Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2024-01

2002 CFPI 367

Arthur Froom (demandeur)

c.

Le ministre de la Justice (intimé)

Répertorié: Froom c. Canada (Ministre de la Justice) (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Lafrenière-- Toronto, 27 mars et 2 avril 2002.

Extradition -- Requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire de l'arrêté introductif d'instance pris par le ministre de la Justice conformément à l'art. 15 de la Loi sur l'extradition -- L'arrêté introductif d'instance n'est pas assujetti au contrôle judiciaire en l'absence d'allégation de violation des droits constitutionnels, de mauvaise foi ou d'erreur flagrante -- La décision discrétionnaire n'est qu'une étape préliminaire dans le processus, elle n'a pas eu pour effet de nier des droits de justice fondamentale -- Par ailleurs, la Loi sur l'extradition prévoit un régime procédural complet qui dépossède la Cour de sa compétence -- Requête accueillie.

Compétence de la Cour fédérale -- Section de première instance -- Le ministre de la Justice a pris un arrêté introductif d'instance conformément à l'art. 15 de la Loi sur l'extradition -- La Loi sur l'extradition prévoit un régime procédural complet qui dépossède la Cour de sa compétence -- Le législateur a voulu que les cours supérieures provinciales règlent rapidement les procédures d'extradition -- La demande de contrôle judiciaire concernant l'arrêté introductif d'instance est radiée puisqu'elle n'a aucune chance d'être accueillie.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- L'arrêté introductif d'instance pris par le ministre de la Justice conformément à l'art. 15 de la Loi sur l'extradition n'est pas assujetti au contrôle judiciaire -- Il n'est qu'une étape préliminaire dans un processus qui garantit l'équité procédurale à la personne visée -- La décision n'a pas eu pour effet de nier des droits de justice fondamentale -- Une retenue judiciaire est exercée à l'égard de la décision discrétionnaire du ministre, en l'absence d'allégation de violation de droits constitutionnels, de mauvaise foi ou d'erreur flagrante.

Pratique -- Actes de procédure -- Requête en radiation -- Demande de contrôle judiciaire de l'arrêté introductif d'instance pris par le ministre de la Justice conformément à l'art. 15 de la Loi sur l'extradition -- La demande de contrôle judiciaire n'a aucune chance d'être accueillie -- L'arrêté introductif d'instance n'est pas assujetti au contrôle judiciaire -- Le processus qui régit l'audition de la procédure d'extradition constitue un recours subsidiaire amplement adéquat qui dépossède la Cour de sa compétence -- Requête accueillie.

Il s'agit d'une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance pris par le ministre de la Justice. Le paragraphe 15(1) de la Loi sur l'extradition permet au ministre, s'il est convaincu que les conditions prévues à l'alinéa 3(1)a) et au paragraphe 3(3) sont remplies, de prendre un arrêté introductif d'instance. Ces dispositions se rapportent à la durée de l'emprisonnement qui peut être imposé pour les infractions mentionnées dans la demande d'extradition, ou qui reste à purger dans le cas d'une personne déjà condamnée à une peine d'emprisonnement. Le demandeur est un citoyen américain qui habite au Canada. Les États-Unis d'Amérique ont demandé son extradition afin qu'il y subisse son procès, parce qu'il aurait commis des infractions fédérales de fraude. Le ministre a déterminé les infractions punissables au Canada qui correspondent à la conduite alléguée du demandeur, et il a pris l'arrêté introductif d'instance. Le demandeur a été arrêté, mais il a ensuite été libéré après avoir souscrit un engagement.

Les questions en litige consistent à savoir: 1) si la prise de l'arrêté introductif d'instance est susceptible de contrôle judiciaire; et 2) dans le cas où la Cour aurait compétence pour examiner la décision du ministre, si le demandeur a accès à un recours subsidiaire adéquat.

Jugement: la requête doit être accueillie.

Un avis de demande ne devrait être radié que lorsqu'il est «manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli».

1) La décision du ministre de prendre un arrêté introductif d'instance conformément à l'article 15 de la Loi sur l'extradition s'apparente au pouvoir discrétionnaire que le procureur général exerce dans son rôle de poursuivant, par exemple la présentation d'un acte d'accusation. Les deux décideurs sont investis de larges pouvoirs discrétionnaires pour pouvoir remplir efficacement leurs importants devoirs constitutionnels dans le cadre du système de justice pénale. Leur décision, bien qu'importante, n'est qu'une étape préliminaire dans un processus qui garantit l'équité procédurale à la personne visée. En bout de ligne, le décideur est responsable devant le Parlement ou la législature, et non devant les tribunaux. Tout comme le pouvoir discrétionnaire du poursuivant ne devrait pas être susceptible de contrôle judiciaire en l'absence d'une preuve de mauvaise foi, une retenue judiciaire similaire devrait être appliquée à la décision discrétionnaire que le ministre prend en vertu de l'article 15 de la Loi sur l'extradition. Les principes de droit administratif entrent en jeu uniquement lorsque la décision a une incidence sur les droits fondamentaux, les privilèges ou les intérêts d'une personne, d'une manière définitive ou importante. La décision du ministre n'a pas eu pour effet de nier des droits de justice fondamentale. Le demandeur a conservé le droit de contester la validité et la suffisance de l'arrêté dans le cadre du processus d'extradition. En l'absence de toute allégation de violation de droits constitutionnels, ou de toute conduite pouvant être interprétée comme une preuve de mauvaise foi ou d'erreur flagrante de la part du ministre, l'arrêté introductif d'instance n'est pas une décision assujettie au contrôle judiciaire.

2) Par ailleurs, la Loi sur l'extradition prévoit un régime procédural complet qui dépossède la Cour de sa compétence. Le processus qui régit l'audition de la demande d'extradition, processus comprenant le droit d'interjeter appel, le droit de présenter des observations au ministre et le droit de demander la révision judiciaire de l'ordonnance d'extradition prise par le ministre, constitue un recours subsidiaire amplement adéquat. Le législateur a voulu que les cours supérieures provinciales règlent rapidement les procédures d'extradition afin que le Canada puisse s'acquitter promptement de ses obligations internationales. La procédure d'extradition envisagée dans la Loi sur l'extradition constitue non seulement un cadre subsidiaire approprié, mais il est le seul dont le demandeur dispose pour présenter les questions soulevées en l'espèce. La demande de contrôle judiciaire n'a aucune chance d'être accueillie.

lois et règlements

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 18.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

Loi sur l'extradition, L.C. 1999, ch. 18, art. 3(1)a), (3), 15(1).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 384.

jurisprudence

décisions appliquées:

David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588; (1994), 58 C.P.R. (3d) 209; 176 N.R. 48 (C.A.); R. c. Baptiste, [2000] O.J. no 528 (C.S.J.) (QL); Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 288 N.R. 8 (C.A.F.).

décision examinée:

Federal Republic of Germany v. Schreiber, [2000] O.J. no 2618 (C.S.J.) (QL).

REQUÊTE en radiation de la demande de contrôle judiciaire de l'arrêté introductif d'instance pris par le ministre conformément à l'article 15 de la Loi sur l'extradition. Requête accueillie.

ont comparu:

Lorne Waldman et David B. Cousins pour le demandeur.

Dale L. Yurka, M. Sean Gaudet, et Lara M. Speirs pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

David B. Cousins, Toronto, et Jackman, Waldman & Associés, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

Le protonotaire Lafrenière:

Introduction

[1]Il s'agit d'une requête présentée par l'intimé, le ministre de la Justice (le ministre), pour obtenir une ordonnance visant à radier l'avis de demande délivré le 13 novembre 2001, sans autorisation de le modifier, et un jugement rejetant la demande avec dépens en faveur du ministre.

[2]À titre subsidiaire, le ministre sollicite une ordonnance visant à radier certains paragraphes de l'avis de demande et de l'affidavit du demandeur, en plus d'une autorisation permettant de déposer des affidavits de l'intimé après le délai prescrit dans les Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] et d'une ordonnance visant à gérer la demande à titre d'instance à gestion spéciale conformément à la règle 384.

[3]Les parties ont convenu à l'audience qu'il serait plus efficace d'attendre qu'il soit statué sur la demande du ministre de radier la demande principale, avant d'examiner le recours subsidiaire. Les observations des avocats ont donc été limitées à la question de savoir si l'avis de demande devait être radié en entier. Les autres mesures sollicitées par le ministre ont été reportées jusqu'à qu'une décision soit rendue sur cette question.

Faits

[4]Le demandeur Arthur Froom (Froom) a présenté une demande de contrôle judiciaire le 13 novembre 2001 relativement à l'arrêté introductif d'instance pris le 3 juillet 2001 par le ministre conformément au paragraphe 15(1) de la Loi sur l'extradition [L.C. 1999, ch. 18] (l'arrêté introductif d'instance). Barbara Kothe, avocate au sein du Groupe d'entraide internationale du ministère de la Justice, a signé l'arrêté.

[5]Le pouvoir discrétionnaire du ministre de prendre un arrêté introductif d'instance est prévu au paragraphe 15(1) de la Loi sur l'extradition:

15. (1) Le ministre peut, après réception de la demande d'extradition, s'il est convaincu qu'au moins une infraction satisfait aux conditions prévues à l'alinéa 3(1)a) et au paragraphe 3(3), prendre un arrêté introductif d'instance autorisant le procureur général à demander au tribunal, au nom du partenaire, la délivrance de l'ordonnance d'incarcération prévue à l'article 29.

[6]L'alinéa 3(1)a) et le paragraphe 3(3) de la Loi sur l'extradition disposent:

3. (1) Toute personne peut être extradée du Canada, en conformité avec la présente loi et tout accord applicable, à la demande d'un partenaire pour subir son procès dans le ressort de celui-ci, se faire infliger une peine ou y purger une peine si:

a) d'une part, l'infraction mentionnée dans la demande est, aux termes du droit applicable par le partenaire, sanctionnée, sous réserve de l'accord applicable, par une peine d'emprisonnement ou une autre forme de privation de liberté d'une durée maximale de deux ans ou plus ou par une peine plus sévère;

[. . .]

(3) Sous réserve de l'accord applicable, l'extradition de la personne déjà condamnée à une peine d'emprisonnement ou autre forme de privation de liberté ne peut être accordée que s'il reste au moins six mois de la peine à purger ou s'il reste une peine plus sévère à purger.

[7]La prise de l'arrêté introductif d'instance constitue la première étape du processus d'extradition, lequel peut se conclure par un arrêté que le ministre prend pour ordonner l'extradition vers le partenaire.

[8]Froom est un citoyen américain et il habite actuellement au Canada. Par note diplomatique en date du 28 juin 2001, les États-Unis d'Amérique ( les É.-U.), signataires d'un accord d'extradition avec le Canada, ont demandé que Froom soit extradé pour subir son procès aux É.-U. parce qu'il aurait commis des infractions fédérales de fraude, dont la fraude postale et la participation à des opérations portant sur des biens provenant d'activités criminelles.

[9]Le 3 juillet 2001, le ministre de la Justice a pris un arrêté introductif d'instance autorisant le procureur général du Canada (le procureur général) à demander la délivrance d'une ordonnance pour l'incarcération de Froom. Les infractions punissables au Canada qui, selon le ministre, correspondent à la conduite alléguée de Froom aux É.-U. sont décrites de la manière suivante dans l'arrêté:

[traduction]

1)  complot en vue de commettre une fraude, contrairement aux articles 380 et 465(1)c) du Code criminel;

2)  fraude, contrairement à l'article 380 du Code criminel;

3)  complot en vue de recycler les produits de la criminalité, contrairement aux articles 462.31 et 465(1)c) du Code criminel;

4)  recyclage des produits de la criminalité, contrairement à l'article 462.31 du Code criminel

[10]Froom a été arrêté le 11 septembre 2001 à la suite d'une requête ex parte présentée par le procureur général du Canada devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario. Il a ensuite été libéré après avoir souscrit un engagement de fournir un dépôt en espèces de 25 000 $ et une caution de 20 000 $.

[11]On a remis l'arrêté introductif d'instance à l'avocat de Froom le 12 septembre 2001. Dans l'affidavit au soutien de sa demande, Froom allègue avoir pris connaissance de l'arrêté seulement le 23 octobre 2001, lorsqu'il a examiné le contenu du dossier de requête utilisé par le ministère de la Justice aux fins de la requête ex parte.

[12]Le 18 octobre 2001, la Cour supérieure de justice a reporté les procédures d'extradition après que l'avocat de Froom ait demandé la divulgation d'autres éléments. L'affaire est maintenant reportée devant le juge d'extradition le 3 mai 2002, vraisemblablement pour fixer une date d'audition pour la demande d'extradition.

[13]Dans son avis de demande, Froom sollicite une ordonnance visant à annuler l'arrêté introductif d'instance, ainsi qu'un jugement déclaratoire indiquant que l'arrêté est invalide et qu'il n'a aucun effet juridique. Froom allègue en particulier que, contrairement au paragraphe 15(1) de la Loi sur l'extradition, le ministre n'était pas convaincu qu'on avait satisfait aux conditions prévues à l'alinéa 3(1)a) et au paragraphe 3(3), que la délégation de son rôle de prendre l'arrêté introductif d'instance n'était pas régulière et que le ministre n'a pas décrit adéquatement les infractions qui lui sont reprochées.

[14]Au paragraphe 26 de son affidavit fourni au soutien de la demande, soit l'un des nombreux paragraphes que le ministre demande de radier, Froom explique de la manière suivante pourquoi il sollicite l'intervention de la Cour à ce stade-ci:

[traduction] 26. Il est loisible à la Cour de conclure qu'aucune analyse minimale de l'affaire n'a même été faite par une quelconque autorité canadienne au moment où a eu lieu la prise de l'arrêté introductif d'instance dans mon dossier. Les efforts et la dépense à fournir pour la défense contre mon extradition ne devraient pas m'être imposés à l'avenir puisque la preuve probante des documents sur lesquels le ministre s'est appuyé pour prendre l'arrêté comporte d'importantes lacunes et que les infractions alléguées dans l'arrêté n'existent pas en droit canadien.

[15]Le 15 novembre 2001, Froom a également introduit une action devant notre Cour par laquelle il sollicite un jugement déclaratoire portant que l'arrêté introductif d'instance est invalide, des dommages- intérêts, et des injonctions provisoire et permanente interdisant au procureur général du Canada et au ministre de procéder à l'instruction de son extradition. Dans sa déclaration, Froom allègue qu'il a revendiqué le statut de réfugié au Canada en avril 1998 en invoquant [traduction] «la persécution politique que subissent des professionnels du domaine médical et du domaine de la santé, de la part de puissants lobbyistes en matière d'assurance qui se servent du ministère de la Justice des États-Unis et d'organismes fédéraux pour éviter d'avoir à payer des réclamations légitimes, qui créent un climat de crainte d'être persécuté du fait de simples conflits au sujet de la facturation, par exemple concernant la nécessité, pour des raisons médicales, de retirer des lésions ou de faire des injections pour traiter des varices». Froom fait actuellement l'objet d'une ordonnance conditionnelle d'expulsion datée du 17 octobre 2001.

Observations des parties

[16]Les parties conviennent que le critère juridique applicable à la radiation d'un avis de demande est énoncé dans l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, où la Cour d'appel fédérale souligne que la Cour ne devrait radier un avis de demande que lorsqu'il est «manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli».

[17]Le ministre invoque deux principaux motifs qui, selon lui, justifient la radiation de la demande dès son introduction. En premier lieu, la prise d'un arrêté introductif d'instance n'est pas une décision susceptible de contrôle judiciaire puisqu'elle s'apparente au pouvoir discrétionnaire qu'exerce le procureur général dans son rôle de poursuivant. En deuxième lieu, même si notre Cour a compétence pour examiner la décision du ministre, elle devrait refuser de le faire étant donné que Froom a accès à un recours subsidiaire adéquat. Selon le ministre, le débat sur les questions soulevées dans la demande doit s'inscrire dans le cadre de la Loi sur l'extradition, laquelle prévoit un code de procédure complet applicable au processus d'extradition.

[18]Selon l'avocat de Froom, dans le contexte de la Loi sur l'extradition, les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire sont nouvelles et n'ont pas été examinées par cette Cour auparavant. À ce titre, dit-il, la demande de contrôle judiciaire ne peut être considérée comme frivole ou vexatoire et devrait suivre son cours. L'avocat maintient qu'en prenant l'arrêté introductif d'instance, le ministre exerçait une fonction quasi judiciaire, par opposition à une fonction purement discrétionnaire, et qu'en conséquence la décision est susceptible de contrôle judiciaire. Bien qu'il reconnaisse que la question principale dans la présente requête est de savoir s'il existe un recours subsidiaire adéquat pour traiter des questions soulevées dans la demande, il conteste la prétention du ministre selon laquelle un tel recours est prévu dans le cadre du processus d'extradition. Vu la compétence légale restreinte du juge d'extradition, l'avocat invite la Cour à conclure qu'il n'est pas certain que les questions soulevées dans la demande puissent être régulièrement examinées à l'audition de la demande d'extradition et, plus particulièrement, les motifs énoncés aux paragraphes (i) à (viii) de l'avis de demande.

Analyse

[19]Le processus d'extradition comporte deux phases distinctes--la phase judiciaire et la phase ministérielle. La phase judiciaire est celle où un tribunal détermine si l'extradition est justifiée sur les plans factuel et juridique. Elle a trait à la suffisance de la preuve au dossier.

[20]La phase ministérielle consiste en l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre à deux périodes distinctes, soit au début et à la fin du processus d'extradition. Au stade initial, le ministre est appelé à exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider s'il y a lieu de prendre un arrêté introductif d'instance conformément au paragraphe 15(1) de la Loi sur l'extradition. Le juge Watt explique le processus de façon succincte dans Federal Republic of Germany v. Schreiber, [2000] O.J. no 2618 (C.S.J.) (QL), aux paragraphes 60 à 65:

[traduction] D'un point de vue temporel, le rôle que joue le ministre comprend celui du juge de la Cour supérieure. Le ministre reçoit la demande d'extradition de la part du partenaire. La responsabilité légale du ministre sous le régime de l'art. 7 de la Loi est de traiter la demande. Il appartient au ministre de décider s'il autorisera le procureur général à présenter la demande d'un mandat d'arrestation provisoire. En outre, il appartient au ministre de dire s'il prendra un arrêté introductif d'instance autorisant le procureur général à demander au tribunal, au nom du partenaire, la délivrance de l'ordonnance d'incarcération prévue à l'art. 29 de la Loi.

[. . .]

Le ministre de la Justice est le gardien des intérêts dans la souveraineté canadienne. Au début du processus, son rôle consiste à s'assurer que la demande d'extradition du partenaire est conforme est à Loi et au traité qui s'applique. Il est bien possible que sa décision, bien que de nature politique, touche à des questions de droit étranger qui se situent au-delà de l'autorité du juge présidant à l'audition de la demande d'extradition.

[21]L'avocat de Froom soutient qu'un arrêté introductif d'instance devrait être susceptible de contrôle judiciaire devant notre Cour à cause de la compétence restreinte du juge d'extradition dans l'examen des contestations se rattachant à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre ou à la validité de ses actes. Je ne partage pas cet avis. La décision du ministre de prendre ou non un arrêté conformément à l'article 15 de la Loi sur l'extradition s'apparente au pouvoir discrétionnaire que le procureur général exerce dans son rôle de poursuivant, par exemple la présentation d'un acte d'accusation. Les deux décideurs sont investis de larges pouvoirs discrétionnaires pour pouvoir remplir efficacement leurs importants devoirs constitutionnels dans le cadre du système de justice pénale. Leur décision, bien qu'importante, n'est qu'une étape préliminaire dans un processus qui garantit l'équité procédurale à la personne visée. En bout de ligne, le décideur est responsable devant le Parlement ou la législature, et non devant les tribunaux.

[22]Dans un contexte de droit pénal, les tribunaux hésitent à examiner les actes ou la conduite des poursuivants qui s'appuient sur de solides principes de politique générale et le bon sens. Dans R. v. Baptiste, [2000] O.J. no 528 (C.S.J.) (QL), le juge McKinnon a conclu qu'en l'absence d'une preuve de mauvaise foi, le pouvoir discrétionnaire du poursuivant ne devrait pas être susceptible de contrôle judiciaire. Il a également conclu que les principes de droit administratif entrent en jeu uniquement lorsque la décision a une incidence sur les droits fondamentaux, les privilèges ou les intérêts d'une personne, d'une manière définitive ou importante. Des extraits pertinents de ses motifs sont reproduits ci-dessous, aux paragraphes 29 et 30, 52:

[traduction] Permettre qu'on importe des principes de droit administratif dans l'environnement propre aux poursuites de droit pénal mérite qu'on s'attarde aux répercussions possibles d'une telle politique. Un nombre illimité de décisions seraient susceptibles de contrôle judiciaire, y compris la décision de poursuivre ou de ne pas poursuivre une personne; la décision d'interjeter appel ou de ne pas interjeter appel dans une affaire donnée; la décision de mener ou de ne pas mener une autre enquête dans une affaire donnée; la décision de retirer ou de ne pas retirer une accusation en particulier; la décision de suspendre une instance ou de ne pas la suspendre; la décision de procéder par voie d'acte d'accusation ou par voie sommaire; la décision d'utiliser un recours autre qu'un recours de droit pénal pour régler un dossier donné ou d'utiliser un recours de droit pénal.

On voit immédiatement que le fait d'importer des principes de droit administratif et de les appliquer aux fonctions décisionnelles que le poursuivant exerce quotidiennement aurait effectivement pour résultat de paralyser entièrement l'administration de la justice pénale. Ces décisions sont prises à une fréquence indiscutable dans tous les bureaux des avocats de la Couronne et dans toutes les salles d'audience de l'univers de la common law, à chaque minute, à chaque heure, et à tous les jours. Les rouages mêmes du pouvoir discrétionnaire du poursuivant rendent le contrôle judiciaire singulièrement inapproprié. Dans la mesure où ces décisions ont une incidence sur les intérêts des accusés dans le processus pénal, elles sont susceptibles de révision lors du procès. C'est au procès que les garanties procédurales habituelles ayant une incidence sur les droits des accusés entrent en jeu.

[. . .]

À moins de mauvaise foi de la part de la Couronne, le tribunal n'offrira aucun secours à l'accusé qui se plaint de la manière dont la Couronne a exercé son pouvoir discrétionnaire.

[23]Il s'ensuit qu'on devrait appliquer une retenue judiciaire similaire à la décision discrétionnaire que le ministre prend en vertu de l'article 15 de la Loi sur l'extradition. La ministre, à l'époque, devait être convaincue qu'au moins l'une des infractions mentionnées dans la demande d'extradition des É.-U. satisfaisait aux conditions prévues à l'alinéa 3(1)a) et au paragraphe 3(3). Sa décision de prendre un arrêté introductif d'instance n'a pas eu pour effet de priver Froom de ses droits de justice fondamentale, ce dernier conservant le droit de contester la validité et la suffisance de l'arrêté dans le cadre du processus d'extradition. En l'absence de toute allégation de violation des droits constitutionnels de Froom, ou de toute conduite pouvant être interprétée comme une preuve de mauvaise foi ou d'erreur flagrante de la part du ministre, je conclus que l'arrêté introductif d'instance n'est pas une décision assujettie au contrôle judiciaire.

[24]Par ailleurs, même si la décision de prendre l'arrêté était susceptible de contrôle judiciaire, je suis convaincu que la Loi sur l'extradition prévoit un régime procédural complet qui dépossède notre Cour de sa compétence. Saisi d'un arrêté introductif d'instance, le juge d'extradition, qui est également juge de cour supérieure, est tenu de procéder à l'audition de la demande d'extradition afin de déterminer si la personne doit être incarcérée jusqu'à sa remise. L'audition d'une demande d'extradition n'est pas un procès criminel, mais s'apparente plutôt à une enquête préliminaire. Lorsqu'une personne est recherchée par le partenaire pour subir son procès, le juge doit décider en particulier si a) la preuve des actes justifierait, si ces actes avaient été commis au Canada, son renvoi à procès au Canada relativement à l'infraction mentionnée dans l'arrêté introductif d'instance, et si b) il est convaincu que la personne qui comparaît est celle qui est recherchée par le partenaire.

[25]Si le juge ordonne l'incarcération de la personne jusqu'à sa remise, celle-ci a le droit d'interjeter appel de l'ordonnance d'incarcération ou de demander sa mise en liberté provisoire. C'est au ministre qu'appartient la décision d'extrader la personne. La personne recherchée a le droit de présenter des observations au ministre concernant toute question pertinente eu égard à la décision. Le ministre ne peut extrader la personne si l'extradition serait injuste ou tyrannique compte tenu de toutes les circonstances, ou si la demande d'extradition est présentée dans le but de poursuivre ou de punir l'intéressé en raison de divers motifs énumérés. La décision du ministre d'extrader la personne peut, malgré l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)], faire l'objet d'une révision judiciaire devant la cour d'appel d'une province.

[26]La prise de l'arrêté introductif d'instance entame donc la phase judiciaire du processus d'extradition dans lequel on accorde à la personne recherchée «toute la gamme des garanties procédurales». La personne recherchée a amplement l'occasion de s'opposer à la preuve que le partenaire présente contre elle lors de l'audition de la demande d'extradition et elle a le droit d'interjeter appel si on ordonne son incarcération en vue de sa remise.

[27]Dans l'arrêt Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 288 N.R. 8, la Cour d'appel a statué que la procédure de renvoi prévue à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29] constituait un recours subsidiaire adéquat qui autoriserait la Cour investie du pouvoir discrétionnaire à rejeter la demande de contrôle judiciaire, laquelle visait l'annulation de l'avis de révocation envisagé. Le même raisonnement s'applique en l'espèce. Le processus qui régit l'audition de la demande d'extradition, processus comprenant le droit d'interjeter appel, le droit de présenter des observations au ministre et le droit de demander la révision judiciaire de l'ordonnance d'extradition prise par le ministre, constitue un recours subsidiaire amplement adéquat.

[28]Le législateur a manifestement voulu que les cours supérieures provinciales règlent rapidement les procédures d'extradition afin que le Canada s'acquitte promptement de ses obligations internationales. Je suis convaincu que la procédure d'extradition envisagée dans la Loi sur l'extradition constitue non seulement un cadre subsidiaire approprié pour l'examen des questions soulevées par Froom dans son avis de demande, mais la seule à sa disposition.

[29]Pour les motifs indiqués précédemment, je conclus que la demande de contrôle judiciaire n'a aucune chance d'être accueillie et doit donc être radiée.

ORDONNANCE

1. L'avis de demande est par la présente radié, sans autorisation de le modifier.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.