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[2002] 2 C.F. 484

T-2407-96

2001 CFPI 1408

George William Harris, pour son propre compte et pour le compte d’une catégorie de demandeurs composée des particuliers et autres personnes qui sont tenus de produire des déclarations conformément à l’article 150 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, dans sa forme modifiée, à l’exception des personnes visées au paragraphe 2 de la présente demande (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine et le ministre du Revenu national (défendeurs)

Répertorié : Harris c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge DawsonOttawa, 24 septembre; Winnipeg, 1er et 17 octobre; Ottawa, 19 décembre 2001.

Impôt sur le revenu  — Décisions anticipéesRecours collectif alléguant que la Couronne a accordé un traitement préférentiel et un avantage particulier indus à certains contribuables par la décision anticipée en matière fiscale rendue en 1991Une fiducie familiale a été constituée au profit de B et des enfants de B, dont l’un était le contribuable CLa participation de ce dernier dans la fiducie familiale a par la suite été versée dans la fiducie de protection des actifsC, qui était l’unique bénéficiaire de la fiducie de protection des actifs, a décidé de résider en permanence aux États-UnisLes principaux actifs de la fiducie familiale étaient composés d’un titre de propriété bénéficiaire afférent à des actions de la société publique, une société par actions canadienne imposableUn résident du Canada pouvait-il détenir un « bien canadien imposable »?Les hauts fonctionnaires de Revenu Canada n’ont pas dressé de procès-verbaux de réunions au cours desquelles des décisions cruciales étaient prisesL’absence de procès-verbaux ne permettait pas de conclure à la mauvaise foi et au traitement de faveurLa renonciation, l’engagement et l’engagement selon lequel les actions ne seraient pas aliénées pour une période de cinq ans n’ont pas donné lieu à un traitement de faveurLa preuve ne démontrait pas l’existence de traitement de faveur et de mauvaise foi.

Couronne  — Obligation fiduciaireLe contribuable, demandeur dans le recours collectif, a prétendu qu’en recevant la demande visant l’obtention de la décision anticipée de 1991 et en répondant à cette demande, le MRN agissait à titre de fiduciaire et a manqué à son obligationEn rendant des décisions anticipées, le MRN s’acquitte d’une obligation de droit publicLes obligations de droit public ne créent généralement aucun rapport fiduciaireEn rendant une décision anticipée, les représentants du ministre ne s’acquittent pas d’une obligation de droit privéL’obligation qui existe est une obligation publique dont il faut s’acquitter conformément à toutes les dispositions de la Loi, de bonne foi, à des fins qui ne sont pas illégitimes et sans qu’il soit tenu compte de considérations non pertinentesLes obligations de droit public sont régies par les principes applicables au droit publicL’obligation fiduciaire est une obligation de loyauté qui existe envers le bénéficiaireEn recevant la demande de décision anticipée et en y répondant, le ministre n’avait aucune obligation fiduciaire ou autre obligation similaire envers les contribuables.

Preuve  — Le contribuable a demandé que les notes de l’agent des décisions soient reçues en preuve en vue d’établir l’exactitude de leur contenu conformément à l’art. 30 de la Loi sur la preuve au CanadaLes notes étaient des pièces établies dans le cours ordinaire des affaires et elles étaient admissibles sous le régime de l’art. 30Les défendeurs se sont opposés à l’admission des témoignages d’expert des fonctionnaires du vérificateur général en affirmant que le contribuable ne s’était pas conformé à la règle 279b) et que ces témoignages constituaient une preuve par ouï-dire inadmissibleLa communication exigée par la règle 279 découlait essentiellement du rapport du vérificateur général de 1996 et de la déposition de ce dernier devant le ParlementIl s’agit d’un des rares cas dans lesquels une autorisation doit être accordée aux fins de l’admission de la preuve d’opinion, et ce, malgré la non-conformité à la règle 279La preuve était pertinente et nécessaire car elle renfermait des renseignements ne relevant pas de l’expérience et de la connaissance de la CourLes conclusions des fonctionnaires du vérificateur général étaient fondées sur l’examen des dossiers de Revenu Canada qu’ils avaient eux-mêmes effectuéLa preuve d’opinion qu’ils ont présentée sur des questions de procédure était admissible.

Pratique — Frais et dépens  — Les défendeurs se sont opposés à ce que les dépens soient adjugés au contribuable, le demandeur dont le recours collectif a été rejeté, parce que la Cour ne devrait pas encourager les « fauteurs de trouble » qui font des allégations de mauvaise foi, mais qui ne peuvent pas étayer ces allégations au moyen de preuvesLes dépens, même s’ils sont discrétionnaires, doivent être adjugés conformément à certains principesEn vertu de la règle 400(3)h), la Cour peut tenir compte de l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instanceLe contribuable n’est pas un simple fauteur de trouble, et il a droit aux dépensIl ne doit pas recevoir des dépens sur la base avocat-client car pareils dépens ne sont adjugés qu’exceptionnellement et uniquement dans le cas où l’une des parties a adopté une conduite répréhensibleLes dépens doivent être accordés entre parties pour qu’ils constituent une indemnité partielle plutôt qu’un gain fortuitLa question des dépens a été reportée.

Dans la présente action, on a allégué que, par suite d’une décision anticipée en matière fiscale rendue en 1991, la Couronne a accordé un traitement préférentiel et un avantage particulier indus à certains contribuables et qu’en recevant la demande visant à obtenir une décision anticipée et en répondant à cette demande, le ministre du Revenu national agissait à titre de fiduciaire envers la catégorie de contribuables que le demandeur représente et a manqué à son obligation. Une décision anticipée est une déclaration que Revenu Canada fait par écrit à un contribuable, indiquant l’interprétation qu’il entend donner à la législation en matière d’impôt sur le revenu en ce qui concerne son application à des opérations précises que le contribuable envisage de conclure. Feu A avait constitué une fiducie familiale au profit de B et des enfants de B, dont l’un était le contribuable C. La participation de ce dernier dans la fiducie familiale a par la suite été versée dans la fiducie de protection des actifs en 1987. Au moment où la décision a été demandée (le 7 novembre 1991), C, qui était l’unique bénéficiaire de la fiducie de protection des actifs, avait décidé de résider en permanence aux États-Unis. À ce moment-là, les principaux actifs de la fiducie familiale étaient composés d’un titre de propriété bénéficiaire afférent à un certain nombre d’actions de la société publique, une société par actions canadienne imposable. Le 8 novembre 1991, la demande de décision a été renvoyée à M. J. Chan, l’agent des décisions de Revenu Canada, qui a conclu que la décision dépendait de la question de savoir si un résident du Canada pouvait détenir un « bien canadien imposable » au sens où cette expression est définie au paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il a été convenu que la disposition envisagée des actions de la fiducie de protection des actifs serait soustraite à l’imposition au Canada à cause de l’application de l’alinéa 5a) de l’article XIII de la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (la Convention). Même si C avait résidé au Canada pendant dix ans au cours d’une période de 20 années consécutives ayant précédé la date de la disposition, il n’en allait pas de même pour la fiducie de protection des actifs puisqu’elle avait uniquement été créée en 1987. Compte tenu de l’incertitude au sujet de la question de savoir si, en droit, les résidents canadiens pouvaient détenir des biens canadiens imposables, Revenu Canada a demandé conseil aux ministères de la Justice et des Finances. La Direction des décisions anticipées de Revenu Canada était prête à rendre une décision favorable si les actions de la société publique étaient remises à C avant que celui-ci quitte le Canada. En réalité, on craignait de perdre des recettes fiscales importantes par suite de l’application de la Convention. Toutefois, le problème de Revenu Canada était « réglé » si les actions étaient directement remises à C puisque ce dernier avait toujours résidé au Canada et que le Canada aurait encore le droit d’exiger un impôt pour une période de dix ans. Le 23 décembre 1991, M. Beith de Revenu Canada a fait savoir que Revenu Canada reconnaîtrait que les actions de la société publique constituaient des biens canadiens imposables si les conditions suivantes étaient réunies : (i) la remise d’une renonciation de la part de la fiducie familiale pour l’année d’imposition 1991; (ii) la prise d’un engagement selon lequel la fiducie de protection des actifs ne revendiquerait pas la protection de la Convention pour une période de dix ans; et (iii) la prise d’un engagement selon lequel, au cours des cinq années à venir, la fiducie de protection des actifs ne prendrait aucune mesure entraînant la réalisation des gains en capital accumulés sur les actions de la société publique. Ces conditions convenaient au contribuable et la décision a par la suite été rendue sur cette base. Aucune note n’a été rédigée et aucun procès-verbal n’a été dressé au sujet des réunions qui ont eu lieu le 23 décembre 1991 au matin. Quatre questions principales ont été soulevées en l’espèce : 1) le traitement préférentiel et l’avantage particulier indus; 2) le manquement à une obligation fiduciaire ou à une obligation similaire; 3) la nature de la preuve présentée à l’instruction et les questions de preuve; 4) l’adjudication des dépens.

Jugement : l’action est rejetée.

1) Il a été allégué que le ministre du Revenu national avait agi illégalement, irrégulièrement ou pour un motif inavoué, savoir le favoritisme et le traitement préférentiel par une entente secrète. Il n’existait aucune preuve directe à l’appui de cette allégation. L’ancien vérificateur général du Canada a témoigné qu’en examinant les faits de l’affaire, son bureau n’avait rien pu trouver qui indique un comportement inacceptable ou un abus d’influence ou qui prouve que l’on s’était livré à des opérations malhonnêtes. Dans son rapport, le vérificateur général ne faisait pas mention de quoi que ce soit qui puisse indiquer qu’il y avait eu traitement préférentiel ou avantage particulier indus parce que le contribuable en cause était quelqu’un de notable. L’inférence relative au traitement préférentiel et à l’avantage particulier faite par le demandeur était contraire aux conclusions de fait que la Cour a tirées à la suite d’un examen minutieux de toute la preuve. Le fait que le sous-ministre du Revenu national du Canada, M. P. Gravelle, a demandé à M. Bentley, un avocat du ministère de la Justice, si son avis juridique allait étayer une conclusion favorable ne permet pas d’inférer que M. Gravelle cherchait à justifier une décision favorable. De même, on ne pouvait faire aucune inférence défavorable à partir du fait que M. Gravelle n’a pas personnellement lu tout le dossier. En l’absence de notes écrites ou de procès-verbaux, il était plus difficile pour Revenu Canada de justifier ses actions et de veiller à ce que ses représentants agissent d’une façon appropriée. Cette omission allait à l’encontre de la politique et des procédures établies de Revenu Canada. Étant donné les sommes élevées en cause, il est étonnant que les hauts fonctionnaires à Revenu Canada n’aient pas dressé de procès-verbaux de certaines réunions au cours desquelles des décisions cruciales étaient prises. Une façon d’agir aussi déplorable risque de compromettre l’obligation publique de rendre compte. La Cour n’était toutefois pas prête à inférer qu’il y avait eu mauvaise foi et traitement de faveur en se fondant sur l’absence de procès-verbaux. Mais pareille façon négligente d’agir n’est pas pour autant sanctionnée car elle rend un mauvais service tant à la population canadienne, qui a le droit de s’attendre à ce qu’il y ait toujours un certain nombre de documents, qu’aux fonctionnaires de Revenu Canada, qui ont à justifier leur décision beaucoup plus tard.

La renonciation, qui permettait pendant une période de dix ans d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de la fiducie familiale, a été acceptée parce qu’on ne savait pas trop si les actions de la société publique constituaient des biens canadiens imposables. Il s’agissait d’une condition que Revenu Canada avait insérée au détriment du contribuable de façon à protéger l’assiette de l’impôt contre un événement hypothétique subséquent. On n’a accordé aucun traitement de faveur en acceptant la renonciation. La fiducie de protection des actifs s’engageait à ne pas demander, pour les dix années à venir, une déduction en vertu du sous-alinéa 110(1)f)(i) et de l’alinéa 115(1)d) de la Loi. Étant donné que la fiducie de protection des actifs ne résidait pas au Canada, elle pouvait affirmer qu’elle n’était pas visée par les dispositions de la Convention. Cet engagement visait donc à assurer au Canada que tout impôt résultant de la disposition d’un bien en immobilisation respecterait les dispositions de la Convention. Avec l’engagement selon lequel les actions ne seraient pas aliénées pour une période de cinq ans, la renonciation et l’engagement garantissaient qu’en pratique, il était peu probable que des opérations d’évitement soient subséquemment conclues. Revenu Canada ne pouvait pas légitimement refuser de rendre une décision anticipée en se fondant uniquement sur le fait que le résultat était favorable au contribuable et que le résultat obtenu par suite de l’application de la Convention ne lui plairait pas. La preuve ne permettait pas d’inférer que le contribuable ici en cause a bénéficié d’un traitement de faveur.

2) Il a aussi été allégué qu’en recevant la demande de décision et en y répondant, le ministre et ses représentants agissaient à titre fiduciaire ou dans une qualité similaire, et qu’ils ont manqué à leur obligation. Il a été concédé pour le compte du demandeur qu’en rendant des décisions anticipées, le ministre s’acquitte d’une obligation de droit public. La Cour suprême du Canada a souligné que, de façon générale, il n’existe d’obligations de fiduciaire que dans le cas d’obligations prenant naissance dans un contexte de droit privé et que les obligations de droit public ne créent normalement aucun rapport fiduciaire. Toutefois, la Couronne peut, dans certains cas, avoir une obligation fiduciaire ou une obligation similaire. Il faut examiner minutieusement les circonstances de l’affaire afin de déterminer si l’obligation imposée à la Couronne, ou assumée par celle-ci, est de la nature d’une obligation de droit privé. Il est peu probable qu’il existe un rapport fiduciaire si la Couronne était placée dans une situation de conflit entre la responsabilité qui lui incombe d’agir dans l’intérêt public et l’obligation de loyauté que le fiduciaire a envers le bénéficiaire. La Loi ou la Circulaire d’information 70-6R2 ne contient rien qui indique qu’en rendant une décision anticipée, le ministre s’acquitte d’une obligation de la nature d’une obligation de droit privé. Ni le ministre du Revenu national ni ses employés ne possèdent un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les modalités d’application de la Loi de l’impôt sur le revenu : ils doivent lui obéir d’une façon absolue. L’obligation qui existe est une obligation publique dont il faut s’acquitter conformément à toutes les dispositions de la Loi, de bonne foi, à des fins qui ne sont pas illégitimes et sans qu’il soit tenu compte de considérations non pertinentes. Les obligations de droit public sont régies par les principes applicables au droit public. L’essence d’une obligation fiduciaire est l’obligation de loyauté qui existe envers le bénéficiaire. S’il existe une obligation fiduciaire envers le demandeur, il existe également une obligation fiduciaire envers le contribuable. Le ministre et ses représentants n’avaient aucune obligation fiduciaire ou autre obligation similaire envers le demandeur et les personnes que celui-ci représente, mais cela ne veut pas pour autant dire que le ministre et ses représentants n’ont aucune obligation. En droit public, ils sont tenus d’agir de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions et d’interpréter convenablement la Loi.

3) Le contribuable a demandé que les notes de l’agent des décisions soient reçues en preuve en vue d’établir l’exactitude de leur contenu conformément à l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada. Compte tenu du témoignage de M. Chan, la Cour a conclu que les notes que celui-ci a prises étaient des pièces établies dans le cours ordinaire des affaires et qu’elles étaient admissibles conformément à cette disposition. Une deuxième question, en ce qui concerne la preuve, était de savoir si les représentants du bureau du vérificateur général pouvaient témoigner à titre d’experts au sujet du fonctionnement des ministères gouvernementaux en général et de Revenu Canada en particulier. Les défendeurs se sont opposés à l’admission des témoignages d’expert de ces représentants en affirmant que le demandeur ne s’était pas conformé à l’alinéa 279b) des Règles de la Cour fédérale (1998) et que ces témoignages constituaient une preuve par ouï-dire inadmissible. La communication exigée par l’article 279 des Règles découlait essentiellement du rapport du vérificateur général de 1996 et de la déposition que ce dernier a faite devant le Parlement, de sorte qu’aucune partie des témoignages de ses fonctionnaires n’a pris les défendeurs par surprise. Il s’agit d’un des rares cas dans lesquels une autorisation doit être accordée aux fins de l’admission de la preuve d’opinion, et ce, malgré la non-conformité à la règle 279. Pour être admissible, la preuve doit être pertinente; elle doit aider le juge des faits; elle ne doit pas aller à l’encontre d’une règle d’exclusion et la personne qui témoigne doit être un expert qualifié. Les compétences des témoins n’ont pas été contestées et ces témoins ont pu exprimer leur opinion au sujet du bon fonctionnement de la Direction des décisions anticipées de Revenu Canada. La preuve était pertinente et nécessaire en ce sens qu’elle renfermait des renseignements ne relevant pas de l’expérience ou de la connaissance de la Cour. Les conclusions de l’ancien vérificateur général et de ses fonctionnaires étaient à juste titre fondées sur l’examen des dossiers de Revenu Canada qu’ils avaient eux-mêmes effectué, et la preuve d’opinion qu’ils ont présentée sur des questions de procédure était admissible.

4) L’action étant rejetée, les défendeurs se sont opposés à ce que les dépens soient adjugés au demandeur; selon eux, la Cour ne devrait pas encourager les « fauteurs de trouble » qui font des allégations de mauvaise foi qui sont portées à la connaissance du grand public, mais qui ne peuvent pas étayer ces allégations au moyen de preuves. Les dépens, même s’ils sont discrétionnaires, doivent être adjugés conformément à certains principes. Le facteur le plus important dont la Cour peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est celui qui est énoncé à l’alinéa 400(3)h) des Règles, à savoir que la Cour peut tenir compte de l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance. Le contribuable ne peut pas à juste titre être simplement considéré comme un fauteur de trouble. Même si, dans ce cas-ci, ses efforts ont été infructueux, un examen minutieux des actions des représentants du gouvernement par des citoyens responsables peut uniquement renforcer les institutions publiques et la confiance qu’elles inspirent. Le demandeur a droit à certains dépens, mais non sur la base avocat-client. Pareils dépens ne sont adjugés qu’exceptionnellement et, en général, uniquement dans le cas où l’une des parties a adopté une conduite répréhensible. Les dépens entre parties constituent une indemnité partielle plutôt qu’un gain fortuit ou une prime. Le demandeur doit rendre pleinement compte à la Cour et aux défendeurs des sommes qu’il a reçues et qu’il a dépensées ou qui sont dues en raison du litige. Cette reddition de compte vise à assurer que les sommes payées par le gouvernement canadien au titre des dépens représentent une indemnité plutôt qu’un profit. La question des dépens a donc été reportée dans l’attente d’arguments additionnels.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Auditor General Act, R.S.C., 1985, c. A-17, s. 7 (as am. by S.C. 1994, c. 32, s. 2; 1995, c. 43, s. 3).

Canada Evidence Act, R.S.C., 1985, c. C-5, s. 30(1),(6), (12) « business ».

Convention Between Canada and the United States of America with Respect to Taxes on Income and on Capital, being Schedule 1 of the Canada-United States Tax Convention Act, 1984, S.C. 1984, c. 20, Art. XIII (as am. by S.C. 1984, c. 20, Sch. II, Art. VI).

Excise Act, R.S.C. 1970, c. E-12, s. 202.

Federal Court Rules, 1998, SOR/98-106, rr. 279, 400, Tariff B.

Income Tax Act, S.C. 1970-71-72, c. 63, ss. 48(1) (as am. by S.C. 1973-74, c. 14, s. 9; 1979, c. 5, s. 13; 1984, c. 45, s. 13; 1986, c. 6, s. 21), 85(1) (as am. by S.C. 1977-78, c. 1, s. 40; 1988, c. 55, s. 58), 97(2) (as am. by S.C. 1980-81-82-83, c. 140, s. 58; 1985, c. 45, s. 49), 102(a) (as am. by S.C. 1986, c. 55, s. 27), 107(5) (as am. by S.C. 1988, c. 55, s. 74), 110(1)(f) (as am. by S.C. 1980-81-82-83, c. 140, s. 65; 1988, c. 55, s. 77), 115(1)(b)(iii) (as am. by S.C. 1974-75-76, c. 26, s. 74), (d) (as am. by S.C. 1988, c. 55, s. 88), 220(1), 241 (as am. by S.C. 1980-81-82-83, c. 68, s. 117; c. 140, s. 126; 1984, c. 19, s. 30; 1986, c. 55, s. 77; 1987, c. 46, s. 68; 1988, c. 51, s. 14; c. 55, ss. 183, 184; 1990, c. 1, s. 30; c. 35, s. 26), 245(2) (as am. by S.C. 1988, c. 55, s. 185), 248(1) « taxable Canadian property » (as am. by S.C. 1974-75-76, c. 26, s. 125; 1980-81-82-83, c. 48, s. 108; 1985, c. 45, s. 122).

Indian Act, R.S.C., 1985, c. I-5, s. 18(1).

Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, qui constitue l’annexe 1 de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d’impôts, S.C. 1984, ch. 20, art. XIII (mod. par S.C. 1984, ch. 20, annexe II, art. VI).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 48(1) (mod. par S.C. 1973-74, ch. 14, art. 9; 1979, ch. 5, art. 13; 1984, ch. 45, art. 13; 1986, ch. 6, art. 21), 85(1) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 40; 1988, ch. 55, art. 58), 97(2) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 58; 1985, ch. 45, art. 49), 102a) (mod. par S.C. 1986, ch. 55, art. 27), 107(5) (mod. par S.C. 1988, ch. 55, art. 74), 110(1)f) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 65; 1988, ch. 55, art. 77), 115(1)b)(iii) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 74), d) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 88), 220(1), 241 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 117; ch. 140, art. 126; 1984, ch. 19, art. 30; 1986, ch. 55, art. 77; 1987, ch. 46, art. 68; 1988, ch. 51, art. 14; ch. 55, art. 183, 184; 1990, ch. 1, art. 30; ch. 35, art. 26), 245(2) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 185), 248(1) « bien canadien imposable » (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 125; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 108; 1985, ch. 45, art. 122).

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur l’accise, S.R.C. 1970, ch. E-12, art. 202.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 30(1),(6), (12) « affaires ».

Loi sur le vérificateur général, L.R.C. (1985), ch. A-17, art. 7 (mod. par L.C. 1994, ch. 32, art. 2; 1995, ch. 43, art. 3).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 18(1).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 279, 400, tarif B.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9; (1994), 114 D.L.R. (4th) 419; 89 C.C.C. (3d) 402; 29 C.R. (4th) 243; 166 N.R. 245; 71 O.A.C. 241; Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574; (1989), 69 O.R. (2d) 287; 61 D.L.R. (4th) 14; 26 C.P.R. (3d) 97; Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1; Swain v Law Society, [1982] 2 All ER 827 (H.L.); Bande indienne de Squamish c. Canada, 2001 CFPI 480; [2000] A.C.F. no 1568 (1re inst.) (QL); Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49; (1989), 61 D.L.R. (4th) 604; 97 N.R. 241; Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Windsor Roman Catholic Separate School Board v. Windsor (City) (1988), 64 O.R. (2d) 241; 49 D.L.R. (4th) 576; 37 M.P.L.R. 70; 27 O.A.C. 275 (C.A.); autorisation d’appel à la C.S.C. refusée, [1988] 2 R.C.S. x; Première nation de Fairford c. Canada (Procureur général), [1999] 2 C.F. 48; [1999] 2 C.N.L.R. 60; (1998), 156 F.T.R 1 (1re inst.); Première nation des Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) et al. (1999), 251 N.R. 220 (C.A.F.); La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c. Le ministre du Revenu national (no 1), [1976] 2 C.F. 500; (1976), 67 D.L.R. (3d) 505; [1976] C.T.C. 339; 10 N.R. 153 (C.A.); conf. [1976] 1 C.F. 314 (1976), 67 D.L.R. (3d) 650; [1976] CTC 332 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Harris c. Canada, [1997] A.C.F. no 1826 (1re inst.) (QL); Harris c. Canada, [1999] 2 C.F. 392; (1998), 99 DTC 5018; 161 F.T.R. 288 (1re inst.); Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37; (2000), 187 D.L.R. (4th) 419; 2000 DTC 6373; 256 N.R. 221 (C.A.); Cohen (N) c La Reine, [1980] C.T.C. 318; 80 DTC 6250; Smerchanski c. Ministre du Revenu national, [1977] 2 R.C.S. 23; [1976] CTC 488; (1976), 76 DTC 6247; 9 N.R. 459; Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3; [1996] 3 C.T.C. 74; (1994), 95 DTC 5035 (Fr.); 182 N.R. 125 (C.A); Construction Gilles Paquette Ltée c. Entreprises Végo Ltée, [1997] 2 R.C.S. 299; (1997), 146 D.L.R. (4th) 193; 9 C.P.C. (4th) 203; 212 N.R. 212; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1.

DOCTRINE

Access to Canadian Income Tax, édition en feuilles mobiles. Montréal : DACO Publications.

Canada. Ministère des Finances. Résumé de projet de loi sur la réforme fiscale 1971. Ottawa : Ministère des Finances, 1971.

Ontario Law Reform Commission. Report on the Law of Standing. Toronto : Minister of the Attorney General, 1989.

Revenu Canada. Circulaire d’information 70-6R2. Ottawa : Revenu Canada, 28 septembre 1990.

ACTION dans laquelle on a allégué que, par suite d’une décision anticipée en matière fiscale rendue en 1991, la Couronne a accordé un traitement préférentiel et un avantage particulier indus à certains contribuables et qu’en recevant la demande visant à obtenir une décision anticipée et en répondant à cette demande, le ministre du Revenu national agissait à titre de fiduciaire ou dans une qualité similaire et a manqué à son obligation. Action rejetée.

ONT COMPARU :

Norm A. Cuddy, Michael Conner et Neil Brooks pour le demandeur.

Peter M. Kremer, c.r., et Perry M. Derksen pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Scurfield, Tapper, Cuddy, Winnipeg, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Dawson : Au mois de mai 1996, le vérificateur général du Canada a fait part de graves préoccupations au sujet de l’administration de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63[1], (la Loi) en ce qui concerne le transfert, à l’extérieur du Canada, d’actifs d’une valeur d’au moins deux milliards de dollars détenus dans des fiducies familiales à la suite d’une décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu rendue en 1991 par l’entité qui était alors connue sous le nom de Revenu Canada.

[2]        La décision anticipée portait sur les attributs fiscaux d’une fiducie qui cessait d’être résidente du Canada et devenait résidente des États-Unis. Le vérificateur général craignait que les opérations visées par la décision contournent l’économie de la législation fiscale et que la décision ait pour effet de rendre caduque toute demande future visant à la perception de recettes fiscales élevées; il déplorait l’absence de documents et d’analyse de décisions cruciales prises par Revenu Canada et faisait remarquer que parce que la décision anticipée n’avait pas été rendue publique en temps opportun, d’autres contribuables s’étaient peut-être vu refuser un avantage similaire.

LA NATURE ET L’HISTORIQUE DE LA PRÉSENTE ACTION

[3]        En se fondant sur ces préoccupations, M. Harris a intenté la présente action au mois d’octobre 1996. Il l’a fait en son nom et au nom de tous les contribuables qui doivent produire des déclarations de revenu sauf les contribuables qui, entre le 1er janvier 1985 et le 1er octobre 1996, ont conclu des opérations ou ont fait l’objet de cotisations compte tenu du fait qu’en droit, un « bien canadien imposable » au sens de la Loi peut être détenu ou aliéné par un résident du Canada.

[4]        Dans la présente action, M. Harris invoque deux causes d’action distinctes. Il allègue en premier lieu que, par suite de la décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu rendue en 1991, la Couronne [traduction] « a accordé un traitement préférentiel et un avantage particulier indus » aux contribuables touchés et qu’il y a de sa part une [traduction] « crainte raisonnable de mauvaise foi dans un acte d’administration et un motif inavoué de la part de la Couronne dans les circonstances de l’espèce ». En second lieu, M. Harris affirme qu’en recevant la demande visant à l’obtention d’une décision anticipée, en 1991, et en répondant à cette demande, le ministre du Revenu national (le ministre) [traduction] « agissait à titre de fiduciaire ou dans une qualité similaire » envers la catégorie de contribuables qu’il représente et que le ministre a manqué à son obligation.

[5]        M. Harris cherche fondamentalement à obtenir un jugement déclaratoire portant que le ministre est tenu d’exercer tous les pouvoirs et de prendre toutes les mesures possibles en vertu de la Loi en vue de percevoir l’impôt qui est à juste titre dû et exigible par suite des opérations mentionnées dans la décision anticipée.

[6]        Les défendeurs ont demandé la radiation de la déclaration en alléguant qu’elle ne révélait aucune cause d’action et que M. Harris n’avait pas qualité pour présenter la demande dans l’intérêt public. La requête visant à la radiation a initialement été accueillie par le protonotaire adjoint [[1997] A.C.F. no 1826 (1re inst.) (QL)], mais à la suite d’un appel interjeté devant la Section de première instance [[1999] 2 C.F. 392, elle a été rejetée par le juge Muldoon. L’appel interjeté devant la Cour d’appel [[2000] 4 C.F. 37 a été rejeté et la Cour suprême a refusé l’autorisation de se pourvoir contre cette décision [[2000] S.C.C.A. no 364 (QL)].

[7]        Une défense a ensuite été déposée à l’encontre de la demande et l’audience a été tenue à la suite de l’interrogatoire préalable des défendeurs.

LA NATURE DE LA PREUVE PRÉSENTÉE À L’INSTRUCTION ET LES QUESTIONS DE PREUVE

[8]        La preuve présentée à l’instruction était composée d’un exposé conjoint des faits, des dépositions de 14 témoins, du dépôt en preuve d’un certain nombre de documents et de la production d’extraits tirés de l’interrogatoire préalable du représentant des défendeurs. Sur les 14 témoins, trois étaient associés au bureau du vérificateur général et 11 étaient ou avaient été des représentants de Revenu Canada ou du ministère des Finances.

[9]        Le demandeur a cité comme témoins trois personnes associées au bureau du vérificateur général, un ancien représentant du ministère des Finances et quatre personnes qui étaient ou avaient été associées à Revenu Canada. Sur consentement, le demandeur a été autorisé à contre-interroger les représentants en place et les anciens représentants de Revenu Canada sans qu’il soit nécessaire de conclure qu’ils lui étaient hostiles.

[10]      La masse des documents qui ont été reçus en preuve se trouvait dans deux volumes d’un exposé conjoint déposé sur consentement qui indiquait si les documents constituaient une preuve prima facie de leur contenu ou s’il s’agissait simplement de copies authentiques. Le premier volume de l’exposé conjoint était composé des documents figurant dans le dossier de Revenu Canada se rapportant à la décision anticipée rendue en 1991. Ces documents étaient en bonne partie composés de notes versées au dossier ou de notes de service préparées par l’agent des décisions responsable de l’analyse initiale de la demande de décision anticipée, M. J. Chan. Les défendeurs n’ont pas admis ces notes en tant que preuve prima facie de leur contenu.

(i)         L’admissibilité des notes de l’agent des décisions en tant que preuve du contenu

[11]      M. Chan a témoigné à l’instruction. En ce qui concerne les notes qu’il avait préparées, M. Chan a témoigné qu’il les avait lui-même rédigées à la main sur un formulaire du Ministère au moment où les événements étaient consignés ou à peu près à ce moment-là et qu’il devait conserver ce type de notes de façon qu’elles fassent partie du dossier de Revenu Canada. M. Chan a également témoigné qu’il faisait tout son possible pour que ces notes soient toujours exactes et complètes. Néanmoins, les notes que M. Chan prenait lors des réunions n’étaient pas nécessairement exhaustives. Ces notes n’étaient pas non plus distribuées aux personnes qui avaient participé aux réunions pour commentaires.

[12]      En se fondant sur cette preuve, le demandeur a demandé que les notes de M. Chan soient reçues en preuve en vue d’établir l’exactitude de leur contenu conformément à l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5. Cette disposition prévoit essentiellement ce qui suit :

30. (1) Lorsqu’une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce.

[…]

(6) Aux fins de déterminer si l’une des dispositions du présent article s’applique, ou aux fins de déterminer la valeur probante, le cas échéant, qui doit être accordée aux renseignements contenus dans une pièce admise en preuve en vertu du présent article, le tribunal peut, sur production d’une pièce, examiner celle-ci, admettre toute preuve à son sujet fournie de vive voix ou par affidavit, y compris la preuve des circonstances dans lesquelles les renseignements contenus dans la pièce ont été écrits, consignés, conservés ou reproduits et tirer toute conclusion raisonnable de la forme ou du contenu de la pièce.

[13]      Les défendeurs se sont opposés à ce que les documents soient reçus en vue d’établir l’exactitude de leur contenu pour le motif que les notes n’étaient pas des pièces établies dans le cours ordinaire des affaires et qu’étant donné qu’elles n’étaient pas exhaustives et n’étaient pas distribuées aux personnes qui avaient participé aux réunions, leur fiabilité pouvait être remise en question.

[14]      Selon le paragraphe 30(12) de la Loi sur la preuve au Canada, le mot « affaires » s’entend notamment de toute activité exercée ou opération effectuée par un ministère du gouvernement. Compte tenu du témoignage de M. Chan, je suis convaincue que les notes que celui-ci a prises étaient des pièces établies dans le cours ordinaire des affaires et qu’elles étaient admissibles conformément à l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, et j’ai rendu une décision en ce sens. En me fondant sur la preuve mise à ma disposition, j’ai conclu que les questions relatives au caractère complet de toute note de service ou autre note individuelle se rapportaient davantage à l’importance à accorder aux renseignements qui y étaient contenus, au sens du paragraphe 30(6) de la Loi sur la preuve au Canada.

(ii)        L’expertise du bureau du vérificateur général

[15]      Une deuxième question, en ce qui concerne la preuve, était de savoir si les représentants du bureau du vérificateur général pouvaient témoigner à titre d’experts au sujet du fonctionnement des ministères gouvernementaux en général et de Revenu Canada en particulier et, par conséquent, s’ils pouvaient exprimer leur opinion au sujet du bon fonctionnement de Revenu Canada.

[16]      L’ancien vérificateur général du Canada, Denis Desautels, le vérificateur général adjoint du Canada, Shahid Minto, et Barry Elkin, haut fonctionnaire au bureau du vérificateur général du Canada, ont tous témoigné. Leurs compétences et leur participation respectives en ce qui concerne les questions en litige dans la présente action sont ci-après énoncées.

[17]      M. Desautels est comptable agréé et membre de l’Ordre des comptables agréés du Québec et de l’Institut des comptables agréés de l’Ontario. Il est membre et ancien président du Comité sur la comptabilité et la vérification des organismes du secteur public de l’Institut canadien des comptables agréés. Il a agi à titre de vérificateur général du Canada du 1er avril 1991 au 31 mars 2001.

[18]      Les fonctions et pouvoirs du vérificateur général sont énoncés dans la Loi sur le vérificateur général, L.R.C. (1985), ch. A-17. Conformément à l’article 7 [mod. par L.C. 1994, ch. 32, art. 2; 1995, ch. 43, art. 3] de cette Loi, le vérificateur général établit un rapport annuel à l’intention de la Chambre des communes; il peut adresser des rapports spéciaux à la Chambre. Dans chaque rapport, le vérificateur général signale tout sujet qui, à son avis, est important et doit être porté à l’attention de la Chambre de communes. En vertu de l’alinéa 7(2)b) de la Loi sur le vérificateur général, il inclut dans le rapport les cas où il a constaté que « les registres essentiels n’ont pas été tenus ou les règles et procédures utilisées ont été insuffisantes pour […] assurer un contrôle efficace des cotisations, du recouvrement et de la répartition régulière du revenu ».

[19]      M. Desautels a témoigné que, pendant qu’il exerçait ses fonctions de vérificateur général :

      De 20 à 40 vérifications de Revenu Canada ont été effectuées.

      Par suite de cette participation, son bureau est arrivé à très bien comprendre le fonctionnement de Revenu Canada.

      En 1993 et en 1996, son bureau a vérifié les activités de la Direction des décisions anticipées.

      En 1996, son bureau a procédé à l’examen de décisions précises plutôt que toutes les procédures suivies par la Direction des décisions anticipées.

      Son bureau évalue la qualité des systèmes qui sont en place dans divers ministères aux fins de l’exercice de certaines activités et porte jugement sur la qualité de ces systèmes.

      En sa qualité de vérificateur général, il ne pouvait pas faire rapport et il n’aurait pas fait rapport à une entité autre que le Parlement.

      Quant au rapport du mois de mai 1996, il était personnellement chargé de veiller à ce que son bureau ait la compétence technique nécessaire pour examiner la question, qu’il demande de l’aide au besoin et qu’il excède les normes de qualité le régissant tout en veillant à ce que les activités du bureau soient assujetties à une contestation indépendante appropriée et à ce que les conclusions tirées soient étayées par une preuve complète. À la fin de l’enquête menée par son bureau, M. Desautels devait également s’assurer qu’il comprenait les conclusions figurant dans le rapport soumis au Parlement et qu’il y souscrivait.

      M. Desautels était convaincu que les questions procédurales faisant l’objet de commentaires dans le rapport présenté au Parlement relevaient de son expertise et de l’expertise de son bureau.

[20]      M. Shahid Minto est enquêteur agréé en matière de fraude et comptable agréé; il est titulaire d’une maîtrise en sciences politiques et d’un baccalauréat en droit. M. Minto a été promu au poste de vérificateur général adjoint en 1989. À ce moment-là, il a mis en place une pratique en matière fiscale au bureau du vérificateur général et il a préparé des plans stratégiques et opérationnels en vue d’examiner les activités de Revenu Canada et de la Direction de la politique de l’impôt. M. Minto a été chargé de 15 à 20 vérifications à Revenu Canada; il a témoigné avoir énormément d’expérience en ce qui concerne les activités de Revenu Canada et son processus décisionnel. Il a assumé la responsabilité générale de l’examen, en 1993, du processus applicable aux décisions anticipées et il est d’une façon générale chargé d’assurer la qualité de toutes les vérifications effectuées par le bureau du vérificateur général.

[21]      M. Barry Elkin est comptable agréé; il travaille au bureau du vérificateur général depuis 1982. De 1982 à 1987, il a été le principal responsable de la vérification du ministère du Revenu national (Impôt); depuis 1989, il est le principal responsable des questions liées à l’impôt sur le revenu, aux études fiscales spéciales ainsi qu’aux dépenses et politiques fiscales. M. Elkin a témoigné avoir dirigé l’équipe de vérification dans le cadre de près de 17 vérifications portant sur des questions fiscales; il convenait que, grâce à ces vérifications, il avait acquis énormément d’expérience en ce qui concerne les activités et procédures à Revenu Canada, notamment au sujet du processus relatif aux décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu.

[22]      Les défendeurs se sont opposés à l’admission des témoignages d’expert de ces personnes en affirmant que le demandeur ne s’était pas conformé à l’alinéa 279b) des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] et que ces témoignages constituaient une preuve par ouï-dire inadmissible. Ils n’ont pas contesté l’expertise des témoins.

[23]      Après avoir entendu l’argumentation le premier jour de l’instruction, j’ai reporté la question de l’admissibilité des opinions exprimées et conclusions tirées par ces témoins au sujet du bon fonctionnement de la Direction des décisions anticipées, à Revenu Canada, mais sous cette réserve, j’ai autorisé les témoins à exprimer leur opinion.

[24]      En ce qui concerne l’objection fondée sur la règle 279 soulevée par les défendeurs, cette disposition prévoit essentiellement de ce qui suit :

279. Sauf ordonnance contraire de la Cour, le témoignage d’un témoin expert recueilli à l’interrogatoire principal n’est admissible en preuve, à l’instruction d’une action, à l’égard d’une question en litige que si les conditions suivantes sont réunies :

[…]

b) un affidavit ou une déclaration signée par le témoin expert et certifiée par un avocat, qui reproduit entièrement le témoignage, a été signifié aux autres parties au moins 60 jours avant le début de l’instruction.

[25]      Comme on peut le constater, la disposition en question prévoit que, dans certaines circonstances, la présentation du témoignage d’un expert peut être autorisée, et ce, même si les conditions prévues ne sont pas toutes remplies. Toutefois, il n’est dérogé à cette règle qu’exceptionnellement. L’alinéa b) de la disposition vise à éviter le recours à des pièges pendant le procès; il n’y est dérogé que si la Cour est tout à fait convaincue qu’aucun préjudice n’est causé à la partie adverse.

[26]      En l’espèce, les opinions de ces témoins étaient essentiellement énoncées dans le rapport du vérificateur général du mois de mai 1996, que les parties peuvent se procurer depuis lors. De plus, les parties avaient à leur disposition la transcription de la déposition que le vérificateur général avait faite devant des comités permanents du Parlement. Une semaine avant l’instruction, les parties ont obtenu la communication complète du dossier du bureau du vérificateur général.

[27]      Dans ces conditions, je suis convaincue que la communication exigée par la règle 279 découlait essentiellement du rapport du vérificateur général de 1996 et de la déposition que ce dernier a faite devant le Parlement, de sorte qu’aucune partie des témoignages de MM. Desautels, Minto et Elkin n’a pris les défendeurs par surprise. Cela étant et compte tenu du témoignage de M. Desautels selon lequel le demandeur n’aurait pas pu fournir un affidavit ou une déclaration signée par les témoins, je conclus qu’il s’agit ici d’un des rares cas dans lesquels une autorisation doit être accordée aux fins de l’admission de la preuve d’opinion, et ce, sans qu’il soit nécessaire de se conformer à la règle 279.

[28]      Quant aux autres objections soulevées par les défendeurs, l’admission d’une preuve d’opinion est régie par l’application des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9. Pour être admissible, la preuve doit être pertinente; elle doit aider le juge des faits; elle ne doit pas aller à l’encontre d’une règle d’exclusion et la personne qui témoigne doit être un expert qualifié.

[29]      Comme il en a ci-dessus été fait mention, les compétences des témoins n’ont pas été contestées; je suis convaincue que ces témoins ont les compétences voulues pour exprimer leur opinion au sujet du bon fonctionnement de la Direction des décisions anticipées de Revenu Canada.

[30]      De même, les défendeurs n’ont pas soutenu que la preuve n’était pas pertinente ou qu’elle n’était pas nécessaire. Dans la mesure où le demandeur allègue que, contrairement à la politique et à la pratique établies, le 23 décembre 1991, aucun procès-verbal des réunions des hauts fonctionnaires à Revenu Canada et des réunions avec les représentants du ministère des Finances n’a été dressé, ce que les défendeurs nient, et dans la mesure où le demandeur invoque un manquement à l’obligation de publier la décision anticipée (questions qui seront désignées ensemble comme étant les questions de procédure), je suis convaincue que la preuve est pertinente. Je suis également convaincue que la preuve est nécessaire en ce sens qu’elle renferme des renseignements ne relevant pas de l’expérience ou de la connaissance de la Cour.

[31]      L’objection soulevée par les défendeurs était en réalité axée sur le fait que le bureau du vérificateur général n’avait pas effectué son examen en vue d’exprimer un avis au sujet de la question de savoir s’il y avait manquement à une obligation fiduciaire ou mauvaise administration. En plus de faire rapport sur les questions de procédure, le vérificateur général a également fait des commentaires sur des points de droit, en particulier sur la question de savoir si la substance de la décision anticipée avait pour effet de rendre caduque toute demande légitime s’élevant à des centaines de millions de dollars au titre de recettes fiscales. Dans cette mesure, l’avis du vérificateur général et de ses représentants était fondé sur des documents et des déclarations de tiers et sur les opinions d’experts en droit et en comptabilité indépendants. Il a donc été soutenu que les témoignages portant sur des points de droit étaient fondés sur une preuve par ouï-dire qui n’était ni nécessaire ni digne de foi.

[32]      En examinant ces prétentions, il importe de se rappeler le domaine restreint à l’égard duquel les témoins ont été présentés à titre d’experts : le fonctionnement des ministères gouvernementaux et, en particulier, de Revenu Canada. Ces témoins n’ont pas été présentés à titre d’experts en ce qui concerne le droit fiscal interne et, de toute façon, pareille preuve n’aurait pas été admissible.

[33]      J’ai reçu le contre-interrogatoire auquel les témoins ont été assujettis en ce qui concerne leur capacité d’exprimer une opinion au sujet de la qualité de la documentation en date du 23 décembre 1991 et des pratiques de Revenu Canada relativement à la publication d’avis et de décisions anticipées; je suis convaincue que les conclusions des témoins étaient à juste titre fondées sur l’examen des dossiers de Revenu Canada qu’ils avaient eux-mêmes effectué. La preuve sur laquelle étaient fondées les conclusions que les témoins ont tirées au sujet des questions de procédure a par la suite été corroborée par les témoignages des représentants de Revenu Canada et par le dossier de Revenu Canada concernant la décision anticipée de 1991. Je conclus donc que la preuve d’opinion que MM. Desautels, Minto et Elkin ont présentée au sujet des questions de procédure est à juste titre admissible. Lorsque je me fonde sur cette preuve pour tirer mes conclusions, il en est expressément fait mention dans les présents motifs.

[34]      En rendant cette décision, je tiens compte du fait que les témoignages des témoins n’étaient pas limités aux questions de procédure. En plus de la preuve d’opinion, il y avait des témoignages à juste titre admissibles se rapportant à des faits cruciaux concernant l’enquête et à ce qu’avaient révélé les dossiers du ministère des Finances et de Revenu Canada au sujet de la décision anticipée de 1991. Toutefois, le rapport du vérificateur général (qui a été reçu en preuve, sauf pour ce qui est de la preuve de l’exactitude de son contenu) faisait également état des doutes existant au sujet du bien-fondé de la décision anticipée. Les témoins en cause ont parlé des mesures qu’ils avaient prises en vue d’arriver à leur opinion. Dans la mesure où cette opinion était fondée sur des entrevues tenues avec certaines personnes, mais pas avec toutes les personnes, en cause dans la décision anticipée et puisque des experts-conseils indépendants qui n’ont pas comparu devant la Cour avaient été consultés, il n’a pas été possible d’examiner l’opinion en question au moyen d’un contre- interrogatoire. Par conséquent, j’estime que cette opinion n’avait aucune valeur probante pour ce qui est des questions relatives au bien-fondé de la décision qu’il faut ici trancher.

[35]      Les conclusions se rapportant à des questions de droit fiscal interne sont uniquement fondées sur les dispositions pertinentes de la Loi et sur les arguments présentés à la Cour par les avocats, une fois la preuve présentée.

(iii)       Les rapports des comités permanents des finances et des comptes publics et la motion de voies et moyens déposée devant le Parlement par le ministre des Finances le 2 octobre 1996

[36]      Avant le début de l’instruction, les défendeurs ont sollicité une ordonnance en vue de faire admettre en preuve les documents susmentionnés de façon à établir qu’un processus politique était en place aux fins de l’examen du rapport du vérificateur général et que ce processus était suivi. Les défendeurs n’ont pas cherché à faire admettre les documents en vue d’établir l’exactitude de leur contenu ou en tant que preuve prima facie des faits, des inférences et des opinions qui y étaient énoncés.

[37]      Le demandeur s’est opposé à l’admission de ces documents en affirmant que la preuve se rapportait à des faits admis dans les actes de procédure et qu’elle n’était donc pas nécessaire, pertinente ou admissible.

[38]      J’ai examiné les arguments écrits des parties et j’ai ordonné, pour les motifs qui devaient être prononcés après la fin de l’instruction, que les documents soient reçus en preuve à l’instruction. Étant donné que les défendeurs ont par la suite décidé de ne pas produire ces documents, je ne me propose pas d’examiner la question.

LES FAITS

[39]      Les préoccupations du demandeur découlent fondamentalement des événements et décisions en date du 23 décembre 1991, se rapportant à la demande d’une décision anticipée. Avant d’examiner les événements qui se sont produits ce jour-là par rapport aux deux causes d’action invoquées par le demandeur, je crois qu’il faut établir en détail les événements qui ont mené aux événements du 23 décembre 1991, de façon que ces derniers puissent être considérés dans le contexte approprié. Les événements antérieurs ne sont en général pas contestés; ils sont dans une large mesure énoncés ou confirmés dans les documents de l’époque. Compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis que les événements en question se sont produits, j’estime que les documents de l’époque constituent en général une preuve particulièrement digne de foi.

[40]      Avant de traiter des faits précis, il faut expliquer la façon dont le contribuable et les entités connexes sont décrits dans les présents motifs. Les défendeurs ont toujours veillé à assurer le caractère confidentiel de l’identité du contribuable et des renseignements concernant celui-ci, comme l’exige l’article 241 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 117; ch. 140, art. 126; 1984, ch. 19, art. 30; 1986, ch. 55, art. 77; L.C. 1987, ch. 46, art. 68; 1988, ch. 51, art. 14; ch. 55, art. 183, 184; 1990, ch. 1, art. 30; ch. 35, art. 26] de la Loi. Dans la présente instance, le contribuable est donc désigné comme étant le « contribuable » ou « C ». Les représentants du contribuable sont désignés comme étant « M. l’avocat », « M. le comptable » et « M. le conseiller ». Les fiducies en cause sont désignées sous le nom de « fiducie familiale » et de « fiducie de protection d’actifs ». Les autres personnes concernées sont appelées « A » ou « B ». Deux sociétés en cause sont désignées comme étant la « société publique » et la « société privée ».

[41]      J’examinerai maintenant brièvement le fonctionnement du service des décisions anticipées.

[42]      Une décision anticipée est une déclaration que Revenu Canada fait par écrit à un contribuable, indiquant l’interprétation qu’il donnera à la législation en matière d’impôt sur le revenu en ce qui concerne son application à une opération ou à des opérations précises que le contribuable envisage de conclure. Le demandeur allègue dans sa demande, allégation qui est étayée par la preuve, qu’une décision est en général demandée parce que la législation est ambiguë ou qu’une opération particulière est complexe. Le processus applicable aux décisions anticipées n’a aucun fondement législatif; il s’agit d’un service administratif qui, au moment pertinent, était exploité conformément aux lignes directrices énoncées dans la Circulaire d’information 70-6R2, dont les points saillants sont ci-après énoncés :

(i) Une décision anticipée pouvait être favorable ou défavorable à l’interprétation recherchée par le contribuable. Lorsqu’une décision anticipée défavorable devait être rendue, le contribuable avait la possibilité de retirer la demande de décision anticipée.

(ii) Une décision anticipée était considérée comme liant Revenu Canada.

(iii) Le service des décisions anticipées cherchait à encourager l’observation volontaire, l’uniformité et l’autocotisation en permettant de déterminer avec certitude les attributs fiscaux des opérations envisagées.

(iv) Les décisions anticipées n’étaient rendues qu’à l’égard d’opérations envisagées et non à l’égard d’opérations qui avaient déjà été conclues ou d’une série d’opérations qui avaient en bonne partie été menées à terme.

(v) En cas d’omission ou de fausse déclaration importante dans l’énoncé des faits pertinents ou des opérations envisagées fourni par le contribuable, Revenu Canada considérait la décision anticipée comme invalide.

(vi) La demande visant à l’obtention d’une décision anticipée pouvait dans certaines circonstances être refusée, notamment lorsque l’opération devait être conclue à un moment indéterminé dans l’avenir et lorsque les faits pertinents ne pouvaient pas tous être établis au moment où la demande était faite.

(vii) La Direction des décisions anticipées délivrait également des avis écrits au sujet de l’interprétation de dispositions précises de la loi. Toutefois, lorsqu’une interprétation demandée se rapportait à une opération envisagée, Revenu Canada recommandait aux contribuables de demander une décision anticipée plutôt qu’un avis.

[43]      Quant à la façon dont les demandes de décision anticipée étaient traitées, la procédure est décrite dans une publication de Revenu Canada intitulée : « Direction des décisions Services offerts »; cette procédure a été expliquée d’une façon plus complète dans le témoignage de M. R. Read, qui avait été directeur des décisions concernant les corporations, de 1980 à 1984, directeur des décisions spécialisées, de 1986 à 1988, et directeur général des décisions, de 1989 à 1993. M. Read n’a pas été contre-interrogé au sujet des explications qu’il avait données relativement au fonctionnement de la Direction des décisions au moment pertinent.

[44]      Sur réception, une demande de décision anticipée était transmise à un agent des décisions, qui était habituellement comptable ou avocat; celui-ci examinait la demande en vue de s’assurer qu’elle était complète, effectuait des recherches sur la question ou sur les questions posées et préparait un projet de réponse. Le projet était examiné par le chef de section de l’agent en question. Une fois approuvée par le chef de section, la décision proposée était en général transmise à l’un des quatre directeurs, au sein de la Direction des décisions, pour que celui-ci la signe. Le directeur pouvait réviser la réponse proposée. Si le directeur croyait qu’il s’agissait d’un cas inhabituel et s’il croyait que d’autres directeurs devaient être mis au courant de la situation, ou si le directeur voulait obtenir les commentaires de certains autres directeurs ou encore s’il craignait que la décision prête à controverse et [traduction] « soit transmise à un palier supérieur », l’affaire était soumise au Comité de révision des décisions. Ce comité se réunissait toutes les semaines; il était composé des quatre directeurs et du directeur général des décisions. Si l’on croyait que le contribuable s’adresserait à une autorité supérieure, des notes d’information étaient préparées à l’intention du sous-ministre ou du ministre. Selon M. Read, dans un cas comme dans l’autre, [traduction] « la décision était portée » à ce palier. Un autre témoin a confirmé que si une affaire était renvoyée au sous-ministre, celui-ci était alors responsable de la prise de la décision, auquel cas l’affaire n’était pas soumise au Comité de révision des décisions.

[45]      M. Read a également témoigné que, par suite d’un examen de Revenu Canada effectué en 1985, le ministre avait convenu que Revenu Canada éviterait, dans la mesure du possible, de refuser de rendre une décision. M. Read ne pouvait se rappeler d’aucun cas dans lequel Revenu Canada avait refusé de rendre une décision après que le ministre eut pris cet engagement.

[46]      Quant aux faits de la présente espèce, le 8 mars 1991, M. l’avocat a demandé qu’une décision anticipée soit rendue. Par la suite, après qu’on eut fait savoir que Revenu Canada ne pourrait pas rendre une décision favorable sur un aspect important des opérations alors envisagées, la demande a été retirée et remplacée par la demande en date du 7 novembre 1991.

[47]      Les faits ayant donné lieu à la demande de décision du 7 novembre 1991 ont été énoncés comme suit dans la demande.

[48]      Feu A avait constitué la fiducie familiale (parfois désignée sous le nom de « FF ») au profit de B et des enfants de B, dont l’un était le contribuable C. La participation du contribuable dans la FF a par la suite été versée dans la fiducie de protection des actifs (parfois désignée comme étant la « FP ») vers 1987. Or, C’était l’unique bénéficiaire de la FP. Au moment où la décision a été demandée, la FF, la FP et C résidaient au Canada, mais C avait décidé de résider en permanence aux États-Unis.

[49]      Au moment où la demande de décision a été faite, les principaux actifs de la FF étaient composés d’un titre de propriété bénéficiaire afférent à un certain nombre d’actions de la société publique, une société par actions canadienne imposable qui était une société publique, au sens où chaque expression est définie dans la Loi. La FF avait acquis les actions en cause de la société publique en échangeant les actions qu’elle possédait dans la société privée contre des actions ordinaires de la société publique qui venaient d’être émises. Dans la demande de décision, il était déclaré que les actions de la société privée constituaient des biens canadiens imposables de la FF au sens du sous-alinéa 115(1)b)(iii) [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 74] de la Loi et que la FF et la société publique avaient conjointement décidé que les dispositions du paragraphe 85(1) [mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 40; 1988, ch. 55, art. 58] s’appliqueraient à l’échange de façon qu’en vertu du sous-alinéa 85(1)i) de la Loi, les actions de la société publique que la FF avait reçues par suite de l’échange constituaient des biens canadiens imposables de la FF.

[50]      Les opérations envisagées étaient décrites comme suit. Après que C fut devenu résident des États-Unis, les fiduciaires de la FP devaient démissionner et être remplacés par des fiduciaires résidant aux États-Unis. Le lieu d’administration de la FP changerait de façon que la FP cesse de résider au Canada et devienne résidente des États-Unis. Par la suite, avant le 1er janvier 1992, la FF devait céder à la FP le titre de propriété bénéficiaire afférent à un certain nombre des actions de la société publique qui avaient été échangées.

[51]      Deux décisions ont été demandées au sujet des opérations envisagées. En premier lieu, on demandait qu’il soit décidé que la FF était réputée aliéner les actions de la société publique qui avaient été attribuées à la FP au prix de base rajusté qui leur avait été imputé et que la FP était réputée acquérir ces actions à ce prix. En second lieu, on demandait une décision portant que la FP n’était pas réputée avoir aliéné, en vertu du paragraphe 48(1) [mod. par S.C. 1973-74, ch. 14, art. 9; 1979, ch. 5, art. 13; 1984, ch. 45, art. 13; 1986, ch. 6, art. 21] de la Loi, la participation qu’elle avait dans la FF lorsqu’elle avait cessé de résider au Canada.

[52]      Le 8 novembre 1991, la demande de décision a été renvoyée à M. Chan, qui a conclu que la décision dépendait de la question de savoir si un résident du Canada pouvait détenir un « bien canadien imposable » au sens où cette expression est définie dans la Loi [art. 248(1) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 125; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 108; 1985, ch. 45, art. 122)]. Le 14 novembre 1991, M. Chan a rencontré M. J. Bentley en vue d’examiner la question. M. Bentley était avocat au ministère de la Justice; il avait fourni des services juridiques à Revenu Canada depuis 1975, sauf pendant deux périodes ayant duré deux ans et demi en tout. M. Bentley a informé M. Chan qu’à première vue, il était d’avis qu’un résident du Canada ne pouvait pas posséder un bien canadien imposable.

[53]      M. Chan a également parlé par téléphone, le 14 novembre, à M. S. Thompson, qui était alors agent principal de la politique de l’impôt au ministère des Finances. M. Thompson a informé M. Chan que, sur le plan de la politique fiscale, l’argument selon lequel un résident pouvait posséder un bien canadien imposable [traduction] « était peut-être bien fondé ».

[54]      Le 18 novembre 1991, M. Chan a parlé à M. l’avocat d’un certain nombre de questions liées à la demande de décision. Il se demandait si un résident du Canada pouvait posséder un bien canadien imposable et, par conséquent, si les actions de la société publique pouvaient constituer des biens canadiens imposables. M. l’avocat a fait savoir qu’à son avis, le paragraphe 97(2) [mod. par .S.C 1980-81-82-83, ch. 140, art. 58; 1985, ch. 45, art. 49] de la Loi indiquait qu’un résident du Canada pouvait détenir un bien canadien imposable. C’était la première fois que M. Chan considérait que le paragraphe 97(2) s’appliquait peut-être à la demande de décision.

[55]      Le lendemain, M. Chan a de nouveau parlé à M. Bentley au sujet de la question du bien imposable canadien. Il a informé M. Bentley de l’argument fondé sur l’alinéa 97(2)c) de la Loi invoqué par M. l’avocat. M. Bentley a répondu qu’il n’avait jamais encore tenu compte de l’effet de cette disposition, mais qu’après avoir examiné la question, il devait souscrire à l’avis de M. l’avocat.

[56]      Le 21 novembre 1991, M. Chan a de nouveau parlé à M. l’avocat qui, à ce moment-là, a souscrit à l’avis qu’il a exprimé, à savoir que la disposition envisagée des actions de la FP serait soustraite à l’imposition au Canada à cause de l’application de l’alinéa (5)a) de l’article XIII [mod. par S.C. 1984, ch. 20, annexe II, art. VI] de la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, qui constitue l’annexe I de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d’impôts, S.C. 1984, ch. 20] (la Convention). Cette disposition permettait au Canada d’imposer un ancien résident qui résidait aux États-Unis à l’égard d’un gain en capital si celui-ci avait résidé au Canada pendant 10 ans au cours d’une période de 20 années consécutives ayant précédé la date de la disposition. Le contribuable C avait ainsi résidé au Canada pendant 10 ans, mais il n’en allait pas de même pour la FP, puisqu’elle avait uniquement été créée en 1987.

[57]      Le 3 décembre 1991, un représentant de Revenu Canada a écrit à M. R. A. Short, qui était alors directeur général de la Direction de la politique et de la législation de l’impôt, au ministère des Finances. L’auteur de la lettre informait M. Short des faits énoncés dans la demande de décision anticipée; il se demandait s’il était possible de se soustraire à l’impôt canadien sur les gains en capital tirés d’un bien canadien imposable en ayant recours à une fiducie et en invoquant la protection fournie par une convention fiscale. Il terminait sa lettre en faisant remarquer que la Direction des décisions avait l’intention de refuser de rendre une décision favorable et voulait au besoin soumettre l’affaire au comité concerné en vue de recommander que la disposition générale anti-évitement (la DGAE) figurant au paragraphe 245(2) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 185] de la Loi s’applique à l’opération. M. Chan avait remarqué que, dans un projet antérieur de cette lettre, à l’exception des questions liées à la DGAE, aucun argument technique convaincant justifiant le refus de rendre les décisions demandées n’avait été mentionné. La Direction des décisions n’a jamais pris de mesures en vue de renvoyer l’affaire aux fins de l’application de la disposition anti-évitement.

[58]      À la suite de la lettre adressée à M. Short, les représentants du ministère des Finances et les représentants de Revenu Canada se sont rencontrés le 6 décembre 1991. M. Thompson, sa superviseure, Mme C. Muirhead, et une autre personne assistaient à la réunion pour le compte du ministère des Finances. À ce moment-là, Mme Muirhead était chef de la section responsable de la législation relative aux fiducies. M. Chan, Mme C. Gouin-Toussaint (directrice au sein de la Direction des décisions anticipées) et trois autres personnes représentaient Revenu Canada. Lors de la réunion du 6 décembre, il avait été question de la demande de décision anticipée et notamment de la question des biens canadiens imposables. M. Thompson a fait remarquer qu’à son avis, l’argument selon lequel un résident du Canada ne pouvait pas posséder un bien canadien imposable était [traduction] « trop faible » et que les Finances ne pouvaient pas y souscrire. La réunion a pris fin sans que le ministère des Finances fasse de recommandations au sujet des mesures qui devaient ou pouvaient être prises en vue d’empêcher la conclusion des opérations visées par la demande de décision.

[59]      Le 10 décembre 1991, une note de service préparée par M. Chan et signée par Mme Gouin-Toussaint a été soumise au Comité de révision des décisions. On y énonçait les faits mentionnés dans la demande de décision anticipée, les opérations envisagées et les décisions demandées. Une analyse était ensuite effectuée. Dans cette analyse, on faisait remarquer que l’octroi de la deuxième décision demandée, selon laquelle la FP ne serait pas réputée aliéner sa participation dans la FF si elle cessait de résider au Canada, ne posait apparemment pas de problème. Toutefois, on ajoutait que la première décision demandée soulevait un problème.

[60]      Quant à la première décision demandée, l’analyse énonçait les arguments en faveur et à l’encontre de la thèse selon laquelle un résident du Canada pouvait détenir un bien canadien imposable. On faisait remarquer qu’au mois de janvier 1985, Revenu Canada avait rendu une décision anticipée au sujet d’une fiducie se rapportant à une FF en se fondant sur le fait qu’un résident du Canada pouvait détenir un bien canadien imposable, mais qu’au mois de mai 1985, Revenu Canada avait délivré un avis selon lequel seuls les non-résidents pouvaient détenir un bien canadien imposable. Dans l’analyse, on faisait également remarquer que si une décision favorable était rendue, il y aurait érosion de l’assiette d’imposition des gains en capital accumulés sur les actions de la société publique à cause de l’application de la Convention et parce que la FP n’avait pas résidé au Canada pendant dix ans.

[61]      La note de service adressée au Comité de révision des décisions faisait en outre état des préoccupations de M. Chan et de Mme Gouin-Toussaint en ce qui concerne l’application possible de la DGAE. Étant donné l’importance qu’ont par la suite prise les questions liées à la DGAE, il est utile d’en faire mention, telles qu’elles sont énoncées dans la note de service en question :

[traduction] Étant donné que la Loi permet le transfert libre d’impôt d’un BCI [bien canadien imposable] en faveur de non-résidents et que C doit s’installer aux États-Unis, le paragraphe 245(2) (la DGAE) ne s’appliquerait pas aux opérations envisagées. Toutefois, si C revient au Canada dans les dix prochaines années et que le PBR [le prix de base rajusté] des actions de la société publique a augmenté, il nous faudra déterminer s’il existait une intention de bénéficier de l’augmentation du PBR des actions et si la DGAE s’applique.

Au cours de conversations téléphoniques, le représentant du contribuable a déclaré qu’il ne savait pas encore si C allait revenir au Canada. Il a affirmé qu’il était possible que C revienne au Canada dans six mois. [Non souligné dans l’original.]

[62]      La note de service du 10 décembre 1991 se terminait comme suit :

[traduction] L’argument technique selon lequel les actions de la société publique ne constituent pas des BCI n’est pas convaincant compte tenu du libellé de l’alinéa 97(2)c); cet argument pourrait bien être rejeté par les tribunaux. Toutefois, étant donné le montant élevé d’impôt sur le revenu qui sera perdu et puisqu’il est possible que la DGAE s’applique si C revient au Canada peu de temps après que le PBR des actions aura augmenté, nous demandons votre appui aux fins du refus de rendre une décision au sujet des opérations envisagées. [Non souligné dans l’original.]

[63]      Le Comité de révision des décisions a examiné cette demande lors de sa réunion du 12 décembre 1991. Il n’a tiré aucune conclusion au sujet de la question des biens canadiens imposables. Il a plutôt pris la position selon laquelle Revenu Canada n’était pas en mesure de rendre une décision anticipée, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, il a été noté que les quelques opérations mentionnées montraient qu’il était fort possible que d’autres opérations soient conclues, dont certaines pourraient être assujetties à la DGAE. Il a été noté que le représentant du contribuable avait reconnu qu’il pourrait y avoir d’autres opérations, même si à sa connaissance aucune opération n’allait être conclue. En second lieu, il a été noté que les contribuables demandaient une décision portant que les actions de la société publique qui avaient été reçues par suite de l’échange constituaient des biens canadiens imposables. Étant donné que cette opération avait déjà eu lieu, le Comité de révision des décisions a conclu qu’aucune décision ne pouvait être rendue à ce sujet. Ces motifs étaient fondés sur la Circulaire d’information 70-6R2.

[64]      Plus tard, le 12 décembre, après la réunion du Comité de révision des décisions, M. Chan et Mme Gouin-Toussaint ont rencontré M. Bentley en vue d’examiner de nouveau l’argument relatif aux biens canadiens imposables. M. Chan a exprimé ses préoccupations au sujet de l’argument fondé sur le paragraphe 97(2) de la Loi. M. Bentley a affirmé que la position prise par M. Chan était défendable, mais que, si on lui demandait quelle interprétation il convenait de donner à la loi, il se verrait obligé de dire que, compte tenu de l’alinéa 97(2)c), un particulier qui réside au Canada peut posséder un bien canadien imposable.

[65]      Plus tard cet après-midi-là, M. Chan a parlé à M. l’avocat. Il a expliqué que Revenu Canada croyait que tout gain réalisé par la fiducie était libre d’impôt au Canada en vertu de l’alinéa (5)a) de l’article XIII, et ce, uniquement parce que la fiducie n’avait pas résidé au Canada pendant dix ans, alors que l’intention avait toujours été que le Canada soit autorisé à imposer les gains accumulés réalisés par un résident des États-Unis sur un bien canadien imposable. M. Chan a dit à M. l’avocat que le Comité de révision des décisions avait décidé que Revenu Canada refuserait de rendre une décision au sujet de la demande. Il a fait savoir que Revenu Canada avait obtenu un avis juridique selon lequel il était possible de soutenir qu’un résident du Canada ne pouvait pas posséder un bien canadien imposable. M. Chan a signalé à M. l’avocat que l’on demandait également à Revenu Canada de rendre une décision dans un cas où l’on ne pouvait pas déterminer quelles étaient toutes les opérations envisagées et que l’on craignait que C ou la fiducie puisse revenir au Canada dans un proche avenir avec un prix de base rajusté plus élevé. M. l’avocat a demandé à M. Chan quelles étaient les mesures à prendre et M. Chan a répondu qu’il ne pouvait pas songer à quoi que ce soit qui puisse l’aider. Il a été convenu que M. l’avocat parlerait à Mme Gouin-Toussaint.

[66]      Le 13 décembre 1991, M. Read a écrit aux services juridiques en vue de demander un avis formel au sujet de la question de savoir si un résident du Canada peut posséder un bien canadien imposable. L’auteur de la lettre faisait remarquer que même si, de l’avis de Revenu Canada, la position selon laquelle un résident ne pouvait pas posséder un bien canadien imposable était défendable, il se pourrait bien que ce soit le contraire.

[67]      Ce jour-là, M. l’avocat a de nouveau demandé une décision anticipée. La demande était différente de celle du 7 novembre en ce sens que l’on prévoyait maintenant que peu de temps après que C eut commencé à résider aux États-Unis, les fiduciaires de la FP remettraient à celui-ci toute la participation que la FP possédait dans la FF. Peu de temps après, mais avant le 1er janvier 1992, la FF devait céder directement à C le titre de propriété bénéficiaire afférent aux actions de la société publique. Les décisions demandées étaient, en premier lieu, que la FP serait réputée aliéner sa participation dans la FF au prix de base rajusté et que C serait réputé acquérir pareille participation à ce prix et, en second lieu, que la FF serait réputée aliéner les actions de la société publique au prix de base rajusté et que C serait réputé acquérir pareilles actions à ce prix.

[68]      À la fin de l’après-midi du 13 décembre, Mme Gouin-Toussaint a parlé à M. l’avocat et l’a informé d’une proposition visant à régler la situation. Elle lui a fait savoir que Revenu Canada était prêt à rendre la décision visée par la demande du 13 décembre si les actions de la société publique étaient remises à C avant que celui-ci quitte le Canada. Revenu Canada déciderait expressément qu’il n’y avait pas de disposition présumée au moment du départ de C. Mme Gouin-Toussaint a fait savoir qu’à cause de l’incertitude qui régnait au sujet de la question de savoir si les actions constituaient des biens canadiens imposables, C devrait fournir une renonciation de sorte que, s’il changeait par la suite d’idée et affirmait que les actions ne constituaient pas des biens canadiens imposables, le paragraphe 48(1) de la Loi concernant la disposition présumée s’appliquerait.

[69]      En affirmant qu’il rendrait une telle décision, Revenu Canada laissait implicitement entendre qu’il retenait la thèse selon laquelle les actions constituaient des biens canadiens imposables, et ce, parce que conformément à l’article 48 de la Loi, le contribuable qui cesse de résider au Canada est réputé avoir disposé d’un bien autre qu’un bien canadien imposable. L’avis exprimé par Mme Gouin-Toussaint laissait également implicitement entendre qu’il était reconnu que le fait que l’échange à la suite duquel les actions de la société publique avaient été reçues avait déjà eu lieu n’empêchait pas de rendre une décision.

[70]      Le 16 décembre 1991, Mme Gouin-Toussaint, M. Chan et M. R. Thompson, pour le compte de Revenu Canada, et M. l’avocat, M. le comptable et M. le conseiller, pour le compte du contribuable, se sont rencontrés. M. l’avocat a expliqué qu’il retirait la demande qu’il avait faite le 13 décembre 1991 en vue d’obtenir une décision parce qu’il avait été conclu que si les actions étaient directement remises à C, comme on proposait de le faire, il faudrait divulguer publiquement que C avait droit à la valeur des actions. On craignait pour la sécurité personnelle de C.

[71]      Lors de la réunion du 16 décembre, les représentants de Revenu Canada ont de nouveau fait savoir pourquoi, à leur avis, Revenu Canada ne pouvait pas rendre une décision au sujet des opérations envisagées dans la demande du 7 novembre. Les préoccupations de Revenu Canada étaient fondées sur l’incertitude qui régnait au sujet de la question de savoir si un résident canadien pouvait détenir un bien canadien imposable, sur le fait qu’il était possible que l’application de la DGAE soit déclenchée par des opérations futures et sur le fait que les gains en capital réalisés par la fiducie seraient libres d’impôt, soit un résultat non voulu. Aucune préoccupation n’a été exprimée au sujet de la question de [traduction] l’«opération conclue » dont le Comité de révision des décisions avait déjà fait mention. M. l’avocat a ensuite proposé qu’en plus des opérations envisagées, la FF fournisse une renonciation pour l’année d’imposition au cours de laquelle les actions étaient remises, de sorte qu’elle pourrait faire l’objet d’une nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 107(5) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 74] de la Loi s’il était par la suite conclu que les actions ne constituaient par des biens canadiens imposables. Il a également été proposé que les contribuables ajoutent aux faits énoncés dans la demande de décision la condition selon laquelle, pendant cinq ans, la FP ne disposerait pas des actions. Le choix d’une période de cinq ans était apparemment fondé sur le fait que, de l’avis de M. l’avocat, une période de dix ans serait une restriction trop longue. La dernière offre visait à dissiper les préoccupations liées à la DGAE fondées sur la possibilité que des opérations soient conclues dans l’avenir.

[72]      Plus tard le 16 décembre, M. Chan et Mme Gouin-Toussaint ont rencontré M. Read pour parler de la dernière proposition qui avait été faite. On a demandé à M. Chan de préparer une note d’information à l’intention du sous-ministre adjoint, M. D. Lefebvre, pour que celui-ci la transmette au sous-ministre, M. P. Gravelle.

[73]      M. Chan a de fait préparé un certain nombre de projets de notes d’information, qu’il a soumis à Mme Gouin-Toussaint. La version finale qu’il a préparée était datée du 18 décembre 1991. Le projet de note d’information énonçait les faits de l’affaire et les opérations proposées dans la demande de décision du 7 novembre et traitait des questions pertinentes. La première question mentionnée dans la note d’information était de savoir si les actions de la société publique constituaient des biens canadiens imposables. L’auteur de la note affirmait que la loi n’était pas claire et que les ministères des Finances et de la Justice s’entendaient pour dire qu’il n’était pas certain que les actions de la société publique constituent des biens canadiens imposables. Il n’était pas fait mention de l’avis obtenu au sujet du bien-fondé de l’argument selon lequel un résident pouvait posséder un bien canadien imposable. La deuxième question mentionnée était de savoir si les dispositions anti-évitement s’appliquaient à la FP. On a fait remarquer que tout gain tiré de la vente des actions de la société publique serait, en vertu de la Convention, exonéré d’impôt au Canada parce que la FP n’aurait pas résidé au Canada pendant dix ans. Il a également été soutenu que, de toute évidence, si la FP n’avait pas été créée et si la FF remettait les actions de la société publique à C, le Canada pouvait imposer tout gain tiré de la vente des actions de la société publique dans les dix ans suivant la date à laquelle C devenait résident américain puisque ce dernier avait résidé au Canada pendant dix ans, au cours des 20 années ayant précédé la date de la vente des actions. Il a été soutenu qu’étant donné que le but dans lequel la FP avait été constituée ou maintenue pouvait uniquement être déterminé à partir des circonstances y afférentes, la question de l’évitement ne pouvait pas être tranchée au moyen d’une décision.

[74]      L’auteur de la note d’information déclarait que M. l’avocat et M. le comptable avaient été informés que Revenu Canada n’était pas en mesure de rendre une décision au sujet des opérations initiales parce que les opérations qui, selon le contribuable, conféraient la qualité de bien canadien imposable avaient déjà été conclues. Il a également été noté que le contribuable voulait bien que la FF fournisse une renonciation pour l’année d’imposition dans laquelle les actions de la société publique étaient transférées à la FP et, de plus, s’engage à ce que la FP ne dispose pas des actions dans les dix années suivantes. L’auteur de la note d’information concluait que la dernière demande soulevait la plupart des problèmes inhérents à la demande initiale de décision; le représentant du contribuable avait donc été informé que Revenu Canada n’était pas en mesure de rendre une décision.

[75]      Selon la preuve orale, que je retiens, le sous-ministre adjoint n’avait jamais officiellement transmis au sous-ministre ce projet de note d’information, même si le projet avait été examiné lors de réunions subséquentes.

[76]      Le 18 décembre 1991, Mme Gouin-Toussaint a parlé à M. le conseiller et lui a fait savoir que l’on ne pouvait pas accepter la dernière proposition. M. le conseiller a ensuite informé Mme Gouin-Toussaint que le contribuable était également prêt à renoncer à la protection fournie par la Convention en omettant de demander une déduction en vertu des alinéas 115(1)d) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 88] et 110(1)f) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 65; L.C. 1988, ch. 55, art. 77] de la Loi, et ce, pour les dix prochaines années.

[77]      Plus tard le 18 décembre 1991, Mme Gouin-Toussaint et M. Chan ont rencontré M. Bentley. À ce moment-là, M. Bentley a déclaré qu’à son avis, la renonciation à la protection de la Convention ne serait pas exécutoire. Il a cité à l’appui la décision qui avait été rendue dans l’affaire Cohen (N) c La Reine, [1980] CTC 318 (C.A.F.).

[78]      Après avoir rencontré M. Bentley, Mme Gouin-Toussaint et M. Chan ont rencontré M. Read, qui a déclaré qu’il appellerait le sous-ministre adjoint en vue de le mettre au courant de la situation et qu’une décision serait alors prise au sujet de la décision anticipée. Mme Gouin-Toussaint a demandé à M. Chan d’appeler M. le conseiller pour l’informer qu’aucune décision n’avait encore été prise et que sa proposition était encore à l’étude.

[79]      Le 19 décembre 1991, M. l’avocat a présenté des arguments écrits à M. Read au sujet de la question de la validité de l’engagement selon lequel la Convention ne serait pas invoquée. M. l’avocat se fondait sur la décision que la Cour suprême avait rendue dans l’affaire Smerchanski c. Ministre du Revenu national, [1977] 2 R.C.S. 23.

[80]      Le 19 décembre 1991, M. Bentley a remis un projet d’avis juridique non signé à la Direction des décisions en réponse à la demande du 13 décembre 1991. Il y faisait remarquer que la Loi était ambiguë en ce qui a trait à la question de savoir si un résident canadien pouvait posséder un bien canadien imposable et concluait ce qui suit :

[traduction] Toutefois, étant donné l’économie générale de la Loi, je suis d’accord avec vous pour dire qu’il est possible de soutenir que seul un non-résident peut disposer d’un « bien canadien imposable » pour l’application des dispositions déterminatives de l’alinéa 85(1)i) de la Loi.

M. Bentley a témoigné, témoignage que je retiens, avoir envoyé le projet d’avis à M. Read à la suite des discussions qui avaient eu lieu avec celui-ci, au cours desquelles l’on s’était entendu pour que l’avis soit exprimé sous forme de projet. M. Bentley a également témoigné, témoignage que je retiens, que tel était [traduction] l’«avis le plus ferme » qu’il puisse exprimer en tant que fondement justifiant une décision défavorable. Bref, M. Bentley était prêt à appuyer M. Read dans la mesure où il maintenait que la position prise par ce dernier était défendable. Avant le 19 décembre, M. Bentley avait oralement fait savoir à Revenu Canada qu’à son avis, un résident du Canada pouvait posséder un bien canadien imposable.

[81]      Le 20 décembre 1991, M. Chan avait également préparé un projet initial de note d’information que le sous-ministre devait transmettre au ministre Otto Jelinek. Cette note énonçait les faits de l’affaire, les dispositions législatives applicables et les préoccupations du ministère et renfermait une conclusion. Il y était affirmé que les actions de la société publique ne constituaient pas des biens canadiens imposables. Voici ce que M. Chan disait : [traduction] «Notre avis est étayé par la politique fiscale et, dans une certaine mesure, sur le plan juridique. » M. Chan faisait remarquer qu’en adoptant la position selon laquelle les actions de la société publique constituaient des biens canadiens imposables et en se fondant sur la fiducie de protection des actifs, le contribuable serait en mesure non seulement de reporter l’impôt canadien, mais aussi de l’éliminer complètement, ou de revenir au Canada à un moment où le coût des actions serait égal à leur juste valeur marchande. M. Chan disait que le représentant du contribuable avait été informé que Revenu Canada ne serait pas en mesure de rendre une décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu. Je suis convaincue que telle était peut-être la conclusion prévue par l’auteur de la note, mais il reste que le représentant du contribuable n’en avait pas encore été informé.

[82]      Je reconnais également qu’à ce moment-là, le ministère avait été mis au courant de l’intention du contribuable de passer outre à l’opinion de la Direction des décisions. À cet égard, M. Read a témoigné que s’il [traduction] «était tout à fait évident, au moment du renvoi de l’affaire au Comité de révision, qu’à moins que les questions ne soient éclaircies, la clause de refus de rendre une décision s’appliquerait probablement, le contribuable s’adresserait fort probablement aux supérieurs hiérarchiques ». Le 18 décembre, M. le conseiller a demandé à rencontrer M. Read. Lors de cette rencontre, M. le conseiller a fait savoir qu’il s’adresserait aux autorités supérieures et il a demandé à M. Read d’examiner l’affaire une dernière fois. M. Read a consenti à le faire. Le projet de note d’information à l’intention du ministre a été préparé en prévision du fait que l’on communiquerait peut-être avec celui-ci pour le compte du contribuable, mais je constate qu’en fin de compte, le projet n’a jamais été envoyé, et qu’il est resté tel quel sans être signé. Compte tenu de la preuve, je suis convaincue qu’en fin de compte, le contribuable ne s’est en fait jamais adressé aux autorités supérieures.

[83]      Le 20 décembre, à 16 h, une rencontre a eu lieu au bureau du sous-ministre adjoint au sujet de la demande de décision anticipée qui était en suspens. Y assistaient M. Lefebvre, M. Read, Mme Gouin-Toussaint, M. Bentley, M. Chan et M. R. Beith. M. Beith était alors le principal conseiller technique du sous-ministre. Il avait également déjà été directeur général de la Direction des décisions; M. Read a affirmé qu’à ce moment-là, M. Beith était probablement le conseiller technique possédant le plus d’expérience au sein du ministère. M. Lefebvre a affirmé que M. Beith était le principal expert en matière fiscale au ministère.

[84]      M. Lefebvre a témoigné, témoignage que je retiens, qu’avant cette réunion, il avait mis le sous-ministre au courant de la demande de décision et qu’il lui avait verbalement fait savoir que la Direction des décisions était en train de préparer la décision et l’avait informé des mesures qu’il fallait prendre [traduction] «en vue de s’assurer que les fonctionnaires compétents examinent la décision de façon à la mener dûment à bonne fin ». M. Lefebvre n’a pas été contre-interrogé à ce sujet.

[85]      La réunion du 20 décembre a duré environ deux heures. Les personnes qui y participaient avaient à leur disposition des copies du projet de note de service en date du 18 décembre adressé au sous-ministre et du premier projet de la note de service adressée au ministre. Selon M. Beith, M. Read et Mme Gouin-Toussaint, la réunion visait notamment à informer M. Beith de la situation.

[86]      Selon ce que M. Lefebvre se rappelait de la réunion, on avait discuté à fond des questions; un certain nombre de points exigeant une analyse et une enquête plus poussées avaient été définis, M. Chan, M. Read et Mme Gouin-Toussaint devant continuer à se pencher sur ces points et se rencontrer le dimanche suivant en vue d’en parler. Ils devaient ensuite rencontrer M. Beith le lundi matin. M. Bentley se rappelle peu de choses ou ne se rappelle rien au sujet de la réunion, mais les souvenirs de M. Lefebvre, en ce qui concerne ce qui s’est passé, sont conformes à ceux de M. Read, de M. Beith, de M. Chan et de Mme Gouin-Toussaint.

[87]      M. Lefebvre a déclaré qu’il n’avait pas d’idée préconçue au sujet de la décision qui serait rendue le lundi matin. M. Beith a déclaré, et je retiens son témoignage, qu’à la fin de la réunion, il n’avait pas pris position (étant donné qu’on venait tout juste de le mettre au courant de la situation), mais que les autres fonctionnaires qui s’occupaient du dossier depuis un certain temps s’opposaient à ce qu’une décision favorable soit rendue. Cette déclaration est conforme au témoignage de M. Read selon lequel, lors de la réunion du 20 décembre, la position préliminaire, à savoir qu’une décision favorable ne devait pas être rendue, n’avait pas changé. Elle est également conforme aux projets de notes d’information dont il avait été question ou qui avaient du moins été distribués à la réunion.

[88]      Cette preuve, en ce qui concerne ce qui s’est passé lors de la réunion du 20 décembre, est également conforme aux notes que M. Beith a préparées à ce moment-là. En ce qui concerne ces notes, j’estime que M. Beith ne voulait pas ou ne pouvait pas les fournir au bureau du vérificateur général au moment où ce dernier a effectué l’examen. Néanmoins, il n’a pas directement été soutenu qu’il s’agissait d’autre chose que ce que M. Beith avait mentionné, à savoir les notes qu’il avait rédigées à la réunion du 20 décembre ainsi que la fin de semaine suivante et le 23 décembre 1991. Je conviens qu’il en est ainsi.

[89]      M. Chan, M. Read et peut-être Mme Gouin-Toussaint se sont rencontrés le dimanche, 22 décembre en vue d’examiner le projet de note d’information à l’intention du ministre. Dans sa forme finale, ce projet est demeuré tel quel. Dans une pièce qui y était jointe, intitulée : [traduction] « Mesures étudiées », il était catégoriquement déclaré que la thèse selon laquelle les actions de la société publique constituaient des biens canadiens imposables était erronée en droit, et ce, même si aucun nouvel avis juridique n’avait été obtenu en sus de celui dont il est ci-dessus fait état.

[90]      La preuve qui a ci-dessus été énoncée passablement en détail établit les faits suivants.

[91]      Il régnait une incertitude réelle au sujet de la question de savoir si, en droit, les résidents canadiens pouvaient détenir des biens canadiens imposables. Par le passé, Revenu Canada avait exprimé l’avis selon lequel ils ne pouvaient en détenir, mais il avait par ailleurs décidé qu’ils pouvaient en détenir. Compte tenu de cette incertitude, Revenu Canada a demandé conseil aux ministères de la Justice et des Finances.

[92]      Le ministère de la Justice avait oralement déclaré que, selon l’interprétation qu’il convenait de donner, un résident pouvait détenir un bien canadien imposable. Le ministère des Finances avait oralement exprimé le même avis, par l’entremise de M. Thompson, bien qu’on laisse entendre qu’il avait déclaré le contraire puisque, selon le premier projet de la note d’information à l’intention du ministre, la thèse selon laquelle les actions de la société publique ne constituaient pas des biens canadiens imposables était étayée par la politique fiscale. Toutefois, on ne m’a fourni aucun élément de preuve clair au sujet du moment exact où pareil avis avait été exprimé, au sujet de l’auteur de pareil avis, ou au sujet du contenu exact de l’avis. Je conclus que l’on s’est probablement fondé sur une conversation qui a eu lieu au début du mois de décembre au cours de laquelle Mme Gouin-Toussaint a fait savoir à Mme Muirhead que, selon elle, cela posait un problème. Rien ne montre que le ministère des Finances ait fait d’autres commentaires.

[93]      Les fonctionnaires de la Direction des décisions qui s’étaient occupés de la demande de décision s’opposaient tous à la décision demandée.

[94]      Toutefois, la Direction des décisions était prête à rendre une décision favorable si les actions de la société publique étaient remises à C avant que celui-ci quitte le Canada. Étant donné que pareille décision serait fondée sur la conclusion selon laquelle les actions de la société publique constituaient des biens canadiens imposables et qu’aucune opération faisant obstacle à pareille décision n’avait eu lieu, je conclus que les obstacles invoqués à l’égard de la décision, telle qu’elle avait été demandée au mois de novembre, visaient à protéger l’assiette fiscale du Canada et à résoudre les questions liées à la DGAE. Cela étant, la preuve me convainc qu’en réalité, on craignait de perdre des recettes fiscales importantes par suite de l’application de la Convention. Comme Mme Gouin-Toussaint l’a témoigné, le problème de Revenu Canada était [traduction] « réglé » si les actions étaient directement remises à C puisque ce dernier avait toujours résidé au Canada et que le Canada aurait encore le droit d’exiger un impôt pour une période de dix ans.

[95]      J’examinerai maintenant les événements du 23 décembre 1991 qui ont mené à la décision anticipée demandée. La preuve non contredite est ci-après énoncée.

[96]      À 8 h, M. Beith a rencontré M. Read et Mme Gouin-Toussaint en vue de préparer une réunion qui devait avoir lieu avec le sous-ministre à 9 h.

[97]      À 9 h, ces fonctionnaires, et peut-être bien M. Bentley, qui ne se rappelle toutefois pas la chose, ont rencontré M. Gravelle. À la fin de la réunion, il a été décidé de demander un autre avis à M. Short, qui était alors directeur général de la Direction de la politique de l’impôt.

[98]      Une rencontre avec M. Short a alors été organisée le 23 décembre 1991 au matin, vers 10 h. Y assistaient M. Bentley, M. Beith et Mme Gouin-Toussaint, de Revenu Canada, ainsi que M. Short, M. Thompson, Mme Muirhead et peut-être C. Savage, du ministère des Finances.

[99]      À la suite de cette réunion, M. Beith et M. Bentley ont de nouveau rencontré M. Gravelle, dans son bureau, vers 11 h. Il a alors été décidé de rendre la décision demandée par le contribuable.

[100]   Plus tard, vers 14 h, MM. Beith, Read et Chan ainsi que Mme Gouin-Toussaint pour le compte de Revenu Canada ont rencontré M. le conseiller et M. le comptable. M. Beith a fait savoir que Revenu Canada reconnaîtrait que les actions de la société publique constituaient des biens canadiens imposables si les conditions suivantes étaient réunies :

(i)    la remise d’une renonciation de la part de la fiducie familiale pour l’année d’imposition 1991;

(ii)   la prise d’un engagement selon lequel la fiducie de protection des actifs ne revendiquerait pas la protection de la Convention pour une période de dix ans; et

(iii)  la prise d’un engagement selon lequel, au cours des cinq années à venir, la fiducie de protection des actifs ne prendrait aucune mesure entraînant la réalisation des gains en capital accumulés sur les actions de la société publique.

Ces conditions convenaient au contribuable; la décision a par la suite été rendue sur cette base.

[101]   Dans la note d’information à l’intention du sous-ministre, l’engagement selon lequel aucun gain ne serait réalisé avait déjà été jugé insuffisant; de son côté, M. Bentley avait déjà conclu que l’engagement selon lequel la protection de la Convention ne serait pas revendiquée n’était pas exécutoire.

[102]   Avant la rencontre avec M. le conseiller et avec M. le comptable, M. Read ou M. Beith, ou encore M. Read et M. Beith, avaient informé Mme Gouin-Toussaint qu’il avait été décidé que la famille ne reviendrait pas sur l’engagement selon lequel la protection de la Convention ne serait pas revendiquée.

[103]   Aucune note n’a été rédigée et aucun procès-verbal n’a été dressé au sujet des réunions qui ont eu lieu le 23 décembre 1991 au matin. M. Chan a préparé une note de service mentionnant ces quatre réunions et indiquant les personnes qui y avaient participé, mais il n’avait assisté à aucune des réunions en question. Par conséquent, lorsque la preuve que les fonctionnaires ayant participé aux réunions ont fournie au sujet de la question de savoir qui avait assisté aux diverses réunions contredisait la note de service de M. Chan, j’ai préféré retenir la preuve des fonctionnaires plutôt que la note de service de M. Chan.

[104]   En ce qui concerne ce qui s’est passé lors de ces quatre réunions non documentées, j’ai minutieusement examiné les arguments avancés pour le compte de M. Harris au sujet du fait qu’il est difficile de se rappeler des événements remontant à une dizaine d’années, du risque que présente une mémoire collective, du caractère biaisé de pareils souvenirs ou de la présentation d’une preuve ne constituant qu’une simple conjecture relativement à ce qui s’était probablement passé.

[105]   En m’éloignant des faits non contestés, je me fonde donc davantage sur les notes que M. Beith a préparées au cours de la fin de semaine du 21 décembre puisqu’il s’agit de documents contemporains et je conclus que ces notes renferment les renseignements les plus dignes de foi.

[106]   À mon avis, les notes suivantes que M. Beith a rédigées au cours de la fin de semaine sont particulièrement importantes :

[traduction]

(1) Nous devrions être en mesure de prendre position au sujet de la question de savoir s’il s’agit d’un BCIdispositions 85(1)i), 97(2) et 248(1)selon certains, il s’agit d’un BCI.

-      Quelle est l’interprétation donnée par les Finances à ces dispositions sur le plan de la politique?

(2)   Il ne s’agit pas d’une opération d’évitementil ne faut donc pas tenir compte de l’article 245 et du paragraphe (6) de l’article XXIX.

[…]

(6) En fin de compte, il faut déterminer s’il s’agit d’un BCI.

-      Consulter les Finances

-      Consulter la Justice

Rencontrer les représentants.

[…]

- Si nous disons qu’il s’agit d’un BCI, ils doivent en convenir dans tous les cas;

-      quant à la renonciation pour 1991elle ne sera utilisée que s’ils adoptent la position selon laquelle il ne s’agit pas d’un BCI;

-      en ce qui concerne l’engagement selon lequel les actions ne seront pas vendues pour une période de dix ans, la Convention assure une protection.

[…]

- La notion de bien canadien imposable date de l’année 1972; le gouvernement devrait être en mesure de nous faire savoir si le bien en question est un bien canadien imposable.

[…]

Solution

-      Déterminer s’il s’agit d’un BCI

-      Il semble que ce soit le cas, compte tenu des dispositions 85(1)i); 97(2) et 248(1)

-      Consulter les Finances et la Justice

-      Accepter la renonciation de la fiducie à l’égard de l’année 1991; s’ils effectuent par la suite une disposition et affirment qu’il ne s’agit pas d’un BCI, la fiducie pourra faire l’objet d’une cotisation.

-      L’engagement selon lequel les actions ne seront pas vendues leur confère une protection en vertu de la Convention; cela est conforme à la Convention.

[…]

Le fait que nous ne pouvons pas donner de réponse semble ridicule?

[107]   Cela étant, je conclus que M. Beith était convaincu que Revenu Canada pouvait légitimement et à bon droit déterminer si un résident canadien pouvait détenir un bien canadien imposable et qu’il a conclu que des consultations additionnelles auprès des ministères des Finances et de la Justice étaient nécessaires. En outre, compte tenu de l’analyse de la Loi qu’il avait effectuée, M. Beith était porté à croire qu’un résident canadien pouvait posséder un bien canadien imposable et que les actions de la société publique semblaient constituer des biens canadiens imposables.

[108]   Je retiens donc le témoignage de M. Beith, à savoir que par suite de l’analyse qu’il avait effectuée pendant la fin de semaine, il n’était pas prêt à dire à M. Gravelle, le 23 décembre, que le ministère devait rendre la décision demandée, puisqu’il n’avait vu aucun avis juridique et qu’il ne savait pas ce qu’en pensait le ministère des Finances.

[109]   M. Beith ne pouvait pas se rappeler si, à la réunion de 8 h, on avait parlé de l’avis qu’il avait exprimé, à savoir qu’il fallait demander des conseils additionnels, mais il a déclaré qu’il croyait avoir fait connaître son avis à M. Read et à Mme Gouin-Toussaint. Il se peut bien qu’il n’ait pas été question de l’avis de M. Beith puisque Mme Gouin-Toussaint a témoigné qu’après la réunion, elle s’attendait à rencontrer M. Gravelle pour l’informer que M. Read et elle croyaient que les actions de la société publique ne constituaient pas des biens canadiens imposables. Le demandeur a présenté en preuve une question et une réponse tirées de l’interrogatoire préalable de M. Beith, selon lesquelles à la fin de la réunion de 8 h, il n’avait pas encore été décidé des mesures que le ministère allait prendre.

[110]   Quant à ce qui s’est passé lors de la réunion de 9 h, Mme Gouin-Toussaint a témoigné que M. Gravelle avait probablement reçu une copie du projet de la note d’information adressée au ministre et qu’on avait passé le projet en revue avec lui de façon qu’il comprenne les questions et la position prise par Revenu Canada au sujet de la décision. Mme Gouin-Toussaint a témoigné se rappeler expressément avoir remis à M. Gravelle un diagramme de l’opération qui figurait dans un projet antérieur de la note d’information. M. Beith a confirmé que des copies du dernier projet de note d’information à l’intention du ministre avaient été distribuées à la réunion en vue d’orienter la discussion et que M. Read et Mme Gouin-Toussaint avaient traité des faits, des opérations envisagées et des conséquences découlant de la décision. M. Read a témoigné qu’il y avait eu une longue discussion, que les problèmes avaient été examinés et que M. Gravelle avait posé énormément de questions.

[111]   Dans la mesure où M. Gravelle a témoigné qu’il n’avait pas examiné la note d’information à la réunion, qu’il ne savait pas que M. Read, Mme Gouin-Toussaint et M. Chan avaient travaillé, la veille, à la préparation du projet de note d’information à l’intention du ministre visant à informer celui-ci de la raison pour laquelle Revenu Canada refusait de rendre une décision et dans la mesure où M. Gravelle a affirmé qu’il ne convenait pas de s’arrêter aux questions techniques à ce moment-là et que la réunion visait simplement à l’informer de l’état du dossier et à décider des mesures à prendre, je préfère retenir la preuve fournie par M. Beith, M. Read et Mme Gouin-Toussaint. À mon avis, la preuve que ces derniers ont soumise est conforme aux efforts qu’ils avaient faits au cours de la fin de semaine précédant la fête de Noël pour mettre au point le projet de note d’information, le contenu de cette note et la position alors prise par la Direction des décisions. Cela étant, je conclus que la preuve que M. Beith, M. Read et Mme Gouin-Toussaint ont fournie est conforme aux documents et qu’elle est également plus vraisemblable.

[112]   Puisque j’ai tiré cette conclusion, je reconnais qu’à la réunion de 9 h, il a été question de la nécessité d’obtenir des avis additionnels.

[113]   M. Beith a témoigné que M. Gravelle lui avait probablement demandé son avis et que, selon lui, [traduction] « il fallait consulter les Finances » parce que, même si des discussions avaient eu lieu avec le ministère des Finances, les autorités supérieures n’y avaient pas été mêlées. Selon moi, il n’est que raisonnable de reconnaître que le sous-ministre aurait demandé l’avis de son principal conseiller technique; les notes que M. Beith a rédigées au cours de la fin de semaine montrent expressément que ce dernier croyait qu’il fallait consulter le ministère des Finances. M. Beith se rappelait avoir proposé que l’on consulte M. Short et que M. Gravelle leur avait demandé de le faire immédiatement.

[114]   M. Gravelle a témoigné avoir demandé si Revenu Canada disposait d’avis à jour des ministères de la Justice et des Finances parce que M. Lefebvre l’avait informé, le 20 décembre, que la question de l’objet de la législation, sur le plan de la politique, n’avait pas encore été réglée, qu’il fallait obtenir des commentaires du ministère des Finances à ce sujet et que l’avis juridique de M. Bentley n’était pas définitif.

[115]   La preuve présentée par M. Gravelle est conforme à la déclaration de M. Lefebvre selon laquelle, le 20 décembre, il avait informé M. Gravelle de la décision et des mesures qu’il fallait prendre. Étant donné que M. Lefebvre partait le lendemain en vacances, comme il prévoyait le faire depuis longtemps, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il informe le sous-ministre des questions en suspens.

[116]   Par conséquent, malgré l’avis qui était fermement exprimé dans le projet de note d’information à l’encontre de la délivrance d’une décision, je conclus que M. Gravelle ou que M. Beith a soulevé la question de la nécessité d’obtenir d’autres commentaires du ministère des Finances et qu’à la suite de la discussion, il a été convenu de demander l’avis de M. Short. Je retiens en outre la preuve selon laquelle M. Read et Mme Gouin-Toussaint estimaient qu’il était approprié de procéder à pareille consultation. Comme M. Read l’a dit : [traduction] « Je me suis senti passablement soulagé lorsque [M. Gravelle] a finalement dit ce qui était évident, c’est-à-dire qu’il fallait obtenir un avis écrit ferme des Finances. » Comme Mme Gouin-Toussaint l’a déclaré :

R. Je n’ai pas considéré que la demande de monsieur Gravelle était superflue. Comme je l’ai dit, on n’avait pas eu de réponse écrite de la part de monsieur Short.

Donc, une rencontre avec monsieur Short était appropriée, aussi, avant de prendre une position définitive sur un dossier aussi important.

[117]   Quant à la question de savoir ce qui s’est passé lors de la rencontre avec M. Short, à savoir si c’était surtout M. Short qui avait parlé ou si c’était M. Thompson qui l’avait fait en présence de M. Short, je ne doute aucunement que l’on a exprimé l’avis selon lequel, sur le plan de la politique fiscale, tant les résidents que les non-résidents pouvaient posséder des biens canadiens imposables. Mme Gouin-Toussaint, M. Beith et M. Bentley ont clairement dit que c’était la position du ministère des Finances, telle qu’elle avait été énoncée par M. Short. Le fait que M. Short avait exprimé cet avis était corroboré par le fait qu’il était présent à la réunion au cours de laquelle l’avis aurait été exprimé et par la lettre en ce sens qu’il a envoyée à M. Read plus tard ce jour-là. De plus, M. Short a témoigné que lorsque les modifications apportées à la Loi avaient été rédigées, on s’était toujours dans une certaine mesure inquiété de ce que seuls les non-résidents puissent détenir des biens canadiens imposables, mais qu’il ne partageait pas cet avis et maintenait plutôt que la chose ne dépendait pas de la résidence du propriétaire des biens en question. Compte tenu de ce témoignage, je présume que M. Short avait depuis longtemps adopté cette position.

[118]   Par la suite, M. Beith et M. Bentley se sont rendus au bureau de M. Gravelle. M. Beith a informé M. Gravelle de l’avis exprimé par M. Short et M. Bentley a confirmé la position qu’il avait adoptée longtemps auparavant, à savoir que selon l’interprétation qu’il convenait de donner à la Loi, un résident canadien pouvait détenir un bien canadien imposable. Je conclus que lors de cette réunion, M. Gravelle a demandé l’avis de M. Beith, puisque M. Gravelle et M. Beith ont tous deux témoigné qu’il l’avait fait; compte tenu des événements qui se sont produits ce jour-là, cela est logique. Je retiens également le témoignage additionnel qu’ils ont présenté, soit que M. Beith avait fait savoir qu’une décision favorable devrait être rendue, et le témoignage de M. Beith selon lequel M. Gravelle avait décidé que Revenu Canada rendrait une décision favorable.

[119]   J’examinerai maintenant chaque cause d’action invoquée par M. Harris.

TRAITEMENT PRÉFÉRENTIEL ET AVANTAGE PARTICULIER INDUS

[120]   Comme l’a dit la Cour d’appel lors de l’appel de l’ordonnance rendue par le juge Muldoon à la suite de la présentation de la requête en radiation dans l’affaire Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.), au paragraphe 40, M. Harris allègue que le ministre du Revenu national a agi illégalement, irrégulièrement ou pour un motif inavoué, savoir le favoritisme et le traitement préférentiel par une entente secrète. Les défendeurs soutiennent que la déclaration n’est pas ainsi libellée et que les mots qui y sont employés, à savoir [traduction] «une crainte raisonnable de mauvaise foi dans un acte d’administration et un motif inavoué de la part de la Couronne » ne suffisent pas pour constituer une allégation de mauvaise foi.

[121]   Cet argument ne tient pas compte de l’allégation expresse figurant au paragraphe 33 de la déclaration, à savoir que le ministre a accordé un traitement préférentiel et un avantage particulier indus. À mon avis, il s’agit d’une allégation qui est à juste titre plaidée.

[122]   Quant à la preuve fournie à l’appui de l’allégation en question, le demandeur a concédé dans son argumentation orale et écrite qu’il [traduction] « n’allègue pas que des opérations malhonnêtes ont été effectuées ». M. Harris affirme plutôt que la preuve dans son ensemble permet d’inférer que ce contribuable particulier a bénéficié d’un traitement de faveur à cause de son statut et de son pouvoir et parce qu’il était quelqu’un de notable.

[123]   Il n’existe aucune preuve directe à l’appui de cette allégation.

[124]   M. Desautels a témoigné qu’en examinant les faits de l’affaire, son bureau n’avait rien pu trouver qui indique un comportement inacceptable ou un abus d’influence ou qui prouve que l’on s’était livré à des opérations malhonnêtes. M. Desautels a également témoigné qu’il n’y avait pas lieu de douter de l’intégrité des fonctionnaires à Revenu Canada. M. Minto a confirmé que, dans les documents ou au cours des entrevues, le personnel du vérificateur général n’avait pu trouver aucun indice de mauvaise foi ou d’ingérence politique.

[125]   Dans son rapport, le vérificateur général ne faisait pas mention de quoi que ce soit qui puisse indiquer qu’il y avait eu traitement préférentiel ou avantage particulier indus parce que le contribuable en cause était quelqu’un de notable.

[126]   M. Harris soutient qu’en l’absence de preuve directe, l’inférence relative au traitement préférentiel et à l’avantage particulier devrait être fondée sur les éléments ci-après énoncés :

(i) Le 20 décembre 1991, la Direction des décisions avait fermement adopté la position selon laquelle les actions de la société publique ne constituaient pas des biens canadiens imposables, l’avis contraire étant erroné en droit. Lorsque les hauts fonctionnaires de la Direction se sont réunis à 8 h, le 23 décembre 1991, la situation n’a pas changé;

(ii) Le projet de note d’information à l’intention du ministre a été remis à M. Gravelle à la réunion de 9 h afin de l’informer de la décision du ministère et non de lui demander de prendre une décision. On demandait uniquement à M. Gravelle de signer la note d’information;

(iii) M. Gravelle n’avait pas d’expertise en matière fiscale; pourtant, il a décidé de ne pas retenir les conclusions énoncées dans la note d’information et de demander plutôt au ministère des Finances de faire des commentaires. Il a été affirmé qu’il n’y avait pas lieu pour M. Gravelle de ne pas souscrire à l’avis exprimé dans le projet de note d’information à moins qu’il ne soit au départ porté à rendre une décision favorable;

(iv) Le témoignage que M. Gravelle a présenté au sujet de ce qui s’était passé à la réunion de 9 h n’était pas crédible et ses propres représentants l’ont directement contredit;

(v) À la réunion finale, à 11 h, M. Gravelle a demandé à M. Bentley si l’avis juridique justifiait une décision favorable au contribuable. M. Gravelle n’a jamais demandé s’il existait un fondement permettant au ministère de refuser de rendre une décision. Il a été soutenu que puisque cette question n’a pas été posée, il faut inférer que M. Gravelle cherchait à justifier une décision favorable au contribuable;

(vi) M. Gravelle n’a jamais lu le dossier au complet;

(vii) Aucune note n’a été prise et aucun procès-verbal n’a été dressé lors des quatre réunions qui ont eu lieu le 23 décembre au matin;

(viii) Le fait que la renonciation et l’engagement ont été reçus indique que la famille du contribuable a bénéficié d’un traitement de faveur;

(ix) Bien qu’il y ait eu des motifs justifiant le refus de rendre une décision ou encore justifiant une décision défavorable, le sous-ministre a fait tout son possible pour rendre une décision favorable. Il a été soutenu qu’il a ainsi agi à cause du pouvoir et du statut du contribuable.

[127]   Si chaque argument est examiné à tour de rôle, les arguments (i), (ii) et (iii) susmentionnés vont à l’encontre des faits tels que je les ai constatés, et plus précisément des conclusions que j’ai tirées, à savoir que :

a) Pendant la fin de semaine qui a précédé le 23 décembre 1991, M. Beith a conclu que Revenu Canada devrait être en mesure de déterminer si un résident du Canada peut détenir un bien canadien imposable;

b) En même temps, M. Beith a conclu qu’il fallait effectuer des consultations additionnelles auprès des ministères des Finances et de la Justice;

c) Qu’elle ait initialement été soulevée par M. Beith ou par M. Gravelle, la question de la nécessité d’obtenir des commentaires additionnels de M. Short a été soulevée à la réunion de 9 h et il a été convenu de demander à M. Short d’exprimer son avis.

[128]   Ces conclusions ont été tirées à la suite d’un examen minutieux de toute la preuve. Pour conclure, comme M. Harris le fait, que [traduction] « rien n’a changé » au cours de la fin de semaine ou lors de la réunion de 8 h le 23 décembre, que la séance de 9 h visait uniquement à informer M. Gravelle et qu’il n’y avait pas lieu pour M. Gravelle de chercher à obtenir des commentaires additionnels, il faudrait que j’omette de tenir compte des notes que M. Beith a rédigées au cours de la fin de semaine, alors que je suis convaincue que ces documents contemporains constituent l’indication la plus digne de foi de ce qui s’est passé. Les notes à elles seules ne prouvent pas l’exactitude de leur contenu, mais dans la mesure où elles sont conformes au témoignage que M. Beith a présenté sous serment, je suis convaincue que le témoignage de ce dernier est digne de foi.

[129]   Pour arriver aux conclusions énoncées par M. Harris, il faudrait également que j’omette de tenir compte des éléments de preuve ci-après énoncés :

(i) M. Lefebvre : il avait informé le sous-ministre des mesures qu’il fallait prendre pour mener la décision à bonne fin. Il ressort de cet élément de preuve que l’on s’attendrait à ce que le ministre demande certains renseignements au sujet de l’état de l’affaire;

(ii) M. Read : la décision avait été portée à un palier supérieur à celui de M. Read et de la Direction des décisions, plus précisément au palier du sous-ministre adjoint. Étant donné que M. Lefebvre est parti avant que la décision soit prise, il s’ensuit logiquement que la décision devait être prise par le sous-ministre et que l’on s’attendrait à ce que celui-ci demande au préalable certains renseignements;

(iii) M. Read, M. Gravelle et Mme Gouin-Toussaint : en ce qui concerne la question de savoir dans quelles circonstances il avait été décidé de consulter M. Short.

[130]   En outre, il n’a pas été soutenu que M. Gravelle savait quel serait l’avis de M. Short. Le fait que l’on a demandé l’avis de M. Short ne permet donc pas en soi de conclure que M. Gravelle était au départ porté à rendre une décision favorable.

[131]   Quant à l’argument fondé sur la crédibilité de M. Gravelle, je préfère retenir le témoignage que d’autres personnes ont présenté au sujet de la mesure dans laquelle les questions avaient été examinées devant celui-ci, mais je ne crois pas qu’il soit justifié de tirer une conclusion générale d’absence de crédibilité. Quoi qu’il en soit, toute question concernant le témoignage de M. Gravelle ne suffit pas en soi pour contredire ce témoignage.

[132]   À mon avis, le fait que M. Gravelle a demandé à M. Bentley si son avis juridique allait étayer une conclusion favorable ne permet absolument pas d’inférer que M. Gravelle cherchait à justifier une décision favorable. Compte tenu de la preuve, que je retiens, à savoir que M. Gravelle venait tout juste d’apprendre que l’avis du ministère des Finances étayerait une décision favorable, je n’accorde aucune importance au fait que la même question a été posée à M. Bentley.

[133]   De même, puisque, à mon avis, M. Gravelle a pleinement été informé, je ne fais aucune inférence défavorable à partir du fait que M. Gravelle n’a pas personnellement lu tout le dossier. Le projet de note d’information traitait en détail des questions qui se posaient alors au sujet des conséquences pour l’assiette de l’impôt et de la DGAE ainsi que de la question de savoir si les actions constituaient des biens canadiens imposables et j’ai retenu les témoignages que Mme Gouin-Toussaint, M. Read et M. Beith ont présentés au sujet de l’étendue de l’information transmise. Cela contredit cette preuve; on ne saurait raisonnablement conclure que le dossier au complet devrait être laissé au sous-ministre pour qu’il l’étudie lui-même.

[134]   En l’absence de notes écrites ou de procès-verbaux, il était manifestement plus difficile pour Revenu Canada de justifier ses actions et de veiller à ce que ses représentants agissent d’une façon appropriée. Je retiens la preuve du bureau du vérificateur général, à savoir que l’omission de dresser des procès-verbaux allait à l’encontre de la politique et des procédures établies de Revenu Canada. Par conséquent, le manque de documentation appropriée constitue un fondement tout indiqué permettant d’émettre des hypothèses et de faire des conjectures et pose un problème. De fait, étant donné les sommes élevées qui sont en cause, il est étonnant que les hauts fonctionnaires à Revenu Canada n’aient pas dressé de procès-verbaux de certaines réunions au cours desquelles des décisions cruciales étaient prises. Il va sans dire qu’une façon d’agir aussi déplorable risque de compromettre l’obligation publique de rendre compte.

[135]   Toutefois, il s’agit pour la Cour de savoir si, en l’absence de procès-verbaux ou de notes, il est possible de conclure à la mauvaise foi ou à un traitement de faveur. Pour être tirée, cette conclusion doit être plus vraisemblable que les autres conclusions possibles.

[136]   Il est également possible de conclure que l’on a agi avec négligence et à la hâte.

[137]   La preuve établit que le dossier de décision, tel qu’il est maintenu par Revenu Canada, renferme le nom du contribuable, la correspondance des ministères de la Justice et des Finances dans laquelle sont exprimés les avis ayant servi de fondement à la décision ainsi que les conditions de la décision. Le vérificateur général a été en mesure de fonder une bonne partie de ses critiques sur ces renseignements et sur le contenu du dossier de décision et, dans cette mesure, on ne saurait dire que la décision était fondée sur des motifs secrets.

[138]   Dans ces conditions, il est difficile de conclure à l’existence d’un motif infâme ou inavoué pour ce qui a trait à l’absence de procès-verbaux. Le dossier indique essentiellement le processus qui a été suivi et l’étendue de l’analyse.

[139]   Cela étant, et puisque le manque de documentation montre que l’on a agi d’une façon déplorable et à la hâte, je ne suis pas prête à inférer qu’il y a eu mauvaise foi et traitement de faveur en me fondant sur l’absence de procès-verbaux.

[140]   Je ne suis pas prête à inférer la mauvaise foi à partir du manque de documentation, mais pareille façon négligente d’agir n’est pas pour autant sanctionnée. L’absence de procès-verbaux contemporains rend un mauvais service tant à la population canadienne, qui a le droit de s’attendre à ce qu’il y ait toujours un certain nombre de documents, qu’aux fonctionnaires de Revenu Canada, qui ont à justifier leur décision beaucoup plus tard.

[141]   En ce qui concerne la renonciation et l’engagement, je reconnais que la renonciation, qui permettait pendant une période de dix ans d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de la fiducie familiale, a été reçue ou acceptée parce qu’on ne savait pas trop si les actions de la société publique constituaient des biens canadiens imposables et parce que l’on craignait que le contribuable profite par la suite de cette incertitude pour essayer de soutenir que les actions ne constituaient pas des biens canadiens imposables, et ce, de façon à obtenir un avantage. Telle était la preuve non contredite fournie par M. Chan et par Mme Gouin-Toussaint, preuve qui est conforme aux notes que M. Chan a rédigées au sujet d’une conversation téléphonique qu’il avait eue avec M. l’avocat le 13 décembre 1991.

[142]   Étant donné cette incertitude, je conclus que c’est Mme Gouin-Toussaint qui a proposé une renonciation destinée à protéger Revenu Canada et l’assiette de l’impôt au cas où la position adoptée par C ne serait plus la même. En prolongeant la période pendant laquelle Revenu Canada pouvait établir une nouvelle cotisation, on assurait une certaine symétrie, les actions pouvant être des biens canadiens imposables, ou ne pas l’être, et ce, tant au départ du contribuable qu’à son retour. En pratique, la renonciation avait pour effet d’assurer presque que C ne reviendrait jamais sur sa position, à savoir que les actions étaient des biens canadiens imposables. La renonciation était une condition que Revenu Canada avait insérée au détriment du contribuable de façon à protéger l’assiette de l’impôt contre un événement hypothétique subséquent. À mon avis, on n’a accordé aucun traitement de faveur en acceptant la renonciation.

[143]   Quant à l’engagement selon lequel le contribuable renonçait à la protection fournie par la Convention pour une période de dix ans, M. Bentley avait fait savoir que cet engagement n’était probablement pas exécutoire. Par conséquent, après qu’il eut été résolu de rendre une décision favorable, M. Chan a fait part à Mme Gouin-Toussaint des préoccupations qu’il avait au sujet de l’acceptation de cet engagement, étant donné que l’exécution de l’engagement posait un problème. Dans ses notes, M. Chan a consigné la réponse que Mme Gouin-Toussaint avait donnée, à savoir [traduction] qu’« il a[vait] été décidé que la famille ne reviendrait pas sur l’entente et [que], si elle le fai[sai]t, cela nuira[it] à ses relations futures avec le gouvernement du Canada ». Mme Gouin-Toussaint a déclaré que c’était ce que lui avaient fait savoir M. Beith ou M. Read, ou les deux.

[144]   M. Beith a témoigné qu’il était certain que cette question avait été soulevée auprès de M. Gravelle et qu’il avait déclaré à M. Gravelle [traduction] qu’« il n’y avait pas lieu de se demander s’ils avaient agi de mauvaise foi, et [qu’]en fait cela indiquait leur bonne foi. Rien ne [lui] permettait de douter de leur intégrité et rien ne [lui] permettait de croire qu’ils n’honoreraient pas leur engagement ». M. Read a déclaré avoir dit à Mme Gouin-Toussaint que [traduction] « selon ce [qu’il savait] du contribuable, [il croyait] qu’il était fort peu probable qu’il revienne sur sa parole; il avait un certain statut social ».

[145]   Pour le compte de M. Harris, il a été soutenu avec véhémence que cette preuve établissait la mauvaise foi parce que la décision dépendait de l’engagement et que l’engagement avait été accepté à cause de la situation sociale du contribuable. Il a été soutenu que la conclusion qualitative qui avait été tirée au sujet du statut du contribuable montrait que celui-ci avait bénéficié sans motif valable et d’une façon illégale d’un traitement préférentiel.

[146]   Il est important de comprendre la nature de l’engagement. La fiducie de protection des actifs s’engageait à ne pas demander, pour les dix années à venir, une déduction en vertu du sous-alinéa 110(1)f)(i) et de l’alinéa 115(1)d) de la Loi. Ces dispositions permettent à un contribuable non-résident de réduire le revenu imposable qu’il a gagné au Canada d’un montant égal au revenu protégé par la Convention. Étant donné que la fiducie de protection des actifs ne résidait pas au Canada, elle pouvait affirmer qu’elle n’était pas visée par les dispositions de la Convention. Cet engagement visait donc à assurer au Canada que tout impôt résultant de la disposition d’un bien en immobilisation respecterait les dispositions de la Convention. La fiducie de protection des actifs n’alléguerait pas être entièrement exonérée d’impôt.

[147]   Ensemble, l’acceptation de la renonciation et de l’engagement n’avaient rien à avoir avec la question de savoir si les actions de la société publique constituaient des biens canadiens imposables. Il s’agissait plutôt de garanties offertes en réponse à la préoccupation exprimée par la Direction des décisions, à savoir que des mesures constituant une stratégie d’évitement, par opposition à un véritable changement de résidence, pourraient bien être prises dans l’avenir. Avec l’engagement selon lequel les actions ne seraient pas aliénées pour une période de cinq ans, la renonciation et l’engagement garantissaient fondamentalement qu’en pratique, il était peu probable que des opérations d’évitement soient subséquemment conclues.

[148]   À mon avis, si la question est considérée sous cet angle, il n’y a pas eu d’entente particulière irrégulière ou de traitement de faveur.

[149]   Il n’était pas approprié et il était peu judicieux pour M. Read de parler de la [traduction] « situation sociale » du contribuable. La situation sociale n’est pas en soi un critère sûr de probité.

[150]   Toutefois, les notes de M. Chan et la prépondérance de la preuve indiquent que l’on s’est à juste titre demandé si la renonciation et l’engagement offerts par le contribuable étaient suffisants pour régler les questions liées à la DGAE. À cet égard, il est à mon avis important de noter qu’au moment où le comité anti-évitement était présidé par M. Beith et au cours de la fin de semaine du 21 décembre 1991, M. Beith avait déclaré ce qui suit dans ses notes : [traduction] « Il ne s’agit pas d’une opération d’évitement. » M. Read estimait également qu’il était [traduction] «peu probable » que la DGAE s’applique. Ces conclusions ne semblent aucunement être fondées sur la situation de la famille.

[151]   Le point final soulevé pour le compte de M. Harris est fondé sur la prétention selon laquelle il existait des motifs justifiant le refus de rendre une décision ou la délivrance d’une décision défavorable.

[152]   Toutefois, l’avis initialement exprimé par M. Thompson le 14 novembre 1991 au sujet de la politique fiscale étayait la conclusion selon laquelle un résident canadien pouvait posséder un bien canadien imposable. Le 6 décembre 1991, M. Thompson avait déjà fait savoir que l’argument selon lequel un résident canadien ne pouvait pas posséder un bien canadien imposable était [traduction] « trop faible ».

[153]   Le 19 novembre 1991, M. Bentley a exprimé l’avis juridique selon lequel il souscrivait à l’argument avancé par M. l’avocat au sujet de la question des biens canadiens imposables. Le 2 décembre 1991, M. Chan avait déclaré, dans un projet de lettre à l’intention de M. Short, qu’à l’exception des questions liées à la DGAE, aucun argument technique convaincant ne justifiait le refus de rendre les décisions demandées. Le 10 décembre et au moment où la note de service à l’intention du Comité de révision des décisions a été préparée, le refus de rendre une décision était fondé sur le montant élevé d’impôt qui serait perdu par suite de l’application de la Convention fiscale et sur la possibilité que la DGAE s’applique si certains événements se produisaient dans l’avenir.

[154]   La renonciation, l’engagement et la promesse que le contribuable avait faits de ne pas disposer des biens en cause pour une période de cinq ans réglaient dans une large mesure les questions liées à la DGAE. Il était à juste titre loisible à Revenu Canada de croire qu’aucune opération d’évitement n’était en cause. À mon avis, Revenu Canada ne pouvait pas légitimement refuser de rendre une décision anticipée en se fondant uniquement sur le fait que le résultat était favorable au contribuable et que le résultat obtenu par suite de l’application de la Convention ne lui plairait pas.

[155]   M. Read a confirmé que le 23 décembre 1991, la Direction des décisions ne croyait plus que la décision visait une opération qui avait déjà été conclue. À mon avis, cette conclusion était raisonnable. La décision qui a été demandée et qui a finalement été rendue ne se rapportait pas à une opération qui avait été conclue. On reconnaissait plutôt le résultat qu’aurait une opération déjà conclue et on se fondait sur ce résultat dans le cas d’une opération envisagée.

[156]   Par conséquent, il n’existait aucun motif justifiant le refus de rendre une décision ou la délivrance d’une décision à l’encontre du contribuable, qui soit suffisamment fort pour permettre à bon droit d’inférer que le sous-ministre [traduction] « faisait tout son possible » pour rendre une décision en faveur du contribuable.

[157]   Cela étant, je suis convaincue que la preuve ne permet pas d’inférer que le contribuable ici en cause a bénéficié d’un traitement de faveur.

[158]   Dans l’argumentation qu’il a présentée devant moi, le demandeur n’a pas donné suite à l’allégation selon laquelle on avait accordé un traitement préférentiel indu puisque d’autres contribuables n’étaient pas au courant de l’interprétation favorable donnée dans la décision en question. Quoi qu’il en soit, les autres contribuables auraient pu demander des décisions similaires; de plus, dans la Circulaire d’information 70-6R2, on encourageait les contribuables à faire pareille demande. Il n’existe aucune preuve claire au sujet de la question de savoir à quel moment l’avis exprimé en 1985, soit qu’un résident ne pouvait pas détenir un bien canadien imposable, a été publié. Il a été convenu que cet avis n’a pas été publié par le service de mise à jour sur feuillets mobiles Access to Canadian Income Tax.

[159]   En plus d’analyser la preuve, telle qu’elle se rapporte à l’argument précis que M. Harris a invoqué devant moi, je me suis également demandé si la preuve dans son ensemble étaye les prétentions voulant que le contribuable ait bénéficié d’un traitement de faveur et que les défendeurs aient été de mauvaise foi.

[160]   Les allégations de mauvaise foi qui sont faites à l’encontre de hauts fonctionnaires du gouvernement sont sérieuses et exigent un examen minutieux de la force de la preuve. Dans ce cas-ci, l’ensemble de la preuve n’établissait pas qu’il y avait eu traitement de faveur ou mauvaise foi. De fait, certains éléments de preuve indiquaient le contraire. Comme il en a déjà été fait mention, le 8 mars 1991, M. l’avocat avait déjà fait une demande en vue d’obtenir une décision anticipée. Revenu Canada avait fait savoir que la décision demandée ne serait pas rendue. Le contribuable a donc retiré la demande et a soumis la demande ici en cause. Cela montre dans une certaine mesure que la Direction des décisions ne craignait pas de rendre des décisions défavorables à l’égard du contribuable ici en cause ou qu’elle n’hésitait pas à rendre pareilles décisions.

LE MANQUEMENT À UNE OBLIGATION FIDUCIAIRE OU À UNE OBLIGATION SIMILAIRE

[161]   J’examinerai maintenant l’assertion selon laquelle, en recevant la demande de décision et en y répondant, le ministre et ses représentants agissaient à titre fiduciaire ou dans une qualité similaire, et qu’ils ont manqué à leur obligation. Le demandeur affirme qu’il existe une obligation fiduciaire ou une obligation similaire envers les contribuables représentés dans cette instance et envers les contribuables qui ont demandé la décision.

[162]   Pour le compte de M. Harris, il est soutenu que les agents publics peuvent avoir des obligations fiduciaires ou des obligations similaires et que les diverses catégories de rapports fiduciaires ne sont pas exhaustives. M. Harris fait remarquer que dans des arrêts tels que l’arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, la Cour suprême du Canada a établi un « guide sommaire » permettant de déterminer si l’imposition d’une obligation fiduciaire à l’égard d’un rapport est appropriée. Les rapports dans lesquels une obligation fiduciaire a été imposée possèdent habituellement trois caractéristiques générales :

(i) le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire.

(ii) le fiduciaire peut unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire.

(iii) le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire.

[163]   M. Harris affirme ensuite ce qui suit :

[traduction] Les circonstances afférentes au processus de délivrance des décisions donnent à entendre que tous les éléments d’un rapport fiduciaire existent entre le ministre et les contribuables canadiens. Premièrement, le ministre possède le pouvoir discrétionnaire de rendre ou de refuser de rendre une décision anticipée dans un cas donné. Il n’existe pas de critères prévus par la loi régissant l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. La Circulaire d’information publiée par Revenu Canada énonce certaines lignes directrices applicables à la délivrance des décisions. Toutefois, en fin de compte, aucune exigence légale ne prévoit qu’une décision anticipée en matière d’impôt doit être rendue. Le ministre possède le pouvoir discrétionnaire nécessaire en vue de rendre une décision favorable ou une décision défavorable ou en vue de refuser de rendre une décision, quelle qu’elle soit. En particulier, si une disposition précise de la Loi de l’impôt sur le revenu est ambiguë, comme c’était le cas pour la décision de 1991, et si Revenu Canada ne peut pas clairement résoudre l’ambiguïté, on peut refuser de rendre une décision et trancher la question au moment où la cotisation est établie. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire influe en pratique sur les intérêts de toutes les personnes d’une catégorie donnée qui produisent des déclarations de revenu, en particulier si une opération importante susceptible d’avoir un effet sérieux pour l’assiette de l’impôt est en cause. Comme lord Scarman l’a fait remarquer dans l’arrêt Inland Revenue Commissioners, si un montant insuffisant est perçu ou fixé au titre de l’impôt par suite d’une décision anticipée qui énonce une interprétation erronée du droit ou qui permet un stratagème frauduleux, le fardeau de l’impôt est inévitablement plus lourd pour les autres personnes qui produisent des déclarations de revenu. Il faut combler cette insuffisance des recettes publiques en percevant des impôts plus élevés ou de nouveaux impôts ou encore en réduisant les dépenses. D’une façon ou de l’autre, la chose porte en pratique réellement atteinte à l’intérêt des citoyens canadiens en général.

Étant donné la nature du processus applicable aux décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu, les contribuables canadiens sont particulièrement vulnérables lorsque le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire. Comme on l’a noté, il s’agit d’un processus secret et confidentiel; il n’existe aucun droit d’appel et les contribuables doivent s’en remettre aux fonctionnaires pour percevoir et fixer l’impôt d’une façon équitable et juste.

[…]

À moins que le ministre ne soit lié par une obligation fiduciaire, il n’existe tout simplement aucune façon, en droit ou en pratique, de remédier à l’exercice injustifié de ce pouvoir discrétionnaire. Même si les décisions qui sont prises influent en pratique sur les intérêts non seulement du particulier qui demande la décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu, mais peut-être bien aussi de tous les contribuables, en l’absence d’une obligation accrue de diligence, la décision rendue par Revenu Canada ne pourrait presque jamais être contestée. Le gouvernement ne saurait affirmer que dans la mesure où ses fonctionnaires n’agissent pas de mauvaise foi, il ne sert à rien de savoir si une décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu a été rendue avec la diligence appropriée. Si les contribuables canadiens ne savent pas que le ministre est assujetti à une norme de diligence fort stricte, et ce, qu’une obligation fiduciaire ou une obligation similaire soit en cause, la confiance du public dans le régime fiscal est minée. Il serait loisible à Revenu Canada d’agir impunément. Cela voudrait dire qu’en l’absence d’une preuve de mauvaise foi, les fonctionnaires pourraient faire preuve d’une grave négligence sans être tenus de rendre compte. Pareil résultat saperait la légitimité du système d’imposition au Canada. De nos jours, les Canadiens peuvent à bon droit ne pas s’en remettre à la déclaration bien connue : « Faites-nous donc confiance. »

[164]   En réponse à l’argument voulant qu’une protection constitutionnelle soit fournie lorsqu’il y aurait mauvaise gestion ou mauvaise administration, et ce, au moyen de la supervision assurée par le vérificateur général et de la responsabilité ministérielle envers la Chambre des communes et, en fin de compte, au moyen de l’obligation qui incombe au gouvernement de rendre compte à l’électorat, M. Harris soutient que pareille obligation de rendre compte est un [traduction] « mythe » lorsqu’une décision est populaire auprès du [traduction] « parti au pouvoir ».

[165]   Je commencerai mon analyse en faisant remarquer, en ce qui concerne le « guide sommaire », que dans l’arrêt Lac Minerals, précité, le juge Sopinka, en se prononçant au nom de la majorité de la Cour sur la question de l’obligation fiduciaire, a fait les remarques ci-après énoncées [à la page 599] :

Il est possible de conclure qu’il y a des rapports fiduciaires, même si toutes ces caractéristiques ne sont pas présentes. Par ailleurs, leur présence n’est pas toujours concluante quant à l’existence de rapports fiduciaires.

[166]   Le juge Sopinka a donné l’avertissement suivant [à la page 595] :

La conclusion à l’existence de rapports fiduciaires et à un manquement aux obligations en découlant a des conséquences telles que les tribunaux hésitent à formuler cette conclusion, sauf lorsque le recours à ce « moyen brutal employé en equity » s’impose réellement.

[…]

À mon avis, on ne doit avoir recours au moyen brutal employé en equity que dans les situations où la protection spéciale de l’equity se révèle vraiment nécessaire.

[167]   Dans l’arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, le juge Dickson (tel était alors son titre), au nom de la majorité, a fait remarquer la distinction qu’il faut faire, en ce qui concerne l’obligation fiduciaire, entre les obligations de droit privé et les obligations de droit public (page 385) :

Il nous faut remarquer que, de façon générale, il n’existe d’obligations de fiduciaire que dans le cas d’obligations prenant naissance dans un contexte de droit privé. Les obligations de droit public dont l’acquittement nécessite l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ne créent normalement aucun rapport fiduciaire. Comme il se dégage d’ailleurs des décisions portant sur les « fiducies politiques », on ne prête pas généralement à Sa Majesté la qualité de fiduciaire lorsque celle-ci exerce ses fonctions législatives ou administratives. [Non souligné dans l’original.]

[168]   Le juge Dickson a ensuite décidé que la Couronne assumait une obligation fiduciaire lorsqu’elle s’occupait des terres des Indiens à la suite de la cession, compte tenu du droit indépendant que possédaient les Indiens sur leurs terres, droit qui ne devait son existence ni au pouvoir législatif ni au pouvoir exécutif. Le juge Dickson a donc conclu que l’obligation de la Couronne, en ce qui concerne ce droit, « n’est pas une obligation de droit public », mais plutôt une obligation « de la nature d’une obligation de droit privé ». Dans le contexte de ce « rapport sui generis », on pouvait à bon droit considérer la Couronne comme un fiduciaire.

[169]   Avant que la Cour suprême du Canada fasse connaître sa décision dans l’affaire Guerin, la Chambre des lords, dans l’arrêt Swain v Law Society, [1982] 2 All ER 827, avait également dit que, lorsque des obligations fiduciaires sont en cause, il faut faire une distinction entre les obligations existant en droit public et celles qui existent en droit privé.

[170]   Les faits de l’affaire Swain dont la Chambre des lords avait été saisie étaient les suivants : la Law Society était autorisée par la loi à prendre des règles concernant l’indemnité accordée en cas de perte à la suite d’une demande présentée contre un avocat qui avait commis une négligence professionnelle ainsi qu’à souscrire à une assurance et à maintenir une assurance auprès d’assureurs autorisés. La Law Society avait mis sur pied un programme collectif dans le cadre duquel elle se chargeait de souscrire à une assurance-indemnité par l’entremise d’une maison particulière de courtiers en assurances et demandait ensuite aux avocats de participer au programme. Les courtiers convenaient de partager avec la Law Society la commission élevée qu’ils recevaient de l’assureur. Un avocat avait demandé un jugement déclaratoire portant que la Law Society n’avait pas le droit de conserver le montant de la commission qu’elle avait reçue des courtiers à l’égard des primes payées par les avocats individuels, mais qu’elle devait plutôt rendre compte de cette commission aux avocats en cause.

[171]   La Chambre des lords a statué que la Law Society n’avait pas à rendre compte à ses membres à titre de fiduciaire à l’égard de la commission touchée dans l’exercice d’un pouvoir reconnu par la loi. Aux pages 837 et 838, lord Brightman a dit ce qui suit :

[traduction] En exerçant son pouvoir, […] la Law Society s’acquitte d’une obligation publique, une obligation qui devait être avantageuse non seulement pour les avocats-mandants et pour leur personnel, mais aussi pour les clients des avocats […] Par conséquent, comme je l’ai dit, en exerçant le pouvoir qui lui est conféré, la Law Society s’acquittait, envers les avocats qui payaient une prime, d’une obligation publique, et non d’une obligation privée. Cette approche qui, à mon avis, est fondamentale, a des conséquences importantes étant donné que la nature d’une obligation publique est fort différente de celle d’une obligation privée et que les réparations qui peuvent être demandées par les personnes qui cherchent à contester la façon dont l’obligation est assumée sont fort différentes de celles dont peuvent se prévaloir les personnes qui invoquent la violation d’une obligation privée. En cas de manquement à une obligation publique, les réparations possibles sont le contrôle judiciaire, un jugement déclaratoire, une injonction et le recouvrement des sommes indûment demandées et payées. Il n’existe aucune réparation fondée sur la violation d’une fiducie ou sur l’equity. Pareille réparation peut uniquement être obtenue si une fiducie privée a été créée : voir la décision que la Chambre des lords a rendue dans l’affaire Skinners’ Co c. Irish Society (1845) 12 CI & Fin 425, 8 ER 1474. L’obligation imposée à celui qui possède un pouvoir légal à des fins publiques ne saurait être à juste titre considérée comme étant de nature fiduciaire étant donné qu’il n’y a pas de bénéficiaire au sens de l’equity. [Non souligné dans l’original.]

[172]   En 1988, la Cour d’appel de l’Ontario a appliqué l’arrêt Swain dans l’affaire Windsor Roman Catholic Separate School Board v. Windsor (City) (1988), 64 O.R. (2d) 241 (C.A.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée [[1988] 2 R.C.S. x]. Dans cette affaire-là, la Cour avait à examiner la demande qu’un conseil scolaire avait faite en vue d’obtenir des intérêts sur les impôts perçus par la ville pour son compte, lesquels ne lui avaient pas encore été versés. Après avoir cité en l’approuvant l’arrêt Swain, la Cour a dit ce qui suit, aux pages 247 et 248 :

[traduction] Au début du siècle, la présente cour a décidé, dans l’affaire Norfolk v. Roberts (1913), 28 O.L.R. 593, 13 D.L.R. 463 (Div. d’appel); conf. par 50 R.C.S. 283, 23 D.L.R. 547, qu’une corporation municipale ou son conseil n’agit pas à titre de fiduciaire pour les contribuables. Le juge en chef Meredith a fait les remarques suivantes, aux pages 602 et 603 O.L.R., pages 465-466 D.L.R. :

De nos jours, la tendance, dans les décisions judiciaires, est de s’écarter de la pratique passée voulant que l’on applique les règles qui s’appliquaient aux sociétés commerciales aux organismes représentant le public auxquels le Parlement a délégué un pouvoir et que l’on reconnaisse le droit que possèdent pareils organismes, s’ils agissent de bonne foi et dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés par le législateur, d’exercer leurs activités sans ingérence de la part des tribunaux : Slatery v. Naylor, 13 App. Cas. 446; Kruse v. Johnson, [1898] 2 Q.B. 91; Thomas v. Sutters, [1900] 1 Ch. 10.

À mon avis, il est erroné de qualifier la corporation et son conseil de fiduciaires agissant pour les contribuables. Ils agissent sans doute à titre de fiduciaires pour les habitants de la municipalité, comme le fait Sa Majesté lorsqu’on dit qu’elle agit à titre de fiduciaire du peuple; cependant, à mon avis, ils n’agissent pas en tant que fiduciaires dans quelque autre sens du terme; il s’agit plutôt d’une branche du gouvernement civil de la province; dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés par le législateur, en l’absence de fraude, les tribunaux ne devraient jamais s’ingérer dans leurs affaires.

Le même principe s’applique en l’espèce à la relation existant entre la ville et le Conseil. La ville n’est pas un simple instrument du Conseil aux fins de la perception et du déboursement des impôts. Elle doit toujours s’acquitter d’importantes fonctions publiques. Elle est non seulement responsable de la perception des impôts au nom du Conseil, mais elle doit aussi combler toute insuffisance des impôts perçus à l’aide de ses propres fonds. Dans l’exercice de ses fonctions, la ville est responsable non seulement envers le Conseil mais aussi envers le grand public. Elle n’entretient pas avec le Conseil une relation de fiduciaire régie par les principes de l’equity. Il s’agit plutôt de la relation qu’entretient une autorité publique régie par les lois pertinentes telles qu’elles doivent être interprétées. Par conséquent, aucune obligation fiduciaire ne peut venir s’ajouter à l’obligation qui incombe à la ville en vertu du paragraphe 215(2). [Non souligné dans l’original.]

[173]   Cette cour a examiné la mesure dans laquelle une obligation de droit public peut donner naissance à une obligation fiduciaire.

[174]   Dans la décision Première nation de Fairford c. Canada (Procureur général), [1999] 2 C.F. 48 (1re inst.), le juge Rothstein (tel était alors son titre) était saisi d’une action fondée sur la violation d’une obligation fiduciaire à la suite de la construction d’un barrage dans une réserve indienne. Il s’agissait notamment de savoir si la Couronne avait violé l’obligation fiduciaire qu’elle avait envers la bande en planifiant, approuvant et finançant le barrage. Il a été soutenu pour le compte de la bande que la défenderesse était tenue, en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, de ne pas agir de façon à nuire à l’utilisation de la réserve par la bande.

[175]   Le juge Rothstein a conclu que les mesures que la Direction des affaires indiennes avait prises étaient fondées sur la législation et constituaient des obligations de droit public. Il n’a rien trouvé qui puisse indiquer l’existence d’obligations de la nature d’obligations de droit privé comme ce serait le cas lorsque les terres indiennes sont cédées. Le juge Rothstein n’a rien pu trouver qui puisse montrer que la Couronne exerçait un pouvoir discrétionnaire pour les Indiens ou pour le compte des Indiens. Il a donc conclu que la conduite de la Couronne, dans ses relations avec les Indiens et en agissant au nom des Indiens en vertu de la législation, ne pouvait pas servir de fondement à la création d’une obligation fiduciaire. Il n’a pu trouver aucune loi, aucun contrat et aucun engagement unilatéral entraînant la cession à la Couronne du pouvoir que possédait la bande sur une question. La Couronne n’agissait donc pas à titre de fiduciaire en participant à l’étude et en approuvant ou finançant le barrage.

[176]   Le juge Rothstein a ajouté, au paragraphe 67, que si l’on concluait à l’existence d’une obligation fiduciaire pour ce qui est de la participation de la défenderesse au projet de construction du barrage :

On placerait ainsi le gouvernement dans une situation où il y aurait conflit entre la responsabilité qui lui incombe d’agir dans l’intérêt public et l’obligation fiduciaire de loyauté qu’il a envers la bande indienne à l’exclusion des autres intérêts. En l’absence de dispositions législatives ou constitutionnelles contraires, le droit des obligations fiduciaires, dans le contexte autochtone, ne peut pas être interprété comme plaçant la Couronne dans la situation impossible d’avoir à renoncer à ses obligations de droit public lorsque pareilles obligations sont contraires aux intérêts des Indiens.

[177]   Dans l’arrêt Première nation des Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) et al. (1999), 251 N.R. 220, la Cour d’appel fédérale se demandait si, dans le contexte de la communication de renseignements en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, le gouvernement avait l’obligation fiduciaire de ne pas communiquer des renseignements parce que certains d’entre eux avaient trait à des terres indiennes. La Cour a conclu ce qui suit, au paragraphe 6 :

Le gouvernement agit en vertu d’une obligation de droit public. De telles circonstances ne sauraient engendrer d’obligations fiduciaires.

[178]   Je tire de ces arrêts les principes suivants :

1. La Couronne peut dans certains cas avoir une obligation fiduciaire ou une obligation similaire.

2. Dans un cas particulier, il faut examiner minutieusement les circonstances de l’affaire afin de déterminer si l’obligation imposée à la Couronne, ou assumée par la celle-ci, est de la nature d’une obligation de droit privé. Ainsi, on peut se demander si la Couronne exerce un pouvoir discrétionnaire pour le compte du bénéficiaire de la présumée obligation fiduciaire. Par exemple, dans l’affaire Guerin, le simple fait que des bandes indiennes avaient un droit sur des terres ne créait pas en soi un rapport fiduciaire avec la Couronne. L’existence de ce rapport dépendait en outre du fait que les droits que possédaient les Indiens sur leurs terres ne pouvaient pas être aliénés si ce n’est à la suite d’une cession en faveur de la Couronne, celle-ci agissant alors pour le compte de la bande. Cette obligation ne devait son existence ni au pouvoir législatif ni au pouvoir exécutif et il ne s’agissait donc pas d’une obligation de droit public. L’obligation d’equity découlant de la cession était à l’origine de l’obligation fiduciaire qui existait envers les Indiens. Elle était donc de la nature d’une obligation de droit privé.

3. Lorsque la Couronne a des obligations envers un certain nombre d’intéressés, il est fort probable qu’il n’existe aucun rapport fiduciaire, la Couronne exerçant plutôt un pouvoir public qui est régi par l’interprétation qu’il convient de donner à la loi pertinente.

4. Il est peu probable qu’il existe un rapport fiduciaire si la Couronne était placée dans une situation de conflit entre la responsabilité qui lui incombe d’agir dans l’intérêt public et l’obligation de loyauté que le fiduciaire a envers le bénéficiaire.

[179]   J’appliquerai maintenant ces principes aux faits de l’affaire dont je suis saisie.

[180]   Au moment pertinent, l’obligation incombant au ministre était fondée sur le paragraphe 220(1) de la Loi, qui prévoyait alors ce qui suit :

220. (1) Le ministre assure l’application et l’exécution de la présente loi, et a la direction et la surveillance des personnes employées à cette fin. Le sous-ministre du Revenu national (Impôt) peut exercer les pouvoirs et fonctions conférés au ministre en vertu de la présente loi.

[181]   Au cours de l’argumentation orale, il a été concédé pour le compte de M. Harris qu’en rendant des décisions anticipées, le ministre s’acquitte d’une obligation de droit public.

[182]   Le demandeur n’a pas énoncé les dispositions de la Loi qui donneraient naissance à une obligation fiduciaire et je n’ai rien pu trouver, dans la Loi ou dans la Circulaire d’information 70-6R2, qui indique qu’en rendant une décision anticipée, le ministre s’acquitte d’une obligation de la nature d’une obligation de droit privé. De fait, dans l’arrêt La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c. Le ministre du Revenu national (No 1), [1976] 2 C.F. 500 (C.A.), en examinant l’article 202 de la Loi sur l’accise, S.R.C. 1970, ch. E-12, qui exigeait que des droits d’accise soient imposés, prélevés et perçus, la Cour d’appel fédérale a dit que, dans ce cas-là, le ministre et ses représentants avaient une obligation envers la Couronne plutôt qu’envers les contribuables qui faisaient concurrence au contribuable intimé.

[183]   En outre, l’étendue de l’exercice du pouvoir discrétionnaire est l’un des indices d’un rapport fiduciaire et dans l’arrêt Guerin, précité, cela était essentiel à l’imposition d’une obligation fiduciaire, mais la Cour d’appel fédérale a statué que ni le ministre du Revenu national ni ses employés ne possèdent un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les modalités d’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ils doivent obéir à la Loi d’une façon absolue. Voir : Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3 (C.A.).

[184]   En l’espèce, le pouvoir discrétionnaire restreint sur lequel le demandeur se fonde est celui que possèdent les représentants du ministre lorsqu’il s’agit de refuser de rendre une décision anticipée ou de rendre une décision défavorable. Toutefois, je n’ai pu trouver dans la Loi ou dans la Circulaire d’information rien qui donne à entendre qu’en déterminant si une décision anticipée doit être rendue, les représentants du ministre s’acquittent d’une obligation de la nature d’une obligation de droit privé. Je ne puis trouver aucune source indiquant l’existence de pareille obligation indépendamment de la Loi, ni aucune obligation d’equity du genre de celle qui, selon l’arrêt Guerin, précité, est nécessaire pour qu’il y ait responsabilité. Je conclus plutôt que l’obligation qui existe est une obligation publique dont il faut s’acquitter conformément à toutes les dispositions de la Loi, de bonne foi, à des fins qui ne sont pas illégitimes et sans qu’il soit tenu compte de considérations non pertinentes.

[185]   Quant à l’argument selon lequel cet exercice restreint du pouvoir discrétionnaire influe néanmoins sur les intérêts pratiques de toutes les personnes qui produisent des déclarations de revenu parce qu’il faut combler l’insuffisance des recettes en exigeant des impôts plus élevés ou de nouveaux impôts ou en réduisant les dépenses, aucun élément de preuve n’a été fourni au sujet de l’augmentation des impôts ou de la réduction des dépenses qu’aurait entraînée la décision en matière d’impôt ici en cause.

[186]   J’ai également tenu compte des intérêts dont les représentants du ministre devraient censément tenir compte lorsqu’il s’agit de déterminer si une décision anticipée doit être rendue.

[187]   Selon un point de vue, qui a été avancé dans l’affaire Rothmans de Pall Mall, précitée, il existe une obligation envers la Couronne. Selon un autre point de vue, avancé par le demandeur, l’obligation existe envers le contribuable qui demande la décision et envers les contribuables en général. À mon avis, la thèse avancée par le demandeur milite à l’encontre de l’imposition d’une obligation fiduciaire parce que, lorsqu’il existe des obligations envers un certain nombre d’intéressés, il est peu probable que la Couronne ait des obligations fiduciaires.

[188]   Quant à l’argument selon lequel, en l’absence d’une obligation fiduciaire ou d’une obligation similaire, il n’existe en droit ou en pratique aucune façon de remédier à l’exercice injustifié d’un pouvoir discrétionnaire, de sorte que les contribuables sont particulièrement vulnérables, la réponse à donner sur le plan juridique est à mon avis que les obligations de droit public sont régies par les principes applicables au droit public. Comme lord Diplock l’a fait remarquer dans l’arrêt Swain, précité, à la page 830 :

[traduction] Le conseil [de la Law Society], dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi lorsqu’il s’agit de prendre des règles et des règlements, et la Law Society, dans l’exercice des fonctions qui lui incombent en vertu de la Loi ou de ces règles et règlements, agissent en tant qu’organismes publics et, partant, leurs actions sont régies par le droit public; de plus, même s’il peut y avoir des conséquences juridiques donnant naissance à des droits exécutoires en droit privé, ces droits ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui existeraient en droit privé si un acte similaire était accompli autrement que dans l’exercice de pouvoirs prévus par la loi. [Non souligné dans l’original.]

[189]   En outre, j’adopte respectueusement le raisonnement de Mme le juge Simpson dans la décision Bande indienne de Squamish c. Canada, 2001 CFPI 480; [2000] A.C.F. no 1568 (1re inst.) (QL) au paragraphe 521 :

Chaque fois qu’une loi confère à la Couronne le pouvoir discrétionnaire d’agir, il n’en résulte pas toujours une obligation fiduciaire de droit privé ou même une obligation fiduciaire sui generis. Il doit en être ainsi parce que, dans les affaires de droit public, il n’existe généralement aucune attente raisonnable que la Couronne agisse au seul profit de la personne touchée par la législation. Pour ce motif, je conclus que dans les affaires de droit public, le pouvoir discrétionnaire et la vulnérabilité peuvent exister sans imposer au fiduciaire une norme de conduite. Il doit y avoir des circonstances particulières, à part celles qui sont créées par la législation, pour que l’imposition d’une obligation fiduciaire à la Couronne soit justifiée.

[190]   Cela ne veut pas pour autant dire qu’il est impossible de remédier à l’exercice injustifié du pouvoir discrétionnaire que possède le ministre. Le vérificateur général est tenu de faire rapport au Parlement lorsque les procédures suivies n’assurent pas un contrôle efficace de la cotisation et de la perception du revenu. C’est ce que le vérificateur général a fait dans ce cas-ci et le Parlement a modifié la Loi en ce qui concerne le traitement des résidents qui quittent le pays et les biens canadiens imposables.

[191]   Il a été soutenu que l’obligation de rendre compte devient un [traduction] « mythe » lorsqu’une décision jouit de la faveur du [traduction] « parti au pouvoir »; je ne puis faire mieux que de citer les remarques que le juge en chef Dickson a faites au nom de la Cour à l’unanimité dans l’arrêt Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49. Dans cette affaire-là, il s’agissait de savoir si le vérificateur général possédait un droit d’accès à certains documents qui était exécutoire en justice. En concluant qu’il ne possédait pas pareil droit, le juge en chef Dickson a dit ce qui suit, aux pages 103 et 104 :

En l’espèce, il est raisonnable d’interpréter l’al. 7(1)b) comme le seul recours du vérificateur général en cas de refus opposé aux droits conférés par le par. 13(1), non seulement parce que le texte s’y prête mais également parce que, dans les circonstances, un recours politique de cette nature constitue un recours approprié. Le vérificateur général agit au nom du Parlement dans l’exercice d’une fonction essentiellement parlementaire, savoir la surveillance des dépenses de l’exécutif conformément aux affectations de crédits votées par le Parlement. Tout différend opposant le vérificateur général à la Couronne au sujet de cette fonction est, fondamentalement, un différend entre les pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement fédéral. Il semble que l’al. 7(1)b) soit le moyen qu’ait choisi le Parlement pour conserver la maîtrise de la position qu’il souhaite adopter en pareil cas.

Il ne sert à rien d’insister sur la centralisation des pouvoirs qui caractérise le système de gouvernement hérité de Westminster. Avec égards pour l’opinion contraire du juge en chef adjoint Jerome, la possibilité que, grâce à sa majorité à la Chambre des communes, l’exécutif dicte en pratique à cette dernière la position qu’elle doit prendre quant à l’étendue des attributions du Parlement en matière de vérification, ne relève pas sur le plan constitutionnel de la compétence du judiciaire. La règle fondamentale que les tribunaux doivent appliquer dans ce contexte est celle de la souveraineté du Parlement. Les ministres de la Couronne restent en fonction suivant le bon vouloir de la Chambre des communes et toute position qu’adopte la majorité est censée refléter la volonté souveraine du Parlement. Étant donné que le Parlement a indiqué, dans la Loi sur le vérificateur général, qu’il souhaitait que son propre préposé lui fasse rapport sur les refus d’accès à des renseignements nécessaires à l’exercice de ses fonctions pour le compte du Parlement, il ne serait pas opportun que cette Cour envisage, le cas échéant, d’accorder réparation pour de tels refus. [Non souligné dans l’original.]

[192]   Enfin, l’essence d’une obligation fiduciaire est l’obligation de loyauté qui existe envers le bénéficiaire. Cette obligation exige que le fiduciaire agisse au mieux des intérêts du bénéficiaire, sans tenir compte de son propre intérêt et de l’intérêt de tiers. En l’espèce, il est concédé pour le compte de M. Harris que, s’il existe une obligation fiduciaire envers le demandeur, il existe également une obligation fiduciaire envers le contribuable. Je ne puis conclure que le Parlement voulait que, en rendant des décisions anticipées, le ministre renonce à ses obligations de droit public et qu’il se trouve plutôt dans la situation impossible où il devait essayer de concilier les obligations peut-être contradictoires de loyauté qu’il a tant envers un contribuable particulier qui demande une décision anticipée qu’envers le groupe plus important de contribuables qui, selon ce que le demandeur laisse implicitement entendre dans son argumentation, serait souvent mieux servi si la décision était refusée ou si une décision défavorable était rendue.

[193]   Pour ces motifs, je conclus donc qu’en recevant la demande de décision et en y répondant, le ministre et ses représentants n’avaient aucune obligation fiduciaire ou autre obligation similaire envers le demandeur et les personnes que celui-ci représente.

[194]   Il est important de répéter que cela ne veut pas pour autant dire que le ministre et ses représentants n’ont aucune obligation. En droit public, le ministre et ses représentants sont tenus d’agir de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions et ils sont tenus d’agir conformément à l’interprétation qu’il convient de donner à la Loi.

[195]   Il s’agit là d’une restriction importante et significative à l’égard de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Cette restriction a été énoncée avec force par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 140 :

[traduction] Dans une réglementation publique de cette nature, il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entraves, c’est-à-dire celle où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et étranger soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi […] La « discrétion » implique nécessairement la bonne foi dans l’exercice d’un devoir public. Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude et la corruption. Pourrait-on refuser un permis à celui qui le demande sous le prétexte qu’il est né dans une autre province, ou à cause de la couleur de ses cheveux? On ne peut fausser ainsi la forme courante d’expression de la législature.

et à la page 143 :

[traduction] La « bonne foi » consistait, dans de telles circonstances, […] à appliquer la loi d’une manière conforme à son intention et dans le but auquel elle tend; cela signifie qu’ils devaient agir de bonne foi dans une appréciation raisonnable de cette intention et de ce but, et non dans une intention hors de propos et pour un but étranger; cela ne signifie pas qu’ils devaient agir dans le but de punir une personne qui avait exercé un droit incontestable; cela ne signifie pas non plus qu’ils devaient essayer arbitrairement et illégalement de dépouiller un citoyen d’un élément de son statut de citoyen.

[196]   Tous les contribuables ont droit à une application équitable, juste et impartiale de la Loi, et notamment à tout avantage prévu par la Loi. Le ministre et ses représentants agissent dans ces limites.

LA QUESTION DES BIENS CANADIENS IMPOSABLES

[197]   Pour le compte de M. Harris, il est soutenu qu’il est essentiel pour la Cour de déterminer si Revenu Canada a correctement interprété la notion de bien canadien imposable. Il est soutenu que si l’interprétation donnée par Revenu Canada était inexacte, cela permettrait d’inférer que la norme de diligence n’a pas été satisfaite et que Revenu Canada a accepté la renonciation et l’engagement en tant qu’entente particulière nécessaire pour rendre une décision favorable. Il est également soutenu que, pour que le public ait confiance en l’intégrité du régime fiscal, il est essentiel de conclure que la décision est correcte.

[198]   J’ai conclu qu’en fait, il n’y a pas eu mauvaise foi ou traitement de faveur et j’ai conclu, sur le plan juridique, que les défendeurs n’avaient pas d’obligations fiduciaires ou d’obligations similaires. Je n’ai donc pas à déterminer si, à mon avis, la décision était correcte. À mon avis, il n’est pas non plus approprié de rendre pareille décision puisque le contribuable touché n’est pas partie à l’instance.

[199]   Toutefois, en décidant qu’il n’y a pas eu mauvaise foi ou traitement de faveur, j’ai conclu qu’il était loisible à Revenu Canada de reconnaître que les actions de la société publique étaient des biens canadiens imposables. Eu égard aux circonstances, la conclusion tirée par Revenu Canada, à savoir que les actions étaient des biens canadiens imposables, ne permettrait pas d’inférer la mauvaise foi ou un traitement préférentiel injustifié de sa part.

[200]   Je note que toutes les parties s’entendent pour dire que le libellé de la Loi avait pour effet de rendre cette question complexe et ambiguë.

[201]   À mon avis, il n’était pas déraisonnable pour Revenu Canada de conclure, en se fondant sur une analyse de la Loi, que les biens canadiens imposables se rapportaient à une catégorie de biens et qu’il importait peu que les biens appartiennent à un résident ou à un non-résident. J’arrive à cette conclusion en me fondant sur les arguments ci-après énoncés que les défendeurs ont invoqués :

(i) Le paragraphe 85(1) de la Loi s’applique d’une façon générale aux résidents et aux non-résidents. Cette disposition prévoit que lorsqu’un actionnaire transfère un bien à une société pour actions, la contrepartie reçue pour le bien transféré est considérée comme un bien de remplacement comportant des attributs fiscaux continus. Cela correspond à la politique selon laquelle, parce qu’un transfert de biens en échange des actions de la société qui reçoit et possède ensuite les biens en cause est un non-événement sur le plan financier, il s’agit également d’un non-événement aux fins de l’impôt.

(ii) L’alinéa 85(1)i) applique d’une façon précise la règle générale de transfert libre d’impôt selon laquelle les actions reçues en échange de biens canadiens imposables sont réputées constituer des biens canadiens imposables. Étant donné que le paragraphe 85(1) s’applique tant aux résidents qu’aux non-résidents, il en va de même pour l’alinéa 85(1)i).

(iii) Le paragraphe 97(2) est une disposition parallèle de transfert libre d’impôt destinée à permettre la réalisation du même objectif que le paragraphe 85(1), sur le plan de la politique fiscale, sauf que le paragraphe 97(2) s’applique à l’apport d’un bien dans une société. L’alinéa 97(2)c) montre qu’un résident canadien peut détenir un bien canadien imposable. Au moment pertinent, cette disposition prévoyait ce qui suit :

97. (1) […]

(2) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, sauf le paragraphe 85(5.1), lorsque, à une date quelconque après le 12 novembre 1981, un contribuable a disposé d’un de ses biens en immobilisation, d’un avoir minier canadien, d’un avoir minier étranger, d’un bien en immobilisation admissible ou des biens d’un inventaire, en faveur d’une société qui, immédiatement après cette date, était une société canadienne dont le contribuable était membre, et que le contribuable et tous les autres membres de la société ont fait conjointement un choix à cet égard selon le formulaire prescrit et dans le délai mentionné au paragraphe 96(4), les règles suivantes s’appliquent :

[…]

c) lorsque les biens dont le contribuable a ainsi disposé en faveur de la société sont des biens canadiens imposables du contribuable, la participation dans la société qu’il a reçue en contrepartie est réputée être un bien canadien imposable du contribuable. [Non souligné dans l’original.]

[202]   Il est expressément prévu que ce transfert libre d’impôt s’applique uniquement lorsque le bien est aliéné à ce qui était, immédiatement après, une « société canadienne ». L’alinéa 102a) [mod. par S.C. 1986, ch. 55, art. 27] de la Loi définit la « société canadienne » comme suit :

102. […]

a) une société canadienne est une société dont tous les associés résident au Canada à la date considérée;

[203]   La résidence canadienne des associés constitue donc une condition de l’application de la règle de transfert libre d’impôt. Par conséquent, l’alinéa 97(2)c) de la Loi prévoit qu’un contribuable qui est un résident canadien peut détenir un bien canadien imposable.

[204]   L’interprétation donnée par Revenu Canada comporte un avantage : elle permet de donner à l’alinéa 97(2)c) une interprétation conforme au sens clair de son libellé et d’interpréter les alinéas 85(1)i) et 97(2)c) conformément à la règle d’interprétation voulant que chaque élément d’une loi soit considéré à la lumière de l’ensemble. Cela permet d’éviter l’argument invoqué par le demandeur, à savoir que l’alinéa c) a été incorporé au paragraphe 97(2) par excès de prudence ou par erreur.

[205]   L’interprétation donnée par Revenu Canada est conforme à la décision antérieure qui avait été rendue en 1985. Elle n’est pas conforme à l’avis exprimé en 1985, mais l’auteur de cet avis a confirmé qu’en préparant son avis, il n’avait pas eu la possibilité d’examiner l’alinéa 97(2)c).

[206]   Puisque la notion de bien canadien imposable a ainsi été interprétée, l’examen de l’historique parlementaire confirme à mon avis que cette interprétation est raisonnable et peut-être bien correcte. Les défendeurs ont soutenu ce qui suit :

[traduction] Dans le cadre de l’initiative relative à la réforme fiscale [de 1971], on a initialement uniquement mis l’accent, en ce qui concerne les BCI [biens canadiens imposables] sur l’application de cette notion aux contribuables qui ne sont pas des résidents. Le nouvel impôt canadien sur les gains en capital s’appliquait désormais aux non-résidents à l’égard des gains résultant de la disposition d’un bien ayant un lien avec le Canada. Par conséquent, la « définition » du BCI a été incorporée au paragraphe 115(1). Cette disposition résume essentiellement les articles 3 et 114 de la Loi en ce qui concerne les questions intéressant uniquement les contribuables qui, pendant toute l’année, sont des non-résidents.

Par conséquent, les différents types de BCI ont été énumérés à l’article 115 de la Loi parce que c’était à cette disposition que la notion de BCI s’appliquait initialement. Toutefois, cette notion a commencé à s’appliquer aux résidents lorsque les règles relatives à l’impôt au départ ont par la suite été élaborées dans le cadre de la réforme fiscale. Il fallait donc une méthode en vue de faire passer la notion de BCI de l’article 115 à l’article 48. Au strict point de vue de la rédaction, il a été décidé que la meilleure façon d’accomplir la chose consistait à employer le libellé conditionnel (« pour plus de certitude ») à l’article 48, au lieu de reproduire, dans cette disposition, la longue liste de BCI figurant à l’article 115. Cette approche était donc dictée par un excès de prudence et par les besoins de la rédaction.

[207]   Cet argument est étayé par le document intitulé : « Résumé du projet de loi sur la réforme fiscale 1971 » publié sous l’autorité du ministre des Finances de l’époque, l’honorable E.J. Benson. Le projet de loi établissait la règle générale voulant que les gains en capital soient inclus, pour la moitié, dans le revenu et qu’ils soient imposés aux taux normaux applicables aux particuliers et aux sociétés. À la page 37 du Résumé, sous le titre : « Entrées et sorties », le principe général suivant a été énoncé :

Le projet de loi offre un choix au contribuable. Il pourra acquitter, au moment du départ, l’impôt frappant ses gains accumulés, la première tranche de $5,000 étant exonérée. Il peut aussi choisir de faire une déclaration d’impôt à titre de résident du Canada pour toute année dans laquelle il dispose effectivement des biens. Il aura alors à verser une garantie relative à l’impôt probable qu’il devra payer sur ses gains différés. S’il fait ce choix, il paiera au gouvernement du Canada l’impôt sur ses revenus de toute provenance et recevra un crédit pour tout impôt payé à l’étranger.

Lorsqu’un contribuable vient s’établir au Canada, il sera traité comme s’il avait acheté ses biens à ce moment-là, à leur juste valeur marchande. En vertu de cette règle, seuls les gains qu’il aura réalisés pendant son séjour au Canada seront imposés par le gouvernement canadien.

Ces règles régissant les personnes qui entrent au Canada ou en sortent ne s’appliquent pas aux biens situés au Canada, sur lesquels un non-résident serait normalement imposé conformément aux dispositions suivantes. [Non souligné dans l’original.]

Juste après, sous le titre : « Non-résidents », on ajoute ce qui suit :

La règle générale qui consiste à inclure dans le revenu la moitié des gains en capital et à en déduire la moitié des pertes en capital s’appliquera aux non-résidents lors de la disposition :

— d’intérêts dans des biens immeubles situés au Canada;

— de biens utilisés dans l’exploitation d’une entreprise au Canada;

— d’intérêts dans certaines sociétés de personne et de fiducie;

— d’actions des sociétés privées canadiennes;

— d’actions des sociétés publiques canadiennes lorsque le non-résident détient une participation d’au moins 25%.

[208]   Cette liste de biens correspond essentiellement aux biens visés à l’alinéa 115(1)b) de la Loi et désignés comme étant des biens canadiens imposables.

[209]   À mon avis, le Résumé du ministre des Finances étaye donc l’interprétation voulant qu’à son départ, un résident ne soit pas assujetti à un impôt à l’égard d’un bien canadien imposable lui appartenant.

[210]   Je suis convaincue que je peux me reporter au Résumé à cette fin. Voir : Construction Gilles Paquette Ltée c. Entreprises Végo Ltée, [1997] 2 R.C.S. 299, au paragraphe 20; et Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 35.

LA JUSTICIABILITÉ DE LA DEMANDE DU DEMANDEUR

[211]   Les défendeurs ont avancé avec vigueur l’argument selon lequel le demandeur n’avait pas qualité pour agir dans l’intérêt public en vue d’invoquer la cause d’action fondée sur le manquement à une obligation fiduciaire; ils ont affirmé qu’en l’absence d’un droit d’appel reconnu par la loi, l’exactitude ou le bien-fondé de la décision du ministre ne relève pas de la compétence de la Cour. En réponse, le demandeur a soutenu que la Cour d’appel avait déjà réglé ces questions à l’encontre des défendeurs dans le cadre de la requête visant à faire radier la déclaration. Les défendeurs ont répondu que la Cour d’appel avait uniquement été saisie de la question de savoir s’il était évident et manifeste que la déclaration ne révélait aucune cause d’action.

[212]   Étant donné les conclusions que j’ai tirées au sujet du bien-fondé des deux causes d’action invoquées par le demandeur, je n’ai pas à examiner l’argument que les défendeurs ont avancé au sujet de la question de la justiciabilité. J’estime qu’il est préférable, étant donné qu’il s’agit ici d’une affaire d’intérêt public, d’examiner la demande selon les faits qui lui sont propres.

LES DÉPENS

[213]   Puisque j’ai conclu que le demandeur n’a pas établi la mauvaise foi ou un traitement préférentiel indu, ou encore l’existence d’une obligation fiduciaire ou d’une obligation similaire, l’action intentée par le demandeur sera rejetée.

[214]   Les défendeurs ne demandent pas que les dépens leur soient accordés, et ce, même si, en règle générale, les dépens suivent l’issue de la cause.

[215]   Le demandeur maintient qu’étant donné qu’il s’agit ici d’une affaire d’intérêt public, les dépens devraient lui être adjugés sur la base avocat-client, et ce, quelle que soit l’issue de la cause. Subsidiairement, il sollicite les dépens entre parties. En faisant valoir cet argument, M. Harris soutient que les notions habituelles sur lesquelles les règles relatives aux dépens sont fondées devraient être modifiées de façon à reconnaître la contribution que les plaideurs agissant dans l’intérêt public apportent au droit et à récompenser pareils plaideurs.

[216]   Les défendeurs s’opposent à ce que des dépens soient adjugés au demandeur; selon eux, la Cour ne devrait pas encourager les [traduction] « fauteurs de trouble » qui font des allégations de mauvaise foi qui sont portées à la connaissance du grand public, mais qui ne peuvent pas étayer ces allégations au moyen de preuves. Les défendeurs disent que, devant le Parlement, le vérificateur général a témoigné que ses représentants n’avaient pas remis en question l’intégrité des fonctionnaires, à Revenu Canada, et qu’il n’y avait pas lieu pour ses représentants de soupçonner qu’il y avait eu mauvaise foi. Ils affirment que le demandeur pouvait donc uniquement alléguer l’existence d’une crainte raisonnable de mauvaise foi, laquelle n’a jamais été précisée ou prouvée au cours du litige. Selon les défendeurs, le litige n’a permis de découvrir aucun renseignement que le vérificateur général n’avait pas déjà porté à la connaissance du public. Enfin, les défendeurs soulignent que l’action intentée par M. Harris était financée par le public au moyen de dons sollicités sur le site Web de ce dernier.

[217]   En soupesant ces prétentions contradictoires, il importe de se rappeler que les dépens, même s’ils sont discrétionnaires, doivent être adjugés conformément à certains principes.

[218]   La règle 400 des Règles de la Cour fédérale (1998) énonce l’étendue du pouvoir discrétionnaire que possède la Cour ainsi qu’un certain nombre de facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[219]   En l’espèce, j’ai conclu que le facteur le plus important est celui qui est énoncé à l’alinéa 400(3)h) des règles, à savoir que la Cour peut tenir compte de l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance. Les questions soulevées dans la présente action ont été portées à l’attention du public par le vérificateur général, mais le rapport que ce dernier a soumis n’a pas été préparé par des fonctionnaires agissant à titre judiciaire ou quasi judiciaire. Le bureau du vérificateur général n’a interrogé que quelques fonctionnaires directement en cause, à Revenu Canada et au ministère des Finances, et les normes de preuve régissant la conduite d’un procès civil n’ont pas été appliquées. L’enquête elle-même n’a pas eu lieu en public. Le rapport du vérificateur général soulevait des questions sérieuses au sujet de la bonne administration de la Loi.

[220]   Pour ces motifs, je ne puis souscrire à l’avis selon lequel M. Harris peut à juste titre être simplement considéré comme un fauteur de trouble. Les efforts que ce particulier a faits dans la conduite de ce litige ont permis de jeter encore plus de lumière sur des événements qui avaient commencé à préoccuper les Canadiens partout au pays. Même si, dans ce cas-ci, ces efforts ont en fin de compte été infructueux, un examen minutieux des actions des représentants du gouvernement par des citoyens responsables peut uniquement renforcer les institutions publiques et la confiance qu’elles inspirent.

[221]   La question des dépens a énormément d’importance lorsqu’il s’agit de déterminer rationnellement si une action doit être intentée. Le demandeur, qui n’a pas d’intérêt personnel, de propriétaire ou pécuniaire dans une action, est effectivement dissuadé d’intenter l’action, et ce, même si en droit il a peut-être qualité pour agir dans l’intérêt public.

[222]   Dans le document intitulé : Report on the Law of Standing (Toronto : Ministère du procureur général, 1989), la Commission de réforme du droit de l’Ontario a proposé certains critères permettant de déterminer les circonstances dans lesquelles les dépens ne devraient pas être adjugés à l’encontre d’une personne qui se lance dans un litige d’intérêt public. Il s’agit des critères ci-après énoncés :

a) l’instance se rapporte à des questions dont l’importance s’étend au-delà des intérêts immédiats des parties en cause;

b) la personne en cause n’a aucun intérêt personnel, de propriétaire ou pécuniaire dans le résultat de l’instance ou, si elle en a un, cela ne justifie clairement pas l’introduction de l’instance sur le plan financier;

c) aucun tribunal n’a déjà statué sur les questions en litige dans une instance contre le même défendeur;

d) le défendeur est clairement davantage en mesure de supporter les dépens de l’instance;

e) le demandeur n’a pas agi d’une façon vexatoire, futile ou abusive.

[223]   À mon avis, ces critères servent également de fondement motivé aux fins de l’examen d’une demande visant à l’adjudication des dépens dans le contexte d’un litige d’intérêt public. Puisque je conclus que ces critères s’appliquent aux faits de la présente espèce, je statue, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, que M. Harris a droit à certains dépens. La chose tient compte du fait que si aucuns dépens ne sont adjugés, la qualité pour agir dans l’intérêt public peut bien exister en théorie, mais n’avoir aucun effet pratique.

[224]   Toutefois, M. Harris ne devrait pas avoir droit aux dépens sur la base avocat-client. Pareils dépens ne sont adjugés qu’exceptionnellement et, en général, uniquement dans le cas où l’une des parties a adopté une conduite répréhensible. En l’espèce, il n’y a pas eu conduite répréhensible et, à mon avis, aucune circonstance ne justifie par ailleurs l’adjudication des dépens sur cette base. Le barème approprié est conforme à la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

[225]   Étant donné que j’ai conclu que les dépens devraient être adjugés entre parties, un autre principe important veut que pareils dépens constituent une indemnité partielle plutôt qu’un gain fortuit ou une prime. C’est ce qu’indique le tarif B de la Cour, qui représente un compromis permettant d’indemniser le bénéficiaire sans imposer un fardeau trop lourd au débiteur. Le fait que la Cour ne dispose d’aucun renseignement au sujet des sommes qui ont déjà été remises à M. Harris, probablement par d’autres contribuables canadiens, aux fins du financement de la présente action, me préoccupe donc.

[226]   Par conséquent, si M. Harris veut encore solliciter les dépens, et si les parties n’arrivent pas à s’entendre, je juge approprié, comme condition de pareille adjudication et conformément au pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré en vertu du paragraphe 400(1) des Règles, de demander à M. Harris de rendre pleinement compte à la Cour et aux défendeurs, sous une forme satisfaisante, des sommes qu’il a reçues et qu’il a dépensées ou qui sont dues en raison du litige. Cette reddition de compte vise à assurer que les sommes payées par le gouvernement canadien au titre des dépens représentent une indemnité plutôt qu’un profit. Une fois qu’il y aura eu reddition de compte, je recevrai les arguments additionnels des avocats au sujet de la somme globale qu’il convient d’accorder au titre des dépens, eu égard aux circonstances, à la place de dépens taxés selon la colonne III du tarif B. La question des dépens est donc reportée sur cette base; les avocats pourront demander des directives au sujet du délai dans lequel les arguments devront être déposés et des modalités y afférentes ainsi qu’au sujet de toute question connexe.

CONCLUSION

[227]   Pour les motifs susmentionnés, l’action est rejetée et la question des dépens est reportée en attendant le dépôt d’arguments additionnels.



[1] All references to section numbers are to the Income Tax Act in force in December 1991.

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