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[2002] 2 C.F. 148

2001 CAF 296

A-329-00

AstraZeneca AB (appelante) (intimée)

c.

Novopharm Limited (intimée) (appelante)

et

Registraire des marques de commerce (intimé) (intimé)

A-333-00

Ciba-Geigy Canada Ltd. (appelante) (intimée)

c.

Apotex Inc. (intimée) (appelante)

et

Registraire des marques de commerce (intimé) (intimé)

A-334-00

Ciba-Geigy Canada Ltd. (appelante) (intimée)

et

Novopharm Limited (intimée) (appelante)

et

Registraire des marques de commerce (intimé) (intimé)

Répertorié : Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB (C.A.)

Cour d’appel, juges Desjardins, Sexton et Sharlow, J.C.A.—Toronto, 12 juin; Ottawa, 18 octobre 2001.

Marques de commerce — Pratique — Le registraire a rejeté les oppositions aux demandes d’enregistrement pour les marques de commerce à l’égard de dessins de comprimé/capsule au motif que les allégations faites dans la déclaration d’opposition étaient insuffisantes parce qu’elles ne fournissaient pas suffisamment de détails pour permettre à la requérante d’y répondre, contrairement à l’art. 38(3)a) de la Loi sur les marques de commerce — Le juge de première instance a accueilli l’appel au motif que les exigences de l’art. 30h) n’avaient pas été satisfaites et que les marques de commerce n’étaient pas distinctives — Il n’a pas examiné si les allégations étaient suffisamment détaillées dans la déclaration d’opposition — La pratique du registraire consistant à déterminer si les allégations sont suffisamment détaillées en conjonction avec l’examen au fond de l’opposition fait en sorte que la décision sur une question d’ordre procédural risque d’être contaminée par une preuve qui n’était pas au dossier au moment de la production de la déclaration d’opposition — Pratique par ailleurs inefficace parce qu’elle force les parties à investir du temps et des ressources pour présenter des éléments de preuve, en vérifier l’admissibilité et débattre du bien-fondé de l’opposition sans égard à la question de savoir si la déclaration d’opposition est suffisamment détaillée — La détermination du caractère suffisant des allégations devrait se faire sur une base interlocutoire — Il n’est pas nécessaire de décider si la décision du registraire quant au caractère suffisant des allégations était une décision raisonnable simpliciter vu qu’au moment où le juge a été saisi de l’affaire, l’appelante était pleinement au fait de la thèse de l’opposante — En renonçant à la possibilité de déposer une preuve additionnelle, l’appelante a indiqué qu’elle avait produit tous les éléments de preuve qu’elle entendait produire — Le juge de première instance n’a commis aucune erreur d’appréciation lorsqu’il a statué que la conclusion du registraire selon laquelle les marques de commerce sont distinctives était abusive en l’absence de preuve provenant de consommateurs établissant que la couleur et la forme des produits de l’appelante les distinguaient dans le marché.

Droit administratif — Appels prévus par la loi — Norme de contrôle — Possibilité d’apporter une preuve additionnelle devant le tribunal lors d’un appel fondé sur l’art. 56 de la Loi sur les marques de commerce — Lorsqu’il y a production d’une preuve additionnelle, la norme de contrôle est celle de la décision correcte — Lorsque aucune preuve additionnelle n’est produite, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter ou celle de savoir si la décision du registraire est manifestement erronée.

Il s’agissait d’appels des décisions de la Section de première instance accueillant les appels interjetés par les intimées contre les décisions du registraire, lequel avait rejeté les oppositions aux demandes d’enregistrement des marques de commerce à l’égard de dessins de capsule et de comprimé. Même s’il avait conclu que les marques de commerce étaient distinctives, le registraire a jugé que les allégations faites dans les déclarations d’opposition ne respectaient pas les exigences de l’alinéa 38(3)a), lequel dispose que la déclaration d’opposition doit indiquer les motifs de l’opposition avec détails suffisants pour permettre au requérant d’y répondre. Le juge de première instance a accueilli les appels aux motifs que 1) les appelantes n’avaient pas respecté les prescriptions de l’alinéa 30h), lequel exige un dessin de la marque de commerce et le nombre prescrit de représentations exactes de la marque qui doivent accompagner la demande; et 2) leurs marques de commerce n’étaient pas distinctives des marchandises décrites dans les demandes d’enregistrement. Il n’a pas examiné les conclusions du registraire selon lesquelles les oppositions des intimées n’étaient pas fondées sur des allégations suffisamment détaillées.

La question en litige était de savoir si le registraire a commis une erreur lorsqu’il a conclu, en se fondant sur l’alinéa 38(3)a), qu’il n’y avait pas suffisamment de détails dans les déclarations d’opposition.

Jugement : les appels doivent être rejetés.

Dans un appel fondé sur l’article 56, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi. Une preuve additionnelle a été produite au dossier A-329-00 devant le juge de première instance et, en conséquence, la norme de contrôle quant au fond était celle de la décision correcte. Dans les deux autres dossiers d’appel, aucune preuve additionnelle n’ayant été produite, la norme de contrôle devant s’appliquer à l’égard des décisions du registraire est celle de la décision raisonnable simpliciter, ou celle de savoir si la décision du registraire était « manifestement erronée ».

La pratique que le registraire semble avoir adoptée consiste à déterminer si les allégations sont suffisamment détaillées non pas dans un contexte interlocutoire, mais en conjonction avec l’examen au fond de l’opposition. Cette pratique fait non seulement en sorte que la décision du registraire sur une question d’ordre procédural risque d’être contaminée par une preuve qui n’était pas au dossier au moment de la production de la déclaration d’opposition, mais elle semble particulièrement inefficace. En examinant les deux questions ensemble, le registraire force les parties à investir du temps et des ressources pour présenter des éléments de preuve, en vérifier l’admissibilité et débattre du bien-fondé de l’opposition. S’il s’avère que la déclaration d’opposition n’était pas suffisamment détaillée, tout ce temps et ces dépenses auront été inutiles. La détermination du caractère suffisant des allégations devrait se faire sur une base interlocutoire. Les parties auraient alors la faculté d’apporter, avant la preuve, des modifications sur permission conformément aux articles 47 et 40.

Il n’était pas nécessaire de décider si la décision du registraire quant au caractère suffisant des allégations était une décision raisonnable simpliciter. Au moment où le juge de première instance a été saisi de l’affaire, l’appelante était pleinement au fait de la thèse de l’opposante. Le paragraphe 56(5) autorise les parties à apporter une preuve en plus de celle fournie devant le registraire, de manière à ne pas léser l’appelant au moment où le juge de première instance est saisi de l’affaire. L’appelante a renoncé à cette possibilité, indiquant de ce fait qu’elle avait produit tous les éléments de preuve qu’elle entendait apporter devant le registraire. Ce qui peut expliquer pourquoi le juge de première instance a simplement examiné l’affaire au fond sans considérer la question procédurale touchant les allégations.

Le juge de première instance a conclu qu’en se fondant uniquement sur la preuve selon laquelle les produits des appelantes étaient populaires et connaissaient du succès dans le marché pharmaceutique et qu’aucun autre produit n’était interchangeable, le registraire a omis d’appliquer les principes de droit reconnus en matière de caractère distinctif. Il a estimé que les appelantes n’avaient présenté aucune preuve provenant de consommateurs pour établir que la couleur et la forme des produits des appelantes avaient servi à les distinguer dans n’importe quel marché. Il a conclu que le registraire était arrivé à des conclusions abusives lorsqu’il a jugé que les marques de commerce de l’appelante étaient, en fait, distinctives. Le juge n’a commis aucune erreur dans son appréciation de la preuve relativement à la question du caractère distinctif.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 30h), 38(1)(mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 134), (2),(3)a),(5),(6)(mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 66), (7)(mod., idem), art. 47, 54, 56.

Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, ch. T-10, art. 37(3)a).

Règlement sur les marques de commerce (1996), DORS/96-195, art. 39, 40, 41, 42, 43, 44, 46.

JURISPRUDENCE

décision appliquées :

Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (2000), 5 C.P.R. (4th) 180; 252 N.R. 91 (C.A.); Novophram Ltd. c. Bayer Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 304; 264 N.R. 384 (C.A.F.); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 50 Admin. L.R. (2d) 199; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; (1993), 101 D.L.R. (4th) 673; 11 Admin. L.R. (2d) 59; 93 CLLC 14,022; 150 N.R. 161; Carling Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd., [1984] 2 C.F. 920 (1984), 1 C.P.R. (3d) 191 (1re inst.); conf. par (1988), 16 C.I.P.R. 157; 19 C.P.R. (3d) 129; 93 N.R. 25 (C.A.F.).

APPELS des décisions de la Section de première instance accueillant les appels des intimées contre les décisions du registraire des marques de commerce, lequel avait rejeté l’opposition aux demandes d’enregistrement pour les marques de commerce a l’égard de dessins de capsule et de comprimé (Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2000), 6 C.P.R. (4th) 16; 187 F.T.R. 119 (C.F. 1re inst.); inf. (1997), 83 C.P.R. (3d) 554 (C.O.M.C.); Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd., [2000] A.C.F. n° 508 (1re inst.) (QL); inf. (1997), 81 C.P.R. (3d) 558 (C.O.M.C.); Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd. (2000), 6 C.P.R. (4th) 224 (C.F. 1re inst.); inf. (1997), 81 C.P.R. (3d) 558 (C.O.M.C.)). Appels rejetés.

ONT COMPARU :

Gunars A. Gaikis et Nancy P. Pei pour les appelantes (intimées).

Carol V. E. Hitchman et Paula M. Bremner pour l’intimée (appelante) Novopharm Limited et l’intimé (intimé) le registraire des marques de commerce.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar, Toronto, pour les appelantes (intimées).

Hitchman & Sprigings, Toronto, pour l’intimée (appelante) Novopharm Limited et l’intimé (intimé) le registraire des marques de commerce.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        LA COUR  : Il s’agit en l’espèce de trois appels formés contre les décisions rendues par la Section de première instance [Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2000), 6 C.P.R. (4th) 16; Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd., [2000] A.C.F. n° 508 (QL); Novopharm Ltd. c. Ciba Geigy Canada Ltd. (2000), 6 C.P.R. (4th) 224] laquelle a accueilli les appels interjetés par les intimées contre les décisions du registraire des marques de commerce (le registraire).

[2]        Dans le dossier d’appel A-329-00, le registraire a rejeté l’opposition de Novopharm à la demande d’enregistrement no 692,410 (ʹ410) produite par Astra pour la marque de commerce « Capsule Design Brown-Pink ».

[3]        Dans les dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00, le registraire avait, dans une décision commune, rejeté les oppositions d’Apotex et de Novopharm aux demandes d’enregistrement nos 630,536 (ʹ536) et 630,537 (ʹ537) produite par Ciba-Geigy pour les marques de commerce « Tablet Design (Pink) » et « Tablet Design », respectivement.

[4]        Les intimées ont porté les décisions du registraire en appel à la Section de première instance, conformément à l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13] (la Loi). Le juge de première instance a accueilli les appels aux motifs que 1) les appelantes n’avaient pas respecté les exigences prévues à l’alinéa 30h) de la Loi, et que 2) les marques de commerce n’étaient pas distinctives des marchandises décrites dans les demandes d’enregistrement. Toutefois, dans les dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00, le juge n’a pas examiné les conclusions du registraire partant que les oppositions des intimées n’étaient pas fondées sur des allégations suffisamment détaillées, contrairement aux exigences de l’alinéa 38(3)a) de la Loi.

Les faits

[5]        Dans le dossier d’appel A-329-00, la demande d’enregistrement ʹ410 d’Astra pour la marque « Capsule Design Brown-Pink » était fondée sur l’emploi de la marque au Canada depuis aussi loin que juin 1989 en liaison avec des « préparations pharmaceutiques, soit de l’oméprazole ». La demande était accompagnée d’un dessin illustrant deux perspectives de la marque ainsi qu’une description rédigée en ces termes :

[traduction] Le dessin se compose de la couleur rose appliquée sur l’ensemble de la surface visible de la capsule opaque, tel qu’illustré sur les dessins, et de la couleur roux appliquée sur la coiffe de la capsule, comme l’indiquent les dessins ainsi que les spécimens joints à la demande. Le dessin est hachuré de manière à indiquer les couleurs rose et brune et revendiqué comme caractéristique. La capsule figurant dans le dessin en pointillé ne fait pas partie de la marque de commerce.

[6]        Le 8 février 1994, Novopharm a produit une déclaration d’opposition en faisant valoir, entre autres, que la demande ne comportait pas une représentation exacte de la marque alléguée contrairement à l’article 30 de la Loi, et que la marque de commerce alléguée n’était pas distinctive compte tenu des capsules deux couleurs, soit rose et brun, appartenant à d’autres propriétaires.

[7]        Le 31 mars 1994, Astra a produit une contre-déclaration dans laquelle elle niait les allégations et avançait l’argument selon lequel les motifs d’opposition n’étaient pas suffisamment détaillés, contrairement aux exigences de l’alinéa 38(3)a) de la Loi. Plus tard, le 18 mars 1997, Novopharm et Astra ont toutes deux produit des plaidoyers écrits et divers affidavits. Une audience a eu lieu devant le registraire.

[8]        Dans le dossier d’appel A-333-00, la demande produite par Ciba-Geigy pour l’enregistrement no 536 de la marque de commerce « Tablet Design (Pink) » pour « des préparations pharmaceutiques, nommément le diclofénac sodique » était fondée sur son emploi projeté. La demande, modifiée le 7 février 1991, indiquait ce qui suit :

[traduction] La marque de commerce est illustrée sur le dessin ci-joint et toute la surface visible du comprimé est rose, telle qu’elle est illustrée par les dessins. Les lignes du dessin représentent la couleur rose. Le comprimé en pointillé ne fait pas partie de la marque de commerce.

[9]        Dans le dossier d’appel A-334-00, la demande produite par Ciba-Geigy pour l’enregistrement ʹ537 de la marque de commerce « Tablet Design » pour « des préparations pharmaceutiques, nommément le diclofénac sodique » était fondée sur l’emploi de la marque au Canada depuis aussi loin que 1982. Ciba-Geigy a ensuite modifié sa demande pour porter à octobre 1985 la date de premier emploi qu’elle revendiquait. La demande contenait un dessin représentant deux perspectives de la marque ainsi que la description suivante :

[traduction] La marque de commerce est illustrée sur le dessin ci-joint et toute la surface visible du comprimé est rose, telle qu’elle est illustrée par les dessins et les spécimens fournis avec le formulaire de demande. Les lignes du dessin représentent la couleur rose. Le comprimé en pointillé ne fait pas partie de la marque de commerce.

[10]      Le 17 octobre 1991, Apotex et Novopharm ont produit des déclarations d’opposition aux demandes d’enregistrement pour les marques ʹ536 et ʹ537, respectivement. Les oppositions étaient fondées sur les mêmes motifs que ceux mentionnés précédemment pour le dossier d’appel A-329-00.

[11]      Ciba-Geigy a produit des contre-déclarations dans lesquelles elle niait les allégations pour les mêmes motifs que ceux mentionnés précédemment au dossier d’appel A-329-00.

[12]      Apotex, Novopharm et Ciba-Geigy ont produit divers affidavits au soutien de leurs arguments respectifs. Le registraire a entendu au cours de la même audience l’opposition d’Apotex à la demande d’enregistrement ʹ536 et celle de Novopharm à la demande d’enregistrement ʹ537. Une seule décision a été rendue pour les deux demandes. Quant à la demande d’enregistrement no 410 produite par Astra, elle a fait l’objet d’une décision distincte.

Les décisions du registraire

[13]      Le registraire a rejeté les trois oppositions (voir Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (1997), 83 C.P.R. (3d) 554; Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd. (1997), 81 C.P.R. (3d) 558). Il a jugé qu’une demande d’enregistrement de marque de commerce qui incorpore un dessin constituant la représentation exacte d’au moins une perspective du comprimé, répond aux exigences prévues à l’alinéa 30h) de la Loi lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

[traduction]

1) un spécimen du comprimé a été déposé auprès du bureau [du registraire];

2) la description écrite de la marque figurant dans la demande de marque de commerce renvoie au spécimen déposé auprès du bureau [du registraire].

a)         Dossier d’appel A-329-00 (la demande d’enregistrement ʹ410)

[14]      Dans le dossier d’appel A-329-00, le registraire a jugé que le dessin qui accompagnait la demande d’enregistrement ʹ410 donnait la représentation exacte d’une perspective de la capsule d’Astra, et que les critères 1) et 2) étaient remplis. En conséquence, la demande d’enregistrement de la marque était conforme à l’alinéa 30h) de la Loi. Le fait que les échantillons produits par Astra étaient susceptibles de se détériorer avec le temps ne changeait rien à cette conclusion. De plus, la présence de l’inscription « 20 » en noir sur les capsules d’Astra, telles qu’elles étaient employées, n’était d’aucune pertinence puisque l’apparence de cette inscription n’était pas en cause.

[15]      Le registraire a fait observer qu’il incombait à l’appelante de démontrer que la marque proposée distinguait vraiment sa marchandise de celles d’autres propriétaires. Le fardeau imposé signifiait que la question devait être tranchée à l’encontre de l’appelante, à moins de pouvoir tirer une conclusion définie en fonction de la preuve. Le registraire a examiné la preuve fournie par Astra concernant les ventes massives et la promotion des marchandises, ainsi que la preuve fournie au soutien de l’argument selon lequel les médecins, les pharmaciens et les consommateurs reconnaissent un médicament par la couleur, la forme et la taille du comprimé et qu’ils connaissent assez bien le comprimé en cause. Le registraire a conclu que l’appelante avait présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa marque était distinctive à la date de la demande. Toutefois, il a estimé que les motifs contenus dans la déclaration d’opposition n’étaient pas suffisamment détaillés pour inclure une allégation d’absence de caractère distinctif fondée sur l’emploi injustifié de la marque par la société filiale et grossiste de l’appelante, puisque cet emploi n’avait pas été allégué ni exposé spécifiquement. Il a ajouté que même s’il interprétait largement la plaidoirie de l’opposante, il ne serait pas arrivé à la conclusion que la marque en cause ne distinguait pas le produit de l’appelante.

b)         Dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00 (demandes d’enregistrement ʹ536 et ʹ537)

[16]      Dans les dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00, le registraire s’est d’abord penché sur la demande d’enregistrement ʹ537 produite par Ciba-Geigy. Il a estimé qu’elle comportait des représentations exactes de deux perspectives du comprimé, et que les critères 1) et 2) étaient remplis. Il a conclu que les exigences de l’alinéa 30h) avaient été respectées.

[17]      Le registraire a également estimé que la preuve établissait que l’apparence du comprimé de Ciba-Geigy avait, à la date de la demande, acquis un certain degré de caractère distinctif. L’opposante n’a pu relever aucun produit pharmaceutique, contenant du diclofénac et de présentation similaire à celle de l’appelante, qui aurait été vendu au Canada par quiconque autre que l’appelante. Il a ajouté qu’en ce qui concerne l’avantage de permettre aux fabricants de médicaments génériques de commercialiser leurs marchandises dans une présentation identique ou semblable à celles du fabricant original, la preuve de l’opposante n’était pas pertinente quant à la question dont il était saisi.

[18]      Comme les allégations, les questions en litige et la preuve étaient pour l’essentiel identiques dans les oppositions produites par Apotex et Novopharm, l’opposition d’Apotex à la demande d’enregistrement ʹ536 a été rejetée pour les mêmes motifs que l’opposition de Novopharm à la demande d’enregistrement ʹ537.

[19]      Cependant, le registraire a jugé que les allégations faites dans les déclarations d’opposition n’étaient pas suffisamment détaillées. Il s’est exprimé en ces termes (dans Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd. (1997), 81 C.P.R. (3d) 558, à la page 564)  :

[traduction] Je conviens avec la requérante que l’opposante n’indique pas suffisamment de détails dans son opposition pour permettre à la requérante d’y répondre, et que l’opposition en cause peut être rejetée sur le champ pour ce motif. Les « comprimés roses » mentionnés dans la déclaration d’opposition auraient dû être décrits avec suffisamment de précisions pour permettre à la requérante de distinguer facilement et définitivement les « comprimés roses » auxquels renvoie l’opposante. La requérante ne devrait pas avoir à faire des recherches sur les produits de l’opposante, ni sur ceux de tiers, et ensuite décider elle-même à quels produits l’opposante fait référence. [Non souligné dans l’original.]

[20]      Le registraire a indiqué qu’il avait tiré des conclusions sur le fond des oppositions uniquement dans l’hypothèse où il aurait commis une erreur au sujet de l’absence de détails suffisants dans les plaidoiries de l’opposante.

[21]      Apotex et Novopharm ont porté les décisions du registraire en appel devant la Section de première instance de la Cour fédérale.

La Section de première instance

[22]      Les trois décisions rendues en première instance ont été publiées (voir Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag, (2000), 6 C.P.R. (4th) 16 (C.F. 1re inst), le juge Rouleau; Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd., [2000] A.C.F. n° 508 (C.F. 1re inst.) (QL), le juge Rouleau; Novopharm c. Ciba-Geigy Canada Ltd., (2000), 6 C.P.R. (4th) 224 (C.F. 1re inst.) (QL), le juge Rouleau). Il est donc inutile de les résumer. Il suffit de signaler que le juge de première instance n’a pas abordé la question préliminaire soulevée par les appelantes, à savoir que le registraire, dans les dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00 (les demandes d’enregistrement ʹ536 et ʹ537), n’a commis aucune erreur donnant lieu à révision lorsqu’il a conclu, en se fondant sur l’alinéa 38(3)a) de la Loi, qu’il n’y avait pas suffisamment de détails dans les déclarations d’opposition.

[23]      Avant d’examiner au fond le dossier d’appel A-329-00 (la demande d’enregistrement ʹ410), ainsi que la question préliminaire et le bien-fondé des dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00 (les demandes d’enregistrement ʹ536 et ʹ537), nous devons déterminer quelle norme de contrôle la Section de première instance doit appliquer dans le contrôle judiciaire des décisions du registraire.

La norme de contrôle applicable

[24]      L’article 56 de la Loi donne le droit de porter la décision du registraire en appel à la Cour fédérale, Section de première instance. Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi (paragraphe 56(5) de la Loi).

[25]      Dans l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), notre Cour a analysé la norme de contrôle qui doit s’appliquer dans le cadre d’un appel fondé sur l’article 56. L’appel sous le régime de cet article ne constitue pas un « procès de novo » au sens strict du terme. Il implique, du moins en partie, une révision des conclusions du registraire. Notre Cour s’est exprimée ainsi [au paragraphe 51] :

Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champs d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

[26]      Notre Cour a récemment réitéré cette opinion dans l’arrêt Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 304 (C.A.F.), aux pages 305 et 306.

[27]      Dans le dossier d’appel A-329-00 (la demande d’enregistrement ʹ410), l’intimée Novopharm a produit une preuve additionnelle devant le juge de première instance, soit les affidavits d’un chimiste spécialisé en brevets chez Novopharm, M. McHugh, et de M. Dawson, secrétaire chez N.A. Search Inc.

[28]      Compte tenu des nouveaux éléments de preuve produits devant le juge de première instance, la norme de contrôle quant au fond est celle de la décision correcte.

[29]      Dans les dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00, les parties n’ont produit aucune preuve additionnelle.

[30]      Par conséquent, la norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’égard des décisions du registraire dans les dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00 est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[31]      Qu’est-ce que la norme de la décision raisonnable simpliciter?

[32]      Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 54, le juge Iacobucci, au nom de la Cour, a expliqué que la norme permettant de juger si la décision du tribunal administratif est déraisonnable, suppose un plus haut degré de retenue que la norme de la décision correcte, mais un degré moindre que celle de l’erreur manifestement déraisonnable. Il a fourni plus d’explications aux paragraphes 60 et 62 :

Même d’un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision « manifestement erronée » et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot « manifestement » est accolé au mot « erroné », ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot « déraisonnable ». Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l’application de retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée ne va pas aussi loin que la norme du caractère manifestement déraisonnable. Car s’il existe bien des choses qui sont erronées sans être déraisonnables, il y a également bien des choses qui sont manifestement erronées sans pour autant être manifestement déraisonnables. Il s’ensuit donc que le critère de la décision manifestement erronée, tout comme la norme de la décision raisonnable simpliciter, s’inscrit sur le continuum, entre la norme de la décision correcte et celle du caractère manifestement déraisonnable. Parce que le critère de la décision manifestement erronée est bien connu des juges au Canada, il peut leur servir de guide dans l’application de la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[...]

En définitive, la norme de la décision raisonnable ne fait que dire aux cours chargées de contrôler les décisions des tribunaux administratifs d’accorder un poids considérable aux vues exprimées par ces tribunaux sur les questions à l’égard desquelles ceux-ci possèdent une grande expertise. Même si le respect d’une politique de retenue en faveur de l’expertise peut se traduire par une norme de contrôle particulière, au fond, la question qui se pose est celle du poids qui doit être accordé aux opinions des experts. En d’autres mots, la retenue examinée en fonction de la « norme de la décision raisonnable » et la retenue examinée en fonction du « poids (des opinions) » sont deux facettes d’un même problème.

[33]      Par conséquent, le critère applicable à la décision du registraire dans les dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00 est celui de la décision « manifestement erronée ». (Voir Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique au Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, à la page 964, où l’expression « clairement irrationnel » est assimilée à la norme de la décision manifestement déraisonnable.)

Analyse

a)         La disposition législative pertinente

[34]      Ciba-Geigy, appelante dans les dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00 et requérante devant le registraire, s’est fondée sur l’alinéa 38(3)a) de la Loi pour affirmer qu’il n’y avait pas suffisamment de détails dans la déclaration d’opposition. L’alinéa de la Loi est ainsi libellé :

38. […]

(3) La déclaration d’opposition indique :

a) les motifs de l’opposition, avec détails suffisants pour permettre au requérant d’y répondre;

[35]      Dans Carling Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd., [1984] 2 C.F. 920 (1re inst.); confirmée par (1988), 19 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), le juge Strayer (plus tard juge à la Cour d’appel) a renvoyé à l’alinéa 37)(3)a) [R.S.C. 1970, ch. T-10] (maintenant l’alinéa 38(3)a), qui exige que la déclaration d’opposition indique « les motifs de l’opposition, avec détails suffisants pour permettre au requérant d’y répondre ». Il a ensuite dit ce qui suit (à la page 924)  :

L’équité exige avant tout que chaque partie soit adéquatement informée des arguments qu’elle doit réfuter.

b)         Les procédures d’opposition

[36]      Les intimées soutiennent que les allégations faites dans une déclaration d’opposition ne sont pas des « plaidoiries » dans le cadre d’une action, mais qu’elles s’apparentent à l’avis de demande qui précède la production de la preuve. Elles affirment que l’appelante avait une bonne compréhension de ce qu’on alléguait contre elle comme en fait foi les plaidoyers écrits détaillés qu’elle a présentés devant le registraire (voir le dossier d’appel, A-333-00, vol. IV, onglet 23, au paragraphe 1297, à l’alinéa 1366 et ss. en particulier).

[37]      Nous estimons opportun de faire les observations suivantes au sujet des procédures dans le cadre d’une opposition.

[38]      Le paragraphe 38(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art.134] de la Loi prévoit que toute personne peut, dans un délai de deux mois à compter de l’annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d’opposition. La déclaration d’opposition doit être fondée sur les motifs énoncés au paragraphe 38(2) de la Loi et doit respecter les conditions prévues au paragraphe 38(3). Si le registraire estime que la déclaration d’opposition soulève une question sérieuse pour décision, il fait alors parvenir une copie de cette déclaration au requérant (paragraphe 38(5) de la Loi), lequel est tenu de produire une contre-déclaration dans un délai d’un mois (paragraphe 38(6) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 66] de la Loi et article 39 du Règlement sur les marques de commerce (1996) [DORS/96-195], (le Règlement)). L’opposant produit sa preuve, dans le délai d’un mois suivant la signification de la contre-déclaration, par voie d’affidavit ou de déclaration solennelle ou conformément aux articles 54 de la Loi et 41 du Règlement. Le requérant doit produire sa propre preuve dans le délai d’un mois suivant la signification de la preuve de l’opposant (article 42 du Règlement). Dans le mois qui suit, l’opposant a le droit de produire une preuve se limitant strictement aux matières servant de réponse (article 43 du Règlement). Le registraire peut ordonner le contre-interrogatoire (article 44 du Règlement). Les parties peuvent produire des plaidoyers écrits (article 46 du Règlement). C’est ensuite que l’audience a lieu (paragraphe 38(7) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 66] de la Loi et article 46 du Règlement).

[39]      Les allégations précèdent la preuve. La preuve présentée ultérieurement dépend des allégations qui sont exposées dans la déclaration d’opposition et dans la contre-déclaration. Selon la Loi, la formulation d’allégations suffisamment détaillées est une condition préalable à la production de la preuve.

[40]      La pratique que le registraire semble avoir adoptée consiste à déterminer si les allégations sont suffisamment détaillées non pas dans un contexte interlocutoire, mais en conjonction avec l’examen au fond de l’opposition. Cette pratique fait non seulement en sorte que la décision du registraire sur une question d’ordre procédural risque d’être contaminée par une preuve qui n’était pas au dossier au moment de la production de la déclaration d’opposition, mais elle semble particulièrement inefficace. En examinant les deux questions ensemble, le registraire force les parties à investir du temps et des ressources à présenter des éléments de preuve, à en vérifier l’admissibilité et à débattre du bien-fondé de l’opposition. S’il s’avère que la déclaration d’opposition n’était pas suffisamment détaillée, tout ce temps et ces dépenses auront été inutiles.

[41]      La détermination du caractère suffisant des allégations devrait, à notre avis, se faire sur une base interlocutoire. Les parties auraient alors la faculté d’apporter, avant la preuve, des modifications sur permission conformément à l’article 47 de la Loi et à l’article 40 du Règlement.

c)         Dispositif

[42]      Nous croyons qu’il n’est pas nécessaire de décider, dans les dossiers d’appel A-333-00 et A-334-00 (les demandes d’enregistrement ‘536 et ‘537) si la décision du registraire quant au caractère suffisant des allégations était une décision raisonnable simpliciter.

[43]      Au moment où le juge de première instance a été saisi de l’affaire, l’appelante était pleinement au fait de la thèse de l’opposante. Le paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce autorise les parties à apporter une preuve en plus de celle fournie devant le registraire, de manière à ne pas léser l’appelant au moment où le juge de première instance est saisi de l’affaire. L’appelante a renoncé à cette possibilité, indiquant de ce fait qu’elle avait produit tous les éléments de preuve qu’elle entendait apporter devant le registraire. Ce qui peut expliquer pourquoi le juge de première instance a simplement examiné l’affaire au fond sans considérer la question procédurale touchant les allégations.

[44]      Nous examinerons le bien-fondé des observations faites par les opposantes dans les trois appels, à savoir que les marques de commerce visées par les demandes des appelantes n’étaient pas distinctives.

[45]      Le juge de première instance a conclu qu’en se fondant uniquement sur la preuve selon laquelle les produits des appelantes étaient populaires et connaissaient du succès dans le marché pharmaceutique et qu’aucun autre produit n’était interchangeable, le registraire a omis d’appliquer les principes de droit reconnus en matière de caractère distinctif. Il a estimé que les appelantes n’avaient présenté aucune preuve provenant de consommateurs (médecins, pharmaciens ou patients) pour établir que la couleur et la forme des produits des appelantes avaient servi à les distinguer dans n’importe quel marché. Il a conclu que le registraire en était venu à des conclusions abusives lorsqu’il a jugé que les marques de commerce de l’appelante étaient, en fait, distinctives.

[46]      À notre avis, le juge de première instance n’a commis aucune erreur dans son appréciation de la preuve dont il disposait relativement à la question du caractère distinctif. Son appréciation nous paraît exacte.

[47]      Nous sommes d’avis de rejeter chacun des appels avec dépens.

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