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A-47-00

2002 CAF 46

Roger Whitton (appelant)

c.

Le procureur général du Canada (intimé)

Répertorié: Whitton c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d'appel, juges Desjardins, Décary et Noël, J.C.A-- Montréal, 15 janvier; Ottawa, 5 février 2002.

Pensions -- L'appelant a déposé une demande de prestations en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse -- L'admissibilité n'est pas remise en question -- Des chèques de prestations ont été émis par le DRHC au nom de la mère de l'appelant bien qu'elle soit décédée -- Le DRHC a entrepris une enquête interne afin de déterminer comment et par qui les chèques ont été encaissés -- L'appelant n'a pas été informé sur les détails de l'enquête -- Il n'était pas le prestataire des montants qu'il se serait appropriés par la fraude -- Il n'était prestataire qu'à l'égard des prestations qui lui ont été versées en sa qualité de pensionné -- Aucune décision finale n'a été arrêtée quant à l'existence d'une créance de Sa Majesté puisque, apparemment, l'enquête se continue toujours -- Le ministre ne pouvait pas s'appuyer sur les art. 9(5) et 37 de la Loi pour suspendre le service de la pension et opérer compensation.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Mandamus -- L'appelant a demandé qu'un bref de mandamus soit émis à l'encontre du ministre pour qu'il rétablisse le service de la pension due en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et qu'il rembourse l'ensemble des sommes retenues -- L'appelant a été informé que sa prestation était suspendue parce qu'il faisait l'objet d'une enquête concernant l'encaissement des chèques de prestations émis au nom de sa mère décédée -- Le ministère a opéré compensation -- L'appelant avait droit à sa pension -- Le ministre a refusé illégalement de lui payer sa pension -- Le sous-ministre adjoint a refusé à l'appelant le droit de se faire entendre et d'avoir accès au dossier constitué contre lui -- L'enquête n'était apparemment pas terminée -- Les conditions requises pour l'émission d'un mandamus sont remplies -- Le pouvoir du ministre en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse a été exercé de façon si peu conforme aux règles du droit administratif que toute décision de suspension, de refus de paiement ou de compensation prise par le ministre serait à première vue viciée.

Il s'agissait d'un appel d'une décision de la Section de première instance rejetant une demande de contrôle judiciaire priant la Cour d'ordonner au ministère du Développement des ressources humaines Canada de rétablir le service de la pension due à l'appelant en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et de lui rembourser l'ensemble des sommes retenues depuis septembre 1996. En janvier 1989, l'appelant, alors âgé de 65 ans, a déposé une demande de prestations en vertu de la Loi. De septembre 1989 à septembre 1996, il reçoit des prestations de base de la sécurité de la vieillesse auxquelles s'ajoute un supplément de revenu garanti établi en fonction de sa situation familiale et financière. Son admissibilité n'a pas été remise en question. Bien que la mère de l'appelant fût décédée en 1973, des chèques de prestations pour un montant total de 123 388,51 $ avaient été émis en son nom par le ministère et encaissés de juin 1973 à octobre 1993. Le ministère a entrepris une enquête interne afin de déterminer comment et par qui les chèques émis au nom de la personne décédée avaient été encaissés. C'est le 17 septembre 1996 que l'appelant a appris pour la première fois l'existence d'une enquête à son sujet, enquête dont aucun détail ne lui a été révélé. La procureure de l'appelant a mis le ministère en demeure de rétablir immédiatement le versement des prestations. S'appuyant sur les paragraphes 9(5) et 37(2) de la Loi, le ministère répond ne pas pouvoir rétablir les paiements, le dossier de l'appelant faisant toujours l'objet d'une enquête. Le 15 avril 1998, le sous-ministre adjoint du ministère écrit à la procureure de l'appelant pour l'informer que le dossier «fait présentement l'objet d'une enquête administrative». L'appelant a demandé qu'un bref de mandamus soit émis à l'encontre du ministre lui ordonnant de rétablir le service de la pension qui lui est due en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et de lui rembourser l'ensemble des sommes retenues depuis septembre 1996. Le juge Rouleau a rejeté la demande de contrôle judiciaire pour le motif que le recours en mandamus n'était pas la procédure appropriée puisqu'une décision avait déjà été rendue le 15 avril 1998. La question que soulève cet appel est de déterminer si le ministre peut refuser de payer à une personne par ailleurs admissible ses prestations de sécurité de la vieillesse pour le motif qu'il soupçonne cette personne d'avoir encaissé elle-même, frauduleusement, pendant 20 ans, des chèques de prestations payables à l'ordre de sa défunte mère.

Arrêt: l'appel est accueilli.

L'enquête menée par le Ministère a violé à ce point les règles de base du droit administratif que les décisions prises par le ministre à l'encontre de l'appelant seraient à première vue viciées. L'appelant n'était pas le prestataire des montants qu'il se serait appropriés par fraude. Les prestations qu'on lui reproche d'avoir encaissées ne sont pas des prestations qui lui ont été versées. L'appelant n'a jamais prétendu avoir droit aux prestations payables à sa mère et le dossier n'indique pas que l'appelant a utilisé le mécanisme établi par la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour faire établir frauduleusement à son profit un droit à une quelconque prestation. Il n'est prestataire qu'à l'égard des prestations qui lui sont versées en sa qualité de pensionné. Non seulement n'y a-t-il aucun trop-perçu de sa part à leur égard, mais il y a un moins-perçu puisque le ministre a cessé de les lui verser en septembre 1996. Les articles 26 et 27 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse ne s'appliquent pas puisque l'admissibilité de l'appelant est reconnue par le ministre. De même, le ministre ne pouvait pas s'appuyer sur le paragraphe 9(5) et l'article 37 de la Loi pour suspendre le service de la pension et opérer compensation.

Le mandamus est un recours approprié en l'espèce. L'appelant, dont l'admissibilité n'est pas contestée, a le droit de recevoir sa pension. Le ministre, qui avait l'obligation de la lui payer, a illégalement refusé de le faire. Les conditions requises pour l'émission d'un mandamus étaient remplies. La mesure qui s'impose est le rétablissement immédiat du service de la pension et le remboursement avec intérêts des prestations dont le paiement a été suspendu. Même si le ministre avait eu, en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, le pouvoir de faire ce qu'il a fait, ce pouvoir a été exercé en l'espèce d'une manière si peu conforme aux règles du droit administratif que toute décision de suspension, de refus de paiement ou de compensation prise par le ministre serait à première vue viciée. Étant donné que le sous-ministre adjoint a expressément refusé à l'appelant le droit de se faire entendre et d'avoir accès au dossier constitué contre lui, l'enquête a été menée à l'insu de l'appelant. Compte tenu, selon les dires du ministre, que l'enquête se continue toujours, aucune décision finale n'a encore été arrêtée et aucune créance de Sa Majesté justifiant une compensation n'a encore été établie.

lois et règlements

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, art. 9(5), 27.1 (édicté par L.C. 1995, ch. 33, art. 16; 1997, ch. 40, art. 100), 32 (mod. par L.C. 1995, ch. 33, art. 18), 37 (mod. par L.C. 1997, ch. 40, art. 105), 44(1).

Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C., ch. 1246, art. 26 (mod. par DORS/96-521, art. 27, 28), 27 (mod. par DORS/99-193, art. 2).

jurisprudence

distinction faite d'avec:

Brière c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1989] 3 C.F. 88; (1988), 57 D.L.R. (4th) 402; 89 CLLC 14,025; 93 N.R. 115 (C.A.).

décision citée:

Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742; (1993), 18 Admin. L.R. (2d) 122; 51 C.P.R. (3d) 339; 162 N.R. 177 (C.A.).

APPEL d'une décision de la Section de première instance ((1999), 179 F.T.R. 189) qui a rejeté une demande de contrôle judiciaire priant la Cour d'ordonner au ministre du Développement des ressources humaines Canada de rétablir le service de la pension due à l'appelant en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et de lui rembourser l'ensemble des sommes retenues depuis septembre 1996. Appel accueilli.

ont comparu:

Lise Ferland pour l'appelant.

Nadia Hudon pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Ferland, Ouellet, Proulx, Montréal, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]Le juge Décary, J.C.A.: La question que soulève cet appel est de déterminer si le ministre du Développement des ressources humaines Canada (le ministre) peut refuser de payer à une personne par ailleurs admissible ses prestations de sécurité de la vieillesse (les prestations) pour le motif qu'il soupçonne cette personne d'avoir encaissé elle-même, frauduleusement, pendant 20 ans, des chèques émis à titre de prestations, à l'ordre de sa défunte mère. Le sort de l'appel dépendra, en dernière analyse, de l'interprétation du paragraphe 9(5) et de l'article 37 [mod. par L.C. 1997, ch. 40, art. 105] de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, telle qu'amendée (la Loi) et des articles 26 [mod. par DORS/96-521, art. 27, 28] et 27 [mod. par DORS/99-193, art. 2] du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C., 1246, tel qu'amendé (le Règlement).

Les faits

[2]Les faits sont relativement simples. Le 10 janvier 1989, l'appelant, alors âgé de 65 ans, dépose une demande de prestations en vertu de la Loi. De septembre 1989 à septembre 1996, l'appelant reçoit des prestations de base de la sécurité de la vieillesse complétées par un supplément de revenu garanti établi en fonction de sa situation familiale et financière. Son admissibilité n'est pas remise en question dans cet appel (dossier d'appel, pages 40 et 49).

[3]En 1996, dans le cadre d'un projet de vérification des prestations versées à des personnes âgées de 100 ans et plus, le ministère du Développement des ressources humaines Canada (le Ministère) découvre que bien que la mère de l'appelant fut décédée en 1973, des chèques à titre de prestations avaient été émis en son nom par le Ministère et encaissés de juin 1973 à octobre 1993. Le montant des chèques ainsi encaissés était de 123 388,51 $.

[4]Le Ministère entreprend une enquête interne afin de déterminer comment et par qui les chèques émis au nom de Mme Marie Whitton avaient été encaissés. L'enquêteur du Ministère rencontre l'appelant à trois reprises, le 27 mai 1996 et les 3 et 5 juin 1996. Il n'appert pas du dossier que l'appelant ait alors été informé du but précis de ces rencontres. Il a été prié de fournir un certificat de décès de sa mère et un spécimen de sa propre signature, ce qu'il fit. Une note au dossier de l'enquêteur relativement à la rencontre du 5 juin 1996 indique que «en résumé il reconnaît tous les faits au dossier mais depuis le début il refuse de signer quoi que ce soit» (dossier d'appel, pages 53 à 57). Ce même rapport indique qu'il y «avait trois personnes témoins de notre entretien du 3 juin 1996». Dans un affidavit déposé en première instance, l'enquêteur a affirmé que «lors de ces rencontres avec le demandeur, ce dernier a reconnu avoir reçu et encaissé les chèques émis au nom de sa mère» (dossier d'appel, page 62). Aucun des témoins de la rencontre du 3 juin 1996 n'a déposé d'affidavit.

[5]Le 17 septembre 1996, le Ministère informe l'appelant «que nous avons suspendu temporairement vos prestations de la sécurité de la vieillesse puisque votre dossier fait présentement objet d'enquête en rapport au dossier de Mme Marie Whitton» (dossier d'appel, page 36). C'était la première fois, semble-t-il, qu'on informait l'appelant de l'existence d'une enquête à son sujet, enquête dont aucun détail ne lui était par ailleurs révélé.

[6]Le 13 décembre 1996, l'appelant, par sa procureure, conteste cette décision, demande le rétablissement des prestations et demande «une copie intégrale du dossier» (dossier d'appel, page 37). N'ayant point obtenu de réponse, la procureure revient à la charge le 17 mars 1997 dans les termes suivants:

Il nous semble qu'en vertu de la loi, notre client a droit de connaître précisément les motifs menant à la suspension de ses prestations, la durée d'une telle décision et le montant d'un trop-payé si tel est le cas.

De plus, en vertu des règles fondamentales, celui-ci a le droit de se faire entendre. [Dossier d'appel, p. 38.]

[7]Le 2 avril 1997, le Ministère répond à la lettre du 17 mars 1997. Le dossier est toujours sous enquête, disait la lettre, et le Ministère est «présentement à déterminer si des procédures seront prises contre (l'appelant)» (dossier d'appel, page 40). La lettre ajoutait qu'«il ne s'agit pas de réviser la décision initiale en regard à l'admissibilité à la pension de votre client, mais bien d'évaluer son implication à cette présomption de fraude qui se totalise à $123,388.51». L'appelant n'avait pas été informé, jusqu'alors, du montant en jeu.

[8]Le 16 octobre 1997, la procureure de l'appelant s'informe de l'état du dossier (dossier d'appel, page 43) et le 4 novembre 1997, le Ministère répond que le dossier est «toujours sous enquête» (dossier d'appel, page 42).

[9]Le 13 février 1998, la procureure de l'appelant met le Ministère en demeure «de rétablir immédiatement le versement des prestations» (dossier d'appel, page 45).

[10]Le 16 février 1998, le Ministère répond ne pouvoir rétablir les paiements, le dossier de l'appelant étant «toujours sous enquête». Le Ministère dit s'appuyer sur les paragraphes 9(5) et 37(2) de la Loi (dossier d'appel, page 46).

[11]Le 15 avril 1998, le sous-ministre adjoint du Ministère écrit à la procureure de l'appelant (dossier d'appel, pages 48 et 49). Le dossier «fait présentement l'objet d'une enquête administrative», dit-il, ajoutant qu'il «s'agit là de faits publics dont votre client a parfaitement connaissance». La lettre précisait que l'article 37 de la Loi «octroie au Ministre un pouvoir de compensation immédiate» et que le paragraphe 9(5) de la Loi donne au ministre un pouvoir supplémentaire de suspension. Le sous-ministre adjoint refusait par ailleurs la demande d'audition qu'avait faite la procureure en vertu de l'article 27.1 [édicté par L.C. 1995, ch. 33, art. 16; 1997, ch. 40, art. 100] de la Loi, et ce, pour les motifs suivants:

Comme je l'ai souligné, les décisions administratives rendues à ce jour dans ce dossier ne visent pas l'admissibilité de monsieur Whitton aux prestations de sécurité de la vieillesse. Elles visent plutôt à obtenir le recouvrement des sommes que votre client se serait appropriées. Cette mesure est prise par le biais du véhicule juridique qu'est la compensation. Monsieur Whitton n'a alors pas droit à une audition en vertu de cette loi; ce qui ne l'empêche pas de nous faire valoir de (sic) tout fait nouveau qui pourrait rétablir son droit aux prestations.

[12]Le 14 septembre 1998, en réponse à une lettre du 10 septembre 1998 dans laquelle la procureure de l'appelant se disait d'avis qu'il «est plus que temps qu'une décision intervienne» (dossier d'appel, page 50), le Ministère écrit que le dossier est toujours sous enquête «au niveau de la Gendarmerie Royale du Canada» (dossier d'appel, page 51). C'est là la première allusion à une enquête policière qui apparaît au dossier.

[13]Le 21 avril 1999, l'appelant demande, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)], qu'un bref de mandamus soit émis à l'encontre du ministre, ordonnant à ce dernier «de rétablir le service de la pension due au demandeur en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse» et «de rembourser au demandeur [. . .] l'ensemble des sommes retenues depuis septembre 1996 [. . .] avec intérêts» (dossier d'appel, page 22).

[14]Le 31 mai 1999, le Ministère écrit à l'appelant pour l'informer que sa prestation «est suspendue car vous faites présentement l'objet d'une enquête» et que le Ministère opérait compensation. La lettre ajoutait:

Finalement, je note que vous connaissez l'existence de cette dette depuis que vous avez fait des aveux en ce sens. Je note que vous n'avez entrepris aucune démarche afin de voir au remboursement des sommes dues. En conséquence, la compensation qui s'opère depuis la suspension de votre compte, et qui vise au remboursement des sommes défalquées, se fait sans préjudice à l'exercice de tous les droits et recours qui pourraient être entrepris sous peu contre vous. Ce, afin d'obtenir le recouvrement de toutes les sommes qui étaient immédiatement dues dès que vous les aviez perçues sans droit. [Dossier d'appel, page 60.]

[15]Quelque temps en 1999, des procédures de nature pénale sont entreprises contre l'appelant. Ces procédures n'ont pas été mises en preuve, mais elles ont été portées à l'attention du juge de première instance. Il appert que le 10 juin 1999, l'appelant a comparu devant la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, pour répondre à des accusations de fraude et d'emploi de documents contrefaits concernant l'encaissement illégal des chèques de prestations émis au nom de la mère de l'appelant (dossier d'appel, page 74). Ces accusations étaient portées en vertu du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], et non pas en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. L'appelant a plaidé non coupable. L'enquête préliminaire fut fixée en mai 2000.

[16]Le 30 décembre 1999, M. le juge Rouleau rejette la demande de contrôle judiciaire, essentiellement pour le motif que le recours en mandamus n'était pas la procédure appropriée puisqu'une décision avait déjà été rendue le 15 avril 1998. Le juge ajoute, sur le fond du litige, que la décision de suspendre le versement des prestations était justifiée, que la compensation était permise bien que le demandeur n'ait pas été poursuivi en recouvrement d'une créance de Sa Majesté et que l'aveu de l'appelant n'avait pas été contesté. (La décision de première instance est répertoriée sous (1999), 179 F.T.R. 189.)

[17]Le débat devant nous s'est fait sur la base de données factuelles différentes de celles qui avaient été présentées devant le juge Rouleau. L'enjeu est en effet tel pour l'appelant que la Cour a jugé nécessaire d'accepter les preuves supplémentaires que les parties ont voulu lui soumettre.

[18]Ainsi, nous savons aujourd'hui que les accusations portées contre l'appelant ont été retirées le 25 avril 2000, avant même la tenue de l'enquête préliminaire et à la suite d'une conférence préparatoire présidée par le juge Céline Pelletier de la Cour du Québec. L'enquête de la Gendarmerie royale du Canada, selon ce qu'on nous a laissé entendre à l'audience, serait close. Quant à l'enquête administrative, la procureure du Ministère a été incapable de nous dire où elle en était rendue.

[19]Nous savons aussi de façon certaine, grâce à une déclaration assermentée supplémentaire déposée par l'appelant en Cour d'appel et à l'interrogatoire qui s'ensuivit, que l'appelant nie formellement toute implication dans la fraude et affirme n'avoir jamais avoué quoi que ce soit à l'enquêteur du Ministère.

[20]Le Ministère a par ailleurs déposé, par le biais d'un affidavit complémentaire de son enquêteur, les chèques couvrant la période d'octobre 1989 à octobre 1993 qui avaient été émis et encaissés au nom de Mme Marie Whitton. L'enquêteur n'a pas déposé les chèques émis et encaissés entre juin 1973 et octobre 1989.

Les dispositions législatives et réglementaires

[21]Le Ministère s'appuie sur le paragraphe 9(5) et l'article 37 de la Loi et sur les articles 26 et 27 du Règlement. Les articles 32 [mod. par L.C. 1995, ch. 33, art. 18] et 44 de la Loi sont aussi pertinents. Je reproduis ci-après la version actuellement en vigueur de ces dispositions. Leur texte a été modifié à quelques reprises depuis le début de l'enquête, en 1996--voir, en ce qui concerne la Loi, L.C. 1995, ch. 33, art. 23 et L.C. 1997, ch. 40, art. 105, et en ce qui concerne le Règlement, C.R.C., ch. 1246, DORS/96-521, art. 14 du 5 décembre 1996 et DORS/99-193, art. 2 du 22 avril 1999. Ces dispositions se lisent comme suit:

Loi sur la sécurité de la vieillesse

Service de la pension

[. . .]

9. (1) [. . .]

(5) Le service de la pension peut aussi être suspendu en cas de manquement aux dispositions de la présente loi ou de ses règlements; il ne peut alors reprendre qu'après observation, par le pensionné, de ces dispositions.

[. . .]

32. S'il est convaincu qu'une personne s'est vu refuser tout ou partie d'une prestation à laquelle elle avait droit par suite d'un avis erroné ou d'une erreur administrative survenus dans le cadre de la présente loi, le ministre prend les mesures qu'il juge de nature à replacer l'intéressé dans la situation où il serait s'il n'y avait pas eu faute de l'administration.

[. . .]

Prestations

[. . .]

37. (1) Le trop-perçu -- qu'il s'agisse d'un excédent ou d'une prestation à laquelle on n'a pas droit -- doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque.

(2) Les prestations reçues et auxquelles le prestataire n'a pas droit en tout ou en partie constituent des créances de Sa Majesté, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, ou de la façon prévue par la présente loi.

(2.1) Ces prestations peuvent en outre être déduites, de la façon réglementaire, des sommes qui sont éventuellement payables au prestataire ou à sa succession en vertu de la présente loi ou de toute autre loi ou tout programme dont la gestion est confiée au ministre.

(2.2) La totalité ou une partie de la créance qui n'a pas été recouvrée peut être certifiée par le ministre immédiatement, s'il est d'avis que le débiteur tente de se soustraire au paiement, ou trente jours après le défaut, dans les autres cas.

(2.3) Le certificat peut être homologué à la Cour fédérale; dès lors, toute procédure d'exécution peut être engagée, le certificat étant assimilé à un jugement de cette juridiction obtenu contre le débiteur en cause pour une dette correspondant au montant indiqué dans le certificat.

[. . . ]

Infractions et peines

44. (1) Commet une infraction punissable par procédure sommaire quiconque:

a) fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse--y compris par la non-révélation de certains faits--dans l'une des demandes ou déclarations prévues par la présente loi, ou obtient le service d'une prestation par de faux-semblants;

b) en tant que preneur d'un chèque, négocie ou tente de le négocier alors qu'il n'y a pas droit.

Règlement sur la sécurité de la vieillesse

Suspension des versements

26. (1) Le ministre doit suspendre le versement d'une prestation à l'égard de tout prestataire lorsqu'il lui semble que le prestataire n'est pas admissible au versement de la prestation et il peut en suspendre le versement lorsqu'une plus ample enquête sur l'admissibilité du prestataire lui paraît nécessaire. Une telle suspension courra jusqu'à ce que le ministre ait reçu des preuves satisfaisantes démontrant que le prestataire est admissible à la prestation.

(2) Lorsque reprend le versement d'une prestation qui avait été suspendue en vertu du paragraphe (1), le ministre doit faire verser la prestation pour toute partie de la période de suspension pendant laquelle le prestataire était admissible à la prestation.

Recouvrement des plus-payés

27. Pour l'application du paragraphe 37(2.1) de la Loi, le montant dû par le prestataire ou sa succession peut être recouvré en une ou plusieurs déductions effectuées sur la totalité ou une partie de toute prestation payable au prestataire ou à sa succession en vertu de la Loi ou de toute autre loi ou tout programme dont la gestion est confiée au ministre, d'un montant qui ne met pas le prestataire ou sa succession dans une situation difficile.

L'analyse

[22]Il est deux manières d'aborder cette affaire: l'une, que propose l'appelant, qui veut que la fraude commise en l'espèce à l'égard des prestations payées à la mère doive être traitée en dehors du contexte de la Loi sur la sécurité de la vieillesse; l'autre, que propose le Ministère, qui veut que le ministre puisse s'appuyer sur les pouvoirs que lui confère cette Loi pour suspendre le paiement des prestations à l'appelant.

[23]J'en suis venu à la conclusion que l'approche suggérée par l'appelant est la bonne et que même s'il fallait adopter celle suggérée par le ministre, l'enquête menée par le Ministère en l'espèce l'a été à ce point en violation des règles de base du droit administratif que les décisions prises par le ministre à l'encontre de l'appelant seraient viciées à leur face même.

1. La suspension

[24]En vertu du paragraphe 9(5) de la Loi, le service de la pension peut être suspendu «en cas de manquement aux dispositions de la présente loi ou de ses règlements». Le texte anglais ne laisse aucun doute que ce manquement est celui du pensionné lui-même et la seconde partie du texte français mène à cette seule conclusion. Par ailleurs, cette suspension n'est pas permise si le manquement reproché au pensionné a trait à une loi autre que la Loi sur la sécurité de la vieillesse telle, par exemple, le Code criminel. Le Ministère soutient qu'il y a manquement à l'article 37 de la Loi, lequel vise le trop-perçu. Nous verrons plus loin que cet article n'est pas applicable. Aucune autre disposition de la Loi n'a été invoquée par le Ministère. Je note que, selon l'alinéa 44(1)b) de la Loi, commet une infraction le preneur (the payee) d'un chèque qui le négocie alors qu'il n'y a pas droit. Si le législateur avait voulu que la négociation frauduleuse d'un chèque par une personne autre que le preneur constitue une infraction à la Loi, il se serait exprimé autrement.

[25]En vertu de l'article 26 du Règlement, la suspension est obligatoire lorsqu'il semble au ministre que le prestataire n'est pas admissible, et facultative «lorsqu'une plus ample enquête sur l'admissibilité du prestataire lui paraît nécessaire». Cet article ne s'applique pas en l'espèce puisque l'admissibilité de l'appelant est reconnue par le ministre. Je note, en passant, qu'en vertu de cet article, la suspension facultative dure ce que dure l'enquête et que si le versement des prestations reprend, ce versement est rétroactif.

2. La compensation

[26]L'article 37 de la Loi, sur lequel s'appuie le ministre, traite de la restitution du «trop-perçu--qu'il s'agisse d'un excédent ou d'une prestation à laquelle on n'a pas droit». Ce sont «les prestations reçues et auxquelles le prestataire n'a pas droit» qui «constituent des créances de Sa Majesté» et «dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, ou de la façon prévue par la présente loi». C'est ce trop-perçu qui peut-être déduit, «de la façon réglementaire», de toute autre somme payable au prestataire.

[27]Or, l'appelant n'est pas le prestataire des montants qu'il se serait appropriés par fraude. Les prestations qu'on lui reproche d'avoir encaissées ne sont pas des prestations qui lui ont été versées. L'appelant n'a jamais prétendu avoir droit aux prestations payables à sa mère et le dossier n'indique pas que l'appelant ait utilisé le mécanisme établi par la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour faire établir frauduleusement à son profit un droit à une quelconque prestation. L'appelant, à toutes fins utiles, est soupçonné d'avoir encaissé des prestations payables à tort à sa mère. Il n'est pas plus accusé en tant que prestataire que ne serait accusée en tant que salariée une personne à laquelle on reprocherait de s'être appropriée le salaire d'un employé. L'appelant n'est prestataire qu'à l'égard des prestations qui lui sont versées en sa qualité de pensionné, et non seulement n'y a-t-il aucun trop-perçu de sa part à leur égard, mais y a-t-il un moins-perçu puisque le ministre a cessé de les lui verser, en septembre 1996.

[28]Le Ministère a cherché appui dans l'arrêt rendu par cette Cour dans Brière c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1989] 3 C.F. 88 (C.A.). Dans Brière, ce dernier avait, sous de faux noms, demandé et obtenu des prestations en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, ch. 48]. Il avait par ailleurs plaidé coupable, en Cour des Sessions de la Paix, à une accusation de fraude. La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada lui a expédié un avis de trop-perçu de prestations, mais à une mauvaise adresse. La Commission procéda ensuite à une saisie de salaire. Brière prétendit que la saisie était invalide. La Cour était appelée à décider si la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage s'appliquait et, le cas échéant, s'il y avait eu «notification» à Brière au sens de la Loi.

[29]Sur le premier point, le seul qui nous intéresse ici, la Cour a conclu, à l'unanimité, que la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage trouvait application. Je retiens les paragraphes suivants des motifs du juge Marceau, J.C.A. (dissident), au pages 98 et 99 et du juge Lacombe, J.C.A. (pour la majorité), aux pages 111 et 112:

Je dois même dire pour ma part que je me suis demandé un moment s'il ne fallait pas reconnaître que la saisie-arrêt était illégale au motif que, dans les circonstances de l'espèce, la Commission n'était pas autorisée à recourir, pour récupérer son dû, aux dispositions exorbitantes du droit commun que contient cette Loi spéciale pour l'administration de laquelle des prérogatives spéciales lui ont été accordées. N'était-ce pas seulement lorsqu'elle avait affaire à un prestataire ou un ancien prestataire en vertu de la Loi que la Commission pouvait utiliser ses pouvoirs extraordinaires? Je n'hésite plus maintenant car il me semble que s'il est vrai que l'intimé n'a jamais été ouvertement prestataire, il a néanmoins touché lui-même des argents versés au titre de prestations et on ne pourrait contester à la Commission le droit de considérer qu'il a été ainsi prestataire sous des noms d'emprunt. Il faut voir en effet que la situation de Brière participe à la fois de celle du voleur qui détourne à son profit des fonds de la Commission et de celle du prestataire qui se fait attribuer des prestations auxquelles il n'a pas droit en faisant, sur sa condition et ses activités, des déclarations erronées. Cette situation hybride donnait à la Commission, pour l'exercice de sa créance, un choix entre le recours aux tribunaux civils de droit commun, le seul, incidemment, qui lui soit ouvert dans le cas pur et simple de détournement de fonds, et le recours aux dispositions spéciales de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, que le Parlement a prévues pour les cas de trop-perçus par des prestataires suite à des déclarations erronées [. . .]

[. . .]

Selon l'alinéa 2(1)b) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art 26] de la Loi, un prestataire est défini comme «une personne qui demande ou qui a demandé des prestations en vertu de la présente loi». Il est indéniable que dans la période du 1er octobre 1974 au 15 mars 1976, même s'il l'a fait sous de faux noms, l'intimé a demandé des prestations en vertu de la Loi, et c'est en vertu de cette même Loi que la Commission lui a versé des sommes qui ne pouvaient être autre chose que des prestations d'assurance-chômage. Pour soutirer ainsi des prestations de la Commission, l'intimé a présenté des réclamations fictives au nom de prestataires qui n'existaient pas. Pour réussir à frauder la Commission pendant toute cette période, il a dû faire autant de déclarations ou représentations fausses et trompeuses qu'il a touché de prestations comme tout autre «faux» chômeur qui en son nom réclame frauduleusement des prestations auxquelles il n'a pas droit, en déclarant faussement et de propos délibéré avoir été en situation de chômage, alors qu'il ne l'était pas. Le cas est nettement visé par les paragraphes 57(6) et 49(4) de la Loi qui donnent à la Commission des délais additionnels de trente-six mois chacun pour réexaminer les demandes et poursuivre le remboursement de prestations qui originent de déclarations ou représentations fausses ou trompeuses. Ainsi donc, dès lors qu'il s'agit pour la Commission de procéder en vue du recouvrement de sommes qu'on lui a subtilisées et qu'elle a versées au titre de prestations d'assurance-chômage, quelqu'ait pu être la nature des manoeuvres frauduleuses utilisées pour les obtenir ou la gravité des déclarations ou représentations fausses ou trompeuses faites pour les extorquer, il lui est loisible d'avoir recours à la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. C'est d'ailleurs de cette façon que la Commission a procédé contre l'intimé. Elle l'a considéré comme un prestataire et lui a réclamé le solde de ce qu'il lui était dû en se servant des mécanismes prévus à la Loi. Il ne saurait faire de doute que la Commission pouvait, dans les circonstances, se prévaloir de cette Loi. [Mon soulignement.]

[30]Cet arrêt, à sa face même, n'a pas la portée que lui attribue la procureure du Ministère. Dans Brière, les prestations avaient été établies au profit de Brière, sur demande de ce dernier, et elles lui avaient été versées en sa qualité ostensible de prestataire et de la manière prévue par la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. C'est lui-même qui avait encaissé les chèques émis en son nom à titre de prestataire.

[31]L'escroquerie de Brière avait été mise à jour par des enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada, qui signèrent en cour criminelle des dénonciations rattachées au Code criminel. Brière plaida coupable et fut condamné, entre autres, à rembourser à la Commission une somme de 15 000 $. Une fois les procédures criminelles terminées, la Commission décida de récupérer au complet les sommes (de quelque 35 000 $) dont elle avait été fraudée. Elle annula rétroactivement, comme la Loi le lui permettait, les périodes de prestations fictives dont Brière avait frauduleusement profité. L'effet de cette décision était de confirmer officiellement que les sommes en question constituaient un «trop-payé» sujet à remboursement. La Commission adressa alors un avis postal à Brière le notifiant du solde restant dû sur ce trop-payé. Cet avis n'ayant aucune suite, la Commission décida de saisir le salaire de Brière, utilisant le pouvoir spécial que lui conférait la Loi de saisir en main tierce sans ordre de cour.

[32]Bref, tout, dans Brière, de l'établissement des prestations à l'avis de trop-payé avait été fait en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, et ce en relation avec des prestations établies au profit du fraudeur lui-même, lequel, par surcroît, avait avoué son crime.

[33]Rien de tel, en l'espèce, où, pour reprendre cette heureuse formulation du juge Marceau dans Brière, nous ne sommes pas en présence d'une «situation hybride». Pis encore, il n'y a ici, à ce stade, aucun «voleur» qu'on puisse légalement qualifier de tel, et aucun «prestataire» qui se soit fait attribuer à ce titre en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse les prestations en cause dans le présent litige.

[34]L'article 37 de la Loi n'étant pas applicable en l'espèce, il va de soi que l'article 27 du Règlement, dans sa forme actuelle ou antérieure, ne saurait l'être davantage.

[35]J'en arrive ainsi à la conclusion que le ministre ne pouvait, dans les circonstances de cette affaire, s'appuyer sur le paragraphe 9(5) et l'article 37 de la Loi pour suspendre le service de la pension et opérer compensation.

3. Le mandamus

[36]Le mandamus est un recours approprié en l'espèce. L'appelant, dont l'admissibilité n'est pas contestée, a droit de recevoir sa pension. Le ministre, qui a l'obligation de la lui payer, refuse illégalement de le faire. Les conditions requises pour l'émission d'un mandamus sont rencontrées (voir Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), à la page 766 et ss.). Le Ministère prétend que l'appelant aurait dû, plutôt, contester la décision de suspension prise par le ministre dès septembre 1996, ou encore celle de compensation prise en avril 1998. Même dans l'hypothèse où il eût alors été possible d'attaquer avec succès ces décisions, le fait demeure qu'aujourd'hui, le droit de l'appelant subsiste, l'obligation du ministre existe, le ministre refuse de l'exécuter, et le moyen le plus rapide et le plus sûr dont dispose l'appelant est le mandamus.

[37]Je me référerai, en terminant sur ce point, à l'article 32 de la Loi, dont le texte a été reproduit ci-haut. Le ministre, à l'heure actuelle, ne peut qu'être convaincu que l'appelant s'est vu refuser des prestations auxquelles il avait droit par suite d'un avis erroné. Il doit prendre les mesures qui s'imposent pour replacer l'appelant dans la situation où il serait s'il n'y avait pas eu faute de l'administration. La mesure qui s'impose est le rétablissement immédiat du service de la pension et le remboursement avec intérêts des prestations dont le paiement avait été suspendu.

L'enquête

[38]J'ajouterai que même dans l'hypothèse où le ministre aurait eu, en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, le pouvoir de faire ce qu'il a fait, ce pouvoir a été exercé en l'espèce d'une manière si peu conforme aux règles du droit administratif que toute décision de suspension, de refus de paiement ou de compensation prise par le ministre serait viciée à sa face même.

[39]Force est en effet de conclure, à la lumière de la preuve dont nous disposons, que l'enquête a été menée à toutes fins utiles à l'insu de l'appelant, le sous-ministre adjoint ayant même expressément refusé à ce dernier le droit de se faire entendre et d'avoir accès au dossier constitué contre lui. Force aussi est de conclure que, puisque l'enquête administrative se continue toujours selon les dires du ministre, aucune décision finale ne peut avoir encore été arrêtée, aucune créance de Sa Majesté encore établie ni aucune compensation encore effectuée.

[40]Si, au contraire, le ministre est d'avis, malgré ses dires, que l'enquête est terminée et la décision prise, cette décision n'a toujours pas été communiquée à l'appelant, ce dernier ignore ce sur quoi elle se fonde et il n'est d'aucune façon en mesure de l'attaquer même si elle est de toute évidence viciée.

Dispositif

[41]Pour ces motifs, je serais d'avis d'accueillir l'appel, d'infirmer la décision du juge de première instance et d'accueillir la demande d'émission d'un bref de mandamus. J'ordonnerais au ministre du Développement des ressources humaines Canada de rétablir immédiatement le service de la pension payable à l'appelant et de rembourser avec intérêts le montant des prestations dont l'appelant a été privé depuis septembre 1996. Le tout avec dépens en faveur de l'appelant en première instance et en appel.

Le juge Desjardins, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Noël, J.C.A.: Je suis d'accord.

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