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A-563-00

2002 CAF 96

Lawrence Wolf (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Wolf c. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Desjardins, Décary et Noël, J.C.A. -- Montréal, 11 février; Ottawa, 15 mars 2002.

Impôt sur le revenu -- Calcul du revenu -- Déductions -- De 1990 à 1995, un résident des É.-U. a travaillé pour Canadair au Québec en tant qu'ingénieur mécanicien par l'intermédiaire d'une société située à Calgary -- Le MRN a refusé la déduction de dépenses d'entreprise parce qu'il considérait que le contribuable avait gagné un revenu d'emploi au cours de ces années-là -- La loi du Québec s'appliquait -- Le contribuable était-il un employé ou un entrepreneur indépendant? -- La distinction clé entre un contrat de travail et un contrat d'entreprise ou de service consiste dans l'élément de subordination ou de contrôle -- Le degré de contrôle n'est pas un bon indice de la nature de la relation entre les parties -- Le revenu tiré par le contribuable l'a été «d'une profession indépendante» au sens de l'art. XIV de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts.

Contrats -- Le contribuable a fourni des services à Canadair en tant que consultant en aérospatiale en vertu d'un contrat avec une société (Kirk-Mayer) -- Le contrat a été signé en 1990 et renouvelé jusqu'en 1995 -- Une fois que le contribuable avait un travail assigné, il le faisait tout seul -- Était-il un employé de Kirk-Mayer ou un entrepreneur indépendant? -- Examen de la jurisprudence sur la distinction entre un contrat de travail et un contrat d'entreprise ou de services -- Le juge de la Cour de l'impôt a accordé trop de poids à l'élément de contrôle -- Les instruments nécessaires à l'exécution du travail constituent un facteur neutre -- La prime d'exécution de contrat, l'absence d'assurance-maladie et de régime de retraite et les facteurs de risque militent en faveur du statut d'entrepreneur indépendant -- L'intention des parties est un facteur important.

Code civil -- Le contribuable a demandé le statut d'entrepreneur indépendant alors qu'il fournissait ses services à Canadair, au Québec, par l'intermédiaire d'une tierce société, entre 1990 et 1995 -- Le nouveau Code civil du Québec distingue le contrat de travail (art. 2085 à 2097) du contrat d'entreprise ou de service (art. 2098 à 2129) -- L'existence d'une convention tripartite n'a pas d'effet sur la qualification juridique des services rendus -- Le critère consiste à se demander, en examinant l'ensemble de la relation entre les parties, s'il y a contrôle d'un côté et subordination de l'autre -- Le contribuable a eu raison de réclamer le statut d'entrepreneur et de prestataire de services au sens de l'art. 2098 du Code civil du Québec.

Il s'agit d'un appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt portant que l'appelant était en tout temps un résident des États-Unis et qu'il n'était pas un entrepreneur indépendant mais un employé de Kirk-Mayer of Canada Ltd. quand il a travaillé chez Canadair de 1990 à 1995. L'appelant est un ingénieur mécanicien spécialisé en aérospatiale. Il a commencé sa carrière à New York, mais en 1990, il a décroché un emploi chez Canadair Limited à Saint-Laurent (Québec) par l'intermédiaire d'une société connue sous le nom de Kirk-Mayer of Canada Ltd., située à Calgary (Alberta). En vertu de son contrat avec Kirk-Mayer, l'appelant pouvait être invité à travailler sur plusieurs projets en même temps. Personne ne lui disait comment faire le travail qu'il devait exécuter. Une fois qu'il avait un travail assigné, il le faisait tout seul. Les tâches devaient être accomplies aussitôt que possible de façon à répondre à certains objectifs. Pour faire son travail, l'appelant avait accès à un ordinateur spécialisé qui pouvait traiter une quantité considérable d'information. Il avait également accès aux archives de Canadair qui contenaient des dessins de travaux semblables faits par le passé. Il n'avait aucune promesse de contrat à l'avenir, pas de retraite, pas d'avantages sociaux et aucune option d'achat d'actions. En établissant des cotisations à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1990 à 1995, le ministre a refusé la déduction de dépenses d'entreprise (soit plus particulièrement la déduction de frais de logement et de déplacement) parce qu'il considérait que l'appelant avait gagné un revenu d'emploi (et non un revenu d'entreprise) au cours de ces années-là. L'appelant a contesté ces cotisations en faisant valoir qu'il était citoyen et résident des États-Unis d'Amérique. Il a soutenu en outre qu'il travaillait au Canada comme entrepreneur indépendant durant ces années-là et il a invoqué l'article XIV de la Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune. Suivant cette disposition, les revenus qu'une personne physique tire d'une profession sont imposables dans l'État où elle réside ou dans l'autre État contractant si la personne physique a disposé de façon habituelle d'une base fixe dans cet autre État. Comme l'appelant était en tout temps un résident des États-Unis ne disposant pas de façon habituelle d'une base fixe au Canada, son revenu ne pouvait être imposé au Canada que s'il travaillait ici en vertu d'un contrat de travail. S'il était un entrepreneur indépendant, il ne pouvait être imposé que par les autorités américaines. Par conséquent, il s'agissait seulement de savoir si l'appelant à l'époque en cause était un employé de Kirk-Mayer ou un entrepreneur indépendant. Il a été convenu que la loi applicable était celle du Québec.

Arrêt: l'appel est accueilli.

Le juge Desjardins, J.C.A.: Les tribunaux québécois ont reconnu que la distinction clé entre un contrat de travail et un contrat d'entreprise ou de service consistait dans l'élément de subordination ou de contrôle. Cependant, dans un arrêt récent, la Cour suprême du Canada a souligné qu'aucun critère universel ne permettait de déterminer, de façon concluante, si une personne était un employé ou un entrepreneur indépendant. Les facteurs traditionnellement élaborés par la jurisprudence, savoir le contrôle, la propriété des instruments de travail, la possibilité de profit et le risque de perte, demeurent valides bien qu'ils aient été quelque peu reformulés. Le critère de contrôle consiste à se demander qui contrôle le travail et comment, et quand et où cela doit être fait. Ce critère peut ne pas convenir dans les cas où, parce que les capacités et l'expertise du travailleur sont plus grandes que celles de l'employeur, peu de contrôle ou de surveillance peut être exercé sur la façon dont le travail est exécuté. Bien que le critère de contrôle soit le critère traditionnel de l'emploi en droit civil, il est souvent inadéquat à cause de la spécialisation accrue de la main-d'oeuvre. La Cour n'a pas pu conclure qu'un contrôle était exercé par Canadair sur l'appelant de façon à créer un lien de subordination entre Kirk-Mayer et l'appelant. Une fois qu'il savait quel travail il devait faire, il était libre de développer ses idées comme il le voulait. Le juge de la Cour de l'impôt a accordé beaucoup trop de poids à l'élément de contrôle. Ce facteur devrait être neutre dans les circonstances vu qu'il était compatible avec l'un ou l'autre statut. Le degré de contrôle n'est pas un bon indice de la nature de la relation entre les parties et ne détermine pas le statut d'un employé. La propriété des instruments de travail nécessaires pour l'exécution du travail de l'appelant constituait également un facteur neutre parce qu'il fallait que l'appelant travaille dans les locaux de Canadair, qu'il soit un employé ou un entrepreneur indépendant. Le degré de risque vise à examiner le potentiel de profit et de perte du travailleur. En contrepartie d'une hausse de salaire, l'appelant prenait tous les risques de l'activité à laquelle il se livrait. Il ne pouvait pas souscrire à un régime d'assurance-maladie ni à un régime de retraite de Canadair. Il n'avait pas de sécurité d'emploi, aucune protection syndicale, ne pouvait pas suivre de cours et n'avait pas de chance d'avancement. C'était à lui d'assumer les profits et les facteurs de risque. Le juge de la Cour de l'impôt a noté à tort que l'appelant n'était pas payé pour les congés. L'indice que constitue le paiement des heures supplémentaires, des congés annuels et des jours fériés est neutre. La prime d'exécution de contrat, l'absence d'assurance-maladie et de régime de retraite et l'ensemble des facteurs de risque militent en faveur du statut d'entrepreneur indépendant. L'emploi atypique qui était celui de l'appelant et qui met l'accent sur un profit plus élevé avec un risque plus élevé, la mobilité et l'indépendance, montre que l'appelant a eu raison de réclamer le statut d'entrepreneur au sens de l'article 2098 du Code civil du Québec. Il faut conclure que l'appelant exerçait une profession indépendante conformément à l'article XIV de la Convention.

Le juge Décary, J.C.A. (souscrivant au résultat): La seule question à trancher consiste à se demander si le revenu tiré par l'appelant l'a été «d'une profession indépendante» au sens de l'article XIV de la Convention ou d'une «profession dépendante» au sens de l'article XV. Si c'est l'article XIV qui s'applique, l'appelant ne sera pas imposé au Canada. Les contrats originaux en cause faisaient intervenir trois parties et ont été signés par chacune d'entre elles en trois lieux différents. L'existence d'une convention tripartite ou la présence d'un intermédiaire entre la personne qui embauche et la personne qui exécute le travail n'a pas d'effet sur la qualification juridique des services rendus. Le critère consiste donc à se demander, en examinant l'ensemble de la relation entre les parties, s'il y a un contrôle d'un côté et une subordination de l'autre. Les tribunaux, dans leur propension à créer des catégories juridiques artificielles, n'ont parfois pas tenu compte du facteur même qui est l'essence d'une relation contractuelle, à savoir l'intention des parties. L'appelant est un type de travailleur qui a choisi d'offrir ses services à titre d'entrepreneur indépendant, et non pas d'employé, à un type d'entreprise qui choisit des entrepreneurs indépendants au lieu de prendre des employés. Les circonstances dans lesquelles le contrat a été formé, l'interprétation que lui ont donnée les parties et l'usage dans l'industrie aérospatiale conduisent tous à conclure que l'appelant n'était pas dans une position de subordination et que Canadair n'était pas dans une position de contrôle. L'appelant a exécuté des services professionnels à titre de personne qui travaillait pour son propre compte. Le revenu perçu par l'appelant était un revenu reçu à titre de fournisseur de services personnels indépendants au sens de l'article XIV de la Convention.

Le juge Noël, J.C.A. (souscrivant au résultat uniquement): Il s'agit d'un cas où la qualification que les parties ont donnée à leur relation devrait se voir accorder un grand poids. Dans une issue serrée comme en l'espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l'intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté. Comme les parties ont estimé qu'elles se trouvaient dans une relation d'entrepreneur indépendant et qu'elles ont agi d'une façon conforme à cette relation, le juge de la Cour de l'impôt n'avait pas le loisir de ne pas tenir compte de leur entente.

lois et règlements

Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 125.

Code civil du Bas-Canada, art. 1666 à 1697.

Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 1425, 1426, 2085 à 2129.

Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, 26 septembre 1980, qui constitue l'annexe I de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, ch. 20, art. III, IV, XIV, XV.

Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4.

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 248(1) «société professionnelle» (édicté par L.C. 1996, ch. 21, art. 60).

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 8.1 (édicté par L.C. 2001, ch. 4, art. 8), 8.2 (édicté, idem).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 10(1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161; [1946] 3 W.W.R. 748 (C.P.); conf. [1945] R.S.C. 621; [1945] 4 D.L.R. 225; [1945] CTC 386; infirmé en partie sub nom. Montreal Locomotive Works Ltd. v. Montreal and Attorney-General for Canada, [1945] 2 D.L.R. 373; [1945] CTC 349 (B.R. Qué.); conf. [1944] 1 D.L.R. 173; [1944]  CTC  21 (C.S. Qué.); 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983; (2001), 204 D.L.R. (4th) 542; 17 B.L.R. (3d) 1; 11 C.C.E.L. (3d) 1; 8 C.C.L.T. (3d) 60; 12 C.P.C. (5th) 1; 274 N.R. 366; 150 O.A.C. 12; Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553; [1986] 5 W.W.R. 450; (1986), 46 Alta. L.R. (2d) 83; 86 CLLC 14,062; [1986] 2 C.T.C. 200; 87 DTC 5025; 70 N.R. 214 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Charbonneau (1996), 41 C.C.L.I. (2d) 297; 207 N.R. 299 (C.A.F.); Ministre du Revenu national c. Standing (1992), 147 N.R. 238 (C.A.F.); Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., [1988] 2 CTC 2377; (1988), 88 DTC 6099; 88 N.R. 78 (C.A.F.).

décisions examinées:

Quebec Asbestos Corporation v . Couture, [1929] R.C.S. 166; [1929] 3 D.L.R. 601; Hôpital Notre-Dame de l'Espérance et Théoret c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605; (1977), 3 C.C.L.T. 109; 17 N.R. 593.

décisions citées:

La Reine c. Dudney, W.A. (2000), 2000 DTC 147; 253 N.R. 270 (C.A.F.); Curley v. Latreille (1920), 60 R.C.S. 131; 55 D.L.R. 461; Stevenson Jordan and Harrison, Ltd. v. Macdonald and Evans, [1952] 1 T.L.R. 101 (C.A.); Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.); Lee Ting Sang v. Chung Chi-keung, [1990] 2 A.C. 374 (P.C.); Gallant c. Canada (Ministère du Revenu national), [1986] A.C.F. no 330 (C.A.) (QL); P.G. du Can. c. Mekies et autres, [1977] C.A. 352 (C.A. Qué.); St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 289; (2001), 204 D.L.R. (4th) 103; 42 E.T.R. (2d) 116; 277 N.R. 201 (C.A.); Sauvé c. M.R.N. (1995), 132 D.L.R. (4th) 114; 192 N.R. 224 (C.A.F.).

doctrine

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APPEL d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt ([2001] 1 C.T.C. 2172; (2000), 2000 DTC 2595) selon laquelle l'appelant était en tout temps un résident des États-Unis et n'était pas un entrepreneur indépendant mais un employé de Kirk-Mayer of Canada Ltd. quand il travaillait chez Canadair de 1990 à 1995. Appel accueilli.

ont comparu:

Irving M. Handelman pour l'appelant.

Nathalie Labbé pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Handelman, Handelman & Schiller, Montréal, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Desjardins, J.C.A.: Étant donné la mobilité accrue des travailleurs sous l'effet de la mondialisation, convient-il de réexaminer les articles 2085 et 2098 du Code civil du Québec [L.Q. 1991, ch. 64] et les principes énoncés en 1946 par lord Wright dans la décision du Comité judiciaire du Conseil privé Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161, qui ont maintes fois été cités et qui servent en droit québécois à distinguer un contrat de travail ou louage de services et un contrat d'entreprise ou de service?

[2]Telle est la question en cause dans le présent appel.

1. LES FAITS

[3]L'appelant est un ingénieur mécanicien spécialisé en aérospatiale. Dans son premier emploi, qui était chez Grumman, à New York (État de New York), il a travaillé sur un avion radar militaire dans le cadre du programme d'essais en vol. Plus tard, il a été muté en Floride où, toujours pour la même société, il a pu voir que pratiquement toutes les entreprises aérospatiales avaient recours à des consultants ou à des entrepreneurs. Le salaire était plus élevé mais la sécurité d'emploi moindre, parce que les consultants étaient engagés pour combler des vacances lorsque la charge de travail était plus lourde que d'habitude et quand le marché local de l'emploi ne permettait de combler les besoins, ou quand l'entreprise ne voulait pas engager d'autres employés sachant qu'elle devrait les mettre à pied au moment où il y aurait moins de travail. L'appelant a constaté que les sociétés préféraient parfois engager des consultants parce qu'elles pouvaient mettre fin à leur contrat en tout temps sans avoir de responsabilités à leur égard (interrogatoire de Lawrence Wolf devant la Cour canadienne de l'impôt, Dossier d'appel, vol. 2, page 16, lignes 12 à 20). L'appelant a commencé à se chercher un travail à contrat pour amasser un «pécule» pour lui et son amie à l'époque, amie à laquelle il était fiancé (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 13, ligne 11).

[4]En 1990, par le biais d'une société du nom de Kirk-Mayer of Canada Ltd. (Kirk-Mayer), située à Calgary (Alberta), l'appelant a pu trouver un emploi chez Bombardier, à Saint-Laurent (Québec), entreprise aussi désignée à l'époque sous le nom de Canadair Limitée (Canadair).

[5]Kirk-Mayer avait déjà un contrat avec Canadair pour sous-traiter du personnel. Canadair envoyait des commandes de travaux à Kirk-Mayer qui ensuite trouvait le personnel exigé par son client Canadair (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 93, lignes 10 à 21).

a) Le contrat de l'appelant avec Kirk-Mayer

[6]Un contrat a été signé le 31 janvier 1990 entre Kirk-Mayer et l'appelant aux termes duquel l'appelant, décrit comme consultant et comme entrepreneur indépendant, convenait de fournir ses services à Canadair. Le contrat prévoyait que si, de l'avis de Kirk-Mayer et de son client Canadair, l'appelant ne fournissait pas ses services selon les règles de l'art et d'une façon professionnelle, Kirk-Mayer pouvait résilier le contrat. La durée prévue de l'affectation était d'un an, renouvelable au gré de Canadair, mais elle était entièrement fonction de la charge de travail qu'il y avait chez Canadair.

[7]Aux termes du contrat, Kirk-Mayer devait verser à l'appelant des honoraires de 32 $ canadiens de l'heure pour chaque heure de service. Les heures travaillées en plus des 40 heures par semaine devaient être payées à 48 $ canadiens de l'heure. L'appelant devait aussi recevoir une indemnité journalière de 190 $ par semaine, soit une indemnité de 38 $ canadiens par jour pour cinq jours de travail pendant qu'il était au Canada, si son adresse permanente était située à plus de 50 milles de l'emplacement de son client. L'appelant était payé pour les jours fériés. Il avait aussi droit à une prime d'exécution de contrat au taux de 3 $ canadiens de l'heure pour toutes les heures travaillées, à condition que son contrat soit exécuté à la satisfaction de Canadair et de Kirk-Mayer. Une prime de vacances de 4 % de ses honoraires bruts lui serait aussi versée en cas de résiliation du contrat . Enfin, l'appelant devait être remboursé pour ses frais de voyage s'il soumettait les talons.

[8]L'appelant a déclaré dans son témoignage que la rémunération supplémentaire pour le temps travaillé en plus des 40 heures par semaine constituait un incitatif pour les consultants à faire de nombreuses heures afin de terminer ce qu'il y avait à faire, vu qu'ils étaient précisément engagés lorsqu'il y avait une forte charge de travail (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 28, lignes 20 à 24). Par ailleurs, la prime d'exécution de contrat servait à retenir les consultants pour qu'ils ne partent pas en cours de programme et restent jusqu'à son achèvement, étant donné qu'en général, les consultants avaient tendance à «courir après les dollars». Par exemple, s'il y avait un autre programme lancé par Boeing ou Airbus, quelque part dans le monde, et qui payait plus, les consultants partaient éventuellement, et de leur propre gré, pour aller travailler sur un projet plus payant. Comme il n'y avait pas de sécurité d'emploi, il n'y avait aucune loyauté envers la société.

[9]La paye de vacances était versée au consultant parce qu'il n'avait pas le temps de prendre des vacances pendant la durée du contrat. L'appelant a expliqué qu'il faisait normalement plus de 55 heures par semaine (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 29, ligne 7) et qu'il travaillait le samedi et même le dimanche (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 32, ligne 4 à la page 34, ligne 10, page 76, ligne 10). Du fait de la forte charge de travail, il fallait prendre ses vacances entre les contrats. Les jours fériés étaient payés parce que Canadair était fermée ces jours-là et que les consultants n'auraient pas pu aller au travail même s'ils l'avaient voulu (Dossier d'appel, vol. 2, page 31, ligne 14).

[10]L'appelant a expliqué qu'il devait certes travailler de nombreuses heures, parce qu'il avait une forte charge de travail, mais que c'était aussi une façon de satisfaire son client Canadair afin de ne pas être le premier à partir lorsque le temps viendrait pour la société de mettre fin au contrat à la fin d'un projet (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 29, ligne 12). Il a aussi déclaré que les consultants habituellement ne pouvaient pas se payer le luxe de vacances parce que, s'ils en prenaient, cela ne donnait pas bonne impression vu qu'ils ne produisaient pas le travail que la société voulait avoir à ce moment-là (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 31, ligne 23).

[11]La méthode de paiement était la suivante: l'appelant facturait ses heures à Canadair avec une copie à Kirk-Mayer. Canadair versait alors un paiement à Kirk-Mayer qui, à son tour, payait l'appelant (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 119, lignes 7 à 14).

[12]Kirk-Mayer commençait toutefois par défalquer ses propres honoraires. Les contributions au Régime de pensions du Canada et à l'assurance-emploi avec les retenues d'impôts sur les non-résidents de 15 %, si le consultant n'était pas un résident du Canada, étaient aussi retenues sur la paie en vertu du Guide de l'employeur sur les retenues sur la paie (Cahier de la jurisprudence et de la doctrine de l'appelant à l'onglet 2). Cette directive de Revenu Canada prévoit que:

Nous considérons qu'un travailleur indépendant engagé par une agence ou un bureau de placement occupe un emploi assurable et donnant droit à pension s'il répond aux deux conditions suivantes: il est payé par l'agence ou le bureau de placement; il est dirigé et supervisé par le client. L'agence ou le bureau de placement qui verse la rémunération doit retenir des cotisations au RPC et à l'AE pour ces travailleurs, mais n'est pas tenu de retenir l'impôt sur le revenu. L'agence ou le bureau de placement doit établir un feuillet T4 de la manière habituelle pour le travailleur.

[13]Cette pratique a été adoptée par Kirk-Mayer à la suite de la directive de Revenu Canada, comme elle a été formulée dans une lettre d'un dénommé Kennedy, chef principal de l'assurance, en date du 8 février 1988 (Cahier de la jurisprudence et de la doctrine de l'appelant à l'onglet 7), selon laquelle:

[traduction] La présente lettre confirmera que la décision de la Cour rendue en 1985, selon laquelle les spécialistes indépendants engagés par une agence de placement sont des travailleurs indépendants aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu mais sont aussi visés par les gains ouvrant droit à pension et assurables, n'a pas changé.

Pour garantir que les travailleurs se voient créditer le montant exact des retenues et des gains, les agences de placement sont tenues d'émettre un T4 indiquant l'ensemble des gains (case C), les contributions au RPC (case D) et les gains assurables et les cotisations (cases E et H). De plus, le T4 doit porter la mention «Agence de placement - TI».

[14]L'appelant devait payer la garantie d'assurance pour les cas de maladie ou de rapatriement pendant son séjour au Canada. Il avait donc souscrit une assurance-maladie auprès de La Mutuelle d'Omaha, compagnie américaine.

[15]Le contrat avec Kirk-Mayer prévoyait aussi que le consultant devait être payé jusqu'à concurrence de quatre heures, au tarif régulier, pour le renouvellement de son visa et se voir rembourser selon les frais engagés. Et ce, parce qu'une fois par an, l'appelant devait aller renouveler son visa de travail. Pour ce faire, il devait habituellement se rendre au Bureau d'immigration pendant les heures de travail, et ce temps-là était considéré comme lié à son travail (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 41, lignes 6 à 23).

[16]Le contrat stipulait enfin que, pour protéger la position de Kirk-Mayer auprès de clients, il était convenu que pendant les trois mois qui suivaient la fin de son travail chez Canadair, l'appelant n'accomplirait pas de travaux semblables pour ce client. Cette clause devait protéger l'intérêt de Kirk-Mayer et empêcher le consultant d'accepter un poste d'employé chez Canadair, vu qu'il travaillait déjà dans cette société et qu'il pouvait se voir offrir un poste d'employé. Dans ce cas-là, Kirk-Mayer, qui percevait un pourcentage du revenu de l'appelant, perdrait sa source de revenu (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 40).

[17]Une fois le contrat signé, Canadair a écrit à l'appelant pour lui confirmer l'offre d'affectation temporaire aux conditions convenues entre l'appelant et Kirk-Mayer.

b) Le travail de l'appelant chez Canadair

[18]L'appelant s'est présenté à un membre du personnel de Canadair pour son premier jour de travail. Il avait loué une chambre dans un motel et a plus tard trouvé un logement, une pièce au rez-de-chaussée, dans une maison privée à Dollard-des-Ormeaux.

[19]L'appelant a été présenté à un superviseur de projet qu'il a appelé «le patron». Pour son premier projet, il a travaillé sur des installations pour essais en vol. Il a déclaré avoir travaillé sur toute composante spécialisée nécessaire à la vérification de la sécurité en vue de la certification des aéronefs. Le groupe avec lequel il travaillait ne concevait pas effectivement l'avion, il lui faisait faire des essais et aidait à sa certification en y apportant les modifications nécessaires. Par exemple, il s'agissait des systèmes de contrôle, de la température, des vibrations, etc. (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, pages 55 et 56).

[20]L'appelant pouvait être invité à travailler sur plusieurs projets en même temps. Si un aspect devenait urgent, il pouvait se voir donner du travail supplémentaire ou être affecté à un autre projet entièrement différent (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 124, lignes 5 à 15).

[21]Personne ne disait à l'appelant comment faire le travail qu'il devait exécuter (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 64, lignes 16 à 23, pages 70 et 71, page 123, lignes 17 à 22). Une fois qu'il avait un travail assigné, il le faisait tout seul. Personne, par exemple, ne lui disait comment concevoir une pièce d'aéronef. S'ils avaient su le faire, ils n'auraient pas engagé quelqu'un comme lui (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 57). L'appelant était souvent appelé à interagir avec des gens tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de Canadair.

[22]Pour faire son travail, l'appelant avait accès à un ordinateur spécialisé qui pouvait traiter une quantité considérable d'information. Pour des motifs de sécurité, il ne pouvait pas avoir accès à cet ordinateur s'il n'était pas lui-même dans les locaux de Canadair. L'ordinateur était essentiel pour son travail. L'appelant n'avait pas de bureau ou de pupitre lui appartenant. Il travaillait sur le même ordinateur s'il était disponible. Sinon, il essayait de trouver un ordinateur quelque part ailleurs dans les locaux (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 142, ligne 21 à la page 143, ligne 5).

[23]L'appelant avait une carte d'identité fournie par Canadair, avec son nom et sa photographie et un code à barres à l'endos qui lui donnait accès au terrain et à certains des bâtiments. L'appelant a expliqué que la carte portait un code à barres rouges pour indiquer qu'il était un consultant, chose que les employés n'avaient pas sur leur carte (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 130, lignes 13 à 25). Il a aussi déclaré dans son témoignage que, contrairement aux employés réguliers de Canadair, il n'était pas [traduction] «tenu au courant de ce qui se passait dans la société», parce qu'il ne recevait pas le bulletin de l'entreprise qui était envoyé aux employés, et qu'il ne pouvait pas assister aux réunions au cours desquelles les projets de la compagnie étaient discutés et les employés se faisaient dire comment ils s'y intégraient. Il a en outre expliqué qu'en tant qu'entrepreneur, il n'avait pas le droit, comme les employés, de prendre des cours afin d'améliorer son niveau d'instruction (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, aux pages 78 et 79).

[24]Les tâches devaient être accomplies aussitôt que possible de façon à répondre à certains objectifs. L'appelant avait accès aux archives de Canadair qui contenaient des dessins de travaux semblables faits par le passé.

[25]L'appelant a expliqué qu'une personne comme lui pouvait s'attendre à être appelée par la suite, même deux ou trois ans après avoir terminé un contrat, mais tout en étant encore chez Canadair, et ce, afin d'expliquer le travail qu'il avait fait de façon précise ou de retravailler sur une certaine composante (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 69, ligne 18 à la page 70, ligne 5). Toutefois, il a précisé qu'une fois que les consultants quittent la société, il n'est plus possible de recourir à leurs services à cette fin par la suite (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 70, ligne 18).

[26]L'appelant a été prié de dire quels étaient les risques qu'il assumait dans son travail. Il a répondu qu'il ne savait pas quand son travail se terminerait, qu'il n'avait aucune promesse de contrat à l'avenir, pas de retraite, pas d'avantages sociaux et aucune option d'achat d'actions (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 73, ligne 21).

[27]Compte tenu du nombre de projets en cours à l'époque, Canadair avait des milliers de consultants qui travaillaient sur différentes affectations temporaires. Quelques centaines pouvaient s'occuper d'un seul et même projet. Ils provenaient de partout dans le monde, en particulier de pays occidentaux développés comme les États-Unis, l'Angleterre, l'Allemagne, la Suisse et le Canada, à l'occasion de la Suède, et enfin du Brésil et de l'Indonésie (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 115).

[28]Le contrat de l'appelant a été renouvelé jusqu'en 1995 et, pendant cette période, il a travaillé sur neuf projets. Toutefois, l'appelant a expliqué qu'il avait vu son contrat chez Canadair expirer plusieurs fois entre le moment du contrat initial et 1995 et que le contrat n'avait été renouvelé que parce que l'appelant avait réussi à se trouver du travail dans d'autres services de la société (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 81, ligne 1 à la page 84, ligne 22). Son contrat a été périodiquement révisé de manière à augmenter le taux horaire normal et le taux pour les heures supplémentaires, ainsi que l'indemnité journalière. D'autre part, il n'a plus eu droit à une paye de vacances, comme l'indique le contrat signé le 23 août 1993 et il n'a plus été payé pour les jours où le client fermait ses portes pour cause de vacances, sauf s'il était autorisé à rendre des services ces jours-là. Toutefois, il était encore payé pour les jours fériés.

[29]Lorsque le temps est venu de résilier le contrat, Canadair a écrit à Kirk-Mayer en demandant à l'agence d'informer l'appelant de la décision qui avait été prise.

c) Les cotisations fiscales

[30]En établissant ces cotisations à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1990 à 1995, le ministre a refusé la déduction de dépenses d'entreprise (soit plus particulièrement la déduction de frais de logement et de déplacement) parce qu'il considérait que l'appelant avait gagné un revenu d'emploi (et non un revenu d'entreprise) au cours de ces années-là. Le ministre a estimé en outre que l'appelant était un résident du Canada durant toute cette période.

[31]L'appelant a contesté ces cotisations en faisant valoir qu'il était citoyen et résident des États-Unis d'Amérique et qu'en vertu de l'article IV de la Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, 26 septembre 1980 [qui constitue l'annexe I de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, ch. 20] (la Convention), modifiée, il n'était pas, aux fins de l'impôt, considéré comme étant un résident du Canada au cours des années en question. L'appelant a soutenu en outre qu'il travaillait au Canada comme entrepreneur indépendant durant ces années-là. Il a invoqué l'article XIV de la Convention à l'appui de son argument selon lequel son revenu était imposable aux États-Unis et non au Canada pour le motif qu'il ne disposait pas de façon habituelle d'une base fixe au Canada.

2. LA DÉCISION DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT

[32]La juge de la Cour de l'impôt (voir Wolf c. Canada, [2001] 1 C.T.C. 2172) a conclu que l'appelant était en tout temps un résident des États-Unis. Sa conclusion sur ce point n'est pas contestée dans le présent appel. Elle a aussi décidé que l'appelant n'était pas un entrepreneur indépendant mais un employé de Kirk-Mayer quand il travaillait chez Canadair. Les motifs de cette conclusion se trouvent aux paragraphes 25, 26, 27, 28 et 29 des motifs de jugement que je reproduis ci-après intégralement:

Quoique l'appelant soit un professionnel ayant été embauché pour ses connaissances et son expertise, je suis d'avis qu'un certain type de contrôle était exercé sur son travail. L'appelant a témoigné que ses tâches lui étaient attribuées par un superviseur à son lieu de travail et qu'il pouvait passer d'un projet à un autre à la demande du superviseur. Il a également témoigné que son travail devait être approuvé par divers comités et que, pour des projets difficiles particuliers, Canadair exerçait une surveillance plus étroite.

C'étaient les services professionnels personnels de l'appelant qui étaient mis à la disposition de Canadair (aucun élément de preuve n'indique que l'appelant pouvait déléguer son travail à quelqu'un d'autre). Le travail de l'appelant était accompli sur une base continue, quotidienne, et aucune quantité de travail fixe ou déterminée ne lui était attribuée par contrat. En appliquant le critère particulier du résultat, on ne peut que conclure que l'appelant était un employé. De plus, il est admis que, malgré le fait que l'appelant pouvait choisir ses heures de travail, on s'attendait qu'il soit là durant les heures de travail normales, pour qu'il ait des contacts avec des gens de Canadair.

Il est vrai que l'appelant ne bénéficiait pas d'avantages comme une assurance-santé ou un régime de retraite et qu'il n'était pas payé pour les jours de congé (sauf les jours fériés). À mon avis, toutefois, cela n'est pas suffisant pour l'emporter sur la conclusion selon laquelle l'appelant était en fait un employé. De plus, il y a d'autres aspects qui tendent à indiquer l'existence d'une relation employeur-employé. L'appelant était payé pour l'ensemble de ses heures travaillées et le travail supplémentaire était rémunéré à un taux supérieur en vertu de son contrat. Tous les jours fériés étaient rémunérés, malgré le fait que l'appelant ne travaillait pas ces jours-là. L'appelant avait droit à une prime d'exécution de contrat s'il travaillait bien. Aucun de ces aspects n'est caractéristique d'un contrat d'entreprise. Un prestataire de services fixe son prix et n'est pas rémunéré à un taux supérieur pour des heures supplémentaires. Il doit courir le risque de réaliser un profit inférieur s'il doit faire des heures supplémentaires. Dans la présente espèce, l'appelant ne courait pas un tel risque. Il était payé pour toutes les heures travaillées. Le fait qu'il signait des contrats temporaires ne change pas ma conclusion, car ce n'est pas la durée du contrat qui détermine s'il existe un emploi.

Enfin, l'appelant travaillait dans des bureaux ou ateliers de Canadair et se servait d'instruments qui appartenaient à Canadair. L'ensemble de ses allées et venues et de ses heures et jours de travail était intégré aux activités du client. On ne peut dire en l'espèce que l'appelant exploitait sa propre entreprise. Comme il le déclarait lui-même dans la police d'assurance qu'il a consignée en preuve (pièce A-11), il travaillait sur commande et son employeur était Kirk-Mayer. Il ne se considérait pas comme un entrepreneur indépendant. Avant de venir au Canada, il était un employé de Grumman et, à mon avis, quand il travaillait auprès de Canadair, il était un employé de Kirk-Mayer (voir le jugement Hinkley c. M.R.N., C.C.I., no 90-1015(IT), 23 octobre 1991 (91 DTC 1336), cité par l'avocat de l'intimée). Je suis confortée dans cette conclusion par le fait que Kirk-Mayer considérait aussi l'appelant comme son employé. En effet, Kirk-Mayer a délivré des feuillets T-4 à l'appelant, qui a déclaré un revenu d'emploi, et toutes les retenues à la source étaient effectuées. Si j'applique le raisonnement de l'avocat de l'appelant selon lequel, d'un point de vue juridique, c'est l'intention des parties qui doit dominer, un élément indique ici que Kirk-Mayer traitait l'appelant comme un employé et non comme un entrepreneur indépendant.

Je conclus donc que l'appelant n'a pas démontré selon la prépondérance des probabilités qu'il agissait comme entrepreneur indépendant durant les années en question. L'appelant était un employé. Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire que je détermine si l'appelant disposait de façon habituelle d'une base fixe au Canada au sens de l'article XIV de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, car cet article ne s'applique pas à des employés.

[33]Ayant conclu que l'appelant avait le statut d'employé auprès de Kirk-Mayer quand il travaillait pour Canadair, la juge de la Cour de l'impôt a déclaré qu'elle n'avait pas besoin de se prononcer sur la question de savoir si l'appelant disposait de façon habituelle d'une base fixe au sens de l'article XIV de la Convention.

3. LA LÉGISLATION PERTINENTE

[34]La Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980) a été adoptée à titre d'annexe I de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, ch. 20. Le préambule de cette Convention énonce ce qui suit:

Le Canada et les États-Unis d'Amérique,

Désireux de conclure une Convention en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune,

Sont convenus des dispositions suivantes: [Non souligné dans l'original.]

[35]L'article XIV de la Convention invoqué par l'appelant porte que:

Article XIV

Professions indépendantes

Les revenus qu'une personne physique qui est un résident d'un État contractant tire d'une profession indépendante sont imposables dans cet État. Ces revenus sont aussi imposables dans l'autre État contractant si la personne physique dispose, ou a disposé, de façon habituelle d'une base fixe dans cet autre État mais uniquement dans la mesure où les revenus sont imputables à la base fixe. [Non souligné dans l'original.]

[36]Les articles du Code civil du Québec invoqués par la juge de la Cour de l'impôt sont entrés en vigueur le 1er janvier 1994. Du fait que l'espèce porte sur les années d'imposition 1990 à 1995 inclusivement, le Code civil du Bas-Canada s'appliquait aux années qui ont précédé l'adoption du Code civil du Québec. D'après les commentaires faits par le ministre de la Justice, le nouveau Code a simplifié les anciennes règles et incorporé des solutions tirées de la jurisprudence (Commentaires du ministre de la Justice: le Code civil du Québec: un mouvement de société, vol. 2, page 694--chapitre septième). Comme il n'y a pas eu de changements fondamentaux avec l'adoption du nouveau Code, seules les dispositions du nouveau Code seront reproduites ci-après:

CHAPITRE SEPTIÈME

DU CONTRAT DE TRAVAIL

Art. 2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

Art. 2086. Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

Art. 2087. L'employeur, outre qu'il est tenu de permettre l'exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié.

Art. 2088. Le salarié, outre qu'il est tenu d'exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l'information à caractère confidentiel qu'il obtient dans l'exécution ou à l'occasion de son travail.

Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l'information réfère à la réputation et à la vie privée d'autrui.

[. . .]

CHAPITRE HUITIÈME

DU CONTRAT D'ENTREPRISE OU DE SERVICE

SECTION I

DE LA NATURE ET DE L'ÉTENDUE DU CONTRAT

Art. 2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

Art. 2099. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

Art. 2100. L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure. [Non souligné dans l'original.]

4. LA QUESTION DANS LE PRÉSENT APPEL

[37]L'article XIV de la Convention porte que la personne qui est résidente d'un État contractant peut voir ses revenus imposés dans cet État pour une profession indépendante. Ces revenus sont aussi imposables dans l'autre État contractant si la personne physique dispose, ou a disposé, de façon habituelle d'une base fixe dans cet autre État mais uniquement dans la mesure où les revenus sont imputables à la base fixe.

[38]Trois éléments peuvent donc être pris en considération dans l'application de l'article XIV de la Convention:

a) le critère de résidence de la personne;

b) la question de savoir si elle offre ou non des services pour une profession indépendante;

c) la question de savoir si elle dispose de façon habituelle d'une base fixe dans l'État contractant autre que celui de sa résidence.

[39]Comme nous l'avons vu précédemment, l'intimée ne conteste pas en l'espèce la conclusion de la juge de la Cour de l'impôt que l'appelant est, et était à l'époque en cause, un résident américain. L'intimée concède de plus, sur la base de la décision de la présente Cour dans La Reine c. Dudney, W.A. (2000), 2000 DTC 6169 (C.A.F.), que l'appelant ne disposait pas de façon habituelle d'une base fixe au Canada pendant la période en cause.

[40]Comme l'appelant est et était en tout temps un résident des États-Unis d'Amérique ne disposant pas de façon habituelle d'une base fixe au Canada, son revenu ne peut être imposé au Canada que s'il travaillait ici en vertu d'un contrat de travail. S'il était un entrepreneur indépendant, il ne peut être imposé que par les autorités américaines.

[41]Par conséquent, il s'agit seulement de savoir si l'appelant à l'époque en cause était un employé de Kirk-Mayer ou un entrepreneur indépendant.

5. ANALYSE

[42]D'après l'article 2085 du Code civil du Québec, le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur. Le contrat de travail peut être à durée déterminée ou indéterminée.

[43]En revanche, un entrepreneur ou un prestataire de services, conformément aux articles 2098 et 2099 du Code civil du Québec, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service à un prix convenu. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat, et il n'existe entre les parties contractantes aucun lien de subordination quant à son exécution.

[44]Les tribunaux québécois ont reconnu que la distinction clé entre un contrat de travail et un contrat de service consistait dans l'élément de subordination ou de contrôle. Dans l'affaire Quebec Asbestos Corporation v. Couture, [1929] R.C.S. 166, qui portait sur la responsabilité civile délictuelle, la Cour suprême du Canada a déclaré à la page 169: «[l]e contrat de louage d'ouvrage se distingue du contrat d'entreprise surtout par le caractère de subordination qu'il attribue à l'employé». L'article 2085 du Code civil du Québec mentionne ce critère de façon expresse (voir un commentaire sur ce sujet dans «Contract for Services, Contract of Services--A Tax Perspective and Analysis» par Marc Noël dans Report of Proceedings of the Twenty-Ninth Tax Conference,  1977 Conference Report (Toronto: L'Association canadienne d'études fiscales, 1978) 712, à la page 724. Voir aussi «Le contrat de travail» par Marie-France Bich, La Réforme du Code civil: Obligations, contrats nommés, vol. 2, Les Presses de l'Université Laval, 1993, 741, à la page 752; Droit du travail par Robert P. Gagnon, vol. 7, Collection de droit, Éditions Yvon Blais Inc., 1995, page 38).

[45]Puis, il y a eu l'arrêt Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.). Il s'agissait alors de savoir si la Ville de Montréal avait le droit de récupérer auprès de Montreal Locomotive Works Ltd. (la compagnie) certains impôts qu'elle avait prétendu prélever en vertu de la Charte de la ville et d'un règlement municipal. La compagnie avait conclu deux contrats avec le gouvernement du Canada afin de produire des chars et des affûts de canons. Le contrat de construction incluait un contrat de vente par la compagnie au gouvernement de l'emplacement sur lequel serait construite la nouvelle usine dont le titre serait détenu par la Couronne. Le contrat de production prévoyait la production d'affûts de canons et de chars pour le gouvernement. La compagnie avait le droit d'engager tous les coûts appropriés et d'en être remboursée par le gouvernement. Dans les deux contrats, il était stipulé que la compagnie s'engageait à agir [traduction] «au nom du gouvernement et comme son représentant».

[46]Si la compagnie exploitait une entreprise seulement à titre de mandataire ou de représentant du gouvernement, aucun impôt n'était dû à la Ville vu que l'article 125 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] exonérait la Couronne de toute taxation. Si, par ailleurs, la compagnie agissait en son propre nom, elle devait payer de l'impôt.

[47]Appliquant son fameux critère à quatre volets, 1) le contrôle 2) la propriété des instruments de travail, 3) la possibilité de profit et 4) le risque de perte, auquel je ferai référence ultérieurement, lord Wright, au nom du Comité judiciaire du Conseil privé, a conclu que la compagnie était un mandataire de la Couronne et qu'à ce titre, elle était exonérée d'impôt. Il a expliqué que l'usine, le terrain sur lequel elle était construite et les machines étaient tous des biens de l'État. La compagnie n'avait pas pris de risques financiers. Le gouvernement avait gardé le contrôle complet sur la gestion et l'exploitation de l'usine. Contrairement à la Cour suprême du Canada, [1945] R.C.S. 621, à la Cour du banc du roi de Québec, Chambre d'appel [sub nom. Montreal Locomotive Works Ltd. v. Montreal and Attorney-General for Canada], [1945] 2 D.L.R. 373 et à la Cour supérieure du Québec, [1944] 1 D.L.R. 173, lord Wright n'a fait aucune référence aux dispositions du Code civil du Bas-Canada pour l'interprétation des contrats, bien qu'une clause expresse dans les deux contrats dispose: [traduction] «La présente convention est soumise aux lois de la province de Québec qui régissent son interprétation», [1945] 2 D.L.R. 373, aux 400 et 401. Lord Wright a fait référence en termes généraux à la jurisprudence mais il n'a pas lui-même mentionné les autorités jurisprudentielles sur lesquelles il s'appuyait.

[48]Dans l'affaire Hôpital Notre-Dame de l'Espérance et Théoret c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605, un cas de responsabilité civile délictuelle, la Cour suprême du Canada a été appelée à déterminer si un médecin était un employé de l'hôpital où la partie plaignante avait été traitée. Le juge Pigeon, au nom de la Cour, a cité et approuvé André Nadeau, Traité pratique de la responsabilité civile délictuelle, (Montréal: Wilson & Lafleur, 1971), page 387, qui avait fait remarquer que «le critère essentiel destiné à caractériser les rapports de commettant à préposé est le droit de donner des ordres et instructions au préposé sur la manière de remplir son travail» (page 613). Le juge Pigeon avait alors cité la célèbre affaire Curley v. Latreille (1920), 60 R.C.S. 131, où il avait été noté que la règle était identique à la common law sur ce point (ibid., aux pages 613 et 614).

[49]En conséquence, la distinction entre un contrat de travail et un contrat de service aux termes du Code civil du Québec peut être examinée à la lumière des critères élaborés au cours des années, tant en droit civil qu'en common law.

[50]Cela dit, j'examine maintenant l'arrêt récent de la Cour suprême du Canada 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, où la distinction entre les deux contrats a été analysée dans le détail.

a) Formulation des critères à appliquer

[51]L'affaire Sagaz Industries, précitée, est une cause de responsabilité civile délictuelle dans laquelle le statut juridique d'un consultant devait être établi, à savoir s'il était un employé ou un entrepreneur indépendant. Le juge Major, au nom de la Cour, a noté au paragraphe 36 de ses motifs que la distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant est utile non seulement en matière de responsabilité du fait d'autrui mais aussi lorsqu'il s'agit d'appliquer diverses lois sur l'emploi, de déterminer si une action pour congédiement injustifié peut être intentée, d'établir des cotisations en matière d'impôt sur le revenu ou de taxe d'affaires, de dresser l'ordre de collocation dans le cas où un employeur devient insolvable ou d'appliquer des droits contractuels. Il ne devrait donc pas être surprenant de trouver différentes affaires où les distinctions entre les deux contrats ont été analysées.

[52]Le juge Major a fait une analyse des différents critères élaborés par la jurisprudence et cité le juge MacGuigan, J.C.A., qui était l'auteur de la décision de la présente Cour dans Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553.

[53]Le juge Major mentionne tout d'abord le critère du contrôle qui avait été critiqué comme étant d'une simplicité apparente et trompeuse (Atiyah, P. S. Vicarious Liability in the Law of Torts (1967), page 41). Il signale, au paragraphe 38 de ses motifs, les principaux problèmes posés par ce critère comme ils avaient été exposés par le juge MacGuigan dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd., aux pages 558 et 559:

Ce critère a le grave inconvénient de paraître assujetti aux termes exacts du contrat définissant les modalités du travail: si le contrat contient des instructions et des stipulations détaillées, comme c'est chose courante dans les contrats passés avec un entrepreneur indépendant, le contrôle ainsi exercé peut être encore plus rigoureux que s'il résulte d'instructions données au cours du travail, comme c'est l'habitude dans les contrats avec un préposé, mais une application littérale du critère pourrait laisser croire qu'en fait, le contrôle exercé est moins strict. En outre, le critère s'est révélé tout à fait inapplicable pour ce qui est des professionnels et des travailleurs hautement qualifiés, qui possèdent des aptitudes bien supérieures à la capacité de leur employeur à les diriger.

[54]Le juge Major nous rappelle, au paragraphe 39 de ses motifs, qu'il y avait eu une tentative par le passé pour traiter des difficultés du critère de contrôle. Il fait référence à l'élaboration d'un critère à quatre volets connu sous le nom de «critère de l'entrepreneur», énoncé par W. O. Douglas (qui est devenu plus tard juge) dans «Vicarious Liability and Administration of Risk I» (1928-29), 38 Yale L.J. 584, et appliqué par lord Wright dans l'arrêt Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161, à la page 169.

[traduction] Dans des jugements antérieurs, on s'appuyait souvent sur un seul critère, comme l'existence ou l'absence de contrôle, pour décider s'il s'agissait d'un rapport de maître à préposé, la plupart du temps lorsque des questions de responsabilité délictuelle de la part du maître ou du supérieur étaient en cause. Dans les situations plus complexes de l'économie moderne, il faut souvent recourir à des critères plus compliqués. Il a été jugé plus convenable dans certains cas d'appliquer un critère qui comprendrait les quatre éléments suivants: 1) le contrôle, 2) la propriété des instruments de travail, 3) la possibilité de profit; 4) le risque de perte. Le contrôle en lui-même n'est pas toujours concluant.

[55]Le juge Major cite, en troisième lieu, dans son paragraphe 40 le «critère d'organisation» ou le «critère d'intégration» qu'avait employé le lord juge Denning (telle était alors sa qualité) dans l'affaire Stevenson Jordan and Harrison Ltd. v. Macdonald and Evans, [1952] 1 T.L.R. 101 (C.A.), à la page 111:

[traduction] Un élément semble se retrouver dans tous les cas: en vertu d'un contrat de louage de services, une personne est employée en tant que partie d'une entreprise et son travail fait partie intégrante de l'entreprise; alors qu'en vertu d'un contrat d'entreprise, son travail, bien qu'il soit fait pour l'entreprise, n'y est pas intégré mais seulement accessoire.

[56]Le juge Major énumère les inconvénients de ce critère, au paragraphe 42 de ses motifs, comme les avait exprimés le juge MacGuigan dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. Il convient toutefois avec le juge MacGuigan (à la page 563 de la décision Wiebe Door) que le critère d'organisation peut être utile quand il est bien appliqué, c.-à-d. quand il est traité du point de vue de l'«employé» et non de celui de l'«employeur»:

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l'«employé» et non de celui de l'«employeur». En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question «À qui appartient l'entreprise». [Souligné par le juge Major.]

[57]Le juge Major fait ensuite référence au «critère de l'entreprise» qu'il décrit dans les termes suivants au paragraphe 45 de ses motifs:

Enfin, un critère se rapportant à l'entreprise elle-même est apparu. Flannigan (loc. cit., p. 30) énonce le [traduction] «critère de l'entreprise» selon lequel l'employeur doit être tenu responsable du fait d'autrui pour les raisons suivantes: (1) il contrôle les activités du travailleur, (2) il est en mesure de réduire les risques de perte, (3) il tire profit des activités du travailleur, (4) le coût véritable d'un bien ou d'un service devrait être assumé par l'entreprise qui l'offre. Pour Flannigan, chaque justification a trait à la régulation du risque pris par l'employeur, et le contrôle est donc toujours l'élément crucial puisque c'est la capacité de contrôler l'entreprise qui permet à l'employeur de prendre des risques. Le juge La Forest a lui aussi formulé un «critère du risque de l'entreprise» dans l'opinion dissidente qu'il a exposée relativement au pourvoi incident dans l'arrêt London Drugs. Il a écrit, à la p. 339, que «[l]a responsabilité du fait d'autrui a pour fonction plus générale de transférer à l'entreprise elle-même les risques créés par l'activité à laquelle se livrent ses mandataires.»

[58]Le juge Major cite au long au paragraphe 44 de ses motifs ce que le juge MacGuigan avait jugé être la meilleure synthèse faite dans la jurisprudence, à savoir celle du juge Cooke dans l'affaire Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), aux pages 737 et 738 (suivie par le Conseil privé dans l'affaire Lee Ting Sang v. Chung Chi-keung, [1990] 2 A.C. 374, motifs de lord Griffiths, à la page 382).

[59]Le juge Major indique ensuite au paragraphe 46 de ses motifs qu'à son avis, aucun critère universel ne permettait de déterminer, de façon concluante, si une personne était un employé ou un entrepreneur indépendant. Avec les autres, il convient de la nécessité de chercher l'ensemble de la relation qui existe entre les parties contractantes, conseil que le juge Décary, J.C.A., pour la présente Cour avait résumé ainsi dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Charbonneau (1996), 41 C.C.L.I. (2d) 297 (C.A.F.), à la page 298: «il ne faut pas [. . .] examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.»

[60]Le juge Major conclut ensuite, aux paragraphes 47 et 48 de ses motifs, en disant:

Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire. [Non souligné dans l'original.]

[61]Ces propos me dictent le type d'enquête à laquelle je dois me livrer. Les facteurs traditionnellement élaborés par la jurisprudence n'ont pas été mis de côté. Ils demeurent valides bien qu'ils aient été quelque peu reformulés.

[62]J'ai donc l'intention d'examiner le degré de contrôle que Canadair a exercé sur les activités de l'appelant et la propriété du matériel nécessaire pour exécuter le travail; je veux aussi déterminer si l'appelant engageait ses propres assistants ou non, et quel est le degré de risque financier et de profit, dans la mesure où il concerne les circonstances de l'espèce, lorsqu'une personne dotée de compétences spécialisées est engagée par une agence de placement pour exécuter des travaux pour un tiers. J'examinerai ensuite la question de savoir si ces facteurs ont été correctement appliqués par la juge de la Cour de l'impôt à la lumière des circonstances de l'espèce.

[63]Toutefois, je commencerai par résumer les observations de l'appelant.

b) Observations de l'appelant

[64]L'appelant soutient qu'il appartient à une catégorie de travailleurs temporaires, espèce de plus en plus courante au Canada et dans le monde et qui inclut des travailleurs engagés pour des affectations de courte durée par le biais d'agences de placement temporaire et des travailleurs autonomes à leur compte comme les consultants, les pigistes et les entrepreneurs indépendants. Ce type de travail est parfois désigné comme étant un emploi atypique ou temporaire (L'emploi temporaire au Canada: Sommaire exécutif, Conseil canadien de développement social, 1996, http://www.ccsd.ca/tempemp.html).

[65]L'appelant cite la Commission de la fonction publique dans son rapport intitulé L'avenir du travail: L'emploi atypique dans la fonction publique du Canada (Direction de la recherche, Direction générale des politiques, de la recherche et des communications, Commission de la fonction publique, mars 1999), selon laquelle l'augmentation des emplois atypiques au cours des 20 dernières années peut être attribuée à une série de facteurs comme la mondialisation du commerce, l'introduction des nouvelles technologies, la volatilité des marchés internationaux et nationaux et la volonté d'autonomie et d'indépendance de la part des travailleurs. En somme, le rapport signale que l'adoption de nouvelles stratégies concurrentielles par les entreprises semble constituer le principal facteur qui motive la croissance des emplois atypiques, laquelle est maintenant prédominante dans presque tous les secteurs de l'économie. L'augmentation récente de l'emploi temporaire est aussi, semble-t-il, liée au fait que les entreprises cherchent des façons de réduire les coûts fixes, y compris les salaires, les avantages sociaux et les charges sociales, et d'éviter le coût de l'observation des normes d'emploi minimales. Il est expliqué ce qui suit à la page 4 du rapport de la Commission de la fonction publique:

La souplesse et les économies semblent représenter les raisons principales pour lesquelles on recourt à l'emploi atypique. En engageant des travailleurs à titre temporaire ou à temps partiel, les employeurs sont en mesure de rajuster la taille de l'effectif pour composer avec les fluctuations de la demande à l'égard des biens ou des services fournis. On peut engager rapidement des travailleurs temporaires durant les périodes de pointe de l'activité commerciale, puis les renvoyer facilement lorsque l'on n'a plus besoin d'eux, et, compte tenu du peu d'ancienneté qu'ils ont, ils n'ont droit légalement qu'à l'avis de licenciement et au niveau de rémunération minimums. De cette façon, les entreprises peuvent réagir rapidement à l'évolution du marché tout en évitant les coûts et les risques associés au fait d'avoir des employés permanents. De même, le recours à des travailleurs à temps partiel augmente la marge de manoeuvre de la direction, qui peut faire varier le nombre d'heures travaillées chaque semaine pour qu'il concorde avec les fluctuations de l'activité commerciale. Les entreprises peuvent aussi accéder à des compétences spécialisées en embauchant des travailleurs à titre temporaire ou en attribuant des contrats à des travailleurs indépendants. Cela permet aux entreprises de réduire leur effectif et de se concentrer sur les «compétences de base», tout en ayant la capacité d'acquérir les habiletés et l'expertise nécessaires dans des domaines qui sont fortement spécialisés ou dont l'évolution est très rapide.

[66]L'appelant déclare que l'embauche de consultants est très populaire et qu'elle se répand dans l'ensemble de l'industrie aérospatiale (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 117). À la lumière de la description de la stratégie de dotation de Canadair qu'a donnée l'appelant, il semblerait raisonnable selon lui qu'il soit inclus dans le groupe de ceux qu'il appelle «les travailleurs autonomes à leur compte». De ce fait, il serait un «consultant», terme qui, dit-il, est utilisé précisément dans son contrat.

[67]L'appelant soutient que s'il n'y a pas de manoeuvre frauduleuse, de maquillage ou toute autre circonstance de vice, ce qui n'est pas le cas d'après les allégations, en l'espèce, son statut est régi par son contrat où il est décrit comme un consultant et un entrepreneur indépendant.

[68]Il affirme que la juge de la Cour de l'impôt n'a pas eu raison de décider qu'il était un employé et non pas un entrepreneur indépendant. Il déclare qu'il a exposé, dans son témoignage, les nombreuses différences qu'il y a entre lui et les employés de Canadair, à savoir:

- il recevait une indemnité journalière pour couvrir ses frais de subsistance et une prime d'exécution de contrat, alors que les employés de Canadair n'en recevaient pas;

- il n'avait pas le droit d'amener des visiteurs dans le bâtiment, alors que les employés de Canadair n'étaient pas frappés par une telle interdiction;

- il n'avait pas droit à la formation supplémentaire, aux voyages d'employés, à l'assurance collective, au régime de pension et au régime d'option d'achat d'actions et n'avait pas de droits syndicaux;

- il facturait des heures au lieu de recevoir un salaire annuel;

- aucune déduction d'impôt n'était faite sur son revenu à la source;

- la retenue d'impôt sur les non-résident de 15 %, et les contributions à l'assurance-emploi et au Régime de pensions du Canada étaient simplement appliquées en vertu de la loi;

- il portait une carte d'identité à «barres rouges», ce qui montrait qu' il était un consultant et non pas un employé;

- il n'avait pas de lieu de travail permanent, aucun bureau particulier et devait chercher un ordinateur qui était disponible pour faire son travail.

c) Application des critères

i) Le contrat écrit

[69]L'article 2085 du Code civil du Québec énonce que le contrat de travail est fait «pour un temps limité». Bien qu'aucun délai ne soit prévu dans l'article 2098 du Code dans le cas d'un contrat de service, il est clair, de par sa nature, qu'un tel contrat est limité à la période nécessaire pour terminer les travaux entrepris par l'entrepreneur ou le prestataire de services.

[70]Le contrat entre Kirk-Mayer et l'appelant montre que la durée de l'affectation était d'un an, renouvelable à la discrétion de Canadair, mais que cela dépendait entièrement de la charge de travail à Canadair. L'appelant a déclaré que la période d'affectation dans une entreprise aérospatiale, pour des personnes comme lui, était en général de un à deux ans, vu qu'il fallait à peu près ce délai pour mettre sur pied un programme de construction pour un nouvel aéronef (interrogatoire de Lawrence Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 18, ligne 17 à la page 19, ligne 5).

[71]Les termes du contrat écrit entre Kirk-Mayer et l'appelant ne se verront accorder du poids que s'ils reflètent exactement la relation entre les parties. Le passage suivant écrit par le juge Stone, J.C.A., dans l'affaire Ministre du Revenu national c. Standing (1992), 147 N.R. 238 (C.A.F.) [aux pages 236 et 240] est particulièrement important et pertinent ici:

Peu importe l'appréciation, par la Cour de l'impôt, du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door, l'essentiel, tout compte fait, c'est que les parties elles-mêmes ont ensuite qualifié leur relation d'employeur-employé. Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égard aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door.

[72]Par conséquent, comme il a été déclaré par la présente Cour dans l'affaire Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., [1988] 2 C.T.C. 2377 (C.A.F.), à la page 2379 «[p]our rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.»

ii) Degré de contrôle

[73]La juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu, au paragraphe 25 de ses motifs, que quoique l'appelant soit un professionnel ayant été embauché pour ses connaissances et son expertise, Canadair exerçait quand même un certain type de contrôle sur son travail. Elle a expliqué que les tâches de l'appelant lui étaient attribuées par son superviseur, qu'il pouvait passer d'un projet à un autre à la demande de son superviseur, son travail devait être approuvé par divers comités et que, pour des projets difficiles particuliers, Canadair exerçait une surveillance plus étroite.

[74]Le critère de contrôle, comme on le désigne communément, consiste à se demander qui contrôle le travail et comment, et quand et où cela doit être fait. En théorie, si le travailleur a un contrôle total sur l'exécution de son travail une fois qu'il lui a été attribué, ce facteur pourrait faire que le travailleur est un entrepreneur indépendant. Par ailleurs, si l'employeur contrôle en fait l'exécution du travail ou a le pouvoir de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions (Gallant c. Canada (Ministère du Revenu national), [1986] A.C.F. no 330 (C.A.) (QL)), le travailleur sera considéré comme un employé.

[75]Dans la pratique, une telle distinction est difficile à appliquer du fait que tant le travailleur que l'employeur ont habituellement une certaine part de contrôle sur le travail exécuté. Le pilote engagé par un transporteur aérien, par exemple, est généralement un employé bien que personne ne lui dise comment il doit piloter son avion (voir Marc Noël, précité, pages 723 et 724). Le médecin qui travaille dans une clinique peut être un employé tout en étant le maître de sa propre conduite professionnelle. Le critère de contrôle peut donc ne pas convenir dans des cas comme les cas précités si du fait que les capacités et l'expertise du travailleur sont plus grandes que celles de l'employeur, peu de contrôle ou de surveillance peut être exercé sur la façon dont le travail est exécuté. (Voir Joanne E. Magee dans son article intitulé «Whose Business is it? Employees Versus Independent Contractors» (1997), 45 Can. Tax J. 584, à la page 596.)

[76]Bien que le critère de contrôle soit le critère traditionnel de l'emploi en droit civil, il est souvent inadéquat à cause de la spécialisation accrue de la main-d'oeuvre. La Cour, dans l'affaire Wiebe Door, précitée, a essentiellement déclaré que le critère de contrôle, tout en étant encore important, n'est plus considéré comme un critère péremptoire à lui seul. Le juge Major, tout en convenant qu'il n'y a pas de critères magiques à appliquer, réitère la nécessité d'examiner l'ensemble de la relation entre les parties contractantes pour déterminer à qui est l'entreprise.

[77]En l'espèce, les faits ne mènent pas nécessairement à conclure qu'un contrôle était exercé par Canadair sur l'appelant de façon à créer un lien de subordination entre Kirk-Mayer et l'appelant. L'appelant a déclaré clairement qu'une fois qu'il savait quel travail il devait faire et qu'il avait eu la possibilité de consulter les personnes capables de l'aider, c'était à lui de décider comment il allait procéder. Il était libre de développer ses idées comme il le voulait. Le fait qu'une affectation lui ait été donnée n'établissait pas de lien de subordination.

[78]La juge de la Cour de l'impôt a, à mon sens, accordé beaucoup trop de poids à l'élément de contrôle. J'estime que ce facteur est neutre dans les circonstances vu qu'il était compatible avec l'un ou l'autre statut. Le degré de contrôle n'est pas un bon indice de la nature de la relation entre les parties et ne détermine pas le statut d'un employé.

[79]La juge de la Cour de l'impôt a de plus examiné au paragraphe 26 de ses motifs ce qu'elle a appelé «le critère du résultat précis». À son avis, l'appelant devait travailler sur une base quotidienne sans qu'aucune quantité de travail fixe ne lui soit attribuée par contrat. L'appelant était un employé, de l'avis de la juge, du fait que c'étaient ses services professionnels personnels qui devaient être mis à la disposition de l'entreprise et non pas ceux d'une personne à qui il aurait pu déléguer le travail à faire.

[80]Il est exact qu'il ne pouvait pas déléguer son travail à quelqu'un d'autre mais cela ne veut pas dire nécessairement que l'appelant était un employé.

[81]Le fait que le travail ait dû être exécuté pendant les heures normales de travail et dans les locaux de Canadair, afin de permettre à l'appelant d'interagir avec d'autres personnes chez Canadair, n'a pas pour effet non plus d'amener à conclure que l'appelant était un employé. Un consultant aurait pu avoir les mêmes contraintes d'horaire et de lieu de travail, compte tenu du caractère spécialisé du travail qu'il avait à effectuer et des mesures de sécurité qui existaient.

iii) La propriété des instruments de travail nécessaires à l'exécution du travail

[82]Il s'agit de savoir qui, de l'employeur ou du travailleur, possède les biens ou le matériel nécessaires pour exécuter le travail. Traditionnellement, si le travailleur détient ou contrôle les biens et s'il est responsable de leur fonctionnement et de leur entretien, il est probablement considéré comme un entrepreneur indépendant. Par ailleurs, si l'employeur possède le matériel, le travailleur sera probablement considéré comme un employé.

[83]La juge de la Cour de l'impôt, dans son paragraphe 28, a estimé que le facteur «instruments de travail» militait en faveur du statut d'employé et que l'appelant était en fait un employé de Kirk-Mayer quand il travaillait pour Canadair si l'on tient compte des feuillets T-4 délivrés à l'appelant par Kirk-Mayer. D'après la juge, il était un travailleur sur commande, expression utilisée par l'appelant quand il avait demandé sa police d'assurance-santé (Dossier d'appel, vol. 3, à la page 38).

[84]À mon avis, les instruments de travail nécessaires pour l'exécution du travail de l'appelant constituent un facteur neutre. Il fallait que l'appelant travaille dans les locaux de Canadair avec l'ordinateur et les archives de Canadair, qu'il soit un employé ou un entrepreneur indépendant.

[85]Les feuillets T-4 ne constituent pas un indice qui établit le statut de l'appelant, tout comme ne l'est pas non plus sa déclaration dans la police d'assurance-maladie voulant qu'il soit un travailleur sur commande. Mon point de vue sur cet élément diffère de celui de la juge de la Cour de l'impôt dans son paragraphe 28. De plus, je n'accorde aucun poids à la carte d'identité de l'appelant contrairement à ce qu'il prétend sur ce sujet.

iv) Degré de risque financier et profit

[86]Le degré de risque vise à examiner le potentiel de profit et de perte du travailleur. Selon la conception traditionnelle, un entrepreneur indépendant assumait le risque de perte qui découle de l'exécution du travail tandis que, dans le cas d'un employé, c'était à l'employeur de supporter ce fardeau. L'employé n'assumait pas de risque financier puisqu'il recevait le même salaire peu importe les résultats financiers de l'employeur.

[87]En contrepartie d'une hausse de salaire, l'appelant en l'espèce prenait tous les risques de l'activité à laquelle il se livrait. Il ne pouvait pas souscrire à un régime d'assurance-maladie ni à un régime de retraite de Canadair. Il n'avait pas de sécurité d'emploi, aucune protection syndicale, ne pouvait pas suivre de cours et n'avait pas de chance d'avancement. C'était à lui d'assumer les profits et les facteurs de risque.

[88]La juge de la Cour de l'impôt a accordé peu de poids au facteur de risque comme il est indiqué au paragraphe 27 de ses motifs. Elle ne s'est pas demandée à qui appartenait l'entreprise et quels étaient les risques financiers que prenait le travailleur.

[89]Elle a noté que l'appelant n'avait pas d'assurance-maladie ni de régime de retraite et qu'il n'était pas payé pour les jours de congé, sauf les jours fériés. Mais, dans son estimation, les facteurs dominants indiquant l'existence d'une relation employeur-employé tenaient au fait que l'appelant était payé pour les heures travaillées, que le temps supplémentaire était calculé à un taux supérieur et qu'il recevait une prime d'exécution de contrat s'il travaillait bien. S'il avait été un entrepreneur ou un prestataire de services, il aurait, à son avis, travaillé pour un prix fixe sans avoir de rémunération supérieure pour les heures supplémentaires. Il aurait supporté le risque d'un profit moins élevé s'il avait dû faire du temps supplémentaire.

[90]En concluant comme elle l'a fait, la juge de la Cour de l'impôt a noté à tort que l'appelant n'était pas payé pour les congés. Or, il en avait reçu avant le 23 août 1993. Elle n'a pas tenu compte, et cela est plus important, de la preuve fournie au procès à savoir qu'une prime d'exécution de contrat était donnée, non pas si l'appelant avait bien travaillé, mais pour l'encourager à terminer son travail lorsque les concurrents lui faisaient des offres plus intéressantes. La prime d'exécution de contrat montre bien le caractère indépendant du travail exécuté par l'appelant, et c'est en quelque sorte une indication que la loyauté doit être assurée à un certain prix.

[91]L'indice que constitue le paiement des heures supplémentaires, des congés annuels et des jours fériés est neutre, à mon avis. La prime d'exécution de contrat, l'absence d'assurance-maladie et de régime de retraite et l'ensemble des facteurs de risque, y compris l'absence de protection en vertu de la législation provinciale du travail, militent en faveur du statut d'entrepreneur indépendant.

[92]La juge de la Cour de l'impôt a conclu, dans son paragraphe 28, que les heures et jours de travail de l'appelant étaient intégrés aux activités de Canadair.

[93]Tant le travail de Canadair que celui de l'appelant étaient intégrés au sens qu'ils visaient la même activité et le même objectif, à savoir la certification des aéronefs. Toutefois, compte tenu du fait que le facteur d'intégration doit être pris dans la perspective de l'employé, il est clair que cette intégration était incomplète. L'appelant était chez Canadair pour fournir une aide temporaire dans un champ limité d'expertise, à savoir le sien. Lorsque l'on répond à la question «à qui est l'entreprise?», de ce point de vue là, l'entreprise de l'appelant est indépendante. Une fois le projet de Canadair terminé, l'appelant était éjecté en quelque sorte de son travail. Il devait en chercher un autre sur le marché et ne pouvait pas demeurer à Canadair à moins qu'un autre projet n'ait commencé.

v) Évaluation globale

[94]L'emploi atypique qui était celui de l'appelant et qui met l'accent sur un profit plus élevé avec un risque plus élevé, la mobilité et l'indépendance, montre à mon avis que l'appelant a eu raison de réclamer le statut d'entrepreneur et de prestataire de services au sens de l'article 2098 du Code civil du Québec. Cela m'amène alors à conclure que l'appelant exerçait une profession indépendante conformément à l'article XIV de la Convention.

6. CONCLUSION

[95]Le présent appel devrait être accueilli, la décision de la Cour canadienne de l'impôt devrait être infirmée et les cotisations pour les années d'imposition 1990 à 1995 inclusivement devraient être renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en conformité avec les présents motifs. Les dépens tant devant la présente Cour que devant la Cour canadienne de l'impôt devraient être adjugés à l'appelant.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[96]Le juge Décary, J.C.A. (souscrivant au résultat): J'en suis arrivé à la même conclusion que ma collègue, Mme le juge Desjardins, mais je l'ai fait avec une perspective légèrement différente. Je m'appuie sur les faits qu'elle a si soigneusement passés en revue.

[97]Le ministre n'a pas contesté la conclusion de la juge de la Cour de l'impôt selon laquelle M. Wolf était résident des États-Unis d'Amérique aux fins de la Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (la Convention). (Cette convention a été signée à Washington (D.C.) le 26 septembre 1980 et est devenue loi au Canada en vertu de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, ch. 20.) Le ministre a aussi reconnu dans son appel devant cette Cour, à tort ou à raison, que M. Wolf ne disposait pas de façon habituelle d'une base fixe au Canada. La seule question à trancher dans le présent appel consiste alors à se demander si le revenu tiré par M. Wolf l'a été d'une «profession indépendante» au sens de l'article XIV de la Convention ou d'une «profession dépendante» au sens de l'article XV. Si c'est l'article XIV qui s'applique, M. Wolf ne sera pas imposé au Canada.

[98]Les articles XIV et XV sont ainsi conçus:

Article XIV

Professions indépendantes

Les revenus qu'une personne physique qui est un résident d'un État contractant tire d'une profession indépendante sont imposables dans cet État. Ces revenus sont aussi imposables dans l'autre État contractant si la personne physique dispose, ou a disposé, de façon habituelle d'une base fixe dans cet autre État mais uniquement dans la mesure où les revenus sont imputables à la base fixe.

Article XV

Professions dépendantes

1. Sous réserve des dispositions des articles XVIII (Pensions et rentes) et XIX (Fonctions publiques), les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un État contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre État contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État.

[99]Comme l'exige le paragraphe 10(1) de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, le gouvernement du Canada a veillé à ce que la convention soit «authentifié[e] dans les deux langues officielles» du Canada. L'avant-dernier paragraphe de la Convention déclare expressément: «fait en langues française et anglaise, les deux textes faisant également foi». La règle d'interprétation applicable est donc celle qui avait été exprimée plus d'un siècle auparavant par J. B. Moore, A Treatise on Extradition and Interstate Rendition, Boston, Boston Book Co., 1891, vol. 1, § 88, page 100:

§ 88. Lorsqu'un traité est rédigé en deux langues ou plus, celles des parties contractantes respectives, chaque texte est considéré comme un original et est censé transmettre le même sens que l'autre.

(Voir Beaupré, Interprétation de la législation bilingue, Montréal, Wilson & Lafleur, 1986, aux pages 94 et suivantes; P.G. du Can. c. Mekies et autres, [1977] C.A. 352 (C.A. Qué.).)

[100]L'article III, paragraphe 2 de la Convention prévoit que toute expression qui n'est pas définie aux présentes doit, sauf si le contexte en indique autrement, s'entendre au sens du droit canadien en ce qui concerne les taxes imposées par le gouvernement du Canada. Comme les termes anglais «Independent Personal Services» (Professions indépendantes) et «Dependent Personal Services» (Professions dépendantes) qui se trouvent respectivement aux articles XIV et XV, ne sontpas définis dans la Convention, ils doivent s'entendre au sens du droit canadien.

[101]L'expression anglaise «personal services» est rendue en français par «professions». De prime abord et dans la langue courante, «professions» pourrait sembler avoir un sens plus restrictif et en quelque sorte plus élitiste (voir, par exemple, «société professionnelle» [édicté par L.C. 1996, ch. 21, art. 60] au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu) [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] que son homologue anglais «personal services». Le terme «professions», toutefois, est aussi et surtout défini dans Le Nouveau Petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, 1993, comme étant une «[o]ccupation déterminée dont on peut tirer ses moyens d'existence (-- métier; fonction; état»), et je suis convaincu que ce sens plus large est celui qui reflète le mieux l'intention des rédacteurs de la Convention. Je note qu'à l'article XV qui porte sur les «professions dépendantes», les termes «emploi» et «emploi salarié» sont utilisés et que ces termes sont clairement associés aux personnes qui sont communément désignées comme étant des «employées». Il est intéressant de noter que les termes anglais «personal services» sont précisément ceux qui se trouvent à l'article 1666 du Code civil du Bas-Canada (en vigueur au moment où la Convention a été conclue) et que ce sont ceux qui étaient utilisés dans le texte anglais pour décrire les services rendus par les employés. On peut donc dire assurément, selon moi, que l'article XIV fait référence à un revenu qui découle d'un contrat de service (entrepreneurs indépendants) et que l'article XV fait référence à un revenu tiré de contrats de travail.

[102]Si nous passons maintenant à l'interprétation des notions d'«entrepreneurs indépendants» et d'«employés» au regard d'un contrat signé au Canada, il faut se souvenir que les règles de common law s'appliqueront si le contrat en cause doit être interprété conformément aux lois d'une province autre que le Québec et que le Code civil du Québec s'appliquera si le contrat en cause doit être interprété conformément aux lois de la province de Québec (voir St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 289 (C.A.), aux paragraphe 38 et suivants; la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4; la Loi d'interprétation [L.R.C. (1985) ch. I-21], articles 8.1 et 8.2, édicté par l'article 8 de la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil).

[103]Il est intéressant de noter en l'espèce que les contrats originaux en cause faisaient intervenir trois parties et ont été signés par chacune d'entre elles en trois lieux différents. Le 26 janvier 1990, Canadair Limitée (Canadair), une entreprise exploitée à Saint-Laurent, province de Québec a envoyé la lettre suivante à M. Wolf à une adresse à Northport, New York (États-Unis):

[traduction] La présente lettre vise à confirmer une offre d'emploi temporaire à titre de concepteur d'instruments dans notre service de l'ingénierie expérimentale pour une période d'environ douze (12) mois.

La présente offre est limitée aux conditions établies par Canadair qui figurent dans le contrat que vous avez antérieurement signé avec votre mandataire.

Nous espérons que votre affectation à Canadair sera agréable et nous nous réjouissons d'avoir le plaisir de vous rencontrer. [Dossier d'appel, vol. 3, p. 64.]

[104]Le «contrat» mentionné dans la lettre de Canadair est un contrat entre M. Wolf et Kirk-Mayer of Canada Limited (Kirk-Mayer) qui a été signé par M. Wolf à Palm Bay (Floride), aux États-Unis, le 31 janvier 1990 et par Kirk-Mayer à Calgary (Alberta), le 25 janvier 1990 (Dossier d'appel, vol. 3, page 18).

[105]Le contrat entre M. Wolf et Kirk-Mayer a ensuite été renouvelé à trois reprises. Les renouvellements ont été signés par M. Wolf à Montréal (province de Québec) et par Kirk-Mayer à Calgary (province de l'Alberta) (Dossier d'appel, vol. 3, pages 77, 80 et 83).

[106]Il a été plaidé en l'espèce que la même loi devait s'appliquer à toute la série de contrats et que la loi applicable était celle du Québec. La juge de la Cour de l'impôt a appliqué les dispositions du Code civil du Québec et elle a eu raison de le faire. Bien qu'on puisse techniquement soutenir que le contrat initial entre M. Wolf et Kirk-Mayer n'a pas été signé au Québec, la réalité contractuelle des parties est que l'offre est née au Québec, qu'elle portait sur un contrat devant être exécuté au Québec et que le revenu en cause était gagné par M. Wolf au Québec. On peut reconnaître que le ministre a allégué que M. Wolf avait conclu un contrat de travail avec Kirk-Mayer (Dossier d'appel, vol. 1, page 82), mais, comme nous le verrons, il n'est tout simplement pas possible de déterminer la véritable nature de la relation contractuelle entre M. Wolf et Kirk-Mayer sans prendre en considération la relation de travail entre M. Wolf et Canadair.

[107]Lorsque nous appliquons le Code civil à l'espèce, nous devons comprendre que, pour les quatre premières années d'imposition en cause (1990, 1991, 1992 et 1993), la loi applicable était le Code civil du Bas-Canada, en particulier les articles 1666 à 1697, et que pour les deux dernières (1994 et 1995) la loi applicable était le Code civil du Québec et en particulier les articles 2085 à 2129. Le Code civil du Québec est entré en vigueur en janvier 1994.

[108]Dans l'ancien Code civil, la relation de travail était décrite comme «service personnel des ouvriers», et la relation d'entrepreneur indépendant était décrite en termes de «travaux suivant devis et marchés» qui faisaient référence à des travaux suivant devis et marché (article 1666), la partie qui s'engageait, dans ce dernier cas, étant censée soit «[fournir] son travail et son industrie seulement ou [. . .] aussi les matériaux» (article 1683). Les deux types de contrats étaient traités dans le même chapitre intitulé «du louage d'ouvrage» et d'une façon quelque peu sommaire; c'est pourquoi les tribunaux ont été appelés à combler les lacunes, en particulier au fur et à mesure de l'évolution de la société et de l'apparition de nouveaux types de «travail».

[109]Dans le Code civil du Québec actuel, les termes utilisés ont été considérablement raffinés, et des chapitres distincts portent respectivement sur le «contrat de travail» (articles 2085 à 2097) et sur le «contrat d'entreprise ou de service» (articles 2098 à 2129).

[110]L'article 2085 prévoit que le contrat de travail:

Art. 2085. [. . .] est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

[111]L'article 2098 prévoit que le contrat d'entreprise:

Art. 2098. [. . .] est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

L'article 2099 poursuit dans les termes suivants:

Art. 2099. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[112]Il est justifié de dire, à l'instar du juge Desjardins, J.C.A., que les dispositions du nouveau Code, tout en étant beaucoup plus détaillées, ne modifient pas de façon substantielle l'état antérieur du droit au Québec; que ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d'un contrat de travail est l'absence dans le premier cas d'un «lien de subordination» entre le prestataire de services et le client (article 2099 C.C.Q.) et la présence dans le dernier cas du droit de l'employeur de «diriger et contrôler l'employé» (article 2085 C.C.Q.); que les mêmes services peuvent être fournis sous l'empire de l'un ou de l'autre des contrats; que dans l'un ou l'autre des contrats, les instruments de travail nécessaires peuvent être fournis par la personne qui embauche (article 2103 C.C.Q.); et que la qualification juridique de l'un ou l'autre des contrats est déterminée, dans chacun des cas, par les conditions du contrat et par les circonstances (voir les affaires Sauvé c. M.R.N. (1995), 132 D.L.R. (4th) 114 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Charbonneau (1996), 41 C.C.L.I. (2d) 297 (C.A.F.); Pierre Cimon, «Le contrat d'entreprise ou de service», dans La réforme du Code civil: Obligations, contrats nommés (Québec, Qc: Presses de l'Université Laval, 1993), vol. 2, page 802 et suivantes; Marie-France Bich, «Le contrat de travail», ibid., pages 743 et suivantes; François Beauchamp, «Les contrats relatifs aux services» dans Droit spécialisé des contrats (Cowansville, Qc: Yvon Blais, 1999), vol. 2, page 107 et suivantes; Baudouin et Renaud, Code civil du Québec annoté, 3e éd. (Montréal, Qc: Wilson & Lafleur, 2000), pages 2421 et suivantes; Bonhomme, Gascon, Lesage, Le contrat de travail en vertu du Code civil du Québec (Cowansville, Qc: Yvon Blais, 1994), page 3 et suivantes; Robert P. Gagnon, Le droit du travail du Québec: pratiques et théories, 2e éd. (Cowansville, Qc: Yvon Blais, 1993), page 39 et suivantes; Pierre Ciotola, Droit civil québécois (Montréal, Qc: Publications DACFO, 1993), vol. 5).

[113]Ma collègue a expliqué par le biais de la jurisprudence comment un contrat de travail devait être distingué d'un contrat de service. Que l'on adopte ou non les termes que j'ai utilisés dans l'affaire Charbonneau (précitée), à la page 298:

En d'autres termes, il ne faut pas, et l'image est particulièrement appropriée en l'espèce, examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

ceux utilisés par le juge MacGuigan dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.), à la page 563:

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

ou ceux utilisés par le juge Major dans l'affaire 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, au paragraphe 47:

La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte.

en fin de compte, on finit par faire, en droit civil comme en common law, un examen des termes des conventions pertinentes et des circonstances pour découvrir la véritable réalité contractuelle des parties.

[114]Je comprends que dans l'affaire Sagaz, le juge Major a déclaré qu'«il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur» (au paragraphe 47), mais il a aussi affirmé que, au paragraphe 48:

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

ce qui montre sa réticence à énoncer en termes absolus des exigences particulières qui ne sont peut-être pas adaptées à toutes les circonstances. Il peut très bien y avoir des cas où, si l'on examine les parties au lieu de l'ensemble, on en arrive à trahir la réalité. Il se peut très bien que ce soit le cas en l'espèce, le facteur de contrôle ayant été jugé neutre et à bon droit par Mme la juge Desjardins. Je peux ajouter que je trouve quelque peu curieux que le contrôle soit énuméré parmi les facteurs à prendre en considération dans une analyse dont l'objectif est précisément de déterminer, au regard du Code civil du Québec, s'il y a un contrôle ou non.

[115]Dès le départ, je voudrais citer le tout premier paragraphe d'un article écrit par Alain Gaucher «A Worker's Status as Employee or Independent Contractor» dans Report of Proceedings of the Fifty First Tax Conference, 1999 Conference Report de l'Association canadienne d'études fiscales, page 33.1):

[traduction] Dans une économie canadienne en perpétuel changement, la pertinence juridique du statut du travailleur à titre d'entrepreneur indépendant ou d'employé demeure importante. Les questions qui concernent le statut juridique auront un intérêt de plus en plus grand à mesure que les employeurs continueront à recourir à des pratiques d'embauche qui favorisent les entrepreneurs indépendants et qu'un plus grand nombre de personnes pourront entrer ou revenir dans la population active à titre d'entrepreneurs indépendants. [Renvoi omis.]

[116]De la même façon, j'estime que l'existence d'une convention tripartite ou, autrement dit, la présence d'un intermédiaire entre la personne qui embauche et la personne qui exécute le travail n'a pas d'effet sur la qualification juridique des services rendus. Beauchamp (précité, à la page 112) et Cimon (précité, à la page 804) ont tous deux opiné que dans le cas des contrats de service, il peut y avoir deux clients en cause lorsque le bénéficiaire de services est une personne autre que le payeur. L'observation suivante de Cimon, à la page 804, est particulièrement pertinente:

23. De fait, le «client» peut donc être deux personnes distinctes, soit celle qui bénéficie du service et celle qui le commande et s'oblige à en payer le prix.

24. La définition de «client» doit être interprétée de façon libérale et cette notion recouvre ces deux réalités. Elle peut donc regrouper plusieurs personnes distinctes agissant en des qualités différentes et dont les droits et obligations doivent être évalués en conséquence.

[117]Le critère consiste donc à se demander, en examinant l'ensemble de la relation entre les parties, s'il y a contrôle d'un côté et subordination de l'autre. Je dirai, avec le plus grand respect, que les tribunaux , dans leur propension à créer des catégories juridiques artificielles, ont parfois tendance à ne pas tenir compte du facteur même qui est l'essence d'une relation contractuelle, à savoir l'intention des parties. L'article 1425 du Code civil du Québec établit le principe selon lequel «on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés». L'article 1426 du Code civil du Québec poursuit en disant:«[o]n tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages».

[118]Nous sommes en présence ici d'un type de travailleur qui a choisi d'offrir ses services à titre d'entrepreneur indépendant et non pas d'employé et d'un type d'entreprise qui choisit des entrepreneurs indépendants au lieu de prendre des employés. Le travailleur sacrifie délibérément sa sécurité d'emploi en échange de la liberté ([traduction] «le salaire était beaucoup plus élevé, il n'y avait pas de sécurité d'emploi, pas d'avantages sociaux comme ceux que touche l'employé, par exemple l'assurance-maladie, la retraite, des choses de ce genre», témoignage de M. Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 24). La société qui embauchait utilise délibérément des entrepreneurs indépendants pour effectuer un certain travail à un certain moment ([traduction] «Le salaire est plus élevé avec une sécurité d'emploi moindre, parce que les consultants sont engagés pour combler les besoins lorsque l'emploi local ou la charge de travail sont anormalement élevés, ou quand l'entreprise ne veut pas engager d'autres employés et les mettre à pied ensuite. Ils engageront des consultants parce qu'ils peuvent mettre fin à leur contrat en tout temps sans avoir de responsabilités à leur égard» ibid., page 26). La société qui embauche ne traite pas ses consultants, dans son exploitation quotidienne, de la même manière qu'elle traite ses employés (voir paragraphe 68 des motifs de Mme le juge Desjardins). Toute la relation de travail commence et se maintient selon le principe voulant qu'il n'y a pas de contrôle ou de subordination.

[119]Les contribuables peuvent organiser leurs affaires de la façon légale qu'ils désirent. Personne n'a laissé entendre que M. Wolf, Canadair ou Kirk-Mayer ne sont pas ce qu'ils disent être ou qu'ils ont arrangé leurs affaires de façon à tromper les autorités fiscales ou qui que ce soit. Lorsqu'un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu'il est exécuté comme tel, l'intention commune des parties est claire et l'examen devrait s'arrêter là. Si ce n'était pas suffisant, il suffit d'ajouter qu'en l'espèce, les circonstances dans lesquelles le contrat a été formé, l'interprétation que lui ont donnée les parties et l'usage dans l'industrie aérospatiale conduisent tous à conclure que M. Wolf n'est pas dans une position de subordination et que Canadair n'est pas dans une position de contrôle. La «question centrale» a été définie par le juge Major dans l'affaire Sagaz comme étant: «si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte». Il est clair, à mon avis, que M. Wolf a exécuté des services professionnels à titre de personne qui travaillait pour son propre compte.

[120]De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l'embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n'est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l'on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d'emploi, le peu d'égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité.

[121]En fin de compte, j'ai conclu que le revenu perçu par M. Wolf était un revenu reçu à titre de fournisseur de services personnels indépendants au sens de l'article XIV de la Convention. Je disposerais de l'appel de la même façon que Mme le juge Desjardins.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[122]Le juge Noël, J.C.A.(souscrivant au résultat seulement): J'accueillerais aussi l'appel. À mon avis, il s'agit d'un cas où la qualification que les parties ont donnée à leur relation devrait se voir accorder un grand poids. Je reconnais que la façon dont les parties décident de décrire leur relation n'est pas habituellement déterminante, en particulier lorsque les critères juridiques applicables pointent dans l'autre direction. Mais, dans une issue serrée comme en l'espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l'intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

[123]Mon évaluation des critères juridiques applicables aux faits de l'espèce est essentiellement la même que celle de mes collègues. J'estime que leur évaluation du critère de contrôle, du critère d'intégration et de la propriété des outils n'est pas concluante, ni dans un sens ni dans l'autre. En ce qui concerne le risque financier, je conviens avec mes collègues que l'appelant, en contrepartie d'un salaire plus élevé, avait renoncé à bon nombre des prestations qui étaient hatibuellement dévolues à l'employé, y compris la sécurité d'emploi. Toutefois, je conviens avec la juge de la Cour de l'impôt que l'appelant était payé pour ses heures travaillées, quels que soient les résultats atteints, et qu'en ce sens, il ne supportait pas plus de risques qu'un employé ordinaire. Mon évaluation de l'ensemble de la relation entre les parties ne n'amène pas à une conclusion claire et c'est pourquoi, selon moi, il faut examiner la façon dont les parties voyaient leur relation.

[124]Ce n'est pas un cas où les parties qualifiaient leur relation d'une façon telle que cela leur procure un avantage fiscal. Aucune manoeuvre frauduleuse ou aucun maquillage de quelque sorte n'est allégué. Il s'ensuit que la manière dont les parties ont pu voir leur entente doit l'emporter à moins qu'elles ne se soient trompées sur la véritable nature de leur relation. À cet égard, la preuve, lorsqu'elle est évaluée à la lumière des critères juridiques pertinents, est pour le moins neutre. Comme les parties ont estimé qu'elles se trouvaient dans une relation d'entrepreneur indépendant et qu'elles ont agi d'une façon conforme à cette relation, je n'estime pas que la juge de la Cour de l'impôt avait le loisir de ne pas tenir compte de cette entente (à comparer avec l'affaire Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.), à la page 170).

[125]J'accueillerais l'appel avec dépens.

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