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[1994] 2 .C.F 662

A-68-93

Nanisivik Mines Ltd. et Zinc Corporation of America (demanderesses) (appelantes)

c.

Canarctic Shipping Company Limited (défenderesse) (intimée)

et

F.C.R.S. Shipping Ltd., Finnlines O.Y. A/B, Finnlines Group O.Y. A/B, F.G. Shipping O.Y. A/B, Matti J. Pulli, Kari K.J. Lautimies, Jouni Kalvi et John Doe (défendeurs)

Répertorié : Nanisivik Mines Ltd. c. F.C.R.S. Shipping Ltd. (C.A.)

Cour d’appel, juges Mahoney, MacGuigan et Linden, J.C.A.—Toronto, 12 janvier; Ottawa, 10 février 1994.

Droit maritime — Pratique — Appel contre l’ordonnance portant renvoi des demandes à l’arbitrage et suspension de l’action en dommages-intérêts pour perte de cargaison — Canarctic et Nanisivik étaient les seules parties à la charte-partie prévoyant l’arbitrage en Angleterre — Nanisivik a délivré à Zinc Corp. un connaissement où étaient incorporées toutes les stipulations et conditions de la charte-partie — L’art. 8 du Code d’arbitrage commercial prévoit impérativement le renvoi à l’arbitrage en cas de convention d’arbitrage — Une fois le renvoi à l’arbitrage prononcé, la Cour n’a aucun pouvoir discrétionnaire pour refuser de suspendre toutes les procédures entre les parties — Zinc Corp. n’était pas tenue à la clause compromissoire de la charte-partie puisque sa cause d’action était fondée sur le connaissement — La clause compromissoire ne s’applique qu’aux différends découlant de la charte-partie — Ceux qui ont pour commerce le transport maritime sont censés savoir quelles sont les conséquences juridiques de la phraséologie employée dans les contrats qu’ils concluent régulièrement — Puisque la demande de Zinc Corp. découle des stipulations de la charte-partie, il n’y a pas eu erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’art. 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale pour suspendre son action contre Canarctic en attendant l’issue de l’arbitrage de la demande de Nanisivik.

Il y a en l’espèce appel contre l’ordonnance portant renvoi à l’arbitrage des demandes des demanderesses contre Canarctic et suspension de cette action en dommages-intérêts faisant suite à la perte d’une cargaison de minerai. Canarctic et la demanderesse Nanisivik avaient conclu un contrat d’affrètement (la charte-partie) prévoyant que tout différend sur un point de droit ou de fait serait soumis à l’arbitrage conformément au droit anglais. Ni Zinc Corporation ni aucun autre défendeur n’était partie à la charte-partie. Nanisivik a délivré à la demanderesse Zinc Corporation un connaissement où étaient incorporées toutes les stipulations et conditions de la charte-partie. En concluant à renvoi à l’arbitrage, Canarctic s’est fondée sur la clause compromissoire de la charte-partie. L’article 8 du Code d’arbitrage commercial prévoit que le tribunal saisi d’un différend sur une question faisant l’objet d’une convention d’arbitrage renverra les parties à l’arbitrage si l’une d’entre elles le demande, à moins qu’il ne constate que la convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée. Le juge des requêtes a conclu qu’il ne pouvait faire autrement que de renvoyer à l’arbitrage la demande de Nanisivik, et que le renvoi avait pour effet soit de suspendre l’instance devant la Cour soit de la rendre nécessaire. Il n’était pas certain si Zinc Corporation était tenue à la clause compromissoire, mais a renvoyé sa demande à l’arbitrage et suspendu son action. Il échet d’examiner (1) si le juge des requêtes est investi du pouvoir discrétionnaire pour ce qui est du renvoi de la demande à l’arbitrage et, dans l’affirmative, s’il a commis une erreur dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire; (2) au cas où il n’aurait pas le pouvoir discrétionnaire de refuser le renvoi à l’arbitrage, s’il est quand même investi du pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures contre Canarctic et, dans l’affirmative, s’il a commis une erreur dans l’exercice de ce pouvoir; (3) s’il a commis une erreur en renvoyant à l’arbitrage la demande de Zinc Corporation et, dans l’affirmative, en suspendant les procédures dans l’action intentée par cette dernière.

Arrêt : il faut accueillir l’appel seulement à l’égard de la décision de la Section de première instance de renvoyer à l’arbitrage la demande de Zinc Corporation.

(1) Le juge des requêtes n’avait en l’espèce d’autre choix que de renvoyer à l’arbitrage la demande de Nanisivik contre Canarctic. Il faut approuver les décisions de la Section de première instance qui interprètent l’article 8 comme excluant tout pouvoir discrétionnaire en matière de renvoi à l’arbitrage si les conditions prévues sont réunies. La communauté internationale est convenue que les conventions d’arbitrage commercial peuvent être exécutées en justice à condition qu’elles soient sous forme écrite et qu’elles ne soient ni caduques, ni inopérantes ni inexécutables. Le Canada a donné à ce consensus force de loi. Dans son sens ordinaire tout comme à la lumière de l’objectif de la Loi sur l’arbitrage commercial, l’auxiliaire anglais « shall » dénote clairement une prescription impérative et non facultative.

(2) Une fois le renvoi à l’arbitrage prononcé, la Cour n’a aucun pouvoir discrétionnaire résiduel pour refuser de suspendre toutes les procédures entre les parties à l’arbitrage, bien qu’il puisse y avoir entre elles certains points litigieux qui ne sont pas soumis à l’arbitrage. La Section de première instance a adopté deux approches en matière de suspension des procédures dans les cas où il y a renvoi obligatoire à l’arbitrage : ou bien exercer le pouvoir discrétionnaire d’accorder la suspension sauf « motifs impérieux », ou bien juger que la suspension des procédures découle du renvoi obligatoire à l’arbitrage sans qu’il y ait exercice de pouvoir discrétionnaire. Toutes les considérations de principe qui militent en faveur de l’impératif posé par la loi que tout différend prévu par une convention d’arbitrage soit renvoyé à l’arbitrage, militent aussi en faveur de la suspension des procédures relatives aux mêmes points litigieux jusqu’à ce que la sentence arbitrale ait été rendue. Il est probable que la résolution de ces points litigieux résolve le litige tout entier, sinon entre toutes les parties, au moins entre celles qui sont soumises à l’arbitrage.

(3) Zinc Corporation n’était pas liée par la clause compromissoire de la charte-partie; le juge des requêtes a commis une erreur en renvoyant sa demande à l’arbitrage. Zinc Corporation n’était pas partie à la charte-partie. Sa cause d’action était fondée sur le connaissement auquel elle était partie. La clause compromissoire contenue dans la charte-partie ne dit rien des différends relatifs aux connaissements délivrés dans le cadre de cette charte-partie, et la clause du connaissement incorporant en termes généraux dans ce dernier les stipulations de la charte-partie ne comporte aucune référence expresse à la clause compromissoire. La clause compromissoire n’engage pas les parties au connaissement parce que, selon une interprétation simple de la phraséologie, elle ne vise que les différends survenus dans le cadre de la charte-partie. Il faut, comme l’a fait la Section de première instance, suivre la jurisprudence d’Angleterre qui ne permet pas la manipulation du libellé de la clause compromissoire de la charte-partie de façon à la rendre applicable à la résolution des différends survenus dans le cadre du connaissement. Ceux qui ont pour commerce le transport maritime sont censés savoir quelles peuvent être les conséquences juridiques de la phraséologie qu’ils adoptent pour les contrats qu’ils concluent régulièrement, et quelle phraséologie est nécessaire pour rendre la clause compromissoire d’une charte-partie applicable aux différends relatifs aux connaissements délivrés dans le cadre de cette charte-partie. La formulation adoptée en l’espèce n’avait pour effet d’incorporer dans le connaissement que les dispositions de la charte-partie qui avaient un rapport direct avec l’expédition, le transport et la livraison de la cargaison.

Le juge des requêtes n’a pas commis une erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’il tient du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale pour suspendre l’action de Zinc Corporation contre Canarctic, en attendant l’issue de l’arbitrage de la demande de Nanisivik.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code d’arbitrage commercial, qui constitue l’annexe de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 5, 7, 8, 9.

International Commercial Arbitration Act, S.A. 1986, ch. I-6.6.

Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 2, 4(1), 5.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.

Loi sur les connaissements, L.R.C. (1985), ch. B-5, art. 2.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Kaverit Steel and Crane Ltd. et al. v. Kone Corp. et al. (1992), 120 A.R. 346; 87 D.L.R. (4th) 129; 85 Alta.L.R. (2d) 287; 4 C.P.C. (3d) 99; 40 C.P.R. (2d) 161 (C.A.); demande d’autorisation de pourvoi en Cour suprême du Canada rejetée, [1992] 2 R.C.S. vii; Rena K, The, [1979] 1 All E.R. 397 (Q.B.); Navire M/V Seapearl c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161; (1982), 139 D.L.R. (3d) 669; 43 N.R. 517 (C.A.); Thomas (T. W.) & Co., Ld. v. Portsea Steam- ship Company, Ld., [1912] A.C. 1 (H.L.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Navionics Inc. c. Flota Maritima Mexicana S.A. et autres (1989), 26 F.T.R. 148 (C.F. 1re inst.); BC Navigation S.A. (Bankrupt) c. Canpotex Shipping Services Ltd. (1987), 16 F.T.R. 79 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION CITÉE :

Agro Company of Canada Ltd. c. Le Regal Scout, [1984] 2 C.F. 851 (1re inst.).

APPEL contre l’ordonnance portant renvoi à l’arbitrage des demandes des demanderesses et suspension de leur action contre Canarctic ((1993), 59 F.T.R. 272 (C.F. 1re inst.)). Appel accueilli seulement à l’égard de la décision de la Section de première instance de renvoyer à l’arbitrage la demande de Zinc Corporation.

AVOCATS :

George R. Strathy pour les (demanderesses) appelantes.

Martin W. Mason pour (défenderesse) l’intimée Canarctic Shipping Company Limited.

Personne ne comparaissait pour les défendeurs F.C.R.S. Shipping Ltd., Finnlines O.Y. A/B, Finnlines Group O.Y. A/B, F.G. Shipping O.Y. A/B, Matti J. Pulli, Kari K.J. Lautimies, Jouni Kalvi et John Doe.

PROCUREURS :

Fasken, Campbell, Godfrey, Toronto, pour les (demanderesses) appelantes.

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour (défenderesse) l’intimée Canarctic Shipping Company Limited.

McMaster Meighen, Montréal, pour les défendeurs F.C.R.S. Shipping Ltd., Finnlines O.Y. A/B, Finnlines Group O.Y. A/B, F.G. Shipping O.Y. A/B, Matti J. Pulli, Kari K.J. Lautimies, Jouni Kalvi et John Doe.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Mahoney, J.C.A. :

Les faits de la cause

Il y a en l’espèce appel contre l’ordonnance par laquelle la Section de première instance [Nanisivik Mines Ltd. et autre c. F.C.R.S. Shipping Ltd. et autres (1993), 59 F.T.R. 272] a renvoyé à l’arbitrage l’action des demanderesses contre la défenderesse Canarctic Shipping Company Limited, appelée ci-après « Canarctic », tout en suspendant l’instance devant la Cour en la matière. Les autres défendeurs n’ont pas comparu. Cette action fait suite à la perte totale d’une cargaison de minerai par suite du naufrage en mer du navire Finnpolaris, qui faisait route de Nanisivik (Territoires du Nord-Ouest, Canada) à Darrow (Louisiane, États-Unis).

Canarctic était l’affréteur à temps du navire. Elle a conclu avec la demanderesse Nanisivik Mines Ltd., ci-après appelée « Nanisivik », un contrat d’affrètement, ci-après appelé la « charte-partie », qui prévoyait entre autres :

[traduction] 24. Les connaissements établis dans le cadre du présent contrat d’affrètement prendront la forme du spécimen ci-joint.

32. Tout différend issu de l’exécution de la présente charte- partie, qu’il porte sur un point de droit ou de fait, sera soumis à un conseil arbitral composé de trois personnes, dont une nommée par les propriétaires, une autre par les affréteurs et la troisième par les deux arbitres nommés en premier lieu. Le conseil arbitral siégera à Londres et fixera sa propre procédure conformément au droit anglais. Toute sentence sera rendue en dernier ressort par le conseil arbitral ou par deux arbitres, elle pourra être enregistrée à titre de jugement ou d’ordonnance au greffe du tribunal compétent. Toute demande doit être faite par écrit, et l’arbitre du demandeur nommé dans l’année qui suit la survenance de l’événement donnant lieu à la demande, faute de quoi le demandeur est réputé avoir renoncé à sa demande, laquelle sera dès lors irrecevable.

Nanisivik, en sa qualité d’expéditeur, a délivré un connaissement sous la forme convenue à la demanderesse Zinc Corporation of America, ci-après appelée « Zinc Corp. », destinataire de la cargaison. Ce connaissement comportait entre autres la clause suivante :

[traduction] Les conditions, facilités et exceptions prévues à la charte-partie sont incorporées au présent connaissement.

Canarctic et Nanisivik sont deux compagnies établies au Canada, et Zinc Corp., une compagnie établie aux États-Unis. Les autres défendeurs, tous finlandais à l’exception de John Doe, étaient respectivement le propriétaire, l’affréteur coque nue, l’administrateur, le capitaine, le mécanicien en chef et le premier lieutenant du navire[1].

La déclaration conclut à négligence et à faute chez tous les défendeurs. Le propriétaire du navire a déposé une défense ainsi qu’un cautionnement dans l’action. En concluant à renvoi à l’arbitrage, Canarctic s’est fondée sur la clause compromissoire de la charte-partie qu’elle avait conclue avec Nanisivik. Ni Zinc Corp. ni aucun des autres défendeurs n’est une partie à la charte-partie[2].

Les textes applicables

Pour conclure à renvoi à l’arbitrage et à suspension de l’instance, Canarctic s’est fondée sur l’article 8 du Code d’arbitrage commercial [qui constitue l’annexe de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17], ci-après appelé le « Code », et sur le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale[3], lequel prévoit ce qui suit :

50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

Le Code a été incorporé dans le droit interne du Canada par la législation fédérale et provinciale applicable. Puisqu’il s’agit d’une affaire de droit maritime, le texte fédéral applicable est la Loi sur l’arbitrage commercial[4], ci-après appelée la « Loi », dont voici les dispositions pertinentes :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« Code »  Le Code d’arbitrage commercial—figurant à l’annexe—fondé sur la loi type adoptée par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international le 21 juin 1985.

4. (1) La présente loi est à interpréter de bonne foi, selon le sens courant de ses termes en contexte et compte tenu de son objet.

5. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le Code a force de loi au Canada.

(3) Le Code s’applique aux sentences arbitrales rendues et aux conventions d’arbitrage conclues avant ou après l’entrée en vigueur de la présente loi.

Le Code prévoit entre autres ce qui suit :

Article 5

Pour toutes les questions régies par le présent code, les tribunaux ne peuvent intervenir que dans les cas où celui-ci le prévoit.

Article 7

1. Une « convention d’arbitrage » est une convention par laquelle les parties décident de soumettre à l’arbitrage tous les différends ou certains des différends qui se sont élevés ou pourraient s’élever entre elles au sujet d’un rapport de droit déterminé, contractuel ou non contractuel. Une convention d’arbitrage peut prendre la forme d’une clause compromissoire dans un contrat ou d’une convention séparée.

2. La convention d’arbitrage doit se présenter sous forme écrite. Une convention est sous forme écrite si elle est consignée dans un document signé par les parties ou dans un échange de lettres, de communications télex, de télégrammes et de tout autre moyen de télécommunications qui en atteste l’existence, ou encore dans l’échange d’une conclusion en demande et d’une conclusion en réponse dans lequel l’existence d’une telle convention est alléguée par une partie et n’est pas contestée par l’autre. La référence dans un contrat à un document contenant une clause compromissoire vaut convention d’arbitrage, à condition que le contrat soit sous forme écrite et que la référence soit telle qu’elle fasse de la clause une partie du contrat.

Article 8

1. Le tribunal saisi d’un différend sur une question faisant l’objet d’une convention d’arbitrage renverra les parties à l’arbitrage si l’une d’entre elles le demande au plus tard lorsqu’elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu’il ne constate que la convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.

2. Lorsque le tribunal est saisi d’une action visée au paragraphe 1 du présent article, la procédure arbitrale peut néanmoins être engagée ou poursuivie et une sentence peut être rendue en attendant que le tribunal ait statué.

Article 9

La demande par une partie à un tribunal, avant ou pendant la procédure arbitrale, de mesures provisoires ou conservatoires et l’octroi de telles mesures par un tribunal ne sont pas incompatibles avec une convention d’arbitrage.

Les points en litige

Les points en litige, tels qu’ils se dégagent de l’argumentation très compétente des avocats et tels qu’ils sont peut-être suggérés par les interventions de la Cour, se cristallisent en les trois questions suivantes :

1. Le juge des requêtes est-il investi du pouvoir discrétionnaire pour ce qui est du renvoi à l’arbitrage de la demande contre Canarctic et, dans l’affirmative, a-t-il commis une erreur dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire?

2. S’il n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de refuser le renvoi à l’arbitrage, était-il quand même investi du pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures contre Canarctic et, dans l’affirmative, a-t-il commis une erreur dans l’exercice de ce pouvoir?

3. De toute façon, a-t-il commis une erreur en renvoyant à l’arbitrage la demande de Zinc Corp. et, dans l’affirmative, en suspendant les procédures dans l’action intentée par cette dernière?

En ce qui concerne les deux premières questions, le juge des requêtes a conclu qu’il ne pouvait faire autrement que de renvoyer à l’arbitrage la demande de Nanisivik, mais qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de suspendre son action, pouvoir qu’il a exercé. En ce qui concerne la troisième question, il a renvoyé à l’arbitrage la demande de Zinc Corp. et suspendu son action, malgré l’incertitude, qu’il a exprimée mais n’a pas résolue, quant à la question de savoir si cette compagnie était tenue à la clause compromissoire.

Pouvoir discrétionnaire de renvoi à l’arbitrage

La Cour d’appel ne s’est jamais prononcée sur cette question. Les décisions citées de la Section de première instance sont unanimes à interpréter l’article 8 comme excluant tout pouvoir discrétionnaire en matière de renvoi à l’arbitrage si les conditions prévues sont réunies. Il n’a pas été soutenu en l’espèce que la demande de renvoi n’a pas été faite dans les délais, ou que la convention d’arbitrage était caduque, inopérante ou non susceptible d’exécution. À mon avis, ces décisions, sur lesquelles je reviendrai dans mon analyse de la deuxième question, étaient judicieuses sur ce point.

Sous le régime d’une loi parallèle[5], la Cour d’appel de l’Alberta a eu à se prononcer dans Kaverit Steel and Crane Ltd. et al. v. Kone Corp. et al.[6], par la voix du juge d’appel Kerans, sur un cas semblable à celui soumis au juge de première instance en l’espèce. Elle a tiré la conclusion suivante aux pages 163 et s. :

[traduction] Le juge des référés a décidé que les dispositions invoquées, j’entends par là la clause compromissoire du contrat, régissaient effectivement certaines des questions soulevées dans la déclaration, mais non pas toutes. À quelques exceptions près, sur lesquelles je reviendrai, je partage son analyse de ce qui tombe ou ne tombe pas dans le champ d’application de cette clause. Il a ensuite conclu que l’existence des autres questions faisait que rien ne pouvait être renvoyé à l’arbitrage. Vu la perspective d’instances se chevauchant et, partant, de décisions contradictoires, il a décidé que pareille éventualité justifiait de refuser de renvoyer quoi que ce fût à l’arbitrage.

Je pense au contraire que les dispositions applicables de la loi International Commercial Arbitration Act n’autorisent pas une telle approche. Par les motifs infra, je conclus que cette loi prescrit de renvoyer à l’arbitrage ce qui peut l’être. Les renvois à l’arbitrage ne sont limités par aucune considération de commodité.

La communauté internationale est parvenue à un consensus, en reconnaissant que les conventions d’arbitrage commercial peuvent être exécutées en justice à condition qu’elles soient sous forme écrite et qu’elles ne soient ni caduques, ni inopérantes ni inexécutables. Le Canada et ses provinces ont donné à ce consensus force de loi. S’il y avait tant soit peu un doute quant au caractère obligatoire de l’intervention de la justice en cas d’invocation en bonne et due forme de l’article 8, ce doute est anéanti par le paragraphe 4(1) de la Loi. Dans son sens ordinaire tout comme à la lumière de l’objectif de la Loi, l’auxiliaire anglais « shall » dénote clairement une prescription impérative et non facultative. À mon avis, le juge des requêtes n’avait en l’espèce d’autre choix que de renvoyer à l’arbitrage la demande de Nanisivik contre Canarctic; il n’avait pas de pouvoir discrétionnaire non plus pour ce qui était du renvoi de la demande de Zinc Corp. à condition que celle-ci fût liée par la convention d’arbitrage.

Pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures

Dans Navire M/V Seapearl c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de Santiago (Chili)[7], décision rendue par cette Cour avant l’entrée en vigueur de la Loi, le juge d’appel Pratte, prononçant les motifs de la majorité, a conclu en ces termes :

A priori, une requête en sursis d’instance engagée en Cour fédérale, contrairement à l’engagement de soumettre le litige à l’arbitrage ou à une juridiction étrangère, devrait être accueillie car, en règle générale, on doit respecter ses engagements. Pour écarter cette règle, il faut [traduction] « des motifs impérieux », c’est-à-dire des motifs permettant de conclure qu’il ne serait ni raisonnable ni juste, dans le cas d’espèce, de forcer la demanderesse à respecter sa promesse et de donner effet au contrat conclu avec la défenderesse. C’est le principe qu’on applique maintenant en Angleterre et aux États-Unis, c’est aussi à mon avis le principe que doit appliquer notre juridiction.

Dans l’application de la Loi, la Section de première instance a adopté deux approches en matière de suspension des procédures dans les cas où il y a renvoi obligatoire à l’arbitrage. L’une de ces approches, celle qui a été observée en l’espèce, consiste à voir dans la suspension des procédures l’exercice du pouvoir discrétionnaire selon le principe dégagé dans Seapearl. Dans l’autre approche, la suspension des procédures découle du renvoi obligatoire à l’arbitrage sans qu’il y ait exercice de pouvoir discrétionnaire.

En l’espèce, le juge des requêtes a tiré la conclusion suivante[8] :

… même une clause compromissoire stipulée dans un connaissement ne saurait priver la Cour de tout pouvoir discrétionnaire de demeurer saisie d’un litige et de décider d’accorder ou non une suspension d’instance.

Cette conclusion est conforme à une décision antérieure, Navionics Inc. c. Flota Maritima Mexicana S.A. et autres[9], où la Cour s’est prononcée en ces termes au sujet de l’article 8 :

Cette approche [d’interprétation stricte] est également dictée par le fait qu’il s’agit d’une dérogation exceptionnelle à la compétence inhérente de la Cour, de même qu’à son pouvoir discrétionnaire exceptionnel en matière de suspension d’instance.

J’estime, en premier lieu, que même si l’article 8 rend le sursis impératif, il n’affecte en rien la discrétion dont jouit la Cour en vertu de l’article 50.

Il est manifeste que par la dernière phrase citée ci-dessus, le juge des requêtes a voulu dire que l’article 8 prescrivait impérativement le renvoi à l’arbitrage, non pas la suspension. S’il avait voulu dire que cet article prescrivait impérativement la suspension, il n’aurait pu conclure à la « discrétion » résiduelle découlant de l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale.

L’autre approche est représentée par l’affaire BC Navigation S.A. (Bankrupt) c. Canpotex Shipping Services Ltd.[10] (, où le juge des requêtes a tiré la conclusion suivante :

En l’espèce, où est en cause une affaire d’amirauté, il existe une convention d’arbitrage et la défenderesse, à la première occasion qui lui est donnée, demande le renvoi devant le tribunal d’arbitrage. Le législateur impose une obligation impérative à la Cour de renvoyer les parties à l’arbitrage, à moins que la convention ne soit jugée « caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée ». Aucune preuve à cet égard n’a été offerte en l’espèce … Le tribunal arbitral est donc le forum où cette question devra être débattue, aussi la Cour doit-elle renvoyer les parties à l’arbitrage.

Voilà qui dispose de la requête, mais même si j’en avais décidé autrement, j’aurais néanmoins, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, octroyé la suspension de toutes les procédures, conformément à l’art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale …

Il appert que le juge des requêtes a conclu qu’en l’absence d’exceptions stipulées, le renvoi était impératif et opérait suspension d’instance ou la rendait nécessaire. Autrement dit, l’application de l’article 8 ne lui laissait aucun pouvoir discrétionnaire et l’obligeait à suspendre l’instance.

En l’espèce, les motifs impérieux invoqués à la lumière de la décision Seapearl pour demander l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser la suspension des procédures étaient les suivants :

1. le renvoi à l’arbitrage de la demande à l’égard d’une seule défenderesse signifiera la multiplicité des procédures, une possibilité de résultats contradictoires et un surcroît de frais et d’inconvénients;

2. puisque Canarctic a choisi de s’acquitter des obligations qu’elle tenait de la charte-partie en fournissant un navire dont elle n’était pas la propriétaire, ce qui obligeait les demanderesses à poursuivre les autres défendeurs, il ne faut pas qu’elle soit recevable à invoquer la clause compromissoire de façon à élever des obstacles procéduraux à leurs dépens;

3. la propriétaire du navire ayant accepté la compétence de la Cour, la majeure partie des preuves se rapportant à la demande contre Canarctic sera produite dans l’instance devant la Cour;

4. les défendeurs qui n’étaient pas parties à la charte-partie, ne sont pas soumis à la clause compromissoire;

5. les demanderesses ont des chefs de demande valides à la fois contre la propriétaire et contre l’affréteur du navire; et

6. il n’y a aucun lien entre les faits de la cause et l’Angleterre.

Aucun de ces motifs ne me paraît suffisamment impérieux pour que la Cour ne suspende pas les procédures jusqu’à ce que l’arbitrage ait résolu les questions que les parties à l’arbitrage sont convenues de soumettre à l’arbitre.

Au sujet du caractère impératif de l’obligation de la juridiction saisie de renvoyer à l’arbitrage, le juge d’appel Kerans s’est prononcé en ces termes dans Kaverit, à la page 354 :

[traduction] Ainsi que l’a fait observer le juge Potter Stewart dans Scherk v. Alberta-Culver (1974), 417 U.S. 506 (1974), à la page 516 :

… il y a inévitablement un élément d’incertitude lorsqu’il s’agit d’un contrat touchant deux pays ou davantage, chacun avec ses propres règles de droit et ses propres règles de conflit des lois. Une stipulation contractuelle prévoyant à l’avance la juridiction compétente et la loi applicable est par conséquent une condition préalable presque indispensable pour assurer le bon ordre et la certitude qui sont essentiels aux transactions internationales.

Ce but ne serait pas atteint si on adoptait une interprétation qui risque de compromettre l’édifice tout entier. Le critère du forum conveniens ferait presque à coup sûr échec à l’arbitrage parce que, comme l’a fait remarquer le juge Stewart dans Scherk, il engagerait aux « manœuvres inconvenantes et mutuellement destructrices ». En fait, l’un des motifs pris par le juge des référés était que, après arbitrage, les parties pourraient revenir sur certaines questions durant la procédure d’exécution en Alberta. Bien entendu, ce risque existe dans presque tous les cas. Si nous cédons à cette crainte, aucun différend n’irait à l’arbitrage … 

Dans les différends commerciaux de nos jours, il est presque inévitable qu’il y ait un grand nombre de parties, et très peu probable que toutes les parties aient la même conclusion. Le problème de la multiplicité des parties, qui a influé sur la décision du juge des référés en l’espèce, existera dans presque tous les cas. Il est indubitable que la prolifération des litiges est une possibilité … on ne saurait raisonnablement conclure que la Convention écarte toute idée d’arbitrage lorsque ce problème survient.

La Cour [à la page 355] a donc fait droit à l’appel en ordonnant que [traduction] « tous les points litigieux qui se sont élevés entre le distributeur et le concessionnaire par suite de l’existence du contrat soient suspendus et renvoyés à l’arbitrage conformément à la conclusion ».

Comme indiqué, il s’agit de choisir entre la suspension des procédures entre les parties soumises à l’arbitrage, laquelle suspension découle du renvoi à l’arbitrage sans qu’il y ait exercice de pouvoir discrétionnaire, et la suspension discrétionnaire à moins de « motifs impérieux ». Toutes les considérations de principe qui militent en faveur de l’impératif posé par la loi que tout différend prévu par une convention d’arbitrage soit renvoyé à l’arbitrage, militent aussi, à mon avis, en faveur de la suspension des procédures relatives aux mêmes points litigieux jusqu’à ce que la sentence arbitrale ait été rendue. Il semble bien plus probable que la résolution de ces points litigieux résolve le litige tout entier, sinon entre toutes les parties, au moins entre celles qui sont soumises à l’arbitrage.

Je conclus qu’une fois le renvoi à l’arbitrage prononcé, la Cour n’a aucun pouvoir discrétionnaire résiduel pour refuser de suspendre toutes les procédures entre les parties à l’arbitrage, bien qu’il puisse y avoir entre elles certains points litigieux qui ne sont pas soumis à l’arbitrage.

La demande de Zinc Corp.

Zinc Corp. n’est pas partie à la charte-partie. Sa demande découle du connaissement auquel elle est partie. À première vue, il semblerait que la clause du connaissement incorporant toutes les conditions, facilités et exceptions de la charte-partie visait à inclure la clause compromissoire et avait pour effet de soumettre Zinc Corp. à l’arbitrage pour ce qui était de sa demande contre Canarctic. L’argument contraire a sa source dans une longue jurisprudence d’Angleterre, fondée sur l’interprétation littérale du vocabulaire par lequel les parties à un contrat ont choisi de s’exprimer. Le raisonnement en est qu’une convention de renvoyer à l’arbitrage les différends relatifs à une charte-partie ne saurait être raisonnablement interprétée comme étant une convention de renvoyer à l’arbitrage les différends relatifs à un connaissement même si elle est incorporée dans ce dernier.

Dans Thomas (T. W.) & Co., Ld. v. Portsea Steam-ship Company, Ld.[11], lord Robson a donné une explication relativement succincte de cette règle :

[traduction] [La clause compromissoire] est expressément limitée aux différends « relatifs aux conditions de la présente charte-partie » et figurerait dans le connaissement avec cette limitation. Dans un sens, il est peut-être difficile d’imaginer un différend découlant du voyage et qui n’aurait aucun rapport avec les stipulations de la charte-partie, mais ce qui est en cause en l’espèce, ce sont les obligations fondées au premier chef sur le connaissement, qui est un contrat différent conclu entre des parties différentes, bien qu’il porte en partie sur le même objet que la charte-partie. La limitation de la clause aux conditions de « la présente charte-partie » est donc, à tout le moins, embarrassante et ambiguë lorsqu’elle vient à être incorporée dans le connaissement. En effet, une certaine modification est nécessaire pour qu’elle ait quelque sens dans son nouveau contexte.

Il faut se rappeler que le connaissement est un effet de commerce, et si les obligations des parties à ce contrat doivent déborder des questions qui les concernent normalement, ou s’il visait à priver l’une ou l’autre partie de ses moyens de droit ordinaires, le contrat ne saurait être trop explicite ou trop précis. Il est difficile de conclure que des mots qui nécessitent une modification pour être considérés comme faisant partie du connaissement et qui entendent ensuite viser uniquement les litiges découlant d’un document conclu par d’autres personnes soient suffisamment explicites pour les fins que poursuivent les appelants.

Un connaissement demeure un effet de commerce[12].

Dans Rena K, The[13], le juge Brandon a analysé l’évolution de la jurisprudence d’Angleterre à l’égard de ces clauses inclusives. Dans cette affaire, la stipulation en cause des connaissements était la suivante :

[traduction] Toutes les stipulations, clauses, conditions et exceptions, y compris la clause compromissoire, la clause de négligence et la clause de non-exécution, de la charte-partie conclue à Londres le 13 avril 1977, font partie du présent connaissement.

Voici l’analyse faite de la question :

[traduction] Une jurisprudence constante a posé que dans le cas où la charte-partie renferme une clause compromissoire prévoyant l’arbitrage des différends relatifs à cette charte-partie, une formule générale incorporant dans le connaissement toutes les stipulations, conditions et clauses de la charte-partie n’est pas suffisante pour incorporer dans le connaissement la clause compromissoire de façon à en rendre les dispositions applicables aux différends relatifs au connaissement; voir Hamilton v. Mackie & Sons Ltd, (1889) 5 TLR 677; T.W. Thomas & Co. Ltd. v. Portsea Steamship Co. Ltd., [1912] AC 1; The Njegos, [1935] All E.R. 863; The Phonizien, [1966] 1 Lloyd’s Rep. 150, et The Annefield, [1971] 1 All E.R. 394.

Par contre, il a été jugé que si la clause compromissoire de la charte-partie prévoit l’arbitrage non seulement des différends tenant à son exécution mais encore des différends relatifs à tout connaissement délivré dans le cadre de cette charte-partie, la présence de la formule générale d’incorporation du genre cité ci-dessus dans le connaissement est suffisante pour y incorporer la clause compromissoire de façon à la rendre applicable dans le cadre du connaissement; voir The Merak, [1965] 1 All E.R. 230.

Parlant de cette distinction, lord Denning, M.R., a fait cette observation dans The Annefield ([1971] All E.R. 394, à la page 406) :

Je dirais que la clause qui a un rapport direct avec l’objet du connaissement (c’est-à-dire l’expédition, le transport et la livraison de marchandises) peut et doit être incorporée dans le connaissement, bien que cela puisse nécessiter une certaine manipulation des mots afin de l’accorder exactement avec le connaissement. Mais si la clause n’a pas ce rapport direct, il ne faut pas l’incorporer dans le connaissement à moins que cela ne se fasse de façon explicite par une formulation claire que ce soit dans le connaissement ou dans la charte-partie.

L’avocat des propriétaires de la cargaison se fonde sur cette jurisprudence pour soutenir que la clause compromissoire de la charte-partie, qui n’a aucun rapport direct avec l’expédition, le transport ou la livraison de marchandises, ne pourrait jamais être incorporée dans le connaissement pour s’appliquer aux différends issus de celui-ci s’il était nécessaire, à cette fin, de modifier la formulation de cette clause. À son avis, peu importe dans ce but que la formule d’incorporation contenue dans le connaissement soit une formule générale sans référence expresse à la clause compromissoire de la charte-partie, comme ce fut le cas dans toutes les affaires citées, ou une formulation générale additionnée d’une référence expresse à cette clause, comme c’est le cas en l’espèce.

J’estime que l’affaire en instance est tout à fait différente, en ce que la formule générale de la clause d’incorporation des deux connaissements est additionnée de cette disposition expresse : « y compris la clause compromissoire ». L’addition de ces mots doit signifier, à mon sens, que selon la volonté des parties aux connaissements, les dispositions de la clause compromissoire de la charte-partie devaient s’appliquer en principe aux différends survenus dans le cadre de ces connaissements et, s’il est nécessaire, comme c’est manifestement le cas, de manipuler ou d’adapter une partie de la formule de cette clause pour donner effet à cette volonté, je pense que cela doit se faire.

Pour résumer, trois cas possibles ont été considérés dans Rena K, The : (1) présence dans la charte-partie d’une clause compromissoire qui ne dit rien des différends relatifs aux connaissements délivrés dans le cadre de cette charte-partie, et dans le connaissement d’une clause y incorporant en termes généraux les stipulations de la charte-partie sans aucune référence expresse à la clause compromissoire; (2) présence dans la charte-partie d’une clause compromissoire expressément applicable aux différends relatifs aux connaissements délivrés dans le cadre de la charte-partie, et dans ces connaissements d’une clause y incorporant en termes généraux les stipulations de la charte-partie, sans référence expresse à la clause compromissoire; et (3) présence dans le connaissement d’une clause y incorporant les stipulations de la charte-partie, y compris, par référence expresse, la clause compromissoire.

Dans le premier cas, la clause compromissoire n’engage pas les parties au connaissement parce que, bien qu’elle y soit incorporée, elle ne s’applique pas, par interprétation simple de la phraséologie, aux différends relatifs au connaissement; elle ne vise que les différends survenus dans le cadre de la charte-partie. Dans les deux autres cas, elle engage effectivement les parties au connaissement; dans le deuxième cas parce que, une fois incorporée dans le connaissement, il n’est pas nécessaire de recourir à une interprétation compliquée pour constater qu’elle les engage expressément, et dans le troisième cas, parce que la volonté de l’appliquer aux différends survenus dans le cadre du connaissement et de l’incorporer à ce dernier est suffisamment claire pour qu’on puisse manipuler la phraséologie de la clause de façon à donner effet à cette volonté.

En l’espèce, nous sommes en présence du premier cas et il est indiscutable que la jurisprudence contemporaine d’Angleterre ne permettrait pas la manipulation du libellé de la clause compromissoire de la charte-partie de façon à la rendre applicable à la résolution des différends survenus dans le cadre du connaissement. La jurisprudence d’Angleterre a été adoptée par notre Section de première instance[14] et, pour autant que je sache, n’a pas encore été commentée par la Cour d’appel. À mon avis, elle doit être suivie.

Il ne s’agit pas, à l’évidence, d’un problème nouveau pour les transporteurs, expéditeurs et destinataires. Ceux qui ont pour commerce le transport maritime sont censés savoir quelles peuvent être les conséquences juridiques de la phraséologie qu’ils adoptent pour les contrats qu’ils concluent régulièrement, et quelle phraséologie est nécessaire pour rendre la clause compromissoire d’une charte-partie effectivement applicable aux différends relatifs aux connaissements délivrés dans le cadre de cette charte-partie. La formulation adoptée en l’espèce n’avait pour effet d’incorporer dans le connaissement que les dispositions de la charte-partie qui avaient un rapport direct avec l’expédition, le transport et la livraison de la cargaison. Zinc Corp. n’était pas liée par la clause compromissoire de la charte-partie; il s’ensuit que le juge des requêtes a commis une erreur en renvoyant sa demande à l’arbitrage.

L’affaire n’en est pas résolue pour autant. Le juge des requêtes était conscient de la possibilité que Zinc Corp. ne fût pas liée par la convention d’arbitrage et s’il n’a pas résolu ce doute et, à mon avis, a commis une erreur en renvoyant sa demande à l’arbitrage, il a néanmoins suspendu l’action devant la Cour en exerçant le pouvoir discrétionnaire qu’il tient du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

Dans Kaverit, à la page 349, le juge d’appel Kerans a fait l’observation suivante :

[traduction] Je conviens avec le juge de la Cour du Banc de la Reine qu’il ne peut renvoyer à l’arbitrage aucune demande des parties « externes ». Je tiens seulement à ajouter qu’il aurait quand même pu suspendre les demandes en attendant l’issue de l’arbitrage si cela s’avérait juste et équitable.

L’alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale embrasse cette possibilité.

Il appert aussi que la cause d’action de Zinc Corp., fondée sur le connaissement, [traduction] « découle des stipulations de la charte-partie » pour emprunter la formulation de lord Robson. À mon avis, on ne peut dire que le juge des requêtes ait commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en suspendant l’action de Zinc Corp. contre Canarctic en attendant l’issue de l’arbitrage de la demande de Nanisivik.

Conclusion

L’ordonnance visée par cet appel prévoit ce qui suit :

La Cour ordonne que la demande intentée contre Canarctic soit renvoyée à l’arbitrage à Londres (Angleterre), conformément au contrat d’affrètement. La Cour ordonne également que l’instance devant cette Cour soit suspendue à l’égard de Canarctic seulement, jusqu’à ce que l’arbitrage ait eu lieu, ou jusqu’à ce que les parties en aient convenu autrement. Vu qu’aucune demande n’a été faite à cet égard, la Cour n’adjuge pas de dépens sur la requête.

Je me prononce pour l’accueil de l’appel par substitution, à la première ligne du dispositif cité ci-dessus, de la phrase suivante : « La Cour ordonne le renvoi de la demande de Nanisivik contre Canarctic à l’arbitrage à Londres », et le rejet de l’appel pour le reste. Canarctic ayant eu largement gain de cause, je lui accorderais 75 p. 100 des dépens taxés.

Le juge MacGuigan, J.C.A. : Je souscris aux motifs ci-dessus.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris aux motifs ci -dessus.



[1] Kari Manninen, le second lieutenant, fut cité comme défendeur en première instance avant que l’ordonnance ne fût rendue, mais son nom ne figure pas dans l’intitulé de cause en appel.

[2] Le time-charter conclu entre les propriétaires du navire et Canarctic d’une part, et le contrat de vente et de livraison de la cargaison conclu entre Canarctic et Zinc Corp. d’autre part, comportent aussi une clause compromissoire qui n’est pas en cause, bien que les propriétaires aient informé Canarctic qu’ils s’en tenaient à la clause compromissoire du time-charter et l’invoqueraient si nécessaire.

[3] L.R.C. (1985), ch. F-7.

[4] L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17.

[5] International Commercial Arbitration Act, S.A. 1986, ch. I-6.6.

[6] (1992), 120 A.R. 346 (C.A.); demande d’autorisation de pourvoi rejetée, [1992] 2 R.C.S. vii.

[7] [1983] 2 C.F. 161 (C.A.), aux p. 176 et 177.

[8] À la p. 279.

[9] (1989), 26 F.T.R. 148 (C.F. 1re inst.), aux p. 151 et 153.

[10] 1987), 16 F.T.R. 79 (C.F. 1re inst.), à la p. 80.

[11] [1912] A.C. 1 (H.L.), aux p. 10 et s.

[12] Voir Loi sur les connaissements, L.R.C. (1985), ch. B-5, art. 2.

[13] [1979] 1 All E.R. 397 (B.R.), aux p. 404 et s.

[14] Voir Agro Company of Canada Ltd. c. Le Regal Scout, [1984] 2 C.F. 851 (1re inst.).

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