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A-353-12

2014 CAF 48

Ré:Sonne (demanderesse)

c.

Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada et Goodlife Fitness Centres Inc. (défendeurs)

Répertorié : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada

Cour d’appel fédérale, juges Evans, Trudel et Webb, J.C.A.—Toronto, 19 novembre 2013 et 24 février 2014.

Droit d’auteur — Contrôle judiciaire de la décision de la Commission du droit d’auteur qui a homologué le Tarif no 6.B qui prescrit le montant à percevoir par la demanderesse, à titre de rémunération équitable, des personnes qui utilisent des enregistrements sonores publiés d’œuvres musicales pour accompagner les cours de conditionnement physique, le patinage, l’enseignement de la danse et d’autres formes d’activités physiques — Le tarif que la demanderesse propose comme devant être homologué par la Commission impose le paiement d’environ 86 millions de dollars de redevances par an — Les défendeurs s’opposent à ce tarif et soutiennent que les redevances devraient totaliser environ 3 millions de dollars par an — La Commission a rejeté les deux propositions et a décidé d’appliquer une redevance fixe — Une fois l’audience relative à l’affaire close, la Commission a demandé à la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SOCAN) de déposer copie des ententes, fondant sa décision sur celles-ci — Il s’agissait de savoir si la Commission a, en violation de son obligation d’équité, privé la demanderesse de la possibilité raisonnable de participer au processus décisionnel; si la Commission a commis une erreur de droit en interprétant la Loi comme autorisant la demanderesse à percevoir des redevances visées à l’art. 19 à l’égard seulement des enregistrements sonores admissibles pour lesquels des producteurs ou des artistes-interprètes avaient autorisé expressément la demanderesse ou une des sociétés de gestion membres de celle-ci à percevoir des redevances en leur nom — L’équité n’exigeait pas en l’espèce que la Commission communique de son propre chef des copies des ententes — La demanderesse ne s’est pas prévalue de la possibilité raisonnable dont elle disposait de demander à la Commission de lui transmettre des renseignements qu’elle savait être en sa possession — Cependant, un tribunal manque toutefois à son obligation d’équité s’il fonde sa décision sur un motif normalement inattendu par les parties touchées, et qu’elles n’ont pas eu la possibilité de faire des observations à ce sujet — Puisque la Commission a fixé en l’espèce le Tarif 6.B entièrement en fonction d’une méthode jamais examinée au cours du processus décisionnel, ce tarif ne pouvait être confirmé — La décision de la Commission à l’égard des redevances visées à l’art. 19 était raisonnable — La Loi sur le droit d’auteur autorise la demanderesse à percevoir des redevances pour le compte de ceux qui l’ont autorisée à agir pour leur compte — La décision de la Commission est conforme à sa décision antérieure dans laquelle elle a rejeté la thèse de la société de gestion selon laquelle elle pouvait percevoir les redevances à l’égard de tous les enregistrements admissibles utilisés par des radiodiffuseurs, que les détenteurs de droits aient ou non accordé leur autorisation — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse pour obtenir l’annulation du Tarif no 6.B (le Tarif 6.B) homologué par la Commission du droit d’auteur (la Commission) et qui prescrit le montant à percevoir par la demanderesse, à titre de rémunération équitable, des personnes qui utilisent des enregistrements sonores publiés d’œuvres musicales pour accompagner les cours de conditionnement physique, le patinage, l’enseignement de la danse et d’autres formes d’activités physiques.

L’article 19 de la Loi sur le droit d’auteur (la Loi) prévoit que l’artiste-interprète et le producteur ont chacun droit à une rémunération équitable pour l’exécution en public de leur enregistrement sonore. La demanderesse est autorisée par la Loi à gérer les droits d’exécution d’enregistrements sonores détenus par les artistes-interprètes et les maisons de disques. Elle perçoit et répartit, pour leur compte, la rémunération équitable en conformité avec les tarifs des redevances homologués par la Commission. La Commission a compétence en vertu de la loi pour fixer les tarifs de redevances payables aux titulaires de droits d’auteur sur les enregistrements sonores et homologue également les tarifs de redevances payables à titre de rémunération équitable aux détenteurs de droits voisins dans les enregistrements sonores publiés pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, au Canada, de leurs enregistrements.

La Commission a conclu que le tarif proposé par la demanderesse imposerait au secteur canadien du conditionnement physique le paiement d’environ 86 millions de dollars de redevances par an. À l’appui de leur opposition au tarif proposé par la demanderesse, les défendeurs ont soutenu que la Commission devait plutôt imposer le paiement de redevances totales d’environ 3 millions de dollars.

La Commission a jugé pour l’essentiel insatisfaisants les témoignages d’expert et les observations des parties. Elle a rejeté le montant de redevances proposées par les parties. La Commission aurait pu choisir de ne pas homologuer un tarif. Après avoir examiné l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell, la Commission a conclu que la demanderesse avait droit à un tarif et a décidé d’appliquer une redevance fixe.

Plus d’un an après la fin de l’audience sur la cause susmentionnée, la Commission a demandé à la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SOCAN) des copies des ententes conclues avec des utilisateurs assujettis au Tarif 19 de la SOCAN. La SOCAN a répondu et a envoyé une copie de cette réponse aux parties, en déclarant qu’elle enverrait des copies des ententes par messager à la Commission. Ni la SOCAN ni la Commission n’ont transmis copie de ces ententes à la demanderesse. La demanderesse s’est plainte de la non-communication des ententes de la SOCAN obtenues par la Commission après l’audience. La demanderesse savait que la Commission avait ces ententes, mais elle ne lui en a pas demandé de copies.

Il s’agissait principalement de savoir 1) si la Commission a, en violation de son obligation d’équité, privé la demanderesse de la possibilité raisonnable de participer au processus décisionnel en utilisant pour établir les redevances payables une base de calcul non examinée par les parties et des éléments de preuve qu’elle n’avait pas communiqués à la demanderesse et à l’égard desquels celle-ci n’avait pas eu l’occasion de présenter des observations, et 2) si la Commission a commis une erreur de droit en interprétant la Loi comme autorisant la demanderesse à percevoir des redevances visées à l’article 19 à l’égard seulement des enregistrements sonores admissibles utilisés pour accompagner les cours de conditionnement physique à l’égard desquels des producteurs ou des artistes-interprètes avaient autorisé expressément la demanderesse ou une des sociétés de gestion membres de celle-ci à percevoir des redevances en leur nom.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Les organismes tels que la Commission qui administrent un programme réglementaire complexe n’ont pas à se limiter aux éléments de preuve produits par les parties. Ils disposent d’un large pouvoir discrétionnaire quant au fond et à la procédure pour leur permettre d’atteindre les issues les plus conformes à l’intérêt public dans le cadre de leur programme. Ainsi, lorsqu’ils ne jugent pas suffisamment précis ou exhaustifs les éléments de preuve présentés par les parties, ces tribunaux peuvent solliciter des renseignements supplémentaires d’autres sources. Comme rien dans la Loi n’empêche la Commission de rechercher des renseignements externes et de fonder sa décision sur eux, il lui était loisible d’obtenir en l’espèce de la SOCAN des copies d’ententes de licence confidentielles conclues avec des utilisateurs. Ces organismes doivent toutefois veiller à ce que, s’ils obtiennent des renseignements de tiers, cela ne porte pas atteinte aux droits de participation des parties, soit le droit de connaître et de discuter les éléments pertinents quant à la prise de décision, le droit d’être informé des motifs sur lesquels la décision pourra être fondée, et la possibilité de présenter des observations en conséquence. En définitive, le juge saisi de l’affaire doit rechercher dans chaque cas si, compte tenu de toutes les circonstances, la procédure adoptée par le tribunal administratif pour rendre la décision était fondamentalement équitable.

En l’absence d’une demande en ce sens formulée par l’avocat expérimenté d’une cliente avertie, l’équité n’exigeait pas en l’espèce que la Commission communique de son propre chef des copies des ententes de la SOCAN. La Commission n’a pas privé la demanderesse de manière inéquitable de son droit de connaître et de formuler des observations en réponse aux renseignements en sa possession. Au contraire, la demanderesse ne s’est pas prévalue de la possibilité raisonnable dont elle disposait de demander à la Commission de lui transmettre des renseignements qu’elle savait être en sa possession.

Un tribunal manque toutefois à son obligation d’équité s’il fonde sa décision sur un motif normalement inattendu par les parties touchées, et qu’elles n’ont pas eu la possibilité de faire des observations à ce sujet. En l’espèce, les parties n’ont pas eu la possibilité de présenter des observations sur la pertinence du recours aux ententes pour établir la valeur de la musique enregistrée utilisée dans les cours de conditionnement physique. L’équité exigeait que la Commission avise la demanderesse qu’elle envisageait d’établir les redevances à payer en fonction de ces montants. Puisque la Commission a fixé le Tarif 6.B entièrement en fonction d’une méthode jamais examinée au cours du processus décisionnel, ce tarif ne pouvait être confirmé.

Quant à la réduction des redevances payables à la demanderesse, la décision de la Commission, soit que la demanderesse ne peut percevoir des redevances visées à l’article 19 que pour les enregistrements sonores d’œuvres musicales à l’égard desquels elle a obtenu l’autorisation du producteur ou de l’artiste-interprète, était raisonnable. Premièrement, aux fins de la Loi, une société de gestion perçoit des redevances pour le compte des personnes qui l’ont autorisée d’une manière quelconque à procéder en leur nom à la gestion collective des droits que la Loi leur confère, laquelle comprend la présentation d’un projet de tarif à la Commission. Deuxièmement, la conformité d’une interprétation administrative à la jurisprudence antérieure de l’organisme en cause tend à confirmer le caractère raisonnable de cette interprétation. Dans le Tarif 1.A, la Commission a toutefois estimé que si soit le producteur soit l’artiste-interprète autorisait une société de gestion à percevoir des redevances à l’égard d’un enregistrement particulier, celle-ci pouvait procéder à la perception pour l’un et l’autre. La Commission a rejeté la thèse de la société de gestion selon laquelle elle pouvait percevoir les redevances à l’égard de tous les enregistrements admissibles utilisés par des radiodiffuseurs, que les détenteurs de droits aient ou non accordé leur autorisation. Troisièmement, aux termes de l’article 67 de la Loi, les sociétés de gestion sont tenues de répondre aux demandes de renseignements du public concernant leur répertoire de prestations d’artistes-interprètes et d’enregistrements sonores d’exécution courante. Il est difficile de concevoir comment cette obligation pourrait être exécutée si, comme l’a soutenu la demanderesse, son répertoire comprend l’ensemble des exécutions et des enregistrements donnant droit à une rémunération équitable. Alors qu’une société de gestion devrait être au courant des enregistrements et des exécutions admissibles à l’égard desquels on l’a autorisée à agir, il n’en serait pas nécessairement de même des autres enregistrements et exécutions. Quatrièmement, il serait anormal qu’une société de gestion puisse percevoir des redevances pour tous les enregistrements admissibles utilisés dans un contexte donné, mais ne puisse les répartir qu’entre les artistes-interprètes et producteurs de son répertoire et ceux qu’elle serait en mesure de repérer. On ne doit pas supposer à la légère que le législateur a eu l’intention de créer un régime qui donne lieu à des résultats aussi lourds et peu pratiques.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, L.C. 1997, ch. 24.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2 « société de gestion », 19, 20, 31(2)d), 66(3), 66.52, 66.6(1)a), 66.7, 67, 67.1, 68, 68.2, 76, 83(11).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 317.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, 26 octobre 1961, 496 R.T.N.U. 43.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Tarif no 1.A – Radio commerciale en 1998, 1999, 2000, 2001 et 2002, en ligne : ˂http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/1999/19990813-m-b.pdf˃.

décisions examinées :

Tarif 19 de la SOCAN – Licence pour l’utilisation de toute musique durant des exercices physiques et cours de danse, 2011-2012, en ligne : ˂http://www.cb-cda.gc.ca/tariffs-tarifs/certified-homologues/2012/tarifs_socan_supplement_30_juin_2012.pdf˃; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 336.

décisions citées :

Tarif no 6.B de Ré:Sonne – Utilisation de musique enregistrée pour accompagner des activités physiques, 2008-2012, en ligne : ˂http://www.cb-cda.gc.ca/tariffs-tarifs/certified-homologues/
2012/ReSound6_B_reasons.pdf˃; Tarif no 3 – Utilisation et distribution de musique de fond (2003-2009), en ligne : ˂http://www.cb-cda.gc.ca/tariffs-tarifs/certified-homologues/2006/
20061021-m-b.pdf˃; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2010 CAF 139; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance, 2004 CAF 424, [2005] 2 R.C.F. 654; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] A.C.F. no 137 (C.F. 1re inst.) (QL); Assoc. canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada, Inc., [1991] 3 C.F. 626 (C.A.); Posluns v. Toronto Stock Exchange et al., [1968] R.C.S. 330; Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458.

DOCTRINE CITÉE

Blake, Sara. Administrative Law in Canada, 5e éd. Markham, Ont: LexisNexis Canada, 2011.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission du droit d’auteur (<http://www.cb-cda.gc.ca/tariffs-tarifs/certified-homologues/2012/ReSound6_B_reasons
.pdf>) qui a homologué le Tarif no 6.B qui prescrit le montant à percevoir par la demanderesse, à titre de rémunération équitable, des personnes qui utilisent des enregistrements sonores publiés d’œuvres musicales pour accompagner les cours de conditionnement physique, le patinage, l’enseignement de la danse et d’autres formes d’activités physiques. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Mahmud Jamal, Glen A. Bloom et W. David Rankin pour la demanderesse.

Andrea Rush, Daniel Del Gobbo et David Fewer pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Osler, Hoskin & Harcourt, LLP, Toronto, pour la demanderesse.

Heenan Blaikie LLP, Toronto, et David Fewer, Ottawa, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

Introduction

[1]        L’article 19 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi) prévoit que l’artiste-interprète et le producteur ont chacun droit à une rémunération équitable pour l’exécution en public de leur enregistrement sonore.

[2]        Ré:Sonne est une société de gestion à but non-lucratif autorisée par la Loi à gérer les droits d’exécution d’enregistrements sonores détenus par les artistes-interprètes et les maisons de disques. Plus particulièrement, Ré:Sonne perçoit et répartit la rémunération équitable pour le compte des artistes-interprètes et des producteurs d’enregistrements sonores d’œuvres musicales, en conformité avec les tarifs des redevances homologués par la Commission du droit d’auteur (la Commission).

[3]        Par décision datée du 6 juillet 2012, la Commission a homologué le Tarif no 6.B de Ré:Sonne – Utilisation de musique enregistrée pour accompagner des activités physiques, 2008-2012 [en ligne : http://www.cb-cda.gc.ca/tariffs-tarifs/certified-homologues/2012/ReSound6_B_reasons.pdf] (le Tarif 6.B). Le Tarif 6.B prescrit le montant à percevoir par Ré:Sonne, à titre de rémunération équitable, des personnes qui utilisent des enregistrements sonores publiés d’œuvres musicales pour accompagner les cours de conditionnement physique, le patinage, l’enseignement de la danse et d’autres formes d’activités physiques.

[4]        Selon le Tarif 6.B, les centres de conditionnement physique sont tenus de payer à Ré:Sonne une redevance annuelle fixe pour chaque établissement où l’on utilise de la musique enregistrée de son répertoire pour accompagner les cours de conditionnement physique. La Commission a fixé le montant de la redevance en fonction de la moyenne des paiements effectués par les centres de conditionnement physique, en vertu d’ententes conclues avec la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) pour le compte de compositeurs, paroliers et éditeurs de musique, pour la musique enregistrée accompagnant les activités d’enseignement de danse et de conditionnement physique, plutôt que de verser les montants fixés aux termes du Tarif 19 de la SOCAN – Licence pour l’utilisation de toute musique durant des exercices physiques et cours de danse, 2011-2012 [en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/tariffs-tarifs/certified-homologues/2012/tarifs
_socan_supplement_30_juin_2012.pdf>] (le Tarif 19 de la SOCAN).

[5]        Ré:Sonne a présenté une demande de contrôle judiciaire pour obtenir l’annulation du Tarif 6.B. La demande est contestée par les défendeurs, soit le Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada (le CSCP) (association commerciale qui représente les intérêts du secteur) et Goodlife Fitness Centres Inc. (Goodlife) (acteur important dans le secteur). Devant la Commission, les défendeurs étaient des opposants au Tarif 6.B proposé par Ré:Sonne.

[6]        Ré:Sonne soutient par sa demande de contrôle judiciaire que la Commission a commis les trois erreurs suivantes en fixant le tarif de redevances applicable à l’utilisation de musique enregistrée pour accompagner les cours de conditionnement physique : i) pour établir le Tarif 6.B, elle a manqué à son obligation d’équité en s’appuyant sur un motif non-examiné à l’audience et sur un élément de preuve à laquelle Ré:Sonne n’avait pas eu l’occasion de répondre; ii) elle a commis une erreur de droit en interprétant la Loi comme prévoyant que le montant des redevances visées à l’article 19 devait être calculé en fonction non pas du nombre total d’enregistrements utilisés dans les cours de conditionnement physique donnant droit à une rémunération équitable, mais du pourcentage de ces enregistrements à l’égard desquels des artistes-interprètes ou des producteurs avaient autorisé Ré:Sonne à percevoir des redevances en leur nom; iii) elle a fixé le montant des redevances à un niveau déraisonnablement bas.

[7]        Par les motifs qui suivent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire au motif que la Commission a manqué à son obligation d’équité. Je ne suis toutefois pas convaincu que la Commission a commis une erreur de droit en réduisant le montant des redevances payables à Ré:Sonne en vertu de l’article 19 pour tenir compte du pourcentage d’enregistrements admissibles utilisés dans des cours de conditionnement physique que des artistes-interprètes ou des producteurs ont ajouté au répertoire de Ré:Sonne en l’autorisant à agir en leur nom. Comme j’ai conclu après avoir entendu les observations additionnelles des parties que la Commission devait fixer le montant des redevances à nouveau, je n’aurai pas à me prononcer sur le caractère raisonnable ou non des redevances fixées au Tarif 6.B par la Commission à l’égard de la musique enregistrée utilisée pour accompagner les cours de conditionnement physique.

[8]        Comme on l’a vu, le Tarif 6.B concerne aussi les redevances payables aux producteurs et aux artistes-interprètes à l’égard des enregistrements sonores d’œuvres musicales utilisés pour accompagner le patinage, l’enseignement de la danse et d’autres activités physiques. Ré:Sonne a présenté relativement peu d’observations sur ces aspects du Tarif 6.B, que ce soit devant la Commission ou devant la Cour. Je discuterai la contestation par Ré:Sonne des redevances associées à ces éléments après l’analyse de sa demande de contrôle visant les redevances homologuées pour l’utilisation de musique enregistrée lors de cours de conditionnement physique.

Faits à l’origine du litige

[9]        La Commission a compétence en vertu de la loi pour fixer les tarifs de redevances payables aux titulaires de droits d’auteur sur les enregistrements sonores (compositeurs, paroliers et éditeurs de musique). Elle homologue également les tarifs de redevances payables à titre de « rémunération équitable » aux détenteurs de « droits voisins » dans les enregistrements sonores publiés (artistes-interprètes et producteurs) pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, au Canada, de leurs enregistrements.

[10]      Le droit des artistes-interprètes et des producteurs à une rémunération équitable n’est pas un droit exclusif : contrairement aux titulaires de droits d’auteur traditionnels, les détenteurs de droits voisins sur les œuvres musicales ne peuvent intenter une action pour recouvrer cette rémunération d’une personne qui, sans y être autorisée, exécute leurs enregistrements en public. Ils ne pourraient exercer un recours en justice que contre la société de gestion qui a omis soit de déposer un projet de tarif auprès de la Commission, comme l’exigent les paragraphes 67.1(1) et (2) de la Loi, soit de répartir entre leurs bénéficiaires les redevances homologuées par la Commission et perçues des utilisateurs par la société.

[11]      Une société de gestion ne peut pas non plus intenter une action en recouvrement d’une rémunération équitable contre l’utilisateur lorsqu’aucun tarif n’a été proposé, sauf autorisation écrite du ministre de l’Industrie (paragraphe 67.1(4)). Toutefois, si des utilisateurs ne versent pas les redevances prévues dans le tarif homologué, la société de gestion peut en poursuivre le recouvrement en justice (paragraphe 68.2(1)).

 [12]     La reconnaissance des droits voisins est relativement récente en droit canadien. Le législateur a ajouté ces droits à ceux déjà prévus par la Loi en 1997 ([Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur] L.C. 1997, ch. 24) afin de mettre en œuvre les obligations assumées par le Canada lorsque, le 4 mars 1998, il est devenu partie à la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, le 26 octobre 1961, 496 R.T.N.U. 43 (la Convention de Rome). Pour en savoir plus sur la protection restreinte dont bénéficiaient auparavant les producteurs et les artistes-interprètes de musique enregistrée, on pourra consulter la première décision sur les droits voisins rendue par la Commission : Tarif no 1.A – Radio commerciale en 1998, 1999, 2000, 2001 et 2002 [en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/1999/
19990813-m-b.pdf>] (Tarif 1.A), le 13 août 1999, aux pages 2 et 3.

[13]      Le Tarif 6.B est le premier tarif pour droits voisins homologué par la Commission concernant l’utilisation d’enregistrements sonores lors de cours de conditionnement physique. La Commission a cependant déjà homologué deux tarifs connexes.

[14]      Il y a, premièrement, le Tarif 19 de la SOCAN, le tarif de redevances de la SOCAN le plus récent homologué par la Commission, qui prévoit les redevances devant être payées aux compositeurs et aux paroliers lorsqu’on utilise leur musique enregistrée pour accompagner les activités de danse, d’aérobie et de culturisme et autres activités semblables.

[15]      Deuxièmement, la Commission a homologué en 2006 le tarif no 3 de la SCGDV [Tarif no 3 –Utilisation et distribution de musique de fond (2003-2009), en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/tariffs-tarifs/certified-homologues/2006/20061021-m-b.pdf>], proposé par la Société canadienne de gestion des droits voisins (SCGDV), l’organisme qui a précédé Ré:Sonne, à l’égard des détenteurs de droits voisins dans des enregistrements sonores publiés utilisés comme musique de fond dans un établissement.

[16]      Ré:Sonne est une organisation qui chapeaute cinq sociétés membres représentant des artistes-interprètes et des producteurs au Québec et ailleurs au Canada. Elle distribue les redevances perçues auprès d’utilisateurs, soit directement à l’artiste-interprète ou au producteur concerné, soit à la société dont il fait partie. Elle est actuellement la seule société de gestion autorisée par la Commission à percevoir des redevances visées à l’article 19 d’utilisateurs d’enregistrements sonores.

[17]      La procédure donnant lieu à la présente demande fut engagée le 30 mars 2007 lorsque Ré:Sonne a déposé un projet de tarif concernant l’utilisation de musique enregistrée pour accompagner entre autres des cours de conditionnement physique. La Commission a conclu que, s’il était homologué tel qu’il fut déposé, le Tarif 6.B proposé par Ré:Sonne imposerait au secteur canadien du conditionnement physique, dont les revenus annuels sont d’environ 2 milliards de dollars selon Ré:Sonne, le paiement d’environ 86 millions de dollars de redevances par an. À l’appui de leur opposition au tarif proposé par Ré:Sonne, le CSCP et Goodlife ont soutenu que la Commission devait plutôt imposer le paiement de redevances totales d’environ 3 millions de dollars.

[18]      Le 15 juillet 2011, la Commission a homologué le Tarif 6.A pour donner suite au projet de tarif de Ré:Sonne visant les enregistrements sonores utilisés en lien avec la danse. Un an plus tard, la Commission a homologué le Tarif 6.B concernant l’utilisation de musique enregistrée pour accompagner d’autres activités physiques, notamment les cours de conditionnement physique. Il n’est pas controversé entre les parties à la présente demande que, sous le régime du Tarif 6.B homologué par la Commission, Ré:Sonne peut recouvrer des utilisateurs un montant annuel moindre que celui proposé par le CSCP et Goodlife.

[19]      Le processus décisionnel de la Commission, qui s’est étendu sur cinq ans, a comporté des étapes procédurales formelles et informelles, dont des interrogatoires par écrit et des réponses, la présentation d’observations écrites et le dépôt d’une preuve d’expert. L’audience n’a duré que 11 jours. J’exposerai la partie de la procédure de la Commission qui est pertinente quant à l’allégation de Ré:Sonne concernant le manquement à son endroit à l’obligation d’équité procédurale dans le cadre de mon analyse de la question.

Décision de la Commission

[20]      Dans ses motifs, la Commission expose et analyse longuement les témoignages d’expert et les observations présentées par chacune des parties au soutien de sa thèse quant à la base de calcul appropriée pour établir la rémunération équitable à payer à Ré:Sonne pour l’utilisation de musique enregistrée dans les cours de conditionnement physique (paragraphes 9 à 63 et 98 à 147).

[21]      Qu’il suffise ici de dire que la Commission a jugé pour l’essentiel insatisfaisantes les témoignages d’expert et les observations de Ré:Sonne et des défendeurs. Elle a par conséquent rejeté le montant de redevances proposées par les parties.

[22]      Un point est toutefois digne de mention. Un témoin expert des défendeurs, M. David Reitman, a soutenu que le Tarif 19 de la SOCAN constituait un point de référence approprié pour le Tarif 6.B, puisqu’il portait sur les redevances payables aux compositeurs et aux paroliers de musique enregistrée utilisée pour accompagner des activités physiques semblables à celles visées par le Tarif 6.B. Il a été soutenu que le Tarif 19 de la SOCAN avait été en vigueur sous diverses formes depuis 30 ans et qu’il représentait une « réalité du marché » (au paragraphe 136). Il s’agissait donc d’un indicateur fiable de la valeur marchande de la musique enregistrée qu’on utilise pour accompagner des activités physiques.

[23]      À l’instar de Ré:Sonne, la Commission a toutefois conclu que le Tarif 19 de la SOCAN ne pouvait pas servir de point de référence (paragraphe 147). En effet, ce tarif n’avait jamais fait l’objet d’un examen, même sommaire; il contenait certaines expressions importantes ambiguës; enfin, son application avait posé problème (paragraphes 136 et 140 à 144). La Commission a relevé (au paragraphe 146), comme preuve des difficultés soulevées par le Tarif 19 de la SOCAN, que la SOCAN, plutôt que de tenter d’appliquer les taux prévus au tarif, percevait près du tiers de ses redevances au titre du Tarif 19 en vertu d’ententes de licence confidentielles conclues avec des utilisateurs individuels assujettis au Tarif 19 de la SOCAN, y compris certains des plus importants centres de conditionnement physique et écoles de danse au Canada. Une fois l’audience relative au Tarif 6.B close, la Commission a demandé à la SOCAN de déposer copie de ces ententes, ce qu’elle a fait.

[24]      La Commission a reconnu que le rejet des témoignages d’expert des parties ainsi que des autres bases de calcul suggérées pour l’établissement des redevances la laissait dans une position difficile. Après examen de l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2010 CAF 139, aux paragraphes 25 à 30, elle a néanmoins décidé (paragraphes 161 à 164) de ne pas choisir de n’homologuer aucun tarif puisque, n’ayant pas rejeté les éléments de fait présentés par les parties, il existait certains éléments quant à la valeur de la musique enregistrée pour les cours de conditionnement physique. La Commission a ainsi décidé que Ré:Sonne avait droit à un tarif.

[25]      La Commission a reconnu (au paragraphe 167) qu’une redevance fixe ne reflétait généralement pas de manière satisfaisante la valeur de la musique pour les utilisateurs parce qu’elle ne tenait pas compte ni du nombre de participants à une activité visée ni du volume de musique utilisée. Quoi qu’il en soit, la Commission a estimé que le recours à une redevance fixe constituait la meilleure façon en l’espèce de trancher son dilemme. Une redevance fixe pour tous les utilisateurs est aussi facile à administrer puisqu’elle n’appelle qu’une surveillance minimale de la conformité. En outre, le Tarif 6.B n’avait qu’un caractère transitoire puisque la période visée se terminait en 2012, l’année de son homologation, et que la Commission se ferait vraisemblablement présenter des éléments de preuve plus complets pour fixer de manière plus permanente un tarif pluriannuel applicable à compter de 2013 (voir les paragraphes 165 à 167).

[26]      La Commission a procédé au calcul (aux paragraphes 83 à 97, 168 et 169) de la redevance fixe appropriée. Elle a calculé la moyenne des « redevances du Tarif 19 » versées à la SOCAN aux termes des ententes conclues avec des centres de conditionnement physique et que la SOCAN lui avait transmises. La Commission a ensuite conclu que 53 p. cent des enregistrements musicaux utilisés dans les centres de conditionnement physique étaient des enregistrements admissibles aux fins de l’article 20. Puis, la Commission a rajusté ce pourcentage à la baisse à 36,6 p. cent, pour tenir compte du fait que seule une partie des enregistrements admissibles utilisés lors de cours de conditionnement physique appartenait au répertoire de Ré:Sonne. Il est résulté de ce calcul une redevance fixe annuelle de 105,74 $ devant être payée par chaque établissement utilisant des enregistrements sonores faisant partie du répertoire de Ré:Sonne ou d’une des sociétés de gestion chapeautées par elle pour accompagner des cours de conditionnement physique.

Cadre légal

[27]      Les dispositions législatives pertinentes en l’espèce se trouvent dans la Loi sur le droit d’auteur. Est définie la société de gestion aux fins de cette loi à l’article 2 :

2. […]

Définitions

« société de gestion » Association, société ou personne morale autorisée — notamment par voie de cession, licence ou mandat — à se livrer à la gestion collective du droit d’auteur ou du droit à rémunération conféré par les articles 19 ou 81 pour l’exercice des activités suivantes

a) l’administration d’un système d’octroi de licences portant sur un répertoire d’œuvres, de prestations, d’enregistrements sonores ou de signaux de communication de plusieurs auteurs, artistes-interprètes, producteurs d’enregistrements sonores ou radiodiffuseurs et en vertu duquel elle établit les catégories d’utilisation qu’elle autorise au titre de la présente loi ainsi que les redevances et modalités afférentes;

b) la perception et la répartition des redevances payables aux termes de la présente loi. [Soulignement ajouté.]

« société de gestion » “collective society

[28]      Le paragraphe 19(1) prévoit que l’artiste-interprète et le producteur ont chacun droit à une rémunération équitable pour l’exécution en public de leur enregistrement sonore. En vue de cette rémunération, quiconque exécute de tels enregistrements en public doit verser des redevances à la société de gestion autorisée à les percevoir. Le paragraphe 20(1) énonce les critères d’admissibilité à une rémunération équitable et les conditions d’application du droit à cette rémunération : le producteur d’un enregistrement sonore doit être citoyen canadien ou résident permanent au Canada (ou, s’il s’agit d’une personne morale, avoir son siège social au Canada), ou les fixations réalisées en vue de la confection de l’enregistrement doivent avoir eu lieu au Canada.

[29]      D’autres dispositions des articles 19 et 20, non pertinentes aux fins de la présente instance, font jouer, pour les pays parties à la Convention de Rome, le droit à une rémunération équitable et les critères d’admissibilité. Les enregistrements provenant des États-Unis ne donnent habituellement pas lieu à une rémunération équitable puisque ce pays n’est pas partie à la Convention de Rome. Ces enregistrements peuvent donc être exécutés en public au Canada sans que leur utilisateur n’ait à payer de redevances aux termes de l’article 19 :

19. (1) Sous réserve du paragraphe 20(1), l’artiste-interprète et le producteur ont chacun droit à une rémunération équitable pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication — à l’exclusion de la communication visée aux alinéas 15(1.1)d) ou 18(1.1)a) et de toute retransmission — de l’enregistrement sonore publié.

[…]

Droit à rémunération : Canada

(2) En vue de cette rémunération, quiconque exécute en public ou communique au public par télécommunication l’enregistrement sonore publié doit verser des redevances :

a) dans le cas de l’enregistrement sonore d’une œuvre musicale, à la société de gestion chargée, en vertu de la partie VII, de les percevoir;

b) dans le cas de l’enregistrement sonore d’une œuvre littéraire ou d’une œuvre dramatique, soit au producteur, soit à l’artiste-interprète.

Redevances

(3) Les redevances versées en application de l’alinéa (2)a) ou b), selon le cas, sont partagées par moitié entre le producteur et l’artiste-interprète.

[…]

Partage des redevances

20. (1) Le droit à rémunération conféré par le paragraphe 19(1) ne peut être exercé que si, selon le cas :

a) le producteur, à la date de la première fixation, soit est un citoyen canadien ou un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, soit, s’il s’agit d’une personne morale, a son siège social au Canada;

b) toutes les fixations réalisées en vue de la confection de l’enregistrement sonore ont eu lieu au Canada. [Soulignement ajouté.]

Conditions : Canada

[30]      Le premier segment de la partie VII de la Loi établit la constitution de la Commission du droit d’auteur et énonce les pouvoirs dont celle-ci dispose. Seules quelques dispositions sont suffisamment pertinentes pour qu’on les reproduise :

66.

(3) Le gouverneur en conseil choisit le président parmi les juges, en fonction ou à la retraite, de cour supérieure, de cour de comté ou de cour de district.

[…]

Président

66.52 La Commission peut, sur demande, modifier toute décision concernant les redevances visées au paragraphe 68(3), aux articles 68.1 ou 70,15 ou aux paragraphes 70.2(2), 70.6(1), 73(1) ou 83(8), ainsi que les modalités y afférentes, en cas d’évolution importante, selon son appréciation, des circonstances depuis ces décisions.

[…]

Modifications de décisions

66.6 (1) La Commission peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil, prendre des règlements régissant :

a) la pratique et la procédure des audiences, ainsi que le quorum.

[…]

Règlement

66.7 (1) La Commission a, pour la comparution, la prestation de serments, l’assignation et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production d’éléments de preuve, l’exécution de ses décisions et toutes autres questions relevant de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives.

Attributions générales

[31]      Le deuxième segment de la partie VII est intitulé « Gestion collective du droit d’exécution et de communication » et ses dispositions pertinentes aux fins de la présente demande sont reproduites ci-après :

67. Les sociétés de gestion chargées d’octroyer des licences ou de percevoir des redevances pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication — à l’exclusion de la communication visée au paragraphe 31(2) — d’œuvres musicales ou dramatico-musicales, de leurs prestations ou d’enregistrements sonores constitués de ces œuvres ou prestations, selon le cas, sont tenues de répondre aux demandes de renseignements raisonnables du public concernant le répertoire de telles œuvres ou prestations ou de tels enregistrements d’exécution courante dans un délai raisonnable.

Demandes de renseigne-ments

67.1 (1) Les sociétés visées à l’article 67 sont tenues de déposer auprès de la Commission, au plus tard le 31 mars précédant la cessation d’effet d’un tarif homologué au titre du paragraphe 68(3), un projet de tarif, dans les deux langues officielles, des redevances à percevoir.

Dépôt d’un projet de tarif

(2) Lorsque les sociétés de gestion ne sont pas régies par un tarif homologué au titre du paragraphe 68(3), le dépôt du projet de tarif auprès de la Commission doit s’effectuer au plus tard le 31 mars précédant la date prévue pour sa prise d’effet.

Sociétés non régies par un tarif homologué

(3) Le projet de tarif prévoit des périodes d’effet d’une ou de plusieurs années civiles.

Durée de validité

(4) Le non-dépôt du projet empêche, sauf autorisation écrite du ministre, l’exercice de quelque recours que ce soit […] ou pour recouvrement des redevances visées à l’article 19.

Interdiction des recours

(5) Dès que possible, la Commission publie dans la Gazette du Canada les projets de tarif et donne un avis indiquant que tout utilisateur éventuel intéressé, ou son représentant, peut y faire opposition en déposant auprès d’elle une déclaration en ce sens dans les soixante jours suivant la publication.

Publication des projets de tarifs

68. (1) La Commission procède dans les meilleurs délais à l’examen des projets de tarif et, le cas échéant, des oppositions; elle peut également faire opposition aux projets. Elle communique à la société de gestion en cause copie des oppositions et aux opposants les réponses éventuelles de celle-ci.

Examen du projet de tarif

(2) Aux fins d’examen des projets de tarif déposés pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication de prestations d’œuvres musicales ou d’enregistrements sonores constitués de ces prestations, la Commission :

a) doit veiller à ce que :

(i) les tarifs ne s’appliquent aux prestations et enregistrements sonores que dans les cas visés à l’article 20, à l’exception des paragraphes 20(3) et (4),

(ii) les tarifs n’aient pas pour effet, en raison d’exigences différentes concernant la langue et le contenu imposées par le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion établi à l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, de désavantager sur le plan financier certains utilisateurs assujettis à cette loi,

(iii) le paiement des redevances visées à l’article 19 par les utilisateurs soit fait en un versement unique;

b) peut tenir compte de tout facteur qu’elle estime indiqué.

Cas particuliers

(3) Elle homologue les projets de tarif après avoir apporté aux redevances et aux modalités afférentes les modifications qu’elle estime nécessaires compte tenu, le cas échéant, des oppositions visées au paragraphe 67.1(5) et du paragraphe (2).

Homologation

(4) Elle publie dès que possible dans la Gazette du Canada les tarifs homologués; elle en envoie copie, accompagnée des motifs de sa décision, à chaque société de gestion ayant déposé un projet de tarif et aux opposants.

[…]

Publication du tarif homologué

68.2 (1) La société de gestion peut, pour la période mentionnée au tarif homologué, percevoir les redevances qui y figurent et, indépendamment de tout autre recours, le cas échéant, en poursuivre le recouvrement en justice.

Portée de l’homologation

(2) Il ne peut être intenté aucun recours […] pour recouvrement des redevances visées à l’article 19, contre quiconque a payé ou offert de payer les redevances figurant au tarif homologué.

Interdiction des recours

(3) Toute personne visée par un tarif concernant les œuvres, les prestations ou les enregistrements sonores visés à l’article 67 peut, malgré la cessation d’effet du tarif, les exécuter en public ou les communiquer au public par télécommunication dès lors qu’un projet de tarif a été déposé conformément au paragraphe 67.1(1), et ce jusqu’à l’homologation d’un nouveau tarif. Par ailleurs, la société de gestion intéressée peut percevoir les redevances prévues par le tarif antérieur jusqu’à cette homologation. [Soulignement ajouté.]

Maintien des droits

Questions en litige et analyse

[32]      La Cour doit se prononcer sur deux questions principales pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire du Tarif 6.B concernant l’utilisation d’enregistrements sonores pour accompagner les cours de conditionnement physique.

(1)       La Commission a-t-elle, en violation de son obligation d’équité, privé Ré:Sonne de la possibilité raisonnable de participer au processus décisionnel en utilisant pour établir les redevances payables une base de calcul non-examinée par les parties et des éléments de preuve qu’elle n’avait pas communiqués à Ré:Sonne et à l’égard desquels celle-ci n’avait pas eu l’occasion de présenter des observations?

(2)       La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant la Loi comme autorisant Ré:Sonne à percevoir des redevances visées à l’article 19 à l’égard seulement des enregistrements sonores admissibles utilisés dans les centres de conditionnement physique dont les interprètes ou les producteurs avaient autorisé Ré:Sonne ou l’une des sociétés de gestion chapeautées par elle à gérer en leur nom leur droit à une rémunération équitable?

[33]      Il sera cependant nécessaire d’arrêter tout d’abord la norme de contrôle qui joue pour chacune de ces questions.

1re QUESTION –    Quelle est la norme de contrôle applicable?

i) Manquement à l’obligation d’équité procédurale

[34]      Le droit est bien fixé : le juge doit appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’il se penche sur des allégations de manquement à l’équité procédurale de la part de décideurs administratifs (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

[35]      La retenue judiciaire envers les décideurs n’est pas de mise quand il faut rechercher si l’obligation d’agir équitablement joue dans des cas administratifs ou juridiques donnés, comme il ressort de l’enseignement de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), aux paragraphes 77 et suivants sur la question de savoir si David Dunsmuir avait droit à l’équité procédurale avant qu’il ne soit mis fin à son emploi de fonctionnaire provincial.

[36]      La réponse est toutefois plus nuancée lorsqu’on se demande quelle norme de contrôle s’applique à une allégation de manquement à l’équité procédurale qui met en cause la teneur de l’obligation d’équité dans un cas donné et l’existence, ou non, à cet égard d’un manquement. L’obligation d’équité est d’intensité variable puisqu’elle s’applique à une vaste gamme d’interventions administratives, d’intervenants, de régimes législatifs et de programmes gouvernementaux et que les répercussions sur les particuliers sont diverses. Il faut faire preuve de souplesse pour assurer une participation significative des citoyens au processus administratif, tout en veillant à ce que les organismes publics ne soient pas assujettis à des obligations procédurales qui nuiraient à l’intérêt public au regard d’un processus décisionnel public efficace.

[37]      En l’absence de dispositions législatives en sens contraire, les décideurs administratifs jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire pour fixer leur propre procédure, notamment quant aux aspects qui relèvent de l’équité procédurale (Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560 (Prassad), aux pages 568 et 569). Parmi ces aspects, mentionnons la question de savoir si l’« audience » sera tenue selon une procédure orale ou écrite, si une demande d’ajournement doit être accueillie ou si la représentation par avocat est autorisée, et la mesure dans laquelle le contre-interrogatoire est autorisé ou les renseignements dont le décideur dispose doivent être communiqués. Le contexte et les circonstances dictent l’étendue du pouvoir discrétionnaire du décideur à l’égard de ces questions de procédure et permettront de savoir s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité.

[38]      La jurisprudence Dunsmuir ne porte pas sur la norme de contrôle s’appliquant aux choix procéduraux d’un tribunal lorsqu’ils sont contestés pour manquement à l’obligation d’équité. La Cour suprême a toutefois décidé, au paragraphe 53, que l’exercice du pouvoir discrétionnaire administratif appelait habituellement la norme de contrôle de la décision raisonnable. Ce principe semble s’appliquer à l’exercice de ce pouvoir au regard des questions de procédure et de mesure ainsi que des questions touchant davantage au fond. Le juge ne peut donc remettre en question chaque choix procédural d’un organisme administratif, qu’il soit concrétisé dans ses règles générales de procédure ou fait dans le cadre d’une décision individuelle.

[39]      Cela dit, le pouvoir discrétionnaire administratif s’arrête lorsqu’il y a manquement à l’équité procédurale (Prassad, à la page 569). Le juge doit lui-même décider, selon la norme de la décision correcte, si cette ligne a été franchie. Il existe une certaine tension inhérente entre, d’une part, le principe du recours à la norme de la décision correcte pour examiner le caractère équitable de la procédure d’un organisme et, d’autre part, celui du pouvoir discrétionnaire des décideurs à l’égard de leur propre procédure.

[40]      S’exprimant au nom des juges de la majorité à l’occasion de l’affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 27, la juge L’Heureux-Dubé a ainsi inclus les choix de procédure et les pratiques du décideur parmi les facteurs que le juge doit prendre en compte pour décider de la teneur de l’obligation d’équité dans tel ou tel cas. La juge a déclaré qu’une retenue considérable s’imposait au regard de ces choix lorsque le législateur a accordé un large pouvoir discrétionnaire en matière de procédure à l’organisme concerné ou lorsque le domaine d’expertise de l’organisme s’étend aux questions de procédure.

[41]      La juge Abella, qui a rédigé les motifs de la majorité dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, a retenu cet enseignement aux paragraphes 230 et 231. Elle a observé, au paragraphe 231 :

Il faut faire montre d’une grande déférence à l’égard des décisions procédurales d’un tribunal qui a le pouvoir de contrôler sa propre procédure. La détermination de la portée et du contenu de l’obligation d’agir équitablement est fonction des circonstances et peut bien dépendre de facteurs qui relèvent de l’expertise et des connaissances du tribunal, notamment la nature du régime législatif ainsi que les attentes et pratiques des personnes et organismes régis par l’Office.

[42]      Bref, si le juge saisi de la demande de contrôle doit décider selon la norme de la décision correcte de la conformité des choix procéduraux d’un organisme, généraux ou particuliers, à l’obligation d’équité, il doit le faire en se montrant respectueux de ces choix. Il convient donc que le juge accorde de l’importance à la manière dont l’organisme a cherché à établir un équilibre entre, d’une part, la participation maximale et, d’autre part, l’efficacité du processus décisionnel. Compte tenu de l’expertise dont dispose l’organisme, le degré de retenue que commande un choix de l’administrateur en matière de procédure peut être particulièrement important lorsque le modèle procédural utilisé par l’organisme visé par la demande de contrôle diffère considérablement du modèle judiciaire que les juges connaissent le mieux.

ii) Interprétation de la Loi sur le droit d’auteur

[43]      Il convient de présumer que la retenue judiciaire est de mise à l’égard des décideurs intervenant au titre d’une loi régis par un « régime administratif distinct et particulier » (Dunsmuir, au paragraphe 55), comme la Commission en l’espèce, lorsqu’ils interprètent et appliquent leur loi constitutive (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 39). L’interprétation par un tribunal administratif de sa loi constitutive appelle donc habituellement la norme de contrôle de la décision raisonnable (McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, aux paragraphes 21 et 22).

[44]      La question de droit de fond en litige en l’espèce est de savoir si la Loi sur le droit d’auteur donne droit à une société de gestion à un tarif calculé en fonction de tous les enregistrements sonores admissibles à une rémunération équitable utilisés pour accompagner des activités particulières, ou seulement en fonction de tels enregistrements à l’égard desquels des producteurs ou des artistes-interprètes ont autorisé la société à agir en leur nom. Il s’agit là d’une question d’interprétation des lois puisqu’elle ne se limite pas aux faits de la présente affaire.

[45]      Ré:Sonne soutient que la présomption suivant laquelle la norme de contrôle de la décision raisonnable joue en ce qui concerne l’interprétation par un tribunal administratif de sa loi constitutive est réfutée lorsque la Commission interprète la Loi (Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283 (Rogers). S’exprimant au nom de la majorité dans cet arrêt, le juge Rothstein a observé (au paragraphe 14) :

Il serait illogique de contrôler la décision de la Commission sur un point de droit selon une norme déférente, mais d’examiner de novo la décision d’une cour de justice rendue en première instance sur le même point de droit dans le cadre d’une action pour violation du droit d’auteur. Il serait tout aussi incohérent que, saisie d’un appel visant un contrôle judiciaire, la cour d’appel fasse preuve de déférence à l’égard de la décision de la Commission sur un point de droit, mais applique la norme de la décision correcte à la décision d’une cour de justice en première instance sur le même point de droit.

[46]      À mon avis, on peut établir une distinction entre les faits de l’affaire Rogers et ceux de la présente affaire, étant donné qu’en l’espèce la question d’interprétation des lois soulevée découle de l’homologation par la Commission d’un projet de tarif en application du paragraphe 68(3) de la Loi sur le droit d’auteur. Décider si une société de gestion représente des enregistrements admissibles non inclus dans son répertoire lorsqu’elle présente un projet de tarif en application de l’article 67.1 ne fait pas entrer en jeu une « compétence concurrente [conférée par la Loi] au tribunal administratif et à la cour de justice de première instance » (Rogers, au paragraphe 18).

[47]      Cette conclusion ne repose pas sur la prémisse selon laquelle, dans aucune circonstance, un juge ne peut être appelé à décider en première instance si une société de gestion représentait tous les enregistrements admissibles utilisés pour accompagner des activités particulières, ou seulement ceux inclus dans son répertoire par suite d’une autorisation quelconque de la part de l’artiste-interprète ou du producteur.

[48]      Par exemple, bien qu’une société de gestion qui n’a pas déposé de projet de tarif ne puisse exercer un recours en recouvrement d’une rémunération équitable contre un utilisateur, il lui est possible de le faire avec l’autorisation écrite du ministre de l’Industrie (paragraphe 67.1(4)). L’utilisateur d’un enregistrement d’œuvre musicale ainsi poursuivi pourra solliciter la réduction du montant réclamé par la société de gestion au motif que celle-ci ne peut recouvrer des redevances que pour les enregistrements à l’égard desquels elle a été autorisée à agir par le producteur ou l’artiste-interprète.

[49]      Selon moi, cette possibilité théorique et plutôt faible ne suffit pas pour faire jouer l’exception consacrée par la jurisprudence Rogers. Il ressort clairement de l’obligation pour une société d’obtenir l’autorisation du ministre avant d’intenter une action en recouvrement d’une rémunération équitable, faute d’avoir demandé l’homologation d’un tarif par la Commission, que le législateur voulait que celle-ci ait compétence principale en matière d’exécution collective des droits voisins, ce qui comprend l’interprétation des dispositions législatives qui régissent ce complexe régime d’établissement des taux de redevances. Dans l’affaire Rogers, il n’y avait aucune disposition semblable restreignant le droit du titulaire d’un droit d’auteur d’intenter une action en violation qui aurait pu obliger une cour à statuer sur la même question de droit que celle tranchée par la Commission.

[50]      Les juges connaissent depuis longtemps les questions de droits d’auteur de nature individuelle puisqu’ils ont compétence sur les contentieux en matière de droit d’auteur. Ils ne connaissent toutefois pas aussi bien le régime législatif de gestion collective du droit à une rémunération équitable, domaine complexe et technique qui, selon la Loi, relève presque exclusivement de la compétence de la Commission (voir à des fins de comparaison l’arrêt Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance, 2004 CAF 424, [2005] 2 R.C.F. 654, au paragraphe 110).

[51]      L’expertise supérieure de la Commission en matière d’établissement des taux de redevances pour la gestion collective du droit à une rémunération équitable va aussi dans le sens de l’idée que la Cour doit en l’espèce se pencher sur l’interprétation par la Commission des aspects du régime législatif en cause en fonction de la norme de la décision raisonnable.

2e QUESTION –     La Commission a-t-elle manqué à l’obligation d’équité en fondant le tarif de redevances sur la moyenne des montants payés en vertu d’ententes de licence qu’elle a obtenues de la SOCAN après la fin de l’audience relative au Tarif 6.B?

i)   Le droit

[52]      Les organismes tels que la Commission qui administrent un programme réglementaire complexe n’ont pas à se limiter aux éléments de preuve produits par les parties. Ils disposent d’un large pouvoir discrétionnaire quant au fond et à la procédure pour leur permettre d’atteindre les issues les plus conformes à l’intérêt public dans le cadre de leur programme. Ainsi, lorsqu’ils ne jugent pas suffisamment précis ou exhaustifs les éléments de preuve présentés par les parties, ces tribunaux peuvent solliciter des renseignements supplémentaires d’autres sources.

[53]      Comme rien dans la Loi n’empêche la Commission de rechercher des renseignements externes et de fonder sa décision sur eux, il lui était loisible d’obtenir en l’espèce de la SOCAN des copies d’ententes de licence confidentielles conclues avec des utilisateurs (Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] A.C.F. no 137 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 51).

[54]      Ces organismes doivent toutefois veiller à ce que, s’ils obtiennent des renseignements de tiers, cela ne porte pas atteinte aux droits de participation des parties, soit le droit de connaître et de discuter les éléments pertinents quant à la prise de décision, le droit d’être informé des motifs sur lesquels la décision pourra être fondée, et la possibilité de présenter des observations en conséquence. En définitive, le juge saisi de l’affaire doit rechercher dans chaque cas si, compte tenu de toutes les circonstances (y compris le respect des choix procéduraux), la procédure adoptée par le tribunal administratif pour rendre la décision était fondamentalement équitable, ce qui appelle un examen du contexte ainsi que des faits d’espèce.

ii) Les faits

[55]      La plupart des faits sont constants, mais est controversée leur importance en vue d’établir si, sur le plan juridique, la Commission a fait preuve d’équité procédurale envers Ré:Sonne.

[56]      Lors du processus d’échange de renseignements, Ré:Sonne a demandé aux membres du CSCP d’indiquer les montants qu’ils avaient versés à la SOCAN pour l’exécution en public d’enregistrements d’œuvres musicales pour accompagner des cours de conditionnement physique. À l’automne 2009, un membre a répondu en communiquant à Ré:Sonne et à la Commission les éléments de preuve dont il s’était servi aux fins du calcul du Tarif 19 de la SOCAN pour des cours de conditionnement physique. D’autres ont répondu de manière semblable, et certains ont révélé les montants qu’ils avaient versés en vertu d’ententes confidentielles conclues avec la SOCAN.

[57]      Ré:Sonne a obtenu en février 2010, grâce à une ordonnance de la Commission, copie d’une entente confidentielle conclue entre la SOCAN et un utilisateur visé par le Tarif 19 de la SOCAN en vertu de laquelle ce dernier avait effectué ses paiements. L’entente a notamment permis de connaître la redevance fixe payée par l’utilisateur pour l’exécution en public d’enregistrements sonores servant à accompagner des cours de conditionnement physique.

[58]      Ainsi, bien avant que la Commission ne tienne son audience sur le projet de Tarif 6.B en avril 2010, Ré:Sonne connaissait divers montants payés à la SOCAN par des centres de conditionnement physique, y compris ceux employés par la Commission pour calculer la redevance fixe visée au Tarif 6.B. Ré:Sonne disposait également de la copie d’une entente confidentielle en vertu de laquelle un de ces centres avait effectué des paiements à la SOCAN.

[59]      Le 16 mai 2011, soit plus d’un an après la fin l’audience, la Commission a ordonné à la SOCAN à répondre à des questions au sujet du Tarif 19 de la SOCAN qui, aux dires du CSCP et de Goodlife, pouvait servir comme éventuel point de référence pour l’établissement des redevances du Tarif 6.B. La Commission a informé les parties de ces demandes de renseignements ainsi que des réponses de la SOCAN, qu’elle leur a communiquées le 13 juin 2011.

[60]      Le 23 juin 2011, la Commission a posé de nouvelles questions à la SOCAN et elle lui a demandé des copies d’ententes conclues avec des utilisateurs assujettis au Tarif 19 de la SOCAN. Le 26 juillet 2011, la SOCAN a répondu à la Commission et a envoyé une copie de cette réponse aux parties. La SOCAN a notamment déclaré qu’elle enverrait des copies des ententes par messager à la Commission, ce qu’elle a fait. Ni la SOCAN ni la Commission n’ont transmis copie de ces ententes à Ré:Sonne.

[61]      La SOCAN a aussi joint à sa réponse une feuille Excel où elle résumait certains aspects des ententes et dans laquelle figurait notamment une liste de 18 organisations avec lesquelles elle avait conclu des ententes et les montants versés par chacune d’elles en 2007. Je déduis du nom de la plupart de ces organisations que le patinage ou l’enseignement de la danse, et non les cours de conditionnement physique, constituait leur activité principale.

[62]      Quoique Ré:Sonne ait su que la Commission disposait de copies de ces ententes, elle ne lui a pas demandé de les lui communiquer. Elle n’a jamais demandé non plus à la Commission de lui donner la possibilité de répondre, verbalement ou par écrit, aux renseignements obtenus par la Commission au moyen de la feuille Excel ou autrement.

[63]      Dans un courriel daté du 16 mai 2011 et informant les parties des renseignements que la Commission avait demandés à la SOCAN, le secrétaire général de la Commission a déclaré qu’une fois les réponses de la SOCAN obtenues, la Commission donnerait de nouvelles directives au sujet de toute information devant être fournie par les parties. Dans un courriel envoyé le 13 juin 2011 informant les parties des réponses fournies par la SOCAN, la Commission leur disait encore une fois qu’elle leur donnerait de nouvelles directives en temps utile (voir le dossier de la demanderesse, volume 1, aux pages 84 et 87).

[64]      Dans un nouveau courriel, daté du 3 novembre 2011, la Commission a déclaré que, par suite d’une ordonnance qu’elle avait rendue le 23 juin 2011, la SOCAN lui avait transmis le 26 juillet 2011 des copies d’ententes conclues avec des personnes assujetties au Tarif 19 de la SOCAN ainsi que le fichier Excel. La Commission a ordonné que ces documents demeurent confidentiels et elle a enjoint aux parties de [traduction] « se comporter en conséquence ». Toutefois, contrairement à ce qui était dit dans les courriels envoyés précédemment aux parties, la Commission n’a pas alors déclaré qu’elle leur ferait part de nouvelles directives (voir le dossier de la demanderesse, volume 1, à la page 112).

[65]      Dans le cadre de sa procédure en contrôle judiciaire dirigée contre la décision de la Commission concernant le Tarif 6.B, Ré:Sonne a demandé, aux termes de la règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, à la Commission de lui transmettre copie des documents pertinents en sa possession et qu’elle-même n’avait pas déjà. Dans une lettre d’accompagnement jointe au dossier transmis par la Commission, l’avocat général de celle-ci a admis les allégations de manquement à l’équité procédurale figurant dans certains paragraphes de l’avis de demande de Ré:Sonne (dossier de la demanderesse, volume 2, à la page 177).

[66]      Pour décider si la Commission a manqué à son obligation d’équité, j’accorde peu de poids à cet avis sur la légalité de la procédure de la Commission, d’autant plus que la Commission n’est pas partie à la présente procédure en contrôle judiciaire. En outre, on peut difficilement discerner si la lettre exprime l’avis de la Commission ou celui de son avocat général. Je relève à cet égard que la Commission n’a pas proposé la réouverture de l’audience pour remédier à tout manquement éventuel à l’obligation d’équité.

iii) Ya-t-il eu manquement à l’obligation d’équité?

[67]      Ré:Sonne soutient que la Commission a manqué à deux égards à l’obligation d’équité.

[68]      Premièrement, la Commission ne lui a pas communiqué de copies des ententes confidentielles en vertu desquelles des centres de conditionnement physique avaient fait des paiements à la SOCAN pour l’utilisation d’œuvres musicales enregistrées lors de cours de conditionnement physique, ni ne lui a donné la possibilité de formuler des observations à l’égard de ces ententes.

[69]      Deuxièmement, la Commission aurait dû informer les parties à la procédure devant elle de la base de calcul qu’elle envisageait d’utiliser pour fixer le montant des redevances du Tarif 6.B, leur communiquer les ententes pertinentes et solliciter leurs observations sur l’à-propos du recours à la moyenne des [traduction] « redevances au titre du Tarif 19 » payées par des utilisateurs en vertu d’ententes conclues avec la SOCAN pour établir ces redevances. On s’était concentré à l’audience devant la Commission sur les éléments de preuve produits par les parties, et il n’y eut nulle discussion de la possibilité de se servir des montants versés en vertu des ententes conclues avec la SOCAN pour fixer le montant des redevances.

a) Non-communication

[70]      Le principal problème posé par la contestation de Ré:Sonne concernant la non-communication des ententes de la SOCAN obtenues par la Commission après l’audience vient de ce que celle-ci avait informé les parties de la demande de ces ententes à la SOCAN. Ré:Sonne savait que la Commission avait ces ententes, mais elle ne lui en a pas demandé de copies. Par ailleurs, la Commission n’avait pas dit qu’elle refuserait la communication des documents si Ré:Sonne lui en faisait la demande.

[71]      Deux mois avant le début de l’audience, Ré:Sonne avait elle-même obtenu à titre confidentiel la copie d’une entente conclue avec la SOCAN qui faisait notamment état des montants que l’utilisateur concerné lui avait versés. Ré:Sonne a inclus cette entente dans les éléments de preuve documentaires qu’elle a présentés à la Commission. L’organisme connaissait également les montants que d’autres utilisateurs avaient versés à la SOCAN en vertu de leurs ententes pour l’utilisation d’enregistrements sonores en accompagnement de cours de danse et d’activités de conditionnement physique.

[72]      Lors de l’instruction de la demande de contrôle judiciaire, l’avocat de Ré:Sonne n’a pu expliquer pourquoi sa cliente n’avait pas demandé copie des ententes de la SOCAN à la Commission, ententes qu’il soutient maintenant étaient d’importance capitale pour la décision de la Commission.

[73]      À mon avis, Ré:Sonne ne peut dire que les ententes de la SOCAN étaient si peu liées à l’affaire qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle les demande, notamment parce qu’il avait été question devant la Commission de l’à-propos du recours au Tarif 19 de la SOCAN comme point de référence. La pratique administrative exemplaire aurait assurément été que la Commission prenne l’initiative et communique d’elle-même les ententes sans attendre qu’une partie ne les lui demande. La pratique exemplaire n’est toutefois pas la norme à utiliser pour décider de la légalité des choix procéduraux d’un organisme.

[74]      En l’absence d’une demande en ce sens formulée par l’avocat expérimenté d’une cliente avertie, l’équité n’exigeait pas en l’espèce que la Commission communique de son propre chef des copies des ententes de la SOCAN. J’estime que la Commission n’a pas privé Ré:Sonne de manière inéquitable de son droit de connaître et de formuler des observations en réponse aux renseignements en sa possession. J’estime plutôt que Ré:Sonne ne s’est pas prévalue de la possibilité raisonnable dont elle disposait de demander à la Commission de lui transmettre des renseignements qu’elle savait être en sa possession.

b) Défaut de la Commission d’aviser les parties du fondement de sa décision

[75]      Ré:Sonne peut-elle néanmoins affirmer qu’elle a été privée du droit à un procès équitable en n’ayant pas été avisée à l’avance des éléments de preuve sur lesquels reposeraient la décision de la Commission, et en n’ayant pas eu l’occasion ainsi de présenter d’observations sur la justesse de la méthodologie employée par la Commission? À mon avis, la réponse est positive.

[76]      Les procédures administratives ont un caractère dynamique : les questions clés se manifestent bien souvent au fur et à mesure de leur déroulement, particulièrement lorsqu’elles sont longues et complexes comme celles relatives au Tarif 6.B. Tout comme un tribunal administratif n’a pas à se restreindre aux éléments de preuve produits par les parties, il n’a pas non plus à se borner pour rendre sa décision, aux fondements déclarés appropriés d’entrée de jeu par les parties.

[77]      Un tribunal manque toutefois à son obligation d’équité s’il fonde sa décision sur un motif normalement inattendu par les parties touchées, et qu’elles n’ont pas eu la possibilité de faire des observations à ce sujet. Sarah Blake a ainsi observé dans le traité Administrative Law in Canada, 5e éd. (Markham, Ontario : LexisNexis Canada, 2011), à la page 43 :

[traduction] Une partie ne doit pas être réduite à découvrir, en recevant la décision du tribunal, que celle-ci était fondée sur une question à l’égard de laquelle elle n’a présenté aucune observation parce qu’elle ignorait qu’elle était en cause.

Or, selon moi, c’est exactement ce qui s’est produit en l’espèce.

[78]      On s’est principalement penché à l’audience concernant le projet de Tarif 6.B de Ré:Sonne sur les témoignages d’expert produits par les parties au soutien des tarifs qu’elles proposaient, bien qu’on ait aussi examiné la pertinence du recours à d’autres tarifs, dont le Tarif 19 de la SOCAN, comme points de référence. La Commission n’a toutefois pas fondé le calcul des redevances à verser en vertu du Tarif 6.B sur celles prévues au Tarif 19 de la SOCAN, mais plutôt sur les montants ajustés à la baisse versés à la SOCAN par des utilisateurs assujettis à ce dernier tarif en vertu d’ententes de licence individuelles. Il n’a pas été question de ces ententes à l’audience.

[79]      En l’espèce, les parties n’ont pas eu la possibilité de présenter des observations sur la pertinence du recours aux ententes pour établir la valeur de la musique enregistrée utilisée dans les cours de conditionnement physique. Il est vrai que Ré:Sonne avait inclus à ses éléments de preuve documentaire présentés à la Commission la copie d’une entente conclue avec la SOCAN et des renseignements sur les montants versés par des centres de conditionnement physique en vertu d’ententes et en fonction desquels la Commission a fixé le montant de la redevance fixe. Quoi qu’il en soit, étant donné la gamme et la complexité des divers points de référence pouvant être utilisés pour le Tarif 6.B ainsi que l’absence de toute discussion à l’audience sur le recours aux montants payés en vertu d’ententes de licence par les centres de conditionnement physique visés par le Tarif 19 de la SOCAN, l’équité exigeait que la Commission avise Ré:Sonne qu’elle envisageait d’établir les redevances à payer en fonction de ces montants.

[80]      En outre, tant Ré:Sonne que les défendeurs avaient proposé un montant de redevances fondé sur le nombre de consommateurs finaux de la musique, en fonction du nombre de membres d’un centre (Ré:Sonne) ou du nombre de participants en moyenne chaque semaine aux cours de conditionnement physique (les défendeurs). Les parties n’ont pas passé en revue longuement devant la Commission les avantages et inconvénients auxquels donnerait lieu, en l’espèce, l’établissement d’une redevance fixe.

[81]      Puisque la Commission a fixé le Tarif 6.B entièrement en fonction d’une méthode jamais examinée au cours du processus décisionnel, ce tarif ne peut être confirmé. L’affaire doit être renvoyée à la Commission, pour qu’elle décide à nouveau des redevances à payer pour l’utilisation d’enregistrements d’œuvres musicales lors de cours de conditionnement physique, après avoir communiqué aux parties tous les renseignements qu’elle seule possède sur lesquels elle a fondé sa décision et leur avoir donné la possibilité de formuler des observations à cet égard.

iv) Faut-il n’accorder aucune mesure?

[82]      Les défendeurs affirment que si, contrairement à ce qu’ils ont soutenu, il y a effectivement eu manquement à l’obligation d’équité, la Cour doit s’abstenir d’intervenir parce que Ré:Sonne n’a subi aucun préjudice. Ils soutiennent ainsi que même si Ré:Sonne avait eu la possibilité de présenter des observations sur les renseignements qui ont servi de fondement à la décision de la Commission et avait démontré avec succès à celle-ci que sa méthode était déficiente, la Commission n’aurait eu d’autre choix que de ne fixer aucun tarif pour les années en cause. Une telle solution aurait manifestement nui à Ré:Sonne et à ceux qu’elle représente.

[83]      Savoir comment la Commission aurait réagi aux observations de Ré:Sonne relève toutefois, selon moi, de la pure conjecture. Ainsi, la Commission aurait pu décider d’accroître le montant des redevances si elle avait jugé inapproprié le recours à une ou plusieurs des ententes pour calculer une redevance fixe moyenne. Ce n’est que dans les cas très évidents qu’une décision administrative entachée par un manquement à l’équité procédurale aussi grave que celui commis en l’espèce pourra être maintenue au motif qu’il n’aurait eu aucune incidence sur cette décision (voir, par exemple, Assoc. canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada, Inc., [1991] 3 C.F. 626 (C.A.)). Nous ne sommes pas en présence d’un tel cas en l’espèce.

[84]      Les défendeurs font également valoir le caractère « transitoire » du Tarif 6.B et le fait que la Commission disposera vraisemblablement de meilleurs éléments de preuve lorsqu’il s’agira de fixer un tarif plus permanent. J’estime que ces raisons ne permettent toutefois pas à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’accorder une mesure dans la présente affaire. Le manquement à l’obligation d’équité de la Commission fut très grave en l’espèce. Faute de mesure, les artistes-interprètes et les producteurs qui ont autorisé Ré:Sonne à administrer pour leur compte leur droit à une rémunération équitable pour l’utilisation de certains enregistrements pourraient en outre subir d’importantes pertes pécuniaires pour les années 2008 à 2012.

[85]      Les défendeurs soutiennent également que, même si la Cour concluait à l’existence d’un manquement à l’obligation d’équité, elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire et ne pas accorder la mesure demandée parce que Ré:Sonne disposait d’une autre voie de recours administratif : demander à la Commission d’entendre ses observations sur l’à-propos du recours aux ententes pour établir une redevance fixe. Je rejette cette thèse.

[86]      Premièrement, la Commission ne peut exercer la compétence que lui confère expressément l’article 66.52 de la Loi pour modifier une ordonnance que s’il y a eu évolution importante des circonstances depuis qu’elle a rendu sa décision. Or, selon moi, apprendre lorsque la décision d’un tribunal est publiée sur quoi elle a reposé ne constitue pas, à cette fin, une « évolution […] des circonstances depuis ces décisions ».

[87]      Deuxièmement, les tribunaux administratifs ont de manière générale compétence implicite pour remédier aux manquements à l’obligation d’équité en rouvrant la décision en cause (Posluns v. Toronto Stock Exchange et al., [1968] R.C.S. 330, à la page 340, ainsi que, plus généralement, Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; voir également Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 336 — le réexamen par la Commission du droit d’auteur a permis par le passé à remédier aux manquements à l’obligation d’équité procédurale).

[88]      Toutefois, même si l’article 66.52 n’épuise pas la compétence de la Commission de rouvrir une décision définitive, Ré:Sonne n’avait pas dans la présente affaire à demander le réexamen avant de présenter une demande de contrôle judiciaire. Ré:Sonne n’aurait pu faire valoir devant la Commission les deux autres motifs de contrôle invoqués : l’erreur de droit commise par la Commission en limitant le répertoire aux seuls enregistrements à l’égard desquels des artistes-interprètes ou des producteurs avaient autorisé Ré:Sonne à les représenter, et le montant déraisonnablement peu élevé des redevances prévues au Tarif 6.B.

3e QUESTION – La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en réduisant le montant des redevances payables à Ré:Sonne pour tenir compte du pourcentage d’enregistrements sonores admissibles utilisés pour accompagner les cours de conditionnement physique à l’égard desquels des producteurs ou des artistes-interprètes avaient autorisé expressément Ré:Sonne ou une des sociétés de gestion membres de celle-ci à percevoir des redevances en leur nom?

[89]      Comme on l’a vu, cette question appelle l’interprétation de la Loi sur le droit d’auteur, et l’interprétation de cette loi par la Commission est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. Aucune disposition de la Loi ne porte expressément sur la question en litige. La Commission a plutôt fondé sa décision sur des inférences tirées de dispositions de la Loi portant sur d’autres sujets et sur les répercussions pratiques qu’aurait la position de Ré:Sonne sur le fonctionnement du régime législatif.

[90]      L’interprétation par un organisme administratif de sa loi constitutive est déraisonnable si elle est incompatible avec la disposition en cause ou avec le régime législatif de manière plus générale. Lors de son examen, la cour doit appliquer les principes généraux d’interprétation législative en procédant à l’analyse du texte législatif, de son contexte et de ses objectifs. La cour peut également compléter les motifs énoncés par l’organisme par les motifs qui pourraient être donnés à l’appui de la décision (Dunsmuir, au paragraphe 48). Si la cour ne peut conclure que l’interprétation est déraisonnable dans le sens susmentionné, elle doit faire preuve de retenue; le fait que la partie qui attaque la décision propose une interprétation tout aussi vraisemblable de la loi constitutive n’est pas suffisant pour justifier l’intervention judiciaire.

i) Motifs de la Commission

[91]      La Commission a invoqué trois motifs pour conclure que Ré:Sonne ne pouvait pas recouvrer une rémunération équitable pour le compte des artistes-interprètes et des producteurs à l’égard de tous les enregistrements admissibles utilisés pour accompagner les cours de conditionnement physique, mais pouvait le faire à l’égard des enregistrements pour lesquels le producteur ou l’artiste-interprète l’avait autorisée, ou avait autorisé une société de gestion chapeautée par elle, à le représenter. Les observations de la Commission sur cette question figurent aux paragraphes 70 à 82 de ses motifs.

[92]      Premièrement, la plupart des autres régimes prévus par la Loi ne permettent à une société de gestion de recouvrer des redevances qu’à l’égard des enregistrements inclus dans son répertoire. Dans le cas des régimes de licences étendues régissant la retransmission (alinéa 31(2)d) et article 76) et la copie pour usage privé (paragraphe 83(11)), la Loi prévoit de manière exceptionnelle que les titulaires de droit d’auteur qui ne sont pas représentés par une société de gestion peuvent réclamer leur part de rémunération auprès d’une société de gestion désignée par la Commission, à moins qu’ils aient choisi de ne pas participer au régime. Les articles de la Loi portant sur la gestion collective du droit à une rémunération équitable ne renferment pas de dispositions analogues permettant à une société de gestion de percevoir les redevances visées à l’article 19 pour le compte d’artistes-interprètes ou de producteurs qui ne l’ont pas autorisée à agir pour leur compte à l’égard d’enregistrements donnés.

[93]      Deuxièmement, l’interprétation de Ré:Sonne est incompatible avec le paragraphe 67.1(4) de la Loi, que je reproduis de nouveau pour faciliter la tâche du lecteur :

67.1 […]

(4) Le non-dépôt du projet empêche, sauf autorisation écrite du ministre, l’exercice de quelque recours que ce soit […] ou pour recouvrement des redevances visées à l’article 19. [Soulignement ajouté.]

Interdiction des recours

[94]      La Commission a conclu qu’on envisageait dans cette disposition qu’un tarif puisse être homologué pour une fin précise, mais non à l’égard de tous les enregistrements sonores admissibles. Si, comme elle le soutient, Ré:Sonne procède automatiquement au recouvrement à l’égard de tous les enregistrements admissibles utilisés pour une activité particulière, les mots dans la version anglaise « with respect to the […] sound recording in question » (à l’égard de l’enregistrement sonore en cause) seraient superflus.

[95]      Troisièmement, le sous-alinéa 68(2)a)(i) prévoit qu’un tarif ne vise que les artistes-interprètes et les producteurs admissibles à une rémunération équitable en vertu de l’article 20. L’objet de cette disposition est de faire en sorte qu’on ne recouvre pas de redevances à l’égard des enregistrements non admissibles et non, comme Ré:Sonne le prétend, que des redevances soient versées à l’égard de tous les enregistrements admissibles.

[96]      À mon avis, le premier motif énoncé par la Commission va dans le sens de son interprétation. La pertinence du paragraphe 67.1(4) à cette fin est toutefois moins claire. La version française de ce paragraphe ne comporte pas de mots équivalant à l’expression « with respect to the work, performer’s performance or sound recording in question » qui, selon la Commission, permet d’affirmer que Ré:Sonne ne doit pas nécessairement percevoir de redevances à l’égard de tous les enregistrements admissibles utilisés aux fins mentionnées dans le tarif.

[97]      La version française du paragraphe 67.1(4) évoque le cas où la société de gestion n’a proposé aucun tarif : « Le non-dépôt du projet empêche, sauf autorisation écrite du ministre, l’exercice de quelque recours que ce soit […] pour recouvrement des redevances visées à l’article 19. »

[98]      Cela étant, l’objet du paragraphe 67.1(4) est d’inciter les sociétés de gestion à déposer un projet de tarif en conformité avec les trois paragraphes qui précèdent. Ainsi, la société de gestion qui manque à son obligation de déposer un tarif ne peut, sans l’autorisation écrite du ministre, exercer d’autres recours pour recouvrer une rémunération équitable des utilisateurs d’enregistrements sonores d’œuvres musicales. Si cette conclusion est juste, le paragraphe 67.1(4) n’est guère utile pour savoir pour le compte de qui une société de gestion peut procéder à un recouvrement.

[99]      Vu les différences existant entre les versions française et anglaise du texte législatif, et ayant à l’esprit que la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable à l’interprétation par la Commission des dispositions en cause de la Loi, je ne saurais conclure que la Commission a commis une erreur de droit en se servant du paragraphe 67.1(4) à l’appui de sa décision, d’autant plus que d’autres dispositions de la Loi constituaient un fondement raisonnable de cette décision.

[100]   Je conclus par ailleurs que la décision de la Commission ne saurait s’appuyer sur le sous-alinéa 68(2)a)(i). J’estime comme la Commission que cette disposition n’oblige pas une société de gestion à percevoir des redevances à l’égard de tous les enregistrements admissibles exécutés en public pour accompagner les activités visées. On y prévoit simplement que les tarifs ne peuvent viser que les artistes-interprètes et les producteurs d’enregistrements sonores admissibles en vertu de l’article 20, c’est-à-dire si le producteur était, à la date de la première fixation, citoyen ou résident permanent du Canada ou d’un pays partie à la Convention de Rome, ou si toutes les fixations réalisées en vue de la confection de l’enregistrement ont eu lieu au Canada ou dans un pays partie à cette Convention.

[101]   Bref, pour ce qui est des trois motifs énoncés par la Commission, le premier va dans le sens de sa décision, le deuxième pourrait le faire et le troisième n’est pas pertinent quant à la question en litige.

ii) Motifs qui pourraient être donnés

[102]   À mon avis, quatre autres facteurs militent en faveur du caractère raisonnable de la décision de la Commission portant que Ré:Sonne ne peut percevoir des redevances visées à l’article 19 que pour les enregistrements sonores d’œuvres musicales à l’égard desquels elle a obtenu l’autorisation du producteur ou de l’artiste-interprète.

[103]   Premièrement, élément pertinent pour la présente demande, l’article 2 définit une « société de gestion » comme une société se livrant à la gestion collective du droit à rémunération équitable conféré par l’article 19 du fait qu’elle y est « autorisée — notamment par voie de […] mandat ». Ainsi, aux fins de la Loi, une société de gestion perçoit des redevances pour le compte des personnes qui l’ont autorisée d’une manière quelconque à procéder en leur nom à la gestion collective des droits que la Loi leur confère, laquelle comprend la présentation d’un projet de tarif à la Commission.

[104]   Deuxièmement, la conformité d’une interprétation administrative à la jurisprudence antérieure de l’organisme en cause tend à confirmer le caractère raisonnable de cette interprétation (voir Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, aux paragraphes 5 et 8). Le Tarif 1.A a été le premier homologué par la Commission concernant les droits voisins. Dans les motifs de sa décision, la Commission a exposé comment elle concevait l’architecture générale du régime législatif alors nouveau prévu pour la gestion collective du droit à une rémunération équitable. Il est loisible à la Cour d’examiner les motifs énoncés par la Commission dans le Tarif 1.A afin d’évaluer le caractère raisonnable de la décision faisant l’objet de la présente procédure.

[105]   Dans le Tarif 1.A, deux sociétés de gestion, la SCGDV [Société canadienne de gestion des droits voisins] et la SOGEDAM [Société de gestion des droits des artistes-musiciens], représentant des groupes différents de détenteurs de droits voisins, avaient proposé des tarifs de redevances différents pour la diffusion d’enregistrements donnant droit à une rémunération équitable. La Commission devait décider non seulement ce que les radiodiffuseurs devaient payer, mais également régler les différends au sujet des droits respectifs des deux sociétés de gestion. Le tarif finalement homologué par la Commission s’est appliqué à tous les détenteurs de droits visés à l’article 19 représentés par l’une et l’autre sociétés.

[106]   Vu l’exigence prévue au sous-alinéa 68(2)a)(iii) de la Loi selon laquelle le paiement des redevances visées par l’article 19 par les utilisateurs doit être fait en un versement unique, la Commission a jugé qu’il convenait qu’une seule société de gestion perçoive la totalité des redevances payables par les utilisateurs assujettis au tarif. La Commission a désigné la SCGDV comme agent unique de perception et a confié à la SOGEDAM la charge de recouvrer de la SCGDV la part attribuable à ses membres.

[107]   Aux fins de la présente procédure, la conclusion la plus pertinente tirée dans le Tarif 1.A fut que les enregistrements sonores faisant l’objet de la procédure devant la Commission étaient les enregistrements admissibles faisant partie du répertoire respectif des deux sociétés de gestion, et que chaque société de gestion proposant un tarif devait prouver qu’elle gérait bien le répertoire qu’elle revendiquait. En l’espèce, cela incluait les producteurs et les artistes-interprètes qui, d’une manière ou d’une autre, avaient autorisé la SCGDV ou une société de gestion membre de celle-ci à intervenir pour leur compte. La Commission a toutefois estimé que si soit le producteur soit l’artiste-interprète autorisait une société de gestion à percevoir des redevances à l’égard d’un enregistrement particulier, celle-ci pouvait procéder à la perception pour l’un et l’autre. La Commission a rejeté la thèse de la SCGDV selon laquelle elle pouvait percevoir les redevances à l’égard de tous les enregistrements admissibles utilisés par des radiodiffuseurs, que les détenteurs de droits aient ou non accordé leur autorisation. La Commission a traité en détail de ces questions aux paragraphes 11 à 19 des motifs de sa décision d’homologuer le Tarif 1.A.

[108]   La SCGDV, soit la société qui a précédé Ré:Sonne, n’a pas demandé le contrôle judiciaire du Tarif 1.A, qui fait autorité depuis près de 15 ans. L’avocat de Ré:Sonne soutient qu’on peut opérer une distinction entre les faits de cette affaire et les faits de la présente espèce, puisque la question de l’étendue du répertoire d’une société de gestion a été soulevée dans le Tarif 1.A dans le cadre d’un différend opposant deux sociétés de gestion.

[109]   À mon avis, cette différence entre les faits des deux affaires n’a pas d’importance. Il ne ressort pas des motifs de la Commission dans le Tarif 1.A que le principe voulant que le répertoire d’une société de gestion soit restreint aux seuls enregistrements à l’égard desquels des producteurs ou des artistes-interprètes l’ont autorisée à les représenter ne joue que dans le cas où plus d’une société de gestion propose un tarif de redevances aux fins de l’article 19.

[110]   Troisièmement, aux termes de l’article 67 de la Loi, les sociétés de gestion sont tenues de répondre aux demandes de renseignements du public concernant leur répertoire de prestations d’artistes-interprètes et d’enregistrements sonores d’exécution courante. Il est difficile de concevoir comment cette obligation pourrait être exécutée si, comme le soutient Ré:Sonne, son répertoire comprend l’ensemble des exécutions et des enregistrements donnant droit à une rémunération équitable. Alors qu’une société de gestion devrait être au courant des enregistrements et des exécutions admissibles à l’égard desquels on l’a autorisée à agir, il n’en serait pas nécessairement de même des autres enregistrements et exécutions.

[111]   Quatrièmement, il serait anormal qu’une société de gestion puisse percevoir des redevances pour tous les enregistrements admissibles utilisés dans un contexte donné, mais ne puisse les répartir qu’entre les artistes-interprètes et producteurs de son répertoire et ceux qu’elle serait en mesure de repérer. Ré:Sonne a déclaré qu’elle détenait dans un compte en fiducie les fonds qu’elle avait perçus mais n’avait pu répartir en attendant de retracer ceux qui ne l’avaient pas autorisée à les représenter. Ré:Sonne n’a pas clairement expliqué ce qu’il advient des fonds dus à ceux qu’elle ne parvient jamais à retracer. À mon avis, on ne doit pas supposer à la légère que le législateur a eu l’intention de créer un régime qui donne lieu à des résultats aussi lourds et peu pratiques.

iii) Arguments de Ré:Sonne

[112]   En plus de rejeter les motifs donnés par la Commission au soutien de sa décision, Ré:Sonne affirme que la décision est déraisonnable parce qu’elle ne respecte pas deux principes fondamentaux sur lesquels repose le droit à une rémunération équitable : les utilisateurs devraient payer les artistes-interprètes et les producteurs pour leur utilisation d’enregistrements sonores, et le paiement de redevances au titre de la rémunération équitable doit pouvoir être fait par les utilisateurs en un versement unique.

[113]   L’argument de Ré:Sonne selon lequel des utilisateurs vont [traduction] « s’en tirer sans frais » si le Tarif 6.B ne vise pas les artistes-interprètes et les producteurs qui ne l’ont pas autorisée à les représenter à l’égard d’enregistrements particuliers suppose que Ré:Sonne dispose d’un monopole quant aux projets de tarifs pour des redevances visées à l’article 19.

[114]   C’est à bon droit que les défendeurs soutiennent que la Loi ne contient aucune disposition en ce sens. Rien selon moi n’empêche les artistes-interprètes ou les producteurs de former leur propre société de gestion, ou de devenir membres d’une société de gestion existante, pour qu’elle gère pour leur compte leur droit à une rémunération équitable. Il se peut que Ré:Sonne soit actuellement la seule société de gestion à représenter des détenteurs droits visés à l’article 19, mais cela ne veut pas dire que jamais une autre société de gestion ne verra le jour et favorisera ainsi une saine concurrence. D’ailleurs, deux sociétés de gestion avaient proposé des tarifs pour le compte de groupes de producteurs et d’artistes-interprètes différents dans le cas du Tarif 1.A, bien que la Commission n’ait finalement autorisé que l’une d’elles, la SCGDV, à percevoir des redevances pour les deux.

[115]   Il est bien vrai que, selon l’interprétation de la Loi avancée par la Commission, les artistes-interprètes et les producteurs ne toucheront une rémunération équitable que s’ils s’inscrivent auprès d’une société de gestion. Cela semble toutefois relativement aisé à faire, d’autant plus qu’il suffit que soit le producteur soit l’artiste-interprète fasse ajouter un enregistrement dans le répertoire d’une société de gestion pour que celle-ci puisse percevoir des redevances pour l’un et pour l’autre. Dans notre système juridique, les détenteurs de droits ne peuvent habituellement rester passifs s’ils veulent faire valoir leurs droits. Lorsque le législateur a voulu assortir d’exceptions le principe de la « participation volontaire » (« opt in ») généralement applicable au régime de gestion de droits prévu par la Loi, comme il l’a fait en matière de retransmission et de copie pour usage privé, il l’a disposé de manière expresse.

[116]   L’existence possible de plus d’une société de gestion représentant différents producteurs et artistes-interprètes n’est pas non plus contraire au principe selon lequel, selon le sous-alinéa 68(2)a)(iii), l’utilisateur n’a pas à faire plus qu’un versement unique pour payer ses redevances de rémunération équitable.

[117]   Le Tarif 1.A s’avère encore une fois instructif. Après avoir examiné les tarifs proposés par deux sociétés de gestion, la Commission a confié à la SCGDV la mission de percevoir pour le compte des deux sociétés les montants qu’elle a fixés, et elle a laissé le soin à la SOGEDAM de recouvrer auprès de la SCGDV la part revenant à ses membres (voir les paragraphes 35 à 39 des motifs de la décision de la Commission).

[118]   Ré:Sonne affirme finalement que la Commission a commis une erreur de droit en interprétant l’article 20 comme comportant une condition d’admissibilité additionnelle, soit que les producteurs et les artistes-interprètes ne peuvent toucher une rémunération équitable que pour les enregistrements à l’égard desquels ils ont désigné une société de gestion pour les représenter. Là encore, je rejette cette thèse.

[119]   Exiger que l’artiste-interprète ou le producteur inscrive un enregistrement auprès d’une société de gestion avant de pouvoir toucher une rémunération équitable n’est pas de même nature que les conditions d’admissibilité prévues à l’article 20, qui ont trait au lieu de résidence du producteur à la date de la première fixation, ou au lieu où les fixations ont été réalisées. Ces éléments ne peuvent changer une fois qu’un enregistrement a été effectué et ils permettent d’établir si une rémunération équitable pourra un jour être payable à l’égard de cet enregistrement. Par contre, les producteurs et les artistes-interprètes peuvent en tout temps autoriser une société de gestion à les représenter à l’égard d’un enregistrement donné. En outre, comme on l’a vu, l’inscription auprès d’une société de gestion peut difficilement être qualifiée d’exigence contraignante.

[120]   Bref, aucun des arguments avancés par Ré:Sonne au soutien de son interprétation de la Loi ne m’a convaincu que la décision de la Commission était déraisonnable.

4e QUESTION – La Commission a-t-elle commis des erreurs susceptibles de contrôle en fixant des redevances au titre de la rémunération équitable pour l’utilisation d’enregistrements de musique admissibles en accompagnement d’activités physiques autres que les cours de conditionnement physique?

[121]   Comme je l’ai déjà signalé, le Tarif 6.B vise l’utilisation de musique pour accompagner non seulement des cours de conditionnement physique, mais aussi d’autres activités physiques comme le patinage et l’enseignement de la danse. Ré:Sonne s’est relativement peu exprimée dans ses observations sur l’application du Tarif 6.B à des activités autres que les cours de conditionnement physique, sans doute parce que les motifs de contrôle invoqués pour contester ce tarif au regard de ces cours s’appliquaient aussi, à des degrés divers, à ces autres activités. Les défendeurs ont eux aussi été peu loquaces quant à ces facettes du Tarif 6.B. Je peux me montrer tout aussi bref.

[122]   Faisant remarquer qu’on s’était « peu ou pas penché » au cours de la procédure sur l’utilisation de musique enregistrée pour accompagner d’autres formes d’activité physique que les cours de conditionnement physique, la Commission a dit avoir dû utiliser « les meilleures données dont [elle] dispos[ait] » (paragraphe 173).

[123]   La Commission a fixé les redevances en matière d’enseignement de la danse de la même façon qu’elle l’avait fait pour les cours de conditionnement physique (aux paragraphes 174 et 175). Comme les ententes conclues entre la SOCAN et des utilisateurs individuels stipulaient que, pour l’essentiel, les redevances à verser étaient le minimum prévu par le Tarif 19 de la SOCAN, la Commission a recouru à ce montant comme point de départ, puis l’a réduit pour tenir compte de la part de répertoire de Ré:Sonne. Le montant alors obtenu, 23,42 $, devait être payé à Ré:Sonne par chaque établissement comme redevance annuelle forfaitaire pour l’utilisation de musique enregistrée aux fins d’accompagnement des cours de danse et des autres activités physiques visées au Tarif 6.B et pour lesquelles aucun autre taux particulier n’avait été prévu.

[124]   La Commission a établi le montant de redevances applicable au patinage en fonction du tarif 7 de la SOCAN, qui porte uniquement sur cette activité (au paragraphe 176). Elle a utilisé le taux minimal payable en vertu de ce tarif, puis l’a ajusté à la baisse pour tenir compte du pourcentage d’enregistrements admissibles figurant dans le répertoire de Ré:Sonne. Il en est résulté un taux de 0,44 p. 100 des recettes brutes d’entrée, à l’exclusion des taxes de vente et d’amusement, payable chaque année par chaque site de patinage, sous réserve d’un montant minimal de 38,18 $.

[125]   Ré:Sonne a contesté la décision de la Commission concernant les redevances payables relativement au patinage, à l’enseignement de la danse et à d’autres activités physiques, au motif que la Commission avait commis une erreur de droit en restreignant les enregistrements pour lesquels elle pouvait percevoir des redevances à ceux à l’égard desquels des artistes-interprètes ou des producteurs l’avaient autorisée à les représenter. Par les motifs susmentionnés, je rejette cette thèse.

[126]   Puisque tel était le seul motif pour lequel Ré:Sonne a contesté les redevances fixées au Tarif 6.B à l’égard du patinage, cet aspect de la décision de la Commission est maintenu.

[127]   Toutefois, comme la Commission a fixé les redevances relatives à l’enseignement de la danse et aux autres activités physiques sans taux particulier de la même manière qu’elle l’avait fait pour les cours de conditionnement physique, j’annulerais cet aspect du Tarif 6.B pour manquement à l’obligation d’équité procédurale. Cela dit, il ne sera pas nécessaire d’examiner l’allégation de Ré:Sonne selon laquelle le montant des redevances pour ces activités était aussi déraisonnablement peu élevé.

Conclusions

[128]   Par tous les motifs exposés, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire de Ré:Sonne et j’annulerais, en raison du manquement à l’obligation d’équité, la décision de la Commission d’homologuer le Tarif 6.B, dans la mesure où il s’applique aux redevances payables pour l’exécution en public de musique enregistrée pour accompagner les cours de conditionnement physique, l’enseignement de danse et d’autres activités physiques sans taux particulier. Je renverrais aussi l’affaire à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision après que les parties auront eu l’occasion, conformément à l’obligation d’équité, de formuler des observations sur l’à-propos du motif sur lequel la Commission a fondé sa décision.

[129]   Comme Ré:Sonne a été déboutée sur la question tout aussi importante de l’interprétation des lois quant au pourcentage d’enregistrements admissibles sur lequel la Commission devait se fonder pour établir le montant des redevances, je n’adjugerais aucuns dépens.

La juge Trudel, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Webb, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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