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[2002] 3 F.C. 347

A-512-00

2002 CAF 10

Urea Casale S.A. (appelante)

c.

Stamicarbon B.V. (intimée)

Répertorié : Stamicarbon B.V. c. Urea Casale S.A. (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Sexton et Evans, J.C.A.— Toronto, 11 décembre 2001; Ottawa, 15 janvier 2002.

Brevets — Pratique — Appel dirigé contre une ordonnance de la Section de première instance de la Cour fédérale qui avait rejeté par jugement sommaire la demande reconventionnelle de l’appelante — Action alléguant l’invalidité d’un brevet; l’appelante a déposé une demande reconventionnelle pour contrefaçon de brevet — En conséquence de la contestation de la validité du brevet, l’appelante a demandé la redélivrance du brevet conformément à l’art. 47 de la Loi sur les brevets — L’art. 47(2) prévoit que, dans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques, l’abandon du brevet n’atteint aucune instance pendante au moment de la redélivrance, ni n’annule aucun motif d’instance alors existant — Le brevet redélivré substituait les mots « ladite méthode comprenant » aux mots « ladite méthode étant caractérisée en ce qu’elle comprend » — Le juge des requêtes a accordé l’autorisation de désistement, en rejetant par jugement sommaire la demande reconventionnelle parce que les revendications n’étaient pas « identiques » — Il a jugé que les revendications des brevets devaient être exactement les mêmes, à tous égards, pour que le motif d’instance survive à l’abandon du brevet — Appel accueilli — 1) La question de savoir si le nouveau libellé élargissait le champ de la revendication était une question de fond — Cette question ne devrait pas être résolue à la faveur d’un jugement sommaire — De façon générale les mots employés doivent recevoir leur sens naturel et ordinaire tel que ces mots seraient compris à la date de la délivrance du brevet par ceux à qui le domaine concerné est familier — Une preuve d’expert pouvait être nécessaire — Un procès en règle portant sur la question était nécessaire pour savoir si le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle avait ou non été éteint — 2) La question de savoir si le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle avait subsisté après l’abandon du brevet dépendait de l’interprétation de l’art. 47(2) — Le motif d’instance de l’appelante était existant au moment de la redélivrance lorsque l’abandon du brevet original était devenu effectif — L’art. 47(2) semble préserver un motif d’instance existant uniquement dans la mesure où les revendications du brevet original et celles du brevet redélivré sont identiques — Ainsi, si les revendications sont identiques, l’appelante devrait être fondée à obtenir réparation pour atteinte à ses droits — 3) L’art. 55(2) rend responsable envers le breveté, à concurrence d’une indemnité raisonnable, quiconque accomplit un acte lui faisant subir un dommage entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible — Si le propriétaire d’un brevet invalide n’a pu obtenir réparation pour des agissements postérieurs à la délivrance du brevet, il ne devrait pas pouvoir obtenir réparation pour des agissements antérieurs à la redélivrance du brevet.

Pratique — Jugements et ordonnances — Jugement sommaire — Appel dirigé contre une ordonnance de la Section de première instance qui avait rejeté par jugement sommaire la demande reconventionnelle de l’appelante pour contrefaçon de brevet — Action alléguant l’invalidité du brevet; l’appelante a déposé une demande reconventionnelle pour contrefaçon de brevet — En conséquence de la contestation de la validité du brevet, l’appelante a demandé la redélivrance du brevet conformément à l’art. 47 de la Loi sur les brevets — L’art. 47(2) prévoit que, dans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques, l’abandon du brevet n’atteint aucune instance pendante au moment de la redélivrance, ni n’annule aucun motif d’instance alors existant — Le brevet redélivré, octroyé en 1999, substituait les mots « ladite méthode comprenant » aux mots « ladite méthode étant caractérisée en ce qu’elle comprend » — Le juge des requêtes a accordé à l’intimée l’autorisation de se désister de son action et rejeté la demande reconventionnelle par jugement sommaire parce que la revendication à laquelle il avait été censément porté atteinte n’était pas « identique » — Il a conclu que les revendications des brevets devaient être exactement les mêmes, à tous égards, pour que le motif d’instance survive à l’abandon du brevet — Appel accueilli — La question de savoir si le nouveau libellé élargissait le champ de la revendication était une question de fond — Cette question ne devrait pas être résolue à la faveur d’un jugement sommaire — Un procès en règle portant sur la question était nécessaire pour savoir si le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle avait ou non été éteint.

Interprétation des lois — L’art. 47(2) de la Loi sur les brevets, prévoit que, dans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques, l’abandon du brevet n’atteint aucune instance pendante au moment de la redélivrance, ni n’annule aucun motif d’instance alors existant — Après que l’intimée eut contesté la validité du brevet de l’appelante, l’appelante avait obtenu un brevet redélivré — Le juge des requêtes a rejeté par jugement sommaire la demande reconventionnelle de l’appelante pour contrefaçon de brevet, au motif que le libellé des revendications du brevet redélivré et celui des revendications du brevet original n’étaient pas identiques; ainsi l’appelante ne pouvait plus assigner l’intimée en contrefaçon du brevet abandonné — Appel accueilli — Signification du mot « identique », dans l’art. 47(2) — L’art. 47(2) est dérivé de la législation des États-Unis sur les brevets — Il était opportun d’étudier la jurisprudence américaine pour saisir le sens du mot « identique » — L’approche américaine doit être préférée à une interprétation littérale — L’essentiel est de savoir si la portée de la revendication du brevet redélivré a été modifiée par rapport à celle de la revendication du brevet original, en raison de l’utilisation de mots différents — Dans la négative, les revendications sont « identiques » même si les mots employés ne sont pas les mêmes — L’interprétation des revendications des brevets est une question de fond — Cette question ne devrait pas être résolue à la faveur d’un jugement sommaire.

Il s’agissait d’un appel interjeté contre une ordonnance de la Section de première instance, qui avait rejeté par jugement sommaire la demande reconventionnelle de l’appelante, et d’un appel incident à l’encontre de l’adjudication des dépens dans l’action. L’intimée a introduit une procédure dans laquelle elle alléguait l’invalidité du brevet. L’appelante a déposé une défense, ainsi qu’une demande reconventionnelle où elle alléguait que l’intimée portait atteinte au brevet. Le brevet avait été délivré en janvier 1997. Priorité avait été revendiquée sur des demandes de brevet suisses déposées en 1994. L’un des motifs d’invalidité était fondé sur l’état antérieur de la technique, constaté dans un brevet japonais de 1970. En conséquence de cette contestation, l’appelante a déposé en décembre 1998 une demande de redélivrance du brevet conformément à l’article 47 de la Loi sur les brevets. Le paragraphe 47(1) autorise le Commissaire à délivrer un nouveau brevet pour la même invention lorsqu’un brevet est jugé défectueux en raison d’une erreur qui a été commise par inadvertance, sans intention de frauder ou de tromper. Le paragraphe 47(2) prévoit que, « dans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques, l’abandon n’atteint aucune instance pendante au moment de la redélivrance, ni n’annule aucun motif d’instance alors existant ». Le brevet redélivré a été octroyé en octobre 1999. En février 1998, l’intimée a sollicité le rejet de la demande reconventionnelle par voie de jugement sommaire, en affirmant que la cause d’action ou le motif d’instance avait cessé d’exister. La revendication 21 du brevet redélivré substituait les mots « ladite méthode comprenant » aux mots « ladite méthode étant caractérisée en ce qu’elle comprend », qui apparaissaient dans la revendication 14 du brevet original. Le juge des requêtes a conclu que les revendications des brevets devaient être exactement les mêmes, à tous égards, pour que le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle survive à l’abandon du brevet. Il a exprimé l’avis que la suppression des mots « caractérisée en ce que » avait élargi la portée de la revendication 21 parce que les particularités de la revendication 21 immédiatement après le mot « comprenant » « ne sont peut-être plus essentielles ». Il a estimé que les deux revendications étaient différentes, à la fois dans leur portée et dans leur libellé, et il a fait droit à la requête au motif que, en abandonnant le brevet en faveur du brevet redélivré, l’appelante ne pouvait plus assigner l’intimée en contrefaçon de brevet parce que la revendication à laquelle l’intimée avait censément porté atteinte n’était pas, selon ce qu’exige l’art. 47, « identique » à la revendication correspondante du brevet redélivré. Il a accordé les dépens à l’intimée, sur une base avocat-client, en ce qui avait trait à la demande reconventionnelle de l’appelante.

Le paragraphe 55(2) prévoit qu’une personne est responsable envers le breveté, à concurrence d’une indemnité raisonnable, si elle accomplit un acte lui faisant subir un dommage entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible. L’appelante a fait valoir que le paragraphe 55(2) donne au breveté le droit de réclamer une indemnité raisonnable pour les actes de « contrefaçon » accomplis entre la date de publication et la date d’octroi d’un brevet.

Les questions étaient les suivantes : 1) le motif d’instance invoqué dans la demande reconventionnelle s’est-il éteint par suite de l’abandon du brevet? 2) dans l’affirmative, l’appelante avait-elle droit à réparation pour toute contrefaçon antérieure à la date de l’abandon? 3) le paragraphe 55(2) établit-il un motif d’instance indépendant qui n’est pas touché par l’abandon du brevet?

Arrêt : l’appel doit être accueilli, avec dépens en faveur de l’appelante.

1) Vu que les dispositions de la Loi sur les brevets relatives à la redélivrance semblent dériver de la loi américaine, il était logique, pour l’interprétation du mot « identique », au paragraphe 47(2), de considérer la jurisprudence américaine qui a interprété le même mot apparaissant dans la loi américaine. Des différences subsistent dans les dispositions des deux textes relatives à la redélivrance, mais aucune n’était déterminante. L’approche adoptée par les tribunaux américains pour l’interprétation du mot « identique » a été préférée à une stricte interprétation littérale. L’essentiel est de savoir si la portée de la revendication du brevet redélivré a été modifiée par rapport à la portée de la revendication du brevet original, en raison de l’utilisation de mots différents. Dans la négative, les revendications doivent être considérées comme « identiques » même si la formulation de l’une n’est pas à tous égards la même que celle de l’autre.

L’intimée a soutenu que, en employant dans la revendication 21 le mot vague « comprenant », l’appelante avait élargi la revendication originale. Il s’agissait là d’un argument de fond qui ne pouvait être résolu à l’étape d’un jugement sommaire. En règle générale, les mots employés doivent recevoir leur sens naturel et ordinaire tel que ces mots seraient compris à la date de la délivrance du brevet par ceux à qui le domaine concerné est familier. La nécessité d’une preuve d’expert était évidente dans cette affaire, une affaire où les parties débattaient ce qui était ancien et ce qui était nouveau dans la revendication 21, et se demandaient si des particularités essentielles de la revendication avaient été supprimées et si son étendue avait été modifiée au point que la nouvelle revendication cessait d’être « identique » à la revendication originale. Un procès en règle portant sur la question sera mieux à même de permettre à la Cour de dire si le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle a ou n’a pas été éteint par suite de l’abandon du brevet.

2) La question de savoir si le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle avait subsisté après l’abandon du brevet dépendait surtout de l’interprétation du paragraphe 47(2). Le motif d’instance de l’appelante était existant au moment de la redélivrance lorsque l’abandon du brevet original est devenu effectif. Le paragraphe 47(2) semblerait préserver un motif d’instance existant uniquement « dans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques ». Par conséquent, s’il est jugé au procès que les revendications en cause sont identiques, l’appelante devrait être fondée à obtenir réparation pour atteinte à ses droits, mais pas autrement.

3) Il n’était pas nécessaire d’examiner la véritable signification du paragraphe 55(2), mais l’argument de l’appelante conduirait à un résultat illogique. Si le propriétaire d’un brevet invalide n’a pu obtenir réparation pour des agissements postérieurs à la délivrance du brevet, il ne devrait pas pouvoir obtenir réparation pour des agissements antérieurs à la redélivrance du brevet du seul fait que le brevet avait autrefois été délivré. Au reste, le droit de l’appelante à réparation pour contrefaçon de brevet dépend de l’interprétation du paragraphe 47(2). Il ne peut y avoir réparation pour contrefaçon de brevet que si les deux revendications en cause sont, à l’issue d’un procès, jugées identiques.

4) Puisque l’affaire a été renvoyée à la Section de première instance pour un procès en bonne et due forme, l’ordonnance d’adjudication des dépens a été modifiée de telle sorte que l’appelante obtienne ses dépens au regard du rejet de la requête en jugement sommaire visant au rejet de la demande reconventionnelle devant la Section de première instance.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte concernant les Brevets d’Invention, S.C. 1872, ch. 26, art. 19.

An Act Amending the Statutes of the United States with respect to Reissue of Defective Patents, 45 Stat. 732.

Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle, L.C. 1993, ch. 15, art. 48.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 47, 55(2) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 48).

Loi sur les brevets, S.R.C. 1906, ch. 69, art. 24.

Patents, 35 U.S.C. § 251, 252 (1994).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 213, 216.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Northern Electric Co. Ltd. and Western Electric Co. Inc. v. Photo Sound Corpn. and Perkins, [1936] R.C.S. 649; [1936] 4 D.L.R. 657.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning v. Commissioner of Patents, [1966] R.C.S. 604; (1966), 50 C.P.R. 220; Northern Electric Co. Ltd. et al. v. Photo Sound Corpn. et al., [1936] R.C.É. 75; [1936] 2 D.L.R. 711; Hunter v. Carrick (1884), 10 O.A.R. 449 (C.A. Ont.); Detroit Fuse & Manufacturing Coy. v. Metropolitan Engineering Coy. of Canada Ltd. (1922), 21 R.C.É. 276; 63 D.L.R. 179; Van Heusen Products Inc. et al. v. Tooke Bros. Ltd., [1929] R.C.É. 89; Austin v. Marco Dental Products, Inc., 560 F.2d 966 (9th Cir. 1977); Seattle Box Co., Inc. v. Industrial Crating & Packing, Inc., 731 F.2d 818 (Fed. Cir. 1984); Kaufman Co., Inc. v. Lantech, Inc., 807 F.2d 970 (Fed. Cir. 1986); Slimfold Mfg. Co., Inc. v. Kinkead Industries, Inc., 810 F.2d 1113 (Fed. Cir. 1987); Laitram Corp. v. NEC Corp., 952 F.2d 1357 (Fed. Cir. 1991); Brooks v. Steele & Currie (1896), 14 R.P.C. 46 (C.A.); Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; (2000), 194 D.L.R. (4th) 193; 263 N.R. 88; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1993), 47 C.P.R. (3d) 188; 152 N.R. 292 (C.A.F.).

DÉCISIONS CITÉES :

Bloom Engineering Co., Inc. v. North American Mfg. Co., Inc., 129 F.3d 1247 (Fed. Cir. 1997); Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555; (1974), 54 D.L.R. (3d) 711; 17 C.P.R. (2d) 97; 3 N.R. 553; Catnic Components Limited and Another v. Hill & Smith Limited, [1982] R.P.C. 183 (H.L.); Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc. (1998), 81 C.P.R. (3d) 289; 150 F.T.R. 205 (C.F. 1re inst.); McPhar Engineering Co. of Canada Ltd. v. Sharpe Instruments Ltd. et al., [1956-60] R.C.É. 467; (1960), 35 C.P.R. 105; Curl-Master Mfg. Co. Ltd. v. Atlas Brush Ltd., [1967] R.C.S. 514; (1967), 52 C.P.R. 51.

DOCTRINE

Chisum on Patents : A Treatise on the Law of Patentability, Validity, and Infringement, loose-leaf. New York : LEXIS Pub.

Delbridge, Robert F. « Preparation and Prosecution of Canadian and Foreign Patent Applications » (1969), 58 C.P.R. 251.

Hayhurst, W. L. « Intellectual Property Laws in Canada : The British Tradition, the American Influence and the French Factor » (1996), 10 <I>I.P.J.</I> 275.

Johnson, D. S. « The Language of the Claim » (1955), 23 C.P.R. 76.

Petit Robert 1 : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Le Robert 1983, « identique ».

The Canadian Oxford Dictionary. Toronto : Oxford University Press, 1998, « identical ».

APPEL dirigé contre une ordonnance de la Section de première instance (Stamicarbon B.V. c. Urea Casale S.A., [2001] 1 C.F. 172 (2000), 8 C.P.R. (4th) 206; 192 F.T.R. 267), qui avait rejeté par jugement sommaire la demande reconventionnelle de l’appelante pour contrefaçon de brevet. Appel accueilli, avec dépens en faveur de l’appelante.

ONT COMPARU :

Douglas N. Deeth et Heather Watts, pour l’appe-lante.

A. David Morrow et Steven B. Garland, pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deeth Williams Wall LLP, Toronto, pour l’appe-lante.

Smart & Biggar, Ottawa, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Stone, J.C.A. : La Section d’appel est saisie d’un appel et d’un appel incident interjetés contre une ordonnance de la Section de première instance en date du 27 juillet 2000 [[2000] 1 C.F. 172, qui accordait à l’intimée l’autorisation de se désister de son action et qui faisait droit à sa requête en jugement sommaire visant au rejet de la demande reconventionnelle de l’appelante. Le point principal soulevé dans l’appel concerne la décision du juge des requêtes de rejeter la demande reconventionnelle de l’appelante. L’appel incident concerne principalement les dépens adjugés par le juge des requêtes dans l’action. Les parties s’entendent cependant pour que, si l’ordonnance frappée d’appel est maintenue intégralement, ni l’une ni l’autre ne demandent la modification des dépens accordés par le juge des requêtes.

LES FAITS

[2]        Dans son action, déposée le 16 mai 1997, l’intimée affirmait que le brevet canadien no 2141886 de l’appelante (le brevet) était invalide, pour plusieurs motifs. Le 10 octobre 1997, l’appelante déposait une défense niant les allégations contenues dans la déclaration de l’intimée et affirmant par demande reconventionnelle que l’intimée portait atteinte au brevet. L’appelante affirmait dans la demande reconventionnelle que l’intimée avait fabriqué, utilisé, vendu et offert à la vente l’invention visée par les revendications 14 et 15 du brevet, en modernisant deux réacteurs à l’urée dans les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan. Dans sa demande de redressement, l’appelante sollicitait une injonction et des dommages-intérêts ou, subsidiairement, un compte rendu comptable intégral des recettes et bénéfices recueillis par l’intimée par suite des activités de contrefaçon.

[3]        La demande de brevet a été déposée le 6 février 1995. Le brevet, délivré le 24 janvier 1997, est intitulé « Réacteur à quatre réactions biphasées, en particulier pour synthèse d’utilisation à haute pression et haute température ». Priorité était revendiquée sur deux demandes de brevet suisses déposées en mai et décembre 1994.

[4]        L’un des motifs d’invalidité invoqués par l’intimée est l’état antérieur de la technique constaté dans le brevet japonais no 38813 délivré en décembre 1970. En conséquence semble-t-il de cette contestation, l’appelante déposait le 16 décembre 1998 une demande de redélivrance du brevet conformément à l’article 47 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi). L’intimée fut informée de ce dépôt le 10 décembre 1999. Le brevet redélivré a été accordé le 12 décembre 1999 (le brevet redélivré).

[5]        En février 1998, l’intimée sollicitait le rejet de la demande reconventionnelle par voie de jugement sommaire, au motif que la cause d’action dont elle faisait état avait « cessé d’exister ».

L’ORDONNANCE DU JUGE DES REQUÊTES

[6]        Le juge des requêtes a fait droit à la requête. À son avis, en abandonnant le brevet en faveur du brevet redélivré, l’appelante ne pouvait plus assigner l’intimée en contrefaçon de brevet parce que la revendication à laquelle l’intimée aurait porté atteinte n’était pas, selon ce qu’exige l’article 47 de la Loi, « identique » à la revendication correspondante du brevet redélivré. Il a fondé cette conclusion sur une interprétation du texte de l’article 47 de la Loi et sur une comparaison des revendications respectives du brevet et du brevet redélivré. Une lecture des motifs du juge des requêtes montre que, selon lui, l’interprétation de l’article 47 de la Loi et des revendications en cause soulevait des points de droit susceptibles de résolution dans la requête elle-même, sans que soit nécessaire un procès en bonne et due forme. Le juge des requêtes était d’avis, au paragraphe 16 de ses motifs, que : « L’abandon du brevet original entraîne l’annulation de tout motif d’instance alors existant sauf dans la mesure où des revendications du brevet redélivré sont identiques à celles du brevet original ».

POINTS LITIGIEUX

[7]        Le point principal soulevé par le présent appel est de savoir si le motif d’instance invoqué par l’appelante dans la demande reconventionnelle s’est éteint par suite de l’abandon du brevet le 12 octobre 1999. Un point accessoire est de savoir si, quand bien même le motif d’instance se serait éteint à l’abandon du brevet, l’appelante a droit à réparation pour la contrefaçon du brevet antérieure à la date de l’abandon. Un deuxième point accessoire est de savoir si le paragraphe 55(2) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 48] de la Loi établit un motif d’instance indépendant qui n’est pas touché par l’abandon du brevet. Ces points doivent naturellement être abordés dans le contexte de la requête en jugement sommaire et, plus précisément, la question de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur en rejetant la demande reconventionnelle à ce stade précoce.

LA LOI

[8]        L’article 47 de la Loi est rédigé ainsi :

REDÉLIVRANCE DE BREVETS

47. (1) Lorsqu’un brevet est jugé défectueux ou inopérant à cause d’une description et spécification insuffisante, ou parce que le breveté a revendiqué plus ou moins qu’il n’avait droit de revendiquer à titre d’invention nouvelle, mais qu’il apparaît en même temps que l’erreur a été commise par inadvertance, accident ou méprise, sans intention de frauder ou de tromper, le commissaire peut, si le breveté abandonne ce brevet dans un délai de quatre ans à compter de la date du brevet, et après acquittement d’une taxe réglementaire additionnelle, faire délivrer au breveté un nouveau brevet, conforme à une description et spécification rectifiée par le breveté, pour la même invention et pour la partie restant alors à courir de la période pour laquelle le brevet original a été accordé.

(2) Un tel abandon ne prend effet qu’au moment de la délivrance du nouveau brevet, et ce nouveau brevet, ainsi que la description et spécification rectifiée, a le même effet en droit, dans l’instruction de toute action engagée par la suite pour tout motif survenu subséquemment, que si cette description et spécification rectifiée avait été originalement déposée dans sa forme corrigée, avant la délivrance du brevet original. Dans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques, un tel abandon n’atteint aucune instance pendante au moment de la redélivrance, ni n’annule aucun motif d’instance alors existant, et le brevet redélivré, dans la mesure où ses revendications sont identiques à celles du brevet original, constitue une continuation du brevet original et est maintenu en vigueur sans interruption depuis la date du brevet original.

(3) Le commissaire peut accueillir des demandes distinctes et faire délivrer des brevets pour des éléments distincts et séparés de l’invention brevetée, sur versement de la taxe à payer pour la redélivrance de chacun de ces brevets redélivrés. [Non souligné dans l’original.]

REVENDICATIONS EN CAUSE DES BREVETS

[9] Les revendications qui requièrent une comparaison à la lumière des exigences du paragraphe 47(2) sont la revendication 14 du brevet et la revendication 21 du brevet redélivré. Ces revendications sont ainsi rédigées :

14. Méthode de modernisation in situ d’un réacteur pour des réactions biphasées du genre dans lequel un flux cocourant d’une phase gazeuse et d’une phase liquide a lieu, consistant en une coquille tubulaire verticale dans laquelle est soutenue une diversité de plaques perforées horizontales superposées en relation spatiale réciproque et au moins une ouverture pratiquée entre le pourtour de chacune desdites plaques et un mur interne de ladite coquille, ladite méthode étant caractérisée en ce qu’elle comprend l’étape de l’obstruction partielle des ouvertures respectives associées à au moins deux plaques perforées adjacentes, au moyen de déflecteurs, lesdits déflecteurs définissant des ouvertures se neutralisant réciproquement pour le courant liquide.

[…]

21. Méthode de modernisation in situ d’un réacteur pour des réactions biphasées du genre dans lequel un flux cocourant d’une phase gazeuse et d’une phase liquide a lieu, consistant en une coquille tubulaire verticale dans laquelle est soutenue une diversité de plaques horizontales superposées en relation spatiale réciproque et au moins une ouverture pratiquée entre le pourtour de chacune desdites plaques et le mur interne de ladite coquille, ladite méthode comprenant l’étape de l’obstruction partielle des ouvertures respectives associées à au moins deux plaques perforées adjacentes, au moyen de déflecteurs, lesdits déflecteurs définissant des ouvertures se neutralisant réciproquement pour le courant liquide. [Non souligné dans l’original.]

ANALYSE

Le point principal

[10]      Le point principal comprend trois sous-points. Le premier concerne l’interprétation du paragraphe 47(2) et en particulier celle du mot « identique ». Le deuxième, apparenté au premier, consiste à se demander si la jurisprudence américaine concernant le sens de ce mot dans la législation américaine sur les brevets peut à bon droit être consultée par la Cour dans l’interprétation de ce mot du paragraphe 47(2) de la Loi. Le troisième sous-point concerne la lecture qu’il convient de faire du texte de la revendication 21 du brevet redélivré, par rapport au texte de la revendication 14 du brevet.

[11]      Dès le début de son analyse, le juge des requêtes a fait observer, au paragraphe 8 de ses motifs, que l’objet des dispositions relatives au jugement sommaire, c’est-à-dire les règles 213 et 216 des Règles de la Cour fédérale, 1998 [DORS/98-106], « à permettre à la Cour de statuer sommairement sur les affaires qui ne devraient pas être instruites parce qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse ». Parmi ces règles, il y a l’alinéa 216(2)b), qui prévoit que, lorsque la seule véritable question litigieuse soulevée dans la requête en jugement sommaire est « un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence ». L’interprétation de l’article 47 de la Loi était à l’évidence un « point de droit ». Ce n’en était pas un qui nécessitait un procès et, à mon avis, le juge des requêtes était en aussi bonne position qu’un juge de première instance pouvait l’être pour résoudre ce point en particulier. Cela ne veut pas dire que la réponse à la question était simple, mais uniquement qu’il ne s’agissait pas d’une question qui commandait la tenue d’un procès avant qu’elle ne puisse être résolue. En revanche, l’interprétation du brevet n’est pas du même ordre que l’interprétation de la loi. Les considérations inhérentes à l’interprétation du brevet doivent être gardées à l’esprit avant qu’un tribunal ne dise si la demande reconventionnelle aurait dû être jugée à l’étape du jugement sommaire.

[12]      J’examinerai d’abord l’interprétation du paragraphe 47(2) de la Loi. Le passage pertinent du paragraphe reproduit ci-dessus a été mis en italique.

[13]      Interprétant les dispositions de redélivrance contenues dans l’article 24 de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1906, ch. 69, le juge en chef Duff, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, affirmait dans l’arrêt Northern Electric Co. Ltd. and Western Electric Co. Inc. v. Photo Sound Corpn. and Perkins, [1936] R.C.S. 649, aux pages 652 et 653 :

[traduction] Il convient de noter que l’article est rétroactif sous un aspect important. La rectification s’applique à compter de la date du brevet original pour ce qui est des motifs d’instance postérieurs à la date du nouveau brevet. Même avec l’interprétation la plus rigoureuse, une grave injustice peut résulter de l’application de cette disposition lorsque des gens ont pris des dispositions et dépenser des sommes sur la foi du mémoire descriptif du brevet entre la date du brevet original et celle du brevet redélivré […] Dans ces conditions, il nous incombe, à mon sens, de ne pas étendre le libellé de l’article au-delà des espèces qui entrent manifestement dans son périmètre.

À mon avis, cette mise en garde demeure valide malgré les modifications ultérieures des dispositions de la Loi relatives à la redélivrance. Il faut convenir que ces modifications sont importantes et que c’est la formulation actuelle du texte législatif qui appelle une interprétation.

[14]      Les parties admettent que le passage du paragraphe 47(2) mis en italique dans le paragraphe 8 ci-dessus devait recevoir une application rétrospective tandis que la première partie du paragraphe, à l’exception des mots introductifs, devait recevoir une application prospective. Selon ma lecture du paragraphe 47(2), l’abandon d’un brevet en conformité avec le paragraphe 47(1) « ne prend effet qu’au moment de la délivrance du nouveau brevet », l’abandon n’atteint aucune instance pendante au moment de la redélivrance, ni n’annule aucun motif d’instance alors existant « [d]ans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques », et, dans la mesure où les revendications sont identiques, « le brevet redélivré […] constitue une continuation » des revendications du brevet original et « est maintenu en vigueur sans interruption depuis la date du brevet original ».

[15]      Il s’agit donc essentiellement de savoir si la revendication 21 du brevet redélivré est « identique » à la revendication 14 du brevet, au sens du paragraphe 47(2). Dans l’affirmative, le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle n’est pas atteint par l’abandon du brevet. Si en revanche les revendications ne sont pas identiques, ce motif d’instance ne pourrait plus être invoqué devant les tribunaux. Le juge des requêtes s’en est remis au dictionnaire pour l’interprétation du mot « identique », au paragraphe 47(2). Ainsi, selon le Petit Robert I : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française ce mot « [s]e dit d’objets ou d’êtres parfaitement semblables ». Simultanément, le juge des requêtes a estimé que la jurisprudence américaine touchant la signification du mot « identique », dans les dispositions correspondantes de la loi américaine sur les brevets, n’était d’aucune aide. Il a conclu que les revendications en cause devaient être exactement les mêmes, à tous égards, pour que le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle survive à l’abandon du brevet. Néanmoins, durant son analyse, le juge des requêtes a estimé aussi que les deux revendications étaient différentes, à la fois dans leur portée et dans leur libellé.

[16]      L’appelante a invité la Cour à comparer le passage pertinent du paragraphe 47(2) avec le texte de la section 252 de la loi américaine, 35 U.S.C. « Patents », et aussi à considérer la jurisprudence américaine relative à cette section. Il semblerait que l’on puisse faire remonter au moins à 45 Stat. 732 (24 mai 1928) le texte de la section 252 de la loi américaine sur les brevets, une disposition qui concerne la redélivrance d’un brevet défectueux. La référence 45 Stat. 732 modifiait la section 4916 des Lois révisées des États-Unis par adjonction du texte suivant :

[traduction]

Cet abandon prendra effet à la délivrance du brevet redélivré, mais dans la mesure où les revendications du brevet original et celles du brevet redélivré sont identiques, cet abandon n’atteint aucune instance alors pendante ni n’annule aucun motif d’instance alors existant, et le brevet redélivré, dans la mesure où ses revendications sont identiques à celles du brevet original, constitue une continuation du brevet original et est maintenu en vigueur sans interruption à compter de la date du brevet original.

Comme nous le verrons, ce texte est quasiment identique à celui qui apparaît dans la section 252 de l’actuelle loi américaine sur les brevets.

[17]      J’admets que l’article 47 de la Loi, même s’il n’est pas à tous égards semblable, présente une certaine ressemblance avec la section correspondante de la loi américaine. Cette vue a été exprimée par le juge Martland dans l’arrêt Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning v. Commissioner of Patents, [1966] R.C.S. 604, à la page 613, même si, comme il l’a fait observer, des différences subsistent. On semble de longue date avoir eu tendance au Canada à modeler les lois relatives aux brevets sur les lois américaines correspondantes, plutôt que sur celles du Royaume-Uni, encore que le Canada n’ait pas adopté le système américain tout entier des brevets : voir W. L. Hayhurst, « Intellectual Property Laws in Canada : The British Tradition, the American Influence and the French Factor » (1996), 10 I.P.J. 275. Plus précisément, comme l’a fait observer le juge Maclean dans l’arrêt Northern Electric Company Ltd. et al. v. Photo Sound Corpn. et al., [1936] R.C.É. 75, aux pages 88 et 89 : [traduction] « Les dispositions de la Loi canadienne sur les brevets relatives à la redélivrance de brevets ressemblent beaucoup à celles de la Loi américaine sur les brevets, laquelle a probablement été la source des dispositions apparaissant dans la Loi canadienne ». Dans l’arrêt Hunter c. Carrick (1884), 10 O.A.R. 449 (C.A. Ont.), le juge Patterson, interprétant les dispositions de redélivrance figurant dans l’article 19 de l’Acte concernant les Brevets d’Invention, S.C. 1872, ch. 26, faisait observer à la page 468 que la [traduction] « disposition semble avoir été inspirée d’une section de la Loi sur les brevets des États-Unis » et que l’article 19 [traduction] « suit de façon générale le texte et les dispositions du modèle américain ». De nouveau dans une affaire de redélivrance, l’arrêt Detroit Fuse & Manufacturing Coy. v. Metropolitan Engineering Coy. of Canada Ltd. (1922), 21 R.C.É. 276, à la page 280, le juge Audette, invoquant l’arrêt Hunter, précité, faisait observer que la similitude générale des lois canadienne et américaine sur les brevets [traduction] « sera une autorisation de puiser, de ce chef, aux précédents américains ». Dans l’arrêt Van Heusen Products Inc. et al. v. Tooke Bros. Ltd., [1929] R.C.É. 89, le juge Audette faisait aussi observer, à la page 100, que : [traduction] « Les tribunaux canadiens, comme les tribunaux anglais, sont accoutumés à déférer aux décisions des tribunaux américains, encore qu’ils ne soient en aucune façon liés par elles ». Vu que les dispositions de la Loi canadienne relatives à la redélivrance semblent dériver de la loi américaine, il semblerait logique, pour l’interprétation du mot « identique », au paragraphe 47(2) de notre Loi, de considérer la jurisprudence américaine qui a interprété le même mot apparaissant dans la loi américaine.

[18]      Avant d’examiner cette jurisprudence, il sera utile de comparer le passage pertinent du paragraphe 47(2) avec le texte correspondant de la loi américaine actuelle relatif à la redélivrance d’un brevet. Les sections 251 et 252 de 35 U.S.C. sont ainsi formulées :

[traduction]

§ 251. […]

Lorsqu’un brevet est, par erreur et sans intention de tromper, réputé entièrement ou partiellement inopérant ou invalide, par suite d’une description défectueuse ou d’un dessin défectueux, ou parce que le breveté revendique plus ou moins que ce qu’il avait le droit de revendiquer dans le brevet, le Commissaire doit, à l’abandon de ce brevet et sur paiement du droit prévu par la loi, redélivrer le brevet pour l’invention divulguée dans le brevet original, et en conformité avec une demande nouvelle et modifiée, pour la partie non expirée de la durée du brevet original. Aucune nouvelle matière ne pourra figurer dans la demande de redélivrance.

Le Commissaire peut octroyer plusieurs brevets redélivrés, pour des portions distinctes de la chose brevetée, sur demande du requérant et sur paiement du droit requis applicable à la redélivrance de chacun desdits brevets redélivrés.

Les dispositions du présent titre se rapportant aux demandes de brevet sont applicables aux demandes de redélivrance d’un brevet, sauf que la demande de redélivrance peut être présentée sous serment par le cessionnaire de l’intérêt tout entier si la demande ne vise pas à élargir la portée des revendications du brevet original.

[…]

§ 252. […]

L’abandon du brevet original prend effet à la délivrance du brevet redélivré, et tout brevet redélivré a le même effet et la même application en droit, dans l’instruction de toute action fondée sur une cause découlant dudit brevet, comme si le brevet redélivré avait été originalement accordé dans cette forme modifiée, mais, dans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques, un tel abandon n’atteint aucune instance pendante ni n’annule aucun motif d’instance alors existant, et le brevet redélivré, dans la mesure où ses revendications sont identiques à celles du brevet original, constitue une continuation du brevet original et est maintenu en vigueur sans interruption depuis la date du brevet original.

Aucun brevet redélivré ne limite le droit d’une personne ou de ses successeurs commerciaux qui ont fabriqué, acheté ou utilisé avant l’octroi du brevet redélivré une chose brevetée à la faveur dudit brevet, de continuer d’utiliser, ou de vendre à autrui pour qu’elle soit utilisée ou vendue, la chose particulière ainsi fabriquée, achetée ou utilisée, à moins que la fabrication, l’utilisation ou la vente de cette chose ne porte atteinte à une revendication valide du brevet redélivré qui se trouvait dans le brevet original. Le tribunal saisi d’un tel litige pourra prononcer sur la poursuite de la fabrication, de l’utilisation ou de la vente de la chose fabriquée ou utilisée ainsi qu’il est indiqué, ou prononcer sur la fabrication, l’utilisation ou la vente dont une partie substantielle a été effectuée avant l’octroi du brevet redélivré, et il pourra aussi prononcer sur la poursuite de la mise en pratique d’un procédé breveté à la faveur du brevet redélivré, ou sur la mise en pratique dont une partie substantielle a eu lieu avant l’octroi du brevet redélivré, dans la mesure et aux conditions que le tribunal jugera équitables pour la protection des investissements effectués ou des activités commencées avant l’octroi du brevet redélivré.

Il ne sera pas octroyé de brevet redélivré élargissant la portée des revendications du brevet original à moins que l’élargissement ne soit demandé dans un délai de deux ans à compter de l’octroi du brevet original. [Non souligné dans l’original.]

[19]      Une modification apportée en 1999 à la loi, 113 Stat. 1501 (29 novembre 1999), et entrée en vigueur en 2000, ajoutait le mot « sensiblement » en deux endroits du premier paragraphe de la section 252, devant le mot « identique ». Dans l’ouvrage de D. S. Chisum, Chisum on Patents : A Treatise on the Law of Patentability, Validity and Infringement, feuille mobile (LEXIS Pub. 2001), vol. 4, cet auteur exprime l’avis, à la page 349, que cette modification [traduction] « a codifié la jurisprudence […], pour qui le motidentique”, dans la section 252, signifie identique en substance, non identique par les mots ». Il convient de noter que les dispositions du premier paragraphe de la section 252, souligné ci-dessus, sont quasiment les mêmes que le passage en italique du paragraphe 47(2). Des différences subsistent dans les dispositions des deux textes relatives à la redélivrance, mais aucune se trouvant dans la partie en italique de la section 252 ne semble essentielle pour nos propos.

[20]      Je vais maintenant examiner la jurisprudence américaine. L’interprétation du mot « identique » dans la loi des États-Unis retient l’attention des tribunaux canadiens depuis plus de trois décennies. Il suffit d’examiner certains précédents pour le constater. Ainsi, dans l’arrêt Austin v. Marco Dental Products, Inc., 560 F.2d 966 (9th Cir. 1977), à la page 973, le tribunal a estimé qu’il n’est pas nécessaire que des revendications soient rédigées exactement de la même façon pour qu’elles soient « identiques », mais uniquement qu’elles doivent être « sensiblement identiques ». Plus tard, dans l’arrêt Seattle Box Co., Inc. v. Industrial Crating & Packing, Inc., 731 F.2d 818 (Fed. Cir. 1984), le sens du mot « identique » a de nouveau été étudié. Se référant aux exigences de la section 252, le tribunal s’est exprimé ainsi à la page 827 :

[traduction] Dans cette loi, le Congrès a expressément limité la continuité de la revendication aux revendications du brevet redélivré qui sont identiques aux revendications du brevet original. La loi n’accorde pas aux revendications du brevet original une autre forme de survie. Les revendications originales ont disparu. La loi permet cependant aux revendications du brevet redélivré de remonter à la date du brevet original délivré, mais uniquement si ces revendications sont identiques à celles du brevet original. S’agissant de revendications nouvelles ou rectifiées, la responsabilité du contrefacteur ne commence qu’à la date d’octroi du brevet redélivré.

Puis le tribunal a indiqué, à la page 827, que, même s’il n’était pas prié de dire ce que signifiait exactement le mot « identique », il était clair [traduction] « que ce mot signifie tout au plussans modification de fond” ».

[21]      Dans l’arrêt Kaufman Co., Inc. v. Lantech, Inc., 807 F.2d 970 (Fed. Cir. 1986), le tribunal a souscrit au critère énoncé dans l’affaire Seattle Box, précitée. Dans l’arrêt Slimfold Mfg. Co., Inc. v. Kinkead Industries, Inc., 810 F.2d 1113 (Fed. Cir. 1987), le tribunal a exprimé le même avis. Après s’être référé à des décisions antérieures, il a conclu ainsi, aux pages 1115 et 1116 :

[traduction] Essentiellement, les tribunaux ont jugé que c’est la portée de la revendication qui doit être identique, non que les mots identiques doivent être employés. Dans l’affaire Seattle Box Co. v. Industrial Crating & Packing, Inc., 731 F.2d 818, 221 USPQ 568 (Fed. Cir. 1984), le tribunal a jugé inutile de définir le mot « identique » appliqué à cette affaire, mais a exprimé l’avis que ce mot signifie « tout au plus sans modification de fond ». Id., pages 827-28, 221 USPQ, page 575 (italique dans l’original). Dans l’arrêt Kaufman Co. v. Lantech, Inc., 807 F.2d 970, 977 (Fed. Cir. 1986), ce tribunal a examiné la section 252 telle qu’elle s’applique au réexamen et a jugé que « le motidentique”, au sens de la § 252, premier paragraphe, signifiesans modification de fond” ».

Dans l’arrêt Laitram Corp. v. NEC Corp., 952 F.2d 1357 (Fed. Cir. 1991), le tribunal a exprimé, à la page 1361, un point de vue essentiellement semblable : [traduction] « le mot “identique” ne signifie pas textuel ». Puis le tribunal a adopté le critère des espèces Kaufman et Slimfold, précitées, c’est-à-dire le critère de « l’absence de modification de fond dans la portée ». Dans le même sens, il y a l’arrêt Bloom Engineering Co., Inc. v. North American Mfg. Co., Inc., 129 F.3d 1247 (Fed. Cir. 1997), à la page 1250.

[22]      Il me semble que l’approche adoptée par les tribunaux américains pour l’interprétation du mot « identique » doit être préférée à une stricte interprétation littérale de ce mot, tel qu’il apparaît au paragraphe 47(2) de la Loi. Il faut surtout se demander si la portée de la demande de redélivrance a été modifiée par rapport à celle de la demande originale, en raison de l’utilisation de mots différents dans la demande de redélivrance. Si le texte de la revendication 21 n’a pas apporté une modification de fond à l’étendue de la revendication 14, la revendication antérieure doit être considérée comme « identique » à la revendication ultérieure, même si la formulation de l’une n’est pas à tous égards la même que celle de l’autre. Il reste cependant la question de savoir si, dans ces conditions, l’interprétation des revendications en cause est telle qu’elle puisse être résolue à la faveur d’un jugement sommaire, sans la nécessité d’un procès en bonne et due forme. Ce point soulève la question de l’interprétation des revendications des brevets, un aspect qui intéresse le troisième sous-point.

[23]      Le passage pertinent de la revendication 14 du brevet et de la revendication 21 du brevet redélivré doit maintenant être comparé à la lumière de l’exigence d’identité énoncée au paragraphe 47(2). Comme l’a fait observer le juge des requêtes, le texte de la revendication 21 ne diffère que sous un aspect de celui de la revendication 14. Dans la revendication 21, les mots « ladite méthode comprenant » ont remplacé les mots « ladite méthode étant caractérisée en ce qu’elle comprend », qui apparaissent dans la revendication 14. De l’avis du juge des requêtes, au paragraphe 19 de ses motifs, où il s’appuie sur l’arrêt Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, à la page 566, le mot « “comprenant” […] est semblable en matière de revendications à celui du mot “inclut” », un mot qui était considéré comme « vague ». L’intimée affirme d’ailleurs que la substitution du mot « comprenant » aux mots « caractérisée en ce que » a eu pour effet d’élargir l’étendue de la revendication 21 par rapport à celle de la revendication 14, de telle sorte que les deux revendications ne sont pas « identiques ». Comme nous l’avons vu, le juge des requêtes a exprimé l’avis que la suppression des mots « caractérisée en ce que » avait eu cet effet parce que cette suppression lui donnait à entendre que les particularités de la revendication 21 tout de suite après le mot « comprenant » [traduction] « ne sont peut-être plus essentielles ».

[24]      L’intimée a soutenu que, en employant dans la revendication 21 le mot vague « comprenant », l’appelante avait voulu élargir la revendication originale pour y inclure des choses exprimées et non exprimées et, en conséquence, que les particularités de l’invention décrites dans le texte de la revendication 21 après le mot « comprenant » n’étaient plus essentielles. Il s’agit là évidemment d’un argument de fond qui requiert un examen minutieux avant que le litige ne puisse être résolu.

[25]      La difficulté que me pose cet argument, et que me pose l’opinion correspondante du juge des requêtes, concerne l’idée de régler la question à l’étape du jugement sommaire. Il est bien entendu qu’il appartient aux tribunaux d’interpréter les revendications des brevets et que de façon générale les mots employés doivent recevoir leur sens naturel et ordinaire tel que ces mots seraient compris à la date de la délivrance du brevet par ceux à qui le domaine concerné est familier. Le juge des requêtes a trouvé un soutien dans deux articles publiés : D. S. Johnson, « The Language of the Claim » (1955), 23 C.P.R. 76, pages 79 à 81; R. F. Delbridge, « Preparation and Prosecution of Canadian and Foreign Patent Applications » (1969), 58 C.P.R. 251, aux pages 258 et 259. Ces articles mentionnent tous deux que le mot « caractérisée », dans l’expression « caractérisée en ce que » a pour fonction de séparer les particularités connues de la revendication et les particularités nouvelles et inventives. Selon cette analyse, l’emploi du mot « comprenant », dans la revendication 21, indique un changement de la portée de cette revendication par rapport à celle de la revendication 14. Il ne faut pas oublier cependant que le texte de la revendication 21 doit recevoir une interprétation téléologique, qui s’harmonise avec l’approche adoptée par la Chambre des lords dans l’arrêt Catnic Components Limited and Another v. Hill & Smith Limited, [1982] R.P.C. 183.

[26]      À mon avis, il semblerait peu judicieux de tenter de résoudre ce différend à la faveur d’un jugement sommaire. Si la revendication 21 n’est pas « identique » à la revendication 14, alors, sans un procès en règle, la demande reconventionnelle se soldera tout simplement par un débouté. Si en revanche les deux revendications sont identiques dans leur étendue, la voie sera libre pour faire juger dans un procès la demande reconventionnelle. L’absence d’une preuve d’expert dans le dossier dont nous sommes saisis pourrait être corrigée dans un procès, si tant est que les parties décident de produire une telle preuve. Au paragraphe 23 de ses motifs, le juge des requêtes faisait allusion au fait que l’appelante n’avait pas produit une telle preuve. À mon avis cependant, la charge de produire une preuve établissant que les revendications n’étaient pas « identiques » et donc qu’il n’y avait « pas de point véritable à décider » revenait à l’intimée, en tant que partie requérante, et non à l’appelante, selon les règles des jugements sommaires : Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc. (1998), 81 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.), à la page 309. La preuve d’expert dans un procès relatif à des brevets se rapporte le plus souvent aux expressions techniques apparaissant dans la description du brevet, mais elle peut aussi servir à expliquer des expressions figurant dans les revendications, afin que le tribunal puisse parfaitement comprendre les mots employés; voir p. ex. l’arrêt McPhar Engineering Co. of Canada Ltd. v. Sharpe Instruments Ltd. et al., [1956-60] R.C.É. 467, aux pages 533 et 534. Comme l’indique le lord juge Lindley dans l’arrêt Brooks v. Steele & Currie (1896), 14 R.P.C. 46 (C.A.), à la page 73 : [traduction] « Le juge peut, et même en général doit, avoir recours à une preuve d’expert qui lui explique les expressions techniques, qui lui montre le fonctionnement pratique de l’équipement décrit ou dessiné, et qui porte à son attention ce qui est ancien et ce qui est nouveau dans la description du brevet ». Ce point a été exposé tout récemment, avec encore plus de force, par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, où, après s’être référé aux indications données par les arrêts Burton Parsons et Catnic, précités, à propos de l’interprétation des brevets, le juge Binnie s’exprimait ainsi, à la page 1100 :

L’arrêt Burton Parsons fournit un exemple d’interprétation téléologique antérieur à l’arrêt Catnic, dans lequel, comme dans l’arrêt Catnic même, la personne versée dans l’art à qui on s’adressait s’était servie de ses connaissances usuelles pour donner un sens et un but aux mots utilisés dans la revendication. C’est du point de vue d’une telle personne, et non pas de celui d’un étymologiste ou d’un grammairien, que le contenu du mémoire descriptif, y compris les revendications, doit être interprété.

[27]      La nécessité d’une preuve d’expert est d’autant plus évidente dans le cas présent, où les parties débattent ce qui est ancien et ce qui est nouveau dans la revendication 21, et se demandent si les particularités essentielles de cette revendication ont été supprimées et si son étendue a été modifiée au point de la rendre non « identique » à la revendication originale. Le renvoi de l’affaire à procès afin que ce point puisse être décidé semblerait s’accorder avec la mise en garde du juge en chef Duff dans l’arrêt Northern Electric, précité, pour qui le libellé du paragraphe ne devrait pas être élargi au-delà des espèces qui entrent manifestement dans son périmètre. Un procès en règle portant sur la question sera mieux à même de permettre à la Cour de dire si le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle a ou n’a pas été éteint par suite de l’abandon du brevet.

Points accessoires

[28]      L’appelante soutient que, même si le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle a été éteint à l’abandon du brevet, elle a néanmoins droit à un procès fixant des dommages-intérêts pour atteinte portée à ses droits entre le 24 janvier 1997, date de la délivrance du brevet, et le 10 décembre 1999, date à laquelle le brevet a été abandonné lors de l’octroi du brevet redélivré. L’argument ici est que le brevet, de par le paragraphe 47(2), est réputé avoir été valide jusqu’à la date de prise d’effet de son abandon et que par conséquent les droits accordés à l’appelante par le brevet n’ont pas disparu rétroactivement le jour de son abandon.

[29]      L’intimée rétorque en affirmant que l’idée de laisser l’action donner lieu à l’attribution de dommages-intérêts serait contraire au texte du paragraphe 47(2) lui-même. Elle affirme aussi que le mot « abandon », dans ce paragraphe, signifie que tout motif d’instance qui existait selon le brevet original a cessé d’exister.

[30]      La jurisprudence canadienne qui interprète l’effet de l’abandon et de la redélivrance de brevets selon des versions antérieures du paragraphe 47(2) donne à entendre que l’abandon et la redélivrance entraînent la disparition du brevet original et son remplacement par le brevet redélivré : voir p. ex. l’arrêt Detroit Fuse, précité. L’intimée affirme que l’arrêt Curl-Master Mfg. Co. Ltd. v. Atlas Brush Ltd., [1967] R.C.S. 514, aux pages 533 et 534, conduit au même résultat, mais je ne suis pas persuadé que la question ait été pleinement explorée ni que cet arrêt soit absolument pertinent. L’appelante quant à elle invoque les propos tenus par la Cour fédérale, Section d’appel, dans l’arrêt Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1993), 47 C.P.R. (3d) 188 (C.A.F.), à la page 196, propos qui concernaient une demande de dommages-intérêts pour contrefaçon du brevet original après qu’il avait été redélivré. Dans cette affaire, la Cour avait dit que « le brevet original demeure pertinent uniquement aux fins d’établir les dommages-intérêts ». Cette affirmation, à première vue, pourrait prêter appui à l’argument de l’appelante sur ce point, mais à mon avis elle n’est guère utile car elle semble n’être rien de plus qu’un obiter dictum sur un point qui n’avait pas été entièrement plaidé, ou qui était peut-être une récapitulation des arguments des avocats.

[31]      Il me semble que la question de savoir si le motif d’instance plaidé dans la demande reconventionnelle a subsisté après l’abandon du brevet dépend surtout de l’interprétation des mots pertinents du paragraphe 47(2). Comme on l’a vu, la version française est rédigée en partie ainsi :

47. (1) […]

(2) Un tel abandon ne prend effet qu’au moment de la délivrance du nouveau brevet, […] Dans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques, un tel abandon n’atteint aucune instance pendante au moment de la redélivrance, ni n’annule aucun motif d’instance alors existant, et le brevet redélivré, dans la mesure où ses revendications sont identiques à celles du brevet original, constitue une continuation du brevet original et est maintenu en vigueur sans interruption depuis la date du brevet original.

[32]      Le motif d’instance de l’appelante était existant au moment de la redélivrance lorsque l’abandon du brevet original est devenu effectif. Le paragraphe 47(2) semblerait préserver un motif d’instance existant uniquement « dans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques ». À mon avis par conséquent, s’il est jugé au procès que les revendications en cause sont identiques, l’appelante devrait être fondée à obtenir réparation pour atteinte à ses droits, mais pas autrement. Cette vue s’accorde avec l’approche adoptée par les tribunaux américains dans l’interprétation de mots semblables figurant dans la section 252 de la loi américaine correspondante sur les brevets. Ainsi, dans l’arrêt Bloom Engineering, précité, le Federal Circuit Court affirmait, à la page 1249 :

[traduction]

Les sections 307 et 252 protègent ceux qui jugent invalide un brevet qui leur est défavorable; si le titulaire du brevet remédie plus tard à l’invalidité par redélivrance ou réexamen, le fait d’apporter des modifications de fond aux revendications est considéré comme une présomption irréfragable que les revendications originales étaient fondamentalement viciées. Ainsi, la loi libère de toute responsabilité durant la période antérieure à la validation des revendications originales ceux qui ont pu porter atteinte auxdites revendications. [Non souligné dans l’original.]

[33]      Un deuxième point accessoire vient de ce que l’appelante a invoqué le paragraphe 55(2) de la Loi, édicté par l’article 48 de la Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle, L.C. 1993, ch. 15. Le paragraphe 55(1) rend le contrefacteur d’un brevet responsable de tout acte dommageable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci. Voici le texte du paragraphe 55(2) :

55. (1) […]

(2) Est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci, à concurrence d’une indemnité raisonnable, quiconque accomplit un acte leur faisant subir un dommage entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public sous le régime de l’article 10 et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible.

[34]      Selon l’argument de l’appelante, ce paragraphe donne au breveté le droit de réclamer une indemnité raisonnable pour les actes de « contrefaçon » accomplis entre la date de publication et la date d’octroi d’un brevet. Le droit à réparation ne dépend que de l’octroi. Je ne suis pas persuadé que cet argument soit applicable à un brevet redélivré. Il n’est pas nécessaire d’examiner la véritable signification du paragraphe 55(2). Je reconnais avec l’intimée cependant qu’accepter l’argument conduirait à un résultat illogique. Si le propriétaire d’un brevet invalide n’a pu obtenir réparation pour des agissements postérieurs à la délivrance du brevet, il ne devrait pas pouvoir obtenir réparation pour des agissements antérieurs à la redélivrance du brevet du seul fait que le brevet avait autrefois été délivré. Au reste, il me semble que le droit de l’appelante à réparation pour contrefaçon du brevet dépend de l’interprétation du paragraphe 47(2). Si l’avis que j’ai déjà exprimé est juste, il ne peut y avoir réparation pour contrefaçon du brevet que si les deux revendications en cause sont, à l’issue d’un procès, jugées identiques.

DÉPENS DE LA REQUÊTE

[35]      Vu que je ne confirmerais pas dans son intégralité l’ordonnance frappée d’appel, il devient nécessaire d’examiner la question des dépens de la requête. Le juge des requêtes a disposé ainsi de cette question dans son ordonnance :

[traduction] La demande reconventionnelle de la défenderesse est rejetée. La demanderesse obtient l’autorisation de se désister de son action. Les dépens sont accordés à la demanderesse, sur une base avocat-client, en ce qui a trait à la demande reconventionnelle de la défenderesse. Les dépens sont accordés à la défenderesse en ce qui a trait à toutes les matières se rapportant à la rupture d’un accord de 1992 pour la période allant du début de l’action jusqu’au 24 septembre 1998. Il n’y a pas de dépens en ce qui a trait à l’action de la demanderesse, sauf de la manière susdite.

Puisque l’affaire doit être renvoyée à la Section de première instance pour un procès en bonne et due forme, l’ordonnance d’adjudication des dépens devrait être modifiée. Puisque l’appelante devrait avoir gain de cause sur le point principal, elle devrait obtenir ses dépens au regard de ce point devant la Section de première instance. Je ne modifierais pas les dépens adjugés par le juge des requêtes dans l’action, car il avait le pouvoir de les adjuger ainsi.

DISPOSITIF

[36]      En définitive, j’accueillerais l’appel, avec dépens en faveur de l’appelante. Je modifierais l’ordonnance de la Section de première instance en date du 27 juillet 2000 par suppression des phrases suivantes : « La demande reconventionnelle de la défenderesse est rejetée » et « Les dépens avocat-client sont accordés à la demanderesse en ce qui a trait à la demande reconventionnelle de la défenderesse », et par substitution de ce qui suit : « La requête en jugement sommaire visant au rejet de la demande reconventionnelle de la défenderesse est rejetée, avec dépens ». À tous autres égards, je confirmerais ladite ordonnance.

Le juge Sexton, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge Evans, J.C.A. : J’y souscris.

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