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A-711-00

2002 CAF 89

Mizanur Rahaman (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)

Répertorié: Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, Evans et Malone, J.C.A.-- Montréal, 23 janvier; Ottawa, 1er mars 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Réfugiés au sens de la Convention -- Appel du rejet d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'égard de la décision de la CISR de rejeter la revendication de l'appelant -- La CISR avait un problème quant à la crédibilité générale de l'appelant; sans plus d'explications, elle a conclu que la revendication n'avait pas un minimum de fondement -- En vertu de l'art. 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, si la section du statut de réfugié estime qu'il n'a été présenté aucun élément de preuve crédible sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître à l'intéressé ce statut, sa décision sur la revendication doit faire état de l'absence de minimum de fondement -- L'arrêt Sheikh c. Canada énonce le critère de l'«absence de minimum de fondement» prévu à l'art. 46.01(6) avant l'abrogation de cette disposition -- Il énonce que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à la persécution est celle que ce dernier fournit lui-même, la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande -- Décisions où on applique l'interprétation donnée dans Sheikh au critère d'«absence de minimum de fondement» prévu à l'art. 69.1(9.1) -- On note que dans les cas où il y a une preuve documentaire indépendante et crédible, la CISR ne peut conclure à l'«absence de minimum de fondement» -- Il n'y a aucune raison de reconsidérer la jurisprudence -- Les droits limités conférés par la Loi sur l'immigration aux revendicateurs dont la revendication a été considérée comme n'ayant pas un minimum de fondement ne sont pas incompatibles avec les normes internationales -- Réponse à la question certifiée: la question de savoir si une conclusion qu'un revendicateur du statut de réfugié n'est pas un témoin crédible entraîne l'application de l'art. 69.1(9.1) dépend d'une évaluation de tous les témoignages et documents produits en preuve; s'il n'y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel les membres de la Commission aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur, une conclusion que ce dernier n'était pas un témoin crédible justifiera la conclusion d'absence de minimum de fondement.

Interprétation des lois -- En vertu de l'art. 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, si la section du statut de réfugié estime qu'il n'a été présenté aucun élément de preuve crédible sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître à l'intéressé ce statut, sa décision sur la revendication doit faire état de l'absence de minimum de fondement -- Le critère de l'«absence de minimum de fondement» est apparu pour la première fois à l'art. 46.01(6), mais il a été abandonné au moment où l'art. 69.1(9.1) a été adopté -- Interprété dans Sheikh c. Canada -- L'expression «absence de minimum de fondement» employée à l'art. 69.1(9.1) a ensuite été interprétée en conformité avec l'arrêt Sheikh: le minimum de fondement et la crédibilité ne sont pas identiques, mais ils sont clairement reliés -- On note que dans les cas où il y a une preuve documentaire indépendante et crédible, la CISR ne peut conclure à l'«absence de minimum de fondement» -- Il n'y a aucune raison de reconsidérer la jurisprudence parce que: 1) le fait qu'une expression ne figurait pas dans des dispositions en vigueur en même temps n'affaiblit pas la présomption selon laquelle lorsqu'une expression est employée plus d'une fois dans une loi, elle est censée avoir le même sens partout dans cette loi; 2) la Cour a déjà considéré que l'interprétation donnée dans l'arrêt Sheikh à l'expression «absence de minimum de fondement» s'appliquait à l'art. 69.1(9.1); 3) Dans l'arrêt Sheikh, on déclare explicitement que la Commission doit prendre en considération tous les éléments de preuve qui lui sont présentés; 4) les conséquences négatives doivent être considérées dans leur contexte, c'est-à-dire qu'il existe toujours des mesures de protection contre le renvoi des personnes qui sont susceptibles d'être persécutées.

Droit international -- Les droits limités conférés par la Loi sur l'immigration aux revendicateurs dont la revendication a été considérée comme n'ayant pas un minimum de fondement ne sont pas incompatibles avec les normes internationales -- Vu que le droit international est imprécis sur la question de savoir si une revendication qui n'a pas un minimum de fondement au sens de l'art. 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration est également manifestement non fondée, il n'est pas nécessaire de décider si cette disposition devrait être interprétée de manière à englober uniquement les revendications qui sont manifestement non fondées ou clairement abusives.

Il s'agit d'un appel du rejet d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'égard de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de rejeter la revendication de l'appelant. La Commission avait un problème quant à la crédibilité générale de l'appelant et, sans plus d'explications, elle a aussi conclu que la revendication de l'appelant n'avait pas un minimum de fondement au sens du paragraphe 69.1(9.1). Cette disposition prévoit que si la section du statut de réfugié estime qu'il n'a été présenté aucun élément de preuve crédible sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître à l'intéressé ce statut, sa décision sur la revendication doit faire état de l'absence de minimum de fondement. Une conclusion d'«absence de minimum de fondement» a principalement pour effet de faire en sorte que le revendicateur débouté n'a pas le droit de demander la permission de demeurer au Canada à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) et qu'il risque d'être renvoyé du Canada sept jours après que la mesure de renvoi est devenue exécutoire. Relativement à la demande de contrôle judiciaire, le juge Teitelbaum a conclu que la Commission n'avait pas été déraisonnable en considérant que la revendication de l'appelant n'était pas crédible. Il a aussi considéré que la Commission avait fondé sa conclusion d'«absence de minimum de fondement» principalement sur le manque de crédibilité de l'appelant. Le juge Teitelbaum a certifié la question suivante: Une simple conclusion qu'un revendicateur du statut de réfugié n'est pas un témoin crédible suffit-elle à entraîner l'application du paragraphe 69.1(9.1)?

Arrêt: l'appel est rejeté.

Le critère de l'«absence de minimum de fondement» se trouvait à l'origine au paragraphe 46.01(6). Il devait servir à déterminer si une revendication du statut de réfugié pouvait être éliminée à l'étape préliminaire d'un processus de détermination comportant deux étapes. Il a été abandonné en 1993 au moment où le paragraphe 69.1(9.1) a été ajouté à la Loi, lequel confère au critère de l'«absence de minimum de fondement» une nouvelle fonction dans le cadre du régime prévu par la loi: restreindre les droits que les revendicateurs déboutés peuvent exercer après qu'on a conclu que leur revendication n'est étayée par aucun élément de preuve crédible. L'arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.) énonce que le concept des «éléments crédibles» contenu au paragraphe 46.01(6) et celui de la crédibilité du demandeur sont deux choses différentes, mais que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même, la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande. L'expression «absence de minimum de fondement» employée au paragraphe 69.1(9.1) a été interprétée en conformité avec l'arrêt Sheikh. Certains juges ont indiqué qu'en raison de la modification apportée à la Loi, l'arrêt Sheikh ne devrait pas être interprété de manière libérale de façon à dégager la Commission de l'obligation de fonder une conclusion d'«absence de minimum de fondement» sur tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés. On a jugé que dans les cas où il y a une preuve documentaire indépendante et crédible, la Commission ne peut conclure à l'«absence de minimum de fondement». La seule réserve apportée à cet énoncé est la suivante: pour empêcher une conclusion d'«absence de minimum de fondement», il faut que la preuve documentaire indépendante et crédible puisse étayer une reconnaissance du statut de réfugié. La jurisprudence est donc tout à fait à l'opposé de la position de l'appelant selon laquelle la Commission ne peut conclure à l'«absence de minimum de fondement» si la revendication est fondée sur un motif prévu par la Convention et qu'il est démontré que de la persécution de la nature de celle qui est alléguée est survenue dans le pays en cause. L'appelant soutient néanmoins que la jurisprudence devrait être reconsidérée parce qu'elle n'est pas conforme à l'intention du législateur, selon laquelle une conclusion d'«absence de minimum de fondement» ne devrait être réservée qu'aux cas où la revendication est si dénuée de fondement qu'elle constitue une utilisation abusive du processus de détermination du statut de réfugié. Cet argument doit être rejeté pour plusieurs motifs. Premièrement, lorsqu'un mot ou une expression est employé plus d'une fois dans une loi, on présume qu'il a le même sens partout dans cette loi. Cette présomption est particulièrement convaincante quand, comme c'est le cas en l'espèce, l'expression fait partie d'un texte plus long, et que cette expression et ce texte figurent dans des dispositions différentes de la loi. Le fait que l'expression «absence de minimum de fondement» ne figurait pas dans des dispositions de la Loi sur l'immigration qui étaient en vigueur en même temps n'affaiblit pas la présomption de manière significative. Deuxièmement, la Cour a considéré que l'interprétation donnée dans l'arrêt Sheikh à l'expression «absence de minimum de fondement» qui était employée au paragraphe 46.01(6) s'appliquait également à la même expression employée au paragraphe 69.1(9.1). Une interprétation bien établie d'une disposition législative ne devrait être écartée que dans des circonstances exceptionnelles. Troisièmement, l'arrêt Sheikh n'assimile pas la conclusion d'«absence de minimum de fondement» à une conclusion selon laquelle le témoignage du revendicateur n'est pas crédible. La Cour déclare explicitement dans cet arrêt que la Commission doit prendre en considération tous les éléments de preuve qui lui sont présentés. En outre, le paragraphe 69.1(9.1) prévoit que la Commission ne peut conclure à l'«absence de minimum de fondement» que s'il n'a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel le commissaire aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur. Quatrièmement, les conséquences négatives doivent être considérées dans leur contexte. Bien qu'une conclusion d'«absence de minimum de fondement» expose l'intéressé à un renvoi relativement rapide, ce renvoi peut, dans les faits, être retardé. Il existe des mesures de protection juridiques et administratives contre le renvoi des personnes qui sont susceptibles d'être persécutées si elle sont refoulées.

L'appelant soutient qu'on devrait conclure à l'absence de minimum de fondement d'une revendication seulement si celle-ci est «manifestement non fondée» ou «manifestement infondée». Ce critère est celui qui est employé dans des instruments internationaux pour identifier les revendications qui peuvent être rejetées par l'application d'une procédure de détermination plus simple que celle normalement applicable aux revendications du statut de réfugié, et les revendicateurs déboutés dont les droits peuvent être limités afin d'accélérer leur renvoi. Il ne fait aucun doute que les normes internationales font partie du contexte dans lequel les lois nationales doivent être interprétées, même si ces normes n'ont pas été incorporées au droit canadien par une loi. Le poids à accorder aux normes internationales qui n'ont pas été incorporées au droit canadien par une loi dépendra de toutes les circonstances de l'affaire, notamment de l'autorité de la source de ces normes, de leur spécificité et, pour ce qui est du droit international coutumier, de l'uniformité de la pratique de l'État. En outre, le législateur est l'ultime source de droit dans notre système juridique et gouvernemental, bien qu'il soit assujetti à des restrictions imposées par les lois constitutionnelles. En conséquence, les normes internationales qui ne sont pas incorporées au droit canadien et qui sont incompatibles avec les dispositions claires d'une loi ne peuvent avoir d'effet au Canada.

Il existe une norme internationale selon laquelle les États signataires de la Convention de Genève devraient normalement permettre aux revendicateurs du statut de réfugié de demeurer sur leur territoire jusqu'à ce qu'ils aient épuisé leur droit d'appel ou de révision. C'est aussi ce que prévoit l'alinéa 49(1)c) de la Loi sur l'immigration. Il est toutefois également reconnu dans les instruments internationaux que les États peuvent déroger à la règle normale en conférant des droits d'appel et de révision plus limités aux revendicateurs déboutés dont la revendication a été considérée comme étant «manifestement non fondée» ou «manifestement infondée». Les droits limités conférés par la Loi sur l'immigration aux revendicateurs dont la revendication a été considérée comme n'ayant pas un minimum de fondement ne sont pas incompatibles avec les normes internationales. Ces revendicateurs peuvent présenter une demande de contrôle judiciaire et demander à la Cour d'ordonner un sursis jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur demande, et ceux qui courent un grave danger dans leur pays d'origine ne seront pas renvoyés. Un problème surgit cependant si une telle revendication n'est pas «manifestement non fondée» ou «manifestement infondée», selon le sens attribué habituellement à ces expressions par la communauté internationale. Une personne dont la revendication n'est pas «manifestement non fondée» devrait être autorisée à demeurer dans le pays où elle s'est réfugiée jusqu'à ce qu'une décision soit rendue relativement à l'appel ou au contrôle visant le rejet de sa revendication.

Compte tenu des documents examinés, il n'est pas possible de conclure qu'il existe une norme internationale générale définissant ce qu'est une demande manifestement non fondée ou abusive qui exclurait une revendication qui n'a pas un minimum de fondement, au sens de l'arrêt Sheikh. À cet égard, sous le régime du droit canadien, tous les revendicateurs admissibles qui se trouvent au Canada ont droit à une audience complète devant un tribunal administratif indépendant ayant un pouvoir décisionnel, et une conclusion d'«absence de minimum de fondement» est rendue seulement sur la base de cette procédure.

Comme le droit international est imprécis sur la question de savoir si une revendication qui n'a pas un minimum de fondement au sens du paragraphe 69.1(9.1) est également manifestement non fondée, il n'est pas nécessaire de décider si cette disposition devrait être interprétée de manière à englober uniquement les revendications qui sont manifestement non fondées ou clairement abusives.

La Commission ne devrait pas systématiquement statuer qu'une revendication n'a pas un minimum de fondement lorsqu'elle conclut que le revendicateur n'est pas un témoin crédible. La Commission doit, suivant le paragraphe 69.1(9.1), examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l'absence de minimum de fondement seulement s'il n'y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur. La Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a statué que la revendication de l'appelant n'avait pas un minimum de fondement.

La Cour répond ce qui suit à la question certifiée: la question de savoir si une conclusion qu'un revendicateur du statut de réfugié n'est pas un témoin crédible entraîne l'application du paragraphe 69.1(9.1) dépend d'une évaluation de tous les témoignages et documents produits en preuve. S'il n'y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel chacun des membres de la Commission aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur, une conclusion que ce dernier n'était pas un témoin crédible justifiera la conclusion d'absence de minimum de fondement.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 35.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 46.01(6) (édicté par L.R.C. (1985) (4suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36), 49 (mod., idem, art. 41), 69.1(9.1) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 60), 83(1) (mod., idem, art. 73), 114(2) (mod., idem, art. 102).

Protocole des Nations Unies relatif au statut des réfugiés, 31 janvier 1967, [1969] R.T. Can. no 29.

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) «demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada» (mod. par DORS/93-44, art. 1), 11.4(1) (édicté, idem, art. 10; 93-412, art. 6).

Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration, DORS/93-22, règle 22.

jurisprudence

décisions appliquées:

Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238; (1990), 71 D.L.R. (4th) 604; 11 Imm. L.R. (2d) 81; 112 N.R. 61 (C.A.); Mathiyabaranam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 156 D.L.R. (4th) 301; 41 Imm. L.R. (2d) 197; 221 N.R. 351 (C.A.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2002), 208 D.L.R.. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1 (C.S.C.); Foyet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 187 F.T.R. 181 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 607 (1re inst.) (QL); Nizeyimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2001) 204 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.); Geng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 275; [2001] A.C.F. no 488 (1re inst.) (QL); Barua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1744 (1re inst.) (QL); Tingombay c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 752; [2001] A.C.F. no 1146 (1re inst.) (QL).

doctrine

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l'immigration: Traitement des demandes au Canada (IP), chapitre IP-5, Ottawa: Centre d'information d'Immigration Canada, 2001.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

Goodwin-Gill, Guy S. The Refugee in International Law, 2nd ed. Oxford: Clarendon Press, 1996.

Hathaway, James C. and Anne K. Cusick «Refugee Rights are not Negotiable» (2000), Geo. Imm. L.J. 481.

Nations Unies. Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, réédition janvier 1992.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

APPEL du rejet ([2000] A.C.F. no 1800 (1re inst.) (QL)) de la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de rejeter la revendication de l'appelant après avoir conclu qu'elle avait un problème quant à sa crédibilité et après avoir également conclu, sans plus d'explications, que cette revendication n'avait pas un minimum de fondement au sens du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration. Appel rejeté.

ont comparu:

Pia Zambelli pour l'appelant.

Jocelyne Murphy pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Pia Zambelli, Montréal, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A.:

A. INTRODUCTION

[1]Le 18 février 1999, Mizanur Rahaman, un citoyen du Bangladesh âgé de 26 ans, s'est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La Commission a conclu également que la revendication n'avait pas un minimum de fondement au sens du paragraphe 69.1(9.1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 60] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]Une conclusion d'«absence de minimum de fondement» a principalement pour effet de faire en sorte que le revendicateur débouté n'a pas le droit de demander la permission de demeurer au Canada à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) et qu'il risque d'être renvoyé du Canada sept jours après que la mesure de renvoi est devenue exécutoire.

[3]Il s'agit en l'espèce d'un appel interjeté par M. Rahaman relativement à une décision rendue le 2 novembre 2000 [[2000] A.C.F. no 1800 (1re inst.) (QL)] qui rejetait une demande de contrôle judiciaire visant le refus de la Commission de lui reconnaître le statut de réfugié et la conclusion d'«absence de minimum de fondement». Le principal point qu'il faut trancher est contenu dans la question que le juge Teitelbaum, qui a statué sur la demande, a certifié en application du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] [au paragraphe 73]:

Une simple conclusion qu'un revendicateur du statut de réfugié n'est pas un témoin crédible suffit-elle à entraîner l'application du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration?

L'avocate de M. Rahaman a limité l'appel à la conclusion d'«absence de minimum de fondement» de la Commission; le rejet de la demande visant à faire annuler le refus de la Commission de reconnaître le statut de réfugié à l'appelant ne fait pas l'objet du présent appel.

B. DÉCISION DE LA COMMISSION

[4]Dans les observations qu'il a présentées à la Commission, M. Rahaman prétendait que, à cause de son appartenance à la section jeunesse (JJD) du Parti nationaliste du Bangladesh (PNB) et de ses activités au sein de celle-ci, il craignait avec raison d'être persécuté au Bangladesh du fait de ses opinions politiques.

[5]Il alléguait plus particulièrement qu'il avait été battu à plusieurs reprises par des sympathisants de la Ligue Awami et du Parti Jatiya, qui sont des partis rivaux du PNB, lorsqu'il avait participé à des marches de protestation et à des campagnes électorales entre 1990 et 1996. Selon lui, les sympathisants de la Ligue Awami avaient aussi fait exploser le bureau de la JJD situé dans sa circonscription électorale et vandalisé un kiosque où il vendait des montres. M. Rahaman prétendait également que la police n'avait quasiment rien fait pour le protéger contre ces attaques et avait exigé de l'argent avant d'intervenir. Après avoir appris que son nom avait été placé sur la liste des personnes soupçonnées d'être des terroristes par la police, M. Rahaman s'est enfui au Canada pour revendiquer le statut de réfugié parce qu'il craignait pour sa vie.

[6]La Commission était préoccupée par les incohérences et les invraisemblances contenues dans le témoignage de M. Rahaman, pour lesquelles ce dernier n'a pas pu fournir une explication satisfaisante. La Commission a trouvé étrange, par exemple, que M. Rahaman prétende avoir été attaqué et n'avoir pas pu obtenir la protection de la police alors que le parti auquel il était associé, le PNB, était au pouvoir. De plus, M. Rahaman n'a pas pu expliquer de manière satisfaisante à la Commission comment il avait appris que son nom figurait sur une liste de personnes soupçonnées d'être des terroristes ou pourquoi, dans une lettre produite en preuve devant la Commission, la section locale de la JJD dont M. Rahaman était un membre exécutif ne parlait pas des problèmes que ses membres avaient eus avec la police. En outre, lorsque la Commission a attiré son attention sur les documents produits en preuve qui faisaient état d'affrontements violents entre des sympathisants de la JJD et leurs adversaires, l'appelant est revenu sur son témoignage dans lequel il avait nié que de tels affrontements avaient eu lieu. La Commission a aussi considéré que la crédibilité de la preuve de M. Rahaman était également mise en doute par le fait que celui-ci avait apparemment voulu rester au Bangladesh pendant les années au cours desquelles il aurait été persécuté, alors que le parti pour lequel il travaillait était au pouvoir, mais qu'il avait décidé de partir quand celui-ci avait été défait parce que ses adversaires allaient alors chercher à se venger de lui.

[7]Ayant pris en considération tous les éléments de preuve et toutes les observations qui lui avaient été présentés, la Commission a conclu que le revendicateur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Elle a résumé sa conclusion de la façon suivante:

[traduction] Le tribunal avait un problème quant à la crédibilité générale du revendicateur et, en particulier, avec l'importance de son implication qu'il a cherché à démontrer dans son FRP [Formulaire de renseignements personnels] et dans son témoignage.

Sans plus d'explications, la Commission a aussi conclu que la revendication de M. Rahaman n'avait pas un minimum de fondement au sens du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration.

C. DÉCISION DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

[8]Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire déposée par M. Rahaman dans le but de faire annuler la décision de la Commission, des arguments ont été présentés pour son compte dans le but d'attaquer la conclusion de la Commission selon laquelle sa preuve n'était pas crédible. Cependant, après avoir examiné avec soin les conclusions de la Commission à la lumière des témoignages et des documents dont elle disposait, ainsi que les arguments qui lui avaient été présentés, le juge Teitelbaum a conclu que la Commission n'avait pas été déraisonnable en considérant que la revendication du demandeur n'était pas crédible. Il a expressément rappelé la retenue dont les cours de révision doivent faire preuve à l'égard des conclusions concernant la crédibilité qui sont tirées par le juge des faits, et il a fait remarquer que la preuve documentaire qui avait été présentée à la Commission contredisait le témoignage de M. Rahaman sur des points importants.

[9]Le juge Teitelbaum a aussi considéré que la Commission avait fondé sa conclusion d'«absence de minimum de fondement» principalement sur le manque de crédibilité de M. Rahaman. La Commission s'était également fondée sur l'absence d'éléments de preuve documentaire démontrant, comme le revendicateur le prétendait, qu'il était susceptible d'être persécuté, et sur le fait que certains des documents produits en preuve contredisaient sa description de la situation existant au Bangladesh à l'époque en cause.

D. CADRE LÉGISLATIF

[10]Les dispositions suivantes de la Loi sur l'immigration sont pertinentes au regard du présent appel.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2

[article 49 (mod. par L.C. 1992,

ch. 49, art. 41)]

49. (1) Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi:

[. . .]

c) sous réserve des alinéas d) et f), dans le cas d'une personne qui s'est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention par la section du statut ou dont l'appel a été rejeté par la section d'appel:

(i) si l'intéressé présente une demande d'autorisation relative à la présentation d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ou notifie par écrit à un agent d'immigration son intention de le faire, jusqu'au prononcé du jugement sur la demande d'autorisation ou la demande de contrôle judiciaire, ou l'expiration du délai normal de demande d'autorisation, selon le cas,

[. . .]

f) dans le cas où la section du statut a décidé conformément au paragraphe 69.1(9.1) que la revendication n'a pas un minimum de fondement, pendant sept jours à compter du moment où la mesure est devenue exécutoire, à moins que l'intéressé ne consente à l'exécution avant l'expiration de cette période.

[. . .]

69.1 [. . .]

(9.1) La décision doit faire état de l'absence de minimum de fondement, lorsque chacun des membres de la section du statut ayant entendu la revendication conclut que l'intéressé n'est pas un réfugié au sens de la Convention et estime qu'il n'a été présenté à l'audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel il aurait pu se fonder pour reconnaître à l'intéressé ce statut. [Soulignement ajouté.]

[11]Les dispositions pertinentes du Règlement concernant la catégorie des DNRSRC sont les suivantes:

Immigration Regulations, 1978,

SOR/78-172 [subsection 2(1)

(as am. by SOR/93-44, s. 1)]

Règlement sur l'immigration de 1978,

DORS/78-172 [paragraphe 2(1)

(mod. par DORS/93-44, art. 1)]

2.(1) [. . .]

«demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada» Immigrant au Canada:

a) à l'égard duquel la section du statut a décidé, le 1er février 1993 ou après cette date, de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, à l'exclusion d'un immigrant, selon le cas:

[. . .]

(iii) à l'égard duquel la section du statut a déterminé, en vertu du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi, que sa revendication n'a pas un minimum de fondement,

[. . .]

c) dont le renvoi vers un pays dans lequel il peut être renvoyé l'expose personnellement, en tout lieu de ce pays, à l'un des risques suivants, objectivement identifiable, auquel ne sont pas généralement exposés d'autres individus provenant de ce pays ou s'y trouvant:

(i) sa vie est menacée pour des raisons autres que l'incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats,

(ii) des sanctions excessives peuvent être exercées contre lui,

(iii) un traitement inhumain peut lui être infligé.

[12]Le paragraphe 11.4(1) [édicté, idem, art. 10; 93-412, art. 6] du Règlement prévoit également que, sous réserve de certaines restrictions, les personnes qui appartiennent à la catégorie des DNRSRC, et les personnes qui sont à leur charge, doivent se voir reconnaître le statut de résident permanent au Canada.

E. ANALYSE

[13]L'avocate de l'appelant a fait valoir que, dans le passé, la Cour a interprété de manière trop libérale la disposition relative à l'«absence de minimum de fondement» du paragraphe 69.1(9.1). Elle a demandé à la Cour de reconsidérer la jurisprudence et d'adopter une interprétation plus étroite qui, d'après elle, serait plus conforme à l'esprit de la Loi et aurait pour effet d'aligner le Canada sur les normes internationales. Plus précisément, elle prétend qu'on ne peut pas considérer qu'une revendication du statut de réfugié n'est étayée par «aucun élément de preuve crédible ou digne de foi» simplement parce que la Commission conclut que le revendicateur n'est pas un témoin crédible et, en conséquence, qu'aucun élément de preuve ne relie ce dernier à la persécution qu'il allègue au soutien de sa revendication.

[14]À l'origine, le critère de l'«absence de minimum de fondement» prévu par la loi devait servir à déterminer si une revendication du statut de réfugié pouvait être éliminée à l'étape préliminaire d'un processus de détermination comportant deux étapes: paragraphe 46.01(6) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14). Ce processus devait permettre à la Commission de traiter de manière expéditive les nombreuses revendications du statut de réfugié non fondées qu'elle s'attendait à recevoir.

[15]Cependant, comme le critère de l'«absence de minimum de fondement» a établi une norme si basse que la plupart des revendicateurs ont été en mesure de la dépasser, le processus s'est révélé lourd et n'a pas aidé la Commission à s'acquitter de son rôle d'une manière efficace et expéditive. C'est pour cette raison que ce processus a été abandonné en février 1993, lorsque le paragraphe 46.01(6) a été abrogé par L.C. 1992, ch. 49, art. 36. Les revendicateurs qui se trouvaient au Canada n'avaient ainsi plus à prouver que leur revendication avait un minimum de fondement avant de pouvoir soumettre leur cas à la Commission pour que celle-ci statue sur le fond. Les modifications qui sont entrées en vigueur en 1993 ont aussi eu pour effet d'ajouter à la Loi le paragraphe 69.1(9.1) actuel, lequel confère au critère de l'«absence de minimum de fondement» une nouvelle fonction dans le cadre du régime prévu par la loi: restreindre les droits que les revendicateurs déboutés peuvent exercer après qu'on a conclu que leur revendication n'est étayée par aucun élément de preuve crédible.

[16]L'arrêt ;Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.), est celui qui fait le plus autorité en ce qui a trait à l'application du critère de l'«absence de minimum de fondement» dans le but d'éliminer des revendications à l'étape préliminaire du processus de détermination. Le juge MacGuigan, qui a rédigé les motifs du jugement au nom de la Cour, a conclu (à la page 244) que le législateur souhaitait que le paragraphe 46.01(6) ne serve pas à éliminer seulement les revendications manifestement fausses:

Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.

J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. Naturellement, puisque le demandeur doit établir qu'il réunit tous les éléments de la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, la conclusion du premier palier d'audience que sa revendication ne possède pas un minimum de fondement est suffisante.

[17]L'expression «absence de minimum de fondement» employée au paragraphe 69.1(9.1) a ensuite été interprétée en conformité avec l'arrêt Sheikh, précité. Ainsi, dans Mathiyabaranam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 156 D.L.R. (4th) 301 (C.A.F.), au paragraphe 12, le juge Linden a rappelé que la Cour d'appel avait indiqué, dans l'arrêt Sheikh, précité, que «[l]e minimum de fondement et la crédibilité ne sont pas identiques, mais ils sont clairement reliés». L'arrêt Mathiyabaranam, précité, constitue certainement une reconnaissance implicite de l'applicabilité de l'arrêt Sheikh, précité, dans le contexte du paragraphe 69.1(9.1).

[18]Des juges de la Section de première instance ont expressément statué que ce sont les principes établis dans l'arrêt Sheikh, précité, qui doivent s'appliquer à l'expression «absence de minimum de fondement» employée au paragraphe 69.1(9.1): voir, par exemple, Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 607 (1re inst.) (QL); Nizeyimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 204 F.T.R. (C.F. 1re inst.); Geng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 275; [2001] A.C.F. no 488 (1re inst.) (QL).

[19]Certains juges ont indiqué cependant qu'en raison de la modification apportée à la loi, l'arrêt Sheikh, précité, ne devrait pas être interprété de manière libérale de façon à dégager la Commission de l'obligation de fonder une conclusion d'«absence de minimum de fondement» sur tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Cette mise en garde a été formulée clairement dans la décision Foyet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 187 F.T.R. 181 (C.F. 1re inst.), à laquelle l'avocate de l'appelant a accordé une importance considérable. Dans cette décision (au paragraphe 19), le juge Denault a résumé le droit applicable tel qu'il le comprenait:

À mon avis, on peut retenir de l'arrêt Sheikh, que lorsque la seule preuve reliant le demandeur au préjudice invoqué émane du témoignage de l'intéressé et que ce dernier est jugé non crédible, la section du statut peut, après une analyse de la preuve documentaire en venir à une conclusion générale d'absence de minimum de fondement. Mais dans les cas où il y une preuve documentaire indépendante et crédible, on ne peut conclure à l'absence de minimum de fondement.

À mon avis, il s'agit d'un énoncé exact du droit tel qu'il a été compris jusqu'à maintenant. J'y apporterais une réserve cependant: pour empêcher une conclusion d'«absence de minimum de fondement», il faut que la «preuve documentaire indépendante et crédible» à laquelle le juge Denault fait référence puisse étayer une reconnaissance du statut de réfugié.

[20]La jurisprudence semble donc être tout à fait à l'opposé de la position adoptée pour le compte de M. Rahaman en l'espèce, selon laquelle la Commission ne peut conclure à l'«absence de minimum de fondement» si la revendication est fondée sur un motif prévu par la Convention et qu'il est démontré que de la persécution de la nature de celle qui est alléguée est survenue dans le pays en cause.

[21]L'avocate soutient néanmoins que nous devrions reconsidérer la jurisprudence relative au paragraphe 69.1(9.1) parce qu'elle n'est pas conforme à ce que le législateur avait en tête au moment de l'adoption de cette disposition. Selon elle, on devrait plutôt conclure à l'«absence de minimum de fondement» d'une revendication seulement si celle-ci est «manifestement non fondée» ou «manifestement infondée». Ce critère est celui qui est employé dans des instruments internationaux pour identifier à la fois les revendications qui peuvent être rejetées par l'application d'une procédure de détermination plus simple que celle normalement applicable aux revendications du statut de réfugié, et les revendicateurs déboutés dont les droits peuvent être limités afin d'accélérer leur renvoi. L'avocate invoque deux arguments au soutien de sa thèse.

a) L'argument de la cohérence législative

[22]L'avocate fait valoir que l'application de l'interprétation donnée au critère d'«absence de minimum de fondement» dans l'arrêt Sheikh, précité, au paragraphe 69.1(9.1) dénature l'intention du législateur en rendant normale une chose qui devait être exceptionnelle. Selon elle, le régime établi par la Loi sur l'immigration fait en sorte qu'un revendicateur débouté aura normalement le droit de demander d'être reconnu à titre de membre de la catégorie des DNRSRC et de demeurer au Canada jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur cette demande et sur tout recours juridique découlant soit de celle-ci soit du rejet de la revendication du statut de réfugié. Une conclusion d'«absence de minimum de fondement», qui a pour effet de priver un revendicateur débouté de ces droits, ne devrait être réservée qu'aux rares cas où la revendication est si dénuée de fondement qu'elle constitue une utilisation abusive du processus de détermination du statut de réfugié.

[23]L'avocate de l'appelant soutient toutefois que la plupart des revendications du statut de réfugié sont rejetées parce que la Commission n'ajoute pas foi au témoignage du revendicateur. Ainsi, si la Commission peut tirer une conclusion d'«absence de minimum de fondement» quand elle estime que le revendicateur n'est pas crédible, la plupart des revendicateurs déboutés n'auront pas le droit de demander d'être reconnus à titre de DNRSRC ou de demeurer au Canada jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue relativement à une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Commission de ne pas leur reconnaître le statut de réfugié. La plupart des revendicateurs déboutés ne jouiront donc pas des droits que le législateur voulait leur conférer. Même si aucune preuve n'a été présentée à la Cour au sujet de la proportion de revendications du statut de réfugié qui sont rejetées parce que la Commission n'a pas considéré que le revendicateur était crédible, je veux bien supposer, pour les fins du présent appel, que ces revendications représentent une proportion importante de toutes les revendications qui sont rejetées.

[24]Je ne mets évidemment pas en doute le principe d'interprétation législative reconnu qui a été formulé par E. A. Driedger dans Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto: Butterworths, 1983), à la page 87, selon lequel [traduction] «les termes d'une loi doivent être interprétés dans leur contexte global, selon leur sens grammatical et leur acception courante, en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur». Néanmoins, l'argument de l'avocate doit tout de même, à mon avis, être rejeté.

[25]Premièrement, lorsqu'un mot ou une expression est employé plus d'une fois dans une loi, on présume qu'il a le même sens partout dans cette loi: R. Sullivan éd., Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994), aux pages 163 et 164. Cette présomption est particulièrement convaincante quand, comme c'est le cas en l'espèce, l'expression fait partie d'un texte plus long, et que cette expression et ce texte figurent dans des dispositions différentes de la loi. À mon avis, le fait que l'expression «absence de minimum de fondement» ne figurait pas dans des dispositions de la Loi sur l'immigration qui étaient en vigueur en même temps n'affaiblit pas la présomption de manière significative. Comme je l'ai mentionné précédemment, l'ancien paragraphe 46.01(6) a été abrogé au moment où le paragraphe 69.1(9.1) a été ajouté à la Loi.

[26]Deuxièmement, je ne peux ignorer le fait que, dans l'arrêt Mathiyabaranam, précité, la Cour a considéré que l'interprétation donnée, dans l'arrêt Sheikh, précité, à l'expression «absence de minimum de fondement» qui était employée au paragraphe 46.01(6) s'appliquait également à la même expression employée au paragraphe 69.1(9.1). Cette position a été constamment adoptée par la Section de première instance. Or, une interprétation bien établie d'une disposition législative ne devrait être écartée que dans des circonstances exceptionnelles.

[27]Troisièmement, je ne suis pas d'accord avec l'avocate quand elle dit que l'arrêt Sheikh, précité, assimile la conclusion d'«absence de minimum de fondement» à une conclusion selon laquelle le témoignage du revendicateur n'est pas crédible. En particulier, la Cour a explicitement déclaré dans cet arrêt que la Commission doit prendre en considération tous les éléments de preuve qui lui sont présentés: les observations présentées de vive voix par le revendicateur, les documents produits en preuve et les autres témoignages. Voir, par exemple, Nizeyimana, précitée; Barua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1744 (1re inst.) (QL); Tingombay c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 752; [2001] A.C.F. no 1146 (1re inst.) (QL).

[28]En outre, le paragraphe 69.1(9.1) prévoit que la Commission ne peut conclure à l'«absence de minimum de fondement» que s'il n'a été présenté à l'audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel le commissaire aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur. En d'autres termes, le commissaire ne peut conclure à l'«absence de minimum de fondement» s'il dispose d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui peuvent lui permettre de reconnaître le statut de réfugié au revendicateur, même si la Commission décide, en se fondant sur la preuve dans son ensemble, que la revendication est dénuée de fondement.

[29]Cependant, comme le juge MacGuigan l'a reconnu dans l'arrêt Sheikh, précité, le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu'il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n'y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s'appuyer pour reconnaître le statut de réfugié.

[30]Par contre, l'existence de certains éléments de preuve crédibles ou dignes de foi n'empêchera pas une conclusion d'«absence de minimum de fondement» si ces éléments de preuve sont insuffisants en droit pour que le statut de réfugié soit reconnu au revendicateur. D'ailleurs, dans la décision faisant l'objet du présent appel, le juge Teitelbaum a confirmé la conclusion d'«absence de minimum de fondement», même s'il a conclu, contrairement à la Commission, que le témoignage du revendicateur concernant la possibilité d'obtenir parfois la protection de la police était crédible à la lumière de la preuve documentaire. La preuve du revendicateur sur cette question n'a cependant pas joué un rôle déterminant dans la décision de la Commission de rejeter sa revendication.

[31]Quatrièmement, bien qu'elles soient indubitablement graves pour l'intéressé, les conséquences négatives d'une conclusion d'«absence de minimum de fondement» au sens du paragra-phe 69.1(9.1) doivent être considérées dans leur contexte. Ainsi, même s'ils n'ont pas droit en vertu de la loi à un sursis automatique de l'exécution de la mesure de renvoi prise contre eux pendant qu'ils épuisent leurs recours juridiques et administratifs, les revendicateurs contre lesquels une conclusion d'«absence de minimum de fondement» a été tirée peuvent, s'ils demandent l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Commission de rejeter leur revendication du statut de réfugié, demander à la Cour de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi jusqu'à ce qu'elle ait statué sur leur demande.

[32]De plus, bien qu'il ne lui soit pas permis de demander d'être exempté du renvoi en tant que membre de la catégorie des DNRSRC, un revendicateur débouté dont la Commission a jugé que la revendication n'avait pas un minimum de fondement peut demander au ministre d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 114(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102] et de l'autoriser à demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. L'existence d'un risque objectivement identifiable auquel le demandeur sera exposé s'il est renvoyé dans son pays est un motif reconnu justifiant l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en faveur du demandeur: Immigration Canada, Guide de l'immigration: Traitement des demandes au Canada (IP), (Centre d'information d'Immigration Canada, 2001), chapitre IP-5, point 8.8. Il ne sera généralement pas, cependant, sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi pendant l'examen d'une demande visée au paragraphe 114(2), mais une personne dont la demande est fondée sur un risque de persécution dans son pays d'origine ne sera normalement pas renvoyée si on estime qu'elle peut courir un grave danger.

[33]En d'autres termes, bien qu'une conclusion d'«absence de minimum de fondement» expose indubitablement l'intéressé à un renvoi relativement rapide, ce renvoi peut, dans les faits, être retardé. Il existe des mesures de protection juridiques et administratives contre le renvoi des personnes qui sont susceptibles d'être persécutées si elle sont refoulées, ces mesures n'étant cependant pas aussi favorables que celles dont bénéficient les revendicateurs déboutés lorsque chacun des membres de la Commission n'a pas conclu à l'«absence de minimum de fondement» en application du paragraphe 69.1(9.1).

b) L'argument fondé sur le droit international

[34]L'avocate de M. Rahaman soutient que les normes internationales exigent qu'un revendicateur débouté ne puisse pas être refoulé tant qu'une décision n'a pas été rendue relativement à l'examen du rejet de sa revendication du statut de réfugié, à moins que cette revendication soit manifestement non fondée. Si la Cour interprétait le paragraphe 69.1(9.1) comme s'il englobait les revendications qui ne peuvent pas être considérées comme étant manifestement non fondées, le Canada irait à l'encontre des normes juridiques internationales. Ce n'est que dans les cas où le libellé d'une loi ne laisse place à aucune équivoque que la Cour devrait conclure que cette loi déroge aux normes internationales relatives à la protection des droits de la personne. L'arrêt Sheikh, précité, ne dit rien à cet égard, peut-être parce que la reconnaissance judiciaire de l'importance des normes internationales dans l'interprétation des pouvoirs conférés par la loi -- et l'examen de l'exercice de ces pouvoirs -- est un phénomène relativement nouveau au Canada.

(i) interprétation de la loi: le contexte international

[35]Il ne fait aucun doute aujourd'hui que les normes internationales font partie du contexte dans lequel les lois nationales doivent être interprétées, même si ces normes n'ont pas été incorporées au droit canadien par une loi: Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 70. De même, dans l'arrêt Suresh c. Canada (2002), 208 D.L.R. (4th), la Cour suprême a dit ce qui suit au sujet de la Loi sur l'immigration, au paragraphe 59: «Pour bien comprendre la Loi [. . .], il faut examiner le contexte international.» Elle a ajouté, au paragraphe suivant, que la raison pour laquelle la dimension internationale est examinée n'est pas de déterminer si le Canada contrevient à ses obligations internationales en tant que telles, mais d'utiliser les normes internationales en vigueur dans l'interprétation d'une disposition du droit national, l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] dans les circonstances.

[36]Le poids à accorder aux normes internationales qui n'ont pas été incorporées au droit canadien par une loi dépendra évidemment de toutes les circonstances de l'affaire, notamment de l'autorité de la source juridique de ces normes, de leur spécificité et, pour ce qui est du droit international coutumier, de l'uniformité de la pratique de l'État. En outre, le législateur est l'ultime source de droit dans notre système juridique et gouvernemental, bien qu'il soit assujetti à des restrictions imposées par les lois constitutionnelles de 1867 à 1982, y compris la Charte. En conséquence, les normes internationales qui ne sont pas incorporées au droit canadien et qui sont incompatibles avec les dispositions claires d'une loi ne peuvent avoir d'effet au Canada. S'il en était autrement, le principe voulant que les traités et les autres normes internationales fassent partie du droit national du Canada seulement s'ils sont adoptés par le législateur serait compromis.

[37]Il faut déterminer en l'espèce si l'interprétation donnée au paragraphe 69.1(9.1) dans l'arrêt Sheikh, précité, autorise le renvoi des revendicateurs déboutés malgré les normes internationales. Un tel cas surviendra si une revendication qui n'est étayée par «aucun élément de preuve crédible ou digne de foi» n'est pas aussi «manifestement non fondée» ou «manifestement infondée», selon le sens attribué à ces expressions par la communauté internationale.

(ii) droit de demeurer au Canada pendant le processus d'appel?

[38]Il faut d'abord, pour répondre à cette question, se demander si les normes internationales exigent que les États fassent en sorte qu'un revendicateur débouté ne soit pas renvoyé dans le pays de la persécution alléguée tant qu'une décision définitive n'a pas été rendue sur une contestation juridique du rejet de sa revendication du statut de réfugié. Cette question n'est pas expressément traitée dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention de Genève), ou dans le Protocole des Nations Unies relatif au statut des réfugiés, 31 janvier 1967, [1969] R.T. Can. no 29, qui sont les textes juridiques faisant le plus autorité pour ce qui est de la définition du statut de réfugié et de l'établissement des principes fondamentaux de protection, notamment celui du non-refoulement.

[39]Cependant, à l'article 35 de la Convention de Genève, les États signataires s'engagent à coopérer avec le Haut Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés (HCR) dans l'exercice de ses fonctions et, en particulier, à faciliter sa tâche de surveillant de l'application de la Convention. Une importance considérable devrait être accordée, par conséquent, aux recommandations du Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire sur les questions relatives à la détermination et à la protection des réfugiés qui ont pour but de combler d'une certaine façon le vide qui existe dans la Convention au chapitre de la procédure.

[40]Le Comité exécutif a recommandé que les revendicateurs déboutés aient une possibilité raisonnable de porter en appel le rejet de leur revendication et soient autorisés, pendant la procédure d'appel, à demeurer dans le pays où ils se sont réfugiés, avant d'être renvoyés dans leur pays d'origine où ils pourraient courir un risque identifiable: voir HCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (Genève, réédition 1998). De même, le Conseil de l'Union européenne a adopté, en 1995, la Résolution sur les garanties minimales pour les procédures d'asile (la Résolution du Conseil de l'UE) qui prévoit, au paragraphe 17, une règle générale selon laquelle le demandeur d'asile devrait être autorisé à rester sur le territoire de l'État membre dont il sollicite la protection tant que le rejet de sa revendication n'a pas été porté en appel. Voir aussi James C. Hathaway et Anne K. Cusick, «Refugee Rights Are Not Negotiable» (2000), Geo. Imm. L.J. 481, à la page 496.

[41]À mon avis, il ressort de ces documents qu'il existe une norme internationale selon laquelle les États signataires de la Convention de Genève devraient normalement permettre aux revendicateurs du statut de réfugié de demeurer sur leur territoire jusqu'à ce qu'ils aient épuisé leur droit d'appel ou de révision. C'est aussi ce que prévoit l'alinéa 49(1)c) de la Loi sur l'immigration.

[42]Il est toutefois aussi reconnu dans les instruments internationaux que les États peuvent déroger à la règle normale en conférant des droits d'appel et de révision plus limités aux revendicateurs déboutés dont la revendication a été considérée comme étant «manifestement non fondée» ou «manifestement infondée». Ainsi, le Comité exécutif est parvenu à un consensus sur le problème créé par l'augmentation du nombre des demandeurs dont la revendication n'a clairement aucun fondement valide ou est «manifestement infondée», et a indiqué que chaque État doit adopter une procédure pour régler ce problème: Conclusion no 28 (III) 1982, HCR NU, 32e sess., Doc. NU EC/SCP/22/Rev.1 (1982); Conclusion no 30 (IV) 1983; Doc. NU, Rapport sur la 34e session du Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire, Doc. off. AG NU, 34e sess., A/AC.96/631 (1993); Conclusion no 87 (L) 1999, à l'alinéa k).

[43]En conséquence, le Comité exécutif a recommandé (Conclusion no 30, précitée, au sous- alinéa e)(iii)) que, bien que les revendicateurs du statut de réfugié doivent avoir la possibilité d'obtenir la révision d'une décision défavorable avant d'être renvoyés de force, [traduction] «cet examen peut être plus simple que celui des demandes rejetées qui sont manifestement infondées ou abusives». Voir aussi les Consultations mondiales sur la protection internationale des NU, 2e réunion, Doc. NU EC/GC/01/12 (2001) (les Consultations mondiales), au paragraphe 32. La Résolution du Conseil de l'UE prévoit qu'une personne dont on a jugé que la revendication était manifestement non fondée devrait au moins avoir le droit de demander à l'organisme chargé de la révision du rejet de la revendication de retarder son renvoi jusqu'à ce que la révision soit terminée.

[44]À mon avis, les droits limités conférés par la Loi sur l'immigration aux revendicateurs dont la revendication a été considérée comme n'ayant pas un minimum de fondement ne sont pas incompatibles avec les normes internationales telles qu'elles ressortent des documents mentionnés ci-dessus. Ces revendicateurs peuvent présenter une demande de contrôle judiciaire et demander à la Cour d'ordonner un sursis jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur demande, et ceux qui courent un grave danger dans leur pays d'origine ne seront pas renvoyés. Un problème surgit cependant si une telle revendication n'est pas «manifestement non fondée» ou «manifestement infondée», selon le sens attribué habituellement à ces expressions par la communauté internationale. Comme je l'ai déjà mentionné, une personne dont la revendication n'est pas «manifestement non fondée» devrait être autorisée à demeurer dans le pays où elle s'est réfugiée jusqu'à ce qu'une décision soit rendue relativement à l'appel ou au contrôle visant le rejet de sa revendication.

(iii) «manifestement non fondée ou clairement abusive»

[45]Il est évident que certains instruments internationaux semblent attribuer un sens très strict à l'expression «manifestement non fondée» ou «manifestement infondée». Par exemple, l'alinéa d) de la Conclusion no 30, précitée, indique que les revendications qui sont «manifestement infondées» sont celles qui sont «clairement frauduleuses ou ne se rattachent ni aux critères prévus par la Convention [. . .] de 1951, [. . .] ni à d'autres critères justifiant l'octroi de l'asile».

[46]Des déclarations plus récentes sont cependant moins catégoriques, manifestement à cause du nombre croissant de véritables et de fausses revendications du statut de réfugié. Par exemple, l'article 28 de la Résolution du Conseil de l'UE, précitée, renferme une liste plus longue de motifs pour lesquels un État membre peut rejeter une revendication du statut de réfugié parce qu'elle est manifestement non fondée. L'absence d'éléments de preuve crédibles n'y est toutefois pas mentionnée. Cependant, l'inclusion de deux motifs pour lesquels une revendication ne doit pas être considérée comme étant manifestement non fondée laisse croire que cette liste n'est pas exhaustive.

[47]En outre, les différents sens attribués par les États à l'expression «manifestement infondée» sont analysés dans le rapport rédigé récemment à la suite des Consultations globales des Nations Unies: précité, aux paragraphes 28 à 31. Ce rapport indique en particulier que certains États «ont intégré la crédibilité, ou son absence, dans l'évaluation initiale du caractère manifestement infondé de la demande», alors que d'autres considèrent qu'une revendication peut être manifestement non fondée si elle a été présentée avec l'intention de tromper les autorités nationales. Le paragraphe 26 de ce document montre bien qu'il n'y a pas encore consensus au sein de la communauté internationale au sujet de la portée de l'expression «manifestement infondée»:

Le HCR est d'avis qu'il convient de promouvoir une interprétation plus consensuelle des types de demandes qui méritent la présomption de «manifestement infondées» ou «clairement abusives» et qui pourraient être examinées en vertu d'une procédure accélérée.

[48]Dans The Refugee in International Law, 2e éd. (Oxford: Clarendon Press, 1996), G. Goodwin-Gill donne, aux pages 344 à 347, différents exemples de la pratique des États qui consiste à élargir les catégories de revendications manifestement non fondées pour englober celles qui ne sont étayées par aucun élément de preuve crédible.

[49]Compte tenu de tous ces documents, il n'est pas possible, à mon avis, de conclure qu'une norme internationale générale a émergé au regard d'une définition de ce qu'est une demande manifestement non fondée ou abusive qui exclurait une revendication qui n'a pas un minimum de fondement, au sens de l'arrêt Sheikh, précité. J'aimerais aussi rappeler à cet égard que, sous le régime du droit canadien, tous les revendicateurs admissibles qui se trouvent au Canada ont droit à une audience complète devant un tribunal administratif indépendant ayant un pouvoir décisionnel, et qu'une conclusion d'«absence de minimum de fondement» est rendue seulement sur la base de cette procédure.

F. CONCLUSIONS

[50]Comme j'en suis arrivé à la conclusion que le droit international est imprécis sur la question de savoir si une revendication qui n'a pas un minimum de fondement au sens du paragraphe 69.1(9.1) est également manifestement non fondée, il n'est pas nécessaire de décider si cette disposition devrait être interprétée de manière à englober uniquement les revendications qui sont manifestement non fondées ou clairement abusives. Je rappellerai seulement que le législateur a choisi d'employer l'expression «absence de minimum de fondement», même si c'est l'expression «manifestement non fondée ou clairement abusive» qui est utilisée dans les instruments internationaux.

[51]Enfin, bien que je ne puisse pas accepter la thèse de l'avocate de M. Rahaman, je reconnais que la Commission ne devrait pas systématiquement statuer qu'une revendication n'a pas un minimum de fondement lorsqu'elle conclut que le revendicateur n'est pas un témoin crédible. Comme j'ai tenté de le démontrer, la Commission doit, suivant le paragraphe 69.1(9.1), examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l'absence de minimum de fondement seulement s'il n'y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur.

[52]Pour ces motifs, je conviens avec le juge Teitelbaum que, ayant pris en considération tous les témoignages et documents qui lui ava ient été présentés, la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a statué que la revendication de M. Rahaman n'avait pas un minimum de fondement. Par conséquent, je rejetterais l'appel et répondrais ce qui suit à la question certifiée:

La question de savoir si une conclusion qu'un revendicateur du statut de réfugié n'est pas un témoin crédible entraîne l'application du paragraphe 69.1(9.1) dépend d'une évaluation de tous les témoignages et documents produits en preuve. S'il n'y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel chacun des membres de la Commission aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur, une conclusion que ce dernier n'était pas un témoin crédible justifiera la conclusion d'absence de minimum de fondement.

[53]L'avocate du ministre a demandé les dépens. Or, aux termes de la règle 22 des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration, DORS/93-22, la demande ou l'appel introduit en application des règles ne donne pas lieu à des dépens, «[s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales». À mon avis, il n'existe aucune raison spéciale en l'espèce. Compte tenu du peu de précédents rendus par la Cour sur la question de l'interprétation du paragraphe 69.1(9.1), et de l'importance qu'il faut dorénavant accorder aux normes internationales relatives aux droits de la personne dans l'interprétation du droit national, je ne considère pas que le présent appel a été interjeté de manière abusive ou irrégulière, une opinion manifestement partagée par le juge qui a entendu la demande lorsqu'il a certifié une question en vue d'un appel.

Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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