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[1994] 1 C.F. 742

A-457-93

Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada Inc. (appelantes) (intimées)

c.

Apotex Inc. (intimée) (requérante)

et

Procureur général du Canada et Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (intimés) (intimés)

Répertorié : Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Mahoney, Robertson et McDonald, J.C.A.—Ottawa, 31 août, 1er septembre et 22 octobre 1993.

Aliments et drogues — Appel et appel incident formés contre la décision par laquelle la Section de première instance a accordé un mandamus et a refusé une ordonnance de prohibition relativement à l’avis de conformité (ADC) d’un produit pharmaceutique générique — En vertu de la Loi sur les aliments et drogues, les « drogues nouvelles » doivent être conformes aux normes de santé et d’innocuité — Un ADC est délivré si la drogue est jugée efficace et sans danger — Les normes scientifiques d’innocuité et d’efficacité ont été respectées — Apotex a un droit acquis à l’ADC même si le ministre n’avait pas pris une décision avant l’adoption de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets (projet de loi C-91) — Le pouvoir discrétionnaire du ministre a une portée limitée — Les mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur ne sont pas une considération pertinente.

Brevets — Le projet de loi C-91 avait pour but de protéger les droits des sociétés pharmaceutiques innovatrices de distribuer et de vendre des médicaments brevetés — Le Règlement sur les médicaments brevetés interdit la délivrance d’un ADC pour les drogues liées à des brevets — Les ADC, liés à des droits découlant d’un brevet, ne dépendent pas mutuellement les uns des autres Le mandamus n’est pas destiné à faciliter la contrefaçon de brevets — Le Règlement ne touche pas en soi la procédure — Le projet de loi C-91 et les art. 5(1) et (2) du Règlement ne dépouillent pas les fabricants de produits génériques de leur droit acquis à un ADC.

Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative Mandamus — Un fabricant de produits pharmaceutiques génériques sollicite un mandamus enjoignant au ministre de lui délivrer un avis de conformité — Jurisprudence portant sur les conditions de délivrance des mandamus Il y a lieu à mandamus lorsque l’obligation d’agir n’existe pas au moment où la demande est présentée — Le délai requis pour obtenir des avis juridiques ne constitue pas une fin de non-recevoir à une demande de mandamus — La Cour a le pouvoir discrétionnaire d’invoquer le critère de la balance des inconvénients pour refuser un mandamu — Critères de l’exercice du pouvoir discrétionnaire — Juridiquement parlant, il n’y a pas lieu en l’espèce de refuser un mandamus en raison de la balance des inconvénients.

Compétence de la Cour fédérale — Section d’appel — La disposition attributive de prépondérance figurant dans le projet de loi C-91 (Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets) ne supprime pas la compétence conférée par l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale L’art. 55.2(5) de la Loi sur les brevets n’est pas une clause privative protégeant le ministre et les dispositions législatives contre un contrôle judiciaire.

Il s’agit d’un appel et d’un appel incident formés contre la décision par laquelle le juge Dubé a accueilli une demande de mandamus sollicitant la délivrance d’un avis de conformité (ADC) à Apotex relativement à son produit générique énalapril, et a rejeté la demande d’ordonnance de prohibition présentée par les appelantes. La Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets (projet de loi C-91), qui a reçu la sanction royale le 4 février 1993, avait pour objet de protéger les droits des sociétés pharmaceutiques innovatrices de distribuer et de vendre des médicaments brevetés. Le projet de loi C-91 est entré en vigueur le 15 février 1993, à l’exception du nouvel article 55.2 de la Loi sur les brevets qui n’est entré en vigueur que le 12 mars 1993 en même temps que le Règlement sur les médicaments brevetés. En vertu de la Loi sur les aliments et drogues (LAD), le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social doit s’assurer que les drogues nouvelles sont conformes aux normes de santé et d’innocuité. Le fabricant d’une drogue nouvelle doit déposer une présentation de drogue nouvelle (PDN) indiquant les propriétés curatives et les ingrédients de la drogue ainsi que les méthodes de fabrication et de purification. Après avoir déposé une PDN relativement à son produit générique Apo-Enalapril, l’intimée Apotex a sollicité une ordonnance de mandamus afin d’obliger le ministre à lui délivrer un avis de conformité pour ce produit. Sa PDN était incomplète lorsqu’Apotex a déposé sa demande de mandamus; néanmoins, le 3 février 1993, la drogue nouvelle répondait à toutes les normes scientifiques d’innocuité et d’efficacité requises pour qu’un ADC soit délivré. Même si la PDN avait passé le processus d’examen scientifique et réglementaire, le SMA et le SM du Ministère ont décidé de demander des avis juridiques au sujet du pouvoir du ministre ou de son sous-ministre de délivrer l’ADC en raison de l’adoption imminente du projet de loi C-91. L’appelante Merck a également fait parvenir au ministre divers avis juridiques et elle a ensuite demandé une ordonnance de prohibition afin d’empêcher le ministre de délivrer l’avis de conformité. Le juge de première instance a statué que le ministre ne possédait pas le large pouvoir discrétionnaire qui aurait justifié son refus de délivrer l’ADC et que le retard à le faire n’était pas justifié. Il a également rejeté l’argument suivant lequel l’octroi d’un mandamus lorsqu’un nouveau régime réglementaire est sur le point d’être institué irait « à l’encontre de la volonté du Parlement ». Le présent appel a soulevé diverses questions : 1) les principes applicables au mandamus et le caractère prématuré d’une demande; 2) Apotex avait-elle un droit acquis à l’ADC le 12 mars 1993; 3) la balance des inconvénients; 4) Apotex a-t-elle été dépouillée de son droit acquis à l’ADC par le projet de loi C-91 et par le Règlement sur les médicaments brevetés et 5) la compétence de la Cour. En appel incident, le ministre a allégué que le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que le retard à délivrer l’ADC n’était pas justifié.

Arrêt : l’appel et l’appel incident doivent être rejetés.

1) Plusieurs conditions fondamentales doivent être respectées avant qu’un mandamus ne puisse être accordé. Premièrement, il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public envers le requérant. Habituellement, un mandamus ne peut être accordé relativement à une obligation envers la Couronne. Le ministre avait une obligation d’agir envers Apotex. Merck avait partiellement raison lorsqu’elle a prétendu que le ministre n’avait aucune obligation envers Apotex au moment où celle-ci a présenté sa demande de contrôle judiciaire le 22 décembre 1992 ou à la date de l’audience. Il n’y a pas lieu à une ordonnance de mandamus pour forcer un fonctionnaire à agir d’une manière donnée si ce dernier n’est pas tenu d’agir à la date de l’audience, mais cette règle n’était pas valide lorsqu’on l’appliquait à la date à laquelle la demande de mandamus a été présentée. Bien qu’une personne intimée puisse chercher à obtenir le rejet d’une demande lorsque l’obligation d’agir n’est pas encore née, en l’absence de raisons sérieuses, le fait qu’une demande de mandamus ait été présentée trop tôt ne devrait pas la faire échouer. La demande devrait être appréciée quant au fond pourvu que les conditions préalables à l’exercice de l’obligation aient été satisfaites au moment de l’audience.

2) Si un décideur possède un pouvoir discrétionnaire absolu qu’il n’a pas exercé à la date à laquelle une nouvelle loi entre en vigueur, le requérant ne peut alors revendiquer avec succès un droit acquis ni même le droit à une décision. Il faut faire une distinction entre un « droit acquis » et un « simple espoir » ou une « simple attente ». La portée du pouvoir discrétionnaire d’un décideur varie selon que l’on qualifie diverses considérations de « pertinentes » ou de « non pertinentes » à son exercice. Le Règlement sur les aliments et drogues limite les facteurs que le ministre doit examiner dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à ceux qui concernent l’innocuité et l’efficacité d’une drogue. Il ne vise pas à accorder expressément ou implicitement au ministre un pouvoir discrétionnaire aussi large que Merck le soutient. On ne peut affirmer que le temps nécessaire pour qu’un décideur puisse solliciter et obtenir des avis juridiques dans le cadre d’un processus décisionnel est en soi un motif de refuser un mandamus. Cette obligation volontaire ne peut en soi priver Apotex de son droit à un mandamus. Si aucune nouvelle disposition législative n’avait été adoptée, la question des « avis juridiques » ne se serait pas posée. L’avis juridique demandé en l’espèce n’avait aucune incidence sur l’exercice du pouvoir étroitement défini du ministre. De plus, refuser un mandamus en raison de considérations juridiques créées par une partie ayant des intérêts opposés (Merck) équivaudrait à fermer les yeux sur ce qui pourrait être considéré comme une tactique destinée à embrouiller et à retarder le processus décisionnel. Les mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur n’étaient pas une considération pertinente quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. On ne pouvait pas affirmer que, en exerçant le pouvoir que lui confère le Règlement sur les aliments et drogues, le ministre avait le droit de tenir compte des dispositions du projet de loi C-91 après leur adoption mais avant qu’elles n’aient été proclamées en vigueur. Apotex avait un droit acquis à l’ADC même si le ministre n’avait pas pris une décision le 12 mars 1993.

3) La jurisprudence portant sur les mandamus indique diverses techniques grâce auxquelles les tribunaux pondèrent des intérêts opposés. Toute tentative de s’engager dans la pondération des intérêts doit s’effectuer dans un respect rigoureux des règles de droit. Compte tenu de la jurisprudence pertinente, il fallait conclure que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de refuser un mandamus en se fondant sur la balance des inconvénients. La jurisprudence indique trois catégories de cas où le critère de la balance des inconvénients a été implicitement reconnu. Il s’agit tout d’abord des cas où le chaos ou les coûts administratifs qui résulteraient de l’octroi d’une telle ordonnance sont évidents et inacceptables. Le deuxième motif de refuser un mandamus semble exister dans les cas où l’on considère que les risques possibles pour la santé et la sécurité publiques sont plus importants que le droit d’un individu de poursuivre ses intérêts personnels ou économiques. En l’espèce, il n’était nullement question de chaos administratif ou de la sécurité et de la santé publiques. La troisième tendance jurisprudentielle tente simplement d’établir un principe permettant de déterminer si un propriétaire foncier a acquis un droit à un permis de construire en attendant l’approbation d’un règlement modificateur. Ce principe n’est pas pertinent pour l’espèce ni pour la question du pouvoir discrétionnaire de la Cour de refuser un mandamus en se fondant sur la balance des inconvénients. Il n’y avait juridiquement parlant aucune raison d’appliquer le critère de la « balance des inconvénients » pour refuser à Apotex l’ordonnance qu’elle sollicitait.

4) Le Règlement sur les médicaments brevetés interdit la délivrance d’un ADC pour les drogues « liées à des brevets ». Ses paragraphes 5(1) et (2) concernent les PDN déposées avant le 12 mars 1993. Bien que les ADC et les droits découlant d’un brevet soient liés, ils n’ont jamais dépendu mutuellement les uns des autres. En fait, Merck tente d’obtenir une injonction interlocutoire contre Apotex relativement à la contrefaçon possible d’un brevet sans avoir à remplir les conditions légales préalables pour l’octroi d’une telle réparation. On ne peut pas considérer qu’une ordonnance de mandamus est un moyen qui « facilite » la contrefaçon du brevet. Le Règlement sur les médicaments brevetés ne touche pas en soi la procédure. La fixation d’un critère voulant qu’un ADC ne puisse être délivré relativement à une PDN liée à un brevet constitue manifestement un changement de fond dans la loi et elle est donc assujettie aux règles d’interprétation législative applicables aux lois visant à modifier des droits acquis. Les paragraphes 5(1) et (2) n’ont manifestement pas pour objet de dépouiller des personnes de leurs droits acquis; ils sont au mieux ambigus. Même si le Parlement a le pouvoir d’adopter une loi rétroactive, dépouillant ainsi des personnes d’un droit acquis, le Règlement sur les médicaments brevetés ne pouvait retirer des droits acquis à moins que les dispositions législatives habilitantes, c’est-à-dire la Loi sur les brevets ou le projet de loi C-91, n’autorisent implicitement ou explicitement de tels empiétements. Le projet de loi C-91 ne renferme aucune disposition permettant expressément que des règlements portent atteinte à des droits acquis ou existants, sauf en ce qui concerne les licences obligatoires accordées après le 20 décembre 1991.

5) La disposition attributive de prépondérance figurant dans le projet de loi C-91 n’a pas supprimé la compétence de la Cour. On ne pouvait pas affirmer que le paragraphe 55.2(5) de la Loi sur les brevets prévalait sur l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, et ce paragraphe ne pouvait pas être interprété comme une clause privative protégeant le ministre et les dispositions législatives pertinentes contre un contrôle judiciaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Clean Water Act, R.S.A. 1980, ch. C-13, art. 3.

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34.

Loi de 1977 modifiant le droit pénal, S.C. 1976-77, ch. 53.

Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, art. 3, 4, 12(1).

Loi des brevets, S.C. 1923, ch. 23, art. 17.

Loi des mesures de guerre, 1914, S.C. 1914 (2e sess.), ch. 2.

Loi d’interprétation, S.R.C. 1952, ch. 158.

Loi d’interprétation, S.C. 1967-68, ch. 7, art. 36c), 37c).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 44c).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27.

Loi sur les brevets, S.R.C. 1952, ch. 203, art. 41(3) (mod. par S.C. 1968-69, ch. 49, art. 1).

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 39(4),(14), 55.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4).

Ordonnances et règlements concernant les brevets d’invention faits en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, 1914, (1914), 48 La Gazette du Canada 1156.

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.002 (mod. par DORS/85-143, art. 1), C.08.004 (mod. idem, art. 3, DORS/88-257, art. 1).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 5, 6, 7(1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Merck & Co. Inc. v. Sherman & Ulster Ltd., Attorney-General of Canada, Intervenant (1971), 65 C.P.R. 1 (C. de l’É.); pourvoi à la C.S.C. rejeté [1972] R.C.S. vi; Director of Public Works v. Ho Po Sang, [1961] A.C. 901 (C.P.); P.G. de la Colombie-Britannique et autre c. Parklane Private Hospital Ltd., [1975] 2 R.C.S. 47; (1974), 47 D.L.R. (3d) 57; [1974] 6 W.W.R. 72; 2 N.R. 305.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Ottawa, City of v. Boyd Builders Ltd., [1965] R.C.S. 408; (1965), 50 D.L.R. (2d) 704; Engineers’ and Managers’ Association v. Advisory, Conciliation and Arbitration Service, [1980] 1 W.L.R. 302 (H.L.); Wimpey Western Ltd. and W-W-W Developments Ltd. v. Director of Standards and Approvals of the Department of the Environment, Minister of the Environment and Province of Alberta (1983), 49 A.R. 360; 3 Admin. L.R. 247; 23 Alta. L.R. (2d) 193 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Pfizer Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et autre (1986), 12 C.P.R. (3d) 438 (C.A.F);

autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée (1987), 14 C.P.R. (3d) 447; 76 N.R. 397; Glaxo Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1988] 1 C.F. 422; (1987), 43 D.L.R. (4th) 273; 16 C.I.P.R. 55; 18 C.P.R. (3d) 206; 16 F.T.R. 81; motifs supplémentaires (1988), 19 C.I.P.R. 120; 19 C.P.R. (3d) 374 (1re inst.); confirmée par (1990), 68 D.L.R. (4th) 761; 31 C.P.R. (3d) 29; 107 N.R. 195 (C.A.F.); O’Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F. 719; (1982), 138 D.L.R. (3d) 167; 42 N.R. 608 (C.A.); Karavos v. Toronto & Gillies, [1948] 3 D.L.R. 294; [1948] O.W.N. 17 (C.A. Ont.); Distribution Canada Inc. c. M.R.N., [1991] 1 C.F. 716; (1990), 46 Admin. L.R. 34; 39 F.T.R. 127 (1re inst.); confirmée par [1993] 2 C.F. 26 (C.A.); Reg. v. Anderson; Ex parte Ipec-Air Pty. Ltd. (1965), 113 C.L.R. 177 (H.C. Aust.); Martinoff c. Gossen, [1979] 1 C.F. 327 (1re inst.); Lemyre c. Trudel, [1978] 2 C.F. 453; (1978), 41 C.C.C. (2d) 373 (1re inst.); confirmée par [1979] 2 C.F. 362; (1979), 49 C.C.C. (2d) 188 (C.A.); Abell v. Commissioner of Royal Canadian Mounted Police (1979), 49 C.C.C. (2d) 193; 3 Sask. R. 181 (C.A.); Re Central Canada Potash Co. Ltd. et al. and Minister of Mineral Resources for Saskatchewan (1972), 30 D.L.R. (3d) 480; [1972] 6 W.W.R. 62 (B.R. Sask.); confirmée par (1973), 32 D.L.R. (3d) 107; [1973] 1 W.W.R. 193 (C.A. Sask.); pourvoi à la C.S.C. rejeté (1973), 38 D.L.R. (3d) 317; [1973] 2 W.W.R. 672; Fitzgerald v. Muldoon, [1976] 2 N.Z.L.R. 615 (C.S.).

DÉCISIONS CITÉES :

Apotex Inc. c. Procureur général du Canada et autre (1986), 11 C.P.R. (3d) 43; 10 F.T.R. 271 (C.F. 1re inst.); demande de réexamen rejetée (1986), 11 C.P.R. (3d) 62 (C.F. 1re inst.); confirmée par (1986), 12 C.P.R. (3d) 95; 77 N.R. 71 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée (1987), 14 C.P.R. (3d) 447; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) et autre (1993), 59 F.T.R. 85 (C.F. 1re inst.); C.E. Jamieson & Co. (Dominion) c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F. 590; (1987), 46 D.L.R. (4th) 582; 37 C.C.C. (3d) 193; 12 F.T.R. 167 (1re inst.); Mensinger c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] 1 C.F. 59; (1986), 24 C.R.R. 260; 5 F.T.R. 64 (1re inst.); Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Hudnik, [1980] 1 C.F. 180; (1979), 103 D.L.R. (3d) 308 (C.A.); Jefford c. Canada, [1988] 2 C.F. 189; (1988), 47 D.L.R. (4th) 321; 28 C.L.R. 266 (C.A.); Winegarden c. Commission de la fonction publique et Canada (Ministre des Transports) (1986), 5 F.T.R. 317 (C.F. 1re inst.); Rossi c. La Reine, [1974] 1 C.F. 531; (1974), 17 C.C.C. (2d) 1 (1re inst.); Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1989] 3 C.F. 309; [1989] 4 W.W.R. 526; (1989), 37 Admin. L.R. 39; 3 C.E.L.R. (N.S.) 287; 26 F.T.R. 245 (1re inst.); confirmée par [1990] 2 W.W.R. 69; (1989), 38 Admin. L.R. 138; 4 C.E.L.R. (N.S.) 1; 99 N.R. 245 (C.A.F.); Bedard c. Service correctionnel du Canada, [1984] 1 C.F. 193 (1re inst.); Carota c. Jamieson, [1979] 1 C.F. 735 (1re inst.); confirmée par [1980] 1 C.F. 790 (C.A.); Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 232 (C.A.); La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c. Le ministre du Revenu national (No 1), [1976] 2 C.F. 500; (1976), 67 D.L.R. (3d) 505; [1976] C.T.C. 339; 10 N.R. 153 (C.A.); Secunda Marine Services Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services) (1989), 38 Admin. L.R. 287; 27 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Szoboszloi c. Directeur général des élections du Canada, [1972] C.F. 1020 (1re inst.); Hutchins c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1993] 3 C.F. 505 (C.A.); Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; (1974), 43 D.L.R. (3d) 1; 1 N.R. 225; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; (1975), 12 N.S.R. (2d) 85; 55 D.L.R. (3d) 632; 32 C.R.N.S. 376; 5 N.R. 43; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask.R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321; [1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin. L.R. 197; 17 C.P.C. (2d) 289; 71 N.R. 338; Bhatnager c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 315 (1re inst.); Commission sur les pratiques restrictives du commerce c. Directeur des enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, [1983] 2 C.F. 222; (1983), 145 D.L.R. (3d) 540; 70 C.P.R. (2d) 145; 48 N.R. 305 (C.A.); infirmant [1983] 1 C.F. 520; (1982), 142 D.L.R. (3d) 333; 67 C.P.R. (2d) 172 (1re inst.); Maple Lodge Farms Ltd. c. Le gouvernement du Canada, [1980] 2 C.F. 458 (1re inst.); confirmée par Maple Lodge Farms Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 500; (1980), 114 D.L.R. (3d) 634; 42 N.R. 312 (C.A.); confirmée par Maple Lodge Farms Ltd. c. Le gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Kahlon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 3 C.F. 386; (1986), 30 D.L.R. (4th) 157; 26 C.R.R. 152 (C.A.); Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561; (1979), 96 D.L.R. (3d) 14; [1979] 3 W.W.R. 676; 26 N.R. 364; Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1987] 1 C.F. 406; (1987), 35 D.L.R. (4th) 693; 27 Admin. L.R. 79; 73 N.R. 241 (C.A.); appel rejeté [1989] 2 R.C.S. 49; (1989), 61 D.L.R. (4th) 604; 97 N.R. 241; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18; (1990), 68 D.L.R. (4th) 375; [1991] 1 W.W.R. 352; 76 Alta. L.R. (2d) 289; 5 C.E.L.R. (N.S.) 1; 108 N.R. 241 (C.A.); confirmée par [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; Landreville c. La Reine, [1973] C.F. 1223; (1973), 41 D.L.R. (3d) 574 (1re inst.); Beauchemin c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (1987), 15 F.T.R. 83 (C.F. 1re inst.); Penner c. La Commission de délimitation des circonscriptions électorales (Ont.), [1976] 2 C.F. 614 (1re inst.); Haines v. Attorney General of Canada (1979), 32 N.S.R. (2d) 271; 54 A.P.R. 271; 47 C.C.C. (2d) 548 (C.A.); Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 3 C.F. 316 (C.A.); Toronto Corporation v. Roman Catholic Separate Schools Trustees, [1926] A.C. 81 (C.P.); Re Hall and City of Toronto et al. (1979), 23 O.R. (2d) 86; 94 D.L.R. (3d) 750; 8 M.P.L.R. 155; 10 R.P.R. 129 (C.A.); Howard Smith Paper Mills Ltd. et al. v. The Queen, [1957] R.C.S. 403; (1957), 8 D.L.R. (2d) 449; 118 C.C.C. 321; 29 C.P.R. 6; 26 C.R. 1; Gardner v. Lucas (1878), 3 App. Cas. 582 (H.L.); De Roussy v. Nesbitt (1920), 53 D.L.R. 514 (C.A. Alb.); Angus c. Sun Alliance compagnie d’assurance, [1988] 2 R.C.S. 256; (1988), 65 O.R. (2d) 638; 52 D.L.R. (4th) 193; 34 C.C.L.T. 237; 47 C.C.L.T. 39; [1988] I.L.R. 1-2370; 9 M.V.R. (2d) 245; 87 N.R. 200; 30 O.A.C. 210; Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; (1975), 66 D.L.R. (3d) 449; [1976] C.T.C. 1; 75 D.T.C. 5451; 7 N.R. 401; Procureur général du Québec c. Tribunal de l’expropriation et autres, [1986] 1 R.C.S. 732; (1986), 66 N.R. 380; Venne c. Québec (Commission de protection du territoire agricole), [1989] 1 R.C.S. 880; (1989), 95 N.R. 335; 24 Q.A.C. 162; 4 R.P.R. (2d) 1; Lorac Transport Ltd. c. Atra (Le), [1987] 1 C.F. 108; (1986), 28 D.L.R. (4th) 309; 69 N.R. 183; Northern & Central Gas Corp. c. L’Office national de l’énergie, [1971] C.F. 149; (1971), 26 D.L.R. (3d) 174; [1971] 4 W.W.R. 413 (1re inst.); Le ministre du Revenu national c. Gustavson Drilling (1964) Ltd., [1972] C.F. 92; [1972] C.T.C. 83; (1972), 72 D.T.C. 6068 (1re inst.); Zong c. Le commissaire des pénitenciers, [1976] 1 C.F. 657; (1975), 29 C.C.C. (2d) 114; 10 N.R. 1 (C.A.).

DOCTRINE

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd., Mont- réal : Yvon Blais, 1990.

de Smith, S.A. Judicial Review of Administrative Action, 4th ed., J.M. Evans. London : Stevens & Sons Ltd., 1980.

Evans, J. M. et al., Administrative Law : Cases, Text, and Materials, 3rd ed. Toronto : Emond Montgomery, 1989.

Halsbury’s Laws of England, Vol. 1(1), 4th ed., reissue, London : Butterworths, 1989.

Macdonald, R. A. et M. Paskell-Mede, « Annual Survey of Canadian Law : Administrative Law » (1981), 13 Ottawa L. Rev. 671.

Makuch, Stanley M. Canadian Municipal and Planning Law, Toronto : Carswell, 1983.

Mercer, Peter P. Annot. (1983), 3 Admin. L.R. 248.

Wade, Sir William. Administrative Law, 6th ed., Oxford : Clarendon Press, 1988.

APPEL et APPEL INCIDENT formés contre une décision de la Section de première instance ((1993), 49 C.P.R. (3d) 161; 66 F.T.R. 36 (C.F. 1re inst.)) qui a accueilli la demande de mandamus visant à obliger le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social à délivrer un avis de conformité relativement à une drogue générique, et qui a rejeté la demande de prohibition présentée par les appelantes. Appel et appel incident du ministre rejetés.

AVOCATS :

W. Ian C. Binnie, c.r., et William H. Richardson pour les appelantes (intimées).

Harry B. Radomski et Richard Naiberg pour l’intimée (requérante) Apotex Inc.

H. Lorne Murphy, c.r., et Steve J. Tenai pour les intimés (intimés) le procureur général du Canada et le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

PROCUREURS :

McCarthy Tétrault, Toronto, pour les appelantes (intimées).

Goodman & Goodman, Toronto, pour l’intimée (requérante) Apotex Inc.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés (intimés) le procureur général du Canada et le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : L’intimée, Apotex Inc. (« Apotex »), fabrique et distribue des drogues « génériques ». Cela signifie qu’elle fabrique et distribue des drogues qui ont été conçues, élaborées et lancées sur le marché par des sociétés « innovatrices ». Apotex a demandé une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (« le ministre ») de lui délivrer un avis de conformité (« ADC ») pour l’Apo-Enalapril, son produit générique de l’énalapril. Munie d’un ADC, Apotex aurait pu commercialiser l’Apo-Enalapril pour concurrencer directement le produit « VASOTEC », marque de commerce sous laquelle les appelantes, Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada Inc. (« Merck »), fabriquent et vendent l’énalapril.

Merck, société pharmaceutique « innovatrice », est la principale compagnie pharmaceutique au Canada en terme de chiffre d’affaires. Sa drogue, VASOTEC, est utilisée pour le traitement de l’insuffisance cardiaque globale ainsi que de l’hypertension; elle est le produit pharmaceutique le plus vendu au Canada; en effet, ses ventes représentent environ 140 millions sur les 400 millions de revenus annuels de Merck. Il n’est donc pas étonnant que Merck ait sollicité une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un ADC à Apotex. Les demandes de mandamus et d’ordonnance de prohibition ont été regroupées par suite d’une ordonnance de la Cour et entendues en même temps. Apotex a obtenu gain de cause et c’est pourquoi l’affaire nous a été soumise pour examen.

Ce n’est pas la première fois que les intérêts économiques opposés de sociétés pharmaceutiques canadiennes de produits génériques et innovateurs se heurtent : voir, par exemple, Pfizer Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et autre (1986), 12 C.P.R. (3d) 438 (C.A.F.); autorisation de pourvoi devant la Cour suprême refusée (1987), 14 C.P.R. (3d) 447; Glaxo Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1988] 1 C.F. 422 (1re inst.); motifs supplémentaires à (1988), 19 C.I.P.R. (120 (C.F. 1re inst.); décision confirmée par (1990), 68 D.L.R. (4th) 761 (C.A.F.); et Apotex Inc. c. Procureur général du Canada et autre (1986), 11 C.P.R. (3d) 43 (C.F. 1re inst.); demande de réexamen rejetée (1986), 11 C.P.R. (3d) 62; confirmée par (1986), 12 C.P.R. (3d) 95 (C.A.F.); autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée (1987), 14 C.P.R. (3d) 447.

Cependant, le présent appel est davantage qu’un simple affrontement en matière de droit privé au sujet des intérêts économiques et médicaux des Canadiens. Le Parlement semblait avoir réglé au moins l’un des éléments de cette question lorsqu’il a adopté la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, modifiant la [Loi sur les brevets] L.R.C. (1985), ch. P-4 (« projet de loi C-91 »), afin d’empêcher les sociétés pharmaceutiques de produits génériques, comme Apotex, de s’approprier les résultats de la recherche et des découvertes de sociétés innovatrices, comme Merck. La principale question que nous devons examiner en l’espèce est l’effet du projet de loi C-91 sur ce qui est, selon Apotex, un droit acquis à l’ADC. L’adoption du projet de loi C-91 entre la date du dépôt par Apotex de sa demande de mandamus et celle à laquelle elle a été entendue ainsi que l’omission du ministre de délivrer un ADC pour l’Apo-Enalapril ont constitué les catalyseurs d’ordre juridique qui ont amené Apotex et Merck à s’affronter dans les salles d’audiences des sections de première instance et d’appel de la Cour.

En plus d’examiner les conditions habituelles de délivrance d’un mandamus, la Cour doit déterminer si le ministre pouvait refuser l’ADC en se fondant sur les dispositions du projet de loi C-91 qui n’avaient pas encore fait l’objet d’une proclamation. Subsidiairement, il lui faut déterminer si le retard occasionné par la nécessité d’obtenir un avis juridique sur la légalité de délivrer l’ADC a empêché Apotex d’acquérir un droit à l’ADC. Maintenant que le projet de loi C-91 est devenu loi, Merck soutient qu’Apotex doit respecter ses dispositions qui, si elles sont applicables, lui refusent clairement ce qu’elle demande. Merck soutient en outre que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de refuser un mandamus lorsque celui-ci aurait pour effet d’aller « à l’encontre de la volonté du Parlement ». Par cet argument, elle invite la Cour à tenir compte de ce qu’on a appelé le critère de la « balance des inconvénients » pour apprécier la demande de mandamus présentée par Apotex. Ces questions, parmi les autres qui ont été soulevées, ne peuvent être examinées qu’en fonction du cadre législatif existant à l’époque où Apotex a présenté sa demande d’ADC et en fonction du cadre législatif actuel.

LE CADRE LÉGISLATIF

Le présent appel repose en partie sur la portée du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985) ch. F-27 (la « LAD »), et les règlements pris conformément à cette Loi (le Règlement sur les aliments et drogues [C.R.C., ch. 870] ou « RAD »). C’est la Direction générale de la protection de la santé du Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (la « DGPS ») qui est principalement chargée de l’application de la LAD.

Suivant la LAD, le ministre doit s’assurer que les « drogues nouvelles » sont conformes aux normes de santé et d’innocuité. L’article C.08.001 du RAD porte qu’une « drogue nouvelle » est une drogue qui renferme une substance qui n’a pas été vendue au Canada pendant assez longtemps et en quantité suffisante pour établir son innocuité et son efficacité.

Une « drogue nouvelle » doit subir des épreuves rigoureuses avant de pouvoir être vendue. Le fabricant de la drogue doit remettre à la DGPS une présentation de drogue nouvelle (« PDN ») indiquant notamment les propriétés curatives et les ingrédients de la drogue ainsi que les méthodes de fabrication et de purification. La PDN contient également les résultats des épreuves cliniques qui ont été effectuées par le fabricant et qui confirment l’innocuité et l’efficacité de la drogue. Des équipes multidisciplinaires de la Direction des médicaments de la DGPS examinent tous les éléments de la PDN. Un ADC ne sera délivré que si la drogue est jugée à la fois efficace et sans danger pour les humains. Les dispositions pertinentes [C.08.002 (mod. par DORS/85-143, art. 1), C.08.004 (mod., idem , art. 3, DORS/88-257, art. 1)] du RAD portent :

C.08.002. (1) Est interdite la vente et l’annonce pour la vente d’une drogue nouvelle, à moins que

a) le fabricant n’ait, relativement à cette drogue nouvelle, déposé en double auprès du Ministre une présentation de drogue nouvelle dont le contenu satisfait le Ministre;

b) le Ministre n’ait délivré, à ce fabricant de la drogue nouvelle un avis de conformité relativement à la drogue nouvelle qui fait l’objet de la présentation de drogue nouvelle, par application de l’article C.08.004;

c) l’avis de conformité ne soit pas suspendu par application de l’article C.08.006 …

C.08.004. (1) Après avoir terminé l’examen d’une présentation de drogue nouvelle ou d’un supplément à une telle présentation, le Ministre doit

a) si la présentation ou le supplément est conforme aux dispositions des articles C.08.002 ou C.08.003, suivant le cas, ou à celles de l’article C.08.005.1, délivrer un avis de conformité … [Non souligné dans le texte original.]

Avant la proclamation du projet de loi C-91, une société pharmaceutique de produits génériques pouvait obtenir du commissaire aux brevets une licence obligatoire l’autorisant à annoncer, à fabriquer et à vendre toute drogue pour laquelle un ADC avait été délivré. Même si la société était tenue de verser des redevances à la société ayant créé la drogue, elle pouvait vendre celle-ci malgré les droits de brevet conférés à la société qui l’avait élaborée. C’est le paragraphe 39(4) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la « Loi sur les brevets ») qui s’appliquait dans ce cas :

39. …

(4) Si, dans le cas d’un brevet portant sur une invention destinée à des médicaments ou à la préparation ou à la production de médicaments, ou susceptible d’être utilisée à de telles fins, une personne présente une demande pour obtenir une licence en vue de faire l’une ou plusieurs des choses suivantes comme le spécifie la demande :

a) lorsque l’invention consiste en un procédé, utiliser l’invention pour la préparation ou la production de médicaments, importer tout médicament dans la préparation ou la production duquel l’invention a été utilisée ou vendre tout médicament dans la préparation ou la production duquel l’invention a été utilisée;

b) lorsque l’invention consiste en autre chose qu’un procédé, importer, fabriquer, utiliser ou vendre l’invention pour des médicaments ou pour la préparation ou la production de médicaments,

le commissaire accorde au demandeur une licence pour faire les choses spécifiées dans la demande à l’exception de celles pour lesquelles il a, le cas échéant, de bonnes raisons de ne pas accorder une telle licence.

Le paragraphe 39(14) de la Loi sur les brevets exigeait que le commissaire aux brevets informe le Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social de toutes les demandes de licences obligatoires. Il y avait donc un « lien » entre les ADC et les droits de brevet.

Le projet de loi C-91 avait pour objet de protéger les droits des sociétés pharmaceutiques innovatrices de distribuer et de vendre des médicaments brevetés, et il constitue un changement radical de la politique gouvernementale adoptée par le Parlement en 1923 : voir la Loi des brevets, S.C. 1923, ch. 23, art. 17, mais comparer avec l’arrêté en conseil relatif aux brevets d’invention détenus par des citoyens de pays ennemis [Ordonnances et règlements concernant les brevets d’invention faits en vertu de la Loi des mesures de guerre 1914], C.P. 1914-2436, La Gazette du Canada, 10 octobre 1914, pris conformément à la Loi des mesures de guerre, 1914, S.C. 1914 (2e sess.), ch. 2. Le projet de loi C-91 a été présenté devant la Chambre des communes le 23 juin 1992 et il est passé en troisième lecture le 10 décembre 1992. Il a reçu la sanction royale le 4 février 1993[1].

Les effets immédiats du projet de loi C-91 sont bien connus. L’article 3 a abrogé les dispositions de la Loi sur les brevets relatives à l’octroi de licences obligatoires tandis que le paragraphe 12(1) a annulé toutes les licences obligatoires accordées depuis le 20 décembre 1991 :

12. (1) Toute licence accordée au titre de l’article 39 de la loi antérieure le 20 décembre 1991 ou après cesse d’être valide à l’expiration du jour précédant la date d’entrée en vigueur et les droits et privilèges acquis au titre de cette licence ou de la loi antérieure relativement à cette licence s’éteignent.

L’article 4 du projet de loi ajoute l’article 55.2 à la Loi sur les brevets. Le paragraphe 55.2(4) autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements concernant, notamment, la délivrance des ADC :

55.2

(4) Afin d’empêcher la contrefaçon de brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :

a) fixant des conditions complémentaires nécessaires à la délivrance, en vertu de lois fédérales régissant l’exploitation, la fabrication, la construction ou la vente de produits sur lesquels porte un brevet, d’avis, de certificats, de permis ou de tout autre titre à quiconque n’est pas le breveté;

b) concernant la première date, et la manière de la fixer, à laquelle un titre visé à l’alinéa a) peut être délivré à quelqu’un qui n’est pas le breveté et à laquelle elle peut prendre effet;

c) concernant le règlement des litiges entre le breveté, ou l’ancien titulaire du brevet, et le demandeur d’un titre visé à l’alinéa a), quant à la date à laquelle le titre en question peut être délivré ou prendre effet;

d) conférant des droits d’action devant tout tribunal compétent concernant les litiges visés à l’alinéa c), les conclusions qui peuvent être recherchées, la procédure devant ce tribunal et les décisions qui peuvent être rendues;

e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d’un titre visé à l’alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

Le 12 février 1993, le gouverneur en conseil a décidé que le projet de loi C-91, à l’exception de l’article 55.2, entrerait en vigueur le 15 février. Le 12 mars 1993, cet article ainsi que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le « Règlement sur les médicaments brevetés »), sont entrés en vigueur.

Le Règlement sur les médicaments brevetés interdit la délivrance d’un ADC pour les drogues « liées à des brevets ». Une drogue « liée à un brevet » est une drogue pour laquelle un ADC ainsi qu’un brevet non expiré ont été délivrés. Le brevet peut viser soit la drogue elle-même soit la façon d’utiliser la drogue pour traiter une maladie.

Les paragraphes 5(1) et (2) du Règlement sur les médicaments brevetés concernent les PDN déposées avant le 12 mars 1993 (c’est-à-dire la date à laquelle le Règlement est entré en vigueur) et ils portent ce qui suit :

5. (1) Lorsqu’une personne dépose ou, avant la date d’entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d’avis de conformité à l’égard d’une drogue et souhaite comparer cette drogue à une drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard duquel une liste de brevets a été soumise ou qu’elle souhaite faire un renvoi à la drogue citée en second lieu, elle doit indiquer sur sa demande, à l’égard de chaque brevet énuméré dans la liste :

a) soit une déclaration portant qu’elle accepte que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l’alinéa 4(2)b) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n’est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.

(2) Lorsque, après le dépôt par la seconde personne d’une demande d’avis de conformité mais avant la délivrance de cet avis, une liste de brevets est soumise ou modifiée aux termes du paragraphe 4(5) à l’égard d’un brevet, la seconde personne doit modifier la demande pour y inclure, à l’égard de ce brevet, la déclaration ou l’allégation exigée par le paragraphe (1).

Le paragraphe 7(1) du Règlement sur les médicaments brevetés interdit au ministre de délivrer un ADC aux sociétés pharmaceutiques de produits génériques qui ne se sont pas conformées à l’article 5 dudit Règlement.

L’une des principales questions en appel est de savoir si les dispositions citées plus haut s’appliquent à la PDN d’Apotex. À cet égard, Merck signale que le Parlement a expressément inséré dans la Loi sur les brevets une disposition spéciale attributive de prépondérance, le paragraphe 55.2(5), afin de renforcer explicitement l’objectif du projet de loi C-91 :

55.2

(5) Une disposition réglementaire prise sous le régime du présent article prévaut sur toute disposition législative ou réglementaire fédérale divergente. [Non souligné dans le texte original.]

LES FAITS

Deux catégories de faits sont en jeu en l’espèce. Il semble en outre qu’un certain élément—la ou les raisons précises pour lesquelles le ministre a omis de délivrer l’ADC—a échappé à l’examen des parties. Nous apprécierons l’importance de cette lacune après avoir exposé les faits admis par les parties qui ont donné lieu au présent appel.

a)         Les faits admis par les parties

Le 3 juillet 1989, le ministre a délégué au sous-ministre adjoint (« SMA ») et au directeur général de la Direction des médicaments le pouvoir de signer les ADC. Pendant toute la période pertinente pour le présent appel, Kent Foster était le SMA et la seule personne à laquelle le pouvoir de signer les ADC avait été délégué.

Apotex a déposé une PDN pour l’Apo-Enalapril le 15 février 1990[2]. Huit mois plus tard, soit le 16 octobre 1990, Merck a obtenu pour l’énalapril un brevet d’une durée de dix-sept ans, brevet qui devait expirer le 16 octobre 2007.

Le projet de loi C-91 a reçu sa troisième lecture le 10 décembre 1992. Le 22 décembre, trente-quatre mois après avoir déposé sa PDN, Apotex a présenté contre le ministre une demande de contrôle judiciaire afin d’obtenir une ordonnance de mandamus relativement à l’ADC de l’Apo-Enalapril.

Sa PDN était incomplète lorsqu’Apotex a déposé sa demande de mandamus. Le 20 juillet 1992, la DGPS a informé Apotex par écrit des lacunes de la partie de sa PDN portant sur la bio-équivalence et Apotex ne lui a fourni tous les renseignements requis que le 11 janvier 1993. Apotex a également fourni les détails supplémentaires qui lui avaient été demandés pour la partie portant sur la chimie et la fabrication. Enfin, le 2 février 1993, la DGPS a demandé des copies au propre de la monographie du produit et elles lui ont été remises le 3 février 1993. À cette date, la PDN d’Apotex satisfaisait aux exigences prescrites par le RAD relativement aux épreuves cliniques, à la chimie et à la fabrication. En d’autres termes, le 3 février 1993, l’Apo-Enalapril répondait à toutes les normes scientifiques d’innocuité et d’efficacité requises pour qu’un ADC soit délivré.

Deux événements pertinents pour le présent appel ont eu lieu le 4 février 1993 : le projet de loi C-91 a reçu la sanction royale et l’ADC pour l’Apo-Enalapril a été placé sur le bureau de M. Foster pour signature. M. Foster a reconnu que la PDN avait [traduction] « passé le processus d’examen scientifique et réglementaire » et que lui-même et le SMA de la stratégie nationale sur les produits pharmaceutiques étaient d’avis qu’un ADC devait être délivré. Toutefois, le chef de cabinet du ministre avait avisé M. Foster, le 21 janvier 1993, qu’il devrait informer le ministre de toute PDN « liée à un brevet » en raison de l’adoption imminente du projet de loi C-91. Dans une note jointe à l’ADC relatif à l’Apo-Enalapril, le SMA de la stratégie nationale sur les produits pharmaceutiques a laissé entendre que cet avis faisait partie de ceux pour lesquels le pouvoir de signature de Foster faisait effectivement l’objet d’une restriction.

Foster n’a pas vu les documents relatifs à l’ADC avant environ 18 h, le 4 février. Le lendemain, en raison de la limite qui avait été apportée à son pouvoir et informé de la demande présentée à la Cour par Apotex, il a communiqué avec son sous-ministre. Ils ont ensemble décidé de demander un avis juridique sur le pouvoir du ministre ou de Foster de délivrer un ADC pour l’Apo-Enalapril compte tenu de l’adoption du projet de loi C-91. Plus tard ce même jour, le président de Merck a téléphoné à Foster et lui a indiqué qu’il devait s’abstenir de délivrer l’ADC. Le 8 février 1993, le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social a demandé et obtenu les avis juridiques d’avocats indépendants et d’avocats du ministère de la Justice au sujet du pouvoir du ministre de délivrer l’ADC. Le contenu de ces avis n’a pas été communiqué parce qu’il s’agissait de renseignements confidentiels[3].

Entre le 12 et le 23 février 1993, Merck a fait parvenir au ministre huit avis juridiques qu’elle avait obtenus de cabinets d’avocats privés. Ces avis confirmaient la thèse de Merck qui estimait qu’il serait inapproprié et même illégal pour le ministre ou pour Foster de délivrer un ADC pour l’Apo-Enalapril. Pour arriver à comprendre cette avalanche d’avis non sollicités, Foster a demandé un autre avis juridique le 24 février 1993. Il a déclaré :

[traduction] Je craignais que, peu importe la mesure que je prenne ou non, cela n’ait pour effet d’amener le ministre à violer la loi en raison du pouvoir qui m’a été délégué. J’ignorais la réponse à cette question et je voulais savoir ce qu’il en était.

Pour dissiper les doutes du ministre et de son personnel, Merck a produit des avis juridiques supplémentaires qui, pour l’essentiel, confirmaient les avis envoyés auparavant. Entre le 12 février et le 5 mars 1993, Merck a remis au gouvernement dix-sept avis juridiques. Tous ces avis ont été soumis au juge de première instance et à la Cour. Aucun ne corrobore la thèse d’Apotex qui soutient que le ministre n’avait pas le droit de tenir compte de la politique gouvernementale qui était sur le point d’être instaurée lorsqu’il lui a refusé son ADC.

Le 22 février 1993, Merck a déposé une demande de contrôle judiciaire visant notamment à obtenir une ordonnance de prohibition interdisant au ministre de délivrer un ADC pour l’Apo-Enalapril. Le 4 mars 1993, Apotex a présenté une requête en jugement enjoignant au ministre de délivrer cet ADC. Le 9 mars 1993, le ministre a sollicité et obtenu un ajournement de la demande d’Apotex jusqu’au 16 mars 1993[4]. Le 12 mars 1993, le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et le Règlement sur les médicaments brevetés sont entrés en vigueur.

Le 18 mars 1993, les demandes de Merck et d’Apotex ont été regroupées à la suite d’une ordonnance d’un juge de première instance. Elles ont été entendues le 21 juin 1993. Le 16 juillet 1993, le juge Dubé a accueilli la demande de mandamus d’Apotex et il a rejeté la demande d’une ordonnance de prohibition présentée par Merck [Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), 49 C.P.R. (3d) 161].

b)         Les faits contestés

Dans son argumentation orale, Merck a tenté de démontrer que, après le 4 février 1993, le ministre vérifiait encore les allégations selon lesquelles l’Apo-Enalapril n’était pas sans danger. Il semble que la DGPS a conclu que ces allégations étaient dénuées de fondement et que, de toute manière, elles vont à l’encontre de la thèse du ministre à l’instruction, c’est-à-dire que l’Apo-Enalapril satisfaisait le 3 février 1993 aux normes et critères prescrits par les dispositions applicables du RAD (Apotex, précité, à la page 176).

En contre-attaque, Apotex a laissé entendre que le ministre n’avait pas examiné équitablement la PDN. Elle a soutenu que d’autres PDN de produits génériques « liés à des brevets » avaient été approuvées tandis que la délivrance de son ADC était retardée. (Je signale qu’il ressort du dossier d’appel que Merck avait accusé le ministre « d’accélérer » le traitement de la PDN d’Apotex.) Le juge de première instance a reconnu le problème, mais il ne l’a pas examiné soit parce que c’était inutile soit parce que cela n’en valait pas la peine (à la page 170). Apotex n’a pas interjeté d’appel incident sur cette question.

c)         La lacune factuelle

Seul le ministre possédait le pouvoir discrétionnaire de délivrer un ADC à Apotex une fois l’examen de la PDN terminé. Ni Foster ni lui-même n’ont signé l’ADC. Cependant, les raisons pour lesquelles le ministre n’a pas délivré l’ADC ne sont pas claires.

Merck soutient tout d’abord que rien dans la preuve n’indique que l’ADC avait été officiellement présenté au ministre pour examen, fait qui a été admis par le juge de première instance (exposé des faits et du droit des appelantes, paragraphe 42; Apotex, précité, aux pages 167 et 168). Elle cherche également à démontrer que le ministre avait le droit de tenir compte, pour délivrer l’ADC, des mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur (exposé des faits du droit des appelantes, paragraphe 67). La première allégation signifie que le ministre n’avait pas encore eu l’occasion d’examiner la demande d’Apotex. Il faut conclure de la deuxième que, non seulement le ministre a examiné la PDN, mais que sa prise en considération des dispositions législatives que le gouvernement s’apprêtait à mettre en vigueur était l’une des raisons pour lesquelles il n’a pas délivré l’ADC. Rien dans la preuve n’indique que le ministre a reçu l’avis juridique demandé le 24 février 1993 et encore moins qu’il s’y est conformé.

Malheureusement, personne n’a tenté d’obtenir du ministre la ou les véritables raisons pour lesquelles il n’a pas autorisé la délivrance de l’ADC avant le 12 mars 1993[5]. Réflexion faite, il nous reste les possibilités suivantes (il y en a d’autres) : Le ministre cherchait-il encore à obtenir l’avis juridique « définitif »? N’a-t-il pas eu l’occasion d’examiner la PDN? Ou a-t-il conclu que, d’un point de vue juridique, l’ADC ne devait pas être délivré? Comme Apotex n’a pas contesté les motifs du ministre ni soulevé la question du délai déraisonnable, il ne me reste que les arguments juridiques avancés par les parties.

LA DÉCISION PORTÉE EN APPEL

À l’instruction, le juge Dubé a considéré que la question centrale du litige était celle de savoir si le ministre avait, avant le 12 mars 1993, le pouvoir discrétionnaire de refuser de délivrer l’ADC à Apotex en raison des modifications projetées à la Loi sur les brevets. Il a conclu (à la page 177) :

À mon avis, il ne fait pas de doute que le RAD autorisait effectivement le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire dans le processus d’approbation de la PDN d’Apotex. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire, comme tout pouvoir discrétionnaire, n’était pas absolu. Le pouvoir discrétionnaire du ministre était strictement limité à l’examen de facteurs pertinents aux fins du RAD, dans la mesure où ils se rapportent au processus d’approbation de nouvelles drogues qui doivent être commercialisées au Canada. Le ministre devait se borner à déterminer si l’examen par la DGPS, en ce qui concerne la PDN d’Apotex, établissait l’innocuité et l’efficacité de l’Apo-Enalapril. Une fois que cette question avait reçu une réponse affirmative, comme en l’espèce, toute autre considération externe était dénuée de pertinence pour la délivrance d’un avis de conformité en vertu du RAD.

Le ministre n’avait pas le droit de refuser de délivrer un avis de conformité à Apotex à cause des modifications projetées à la Loi sur les brevets et au règlement d’application, domaine dans lequel son collègue, le ministre de la Consommation et des Affaires commerciales, était compétent.

Le juge s’est appuyé sur trois décisions de la Section de première instance de la Cour. Il a tout d’abord appliqué le raisonnement suivi par le juge MacKay dans l’affaire Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) et autre (1993), 59 F.T.R. 85 où il a statué (aux pages 108 et 109) :

[L]es mots « dont le contenu satisfait le ministre » qualifient les mots « présentation de drogue nouvelle » de façon que dans tous les cas, le contenu de la présentation soit une question relevant de la décision discrétionnaire du ministre et de ses représentants.

[L]e Règlement investit le ministre intimé et le directeur de la DGPS du pouvoir discrétionnaire et exclusif de fixer les conditions de la présentation de drogue nouvelle pour ce qui est des renseignements et des preuves à produire par le fabricant. [Non souligné dans le texte original.]

La deuxième décision est Glaxo Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), précitée, où le juge Rouleau a conclu (à la page 426) :

L’objet principal du Règlement est d’assurer que toute drogue nouvelle satisfait à des normes de sécurité rigoureuses visant à protéger le public canadien. Lorsqu’il conclut, au terme de son examen, que la présentation de drogue nouvelle respecte les normes édictées, le ministre a l’obligation de délivrer un avis de conformité … 

Enfin, le juge Dubé a utilisé la décision du juge Muldoon dans C.E. Jamieson & Co. (Dominion) c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F. 590 (1re inst.), à la page 651 où le juge a statué :

[L]e pouvoir d’appréciation qu’accorde ce Règlement clair et détaillé est fort limité … Aux termes de l’article C.08.004, le ministre est tenu de délivrer un avis de conformité ou de faire savoir au fabricant les raisons pour lesquelles la présentation … n’est pas conforme … Le ministre est sur ce point soumis au pouvoir de contrôle des tribunaux qui pourrait s’exprimer par une ordonnance de mandamus … Ces pouvoirs délégués n’autorisent pas le ministre ou le directeur à faire comme ils l’entendent : ils ne disposent pas de pouvoirs discrétionnaires absolus.

Le juge Dubé n’a pas eu de mal à conclure que le ministre ne possédait pas le large pouvoir discrétionnaire qui lui aurait permis de justifier son refus de délivrer l’ADC. Il restait à déterminer si le ministre et son délégué, Foster, étaient habilités à demander un avis juridique et à retarder ainsi la délivrance de l’ADC. Le juge Dubé a fait remarquer que le ministre ignorait, que ce soit lorsque le projet de loi C-91 a été adopté ou lorsqu’il a fait l’objet d’une proclamation, que le Règlement sur les médicaments brevetés entrerait en vigueur le 12 mars 1993. En d’autres termes, il aurait pu s’écouler considérablement plus de temps avant qu’on ne détermine s’il était possible de délivrer l’ADC. Acceptant la remarque pragmatique de Foster selon laquelle [traduction] « ou la loi est en vigueur, ou elle ne l’est pas », le juge a conclu que « le retard du ministre pour délivrer l’avis de conformité d’Apotex n’était pas justifié » (à la page 181).

Le juge Dubé a ensuite rejeté l’argument suivant lequel l’octroi d’un mandamus dans un cas où il est clair qu’un nouveau régime réglementaire va être institué irait « à l’encontre de la volonté du Parlement ». Il a signalé que la tendance jurisprudentielle établie en droit municipal avec l’arrêt de la Cour suprême Ottawa, City of v. Boyd Builders Ltd., [1965] R.C.S. 408, ne devrait pas « être extrapolé[e] facilement dans un contexte juridique entièrement différent » (à la page 181).

Enfin, le juge de première instance a rejeté l’argument selon lequel la demande de mandamus d’Apotex était prématurée parce que sa PDN était incomplète lorsque cette demande a été présentée. Il a tenu le raisonnement suivant (à la page 182) :

Avant de terminer, je voudrais régler une question « préliminaire » soulevée par Merck, à savoir que l’avis introductif d’instance d’Apotex, en date du 22 décembre 1992, était prématuré parce qu’à cette date, la PDN d’Apo-Enalapril était incomplète. D’après les termes de l’avis de requête, Apotex a demandé une ordonnance qui imposait au ministre de révéler l’état d’un certain nombre de PDN déposées par Apotex, notamment celle de l’Apo-Enalapril; de terminer l’examen de ces dossiers, s’il n’était pas terminé et de délivrer des avis de conformité [traduction] « si les résultats des examens étaient satisfaisants ». Ainsi, Apotex ne demandait pas un redressement différent des exigences normales du RAD et n’était donc pas « en avance » sur le déroulement normal de la procédure. En outre, au 3 février 1993, soit bien avant que cette affaire ne soit entendue, les résultats de la PDN d’Apo-Enalapril avaient été recommandés pour la délivrance d’un avis de conformité. L’argument fondé sur le caractère prématuré doit donc échouer.

Pour les motifs qui précèdent, la demande de mandamus a été accueillie et la demande d’une ordonnance de prohibition a été rejetée.

LES QUESTIONS SOULEVÉES EN APPEL

L’appel donne l’occasion aux deux parties de critiquer, de préciser et de reformuler les arguments de fond qui peuvent avoir été avancés ou non en première instance. Les questions suivantes ont été formulées par Merck dans son exposé des faits et du droit et elles ont été examinées en appel :

1) Compte tenu des faits de l’espèce, y a-t-il lieu à mandamus contre le ministre?

2) Après le 4 février 1993, le ministre était-il habilité à solliciter un avis sur la légalité de ce qu’Apotex lui demandait de faire, en plus de tout autre renseignement pertinent auquel il aurait pu penser?

3) Dans l’exercice du pouvoir que lui confère le RAD, le ministre était-il habilité à tenir compte des dispositions du projet de loi C-91 après qu’elles eurent été adoptées mais avant qu’elles n’entrent en vigueur?

4) Le ministre a-t-il agi illégalement lorsqu’il a omis de rendre une décision sur la demande d’ADC avant le 12 mars 1993?

5) Le cas échéant, cela a-t-il eu pour effet de conférer à Apotex un « droit acquis » à la délivrance d’un ADC avant le 12 mars 1993?

6) Si Apotex a « acquis » un droit avant le 12 mars 1993, le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) l’a-t-il néanmoins dépouillée de ce droit?

7) Les droits et recours créés par le projet de loi C -91 et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ont-ils, à partir du 12 mars 1993, supprimé le pouvoir de la Cour de faire droit à un contrôle judiciaire, compte tenu des faits de l’affaire, pour forcer la délivrance de l’avis de conformité?

8) Les principes formulés dans l’arrêt Ottawa, City of v. Boyd Builders Ltd., [1965] R.C.S. 408, s’appliquent-ils à l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire dans toutes les demandes de mandamus ou se limitent-ils aux demandes de permis de construire?

9) Si Apotex a par ailleurs droit à la délivrance d’un mandamus, s’agit-il d’un cas où la Cour aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire (que le juge Dubé ne croyait pas posséder) contre Apotex compte tenu de la politique officielle du gouvernement énoncée dans le projet de loi C-91 et le Règlement?

10) Compte tenu des faits de l’espèce, y a-t-il lieu à une ordonnance de prohibition contre le ministre?

En appel incident, le ministre allègue que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que le retard à délivrer l’ADC n’était pas justifié. Comme Merck, il demeure convaincu que, d’un point de vue juridique, l’ADC ne peut pas être délivré.

ANALYSE

La majorité des questions soulevées par les avocats concernent la possibilité d’obtenir des ordonnances de mandamus. J’ai l’intention d’exposer, en termes généraux, les principes qui régissent de telles ordonnances avant de clarifier les questions fondamentales pour le présent appel.

1)         Le mandamus : les principes applicables

Plusieurs conditions fondamentales doivent être respectées avant qu’un mandamus ne puisse être accordé. Les principes généraux énoncés ci-dessous s’appuient sur la jurisprudence de la Cour (voir globalement, l’affaire O’Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F. 719 (C.A.), aux pages 722 et 723, citant Karavos v. Toronto& Gillies, [1948] 3 D.L.R. 294 (C.A. Ont.), à la page 297; et Mensinger c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] 1 C.F. 59 (1re inst.), à la page 66.

1. Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public : Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Hudnik, [1980] 1 C.F. 180 (C.A.); Jefford c. Canada, [1988] 2 C.F. 189 (C.A.); Winegarden c. Commission de la fonction publique et Canada (Ministre des Transports) (1986), 5 F.T.R. 317 (C.F. 1re inst.); Rossi c. La Reine, [1974] 1 C.F. 531 (1re inst.); Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1989] 3 C.F. 309 (1re inst.); conf. par [1990] 2 W.W.R. 69 (C.A.F.); Bedard c. Service correctionnel du Canada, [1984] 1 C.F. 193 (1re inst.); Carota c. Jamieson, [1979] 1 C.F. 735 (1re inst.); conf. par [1980] 1 C.F. 790 (C.A.); et Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 232 (C.A.).

2. L’obligation doit exister envers le requérant[6] : La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c. Le ministre du Revenu national (No 1), [1976] 2 C.F. 500 (C.A.); Distribution Canada Inc. c. M.R.N., [1991] 1 C.F. 716 (1re inst.); confirmé par [1993] 2 C.F. 26 (C.A.); Secunda Marine Services Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services) (1989), 38 Admin. L.R. 287 (C.F. 1re inst.); et Szoboszloi c. Directeur général des élections du Canada, [1972] C.F. 1020 (1re inst.); voir aussi Jefford c. Canada, précité.

3. Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation; O’Grady c. Whyte, précité; Hutchins c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1993] 3 C.F. 505 (C.A.); et voir Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précité;

b) il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable; voir O’Grady c. Whyte, précité, citant Karavos c. Toronto & Gillies, précité; Bhatnager c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 315 (1re inst.); et Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), précité.

4. Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

a) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste », d’« oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi »;

b) un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu » ou « facultatif »;

c) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition à des considérations « non pertinentes »;

d) un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

e) un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé », c’est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.

Voir Commission sur les pratiques restrictives du commerce c. Directeur des enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, [1983] 2 C.F. 222 (C.A.); inf. [1983] 1 C.F. 520 (1re inst.); Carota c. Jamieson, précité; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) et autre, précité; Maple Lodge Farms Ltd. c. Le gouvernement du Canada, [1980] 2 C.F. 458 (1re inst.); conf. par [1981] 1 C.F. 500 (C.A.); confirmé par [1982] 2 R.C.S. 2; Jefford c. Canada, précité; Merck & Co. Inc. v. Sherman & Ulster Ltd., Attorney-General of Canada, Intervenant (1971), 65 C.P.R. 1 (C. de l’É.); pourvoi rejeté [1972] R.C.S. vi; Distribution Canada Inc. c. M.R.N., précité; et Kahlon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 3 C.F. 386 (C.A.).

5. Le requérant n’a aucun autre recours : Carota c. Jamieson, précité; Maple Lodge Farms Ltd. c. Le gouvernement du Canada, précité; Jefford c. Canada, précité; Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561; et voir Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1987] 1 C.F. 406 (C.A.); appel rejeté [1989] 2 R.C.S. 49.

6. L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique : Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.), le juge Stone, aux pages 48 à 52; conf. par [1992] 1 R.C.S. 3, le juge La Forest, aux pages 76 à 80; Landreville c. La Reine, [1973] C.F. 1223 (1re inst.); et Beauchemin c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (1987), 15 F.T.R. 83 (C.F. 1re inst.).

7. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé : Penner c. La Commission de délimitation des circonscriptions électorales (Ont.), [1976] 2 C.F. 614 (1re inst.); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), précité.

8. Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

Il est admis dans le présent appel que le ministre avait une obligation d’agir envers Apotex et non envers l’État. Merck n’a pas cherché à démontrer qu’Apotex n’avait pas droit en vertu de l’équité au redressement sollicité. Elle n’a pas non plus tenté d’établir qu’une ordonnance de mandamus serait sans effet. Par contre, elle allègue que la demande d’Apotex était prématurée parce que, au moment où elle a été présentée, toutes les conditions préalables n’avaient pas été remplies. De plus, elle soutient qu’un recours subsidiaire adéquat s’offre à Apotex. En dehors de la question de la balance des inconvénients signalée ci-dessus, les autres questions essentielles pour le présent appel peuvent être formulées comme suit : Le 12 mars 1993, Apotex avait-elle un droit acquis à l’ADC? Le cas échéant, Apotex a-t-elle été dépouillée de ce droit par le Règlement sur les médicaments brevetés? La disposition attributive de prépondérance figurant dans le projet de loi C-91 supprime-t-elle le pouvoir de la Cour d’accorder l’ordonnance sollicitée par Apotex?

2)         Un recours subsidiaire adéquat

Le projet de loi C-91 autorise Apotex à contester la validité du brevet de Merck. Si elle obtenait gain de cause, non seulement Apotex aurait-elle droit à l’ADC mais Merck serait tenue de lui verser des dommages-intérêts pour avoir retardé à tort sa délivrance (voir l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés). En conséquence, Merck soutient que l’observation des dispositions législatives actuelles constitue en soi un recours adéquat. Évidemment, ce raisonnement ne fait qu’éluder la question. J’aimerais signaler que Merck n’a pas cherché à démontrer qu’une ordonnance de mandamus serait en soi sans effet. Par contre, Apotex n’a pas tenté de prouver que Merck possédait un recours plus adéquat une action en contrefaçon de brevet qu’une demande d’ordonnance de prohibition.

3)         Le caractère prématuré de la demande

Merck prétend que le ministre n’avait aucune obligation envers Apotex au moment où elle a présenté sa demande de contrôle judiciaire le 22 décembre 1992 ou à la date de l’audience. Cette prétention est certes partiellement exacte. Le ministre n’avait aucune obligation envers Apotex le 22 décembre. L’examen de la PDN d’Apotex par la DGPS était alors en cours. Merck affirme que le dépôt d’une demande avant qu’il n’existe une obligation constitue une fin de non-recevoir à une demande de mandamus. Elle invoque l’arrêt Karavos v. Toronto & Gillies, précité, de la Cour d’appel de l’Ontario que le juge Urie a cité et endossé dans l’arrêt O’Grady c. Whyte, précité, à la page 722. Dans l’arrêt Karavos, le juge Laidlaw, J.C.A., a dit (à la page 297) :

[traduction] Je n’essaie pas de faire un résumé exhaustif des règles qui guident la Cour en matière de demande de bref de mandamus, mais je vais exposer brièvement certaines d’entre elles qui s’appliquent particulièrement en l’espèce. Pour que le redressement puisse être accordé, celui qui le sollicite doit établir ce qui suit : (1) « un droit clair et licite de faire accomplir la chose dont on demande l’exécution, de la manière demandée, et par la personne qui fait l’objet de la demande de redressement » : High, op. cit., p. 13, art. 9; voir p. 15, art. 10. (2) « L’obligation dont on demande l’exécution forcée par voie de mandamus doit être née et doit incomber au fonctionnaire au moment de la demande de redressement, et le bref ne sera pas accordé pour forcer l’accomplissement de quelque chose qu’il n’est pas encore tenu de faire » : ibid., p. 44, art. 36. (3) Cette obligation doit être de nature purement ministérielle, c’est-à-dire qu’elle doit « incomber manifestement à un fonctionnaire en vertu d’une loi ou de ses fonctions, et à l’égard de laquelle il n’a aucun pouvoir discrétionnaire » : ibid., p. 92, art. 80. (4) Il doit y avoir une demande et un refus d’accomplir l’acte dont l’exécution forcée est sollicitée par voie de recours légale : ibid., p. 18, art. 13. [Non souligné dans le texte original.]

Merck tente de tirer des mots « au moment de la demande de redressement » une règle de droit signifiant qu’un mandamus doit être refusé si l’obligation d’agir n’existe pas au moment où la demande de mandamus est présentée. À mon avis, une telle règle dénoterait un manque flagrant de subtilité et ne peut pas s’appuyer sur les faits des arrêts Karavos ou O’Grady.

Dans l’arrêt Karavos, le requérant avait demandé une ordonnance de mandamus forçant la délivrance d’un permis de construire même s’il n’avait pas encore présenté sa demande de permis à la date de l’audience. De même, dans l’arrêt O’Grady, le requérant n’avait pas présenté de demande de droit d’établissement à la date à laquelle un agent d’immigration était tenu de se prononcer sur sa demande de parrainage. Dans les deux cas, il a été jugé que l’absence de la demande requise empêchait la délivrance d’un mandamus.

Le principe juridique découlant de ces deux arrêts est simple à formuler. Il n’y a pas lieu à une ordonnance de mandamus pour forcer un fonctionnaire à agir d’une manière donnée si ce dernier n’est pas tenu d’agir à la date de l’audience. Il reste à déterminer si cette règle reste valide lorsqu’on l’applique à la date à laquelle la demande de mandamus a été présentée. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Dans sa demande, Apotex a prié la Cour de donner deux directives. Premièrement, elle a demandé que le ministre examine la PDN qui lui avait été soumise environ trente-quatre mois avant le dépôt de la demande de mandamus. Deuxièmement, elle a sollicité une ordonnance prévoyant la délivrance de l’ADC une fois que le processus d’examen de la PDN serait terminé.

On ne peut faire que des suppositions quant à la question de savoir si la demande de mandamus a eu pour effet de pousser la DGPS à agir. Nous savons que, dès le 3 février, l’Apo-Enalapril répondait aux normes d’innocuité et d’efficacité nécessaires à la délivrance de l’ADC. Nous savons aussi que le ministre et le procureur général du Canada ont présenté, le 27 janvier 1993, une demande de radiation de la demande de mandamus. Il semble que cette demande a été rejetée à l’audience pour des motifs qui ne ressortent pas à la lecture du dossier (voir le dossier d’appel, vol. I, onglets 4 et 5).

Comme principe général, il n’est pas difficile d’accepter une règle qui vise à éliminer les demandes prématurées de mandamus. Une personne intimée peut certes chercher à obtenir le rejet d’une demande lorsque l’obligation d’agir n’est pas encore née. Toutefois, le fait qu’elle ait été présentée trop tôt ne devrait pas faire échouer une demande d’ordonnance de mandamus à moins que des raisons sérieuses ne soient données. La demande devrait être appréciée quant au fond pourvu que les conditions préalables à l’exercice de l’obligation aient été satisfaites au moment de l’audience. Les personnes qui compliquent inutilement la procédure peuvent s’exposer à payer des dépens, même si elles obtiennent gain de cause. Pour les motifs qui précèdent, cet argument doit échouer.

4)         L’exercice du pouvoir discrétionnaire—Les droits acquis

En quelques mots, la Cour doit décider si Apotex a droit aux avantages de l’« ancienne » loi ou doit accepter les inconvénients découlant de la « nouvelle ». Habituellement, pour aborder une telle question, il faut déterminer si le décideur a pris une décision avant que la nouvelle législation n’entre en vigueur. En d’autres termes, Apotex avait-elle acquis un droit à l’ADC le 12 mars 1993?

Si un décideur possède un pouvoir discrétionnaire absolu qu’il n’a pas exercé à la date à laquelle une nouvelle loi entre en vigueur, le requérant ne peut alors revendiquer avec succès un droit acquis ni même le droit à une décision. Tel a été le raisonnement adopté par le Comité judiciaire du Conseil privé dans l’arrêt Director of Public Works v. Ho Po Sang, [1961] A.C. 901. Dans cet arrêt, le tribunal a fait une distinction entre un « droit acquis » et un « simple espoir ou une simple attente », et il a statué que le particulier qui demandait un permis de rénovation espérait simplement que le permis lui serait délivré au moment où la loi abrogative entrait en vigueur. L’arrêt Ho Po Sang a été appliqué par la Cour de l’Échiquier dans l’affaire Merck & Co. Inc. v. Sherman & Ulster Ltd., Attorney-General of Canada, Intervenant, précitée. Ces décisions fournissent les éléments nécessaires pour apprécier les principes sous-jacents à la question des « droits acquis ».

Dans Ho Po Sang, le preneur à bail de terrains de la Couronne à Hong Kong avait le droit en vertu d’une ordonnance à la libre possession d’immeubles occupés par des sous-preneurs à la condition qu’il érige de nouveaux immeubles et qu’il reçoive l’approbation du directeur des travaux publics. La loi dispensait également le preneur de l’obligation d’indemniser les sous-preneurs pour la résiliation de leur bail. Le 20 juillet 1956, le directeur avait l’intention d’accorder au preneur le certificat requis. Sur réception de l’avis leur intimant de quitter les lieux, les sous-preneurs ont interjeté appel au gouverneur en conseil. Le preneur a immédiatement formé un appel incident. Le 9 avril 1957, après que l’appel eut été interjeté, les dispositions pertinentes de l’ordonnance ont été abrogées afin d’accorder aux locataires le droit à une indemnité. À cette date, le gouverneur en conseil n’avait pas encore pris une décision.

Il s’agissait de déterminer lors de l’appel si, le 9 avril 1957, le preneur avait en vertu de l’ordonnance des « droits » qui n’étaient pas touchés par l’abrogation. Le Conseil privé a fondé sa conclusion sur le pouvoir discrétionnaire « absolu » conféré au gouverneur en conseil par l’ordonnance : [traduction] « [Le preneur] n’avait rien de plus qu’un espoir que le gouverneur en conseil rendrait une décision favorable » (aux pages 920 et 921). L’argument du preneur qui soutenait qu’il avait un droit acquis, non touché par l’abrogation, à ce que l’affaire soit examinée par le gouverneur en conseil a été rejeté pour les mêmes motifs.

La décision du juge Thurlow (tel était alors son titre) dans l’affaire Merck & Co.Inc. v. Sherman & Ulster Ltd., Attorney-General of Canada, Intervenant, précitée, sert de guide pour déterminer si Apotex avait un droit acquis à l’ADC plutôt qu’un simple espoir ou une simple attente. Il s’agissait dans cette affaire de déterminer si le commissaire aux brevets avait commis une erreur en fixant la redevance payable à Merck par Sherman en vertu d’une licence obligatoire. Sherman avait présenté son mémoire descriptif de brevet et le commissaire avait fixé la redevance en application du paragraphe 41(3) de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1952, ch. 203. Ce paragraphe a été abrogé ultérieurement et remplacé par le paragraphe 41(4) (S.C. 1968-69, ch. 49, art. 1). Le commissaire n’a ni entendu l’argumentation orale des parties ni reçu leurs arguments écrits avant que ces modifications n’entrent en vigueur. La question soumise au juge de première instance était simple : Quelle disposition législative s’appliquait au moment de fixer la redevance—l’ancienne ou la nouvelle? Après une analyse minutieuse des dispositions opposées de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1952, ch. 158, le juge Thurlow a conclu que c’est le « nouveau » paragraphe 41(4) qui s’appliquait. Son raisonnement porte directement sur la question des « droits acquis ».

L’alinéa 37c) de la Loi d’interprétation, S.C. 1967-68, ch. 7 (maintenant Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, alinéa 44c)) traitait de l’effet des procédures engagées sous le régime d’un « texte antérieur » et a été invoqué par Merck au soutien de son argument voulant que les procédures ne pouvaient être continuées que conformément à la nouvelle disposition. Cet article portait :

37. Lorsqu’un texte législatif (au présent article appelé « texte antérieur ») est abrogé et qu’un autre texte législatif (au présent article appelé « nouveau texte ») y est substitué,

c) toutes les procédures prises aux termes du texte antérieur sont reprises et continuées aux termes et en conformité du nouveau texte, dans la mesure où la chose peut se faire conformément à ce dernier;

L’intimée Sherman a invoqué l’alinéa 36c) (maintenant alinéa 43c)) de la Loi d’interprétation au soutien de son argument qu’elle avait un droit « né » ou « naissant » à la date de sa demande de licence obligatoire[7]. L’alinéa 36c) portait :

36. Lorsqu’un texte législatif est abrogé en tout ou en partie, l’abrogation

c) n’a pas d’effet sur quelque droit, privilège, obligation ou responsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le régime du texte législatif ainsi abrogé;

et une enquête, une procédure judiciaire ou un recours prévu à l’alinéa e) peut être commencé, continué ou mis à exécution, et la peine, la confiscation ou la punition peut être infligée comme si le texte législatif n’avait pas été ainsi abrogé[8].

Après une analyse minutieuse de l’arrêt Ho Po Sang, le juge Thurlow a conclu ce qui suit (à la page 12) :

[traduction] En l’espèce, lorsque l’art. 41(3) a été abrogé, la procédure prescrite par le commissaire n’était pas encore arrivée au stade où l’affaire était sur le point d’être tranchée, la réponse de l’intimée à la contre-déclaration n’ayant pas encore été produite et, en fait, ayant été retardée à la demande même de l’intimée. Mais, même si on en avait été arrivé à ce stade et qu’on avait simplement attendu la décision, je ne crois pas que l’on pourrait à juste titre affirmer que l’intimée avait un droit acquis soit à une licence soit à ce que l’affaire soit tranchée en fonction du droit tel qu’il était alors applicable. Selon moi, le pouvoir du commissaire ne consiste pas simplement à priver un requérant d’une licence lorsqu’il considère qu’il existe une bonne raison de le faire; il peut aussi décider si une licence devrait être accordée, ce pouvoir étant assujetti à l’obligation d’accorder la licence en l’absence d’une bonne raison de la refuser. La distinction est peut-être mince, mais c’est au commissaire plutôt qu’à la requérante qu’il incombe de dire si une licence sera accordée et la requérante n’a aucun contrôle sur la décision qu’il peut rendre. Comme dans l’arrêt Ho Po Sang, la question elle-même n’a pas été tranchée et le résultat dépendait de l’avenir. Je conviens comme l’a allégué l’avocat de l’appelante que, à ce stade de la procédure, l’intimée n’avait rien de plus qu’un espoir (que celui-ci soit plus fort ou non que celui que l’intimé avait dans l’arrêt Ho Po Sang en raison de la directive que contenait l’art. 41(3) relativement à la prise d’une décision). Je ne crois pas non plus que l’on puisse considérer que l’intimée avait à ce stade un droit « naissant » (ou un privilège) au sens de l’art. 36c) étant donné que le problème ne se pose pas avec les termes « né » ou « naissant » mais avec l’absence de quoi que ce soit qui corresponde à la description des termes « droit » ou « privilège » à l’art. 36c).

À mon avis, l’art. 36c) ne s’applique donc pas et c’est l’art. 37c) de la Loi d’interprétation qui permet de poursuivre la procédure engagée avant l’abrogation.

Ce cadre analytique fait porter la décision sur la question de savoir si Apotex avait un droit « né » ou « acquis » à l’ADC. Les parties admettent que, dès le 4 février 1993, « l’affaire était sur le point d’être tranchée ». Il s’agit de déterminer si, à cette date, le ministre avait épuisé son pouvoir discrétionnaire relativement à l’ADC.

Quatre éléments sont pertinents pour déterminer si Apotex avait un droit acquis à l’ADC : a) la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre; b) la pertinence des avis juridiques; c) la pertinence des « mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur », et d) la question de savoir si l’affaire avait été présentée au ministre pour examen.

a)         Le ministre possède-t-il un pouvoir discrétionnaire large ou limité

La portée du pouvoir discrétionnaire d’un décideur varie selon que l’on qualifie diverses considérations de « pertinentes » ou de « non pertinentes » à son exercice : voir R. A. Macdonald et M. Paskell-Mede, Annual Survey of Canadian Law : Administrative Law (1981), 13 Ottawa L. Rev. 671, à la page 720. Merck soutient que le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le paragraphe C.08.002(1) du RAD (« est interdite la vente … d’une drogue nouvelle, à moins que … [la drogue ait un] contenu [qui] satisfait le Ministre ») est, du point de vue de l’interprétation législative, suffisamment général pour viser d’autres considérations que celles concernant l’innocuité et l’efficacité. À mon avis, cet argument est dénué de fondement. Le juge de première instance ainsi que trois autres juges de la Section de première instance ont minutieusement examiné les règles de droit portant sur cette question; voir les affaires Glaxo Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), précitée; C.E. Jamieson & Co. (Dominion) c. Canada (Procureur général), précitée; et Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) et autre, précitée.

Comme le juge de première instance, j’estime que le RAD limite les facteurs que le ministre doit examiner dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à ceux qui concernent l’innocuité et l’efficacité d’une drogue. Pour en arriver à cette conclusion, je tiens compte des deux précédents cités par Merck. Dans Glaxo Canada Inc., précitée, le juge Rouleau a dit que « [l]’appréciation du ministre vise la santé publique et constitue la mise à exécution d’une politique sociale et économique » (à la page 439). La Cour a fait des remarques analogues dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et autre , précité, où le juge MacGuigan, J.C.A., a dit que « la décision du ministre était une décision qui avait pour souci la santé publique; il s’agissait donc de l’application d’ une politique sociale et économique au sens large plutôt que de l’application de règles de fond à un cas individuel » (à la page 440).

Les énoncés qui précèdent ne signifient pas que la Cour avait l’intention de laisser de côté les principes élémentaires d’interprétation législative. La question à trancher dans l’arrêt Pfizer et dans l’appel formé dans l’affaire Glaxo Canada était la qualité pour agir des requérantes respectives[9]. Dans les deux cas, la drogue en cause répondait aux normes d’innocuité et d’efficacité du RAD. Dans les deux cas, la Cour a statué que l’ADC pouvait être délivré. Interprétés dans un tel contexte, ces arrêts ne portent pas atteinte au raisonnement du juge Dubé qui a considéré que le RAD ne vise pas à accorder expressément ou implicitement au ministre un pouvoir discrétionnaire aussi large que Merck le soutient.

Apotex affirme que la portée restreinte du pouvoir discrétionnaire du ministre signifie nécessairement que son droit à l’ADC s’est concrétisé le 4 février 1993 ou avant le 12 mars 1993, lorsque le Règlement sur les médicaments brevetés est entré en vigueur. Merck prétend que, quelle que soit l’interprétation que l’on donne au pouvoir discrétionnaire, le ministre a, d’un point de vue juridique, le pouvoir résiduel de tenir compte d’autres considérations que celles concernant l’innocuité et l’efficacité de l’Apo-Enalapril. Merck a indiqué que le besoin d’obtenir des avis juridiques et les modifications imminentes de la Loi sur les brevets contenues dans le projet de loi C-91 (les mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur) constituaient des considérations pertinentes quant à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire même étroitement défini.

b)         Les avis juridiques

Merck a pour l’essentiel demandé à la Cour de conclure que le temps nécessaire pour qu’un décideur puisse solliciter et obtenir des avis juridiques dans le cadre d’un processus décisionnel est en soi un motif de refuser un mandamus. Elle laisse également entendre que l’ignorance avouée d’une loi au sujet de laquelle des avis juridiques divergents ont été donnés a une incidence sur le droit du public à l’exécution d’une obligation légale. À mon avis, ces deux prétentions doivent être rejetées.

La seule décision invoquée par Merck au soutien de son argument est celle de la Chambre des lords dans l’affaire Engineers’ and Managers’ Association v. Advisory, Conciliation and Arbitration Service, [1980] 1 W.L.R. 302 (H.L.). Dans cette affaire, la Chambre des lords a statué qu’un tribunal des relations de travail était habilité à suspendre son processus pendant plus de deux ans pour des demandes d’accréditation conflictuelles. Le tribunal a estimé qu’il était obligé d’attendre l’issue d’une action indirectement liée à l’affaire avant de prendre une décision. Merck appliquerait cette décision pour prétendre que, comme le ministre avait le droit de solliciter des avis juridiques, il n’était pas tenu de délivrer l’ADC avant le 12 mars 1993. Je ne suis pas d’accord.

Tout d’abord, les dispositions législatives pertinentes dans l’affaire Engineers’ attribuaient au tribunal un pouvoir discrétionnaire considérablement plus large que celui conféré au ministre par le Règlement sur les médicaments brevetés. Ensuite, dans cette affaire, l’action en était à une étape préliminaire et non à l’étape finale où en était rendue la PDN d’Apotex (le juge Dubé a avancé ces deux raisons dans ses motifs de jugement, à la page 180). Enfin, contrairement à l’espèce, le retard résultant dans l’affaire Engineers’ de la nécessité d’obtenir des précisions juridiques n’a pas et ne pouvait pas dépouiller automatiquement les parties de droits consacrés par les dispositions législatives pertinentes.

Le droit d’un décideur d’obtenir des avis juridiques sur la légalité de l’exécution d’une obligation n’est pas en cause. En fait, compte tenu de la preuve d’opinion accablante sur la « légalité » de la délivrance de l’ADC à Apotex, l’omission par le ministre de solliciter les avis d’avocats du Ministère ou de l’extérieur aurait pu être considérée comme une abdication de ses responsabilités. Mais cette obligation volontaire ne peut en soi priver Apotex de son droit à un mandamus. Si aucune nouvelle disposition législative n’avait été adoptée, la question des « avis juridiques » ne se serait pas posée. Elle ne peut maintenant être invoquée pour soutenir que, dès qu’il est devenu loi, c’est le Règlement sur les médicaments brevetés qui régissait le processus décisionnel en cours.

Je conviens avec le juge Dubé que la justification d’un avis juridique est potentiellement sans limite et pourrait presque nécessairement entraîner des allégations d’abus du pouvoir discrétionnaire ou de délai déraisonnable. Qui plus est, l’avis juridique demandé en l’espèce n’avait aucune incidence sur l’exercice du pouvoir étroitement défini du ministre. Sa pertinence transcende la principale question à laquelle doit répondre le ministre : l’Apo-Enalapril est-il une drogue sans danger? Cela ne veut pas dire qu’on peut affirmer que, une fois la réponse donnée à cette question, le ministre a agi illégalement en sollicitant un avis juridique. Toutefois, le retard inévitable découlant de la demande d’un avis juridique (par opposition au délai déraisonnable) ne peut pas porter préjudice au droit à l’exécution d’une obligation légale. Le principe directeur applicable est bien connu—l’équité considère que ce qui aurait dû être fait l’a été effectivement. De plus, refuser un mandamus en raison de considérations juridiques créées par une partie ayant des intérêts opposés (Merck) équivaut à fermer les yeux sur ce qui pourrait être considéré comme une tactique destinée à embrouiller et à retarder le processus décisionnel.

Compte tenu de ce qui précède, il est inutile d’examiner la conclusion du juge de première instance qui a estimé que « le retard du ministre pour délivrer l’avis de conformité d’Apotex n’était pas justifié » [à la page 181]. Comme nous n’avons pas été saisis des faits nécessaires, nous ne pouvons pas statuer sur la question de savoir si ce retard était raisonnable. À moins que le ministre ne puisse fournir un autre motif pour justifier la décision de retarder l’exécution d’une obligation par ailleurs due, l’argument de Merck doit échouer.

c)         Les mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur sont-elles pertinentes ou non pertinentes

Au soutien de son argument que les mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur sont une considération pertinente quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, l’avocat de Merck nous a signalé trois décisions. À mon avis, aucune ne corrobore son affirmation. J’examinerai néanmoins chaque décision et je répondrai ensuite à la question plus générale : d’un point de vue juridique, le ministre devrait-il avoir le droit de s’abstenir de délivrer l’ADC en se fondant sur les mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur?

La première de ces décisions est Distribution Canada Inc. c. M.R.N., précitée. Dans cette affaire, la requérante sollicitait un mandamus afin de contraindre le ministre du Revenu national à percevoir rigoureusement les droits sur les provisions non exemptées achetées aux États-Unis. Le Ministère avait à l’époque pour politique de ne pas percevoir les droits de moins d’un dollar ou même plus lorsque d’autres facteurs, tel le volume de la circulation, l’exigaient. Le juge de première instance a établi une distinction entre une abdication totale de ses responsabilités et des opinions conflictuelles sur la manière dont la loi devrait être appliquée, et il a conclu qu’un mandamus ne peut être accordé que dans le premier cas. En appel, la Cour a statué que le ministre doit prendre toutes les mesures raisonnables pour appliquer la législation sur les douanes; « [q]ue ces mesures soient raisonnables signifie qu’il faut prendre en considération des facteurs politiques qui échappent à la compétence des tribunaux judiciaires, puisqu’ils portent sur la manière dont la Loi doit être appliquée » (à la page 40).

Dans l’affaire Distribution Canada, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ministériel en fonction de la politique gouvernementale n’avait pas pour principal objectif de retirer des droits acquis. La Cour a simplement conclu que le ministre possédait un pouvoir discrétionnaire dans l’exercice duquel la loi n’interviendrait pas. Quoi qu’il en soit, on n’a pas utilisé comme il le fallait la valeur de précédent de cette décision. En effet, celle-ci est pertinente pour la question de la « balance des inconvénients » et, en conséquence, elle sera examinée plus loin.

La deuxième décision est Wimpey Western Ltd. and W-W-W Developments Ltd. v. Director of Standards and Approvals of the Department of the Environment, Minister of the Environment and Province of Alberta (1983), 49 A.R. 360 (C.A.)[10]. La Cour d’appel de l’Alberta devait déterminer si la perception par un ministre de la politique applicable était pertinente quant à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Le paragraphe pertinent de la Clean Water Act, R.S.A. 1980, ch. C-13, porte :

3

[traduction] (4) Le directeur des normes et agréments peut délivrer ou refuser de délivrer un permis, ou il peut exiger, comme condition préalable à la délivrance d’un permis aux termes du présent article, le choix d’un autre emplacement pour la station d’épuration ou la modification des plans et devis.

Dans l’arrêt Wimpey Western, l’intimé a refusé à l’appelante le permis de construire une station d’épuration sur un site de développement industriel parce qu’il estimait que la construction d’une telle installation devait être reportée jusqu’à ce qu’une usine d’épuration régionale soit opérationnelle. Cette justification était conforme à la politique du ministre de l’Environnement. La Cour d’appel a statué que le pouvoir discrétionnaire de l’intimé ne se limitait pas à des considérations d’ordre technique. Dans son analyse, le tribunal était unanime quant aux motifs pour lesquels la politique ministérielle était jugée pertinente (aux pages 368 et 369) :

[traduction] L’objectif du processus de délivrance des permis prévu à l’art. 3 est de conférer au Ministère le pouvoir de contrôler ou de limiter les sources potentielles de polluants des eaux avant qu’elles n’existent. À mon avis, il est compatible avec cet objectif et avec le libellé de l’article de permettre au directeur de tenir compte d’une politique de son ministre visant à limiter le nombre des points de déversement de polluants dans un cours d’eau. Le régime de délivrance des permis serait considérablement gêné si le directeur devait se contenter d’examiner les demandes individuellement sans tenir compte des objectifs de la qualité de l’eau pour l’ensemble du système fluvial.

L’interprétation plutôt large des considérations pertinentes préconisée dans l’arrêt Wimpey Western doit être examinée à la lumière du large pouvoir discrétionnaire accordé au décideur. De même, les questions environnementales dans l’arrêt Wimpey Western semblent indiquer une prédisposition des tribunaux, en termes d’interprétation législative, à accorder plus d’importance à la santé publique qu’aux intérêts personnels d’un promoteur. En l’espèce, le pouvoir discrétionnaire du ministre est soigneusement défini et concerne expressément des questions de santé et d’efficacité.

La dernière des trois décisions citées ébranle sérieusement, à mon avis, la thèse de Merck. Dans l’arrêt Reg. v. Anderson; Ex parte Ipec-Air Pty. Ltd. (1965), 113 C.L.R. 177 (H.C. Aust.), le requérant sollicitait une ordonnance de mandamus enjoignant à l’intimé de lui permettre d’importer un avion et de lui délivrer la licence nécessaire pour lui permettre d’effectuer le transport de fret entre diverses villes. Les dispositions législatives prévoyaient (à la page 177) :

[traduction] L’article 199 du Règlement porte :—« … (2) Lorsque le service projeté est un service interétatique, le directeur général délivre un permis de transport, de transport par frètement ou de travail aérien , selon le cas, à moins que le requérant ne satisfasse pas, ou qu’il n’ait pas démontré qu’il est capable de satisfaire pendant la durée du permis, aux dispositions du présent Règlement ou de toute autre directive ou ordonnance donnée ou rendue conformément au présent Règlement, concernant la sécurité des opérations. » [Non souligné dans le texte original.]

L’intimé avait rejeté les deux demandes en invoquant la politique gouvernementale opposée à l’augmentation du nombre de compagnies assurant des services aériens de fret entre les divers États.

Quant à la question de la délivrance d’un permis de transport par frètement, la majorité de la Haute Cour d’Australie a statué qu’il y avait lieu à mandamus, car l’intimé ne possédait pas un pouvoir discrétionnaire absolu pour décider de délivrer un tel permis. Le rejet par la Cour de la politique gouvernementale comme considération pertinente va à l’encontre de la thèse de Merck. Aux pages 187 et 188, la Haute Cour a statué ce qui suit :

[traduction] La preuve, et en particulier les déclarations mêmes du directeur général, indique clairement que son refus d’accorder le permis de transport par frètement n’avait rien à voir avec la question de la sécurité et que, en réalité, le plaignant a démontré à la satisfaction du directeur général qu’il était capable de satisfaire à toutes les dispositions relatives à la sécurité des opérations projetées. Je considère que la lettre de refus du directeur général reconnaît, même si cela n’était pas intentionnel, que c’est malgré et non en raison des derniers mots du par. 199(2) qu’il refusait le permis. Je pense qu’il faut admettre la vérité : le refus du permis ne reposait sur rien d’autre qu’une politique s’opposant à ce que d’autres personnes que celles qui le font déjà soient autorisées à participer à cette forme de commerce interétatique. Quelles que soient la sagesse et la légitimité de cette politique, si, interprété correctement, le Règlement permet un refus fondé sur un tel motif, j’aurais beaucoup de difficulté à ne pas conclure que l’art. 197, dans la mesure où il exige un permis de transport par frètement pour des activités de transport aérien interétatique, est nul parce qu’il est incompatible avec l’art. 92 de la Constitution. À mon avis, un tel refus est toutefois contraire à l’exigence directe du par. 199(2).

J’estime qu’il s’agit d’un cas évident où il y a lieu d’accorder un bref de mandamus; et étant donné qu’il ressort de mon interprétation des faits que le directeur général a maintenant l’obligation absolue de délivrer un permis de transport par frètement, obligation que ne restreint aucun pouvoir discrétionnaire non encore exercé, j’estime que le bref devrait être rédigé de manière à exiger que cette obligation soit exécutée. [Non souligné dans le texte original.]

En ce qui concerne la demande d’importation d’un avion, la majorité a statué qu’un mandamus ne devait pas être accordé. Deux des trois juges ont conclu que cette question relevait du pouvoir discrétionnaire de l’intimé. Dans un jugement concordant, le troisième juge s’est dit d’avis que l’intimé avait l’obligation de tenir compte de la politique gouvernementale et de l’appliquer (aux pages 204 à 206). Je dois souligner que, pour en arriver à sa conclusion sur la première question, le juge de la minorité s’est fondé sur le fait qu’une ordonnance enjoignant à l’intimé de délivrer un permis de transport par frètement n’aurait aucun effet pratique, le requérant étant incapable d’obtenir un avion.

L’arrêt Anderson confirme que les décideurs possédant un pouvoir discrétionnaire absolu peuvent tenir compte de la politique gouvernementale existante. Ce qu’est la politique gouvernementale (par opposition à la politique ministérielle) est une autre question. Comme le pouvoir discrétionnaire du ministre était étroitement défini en l’espèce, il est évident que cet arrêt supporte la thèse d’Apotex plutôt que celle de Merck.

Enfin, la Cour doit déterminer si les mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur peuvent constituer une considération pertinente malgré la portée limitée du pouvoir discrétionnaire du ministre. À première vue, j’estime que la loi ne devrait pas empêcher de reconnaître le droit du ministre de refuser d’exécuter une obligation à caractère public en invoquant les principes à l’origine des dispositions législatives sur le point d’être adoptées. Si on présume que le pouvoir discrétionnaire du ministre n’englobe pas des critères de sécurité et de santé, il est concevable de penser qu’un mandamus ne serait pas ou ne devrait pas être accordé lorsque, par exemple, une personne a droit à un permis l’autorisant à importer et à vendre un produit que le ministre, agissant de bonne foi, croit présenter un risque inacceptable pour la santé des Canadiens. Dans un tel cas, un tribunal pourra fort bien ajourner l’audition d’une demande de mandamus s’il peut être démontré qu’une loi modificatrice est sur le point d’entrer en vigueur. Agir ainsi serait reconnaître et appliquer le critère de la « balance des inconvénients » comme motif de refus du mandamus. Il ne s’agit donc pas de savoir si le ministre a le pouvoir de refuser d’exécuter une obligation en invoquant les modifications imminentes à la loi, mais plutôt de savoir si le tribunal veut exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder un mandamus compte tenu des conséquences possibles.

Si nous revenons aux faits dont la Cour a été saisie, j’estime que l’on ne peut pas affirmer que, en exerçant le pouvoir que lui confère le RAD, le ministre avait le droit de tenir compte des dispositions du projet de loi C-91 après qu’elles eurent été adoptées mais avant qu’elles n’aient été proclamées en vigueur. Compte tenu des faits de l’espèce, les mesures législatives sur le point d’être mises en vigueur ne constituent pas une considération pertinente qui peut être invoquée unilatéralement par le ministre.

d)         De Facto—La décision n’a jamais été prise

Merck soutient que l’ADC n’a pas été délivré avant le 12 mars 1993 parce que le ministre n’a jamais examiné la demande d’Apotex. Comme le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire, le juge de première instance a commis une erreur en voulant dicter le résultat des délibérations du ministre. Merck affirme que, en l’absence d’une conclusion de mauvaise foi de la part du ministre, Apotex n’aurait pas pu acquérir un droit à l’ADC. Les deux parties invoquent au soutien de leurs arguments sur cette question les décisions judiciaires rendues après le resserrement des mesures de contrôle des armes à feu à la fin des années 1970.

En 1977, le Parlement a présenté diverses modifications au Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34] (Loi de 1977 modifiant le droit pénal, S.C. 1976-77, ch. 53) afin de restreindre davantage l’usage et la vente des armes à feu au Canada. La Loi est entrée en vigueur le 1er janvier 1978 et des ordonnances de mandamus ont été demandées dans diverses affaires dont font état les recueils de jurisprudence[11]. Dans chaque cas, le requérant avait présenté une demande de permis et rempli toutes les conditions préalables avant le 1er janvier.

Dans Martinoff c. Gossen, [1979] 1 C.F. 327 (1re inst.), le juge de première instance a conclu que, le 1er janvier, le requérant n’avait pas un droit acquis à un permis d’exploitation d’une entreprise de vente d’armes à autorisation restreinte. Le juge a fondé sa décision sur le fait que le pouvoir de l’intimé de délivrer le permis lui avait été retiré et qu’il n’y avait donc personne qui pouvait délivrer ce permis. Chose intéressante, il ne semble pas s’être laissé influencé par le fait que la demande était encore en cours au moment où la Loi est entrée en vigueur.

Dans Lemyre c. Trudel, [1978] 2 C.F. 453 (1re inst.); confirmée pour d’autres motifs par [1979] 2 C.F. 362 (C.A.), le requérant sollicitait un mandamus enjoignant à l’intimé de lui délivrer un certificat d’enregistrement pour une arme automatique de type Walther MPL calibre 9mm. Au moment du dépôt de la demande, cette arme était une arme à autorisation restreinte qui devait être enregistrée auprès du commissaire de la GRC. Le Code criminel modifié prohibait la possession d’une telle arme sauf si, « lors de l’entrée en vigueur du présent alinéa, [elle] était enregistrée comme arme à autorisation restreinte ». La demande d’enregistrement présentée par le requérant n’avait pas encore été approuvée au 1er janvier. Au procès, le juge a statué que le requérant n’avait aucun « droit acquis à la possession de son arme, puisque cette possession, sans permis et certificat, était tout simplement prohibée » (à la page 457). Dans de brefs motifs prononcés à l’audience, la Cour d’appel a conclu que la seule façon pour le requérant d’obtenir gain de cause était d’établir que « son arme était incluse dans cette exception, c’est-à-dire qu’elle était enregistrée (non pas qu’elle aurait pu ou dû l’être) le 1er janvier 1978 » (à la page 364).

La décision rendue dans Lemyre est fort différente de celle rendue par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans Abell v. Commissioner of Royal Canadian Mounted Police (1979), 49 C.C.C. (2d) 193 (C.A. Sask.). Dans Abell, le requérant a réussi à obtenir l’enregistrement d’une arme de type F.A. Mark II (1944) Sten. Après avoir analysé les arrêts Ho Po Sang et Merck& Co. Inc. v. Sherman & Ulster Ltd., Attorney-General of Canada, Intervenant, précités, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu que le requérant avait satisfait avant le 1er janvier 1978 aux dispositions applicables du Code criminel et que, en conséquence, il avait acquis un droit à ce que son arme soit enregistrée.

Un commentateur a signalé que les décisions de notre Cour « se concilient difficilement » avec l’arrêt Abell ; voir P.-A. Côté, précité, à la page 165. Il ne s’agit toutefois pas de choisir entre l’affaire Lemyre et l’arrêt Abell. Suivant la règle du stare decisis, c’est le raisonnement suivi dans l’arrêt Merck & Co. Inc. v. Sherman & Ulster Ltd., Attorney-General of Canada, Intervenant, précité, qui prévaut. Cela ne signifie pas qu’une décision différente serait aujourd’hui rendue dans les affaires Lemyre ou Martinoff; il est certes permis de penser que la « balance des inconvénients » permettrait d’obtenir le même résultat.

En fin de compte, je dois conclure qu’Apotex avait un droit acquis à l’ADC même si le ministre n’avait pas pris une décision le 12 mars 1993.

5)         La balance des inconvénients

Merck prétend que, si on en arrivait à la conclusion qu’Apotex a droit à un mandamus, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser l’ordonnance sollicitée. Elle allègue qu’un mandamus devrait être refusé lorsque cela aurait pour effet d’aller à l’encontre de modifications législatives. Merck affirme que le principe formulé dans l’arrêt Ottawa, City of v. Boyd Builders Ltd., précité, corrobore la proposition selon laquelle la Cour ne devrait pas appliquer l’ancienne loi, car le projet de loi C-91 et le Règlement sur les médicaments brevetés étaient en vigueur au moment de l’audience.

Il est vrai que, dans l’arrêt Boyd Builders, la Cour suprême a reconnu la pertinence de modifications législatives imminentes pour déterminer si elle devait accorder une ordonnance de mandamus. Contrairement au juge de première instance et, avec déférence, je ne crois pas que l’on puisse écarter cet argument. Merck a invoqué ce qui a été qualifié de « motif controversé » pour lequel certains tribunaux ont été prêts à refuser un mandamus. L’arrêt Boyd Builders a été cité comme l’un des cas où les tribunaux ont utilisé ce que l’on a appelé le critère de la « balance des inconvénients » consistant à soupeser les intérêts opposés des parties pour déterminer comment doit être exercé un pouvoir discrétionnaire : voir J. M. Evans et autres, Administrative Law : Cases, Text, and Materials, 3e éd. (Toronto : Emond Montgomery, 1989), à la page 1083.

Malgré la forme sous laquelle le problème a été présenté au départ, trois questions distinctes se posent : 1) La Cour a-t-elle le pouvoir discrétionnaire d’invoquer le critère de la « balance des inconvénients » pour refuser un mandamus ? 2) Le cas échéant, quels sont les critères de son exercice? et 3) S’agit-il d’un cas où il faut refuser le mandamus? J’examinerai chacune de ces questions.

a)         L’étendue du pouvoir discrétionnaire de la Cour—La balance des inconvénients

La jurisprudence portant sur les mandamus indique diverses techniques juridiques grâce auxquelles les tribunaux ont, à l’occasion, pondéré des intérêts opposés. Par exemple, appelé à déterminer la pertinence ou la non pertinence de considérations influençant le décideur, un tribunal peut accorder une interprétation large ou étroite au pouvoir discrétionnaire conféré par des dispositions législatives apparemment claires. C’est également vrai pour des dispositions qui visent à empiéter sur des droits acquis. En fait, on peut constater qu’une analyse des droits acquis repose sur des considérations générales implicites dans les motifs formels de jugement. Le professeur Côté offre une analyse pénétrante de ce processus dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois, précité, à la page 157 :

On peut croire que le juge qui décide de reconnaître ou de ne pas reconnaître des droits acquis procède, le plus souvent sans le dire, à une appréciation comparative des coûts individuels et sociaux de sa décision. Plus grands sont les coûts individuels et plus grave le préjudice causé à l’individu par l’application immédiate de la loi, plus grandes sont les chances que des droits acquis soient reconnus. Par contre, si le coût individuel est jugé réduit (par exemple, lorsque la loi nouvelle ne prescrit qu’une règle de procédure), il est plus probable que la loi nouvelle soit appliquée immédiatement. D’autre part, si les inconvénients sociaux d’une application différée de la loi nouvelle sont perçus comme étant très lourds (par exemple, si cela met en cause la santé et la sécurité publiques), il est probable que le juge hésitera à admettre des droits acquis. Au contraire, si la survie du droit ancien ne paraît pas menacer indûment l’intérêt social, il sera plus facile au juge d’admettre les droits acquis.

Le pouvoir discrétionnaire de la Cour doit être exercé avec discernement. Un auteur fait valoir qu’étant donné que le pouvoir discrétionnaire de la Cour peut, en raison de son étendue, porter atteinte à la primauté du droit, il doit être exercé avec la plus grande prudence : voir Sir W. Wade, Administrative Law, 6e éd. (Oxford : Clarendon, 1988), à la page 709. Tout en présumant qu’il n’y a pas lieu à un mandamus de plein droit, un autre auteur a fait remarquer que la Cour n’a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser un tel bref lorsqu’il s’agit du seul moyen d’obtenir l’exécution d’une obligation ministérielle : voir S. A. de Smith, Judicial Review of Administrative Action, 4e éd., J. M. Evans (London : Stevens, 1980), à la page 558.

Merck a demandé à la Cour de refuser d’intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre même si son défaut d’exécuter une obligation légale a été jugé injustifié, rendant en fait légal ce qui avait été considéré illégal. C’est peut-être conscient de ces considérations que le juge Dubé a laissé entendre que l’arrêt Boyd Builders empêchait la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour rejeter le mandamus (à la page 181). Certes, l’introduction de la variable « balance des inconvénients » dans le problème du mandamus pose inévitablement la question de savoir s’il existe des limites aux considérations en vertu desquelles un tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire.

Malgré des préoccupations évidentes, les recueils de jurisprudence font état de divers précédents qui, dans l’ensemble, peuvent nous amener à conclure que les tribunaux n’ont fait que reconnaître officiellement un autre principe directeur des règles de droit applicables au mandamus[12]. Dans l’affaire Distribution Canada Inc. c. M.R.N., précitée et examinée plus haut, il était possible d’alléguer que la Cour avait effectivement pondéré les avantages de l’exécution forcée d’une obligation et les intérêts des personnes chargées de la mise en application de cette obligation ainsi que ceux du public. Il est permis de penser qu’une technique analogue de pondération a été adoptée dans les décisions relatives au contrôle des armes à feu.

Par ailleurs, le critère de la « balance des inconvénients » a été réellement reconnu dans l’affaire Re Central Canada Potash Co. Ltd. et al. and Minister of Mineral Resources for Saskatchewan (1972), 30 D.L.R. (3d) 480 (B.R. Sask.); conf. par (1973), 32 D.L.R. (3d) 107 (C.A. Sask.); pourvoi à la Cour suprême rejeté (1973), 38 D.L.R. (3d) 317. Dans cette affaire, le pouvoir discrétionnaire du ministre était absolu et le mandamus aurait pu être rejeté pour cet unique motif. Toutefois, tant le tribunal de première instance que la Cour d’appel ont reconnu un autre motif de refuser le mandamus : une telle ordonnance [traduction] « entraînerait la confusion et le désordre dans l’industrie de la potasse ». En Cour d’appel, le juge en chef Culliton a dit ce qui suit (à la page 115) :

[traduction] Le juge en chambre a également statué que, même s’il y avait lieu à mandamus, il ne l’accorderait néanmoins pas dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il est indubitable que le mandamus est avant tout un redressement assujetti à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Même s’il serait difficile d’énumérer avec précision tous les motifs pour lesquels il serait justifié pour un juge de refuser le bref dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, ces motifs sont en fait nombreux et généraux. Il ne fait aucun doute que le juge en chambre a considéré que la délivrance d’un mandamus en l’espèce entraînerait la confusion et le désordre dans l’industrie de la potasse. La légitimité de cette conclusion ressort du fait que tous les autres producteurs de potasse se sont opposés à la demande de mandamus. À mon avis, un tel motif justifierait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge en chambre.

D’autres tribunaux ont présumé qu’ils conservent un pouvoir discrétionnaire inhérent de refuser un redressement obligatoire dans certaines circonstances. Dans l’arrêt Fitzgerald v. Muldoon, [1976] 2 N.Z.L.R. 615 (C.S.), le premier ministre de la Nouvelle-Zélande, qui venait tout juste d’être élu, a annoncé l’abolition d’un régime de retraite comme il l’avait promis lors de la campagne électorale. Après cette annonce, le conseil, ayant obtenu l’assurance du premier ministre qu’une loi abrogative serait bientôt adoptée, a cessé d’exiger les paiements prévus dans les dispositions législatives applicables aux pensions. Même si la Cour a rendu un jugement déclaratoire portant que les mesures prises par le premier ministre étaient illégales, elle a refusé d’accorder une injonction obligeant le conseil à percevoir les cotisations requises. Elle a plutôt ajourné l’affaire pour une période de six mois afin de voir si le gouvernement remplirait sa promesse d’abroger le régime de retraite.

Par ailleurs, l’arrêt Fitzgerald supporte officiellement le principe suivant lequel le pouvoir exécutif du gouvernement n’est nullement habilité à suspendre l’application d’une loi. Pour citer le juge Marceau, J.C.A., dans l’arrêt Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 3 C.F. 316 (C.A.), à la page 347 : « Il est évident que la volonté du Parlement est souveraine et qu’aucun pouvoir administratif ou exécutif ne peut y contrevenir, directement ou indirectement ». Cependant, en ajournant l’audience de mandamus, la Cour a en réalité suspendu l’application de la loi.

Dans l’arrêt Fitzgerald, le juge de première instance était manifestement motivé par les conséquences pratiques de l’octroi de l’ordonnance. Même si le régime de retraite avait été immédiatement remis en vigueur, il aurait fallu six semaines avant qu’il ne recommence à fonctionner tandis que le recouvrement des arriérés de cotisations aurait pris beaucoup plus de temps. Le juge de première instance a conclu (à la page 623) :

[traduction] [I]l serait tout à fait injustifié d’exiger la remise en application des mécanismes de la New Zealand Superannuation Act 1974 lorsqu’il y a de fortes chances qu’il soit nécessaire de tout annuler encore une fois dans quelques mois.

Il convient de signaler que la preuve dont avait été saisi le juge de première instance lui permettait de croire que le Parlement était en position d’adopter une telle loi dans le délai envisagé lors de l’ajournement.

Compte tenu de la jurisprudence citée ci-dessus, je conclus que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de refuser un mandamus en se fondant sur la « balance des inconvénients ». La tâche la plus difficile consiste à déterminer les critères applicables pour décider s’il y a lieu d’exercer ce pouvoir.

b)         Les critères de l’exercice du pouvoir discrétionnaire

La jurisprudence indique trois catégories de cas où le critère de la balance des inconvénients a été implicitement reconnu. Il s’agit tout d’abord des cas où le chaos ou les coûts administratifs qui résulteraient de l’octroi de l’ordonnance sont évidents et inacceptables; voir les arrêts Distribution Canada Inc. c. M.R.N., précité; Re Central Canada Potash Co. Ltd. et al. and Minister of Mineral Resources for Saskatchewan, précité; et Fitzgerald v. Muldoon, précité. Il convient de signaler que, dans la plupart de ces affaires, il s’agissait d’une obligation envers le public en général plutôt qu’une obligation envers le particulier requérant. C’est en ce sens que l’on peut dire que les règles de droit applicables au mandamus et celles applicables à la qualité pour agir se recoupent. Le juge Desjardins, J.C.A., a implicitement reconnu ces liens dans l’arrêt Distribution Canada c. M.R.N., précité, à la page 39 :

Pour ma part, j’incline à penser qu’avec l’addition du précédent Finlay, la jurisprudence n’exclut pas clairement la possibilité d’étendre la qualité pour agir au recours en mandamus lorsque l’intérêt général est en jeu et qu’il n’existe aucun autre moyen raisonnable d’en saisir la cour.

Quant à la question de savoir si le critère de la « balance des inconvénients » peut être utilisé pour assouplir davantage les conditions de la qualité pour agir, je l’examinerai une autre fois.

Le deuxième motif de refuser un mandamus, quoique plus hypothétique, semble exister dans les cas où l’on considère que les risques possibles pour la santé et la sécurité publiques sont plus importants que le droit d’un individu de protéger ses intérêts personnels ou économiques; voir les arrêts Martinoff c. Gossen, précité; Lemyre c. Trudel, précité; et Wimpey Western Ltd. and W-W-W Developments Ltd. v. Director of Standards and Approvals of the Department of the Environment Minister of the Environment and Province of Alberta, précité.

En l’espèce, il n’est nullement question qu’une ordonnance de mandamus entraîne un chaos administratif. Il est vrai qu’une telle ordonnance pourrait fort bien avoir pour effet d’encourager d’autres fabricants de produits génériques qui ont déposé une PDN avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-91 et du Règlement sur les médicaments brevetés à solliciter un mandamus. Toutefois, étant donné que seuls les fabricants qui satisfont aux exigences habituelles du mandamus auront gain de cause, il ne s’agit pas d’un cas où les arguments en faveur de l’efficacité administrative sont particulièrement convaincants. En outre, comme l’Apo-Enalapril respecte les normes d’innocuité et d’efficacité du RAD, la question de la sécurité et de la santé publiques ne se pose pas. Il ne nous reste que la tendance jurisprudentielle représentée par l’arrêt Boyd Builders.

c)         L’arrêt Boyd Builders

Merck soutient que le principe établi dans l’arrêt Boyd Builders permet à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser un mandamus étant donné que, dans cet arrêt, la Cour a ajourné une audience de mandamus pour permettre la mise en place d’un nouveau régime réglementaire. À mon avis, ce principe est mal interprété. En fait, même l’interprétation que lui donne Merck ne fait pas avancer sa cause.

Boyd Builders avait présenté une demande de permis de construire à un moment où le règlement de zonage existant aurait permis le lotissement projeté. La nouvelle du projet a entraîné une réaction négative du public à laquelle la ville a répondu en entamant l’adoption d’un règlement municipal modificateur pour contrecarrer le projet du promoteur. Avant l’arrêt Boyd Builders, le conseil municipal pouvait faire échec à une demande de permis de construire en adoptant un règlement modificateur en tout temps avant la délivrance du permis; voir Toronto Corporation v. Roman Catholic Separate Schools Trustees, [1926] A.C. 81 (C.P.). Après le dépôt d’une demande de mandamus, la ville d’Ottawa a demandé un ajournement jusqu’à ce que la Commission des affaires municipales de l’Ontario ait eu l’occasion d’approuver ou de rejeter le règlement modificateur. La Cour suprême a formulé un triple critère pour déterminer s’il y avait lieu d’accorder l’ajournement : 1) la municipalité doit démontrer qu’elle avait, avant même que la demande de permis ne soit présentée, l’intention de rezoner le terrain; 2) la municipalité doit avoir agi de bonne foi, et 3) la municipalité doit avoir agi avec célérité pour obtenir l’adoption et l’approbation du règlement municipal modificateur.

Il est désormais bien établi que le droit prima facie d’un propriétaire foncier d’utiliser son terrain conformément aux règlements de zonage existants ne doit pas être entravé à moins que l’on ne démontre qu’il existait, avant le dépôt de la demande de permis, une intention de rezoner le terrain. Évidemment, l’application stricte du principe formulé dans l’arrêt Boyd Builders n’aide pas la cause de Merck. Apotex a déposé sa demande d’avis de conformité plus de deux ans avant que le Parlement n’indique son intention de présenter une loi modificatrice. Cet argument mis à part, je suis d’avis que la Cour suprême n’invitait pas les tribunaux à se mêler des affrontements politiques quotidiens qui accompagnent les décisions relatives à la planification de l’utilisation des sols en pondérant ce qu’on appelle les « droits en equity » : elle tentait simplement d’établir un principe permettant de déterminer si un propriétaire foncier avait acquis un droit à un permis de construire en attendant l’approbation d’un règlement modificateur.

Suivant l’état actuel du droit municipal, s’il est impossible de démontrer une intention préalable de procéder à un nouveau zonage, le propriétaire foncier peut alors revendiquer un droit acquis à un permis de construire. Ce principe ne peut pas être invoqué pour fonder l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un mandamus en pondérant des intérêts opposés. Il faut reconnaître que certains allèguent que les tribunaux devraient jouer un plus grand rôle dans « la pondération des droits en equity », même en matière du droit de l’urbanisme (voir Makuch, Canadian Municipal and Planning Law , (Toronto : Carswell, 1983), aux pages 251 à 261), et il est indubitable que les recueils de jurisprudence font état des décisions où les tribunaux ont voulu se mêler de la question de l’utilisation des sols; p. ex., Re Hall and City of Toronto et al. (1979), 23 O.R. (2d) 86 (C.A.). Mais, à mon avis, cela n’ébranle pas l’application de l’arrêt Boyd Builders.

En fait, le critère de la balance des inconvénients autorise la Cour à utiliser son pouvoir discrétionnaire pour remplacer la règle des considérations pertinentes ainsi que la doctrine des droits acquis. Ce critère ne devrait donc être utilisé que dans les cas les plus évidents et il ne faudrait pas le considérer comme une panacée permettant de combler les lacunes des textes législatifs. À moins que les tribunaux ne soient prêts à se laisser entraîner dans le domaine réservé aux élus, toute tentative de s’engager dans la pondération des intérêts doit s’effectuer dans un respect rigoureux des règles de droit.

L’argument suivant lequel les coûts sociaux ou économiques sont plus importants que les droits d’Apotex ne fait que jeter la confusion sur ce qui n’est essentiellement qu’une question de droit privé. Enfin, je conclus que le principe formulé dans l’arrêt Boyd Builders n’est pas pertinent pour l’espèce, ni pour la question du pouvoir discrétionnaire de la Cour de refuser un mandamus en se fondant sur la « balance des inconvénients ». En conséquence, il n’y a juridiquement parlant aucune raison d’appliquer le critère de la « balance des inconvénients » pour refuser à Apotex l’ordonnance qu’elle sollicite. Examinons maintenant si le projet de loi C-91 et le Règlement sur les médicaments brevetés ont dépouillé Apotex de son droit acquis à un ADC.

6)         Loi rétroactive ou rétrospective

Merck a soutenu que, si Apotex avait acquis un droit avant le 12 mars 1993, ce droit lui a été retiré par les paragraphes 5(1) et (2) du Règlement sur les médicaments brevetés :

5. (1) Lorsqu’une personne dépose ou, avant la date d’entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d’avis de conformité à l’égard d’une drogue et souhaite comparer cette drogue à une drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard duquel une liste de brevets a été soumise ou qu’elle souhaite faire un renvoi à la drogue citée en second lieu, elle doit indiquer sur sa demande, à l’égard de chaque brevet énuméré dans la liste :

(2) Lorsque, après le dépôt par la seconde personne d’une demande d’avis de conformité mais avant la délivrance de cet avis, une liste de brevets est soumise ou modifiée aux termes du paragraphe 4(5) à l’égard d’un brevet, la seconde personne doit modifier la demande pour y inclure, à l’égard de ce brevet, la déclaration ou l’allégation exigée par le paragraphe (1). [Non souligné dans le texte original.]

Laissant de côté la question de l’effet de la « balance des inconvénients » sur une loi rétrospective, Merck avance trois arguments distincts.

Le premier argument de Merck est un argument de principe. Elle soutient qu’Apotex s’est créée un créneau juridique en obtenant un ADC malgré les dispositions législatives actuelles. Merck prétend aussi qu’Apotex tente en réalité d’obtenir l’aide de la Cour pour faciliter la contrefaçon d’un brevet. (L’illégalité n’a pas été invoquée comme fin de non-recevoir en equity à l’octroi de la réparation sollicitée.) Les paragraphes pertinents de l’exposé de Merck portent (exposé des faits et du droit des appelantes, paragraphes 87 à 89) :

[traduction] 87. Les tribunaux n’ont pas oublié de tenir compte des droits découlant d’un brevet lorsqu’ils examinaient les ADC, même en fonction de l’ancienne loi. Les ADC et les droits de brevet n’ont jamais fait partie de domaines juridiques isolés et non liés. Lorsque l’ancienne loi s’appliquait, les tribunaux ont constamment souligné que c’était la licence obligatoire qui avait une incidence sur les droits des titulaires de brevets et que l’ADC ne faisait que permettre à la société pharmaceutique de produits génériques d’exercer ses droits en vertu de la licence obligatoire. La Cour est clairement en présence d’un cas où le Parlement a établi un lien entre les ADC et la protection des droits découlant d’un brevet, et où on sollicite son aide pour faciliter la contrefaçon d’un brevet.

88. Ni le ministre (ni la Cour) ne devrait fermer les yeux sur le fait que, depuis le 4 février 1993, les dispositions relatives aux « licences obligatoires » ont été abrogées et qu’il a été directement et expressément question des « droits de propriété » des titulaires de brevet comme Merck dans le projet de loi C-91 et dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Le Parlement pouvait difficilement indiquer plus clairement le mal qu’il voulait corriger dans ces textes législatifs.

89. Apotex cherche à se créer un créneau juridique entre l’ancien régime légal (lorsque les droits découlant d’un brevet étaient examinés en fonction des dispositions relatives aux licences obligatoires) et le régime actuel (où la délivrance d’un ADC est liée à la protection du brevet). Le président et directeur général d’Apotex, Bernard Sherman, a déclaré à maintes reprises dans son témoignage qu’il a l’intention de vendre l’énalapril partout au Canada dès que possible, sans égard au fait que le brevet de Merck n’expirera pas avant le 16 octobre 2007.

Bien que les ADC et les droits découlant d’un brevet soient liés, ils n’ont jamais dépendu mutuellement les uns les autres. L’un des objectifs du régime d’octroi de licences obligatoires était d’éviter les litiges longs et coûteux relativement à la contrefaçon possible d’un brevet à la condition que la société de produits génériques accepte de verser des redevances. Cependant, cela ne nous amène pas inévitablement à conclure que tous les produits génériques contrefont des brevets. À mon avis, tout ce que l’on peut dire est que l’Apo-Enalapril est une drogue « sans danger ». Refuser le mandamus en se fondant sur l’argument invoqué par Merck équivaudrait essentiellement à préjuger de la question du brevet.

En fait, Merck tente d’obtenir une injonction interlocutoire contre Apotex relativement à la contrefaçon possible d’un brevet sans avoir à remplir les conditions légales préalables pour l’octroi d’une telle réparation. (L’interprétation qui sera accordée à l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés est une toute autre question.) Dans les circonstances, on ne peut raisonnablement considérer qu’une ordonnance de mandamus est un moyen qui « facilite » la contrefaçon du brevet. La Cour ne devrait pas refermer le créneau juridique en ne tenant pas compte du fait que le Parlement avait à sa disposition un moyen législatif efficace pour retirer à Apotex ce que la loi considère comme un droit acquis. Elle ne devrait pas non plus fermer les yeux sur l’existence des recours juridiques habituels permettant de contrecarrer la contrefaçon d’un brevet.

Le deuxième argument de Merck repose sur l’hypothèse que le Règlement sur les médicaments brevetés est de nature « procédurale ». Certes, si c’est le cas, il est alors évident que c’est le nouveau régime légal qui s’appliquerait à la PDN d’Apotex; voir Howard Smith Paper Mills Ltd. et al. v. The Queen, [1957] R.C.S 403, le juge Cartwright, aux pages 419 et 420, citant et endossant lord Blackburn dans l’arrêt Gardner v. Lucas (1878), 3 App. Cas. 582 (H.L.), à la page 603. Toutefois, nous devons décider [traduction] « non seulement si le texte touche la procédure, mais aussi s’il ne touche que la procédure, sans toucher les droits fondamentaux des parties » : DeRoussy v. Nesbitt (1920), 53 D.L.R. 514 (C.A. Alb.), à la page 516, le juge en chef Harvey, cité et endossé dans Angus c. Sun Alliance compagnie d’assurance, [1988] 2 R.C.S. 256, à la page 265, le juge La Forest.

En l’espèce, il ne s’agit pas d’un règlement touchant en soi la procédure. La fixation d’un critère voulant qu’un ADC ne peut être délivré relativement à une PDN liée à un brevet constitue manifestement un changement de fond dans la loi et elle est donc assujettie aux règles d’interprétation législative applicables aux lois visant à modifier des droits acquis.

Le troisième argument de Merck est que la portée projetée du paragraphe 5(1) est claire. Si cette hypothèse est valide, il en résulte nécessairement qu’il n’y a pas lieu d’invoquer les principes d’interprétation législative conçus pour aider à l’interprétation des textes législatifs ambigus. Merck cherche à éviter l’application de la présomption de la non-rétroactivité des lois et de la présomption relative à la non-interférence dans les droits acquis qui « s’appliqu[ent] seulement lorsque la loi est d’une quelconque façon ambiguë et logiquement susceptible de deux interprétations »; Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 282, le juge Dickson (tel était alors son titre). À mon avis, les paragraphes 5(1) et (2) n’ont pas manifestement pour objet de dépouiller des personnes de leurs droits acquis. Ils sont au mieux ambigus.

À ce stade, deux méthodes s’offrent pour trancher le présent litige. La première demande une analyse approfondie des règles de droit applicables à la rétroactivité. Il est essentiel pour cette analyse de faire une distinction entre le principe de la non-rétroactivité des lois et celui de la non-interférence dans les droits acquis. Il est désormais bien établi qu’un texte législatif qui produit son effet dans l’avenir mais qui, en même temps, empiète sur des droits acquis ou y porte atteinte n’est pas nécessairement rétroactif. Ces distinctions ont été examinées dans trois arrêts de la Cour suprême[13] : Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Le ministre du Revenu national, précité; Procureur général du Québec c. Tribunal de l’expropriation et autres, [1986] 1 R.C.S. 732; et Venne c. Québec (Commission de protection du territoire agricole), [1989] 1 R.C.S. 880 (voir aussi Lorac Transport Ltd. c. Atra (Le), [1987] 1 C.F. 108 (C.A.), le juge Hugessen, à la page 117). La seconde méthode est beaucoup plus simple et conforte mon opinion que, compte tenu des circonstances de l’espèce, les deux présomptions s’appliquent et que le Parlement n’avait pas l’intention que les paragraphes 5(1) et (2) du Règlement sur les médicaments brevetés empiètent sur des droits acquis.

À titre d’exemple, supposons que le paragraphe 5(1) s’applique expressément à tous les ADC « en cours de traitement », y compris à ceux sur lesquels les requérantes ont un droit acquis. Nul ne peut contester que le Parlement a le pouvoir d’adopter une loi rétroactive, dépouillant ainsi des personnes d’un droit acquis. Il est également clair, toutefois, que le Règlement sur les médicaments brevetés ne peut retirer des droits acquis à moins que les dispositions législatives habilitantes, c’est-à-dire la Loi sur les brevets ou le projet de loi C-91, autorisent implicitement ou explicitement de tels empiètements; voir Côté, précité, à la page 145. La Cour suprême a fait sienne cette méthode d’interprétation des textes réglementaires dans l’arrêt P.G. de la Colombie-Britannique et autre c. Parklane Private Hospital Ltd., [1975] 2 R.C.S. 47, à la page 60, le juge Dickson (tel était alors son titre) :

Si le décret 4400 est intra vires, il pourrait servir à éteindre rétroactivement l’entière réclamation de Parklane, mais à mon avis il ne peut avoir cet effet-là. Le lieutenant-gouverneur en conseil a le pouvoir de faire des règlements aux fins de mettre à effet les dispositions contenues dans la loi, mais rien qui soit expressément ou par implication nécessaire contenu dans la loi n’autorise de porter rétroactivement atteinte par règlement à des droits et obligations existants. [Non souligné dans le texte original.]

C’est une chose que d’essayer dans une disposition d’une loi du Parlement de porter atteinte à des droits acquis et c’en est une autre que de tenter de faire de même dans un paragraphe d’un règlement. Sauf une exception, je ne peux trouver dans le projet de loi C-91 de dispositions permettant expressément que des règlements portent atteinte à des droits acquis ou existants. Certes, le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, la disposition permettant de prendre des règlements, ne permet ni expressément ni implicitement que des règlements rétroactifs soient pris. Cela explique pourquoi le rédacteur législatif n’a pas formulé le paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés de manière à englober toutes les PDN « en cours de traitement » en mentionnant expressément celles sur lesquelles le requérant avait obtenu un droit acquis. Selon moi, le rédacteur savait qu’un tel libellé outrepasserait les pouvoirs du gouverneur en conseil.

Par contre, le paragraphe 12(1) du projet de loi C-91 éteint expressément toutes les licences obligatoires accordées après le 20 décembre 1991. Tout comme le juge de première instance, je suis amené à conclure que le Parlement pourrait avoir fait la même chose pour les PDN « en cours de traitement ». Une interprétation fondée sur l’objet du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés ainsi qu’une appréciation de la règle ejusdem generis d’interprétation législative indiquent que ce paragraphe ne s’applique qu’aux PDN qui n’en étaient pas encore au stade où le pouvoir discrétionnaire du ministre avait été épuisé le 12 mars 1993.

7)         La compétence de la Cour

La dernière question qui se pose est celle de savoir si la disposition attributive de prépondérance figurant dans le projet de loi C-91 a supprimé le pouvoir de la Cour de faire droit à un contrôle judiciaire. Le paragraphe 55.2(5) [de la Loi sur les brevets] porte :

55.2

(5) Une disposition supplémentaire prise sous le régime du présent article prévaut sur toute disposition législative ou réglementaire fédérale divergente. [Non souligné dans le texte original.]

Merck a expliqué brièvement son nouvel argument dans son exposé (aux paragraphes 91 à 95 inclusivement) :

[traduction] 91. Comme nous l’avons examiné plus haut, le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) s’applique expressément aux demandes d’ADC pendantes devant le ministre le 12 mars 1993.

92. Dès le 12 mars 1993, le Parlement avait mis en place une nouvelle procédure régissant les litiges relatifs à la délivrance ou à la non-délivrance des ADC. Cette nouvelle procédure est prévue aux articles 6 et 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

93. La Loi sur la Cour fédérale tire son fondement constitutionnel de l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui vise à assurer « la meilleure administration des lois du Canada ».

94. L’interdiction à l’art. 7 du Règlement de délivrer un ADC tant que la procédure prévue aux art. 6 et 8 dudit Règlement n’aura pas été suivie est tout autant « une loi du Canada » que l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale. En fait, et ce qui est plus important, le Parlement a déclaré au par. 55.2(5) du Règlement [sic] que l’interdiction prévue dans le Règlement prévaut sur l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale et sur toute autre loi fédérale.

95. En conséquence, lorsque la présente affaire a été entendue le 21 juin 1993, la Cour n’était pas plus habilitée à accorder un mandamus obligeant le ministre à délivrer un ADC que le ministre n’avait le pouvoir de délivrer un ADC et ce, en raison de l’interdiction figurant à l’art. 7 du Règlement.

Je ne vois pas comment on peut affirmer que le paragraphe 55.2(5) ou tout autre règlement pris en vertu de cet article prévaut sur l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch-8, art. 4)] : voir en général l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), précité, le juge La Forest, aux pages 38 et 39. Dois-je présumer que la Cour suprême du Canada, étant un tribunal créé par la loi, n’a pas non plus compétence en l’espèce? La réponse à cet argument est évidente. Il n’y a pas de question de prépondérance. On nous a demandé de déterminer si le Règlement sur les médicaments brevetés s’applique. Le paragraphe 55.2(5) ne peut pas être interprété comme une clause privative protégeant le ministre et les dispositions législatives pertinentes contre un contrôle judiciaire. Cet argument est dénué de fondement.

CONCLUSION

L’appel et l’appel incident devraient être rejetés avec dépens.

Le juge Mahoney, J.C.A. : Je soucris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] Le 5 janvier 1993, Apotex a tenté en vain d’obtenir que la Cour fédérale du Canada interdise au Parlement d’adopter le projet de loi.

[2] Le 20 septembre 1991, Merck a poursuivi Apotex parce que cette dernière exportait de l’énalapril aux États-Unis et dans les Caraïbes. Cette action en contrefaçon de brevet est encore pendante.

[3] En appel, Apotex a invité la Cour à conclure du refus du ministre de communiquer le contenu de ces avis qu’ils corroboraient sa position juridique. Je souhaite seulement signaler que je peux imaginer de nombreuses raisons valables pour lesquelles le ministre ne souhaite peut-être pas qu’un avis juridique soit communiqué, que celui-ci soit favorable ou défavorable aux parties au litige.

[4] Je pense qu’il est important de signaler que, lorsque l’avocat du ministre a demandé l’ajournement, il ignorait que le Règlement sur les médicaments brevetés entrerait en vigueur le 12 mars 1993. Personne n’a laissé entendre le contraire, pas même l’avocat d’Apotex.

[5] Je sais toutefois qu’Apotex a fait allusion à cette question; voir l’exposé de l’appel incident d’Apotex, p. 6, sous-alinéas 8c)(vi) et (vii).

[6] Habituellement, la règle est qu’un mandamus ne peut être accordé relativement à une obligation envers la Couronne. Historiquement, on a considéré que cette question concernait la qualité pour présenter une demande de mandamus. Au fil des ans, la Cour suprême a considérablement assoupli les conditions de la qualité pour agir; voir les arrêts Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607. Pour un examen de l’application de ces arrêts aux procédures de mandamus, voir l’arrêt Distribution Canada Inc. c. M.R.N., précité, le juge Desjardins, J.C.A., aux p. 38 et 39.

[7] Ces alinéas de la Loi d’interprétation ont une portée plus étroite que les principes de common law qu’elle reconnaît : voir P.-A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd. (Montréal : Yvon Blais, 1990), à la page 85.

[8] Merck a contesté énergiquement l’application au présent appel des art. 43c) et 44c) de la Loi d’interprétation. Elle a soutenu que, étant donné que le Règlement sur les médicaments brevetés est un texte législatif plutôt qu’une abrogation, les dispositions de la Loi d’interprétation qui sont censées concerner l’abrogation ne sont pas pertinentes. À mon avis, la modification d’une loi par l’ajout d’un critère équivaut à l’abrogation et au remplacement des critères antérieurs. L’art. 10 de la Loi d’interprétation indique que le fond l’emporte sur la forme.

[9] On peut alléguer que l’arrêt Pfizer ébranle la qualité de Merck pour demander une ordonnance de prohibition. Dans cet arrêt, Pfizer, société pharmaceutique innovatrice, a cherché à faire annuler par la Cour la décision du ministre de délivrer un ADC à Apotex pour la drogue Piroxicam. Apotex a réussi à faire infirmer la demande parce que, notamment, Pfizer n’était pas directement visée par la décision du ministre. Parallèlement, dans l’affaire Glaxo Canada, précitée, la demande présentée par Glaxo afin d’obtenir une injonction interlocutoire interdisant au ministre de délivrer à Apotex un ADC pour la drogue Ranitidine a été rejetée pour défaut de qualité. Il en résulte qu’une personne ne peut faire indirectement ce qu’elle ne peut pas faire directement. En l’espèce, la question de la qualité a peut-être fait l’objet de l’une des nombreuses demandes qui ont précédé l’appel. Compte tenu des circonstances, je présume que Merck a la qualité requise.

[10] Voir aussi le commentaire d’arrêt de Peter P. Mercer, aux p. 248 à 251 [de (1983), 3 Admin. L.R. 248].

[11] Le seul autre cas dont je suis au courant est Haines v. Attorney General of Canada (1979), 32 N.S.R. (2d) 271 (C.A.). Les faits de cet arrêt sont trop particuliers pour être utilisés dans le présent appel.

[12] Suivant le droit anglais, il ne peut y avoir lieu à mandamus lorsque celui-ci entraînerait le chaos administratif et des problèmes d’ordre public, malgré des précédents contradictoires sur ce point (voir Halsbury’s Laws of England, 4e éd., nouvelle édition, Vol. 1(1) : Administrative Law, par. 130, et les décisions contradictoires regroupées à la note 12).

[13] Notre Cour avait déjà fait cette distinction; voir Northern & Central Gas Corp. c. L’Office national de l’énergie, [1971] C.F. 149 (1re inst.); Le ministre du Revenu national c. Gustavson Drilling (1964) Ltd., [1972] C.F. 92 (1re inst.); et Zong c. Le commissaire des pénitenciers, [1976] 1 C.F. 657 (C.A.).

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