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IMM-3821-14

2015 CF 642

Lucianna Celise (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Celise c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Mosley—Toronto, 13 mai; Ottawa, 19 mai 2015.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Motifs d’ordre humanitaire — Contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’un agent d’immigration, qui a rejeté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire — La demanderesse a eu une fille née au Canada alors que sa demande d’asile était en cours de traitement et qui a été rejetée par la suite — La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire contenait très peu d’information sur la situation personnelle de la demanderesse — L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle serait exposée à des difficultés et après avoir examiné l’intérêt supérieur de l’enfant, il a conclu que l’octroi d’une dispense n’était pas justifié — La demanderesse a soutenu que l’agent avait appliqué le mauvais critère juridique et que l’analyse de l’agent reposait de façon erronée sur les difficultés, malgré les décisions Williams c. Canada (Citoyenneté et Immigration) et Hawthorne c. Canada où les tribunaux ont déclaré que les enfants méritent rarement d’être exposés à des difficultés — Le défendeur était d’avis que la décision Williams ne crée pas un critère juridique contraignant, faisant observer que l’arrêt Hawthorne a soutenu qu’il n’y a pas de « formule magique » pour évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant — Il s’agissait de savoir si l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant — L’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle — Le commentaire dans l’arrêt Hawthorne visait à expliquer que le terme « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » n’est pas un terme technique et qu’il peut être appliqué de façon large aux enfants — Il ne s’agit pas d’une invitation à éliminer complètement toute analyse des difficultés lorsque des enfants sont concernés — Le critère énoncé dans l’arrêt Williams peut être utile, mais il n’est pas requis par les dispositions législatives ou par la jurisprudence d’appel — La Cour s’est dite préoccupée par le fait que la formule exposée dans l’arrêt Williams pourrait réduire l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant à une exigence pro forma, étant donné que l’intérêt supérieur de l’enfant favoriserait presque toujours l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire à la première étape — Le véritable travail devrait être fait à la seconde étape, à savoir l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant par rapport aux facteurs défavorables — Cette approche établit une analogie entre des affaires dans lesquelles les enfants sont exposés à des souffrances émotionnelles et physiques graves et des affaires dans lesquelles les enfants ne sont exposés qu’au renvoi vers un pays moins développé en compagnie de parents compétents — En vertu de ce scénario, une dispense pour motifs d’ordre humanitaire serait octroyée à la vaste majorité des personnes — L’agent a effectué une analyse raisonnable de l’intérêt supérieur de l’enfant et n’a pas endossé le rôle de parens patriae — L’agent n’a pas commis une erreur en n’envisageant pas la possibilité que la demanderesse puisse demeurer au Canada et en ne prenant pas en compte les bénéfices que l’enfant pourrait retirer d’une telle décision — Une question a été certifiée — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal d’immigration a rejeté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait auparavant rejeté la demande d’asile de la demanderesse. Alors que sa demande d’asile était en cours de traitement, la demanderesse a eu une fille, qui est citoyenne canadienne. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire contenait très peu d’information sur la situation personnelle de la demanderesse. Selon l’agent, la demanderesse n’a pas établi qu’elle serait exposée à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait se réinstaller dans son pays d’origine, soit à Sainte-Lucie. Après avoir examiné l’intérêt supérieur de l’enfant et la situation personnelle de la demanderesse, l’agent a conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense.

La demanderesse a soutenu, entre autres, que l’agent avait appliqué le mauvais critère juridique pour évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon elle, l’analyse de l’agent reposait de façon erronée sur les difficultés, même si les tribunaux ont déclaré, dans les arrêts Williams c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (Williams) et Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (Hawthorne), que les enfants méritent rarement d’être exposés à des difficultés. Le défendeur était d’avis, entre autres, que la décision Williams ne crée pas un critère juridique contraignant et que dans l’arrêt Hawthorne, la Cour d’appel fédérale a soutenu qu’il n’y a pas de « formule magique » pour évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant.

Il s’agissait de savoir si l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Jugement : la demande doit être rejetée.

L’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle. L’arrêt Hawthorne n’appuie en aucune façon le critère créé dans la décision Williams. Le commentaire de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hawthorne visait simplement à expliquer que le terme « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » n’est pas un terme technique et qu’il peut être appliqué de façon large aux enfants. Il ne s’agit pas d’une invitation à éliminer complètement toute analyse des difficultés lorsque des enfants sont concernés. Le critère énoncé dans l’arrêt Williams peut être utile, mais il n’est pas requis par les dispositions législatives ou par la jurisprudence d’appel. La Cour s’est dite préoccupée par le fait que la formule exposée dans l’arrêt Williams pourrait réduire l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant à une exigence pro forma, étant donné que l’intérêt supérieur de l’enfant favoriserait presque toujours l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire à la première étape. En conséquence, tout ce qui serait exigé des agents à cette étape serait de répéter machinalement que l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non-renvoi. Le véritable travail devrait être fait à la seconde étape, à savoir l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant par rapport aux facteurs défavorables. Cette approche ne tient pas compte du contexte. Elle établit une analogie entre des affaires dans lesquelles les enfants sont exposés à des souffrances émotionnelles et physiques graves et des affaires dans lesquelles les enfants ne sont exposés qu’au renvoi vers un pays moins développé en compagnie de parents compétents. Si le second scénario était suffisant pour justifier l’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire, il faudrait donner à la vaste majorité des personnes qui vivent illégalement au Canada le statut de résident permanent pour des raisons d’ordre humanitaire. L’agent a effectué une analyse raisonnable de l’intérêt supérieur de l’enfant qui tenait compte de divers facteurs pertinents. Il est possible de remédier à toute imperfection dans l’analyse par un examen du dossier. L’agent n’avait pas à endosser le rôle de parens patriae à l’égard de l’enfant, et chercher à obtenir des renseignements additionnels sur sa situation avant de rendre sa décision. L’agent n’a pas commis une erreur en n’envisageant pas la possibilité que la demanderesse puisse demeurer au Canada et en ne prenant pas en compte les bénéfices que l’enfant pourrait retirer d’une telle décision.

La question de savoir si, lorsqu’il analyse l’intérêt supérieur d’un enfant, l’agent doit, en premier lieu, déterminer explicitement en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant, et, en deuxième lieu, déterminer jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre, afin de montrer qu’il s’est montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, a été certifiée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25(1.3), 72(1).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS NON SUIVIES :

Williams c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166; Sebbe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Webb c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060; Martinez Hoyos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 998.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Gonzalez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 382, [2015] 4 R.C.F. 535; Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 C.F. 555; Osorio Diaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 373; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Serda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 356; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635.

DÉCISIONS CITÉES :

Singh Sahota c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 739; Beharry c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 110; Sinniah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1285; Mangru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 779; Pearson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 981; Joseph c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 993; Pokhan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1453; Judnarine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 82; Dina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 216; Begum c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 824; Thomas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1517; Kobita c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1479; Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 R.C.F. 360; Beggs c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 903; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal d’immigration a rejeté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Richard Wazana pour la demanderesse.

Ladan Shahrooz pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

WazanaLaw, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Mosley : Dans la présente demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), Lucianna Celise conteste la décision d’un agent principal d’immigration, qui a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

I.          Contexte

[2]        La demanderesse est une citoyenne de Sainte-Lucie. Elle est entrée au Canada le 14 avril 2001 et a présenté une demande d’asile plus de 10 ans plus tard, en octobre 2010. Alors que sa demande était en cours de traitement, elle a eu une fille, qui est citoyenne canadienne.

[3]        La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile de la demanderesse en mai 2012. Rien dans le dossier ne montre que la décision a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

[4]        La demanderesse a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 18 juin 2012 sans l’aide d’un conseil. La demande contenait très peu d’information sur la situation personnelle de la demanderesse.

[5]        Mme Celise a écrit qu’elle vivait avec une cousine à Toronto. En 2011, la mère de la demanderesse est venue au Canada pour aider celle-ci à élever sa fille. La demanderesse s’est décrite elle-même comme [traduction] « étant en couple », mais n’a donné aucune précision sur le rôle que le père de sa fille jouait dans la vie de celle-ci. Elle avait travaillé comme gardienne d’enfants, mais elle était prestataire de l’aide sociale au moment où elle a présenté sa demande. Son engagement au sein de la collectivité se limitait à être membre d’une église et à donner de l’argent à la Sick Kids Foundation.

[6]        La demanderesse a expliqué brièvement les motifs d’ordre humanitaire qui l’empêchaient de quitter le Canada :

[traduction] Si je quittais le Canada pour rentrer dans mon pays, je ne pourrais pas vivre dans une maison confortable avec ma fille, car ma mère et la plupart des membres de ma famille ont perdu leurs maisons après le passage de l’ouragan Tomas sur l’île le 30 octobre 2010.

Ma mère a également perdu sa seule source de revenus en tant que fermière locale parce que ses bananiers ont aussi été détruits par l’ouragan.

[7]        Mme Celise a également écrit que son principal objectif était de faire de son mieux pour sa fille. Elle a demandé à avoir une chance d’élever son enfant au Canada où elle pourrait bénéficier des avantages d’être une Canadienne.

[8]        Dans une décision datée du 28 mars 2014, l’agent a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Mme Celise a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire par la suite. Pendant que la demande d’autorisation était en instance, la Cour a sursis à la mesure de renvoi du Canada visant la demanderesse.

[9]        Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, l’agent fait observer qu’il incombait à la demanderesse de prouver que sa situation personnelle est telle que l’obligation de demander de manière habituelle un visa de résident permanent depuis l’étranger lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[10]      L’agent rappelle que la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile de la demanderesse. Conformément au paragraphe 25(1.3) de la LIPR, il ne tiendra pas compte de ces allégations de risque pour décider s’il convient ou non d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Cela dit, l’agent procède aussitôt après à une analyse de ces risques. Il reconnaît que la demanderesse a subi des mauvais traitements à Sainte-Lucie, mais conclut que les éléments de preuve ne suffisent pas à établir que quiconque veuille encore lui porter préjudice 14 ans plus tard. Elle pourrait en outre compter sur l’aide d’une force policière et d’un système judiciaire efficaces ainsi que sur diverses organisations non gouvernementales à Sainte-Lucie.

[11]      L’agent se penche ensuite sur les déclarations de la demanderesse et sur les photographies portant sur les dommages causés par l’ouragan au domicile de la famille à Sainte-Lucie en 2010. La demanderesse n’a pas précisé si la maison avait été remise en état ou non. De plus, la mère de la demanderesse a continué d’habiter la maison avant de venir au Canada en 2011. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la demanderesse ne pouvait pas obtenir des conditions de logement adéquates à Sainte-Lucie dans l’attente du processus de traitement habituel de sa demande de résidence permanente. L’objet du pouvoir discrétionnaire en matière de motifs d’ordre humanitaire n’est pas de favoriser la commodité. Selon l’agent, la demanderesse n’a pas établi qu’elle serait exposée à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait se réinstaller à Sainte-Lucie.

[12]      L’agent examine ensuite l’établissement de la demanderesse au Canada. Il conclut qu’elle est une personne disposant d’une bonne capacité d’adaptation et pleine de ressources qui a réussi à s’établir à l’étranger. Le retour à Sainte-Lucie posera quelques difficultés, mais elle ne retournerait pas en un lieu qui ne lui serait pas familier, dont elle ne connaîtrait ni la langue ni la culture. Son degré d’établissement au Canada ne dépasse pas le degré normal auquel il serait raisonnable de s’attendre.

[13]      L’agent conclut en abordant la question de l’intérêt supérieur de l’enfant. La fille de la demanderesse, âgée de trois ans, est une citoyenne canadienne qui n’a jamais visité Sainte-Lucie. La demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve portant sur des modalités de garde prises avec le père de l’enfant. L’agent comprend que cette décision placera la demanderesse devant l’obligation de faire un choix : [traduction] « Quelle que soit la décision, elle signifiera pour Ashley une éventuelle séparation à long terme d’avec l’un de ses parents. » Ni l’une ni l’autre des situations n’est idéale, mais elle ne va pas à l’encontre de son intérêt supérieur : [traduction] « Même si, dans de nombreux cas, la présence de deux parents aimants au sein de la famille est considérée comme souhaitable, les familles peuvent prendre différentes formes, dont certaines découlent de la nécessité et d’autres d’un choix. » Le fait d’être élevé par un parent seul dans un milieu sécuritaire et aimant ne va pas à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant. Si l’enfant devait aller à Sainte-Lucie avec sa mère, elle serait aussi entourée d’autres membres de sa famille. Selon l’agent, les effets de la réinstallation à l’extérieur du Canada avec sa mère devraient être minimes pour l’enfant compte tenu de son jeune âge. Rien n’indique que l’enfant se verra refuser l’accès aux études, aux soins de santé ou aux autres services sociaux.

[14]      Après avoir examiné l’intérêt supérieur de l’enfant et la situation personnelle de la demanderesse, l’agent conclut que les motifs d’ordre humanitaire ne justifient pas l’octroi d’une dispense.

II.         Question en litige

[15]      La question déterminante dont la Cour est saisie est celle de savoir si l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

III.        Norme de contrôle

[16]      La demanderesse a fait valoir que le choix par l’agent du critère juridique commande la norme de la décision correcte, tandis que son application du critère aux faits est assujettie à la norme de la décision raisonnable. Le défendeur a répliqué que l’ensemble de la demande appelle le contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[17]      Je suis d’accord avec la demanderesse. Comme je l’ai récemment expliqué dans la décision Gonzalez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 382, [2015] 4 R.C.F. 535 (Gonzalez), aux paragraphes 23 à 35, je n’estime pas que la jurisprudence d’appel récente invalide le principe établi selon lequel le choix par l’agent du critère juridique dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire devrait commander la norme de la décision correcte. Nul ne conteste que l’application du critère approprié aux faits est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Même s’il n’y avait que l’analyse des difficultés en cause dans la décision Gonzalez, la jurisprudence ne fait aucune distinction entre cette analyse et l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant relativement à la norme de contrôle : voir Williams c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 (Williams), au paragraphe 22.

IV.       Observations des parties

[18]      La demanderesse a soutenu avec vigueur que l’agent avait appliqué le mauvais critère juridique pour évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon elle, l’analyse de l’agent reposait de façon erronée sur les difficultés, même si les tribunaux ont déclaré que les enfants méritent rarement d’être exposés à des difficultés : Williams; Singh Sahota c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 739; Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 C.F. 555 (Hawthorne), aux paragraphes 4, 32, 33, 40 et 41; Beharry c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 110; Sinniah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1285; Mangru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 779; Pearson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 981.

[19]      D’après la demanderesse, il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle que de conclure que le renvoi ne va pas à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant simplement parce que les besoins fondamentaux de l’enfant pourraient être comblés à l’extérieur du Canada : Sebbe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813 (Sebbe), aux paragraphes 13 à 18. L’agent a aussi commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte de l’effet que pourrait avoir le non-renvoi sur l’intérêt supérieur de l’enfant : Joseph c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 993, aux paragraphes 15 à 20, 23 et 24.

[20]      La demanderesse a également fait observer que l’agent n’avait pas seulement commis une erreur dans son choix du critère juridique, mais qu’il avait également évalué l’intérêt supérieur de l’enfant de façon déraisonnable. Elle a fait valoir qu’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant doit commencer par l’examen de ce qu’a l’enfant au Canada et de ce qu’il pourrait perdre en quittant le pays avec un parent : arrêt Hawthorne, précité, au paragraphe 41; décision Williams, précitée, aux paragraphes 63 et 64; Pokhan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1453 (Pokhan), aux paragraphes 12 à 15; Judnarine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 82, aux paragraphes 45 à 48; Dina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 216, aux paragraphes 8 à 11; Begum c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 824, aux paragraphes 52 à 63; Thomas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1517, aux paragraphes 27 à 32.

[21]      La demanderesse a affirmé que l’agent avait commis une erreur en concluant que l’intérêt supérieur de l’enfant serait satisfait si l’enfant devait accompagner sa mère à Sainte-Lucie. Il n’a jamais examiné si l’intérêt supérieur de l’enfant serait mieux satisfait si l’enfant était autorisée à demeurer au Canada avec la demanderesse. Il a écarté de façon déraisonnable des éléments de preuve montrant que le domicile de la demanderesse avait été ravagé par un ouragan. Enfin, il a commis une erreur en émettant l’hypothèse que des membres de la famille de la demanderesse peuvent aider celle-ci à s’occuper de sa fille à Sainte-Lucie. Il était clairement précisé dans sa demande que sa mère vit maintenant au Canada, et la demande ne faisait mention d’aucun autre membre de la famille à Sainte-Lucie.

[22]      Le défendeur a répliqué que l’agent n’avait pas converti l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant en analyse des difficultés. L’agent n’avait pas non plus conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant serait satisfait à Sainte-Lucie simplement parce que les besoins fondamentaux de l’enfant seraient comblés. Au contraire, a fait valoir le défendeur, l’agent a tenu compte de divers facteurs ayant trait à l’intérêt supérieur de l’enfant, soit les suivants : la demanderesse est la principale pourvoyeuse de soins de l’enfant; aucun élément de preuve ne fait état de la participation du père aux soins de l’enfant; l’enfant devrait être en mesure de s’adapter à la vie à Sainte-Lucie. L’agent n’a pas effectué une analyse des difficultés, que ce soit en forme ou en substance.

[23]      Le défendeur était aussi d’avis que la décision Williams ne crée pas un critère juridique contraignant : Webb c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060, au paragraphe 13; Kobita c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1479, au paragraphe 50; Osorio Diaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 373 (Osorio Diaz), aux paragraphes 24 et 25. Le défendeur a fait observer que dans l’arrêt Hawthorne, précité, au paragraphe 7, la Cour d’appel fédérale a soutenu qu’il n’y a pas de « formule magique » pour évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant.

[24]      Selon le défendeur, la demanderesse n’a pas fourni suffisamment de preuve pour étayer son allégation selon laquelle le domicile familial à Sainte-Lucie est inhabitable et qu’elle ne pourrait pas se loger ailleurs, le cas échéant. Enfin, toute erreur au sujet de la présence à Sainte-Lucie de membres de la famille de la demanderesse, dont sa mère, n’a aucune incidence sur la décision.

V.        Analyse

[25]      J’ai conclu que l’agent n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle.

[26]      Le point de départ de toute analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant est l’affirmation faite par la Cour suprême au paragraphe 75 de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 : « le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt ».

[27]      La Cour d’appel fédérale a donné d’autres éclaircissements dans l’arrêt Hawthorne. Les motifs de la majorité font clairement état des « difficultés » dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Plus particulièrement, le juge Décary a écrit ce qui suit aux paragraphes 4 à 7 :

On détermine l’« intérêt supérieur de l’enfant » en considérant le bénéfice que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l’enfant, soit advenant le renvoi de l’un de ses parents du Canada, soit advenant qu’elle quitte le Canada volontairement si elle souhaite accompagner son parent à l’étranger. Ces bénéfices et difficultés constituent les deux côtés d’une même médaille, celle-ci étant l’intérêt supérieur de l’enfant.

[L’agente] peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l’examen de l’agente repose sur la prémisse — qu’elle n’a pas à exposer dans ses motifs — qu’elle constatera en bout de ligne, en l’absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent.

Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l’agente qu’elle décide si l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non-renvoi — c’est un fait qu’on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

Lorsque notre Cour a statué dans l’arrêt Legault, au paragraphe 12, que l’intérêt supérieur de l’enfant devait être « bien identifié et défini », elle ne tentait pas d’imposer une formule magique à laquelle devaient recourir les agents d’immigration dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. [Non souligné dans l’original.]

[28]      Dans l’arrêt Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 R.C.F. 360 (Kisana), le juge Nadon a souscrit aux motifs de la majorité dans l’arrêt Hawthorne. Les parties n’ont fait mention d’aucun arrêt de la Cour d’appel [fédérale] dans lequel des réserves sont exprimées à leur égard.

[29]      Toutefois, la demanderesse a cité à juste titre des affaires de la Cour dans lesquelles il est exigé que les agents qui statuent sur des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire aillent un peu plus loin. Plus précisément, mon collègue, le juge Russell, a formulé les commentaires suivants dans la décision Williams, précitée, aux paragraphes 63 et 64 :

Lorsqu’il analyse l’intérêt supérieur d’un enfant, l’agent doit d’abord déterminer en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant, en deuxième lieu, jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre et, enfin, à la lumière de l’analyse susmentionnée, le poids que ce facteur joue lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs dont il a été tenu compte lors de l’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

Il n’existe pas de norme minimale en matière de besoins fondamentaux qui satisferait au critère de l’intérêt supérieur. De plus, il n’existe pas de critère minimal en matière de difficultés suivant lequel à un certain point dans l’échelle des difficultés et seulement à ce point pourrait-on considérer que l’intérêt supérieur de l’enfant est « compromis » au point de justifier une décision favorable. La question n’est pas celle de savoir si l’enfant « souffre assez » pour que l’on considère que son « intérêt supérieur » ne sera pas « respecté ». À cette étape initiale de l’analyse, la question à laquelle il faut répondre est la suivante : « en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant? » [Les soulignés et les caractères italiques sont dans l’original.]

[30]      De nombreux cas ont retenu la position adoptée dans la décision Williams et infirmé des décisions relatives à des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire qui n’utilisaient pas la formule qui y est établie. Si ces décisions se fondent souvent sur le passage tiré de l’arrêt Hawthorne, précité, au paragraphe 9, selon lequel « [l]es enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés », elles semblent laisser de côté les autres commentaires formulés par la majorité dans l’arrêt Hawthorne aux paragraphes 4 à 7. Selon moi, l’arrêt Hawthorne n’appuie en aucune façon le critère créé dans la décision Williams. Au contraire, la Cour d’appel [fédérale] a précisé qu’il n’existe aucune « formule magique » pour évaluer les motifs d’ordre humanitaire. Le commentaire au paragraphe 9 visait simplement à expliquer que le terme « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » n’est pas un terme technique et qu’il peut être appliqué de façon large aux enfants qui, de toute évidence, ne méritent jamais d’être exposés à des difficultés. Je suis d’avis qu’il ne s’agissait pas d’une invitation à éliminer complètement toute analyse des difficultés lorsque des enfants sont concernés.

[31]      La Cour n’a pas appliqué uniformément le critère énoncé dans la décision Williams. J’ai déjà exprimé l’opinion qu’il peut être utile, mais que les décisions faisant autorité ne l’ont pas rendu obligatoire : décision Webb, précitée, au paragraphe 13. Le juge Rennie (alors membre de la présente Cour) a formulé la même observation dans la décision Beggs c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 903, au paragraphe 10. Dans la décision Osorio Diaz, précitée, aux paragraphes 24 et 25, le juge Brown a fait remarquer que « la mention des “difficultés” lors de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ne suffit pas pour annuler la conclusion » et que « même une analyse axée sur les difficultés pourrait ne pas justifier l’intervention de la Cour ».

[32]      En somme, je maintiens que la formule exposée dans la décision Williams n’est pas requise par les dispositions législatives ou par la jurisprudence d’appel. Je suis également préoccupé par le fait qu’elle pourrait réduire l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant à une exigence pro forma, étant donné que l’intérêt supérieur de l’enfant favoriserait presque toujours l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire à la première étape. En conséquence, tout ce qui serait exigé des agents à cette étape serait de répéter machinalement que l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non-renvoi. Le véritable travail devrait être fait à la seconde étape, à savoir l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant par rapport aux facteurs défavorables.

[33]      À mon humble avis, cette approche ne tient pas compte du contexte. Elle établit une analogie entre des affaires dans lesquelles les enfants sont exposés à des souffrances émotionnelles et physiques graves et des affaires dans lesquelles les enfants ne sont exposés qu’au renvoi vers un pays moins développé en compagnie de parents compétents. Si le second scénario était suffisant pour justifier l’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire — ou du moins une présomption selon laquelle une telle dispense devrait être accordée, sauf en présence de facteurs défavorables exceptionnels à la deuxième étape — le problème identifié par le juge de Montigny dans la décision Serda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 356, au paragraphe 31, se poserait assez rapidement :

[…] le fait que le Canada soit un endroit plus agréable pour vivre n’est pas un facteur déterminant dans l’issue d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire (Vasquez c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 91; Dreta c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1239); s’il en était autrement, il faudrait donner à la vaste majorité des personnes qui vivent illégalement au Canada le statut de résident permanent pour des raisons d’ordre humanitaire. De toute évidence, telle n’était pas l’intention du Parlement lorsqu’il a promulgué l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. [Non souligné dans l’original.]

[34]      Comme il n’est pas obligatoire d’appliquer la formule exposée dans la décision Williams, l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle. Il a effectué une analyse raisonnable de l’intérêt supérieur de l’enfant qui tenait compte de divers facteurs pertinents. Il est possible de remédier à toute imperfection dans l’analyse par un examen du dossier : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708.

[35]      En fait, le dossier révèle que la demanderesse a présenté très peu d’éléments de preuve au décideur à l’appui de tous les aspects de sa demande, dont l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme la Cour d’appel [fédérale] l’a soutenu dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635, au paragraphe 5, « le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires ». L’agent a rendu une décision raisonnable compte tenu de l’insuffisance de la preuve fournie dans l’ensemble et, plus particulièrement, des lacunes de la preuve relative au rôle joué par le père de l’enfant dans la vie de celle-ci et à l’état du domicile à Sainte-Lucie.

[36]      Comme je l’ai mentionné, la demanderesse a rempli par elle-même sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. À l’audience, son conseil s’est appuyé sur la décision Sebbe, précitée, au paragraphe 13, pour faire valoir que l’agent aurait dû endosser le rôle de parens patriae à l’égard de l’enfant, et chercher à obtenir des renseignements additionnels sur sa situation avant de rendre sa décision. Je refuse respectueusement de suivre la décision Sebbe à cet égard. Aucun précédent de jurisprudence ou précédent doctrinal faisant autorité n’a été cité à l’appui de la proposition. En fait, dans l’arrêt Kisana, précité, au paragraphe 37, la Cour d’appel [fédérale] a rappelé qu’il est rarement pertinent d’établir des analogies entre le droit de l’immigration et d’autres domaines du droit dans le cadre d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Et, comme il a été souvent affirmé, il incombe à la demanderesse de fournir suffisamment de renseignements sur lesquels l’agent puisse se fonder pour décider s’il est justifié d’accorder une dispense.

[37]      Le conseil de la demanderesse a également avancé que l’agent a commis une erreur en n’envisageant pas la possibilité qu’elle puisse demeurer au Canada et en ne prenant pas en compte les bénéfices que l’enfant pourrait retirer d’une telle décision. À l’appui de cet argument, il a invoqué la décision Pokhan, précitée, au paragraphe 14. Il est vrai que les termes employés par l’agent peuvent être interprétés de cette façon. Toutefois, malgré la qualité des observations de vive voix présentées par le conseil, je ne peux pas conclure que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle. Dans l’arrêt Hawthorne, précité, la Cour d’appel [fédérale] a expliqué ce qui suit au paragraphe 5 :

[L’agente] peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l’examen de l’agente repose sur la prémisse — qu’elle n’a pas à exposer dans ses motifs — qu’elle constatera en bout de ligne, en l’absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent. [Non souligné dans l’original.]

[38]      Les motifs de l’agent résistent à un examen approfondi à la lumière de cette présomption. Il est compréhensible qu’il ait conclu que, bien que l’intérêt supérieur de l’enfant serait servi si elle demeurait au Canada avec sa mère, cet intérêt ne serait pas à ce point compromis par le renvoi de sa mère qu’il faudrait éviter le renvoi, compte tenu des facteurs préconisant le renvoi. Encore une fois, le fait qu’il pourrait être préférable pour un enfant de vivre au Canada plutôt que dans un autre pays ne suffit pas à établir une présomption selon laquelle une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire devrait être approuvée.

[39]      Contrairement à ce que la demanderesse a affirmé, sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire faisait bien état de la présence d’autres membres de sa famille à Sainte-Lucie. Elle a écrit : [traduction] « ma mère et la plupart des membres de ma famille ont perdu leurs maisons », laissant ainsi entendre que d’autres membres de sa famille vivent dans le pays. Quoi qu’il en soit, la supposition erronée de l’agent selon laquelle sa mère vit toujours à Sainte-Lucie n’a pas été déterminante pour son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ni pour son analyse des difficultés auxquelles la demanderesse serait elle-même exposée. Les autres facteurs que l’agent a pris en compte appuient le résultat auquel il est arrivé.

[40]      Par conséquent, je suis convaincu que l’agent a dûment tenu compte des renseignements fournis par la demanderesse et qu’il n’avait pas besoin de demander des renseignements supplémentaires dans les circonstances. Sa conclusion selon laquelle l’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était injustifié appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.       Conclusion

[41]      La demande est rejetée.

[42]      Le défendeur a proposé une question à certifier indépendamment de l’issue. La question, à laquelle ont été apportées de légères modifications stylistiques et grammaticales, est la suivante :

Lorsqu’il analyse l’intérêt supérieur d’un enfant, l’agent doit-il en premier lieu déterminer explicitement en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant, et, en deuxième lieu, déterminer jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre, afin de montrer qu’il s’est montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant?

[43]      La demanderesse s’est opposée à la certification de cette question.

[44]      À la lumière du résultat, j’estime qu’il convient de certifier la question proposée par le défendeur. Elle permet essentiellement de se demander si un agent qui analyse l’intérêt supérieur de l’enfant est tenu d’appliquer la formule énoncée dans la décision Williams et appliquée par la Cour dans certaines affaires et non dans d’autres. Il s’agit d’une question grave de portée générale, car une certaine incertitude plane quant au droit applicable au critère d’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’arrêt Hawthorne n’a pas été interprété de façon uniforme dans la jurisprudence subséquente. En outre, la question permettrait de régler un appel, étant donné que l’agent n’a pas appliqué la formule de la décision Williams pour rendre la décision qui fait l’objet d’un présent contrôle. Si cette formule était obligatoire, la demanderesse pourrait réussir à établir qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise.

[45]      Il y a lieu d’établir une distinction entre l’affaire en l’espèce et d’autres affaires dans lesquelles la Cour a refusé de certifier une question similaire, soit parce que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle qui n’avait pas trait à la formule énoncée dans la décision Williams (p. ex. Webb), soit parce que l’agent avait employé la formule de la décision Williams pour rendre une décision défavorable qui a été confirmée (p. ex. Martinez Hoyos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 998).

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. La question suivante est certifiée :

Lorsqu’il analyse l’intérêt supérieur d’un enfant, l’agent doit-il, en premier lieu, déterminer explicitement en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant, et, en deuxième lieu, déterminer jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre, afin de montrer qu’il s’est montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant?

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