est reconnu coupable d’un crime qui, du point de vue que j’ai de l’ensemble de l’affaire, comportait un plan criminel de faire le trafic d’une quantité considérable de cette substance mortelle. Le but ultime du complot, bien que ses détails et ses principaux éléments n’aient peut-être pas été connus complètement des trois accusés qui ont plaidé coupables, impliquait la tentative de libérer de dangereux criminels du pénitencier de Kingston. L’héroïne devait servir de moyen d’échange pour la libération par évasion du pénitencier de dangereux criminels ayant reçu de longues peines d’emprisonnement.

La liste des armes perfectionnées, y compris des hélicoptères, qui devaient être utilisées lors de l’évasion de prison est longue et inquiétante.

Je me rends bien compte que tous les accusés qui sont ici pour recevoir leur sentence peuvent ne pas avoir été impliqués dans l’établissement du but ultime du complot. Mais on ne peut remettre en question, cependant, que chacun a admis avoir participé au complot de trafic d’héroïne, et, dans le cas de l’autre accusé, d’avoir reçu et eu en sa possession des produits de la prétendue vente de cette héroïne à l’agent secret de la police.

Il est assurément heureux pour le grand public qu’un agent secret de la police, au mépris des risques importants qu’il courait, ait pu se faire passer pour l’un des comploteurs pour éventuellement être capable d’empêcher que ne se commette ce qui aurait été l’un des crimes les plus graves à être commis dans la région depuis assez longtemps, à part le meurtre. Cet agent et ceux qui l’on appuyé méritent amplement la gratitude et les félicitations du public, et je crois être dans la meilleure position pour les leur transmettre.

Les faits qui ont été admis ont permis de constater que M. Murugesu a joué un rôle de premier plan dans l’exécution de l’aspect du complot qui concernait l’héroïne. Les deux autres accusés, M. Ratnam et M. Thamotharampillai, ont joué un beaucoup plus petit rôle : ils étaient payés pour servir de « mules » ou de « courriers » à d’autres. Par conséquent, je donnerai des sentences différentes selon le degré de participation et d’implication des trois accusés … Ceux qui ont plaidé coupables savaient, c’est irréfutable, que c’était d’héroïne qu’il était question[3].

La SSR a conclu que le requérant avait une crainte bien fondée que, s’il devait retourner au Sri Lanka, il serait persécuté pour le motif de sa nationalité, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social. Elle a aussi conclu que le requérant n’avait pas de possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. En dépit de ces conclusions, la SSR a considéré que le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention pour le motif qu’il est une personne à qui la Convention ne s’applique pas parce que, aux termes de la section Fc) de l’article premier de la Convention, il est une personne dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elle s’est rendue coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

L’analyse que la SSR a faite, et qui l’a menée à conclure qu’elle ne devait pas accorder au requérant le statut de réfugié au sens de la Convention, est assez longue. Mais je crois qu’il vaut la peine de la retranscrire ici au long :

[traduction] Le représentant du ministre a déposé plusieurs documents établissant que les Nations Unies ont pris des initiatives pour se gagner la coopération des États Membres dans le but de contrer le trafic de la drogue. L’article 35, intitulé « Lutte contre le trafic illicite », de la Convention unique sur les stupéfiants, 1961 (p. 38), est l’une de ces initiatives. Il est rédigé de la façon suivante :

Compte dûment tenu de leurs régimes constitutionnel, juridique et administratif, les Parties :

a) Assureront sur le plan national une coordination de l’action préventive et répressive contre le trafic illicite; à cette fin, elles pourront utilement désigner un service approprié chargé de cette coordination;

b) S’assisteront mutuellement dans la lutte contre le trafic illicite;

c) Coopéreront étroitement entre elles et avec les organisations internationales compétentes dont elles sont membres afin de mener une lutte coordonnée contre le trafic illicite.

Aux pages 39 et 40 de la Convention, l’article 36 prévoit que des peines peuvent être imposées aux personnes impliquées dans le trafic illicite des stupéfiants.

Il incombe au Tribunal de déterminer si ces initiatives peuvent être considérées comme faisant partie des buts et des principes des Nations Unies. Le Guide publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés fournit les suggestions suivantes pour l’interprétation de la clause d’exclusion en question.

162. Cette clause d’exclusion rédigée en termes très généraux recouvre en partie la clause d’exclusion de la section F, alinéa a) de l’article premier. Il est évident, en effet, qu’un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité est également un acte contraire aux buts et principes des Nations Unies. Si l’alinéa c) de la section F n’introduit concrètement aucun élément nouveau, il vise de manière générale les agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies qui se seraient pas entièrement couverts par les deux clauses d’exclusion précédentes. Si l’on rapproche l’alinéa c) des deux clauses précédentes, il apparaît, bien que cela ne soit pas dit expressément, que les agissements visés par cet alinéa doivent être également de nature criminelle.

163. Les buts et principes des Nations Unies sont énoncés dans le préambule et dans les articles premier et 2 de la Charte des Nations Unies. Ces dispositions énumèrent les principes fondamentaux qui doivent régir la conduite des Membres de l’Organisation dans leurs relations entre eux et dans leurs relations avec la communauté internationale dans son ensemble. Cela implique que, pour s’être rendu coupable d’agissements contraires à ces principes, une personne doit avoir participé à l’exercice du pouvoir dans un État Membre et avoir contribué à la violation des principes en question par cet État. Cependant, les précédents font défaut en ce qui concerne l’application de cette clause qui, en raison de son caractère très général, ne doit être appliquée qu’avec circonspection.

Bien que le Guide ne soit pas obligatoire d’application, il fait autorité. Nous le considérons donc avec grand soin.

Le paragraphe 163 du Guide indique que les buts et les principes des Nations Unies sont énoncés dans le préambule et dans les articles premier et 2 de la Charte des Nations Unies. Il n’y a dans ces dispositions aucune mention du crime dont le requérant a été reconnu coupable, soit d’avoir comploté pour faire le trafic des stupéfiants. Toutefois, le paragraphe 1(3) du chapitre premier de la Charte des Nations Unies est rédigé de la façon suivante :

[traduction] Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, les Nations Unies en ont donné de nombreux exemples par les initiatives qu’elles ont prises à l’égard du problème de la drogue. Dans leur publication « Les Nations Unies et la lutte contre l’abus des drogues », les Nations Unies dressent la liste de pas moins de 19 organismes qui sont soit placés sous leur égide, soit associés à elles, et qui ont pris des mesures sur la question des drogues illicites ou dont l’action est toute entière dirigée sur ce problème. La Commission des stupéfiants est l’une des six commissions de fonctionnement du Conseil économique et social des Nations Unies. L’Organe international de contrôle des stupéfiants a été établi en vertu de la Convention unique sur les stupéfiants (1961) afin de limiter la culture, la production, la fabrication et l’utilisation des drogues. Il y a trois unités au sein du Secrétariat des Nations Unies qui sont responsables des activités de contrôle portant sur l’abus des drogues. Il existe un fonds des Nations Unies créé aux fins du contrôle de l’abus des drogues et auquel 90 gouvernements contribuent.

La liste se poursuit.

Étant donné la preuve, nous concluons que la lutte au trafic des stupéfiants est certainement l’un des buts des Nations Unies, exprimés au paragraphe 1(3) de sa Charte. Nous ne croyons pas que la Charte devrait préciser individuellement chacun des buts des Nations Unies qui pourraient être invoqués pour mettre en application la clause d’exclusion.

Dans son récent ouvrage, le professeur Hathaway donne cinq interprétations possibles de cette clause d’exclusion particulière. La cinquième est semblable celle proposée dans les observations du ministre

[traduction] Finalement, il est affirmé que la clause prive de ses droits les personnes qui ne respectent pas l’une ou l’autre des principales initiatives prises par les Nations Unies, non seulement en matière des droits de la personne, mais aussi pour des causes comme la lutte contre les détournements d’avion et les prises d’otages.

En l’absence d’une jurisprudence pertinente, il nous est loisible d’accepter cette interprétation de la clause d’exclusion. Nous irions alors, cependant, contre les suggestions du Guide que nous avons citées précédemment, selon lesquelles il faudrait conclure qu’une personne, pour avoir commis un acte à l’encontre de ces principes, doit avoir été dans une position où elle pouvait participer à l’exercice du pouvoir dans un État Membre et avoir contribué à la violation des principes en question par cet État.

Le professeur Hathaway, dans son paragraphe de conclusion, semble adopter le point de vue du Guide à cet égard. Mais bien que ces interprétations fassent autorité, elles ne sont pas obligatoires. Nous remarquons que l’article 1Fc) de la Convention ne stipule pas que les actes entraînant cette exclusion doivent avoir été commis à l’extérieur du pays d’accueil, comme le fait l’article 1Fb). Si les rédacteurs avaient eu cette intention, il aurait été normal qu’ils l’expriment explicitement. Le libellé de la clause n’indique pas non plus que le contrevenant devait avoir participé à l’exercice du pouvoir dans le gouvernement de son pays.

Il nous semble que l’alinéa 1Fa), qui porte sur les crimes commis contre la paix, les crimes de guerre et les crimes commis contre l’humanité, concerne davantage les abus de pouvoir que ne le fait l’alinéa 1Fc). Nous remarquons aussi le choix prudent des termes qui a été fait dans le Guide : « cela implique que »*. À notre avis, il est tout à fait raisonnable de déterminer que la personne qui a commis un crime grave qui va clairement à l’encontre des principales initiatives prises par les Nations Unies ne mérite pas la protection du pays d’accueil où elle a commis ce crime.

Avons-nous des raisons sérieuses de penser que le présent demandeur a commis un tel acte? Oui. Le demandeur a affirmé qu’il a plaidé coupable à une accusation de complot pour faire le trafic de stupéfiants et qu’il a été condamné à trois ans de pénitencier[4].

Bien que j’aie certaines réserves quant à la conclusion de la SSR énoncée dans la citation qui précède, selon laquelle « la lutte au trafic des stupéfiants est certainement l’un des buts des Nations Unies, exprimés au paragraphe 1(3) de sa Charte », je n’ai aucune difficulté à conclure que c’est une activité qui cadre avec ces buts. Le résultat, j’en conclus, est le même.

La question en litige qui a été au centre de l’argumentation consistait à déterminer si la SSR a commis une erreur de droit en choisissant de donner l’interprétation large et libérale qu’elle a donnée à la section Fc) de l’article premier de la Convention plutôt que l’interprétation plus restrictive suggérée par le paragraphe 163 du Guide, cité précédemment à partir des motifs de la SSR, qui a affirmé, dans ces mêmes motifs, que le professeur Hathaway aurait apparemment adopté cette dernière interprétation dans son ouvrage The Law of Refugee Status[5].

Dans l’arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[6], le juge MacGuigan, J.C.A., s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale sur l’interprétation des autres paragraphes du Guide, a affirmé :

Par conséquent, en dépit des nombreuses décisions internationales citées par l’appelant, qui insistaient sur la nécessité de donner une interprétation restrictive à la disposition d’exclusion, il appert qu’à la suite des atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale, les États signataires de la Convention de 1951 ont voulu se réserver un vaste pouvoir d’exclusion du statut de réfugié à l’égard des auteurs de crimes internationaux.

Bien que le crime commis en l’espèce par le requérant n’ait rien à voir avec les « atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale », ce crime avait certainement une incidence internationale. L’héroïne n’est pas produite au Canada. Le crime en question est un crime contre lequel les Nations Unies ont pris, coordonné et exécuté diverses initiatives internationales, et, à cet égard, ce crime est certainement au moins aussi important que « les détournements d’avion et les prises d’otages » dont il est question dans l’extrait de l’ouvrage du professeur Hathaway qui est cité par la SSR dans ses motifs[7].

Dans l’arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[8], le juge Robertson, J.C.A., s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a affirmé [à la page 307] :

À l’appui de sa prétention, l’appelant soutient que la Commission et cette Cour devraient interpréter de façon restrictive la disposition d’exclusion, étant donné le risque de persécution auquel sont soumis ceux qui pourraient par ailleurs être déclarés réfugiés au sens de la Convention. Je reconnais que cette opinion est partagée par … tous les auteurs reconnus et renforcée par le Guide HCNUR; [Les nombreuses citations sont omises.]

Quelque convaincants que puissent être les commentaires, je suis tenu de considérer l’application de la disposition d’exclusion en tenant compte, tout d’abord, de la jurisprudence de cette Cour, puis de l’intention manifeste des signataires de la Convention. Lorsque, par contre, il existe une ambiguïté ou une question non résolue, l’interprétation la plus conforme à la justice et à la raison doit prévaloir.

Les autorités citées par le juge Robertson et par les avocats des parties en l’espèce établissent que « l’intention [manifeste] des signataires de la Convention » quant à la section Fc) de l’article premier de la Convention n’était pas manifeste[9].

Je considère maintenant la jurisprudence de la Cour portant sur l’alinéa 1Fc). Elle n’est pas volumineuse. Dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[10], le juge McKeown a affirmé :

En ce qui concerne le premier point relatif à l’alinéa c) de la section F de l’article premier, j’estime que la section du statut de réfugié a raisonnablement conclu que le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention puisqu’il est expressément exclu de la définition. En effet, parce qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, la Convention ne s’applique pas à lui. De sérieuses raisons justifient l’examen de ce qui précède.

Des éléments de preuve soumis à la section du statut de réfugié permettaient raisonnablement de conclure que l’Organisation des Nations Unies a pris des mesures visant à mettre un frein au trafic de drogues illicites et que ces mesures peuvent être considérées comme faisant partie des buts et principes des Nations Unies.

Il n’y a pas de raison de limiter l’application de l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention aux personnes qui détiennent le pouvoir. Le libellé de l’article n’autorise pas une telle distinction. Il peut exister de nombreux cas où l’alinéa c) de la section F de l’article premier ne devrait pas s’appliquer en raison de la nature de la violation des buts et principes des Nations Unies, mais l’espèce n’en est pas un.

Il semble que le requérant était, dans cette affaire, impliqué d’une certaine façon dans le trafic des drogues illicites. Malheureusement, les motifs du juge McKeown ne fournissent aucune indication sur la nature de la participation de ce requérant au trafic.

À l’audience, aucun autre arrêt portant directement sur des circonstances comme celles qui sont ici examinées n’a été cité.

Je reviens à l’arrêt Moreno et je rappelle la dernière phrase que j’ai citée des motifs du juge Robertson :

Lorsque, par contre, il existe une ambiguïté ou une question non résolue, l’interprétation la plus conforme à la justice et à la raison doit prévaloir.

Même en faisant abstraction de l’arrêt Pushpanathan, je conclus que la SSR n’a commis aucune erreur de droit, ou quelque erreur qui mériterait d’être corrigée, dans sa conclusion que le requérant ne pouvait, en raison de la section Fc) de l’article 1 de la Convention, obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention. En supposant, pour le moment, que la SSR faisait face à une ambiguïté ou à une question non résolue, mais je crois que les faits de l’espèce n’en recelaient aucune, je conclus que l’interprétation donnée de la section Fc) de l’article premier de la Convention par la SSR est celle qui est la plus conforme à la justice et à la raison dans les circonstances. Le crime pour lequel le requérant a été condamné après qu’il se soit reconnu coupable pouvait avoir des répercussions internationales importantes. Il était un élément de l’activité criminelle internationale contre laquelle les Nations Unies ont pris et coordonné des initiatives importantes dans le cadre de leurs buts et de leurs principes. Le crime pouvait, au Canada, avoir des répercussion sociales, culturelles et humaines terribles, pour ne pas parler des répercussions économiques. Comme élément d’un plan international, ces répercussions s’étendaient bien au-delà des frontières du Canada.

Pour les raisons qui précèdent, j’ai rejeté la demande.

L’avocat du requérant a allégué que je devrais en l’espèce certifier une question quant à savoir si la SSR devrait adopter une interprétation restrictive ou une interprétation large ou libérale de la section Fc) de l’article premier de la Convention dans les affaires sur lesquelles elle soit statuer et qui mettent en cause l’application de cet alinéa. L’avocat de l’intimé a allégué que les arrêts Ramirez et Moreno répondaient effectivement à cette question, mais que, peut-être, je trouverais à propos de certifier une question relativement à la portée et à la nature des crimes qui, commis au Canada, requerraient l’application de la section Fc) de l’article premier de la Convention. En ce qui concerne la question proposée par l’avocat du requérant, je suis du même avis que l’avocat de l’intimé sur les faits de l’espèce. En ce qui concerne la question proposée par l’avocat de l’intimé, je ne suis pas convaincu que les faits de l’espèce peuvent servir de façon convenable à la détermination des circonstances dans lesquelles un crime commis au Canada devrait être considéré comme étant d’une nature telle qu’il nécessite l’application de la section Fc) de l’article premier de la Convention.

Pour les présents motifs, je ne certifie aucune question.



[1] L.R.C. (1985), ch. I-2 [art. 2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1)].

[2] Y compris le requérant en l’espèce.

[3] Dossier du Tribunal, aux p. 415 à 417.

* Note du traducteur : La version officielle française du Guide ne comporte pas la même connotation de prudence que la version anglaise. Il aurait peut-être mieux valu y utiliser une formule comme : « cela pourrait impliquer ».

[4] Dossier du requérant, aux p. 11 à 14. Les notes infrapaginales ont été omises. Sur l’affirmation contenue dans la citation, selon laquelle l’interprétation donnée par le Guide [Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés] fait autorité, mais n’est pas obligatoire, voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux p. 713 et 714.

[5] Hathaway, James C. Butterworths, Toronto, 1991.

[6] [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), aux p. 312 et 313.

[7] Voir de plus les p. 228 et 229 de The Law of Refugee Status (précité), où le professeur Hathaway affirme :

[traduction] La Charte des Nations Unies énonce quatre buts de l’organisation : maintenir la paix et la sécurité internationales; développer des relations amicales et mutuellement respectueuses entre les nations; réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes socio-économiques et culturels et en encourageant le respect des droits de l’homme; et être un centre où s’harmonisent les mesures prises à ces fins. Ces buts fondamentaux obligent les États Membres à respecter les principes énoncés à l’article 2, dont : le respect de l’égalité souveraine; l’exécution de bonne foi des obligations prises; le règlement pacifique des différends; l’abstention de l’usage de la force qui porterait atteinte à l’intégrité territoriale ou à l’indépendance politique d’un autre État; la promotion de la mission des Nations Unies. Il est clair que l’énoncé de ces principes s’adresse d’abord aux gouvernements, et que la plupart des personnes ne peuvent violer même l’esprit des buts et des principes que par la perpétration d’un crime contre la paix et la sécurité, ou d’un acte criminel grave. L’utilité indépendante de cette clause d’exclusion est par conséquent quelque peu insaisissable. [Non souligné dans l’original.]

[8] [1994] 1 C.F. 298 (C.A.).

[9] Voir Grahl-Madsen, Atle. The Status of Refugees in International Law, vol. 1. Leyden : A. W. Sijthoff, 1966, à la p. 283 :

ii) Travaux préparatoires

[traduction] Il ressort de l’étude des dossiers que ceux qui ont demandé que la clause soit incluse n’avaient qu’une vague idée de la portée des termes « agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ».

Le délégué de la France, qui a insisté pour que la clause soit adoptée, a affirmé que la « disposition n’était pas destinée à l’homme de la rue, mais aux personnes occupant des postes gouvernementaux, comme les chefs d’État, les ministres et les hauts fonctionnaires … Lorsqu’on faisait mention des réfugiés, on parlait des victimes de persécution; il en était ainsi parce que l’on supposait qu’il y avait des auteurs à cette persécution. Mais par un retournement, le persécuteur peut lui-même devenir un réfugié ».

Le représentant du Secrétariat des Nations Unies a affirmé :

« Les principes dont il était question étaient définis dans la Charte des Nations Unies et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Une personne qui, sans avoir commis un crime contre l’humanité, a violé les droits de l’homme, par exemple en posant des gestes discriminatoires, pourrait être considérée comme ayant commis des actes contraires aux buts et aux principes des Nations Unies »

Lors de la conférence des plénipotentiaires, le délégué du Royaume-Uni a exprimé l’opinion qu’ « il était difficile de définir quels actes sont contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, bien que, a-t-il supposé, ces termes désignent les actes comme les crimes de guerre, le génocide et la subversion ou le renversement de régimes démocratiques ».

Étant donné les grandes divergences qui existent entre ces interprétations, il est facilement compréhensible que le Comité social du Conseil économique et social ait exprimé de fortes réticences, considérant que la disposition était si vague qu’elle pouvait donner lieu à des abus. Il semble que l’on soit parvenu à une entente reposant sur la condition que l’expression devait être interprétée d’une manière très restrictive. [Omission des références.]

[10] No du greffe IMM-240-93, 3 septembre 1993 (encore inédit).

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