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[1994] 2 .C.F 707

A-245-93

Greffier du Conseil privé (appelant)

c.

Ken Rubin (intimé)

Répertorié : Rubin c. Canada (Greffier du Conseil privé) (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Linden et Robertson, J.C.A.—Ottawa, 15 février et 14 mars 1994.

Accès à l’information — Appel d’une ordonnance de la Section de première instance de la Cour fédérale faisant droit à une demande de contrôle judiciaire relativement au refus de divulguer les communications entre le Greffier du conseil privé et le Commissaire à l’information concernant une plainte au sujet de la non-divulgation du taux quotidien de rémunération du président du Conseil des arts du Canada — La communication des observations faites au Commissaire au cours de l’enquête menée sur la plainte a été refusée à l’intimé — Refus fondé sur l’art. 35 de la Loi sur l’accès à l’information — Le juge des requêtes a conclu que cet article ne s’appliquait pas une fois l’enquête terminée — Le droit d’accès prévu par la Loi n’est pas absolu — Le Commissaire à l’information doit assurer la confidentialité des observations faites non seulement pendant l’enquête, mais après — L’art. 35(2) est à interpréter à la lumière de la Loi dans son ensemble — Politique sous-jacente consistant à toujours respecter la confidentialité des renseignements — Le plaignant n’a aucun droit de recevoir la communication des observations se trouvant en la possession de l’appelant — C’est à tort que le juge des requêtes a conclu que les exigences en matière de confidentialité posées à l’art. 35 ne s’appliquaient que pendant la durée de l’enquête.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 13, 14, 15, 16(1)c), 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187), 37, 41, 61, 62, 63 (mod., idem), 64, 65 (mod., idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISION CITÉE :

R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865; [1979] C.T.C. 71; (1979), 79 DTC 5068; 25 N.R. 361.

DOCTRINE

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.

APPEL contre une ordonnance de la Section de première instance ([1993] 2 C.F. 391) faisant droit à une demande, fondée sur l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, visant à obtenir le contrôle judiciaire du refus de l’appelant de divulguer les renseignements demandés par l’intimé. Appel accueilli.

AVOCATS :

Barbara A. McIsaac, c.r., pour l’appelant.

A COMPARU :

Ken Rubin pour lui-même.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

L’INTIMÉ POUR LUI-MÊME :

Ken Rubin, Ottawa.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté contre une ordonnance du 2 mars 1993 [[1993] 2 C.F. 391] par laquelle la Section de première instance a fait droit à la demande de l’intimé fondée sur l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, et visant à obtenir le contrôle judiciaire du refus de l’appelant de lui communiquer les renseignements qu’il avait demandés.

La demande de renseignements en cause a résulté de deux précédentes demandes faites en vertu de la Loi, l’une (108-2/896060) par l’intimé et l’autre (108-2/886055) par M. Don Sellar. L’une et l’autre visaient à faire divulguer le taux quotidien de rémunération d’Allan Gotlieb, qui avait été nommé président du Conseil des arts du Canada par décret [C.P. 1988-2584]. Le refus opposé à ces deux demandes a amené l’intimé et M. Sellar à déposer des plaintes devant le Commissaire à l’information en vertu de l’article 30 de la Loi. Le Commissaire, ayant fait enquête sur les plaintes, a conclu que c’est à bon droit que l’appelant avait refusé. M. Sellar en est resté là. L’intimé a toutefois présenté une demande de révision fondée sur l’article 41 de la Loi. Au moment où a été rendue l’ordonnance contestée, la Section de première instance n’avait pas encore statué sur cette demande[1].

La demande de renseignements en cause dans le cadre du présent appel a été présentée le 1er novembre 1990 et visait à obtenir de l’appelant :

[traduction] Les documents contenant la correspondance et les communications échangées entre vous-mêmes et le Commissaire à l’information ou votre bureau relativement à la plainte que j’ai déposée au sujet des demandes 108-2/896060 et 108-2/886055 du BCP, ainsi que toute note de service, note d’information et correspondance internes.

Le 17 décembre 1990, la demande a été refusée au motif que, suivant l’article 35 de la Loi, l’intimé n’avait aucun droit à la communication des observations faites au Commissaire à l’information au cours de l’enquête menée sur une plainte. Le 20 décembre 1990, l’intimé a déposé devant le Commissaire une plainte relative à ce second refus. Le Commissaire à l’information a dûment fait enquête sur la plainte et, par lettre datée du 8 octobre 1991, a informé l’intimé que la Loi autorisait l’appelant à refuser la demande et que le refus était en conséquence bien fondé. Pour tirer cette conclusion, le Commissaire à l’information s’est demandé si le refus relevait légitimement des exceptions énoncées à l’alinéa 16(1)c) et à l’article 35 de la Loi. Il a examiné les arguments en faveur de la communication ainsi que ceux militant contre la communication, en insistant particulièrement sur l’intégrité du processus d’enquête, laquelle, d’après lui, exigeait que les personnes concernées par une plainte [traduction] « aient la certitude que les observations présentées au Commissaire restent confidentielles ». D’ajouter le Commissaire, [traduction] « le processus d’enquête sur les plaintes et de règlement de celles-ci serait inefficace sans la franchise et la confiance qu’inspire cette certitude ». Puis, le Commissaire a conclu en disant :

[traduction] À mon avis, le fait que le ministère s’est appuyé sur l’article 35 ne vicie aucunement son refus de vous communiquer les documents que vous avez demandés. On pourrait certes soutenir que l’article 35 ne fait qu’énoncer un motif de refus et qu’il convient en fait que ce refus soit opposé en vertu de l’alinéa 16(1)c), mais je ne vois pas l’utilité d’ergoter sur l’article à invoquer alors que je n’ai aucun doute que la communication des documents a été légalement refusée.

Était en litige devant la Section de première instance la question de l’applicabilité de l’alinéa 16(1)c) et de l’article 35 de la Loi pour justifier la non-divulgation des renseignements demandés. Ces dispositions sont ainsi conçues :

16. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents :

c) contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites, notamment :

(i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée,

(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,

(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête :

35. (1) Les enquêtes menées sur les plaintes par le Commissaire à l’information sont secrètes.

(2) Au cours de l’enquête, les personnes suivantes doivent avoir la possibilité de présenter leurs observations au Commissaire à l’information, nul n’ayant toutefois le droit absolu d’être présent lorsqu’une autre personne présente des observations au Commissaire à l’information, ni d’en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet :

a) la personne qui a déposé la plainte;

b) le responsable de l’institution fédérale concernée;

c) le tiers visé au paragraphe 27(1), si le Commissaire à l’information a l’intention de recommander, en vertu du paragraphe 37(1), la communication d’un document visé au paragraphe 27(1).

Le juge des requêtes a fait un examen assez approfondi de l’application possible de l’alinéa 16(1)c) et de l’article 35. Il a conclu a l’inapplicabilité de l’alinéa 16(1)c) parce que, selon lui, il « se rapporte aux documents relatifs à des cas particuliers ». Quant à l’article 35, il ne conférait à l’intimé aucun droit à la divulgation d’« observations » présentées au Commissaire à l’information au cours d’une enquête, mais, d’après le juge, l’article 35 ne s’appliquait pas une fois l’enquête terminée. Malgré cette opinion, le juge des requêtes a reconnu l’importance de maintenir la crédibilité et l’efficacité du Commissaire à l’information et la nécessité d’assurer en permanence la stricte confidentialité de renseignements fournis à ce dernier dans le cadre de l’enquête sur une plainte. Comme le dit le juge, à la page 403 : « Les intéressés doivent être assurés que le Commissaire à l’information ne divulguera pas les renseignements qui lui sont communiqués ». Selon le juge, l’article 35 était inapplicable à la demande en cause pour les raisons suivantes, énoncées à la page 404 :

Malgré ces remarques et le fait que j’estime que le législateur fédéral voulait que le Bureau du Commissaire à l’information soit un médiateur efficient et efficace dans les différends portant sur l’accès aux renseignements de l’administration fédérale, je ne peux retenir la prétention formulée par l’avocate du BCP en l’espèce.

Le libellé de l’article 35 est clair. L’article 35 ne s’applique qu’« [a]u cours d’une enquête [menée au sujet d’une plainte] ». Il ne renferme aucune disposition expresse ou implicite qui permettrait de penser qu’il s’applique après la clôture d’une enquête menée par le Commissaire. Statuer que l’article 35 est suffisamment large pour exiger la confidentialité même après la conclusion de l’enquête menée par le Commissaire reviendrait à ajouter des mots à l’article en question.

Les questions qui se posent dans le cadre du présent appel sont d’abord celle de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur en limitant à la période que dure l’enquête l’application des exigences en matière de confidentialité posées à l’article 35 de la Loi, et, ensuite, celle de savoir s’il a commis une erreur en refusant d’appliquer l’alinéa 16(1)c) de la Loi à l’ensemble de l’enquête menée par le Commissaire à l’information.

En abordant ces questions, il convient de se rappeler le régime général établi par la Loi dans la mesure où il se rapporte aux questions en litige. L’objet de la Loi se trouve énoncé au paragraphe 2(1) :

2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

Le paragraphe 4(1) confère, dans les termes suivants, un droit fondamental à l’accès aux documents :

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents des institutions fédérales et peuvent se les faire communiquer sur demande :

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l’immigration.

Il se dégage donc de ces deux paragraphes que la Loi crée un droit d’accès, mais que ce droit n’est pas absolu. Il doit en effet être examiné à la lumière d’autres dispositions de la Loi et des exceptions y prévues, certaines desquelles se trouvent regroupées aux articles 13 à 26.

Les articles 30 à 37 prévoient le dépôt d’une plainte à la suite du refus de communiquer un document, la tenue d’une enquête relativement à cette plainte et le prononcé d’une décision sur celle-ci. C’est le paragraphe 30(1) qui est attributif du droit de formuler une plainte. Aux termes de l’article 31, la plainte doit être déposée dans un délai d’un an à compter de la réception de la demande de communication des renseignements. L’article 32 oblige le Commissaire à l’information à aviser le responsable de l’institution fédérale concernée de son intention d’enquêter et à lui faire connaître l’objet de la plainte. Pour l’instruction des plaintes, le Commissaire à l’information est investi des pouvoirs énumérés à l’article 36 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187], à savoir, entre autres, le pouvoir d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître, à déposer sous serment et à produire des pièces; le pouvoir de faire prêter serment et de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements « par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen » qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux. À l’article 37 se trouvent énoncées les obligations du Commissaire à l’information après qu’il a rendu sa décision sur une plainte. D’une manière générale, il est tenu, suivant le paragraphe 37(1), de faire un rapport au responsable de l’institution fédérale concernée, et, suivant le paragraphe 37(2), de donner au plaignant un compte rendu. L’article 37 ne semble imposer au responsable de l’institution fédérale aucune obligation de donner suite aux recommandations du Commissaire à l’information. Lorsque le responsable de l’institution fédérale s’obstine à refuser la communication de renseignements dont le Commissaire à l’information a recommandé la divulgation, le plaignant ne peut donc rien faire d’autre que d’exercer un recours en révision devant la Section de première instance en vertu de l’article 41 de la Loi.

Quoique la tâche principale de la Cour en ce qui concerne l’article 35 consiste dans l’interprétation de ses termes, la Loi contient quand même des dispositions qui semblent pouvoir l’aider à s’acquitter de cette tâche. L’appelant attire notre attention sur les articles 61 à 65 qui, d’après lui, traduisent une politique sous-jacente selon laquelle, sauf quelques exceptions, les renseignements reçus par le Commissaire à l’information ou en son nom ne doivent jamais être divulgués, ni pendant qu’une enquête est en cours ni après qu’elle est terminée. Le Parlement s’est donc attaché, à l’article 61, à s’assurer que le Commissaire et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité gardent secrets les renseignements se rapportant à une enquête menée en vertu de la Loi. L’article 61 est ainsi conçu :

61. Le Commissaire à l’information et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité qui reçoivent ou recueillent des renseignements dans le cadre des enquêtes prévues par la présente loi ou une autre loi fédérale sont tenus, quant à l’accès à ces renseignements et leur utilisation, de satisfaire aux normes applicables en matière de sécurité et de prêter les serments imposés à leurs usagers habituels.

L’article 62 paraît interdire encore plus formellement la communication de renseignements reçus, dans l’exercice de leurs pouvoirs et fonctions, par le Commissaire à l’information ou d’autres personnes agissant en son nom ou sous son autorité. L’article 62 dispose comme suit :

62. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à l’information et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans l’exercice des pouvoirs et fonctions que leur confère la présente loi.

Le Commissaire à l’information détient un pouvoir discrétionnaire limité pour ce qui est de la divulgation de renseignements relatifs à des questions administratives, à des infractions liées à l’application de la Loi, à certains types de poursuites pénales et à des recours en révision exercés en vertu de la Loi. C’est ce que prévoit l’article 63 [mod., idem], dont voici le texte :

63. (1) Le Commissaire à l’information peut divulguer, ou autoriser les personnes agissant en son nom ou sous son autorité à divulguer, les renseignements :

a) qui, à son avis, sont nécessaires pour :

(i) mener une enquête prévue par la présente loi,

(ii) motiver les conclusions et recommandations contenues dans les rapports et comptes rendus prévus par la présente loi;

b) dont la divulgation est nécessaire, soit dans le cadre des procédures intentées pour infraction à la présente loi ou pour une infraction à l’article 131 du Code criminel (parjure) se rapportant à une déclaration faite en vertu de la présente loi, soit lors d’un recours en révision prévu par la présente loi devant la Cour ou lors de l’appel de la décision rendue par celle-ci.

(2) Dans les cas où, à son avis, il existe des éléments de preuve touchant la perpétration d’infractions fédérales ou provinciales par un cadre ou employé d’une institution fédérale, le Commissaire à l’information peut faire part au procureur général du Canada des renseignements qu’il détient à cet égard.

L’article 64 insiste sur le soin avec lequel le Commissaire à l’information et d’autres personnes doivent traiter les renseignements lors d’une enquête tenue en vertu de la Loi. Ainsi, l’article 64 oblige le Commissaire à l’information à prendre des précautions raisonnables pour éviter la divulgation de renseignements dans les circonstances suivantes :

64. Lors des enquêtes prévues par la présente loi et dans la préparation des rapports au Parlement prévus aux articles 38 ou 39, le Commissaire à l’information et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité ne peuvent divulguer et prennent toutes les précautions pour éviter que ne soient divulgués :

a) des renseignements qui, par leur nature, justifient, en vertu de la présente loi, un refus de communication totale ou partielle d’un document;

b) des renseignements faisant état de l’existence d’un document que le responsable d’une institution fédérale a refusé de communiquer sans indiquer s’il existait ou non.

En dernier lieu—mais c’est un point qui est tout de même important—, l’article 65 [mod., idem] établit des limites strictes en ce qui concerne la qualité du Commissaire à l’information et des personnes agissant en son nom ou sur son ordre pour témoigner, et en ce qui concerne la possibilité de les y contraindre. L’article 65 dispose en effet :

65. En ce qui concerne les questions venues à leur connaissance dans l’exercice, au cours d’une enquête, des pouvoirs et fonctions qui leur sont conférés en vertu de la présente loi, le Commissaire à l’information et les personnes qui agissent en son nom ou sur son ordre n’ont qualité pour témoigner ou ne peuvent y être contraints que dans les procédures intentées pour infraction à la présente loi ou pour une infraction à l’article 131 du Code criminel (parjure) se rapportant à une déclaration faite en vertu de la présente loi, ou que lors d’un recours en révision prévu par la présente loi devant la Cour ou lors de l’appel de la décision rendue par celle-ci.

L’examen du texte de l’alinéa 16(1)c) et de l’article 35 a permis au juge des requêtes de conclure à leur inapplicabilité. Or, je conviens que c’est le texte de ces dispositions qu’il y a lieu d’interpréter et que l’analyse doit porter principalement sur cette interprétation. Le paragraphe 35(1) énonce on ne peut plus clairement l’intention du législateur : les enquêtes sur les plaintes « sont secrètes ». Par ailleurs, le juge des requêtes a estimé que le paragraphe 35(2) visait à protéger les « observations » présentées au Commissaire à l’information contre la divulgation seulement si elles ont été faites « au cours de l’enquête » elle-même, comme on lit au début de ce paragraphe. Sur ce fondement, le juge des requêtes a pu conclure que le paragraphe en question ne mettait pas ces « observations » à l’abri de la divulgation une fois terminée l’enquête du Commissaire à l’information sur la plainte.

Selon l’appelant, en examinant la construction de la version anglaise du paragraphe 35(2), on se rend compte que les mots par lesquels il commence ne sont pas censés apporter une restriction à la dernière partie du paragraphe, mais servent uniquement à fixer la période pendant laquelle les personnes visées aux alinéas a) à c) « doivent avoir la possibilité de présenter leurs observations ». Comme l’a dit l’avocat, la conjonction « but » (toutefois) dans la disposition finale indique que c’est celle-ci qui est destinée à limiter la portée des mots liminaires du paragraphe, parce que cette conjonction introduit en fait une phrase indépendante liée par le sens, mais non par la forme, aux mots liminaires. Bref, les mots « but no one is entitled as of right … to have access to … representations made to the Commissioner by any other person » (nul n’ayant toutefois le droit absolu … [de] recevoir communication) [des observations présentées au Commissaire par une autre personne] » figurant dans la seconde partie du texte anglais du paragraphe révèlent clairement que le législateur n’a pas voulu qu’il y ait, à quelque moment que ce soit, un droit à la communication des observations faites au cours d’une enquête.

Il existe deux façons de vérifier le bien-fondé de cet argument. La première consiste à considérer le rôle particulier du Commissaire à l’information, qui observe la neutralité vis-à-vis des parties au différend, dont l’une invoque le droit à la divulgation et l’autre en nie l’existence. Le caractère unique du rôle du Commissaire est évoqué par le juge des requêtes, aux pages 403 et 404 de ses motifs :

Une seconde raison qui explique l’existence de l’article 35 semblerait se rapporter au rôle du Commissaire à l’information. Bien qu’il n’ait pas le pouvoir d’ordonner la communication, un Commissaire crédible et efficace devrait avoir un pouvoir de persuasion suffisamment important pour encourager le règlement volontaire des demandes de renseignements qui se trouvent entre les mains de l’administration fédérale. Dans ce contexte, on doit se rappeler que ces renseignements peuvent être soit des renseignements sur l’administration fédérale, soit des renseignements qui concernent des particuliers ou d’autres personnes et qui se trouvent entre les mains de l’administration fédérale.

Un aspect important du développement de cette crédibilité et de cette efficacité est, à mon avis, le respect de la stricte confidentialité des renseignements qui sont communiqués au Commissaire. D’ailleurs, les dispositions de la Loi qui exigent que le Commissaire à l’information assure de façon permanente la stricte confidentialité des renseignements qui lui sont communiqués appuient cette conclusion. Les intéressés doivent être assurés que le Commissaire à l’information ne divulguera pas les renseignements qui lui sont communiqués.

L’amélioration du pouvoir de persuasion du Commissaire à l’information s’accorde avec l’objectif qui veut que l’on règle rapidement et à peu de frais les demandes de communication. Évidemment, dans le cas où un différend ne pourrait être résolu à l’étape où le Commissaire à l’information est saisi de la question, l’auteur de la plainte peut toujours s’adresser à notre Cour. Cependant, c’est une solution de dernier recours qui ne donnerait probablement pas un résultat aussi satisfaisant qu’un règlement à l’étape de la procédure qui se déroule devant le Commissaire à l’information, à cause du temps et des dépenses supplémentaires que cela supposerait.

La divulgation forcée des observations pourrait fort bien, selon moi, rendre le rôle du Commissaire à l’information plus formel et diminuer en conséquence l’efficacité du processus. Cela ne favorise pas l’accès rapide aux renseignements de l’administration fédérale, lequel accès constitue la raison d’être de la Loi.

Je partage ces points de vue. Selon moi, ce même raisonnement milite également en faveur du maintien de la confidentialité des observations faites au cours d’une enquête, cette confidentialité devant être assurée non seulement pendant l’enquête, mais après aussi. Il ne peut évidemment en être autrement que si la Loi prescrit ou autorise la divulgation.

La seconde façon de vérifier le bien-fondé de l’argument de l’appelant consiste à examiner le paragraphe 35(2) à la lumière de la Loi dans son ensemble. Or, j’ai déjà évoqué plusieurs dispositions qui semblent traduire une politique sous-jacente consistant à toujours respecter la confidentialité des renseignements reçus, au cours d’une enquête, d’une partie au différend. Il s’agit des articles 61 à 65. Les articles 61, 62 et 65 en particulier donnent une force considérable à l’argument de l’appelant. L’application de l’article 61 ne se limite pas à une période déterminée. L’article 62 exige que, sous réserve des autres dispositions de la Loi, le Commissaire à l’information et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité soient « tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans l’exercice des pouvoirs et fonctions que leur confère la présente loi ». Suivant l’article 65, « [e]n ce qui concerne les questions venues à leur connaissance dans l’exercice, au cours d’une enquête, des pouvoirs et fonctions qui leur sont conférés en vertu de la présente loi », le Commissaire à l’information et les personnes qui agissent en son nom ou sur son ordre « n’ont qualité pour témoigner ou ne peuvent y être contraints » que dans les procédures mentionnées dans l’article.

Je tiens pour bien fondé l’argument de l’appelant. Le paragraphe 35(2) paraît avoir deux objets distincts. D’une part, ses mots liminaires assurent aux personnes visées aux alinéas a) à c) la possibilité de présenter leurs observations « au cours de l’enquête » menée sur une plainte. D’autre part, les mots qui précèdent les alinéas en question refusent expressément le droit de « recevoir communication » des observations faites au Commissaire. Or, je conçois mal que les mots liminaires viennent limiter la portée du refus de ce droit. Les articles 61, 62 et 65 me semblent renforcer cette interprétation. À première vue, les articles 61 et 62 créent des obligations permanentes qui lient en tout temps les personnes auxquelles elles incombent. De même, l’article 65 met les renseignements obtenus au cours d’une enquête à l’abri de la divulgation dans le cadre de procédures judiciaires autres que celles expressément visées par cet article. L’article 63, par contre, habilite le Commissaire et les autres personnes auxquelles s’applique l’article 65 à divulguer des renseignements dans certaines circonstances très limitées. Interpréter le paragraphe 35(2) comme interdisant la divulgation de renseignements à l’intimé pendant l’enquête, mais non après, serait donc cause d’incohérence et d’incompatibilité entre ce paragraphe et les articles de la Loi que je viens de mentionner. Je ne crois pas qu’il faille prêter au législateur l’intention de produire un tel résultat. (Voir, par exemple, R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865, à la page 872; E. A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto, 1983), aux pages 34 et 35.) À mon avis, l’obligation d’assurer, sauf dans des circonstances limitées, la confidentialité des observations faites au Commissaire à l’information au cours d’une enquête sur une plainte indique qu’il n’est conféré au plaignant aucun droit de recevoir la communication de telles observations pouvant se trouver en la possession de l’appelant dans les circonstances de la présente affaire. C’est ainsi que j’interprète les dispositions du paragraphe 35(2) de la Loi.

Vu ma conclusion que le paragraphe 35(2) n’accorde aucun droit à la communication des renseignements demandés, point n’est besoin que je me penche sur l’argument selon lequel l’alinéa 16(1)c) de la Loi joue de manière à les protéger contre la divulgation.

J’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais l’ordonnance en date du 2 mars 1993 rendue par la Section de première instance et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimé.

Le juge Linden, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge Robertson, J.C.A. : J’y souscris.



[1] Entre-temps, soit le 23 mars 1993, la Section de première instance a rejeté la demande, confirmant par là la décision de l’appelant, qui a refusé la divulgation de l’information recherchée au motif que la demande portait sur des « renseignements personnels » que l’art. 19 de la Loi protégeait contre la communication.

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