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T-411-14

2014 CF 376

AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34, modifiée;

ET une enquête en vertu de l’article 10 de la Loi sur la concurrence relative à certaines conduites anticoncurrentielles sur les marchés des livres au Canada;

ET une demande ex parte déposée par le commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à Pearson Canada Inc. et Penguin Canada Books Inc. de produire des documents en vertu de l’alinéa 11(1)b) de la Loi sur la concurrence et de préparer et donner des déclarations écrites conformément à l’alinéa 11(1)c) de la Loi sur la concurrence.

ENTRE :

Le commissaire de la concurrence (demandeur)

c.

Pearson Canada Inc. et Penguin Canada Books Inc. (défenderesses)

Répertorié : Canada (Commissaire de la concurrence) c. Pearson Canada Inc.

Cour fédérale, juge en chef Crampton—Ottawa, 26 février et 23 avril 2014.

Concurrence — Demande ex parte déposée par le commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux défenderesses de produire des documents en vertu de l’art. 11(1)b) de la Loi sur la concurrence (la Loi) et de préparer et donner des déclarations écrites conformément à l’art. 11(1)c) de la Loi — Les défenderesses sont des éditeurs et des distributeurs de livres — Le commissaire a ouvert une enquête en vertu de l’art. 10(1)b)(ii) de la Loi au motif qu’il avait des raisons de croire qu’il existait des motifs justifiant une ordonnance relativement à certains comportements anticoncurrentiels visant à restreindre la concurrence — Il s’agissait de savoir : le rôle que joue la Cour dans le contexte de demandes faites en vertu de l’art. 11(1); la portée des renseignements que le commissaire cherche à obtenir; la pertinence des arguments relatifs au bien-fondé de l’enquête du commissaire; le rôle des défendeurs dans le cadre de ce type de demandes — Dans le cadre d’une demande de production de déclarations écrites et de documents en vertu des art. 11(1)b) et c) de la Loi, la Cour doit simplement être convaincue de deux choses, à savoir qu’une enquête est menée en vertu de l’art. 10 et qu’une personne détient vraisemblablement des renseignements pertinents à cette enquête — Les obligations du commissaire trouvent leur source dans l’obligation de divulgation entière et franche qui existe dans le contexte d’une demande ex parte et l’obligation pour la Cour d’être convaincue que les renseignements sont pertinents, ne sont pas excessifs, disproportionnés ou inutilement onéreux — En tant qu’autorité désignée par la loi pour appliquer et exécuter la Loi sur la concurrence, le commissaire jouit d’une présomption selon laquelle il agit de bonne foi et dans l’intérêt public lorsqu’il prend des mesures en vertu de la Loi — En l’espèce, les défenderesses n’ont pas réfuté la présomption selon laquelle l’enquête décrite dans l’affidavit du commissaire est une véritable enquête — Concernant la portée des renseignements que le commissaire cherchait à obtenir, il est vrai que les défenderesses avaient investi beaucoup de temps et d’argent pour répondre aux demandes antérieures du commissaire — Cependant, cela n’était pas en soi suffisant pour que la Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour rendre le projet d’ordonnance révisé — Pour justifier l’exercice d’un tel pouvoir, il fallait que le fardeau assumé dans le passé par les défenderesses ainsi que le temps et l’argent additionnel nécessaires pour se conformer à l’ordonnance soient excessifs, disproportionnés ou inutilement onéreux — Ce n’était pas le cas — Les demandes du commissaire n’étaient pas déraisonnables — Quant au bien-fondé de l’enquête du commissaire, en l’absence de preuves de mauvaise foi ou d’autres circonstances exceptionnelles, la Cour devrait à ce stade de recherche des faits s’abstenir de tirer des conclusions, qui seraient essentiellement des conclusions définitives, concernant le bien-fondé d’une enquête — Par rapport au rôle des défenderesses, étant donné que le législateur a délibérément décidé que les demandes fondées sur l’art. 11 devraient être entendues ex parte, il ne faut pas s’attendre à ce que la Cour accorde régulièrement aux défenderesses la permission de présenter des observations écrites ou de vive voix — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande ex parte déposée par le commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux défenderesses de produire des documents en vertu de l’alinéa 11(1)b) de la Loi sur la concurrence et de préparer et donner des déclarations écrites conformément à l’alinéa 11(1)c) de la Loi.

Les défenderesses sont des éditeurs et des distributeurs de livres, imprimés comme électroniques.

En juillet 2012, le commissaire a ouvert une enquête en vertu de l’alinéa 10(1)b)(ii) de la Loi au motif qu’il avait des raisons de croire qu’il existait des motifs justifiant une ordonnance en vertu de la partie VIII de la Loi relativement à certains comportements anticoncurrentiels allégués visant à restreindre la concurrence des prix de détail des livres électroniques au Canada. Selon l’affidavit déposé par le commissaire, cette enquête vise un comportement décrit aux articles 76 (maintien des prix), 79 (abus de position dominante) et 90.1 (accords restrictifs entre concurrents).

Les défenderesses soutenaient en l’espèce qu’elles n’ont pas participé au présumé accord horizontal entre éditeurs de livres électroniques au sujet duquel le commissaire fait enquête en vertu de l’article 90.1 de la Loi.

Il s’agissait de savoir : i) le rôle que joue la Cour dans le contexte de demandes faites en vertu du paragraphe 11(1), en particulier en ce qui a trait à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et de ce qui est attendu du commissaire; ii) la portée des renseignements que le commissaire cherche à obtenir; iii) la pertinence des arguments relatifs au bien-fondé de l’enquête du commissaire; iv) et le rôle des défendeurs dans le cadre de ce type de demandes.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Dans le cadre d’une demande de production de déclarations écrites et de documents en vertu des alinéas 11(1)b) et c) de la Loi, la Cour doit simplement être convaincue de deux choses, à savoir qu’une enquête est menée en vertu de l’article 10 et qu’une personne détient vraisemblablement des renseignements qui sont pertinents quant à cette enquête. Les obligations du commissaire en matière de preuve aux termes de l’article 11 ne trouvent pas leur source dans ses raisons de croire que ces motifs existent, mais plutôt dans i) l’obligation de divulgation entière et franche qui existe dans le contexte d’une demande ex parte et ii) l’obligation de la Cour d’être convaincue que les renseignements que le commissaire cherche à obtenir sont pertinents pour l’enquête en question, et ne sont pas excessifs, disproportionnés ou inutilement onéreux.

En tant qu’autorité désignée par la loi pour appliquer et exécuter la Loi, le commissaire jouit d’une présomption selon laquelle il agit de bonne foi et dans l’intérêt public lorsqu’il prend des mesures en vertu de la Loi. Par conséquent, en l’absence de preuve de mauvaise foi ou d’autres preuves que l’enquête du commissaire n’est pas une véritable enquête, la bonne foi du commissaire sera présumée.

Toutefois, étant donné que les demandes en vertu de l’article 11 sont entendues ex parte, le commissaire a « l’obligation rigoureuse […] de faire une divulgation complète et franche » de toutes les circonstances pertinentes entourant la demande. Ce fardeau, qui peut également être décrit comme une obligation de faire preuve de la plus haute bonne foi, n’est pas centré sur les faits qui sous-tendent la demande du commissaire, mais plutôt sur deux autres choses. La première est de s’assurer que la Cour est informée de tout point de fait ou de droit connu qui favorise l’autre partie. La deuxième est de s’assurer que la Cour puisse reconnaître les cas d’abus de sa procédure et puisse y remédier.

La présomption selon laquelle l’enquête décrite dans l’affidavit du commissaire est une véritable enquête n’a pas été réfutée par les défenderesses en l’espèce. Les renseignements contenus dans l’affidavit initial du commissaire étaient suffisants pour que l’ordonnance demandée soit rendue.

En ce qui concerne la portée des renseignements que le commissaire cherchait à obtenir, bien que les défenderesses avaient déjà investi beaucoup de temps et d’argent pour répondre aux différentes demandes de renseignements antérieures du commissaire, cela n’était pas en soi suffisant pour que la Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour rendre le projet d’ordonnance révisé. Pour justifier l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire en faveur des défenderesses pour cette raison, il faudrait que la Cour soit convaincue que le fardeau assumé dans le passé par les défenderesses ainsi que le temps et l’argent additionnel qui seront nécessaires pour se conformer à l’ordonnance seront excessifs, disproportionnés ou inutilement onéreux. Or, ce n’était pas le cas. Les demandes de renseignements du commissaire n’étaient pas déraisonnables.

Quant au bien-fondé de l’enquête du commissaire, les défenderesses ont soutenu énergiquement qu’étant donné le consentement déposé auprès du Tribunal, le commissaire ne pouvait plus avoir de motif raisonnable de continuer de se préoccuper de ce que la conduite des défenderesses puisse diminuer sensiblement la concurrence, au sens de l’article 90.1 de la Loi. Or, il n’était pas aussi évident que les défenderesses le prétendaient que le consentement excluait toute possibilité d’un accord visé à l’article 90.1. Une demande fondée sur l’article 11 n’est pas appropriée pour que la Cour formule des conclusions définitives concernant des questions liées à des théories sur les effets de la concurrence, des moyens de défense, des exemptions ou la probabilité factuelle qu’une enquête puisse révéler l’existence de renseignements démontrant l’existence d’un comportement visé à l’article 90.1 ou à une autre disposition de la partie VIII de la Loi. En l’absence de preuves de mauvaise foi ou d’autres circonstances exceptionnelles, la Cour devrait à ce stade de recherche des faits s’abstenir de tirer des conclusions, qui seraient essentiellement des conclusions définitives, concernant le bien-fondé d’une enquête.

Finalement, par rapport au rôle des défenderesses, l’article 11 énonce expressément que les demandes sont faites ex parte. En conséquence, seul le commissaire a le droit de participer à l’audience, de déposer des éléments de preuve ou de contre-interroger l’auteur de l’affidavit du commissaire. La Cour peut toutefois exiger dans certaines circonstances qu’un avis soit donné à la partie ou aux parties nommées dans l’ordonnance demandée par le commissaire, afin de donner à cette partie ou ces parties la possibilité de demander la permission de présenter des observations par écrit ou de vive voix. La Cour peut offrir une telle possibilité aux parties lorsque ces dernières sont au courant de l’audience et elles y assistent. Étant donné que le législateur peut être considéré comme ayant délibérément décidé que les demandes fondées sur l’article 11 devraient habituellement être entendues ex parte, il ne faut pas s’attendre à ce que la Cour accorde régulièrement la permission de présenter des observations par écrit ou de vive voix. Lorsqu’un défendeur a des préoccupations quant à la portée ou au caractère potentiellement redondant du projet d’ordonnance, il est plus approprié que ces préoccupations soient portées à l’attention de la Cour par l’entremise du commissaire, vu l’obligation de divulgation complète et franche de ce dernier.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, art. 10, 11, 15(1)a)(ii), 45 à 62 (partie VI), 63 à 74 (partie VII), 74.01 à 74.18 (partie VII.1), 75 à 107 (partie VIII), 75(1), 76, 79, 90.1, 103.1(7), 108 à 124 (partie IX), 114(1),(2).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 399(2)a).

Sherman Act, 15 U.S.C. § 1 (2012).

traités et autres instruments cités

Accord sur l’Espace économique européen, JO L 1/94, art. 53(1).

Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JO C 326/47, art. 101(1).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision différenciée :

Symbol Technologies Canada ULC c. Barcode Systems Inc., 2004 CAF 339, [2005] 1 R.C.F. 254.

décisions examinées :

Canada (Commissaire de la concurrence) c. Air Canada, [2001] 1 C.F. 219 (1re inst.); Canada (Commissaire de la concurrence) c. Compagnie de brassage Labatt Limitée, 2008 CF 59; United States of America v. Friedland, [1996] O.J. No. 4399 (Div. gén.) (QL); SGL Canada Inc. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches), [1998] A.C.F. no 1951 (1re inst.) (QL).

décisions citées :

Canadian Pacific Ltd. v. Canada (Competition Act, Director of Investigation and Research), 1995 CanLII 7315, 61 C.P.R. (3d) 137 (Div. gén. Ont.); Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; Canada (Loi sur la concurrence, Directeur des enquêtes et recherches) c. Banque de Montréal (1996), 68 C.P.R. (3d) 527 (Trib. conc.); Canada (Loi sur la concurrence, Directeur des enquêtes et recherches) c. Superior Propane Inc. (1998), 85 C.P.R. (3d) 194 (Trib. conc.); Rona Inc. c. Commissaire de la concurrence, 2005 Trib. Concurr. 26, en ligne : <http://www.ct-tc.gc.ca/CMFiles/CT-2003-007_Motifs%20de%20l'Ordonnance%20et%20Ordonnance%20rela tive%20aux%20frais_98a_53_8-19-2005_2147.pdf>; Industrial Milk Producers Assn. c. Colombie-Britannique (Milk Board), [1989] 1 C.F. 463 (1re inst.); North of Smokey Fishermen’s Assn. c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 33; Frelighsburg (Municipalité) c. Entreprises Sibeca Inc., 2002 CanLII 41283 (C.A. Qué.); Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; CP Containers (Bermuda) Ltd. (Re), 1995 CarswellNat 2899, 64 C.P.R. (3d) 384 (Trib. conc.); Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2006 CSC 36, [2006] 2 R.C.S. 189; Commissioner of Competition v. Toshiba of Canada Limited, 2010 ONSC 659 (CanLII), 100 O.R. (3d) 535; Raimondo v. Canada (Competition Act, Director of Investigation and Research), 1995 CanLII 7316, 61 C.P.R. (3d) 142 (Div. gén. Ont.); R. v. S.A.B., 2001 ABCA 235, 96 Alta. L.R. (3d) 31.

DEMANDE ex parte déposée par le commissaire de la concurrence en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux défenderesses de produire des documents en vertu de l’alinéa 11(1)b) de la Loi sur la concurrence et de préparer et donner des déclarations écrite conformément à l’alinéa 11(1)c) de la Loi sur la concurrence. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Parul Shah et Jonathan Chaplan pour le demandeur.

Catherine Beagan Flood, Navin Joneja et David Rosner pour les défenderesses.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Blake, Cassels & Graydon LLP, Toronto, pour les défenderesses.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge en chef Crampton : Voici les motifs de l’ordonnance que j’ai rendue dans la présente instance le 3 mars 2014. Dans cette ordonnance, j’ai accueilli la demande ex parte déposée par le commissaire de la concurrence [le commissaire] en vue de la production de documents et de la remise de déclarations écrites par les défenderesses en application respectivement des alinéas 11(1)b) et 11(1)c) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (la Loi).

[2]        Les présents motifs ont pour objet de préciser : i) le rôle de la Cour dans le contexte de demandes faites en vertu du paragraphe 11(1), en particulier en ce qui a trait à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et de ce qui est attendu du commissaire; ii) la portée des renseignements que le commissaire cherche à obtenir; et iii) la pertinence des arguments relatifs au bien-fondé de l’enquête du commissaire.

[3]        En outre, les présents motifs préciseront le rôle des défendeurs dans le cadre de ce type de demandes.

[4]        Pour les motifs exposés ci-après, la Cour ne s’intéresse pas, dans le cadre des demandes déposées en vertu de l’article 11, à la question de savoir si le commissaire a communiqué suffisamment de renseignements pour convaincre la Cour que l’enquête est une véritable enquête et qu’il y a des raisons de croire qu’il existe des motifs justifiant le prononcé d’une ordonnance en vertu d’un article précis de la partie VIII de la Loi, ou en vertu de la partie VIII en général. Dans le cadre d’une instance typique introduite en vertu de l’article 11, la Cour s’intéressera plutôt à la question de savoir si elle est convaincue : i) qu’une enquête est effectivement menée; ii) que le commissaire a procédé à une divulgation complète et franche; iii) que les renseignements ou les documents décrits dans l’ordonnance demandée sont pertinents pour l’enquête en question; iv) que la portée de ces renseignements ou documents n’est pas excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse.

[5]        Cela dit, il peut s’avérer en pratique difficile que la Cour soit convaincue qu’un défendeur détient ou détient vraisemblablement des renseignements qui sont pertinents pour l’enquête du commissaire comme l’exige le paragraphe 11(1), sans certains éléments de preuve contextuelle de cette nature. Dans la présente demande, le commissaire a amplement convaincu la Cour à cet égard.

[6]        Pour ce qui concerne le bien-fondé de l’enquête du commissaire, les audiences ex parte de demandes faites en vertu de l’article 11 ne sont pas le lieu approprié pour tirer des conclusions définitives sur de telles questions.

[7]        Quant au rôle des défendeurs, l’on ne devrait pas s’attendre à ce que la Cour accueille régulièrement des demandes d’autorisation de présenter des observations par écrit ou de vive voix. En règle générale, il est plus approprié que les préoccupations d’un défendeur quant à la portée ou à la redondance du projet d’ordonnance soient portées à l’attention de la Cour par l’entremise du commissaire, en vertu de l’obligation de divulgation complète et franche de ce dernier. Il demeurera ensuite loisible au défendeur de déposer une requête pour traiter des questions qui se posent subséquemment, en la manière habituelle.

I.          Contexte

[8]        D’après les éléments de preuve produits par le commissaire, les défenderesses Pearson Canada Inc. (Pearson Canada) et Penguin Canada Books Inc. (Penguin Canada) semblent être liées entre elles ainsi qu’à Penguin Group (USA), Inc. Pearson plc (Pearson) semble être la société mère de chacune de ces entités.

[9]        Pearson Canada et Penguin Canada sont des éditeurs et des distributeurs de livres, imprimés comme électroniques.

[10]      En avril 2012, les États-Unis d’Amérique (les États-Unis), agissant par l’entremise du procureur général des États-Unis, ont intenté une action au civil (la plainte) contre Apple Inc. (Apple) et cinq des six plus grands éditeurs de livres de fiction et de livres non romanesques d’intérêt général aux États-Unis. Ces éditeurs (les éditeurs défendeurs) comprenaient Penguin (USA), Inc., The Penguin Group, une division de Pearson (collectivement Penguin U.S.), Hachette Book Group, Inc. (Hachette), HarperCollins Publishers L.L.C. (HarperCollins), Verlagsgruppe Georg von Holtzbrinck GmbH et Holtzbrinck Publishers, LLC (collectivement Holtzbrinck), faisant affaire sous le nom Macmillan (collectivement Macmillan) et Simon & Schuster, Inc. (Simon & Schuster).

[11]      Selon la plainte déposée aux États-Unis, les éditeurs défendeurs et Apple ont comploté au moins depuis 2009 pour limiter la concurrence dans la vente de livres de fiction et de livres non romanesques d’intérêt général en format électronique (livres électroniques), en particulier en ce qui a trait aux prix de gros de ces livres, en contravention à l’article 1 du Sherman Act, 15 U.S.C. § 1 (2012). Un aspect central de ce présumé complot consistait à remplacer le modèle de vente en gros pour la distribution au détail par un modèle fondé sur le mandat qui conférait aux éditeurs défendeurs le pouvoir d’augmenter eux-mêmes les prix de détail des livres électroniques. Au niveau de la distribution, ce passage à un modèle fondé sur le mandat a commencé avec Apple, avec qui les éditeurs défendeurs ont chacun signé des accords de distribution de livres en l’espace de trois jours en janvier 2010. Il a été allégué qu’au cours des quatre mois suivants, chaque éditeur défendeur avait transformé ses relations commerciales avec tous les grands détaillants de livres aux États-Unis en remplaçant leur modèle de vente en gros antérieur par un modèle fondé sur le mandat et en imposant des interdictions pures et simples d’escomptes et d’autres formes de concurrence des prix à tous les détaillants de livres électroniques Apple.

[12]      Entre autres choses, la plainte décrivait également les rôles allégués des présidents-directeurs généraux (PDG) des éditeurs défendeurs dans le présumé complot, notamment les rôles de M. John Makinson, PDG du Penguin Group, qui est mentionné à répétition dans la plainte, et de M. David Shanks, PDG de Penguin (USA), Inc.

[13]      La plainte s’est soldée par un jugement final en mai 2013 contre Penguin U.S. Ce jugement comprend différentes dispositions visant des accords restrictifs conclus entre Penguin U.S. et des détaillants, des interdictions de conclure des accords similaires pendant une période de temps précise, une interdiction de prendre des représailles contre d’autres éditeurs de livres électroniques ou détaillants de livres électroniques (identifiés dans le jugement) et des interdictions de certains types de conduites horizontales avec d’autres éditeurs de livres (dont d’autres éditeurs défendeurs, tous identifiés dans le jugement). Les accords restrictifs en matière de distribution dont il était question comprenaient des accords limitant la capacité des détaillants de livres électroniques de fixer, modifier ou réduire le prix de détail de tout livre électronique ou d’offrir des rabais ou toute autre forme de promotion aux consommateurs, et des accords qui comportaient certains types de clauses de la nation la plus favorisée (NPF).

[14]      En avril 2013, la Commission européenne (Commission) a diffusé un document (avis de consultation) dans lequel elle décrivait son évaluation préliminaire d’allégations de conduite similaire formulées contre certaines filiales de Pearson et d’autres éditeurs en rapport avec la vente de livres électroniques dans l’Espace économique européen (EEE). L’avis de consultation décrivait aussi différents engagements que ces filiales de Pearson avaient proposé de prendre pour répondre aux préoccupations soulevées par la Commission. Malgré ces engagements, ces filiales se sont dites expressément en désaccord avec l’évaluation de la Commission.

[15]      Le 1er juillet 2013, Bertelsmann SE & Co., KGaA et Pearson ont uni des secteurs de leurs entreprises d’édition respectives dans une coentreprise appelée Penguin Random House.

[16]      L’enquête de la Commission a entre autres mené à la publication d’une décision de la Commission le 25 juillet 2013 contre Penguin Random House Limited et certaines de ses sociétés liées. Cette décision comportait une description de la participation alléguée de ces entités, de leurs principales rivales et d’Apple à la mise en œuvre d’un plan global commun au sein de l’EEE. En outre, la décision exposait l’avis préliminaire de la Commission selon lequel ces entités avaient participé à une pratique concertée qui était susceptible d’avoir un effet appréciable sur le commerce entre États membres de l’EEE, au sens du paragraphe 101(1) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JO C 326/47 et du paragraphe 53(1) de l’Accord sur l’Espace économique européen, JO L 1/94.

[17]      Après avoir réitéré que les entités Penguin en question n’étaient pas d’accord avec son évaluation préliminaire, la Commission a accepté différents engagements que ces entités avaient proposé de prendre pour répondre aux préoccupations de la Commission. Ces engagements comprenaient la résiliation des accords restrictifs en matière de distribution (désigné comme des « accords de mandat ») avec des détaillants dans l’EEE, en particulier les accords qui a) restreignent, limitent ou éliminent la capacité d’un détaillant de livres électroniques de fixer, modifier ou réduire les prix de détail de livres électroniques ou d’offrir toute autre forme de promotion; ou b) comportent certains types de clauses de la NPF. Ces engagements prévoyaient également que ces sociétés s’abstiendraient de restreindre le pouvoir discrétionnaire de fixation de prix d’un détaillant de livres électroniques, tel que décrit précédemment, pendant une période de deux ans, et de conclure des ententes avec des détaillants de livres électroniques comportant certains types de clauses de la NPF, pendant une période de cinq ans.

[18]      En juillet 2012, le commissaire a ouvert une enquête en vertu de l’alinéa 10(1)b)(ii) de la Loi au motif qu’il avait des raisons de croire qu’il existait des motifs justifiant une ordonnance en vertu de la partie VIII de la Loi relativement à certaines conduites anticoncurrentielles alléguées visant à restreindre la concurrence des prix de détail des livres électroniques sur le marché de tels livres au Canada. Selon l’affidavit initial déposé par le commissaire dans la présente instance, cette enquête vise depuis le début une conduite décrite aux articles 76 (maintien des prix), 79 (abus de position dominante) et 90.1 (accords restrictifs entre concurrents).

[19]      Le 7 février 2014, un consentement entre le commissaire et Hachette, certaines de ses sociétés liées, Macmillan, HarperCollins Canada Limited et Simon & Schuster Canada, une division de CBS Canada Holdings Co. (collectivement les « éditeurs ayant réglé »), a été déposé auprès du Tribunal de la concurrence (Tribunal).

[20]      Ni les défenderesses ni aucune de leurs sociétés liées n’étaient parties au consentement. Elles soutiennent qu’elles n’ont pas participé au présumé accord horizontal entre éditeurs de livres électroniques au sujet duquel le commissaire fait enquête en vertu de l’article 90.1 de la Loi.

[21]      Un communiqué de presse émis par le Bureau de la concurrence (Bureau) le jour du dépôt du consentement indique notamment que l’enquête du Bureau visant l’industrie du livre au Canada se poursuit.

II.         Dispositions législatives pertinentes

[22]      Voici maintenant un bref résumé des dispositions législatives qui sont pertinentes pour la présente demande. Le texte intégral des dispositions mentionnées ci-après est reproduit à l’annexe 1 des présents motifs.

[23]      En vertu de l’alinéa 10(1)b)(ii) de la Loi, le commissaire peut faire étudier toutes questions qui, d’après lui, nécessitent une enquête en vue de déterminer les faits chaque fois qu’il a des raisons de croire qu’il existe des motifs justifiant une ordonnance en vertu des parties VII.1 ou VIII de la Loi. La partie VII.1 traite des pratiques commerciales trompeuses, et elle n’est pas pertinente quant à la présente demande. La partie VIII traite des pratiques commerciales susceptibles d’examen dans des instances de nature civile, comme les refus de vendre, le maintien des prix, l’exclusivité, les ventes liées, la limitation du marché, l’abus de position dominante et les fusionnements.

[24]      Dans le cadre d’une enquête, les pouvoirs d’enquête officiels prévus par la Loi peuvent être exercés par le commissaire, sous supervision judiciaire. Ces pouvoirs comprennent le pouvoir d’obtenir, en vertu de l’alinéa 11(1)b), une ordonnance de produire « les documents — originaux ou copies certifiées conformes par affidavit — ou les autres choses dont l’ordonnance fait mention ». Ils comprennent également le pouvoir d’obtenir, en vertu de l’alinéa 11(1)c), une ordonnance de production et de remise d’« une déclaration écrite faite sous serment ou affirmation solennelle et énonçant en détail les renseignements exigés par l’ordonnance ». La Cour peut rendre de telles ordonnances lorsqu’elle est convaincue d’après une dénonciation faite sous serment ou affirmation solennelle (i) qu’une enquête est menée et (ii) que le défendeur détient ou détient vraisemblablement des renseignements qui sont pertinents quant à l’enquête.

[25]      En vertu du paragraphe 76(1) de la Loi, le Tribunal peut prononcer certains types d’ordonnances réparatrices lorsqu’il conclut que certains types de personnes, notamment la personne qui exploite une entreprise de production ou de fourniture d’un produit, se livrent directement ou indirectement à l’un ou l’autre de deux types de maintien des prix. Le premier consiste pour une personne, par entente, menace, promesse ou quelque autre moyen semblable, à faire monter ou à empêcher qu’on ne réduise le prix auquel son client ou toute personne qui le reçoit pour le revendre fournit ou offre de fournir un produit ou fait de la publicité au sujet d’un produit au Canada. Le deuxième consiste pour une personne à refuser de fournir un produit à une personne ou catégorie de personnes exploitant une entreprise au Canada, ou à prendre quelque autre mesure discriminatoire à son endroit, en raison de son régime de bas prix. Cependant, le paragraphe 76(4) dispose qu’aucune ordonnance ne peut être rendue si la personne et le client en question ont, entre autres choses, entre eux « des relations de mandant à mandataire ».

[26]      Aux termes de l’article 79 de la Loi, le Tribunal peut interdire à une ou plusieurs personnes de se livrer à une pratique d’agissements anticoncurrentiels lorsqu’il conclut que a) une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions; b) cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées à la pratique d’agissements anticoncurrentiels en question; et c) la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché.

[27]      Aux termes du paragraphe 90.1(1) de la Loi, le Tribunal peut rendre certains types d’ordonnances réparatrices lorsqu’il conclut qu’« un accord ou un arrangement — conclu ou proposé — entre des personnes dont au moins deux sont des concurrents empêche ou diminue sensiblement la concurrence dans un marché ». 

III.        Le projet d’ordonnance et ses annexes

[28]      Le projet d’ordonnance présenté par le commissaire dans le cadre de la présente demande était à peu près identique à tous égards importants aux ordonnances que la Cour a récemment rendues en vertu de l’article 11 de la Loi. Cette forme d’ordonnance est essentiellement devenue un modèle et elle tient compte des commentaires que la Cour a faits au commissaire lors d’audiences antérieures sous le régime de l’article 11. La Cour reconnaît que cette forme d’ordonnance pourrait bien continuer d’évoluer et qu’elle n’est pas nécessairement indiquée dans tous les cas. Les défenderesses n’ont soulevé aucune préoccupation quant au texte du corps principal du projet d’ordonnance.

[29]      Les annexes I et II du projet d’ordonnance décrivaient les documents à produire en vertu de l’alinéa 11(1)b) de la Loi et les déclarations écrites de renseignements à produire en vertu de l’alinéa 11(1)c). En comparaison d’autres annexes semblables que la Cour a vues, ces annexes énuméraient un nombre relativement modeste d’éléments et tenaient compte des renseignements que les défendeurs avaient déjà communiqués au commissaire, dans une certaine mesure du moins.

[30]      De manière générale, les documents et les déclarations écrites de renseignements que le commissaire demandait concernaient ce qui suit :

i)     les communications entre éditeurs de livres électroniques concernant la vente, la fixation des prix ou la fourniture de tels livres au Canada;

ii)    les négociations d’accords entre éditeurs et détaillants de livres électroniques concernant la vente, la fixation des prix ou la fourniture de livres au Canada;

iii)   les considérations commerciales ou stratégiques ou les justifications des accords qui limitent la capacité d’un détaillant de livres électroniques de fixer, modifier ou réduire le prix de détail de ces livres vendus à des consommateurs au Canada;

iv)   les procédures, politiques, stratégies ou analyses relatives à la fixation des prix des livres électroniques au Canada;

v)    le rapport entre les livres électroniques et les livres imprimés au Canada;

vi)   les revenus que les défenderesses ont tirés de la vente ou de la fourniture de livres électroniques au Canada.

[31]      Les principales préoccupations soulevées par les défenderesses relativement aux annexes I et II sont traitées plus loin, à la partie IV.B des présents motifs.

IV.       Analyse

A.         Le rôle de la Cour et ce qui est attendu du commissaire

[32]      L’affidavit initial que le commissaire a déposé au soutien de la présente demande énonçait ce qui suit au sujet de l’enquête qui est menée dans la présente affaire :

i)     L’enquête a été entreprise en vertu de l’alinéa 10(1)b)(ii) de la Loi parce que le commissaire avait des raisons de croire qu’il existait des motifs justifiant une ordonnance en vertu de la partie VIII de la Loi relativement à certaines conduites anticoncurrentielles alléguées visant à restreindre la concurrence des prix de détail des livres électroniques dans ce marché au Canada;

ii)    L’enquête vise notamment les éditeurs ayant réglé et les défenderesses;

iii)   Compte tenu de l’enquête préliminaire menée par le commissaire et des renseignements que le Bureau a recueillis jusqu’à présent, le commissaire continue d’avoir des raisons de croire entre autres que :

a)    les défenderesses ont conclu un accord ou un arrangement avec certains de leurs concurrents pour restreindre la concurrence des prix de détail des livres électroniques;

b)    dans le cadre de cet accord ou arrangement, les défenderesses se sont livrées à une conduite visant à restreindre la concurrence des prix de détail des livres électroniques au Canada, notamment en limitant ou en éliminant la capacité des détaillants de fixer, modifier ou réduire le prix de détail des livres électroniques vendus aux consommateurs;

c)    les défenderesses ont commencé à se livrer à cette pratique aux environs de 2011, et elles continuent de le faire;

d)    en se livrant à la pratique susmentionnée, les défenderesses ont empêché ou sensiblement diminué la concurrence sur les marchés des livres électroniques au Canada, et elles continuent de le faire.

[33]      L’affidavit énonçait également que le commissaire menait une enquête au sujet de la présumée conduite anticoncurrentielle en vertu des articles 76 et 79 de la Loi.

[34]      Lors de l’audition de la présente demande, les défenderesses ont soutenu que le commissaire devait dévoiler, dans l’affidavit déposé au soutien d’une demande en vertu de l’article 11, les raisons qu’il avait de croire qu’il existe des motifs justifiant une ordonnance en ce qui concerne chacun des articles de la Loi à l’égard desquels l’enquête en question est menée. Bien qu’elles aient semblé reconnaître que le commissaire avait dévoilé en des termes généraux les raisons qu’il avait de croire qu’il existait des motifs justifiant une ordonnance en vertu de l’article 90.1, les défenderesses ont soutenu que le commissaire avait une obligation de dévoiler à tout le moins certains éléments de preuve relativement à chacun des éléments de l’article 90.1, mais qu’il avait omis de le faire. À cet égard, les défenderesses ont invoqué l’arrêt Symbol Technologies Canada ULC c. Barcode Systems Inc., 2004 CAF 339, [2005] 1 R.C.F. 254 (Symbol Technologies). En ce qui concerne les articles 76 et 79, les défenderesses sont allées plus loin et ont allégué que le commissaire n’a divulgué aucune raison pour laquelle il croyait qu’il existait des motifs justifiant une ordonnance. Les défenderesses ont affirmé que le commissaire s’était contenté de faire une affirmation non étayée selon laquelle il [traduction] « mène également une enquête au sujet de la conduite anticoncurrentielle alléguée visée aux articles 76 et 79 de la Loi ». Se fondant sur la décision de la Cour Canada (Commissaire de la concurrence) c. Air Canada, [2001] 1 C.F. 219 (1re inst.) (Air Canada), les défenderesses ont fait valoir que cette simple affirmation du commissaire est insuffisante. Elles ont ajouté qu’avant de lire cette affirmation dans l’affidavit initial du commissaire, elles ne savaient pas que l’enquête du commissaire portait sur des conduites visées à ces articles de la Loi.

[35]      Je ne suis pas d’accord avec les prétentions des défenderesses au sujet des obligations de divulgation du commissaire.

[36]      Tout d’abord, à mon avis, la présente espèce se distingue de l’affaire Symbol Technologies. Dans cette affaire, une partie privée (Symbol Technologies Canada ULC (Symbol)) avait interjeté appel d’une décision du Tribunal autorisant une autre partie privée (Barcode Systems Inc.) à présenter une demande au Tribunal contre Symbol en vertu des dispositions de la Loi relatives au refus de vendre. Le critère applicable en matière d’autorisation, énoncé au paragraphe 103.1(7) de la Loi, tient à la question de savoir si le Tribunal a des raisons de croire que l’entreprise du demandeur est directement et sensiblement gênée par la pratique du refus de vendre définie au paragraphe 75(1) de la Loi. La Cour d’appel fédérale a statué que « s’il ne considérait pas tous les éléments de la pratique énoncés au paragraphe 75(1) pour trancher la demande de permission, le Tribunal ne pourrait conclure, comme le prescrit le paragraphe 103.1(7), qu’il existait des motifs de croire qu’une pratique alléguée pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu du paragraphe 75(1) » (arrêt Symbol Technologies, précité, au paragraphe 18).

[37]      La présente demande concerne quelque chose de très différent, à savoir, une demande de production de déclarations écrites et de documents en vertu des alinéas 11(1)b) et c) de la Loi. Selon le critère applicable à l’égard d’une telle demande, la Cour doit simplement être convaincue de deux choses, à savoir qu’une enquête est menée en vertu de l’article 10 et qu’une personne détient vraisemblablement des renseignements qui sont pertinents quant à cette enquête. Par contraste avec la situation dans l’affaire Symbol Technologies, l’article 11 n’exige pas que la Cour examine la question de savoir s’il existe des raisons de croire, ou des motifs raisonnables de croire, qu’il existe des motifs justifiant une ordonnance en vertu de la partie VII.1 ou de la partie VIII de la Loi (décision Air Canada, précitée, au paragraphe 20; Canadian Pacific Ltd. v. Canada (Competition Act, Director of Investigation and Research), 1995 CanLII 7315, 61 C.P.R. (3d) 137 (Div. gén. Ont.), au paragraphe 8). Le Parlement a donné cette fonction au commissaire au sous-alinéa 10(1)b)(ii) de la Loi. Il s’agit là d’une différence importante par rapport au critère auquel il doit être satisfait pour obtenir un mandat de perquisition en vertu du sous-alinéa 15(1)a)(ii) de la Loi. Aux termes de cette disposition, c’est la Cour qui doit être convaincue, d’après une dénonciation faite sous serment ou affirmation solennelle, qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il existe des motifs justifiant une ordonnance en vertu de la partie VII.1 ou de la partie VIII de la Loi.

[38]      Toujours au soutien de leur prétention selon laquelle le commissaire est tenu de fournir, dans l’affidavit déposé au soutien d’une demande d’ordonnance en vertu de l’article 11, certaines explications concernant pourquoi il y a des raisons de croire qu’il existe des motifs visés au sous-alinéa 10(1)b)(ii), les défenderesses ont invoqué le passage suivant des motifs de la juge Reed dans la décision Air Canada, précitée, au paragraphe 31 :

L’article 11 prévoit qu’un juge peut, et non pas doit, rendre une ordonnance. Un pouvoir discrétionnaire résiduel existe. De plus, je ne peux pas conclure que l’article 11 permet de rendre une ordonnance obligeant à produire des renseignements si le commissaire agissait par « caprice ». Je ne peux pas concevoir qu’un tribunal puisse rendre une ordonnance en application de l’article 11 en se fondant sur la simple affirmation du commissaire qu’une enquête a été commencée. Il me semble qu’un juge requerrait plus que ça. Il requerrait vraisemblablement une description de la nature de la conduite alléguée qui fait l’objet de l’enquête, le fondement de la décision du commissaire de commencer une enquête et la raison pour laquelle il croit que le comportement qui fera l’objet de l’enquête a eu lieu. Le juge doit également être convaincu que la personne visée par l’ordonnance est vraisemblablement en possession de renseignements pertinents. Cela ne signifie pas que le tribunal réévalue la décision du commissaire portant qu’il a des raisons de croire que le comportement qui fait l’objet de l’enquête s’est produit, mais cela permet au tribunal de refuser de rendre une ordonnance lorsque la preuve n’est pas suffisante pour permettre de conclure qu’une enquête a été entreprise de bonne foi. [Souligné dans l’original.]

[39]      Je suis d’accord avec l’affirmation de la juge Reed selon laquelle la présence du mot « peut » à l’article 11 traduit l’intention du législateur de faire en sorte que la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser de rendre une ordonnance demandée en vertu de cette disposition de la Loi, même lorsque les deux conditions prévues à l’article 11 sont remplies. Encore une fois, ces deux conditions sont que, d’une part, le commissaire a été convaincu d’après une dénonciation faite sous serment ou affirmation solennelle qu’une enquête est menée en application de l’article 10 et que le défendeur détient vraisemblablement des renseignements qui sont pertinents quant à cette enquête. Comme le notait la juge Mactavish dans la décision Canada (Commissaire de la concurrence) c. Compagnie de brassage Labatt Limitée, 2008 CF 59 (Labatt), au paragraphe 50, l’article 11 ne prévoit pas que la Cour doit agir comme simple « organe d’enregistrement » après que ces conditions ont été remplies (voir aussi Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50 (RBC), aux paragraphes 19 à 38).

[40]      Je partage également l’avis de la juge Reed qu’il serait difficile d’envisager qu’un tribunal rende une ordonnance en vertu de l’article 11 sur le fondement de simples affirmations non étayées relativement aux deux conditions prévues à cette disposition, ou si le commissaire semblait agir « par caprice ». Comme la juge Mactavish l’a expliqué, pour exercer correctement son pouvoir discrétionnaire et son rôle de surveillance judiciaire indépendante à l’égard des vastes pouvoirs d’enquête conférés au commissaire en vertu de l’article 11, la Cour doit être pleinement informée des circonstances pertinentes entourant la demande du commissaire (décision Labatt, précitée, aux paragraphes 50 et 51).

[41]      Cependant, je ne partage pas l’avis de la juge Reed lorsqu’elle estime que le commissaire doit fournir suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’une véritable enquête est entreprise. Autrement dit, je ne souscris pas à la prétention des défenderesses selon laquelle le commissaire est tenu de présenter certains éléments de preuve pour expliquer pourquoi il a des raisons de croire qu’il existe des motifs visés au sous-alinéa 10(1)b)(ii). Je ne connais aucun précédent judiciaire à l’appui de cette prétention. Cela dit, il peut s’avérer difficile en pratique pour la Cour de se convaincre qu’un défendeur détient ou détient vraisemblablement des renseignements qui sont pertinents quant à l’enquête du commissaire, comme l’exige le paragraphe 11(1), sans disposer de certains éléments de preuve contextuelle de cette nature. Dans la présente demande, le commissaire a amplement convaincu la Cour à cet égard.

[42]      À mon avis, les obligations du commissaire en matière de preuve aux termes de l’article 11 ne trouvent pas leur source dans ses raisons de croire que ces motifs existent, mais plutôt dans i) l’obligation de divulgation entière et franche qui existe dans le contexte d’une demande ex parte et ii) l’obligation de la Cour d’être convaincue que les renseignements que le commissaire cherche à obtenir sont pertinents pour l’enquête en question, et ne sont pas excessifs, disproportionnés ou inutilement onéreux (Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, au paragraphe 32; arrêt RBC, précité, aux paragraphes 21 à 23).

[43]      Il est maintenant bien établi qu’en tant qu’autorité désignée par la loi pour appliquer et exécuter la Loi sur la concurrence, le commissaire jouit d’une présomption selon laquelle il agit de bonne foi et dans l’intérêt public lorsqu’il prend des mesures en vertu de la Loi (Canada (Loi sur la concurrence, Directeur des enquêtes et recherches) c. Banque de Montréal (1996), 68 C.P.R. (3d) 527 (Trib. conc.), au paragraphe 32; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Superior Propane Inc. (1998), 85 C.P.R. (3d) 194 (Trib. conc.), au paragraphe 19; Rona Inc. c. Commissaire de la concurrence, 2005 Trib. concurr. 26, au paragraphe 17; voir aussi Industrial Milk Producers Assn. c. Colombie-Britannique (Milk Board), [1989] 1 C.F. 463 (1re inst.), à la page 476; North of Smokey Fishermen’s Assn. c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 33, au paragraphe 24; Frelighsburg (Municipalité) c. Entreprises Sibeca Inc., 2002 CanLII 41283 (C.A. Qué.), aux paragraphes 59 à 61). Par conséquent, en l’absence de preuve de mauvaise foi ou d’autres preuves que l’enquête du commissaire n’est pas une véritable enquête, la bonne foi du commissaire sera présumée.

[44]      Toutefois, étant donné que les demandes en vertu de l’article 11 sont entendues ex parte, le commissaire a « l’obligation rigoureuse […] de faire une divulgation complète et franche » de toutes les circonstances pertinentes entourant la demande (décision Labatt, précitée, au paragraphe 22; arrêt RBC, précité, aux paragraphes 26 à 36). Ce fardeau, qui peut également être décrit comme une [traduction] « obligation de faire preuve de la plus haute bonne foi », n’est pas centré sur les faits qui sous-tendent la demande du commissaire, mais plutôt sur deux autres choses. La première est de s’assurer que la Cour est informée de [traduction] « tout point de fait ou de droit connu qui favorise l’autre partie » (United States of America v. Friedland, [1996] O.J. no 4399 (Div. gén.) (QL), au paragraphe 27; décision Labatt, précitée, aux paragraphes 25 et 26; Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 27). La deuxième est de s’assurer que la Cour puisse reconnaître les cas d’abus de sa procédure et puisse y remédier (arrêt RBC, précité, aux paragraphes 31 à 36).

[45]      Par exemple, le commissaire ne peut pas, par non-divulgation ou la fourniture de renseignements erronés, induire la Cour en erreur quant à la pertinence potentielle des renseignements quant à l’enquête en question. De même, le commissaire est tenu de divulguer la nature et l’étendue générale de tous renseignements déjà obtenus du défendeur au cours de l’enquête et au cours des vérifications ayant mené à l’enquête. Si le défendeur a fourni des renseignements pertinents au commissaire dans d’autres contextes, comme dans le cadre de l’examen récent d’une fusion, le commissaire devrait également fournir une description générale de ces renseignements et expliquer en quoi ces renseignements diffèrent des renseignements demandés aux termes de la demande en vertu de l’article 11.

[46]      Ces exemples décrivent également des renseignements que le commissaire devrait divulguer pour convaincre la Cour que les renseignements demandés aux termes de la demande sont pertinents pour l’enquête en question et ne sont pas excessifs, disproportionnés ou indûment onéreux.

[47]      Malgré ce qui précède, la Cour reconnaît que les demandes fondées sur l’article 11 sont faites au stade de l’enquête, avant qu’une demande d’ordonnance en vertu d’une des dispositions de fond de la partie VII.1 ou de la partie VIII soit faite. Une enquête est menée, en vertu du paragraphe 10(1), « en vue de déterminer les faits ». Pour cette raison, un certain degré de latitude sera habituellement accordé au commissaire quant à des inexactitudes mineures ou sans importance, ou à d’autres erreurs ou omissions, en particulier si la demande a été faite en urgence ou avec peu de temps de préparation (décisions Labatt, au paragraphe 28; et Friedland, au paragraphe 31, précitées).

[48]      Un certain degré de latitude sera habituellement justifié également en reconnaissance du fait qu’il se pourrait que le commissaire ait besoin de renseignements additionnels pour mieux comprendre la nature de la conduite visée par l’enquête, si elle soulève des questions au regard d’autres articles de la Loi, et le ou les marchés sur lesquels il y a des raisons de croire que cette conduite a lieu ou pourrait avoir lieu. Autrement dit : « Les tribunaux judiciaires doivent, dans l’exercice de [leur] ce pouvoir discrétionnaire, toujours demeurer conscients du danger qu’il y a de surcharger et de compliquer indûment le processus d’enquête sur l’application de la loi. Lorsque ce processus, à l’état embryonnaire, consiste à rassembler des matériaux bruts pour étude ultérieure, les tribunaux ne sont pas enclins à intervenir. » (SGL Canada Inc. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches), [1998] A.C.F. no 1951 (1re inst.) (QL), au paragraphe 11).

[49]      Compte tenu de ce qui précède, et du fait que le sous-alinéa 10(1)b)(ii) évoque l’existence de motifs justifiant une ordonnance en vertu des parties VII.1 ou VIII de la Loi, il n’est pas strictement nécessaire que le commissaire cite un article précis de la Loi dans son affidavit (Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425 (Thomson), aux pages 529 et 530). Quoi qu’il en soit, le commissaire pourra toujours demander des renseignements relativement à des articles de la Loi qui ne sont pas cités dans cet affidavit. Toutefois, la Cour se montrera vigilante pour s’assurer que le commissaire n’entreprend pas des recherches à l’aveuglette (arrêt Thomson, précité, aux pages 613 et 614).

[50]      À mon avis, les principes susmentionnés ne font que clarifier et appliquer aux demandes faites en vertu de l’article 11 la jurisprudence actuelle, y compris la décision Labatt, précitée, telle qu’elle a évolué à la suite de la décision Air Canada. Ces principes s’appliquent aux cas typiques, et ils laissent amplement de marge de manœuvre à la Cour pour composer avec des circonstances exceptionnelles et les faits particuliers de chaque affaire.

1)         La demande du commissaire dans la présente instance

[51]      Dans la présente instance, les défenderesses n’ont pas soulevé de questions concernant le caractère véritable de l’enquête du commissaire, sauf quant aux questions de fond examinées plus loin à la partie IV.C des présents motifs. En conséquence, la présomption selon laquelle l’enquête décrite dans l’affidavit du commissaire est une véritable enquête n’a pas été réfutée.

[52]      Lorsque j’ai rendu mon ordonnance datée du 3 mars 2014, j’étais convaincu (et je le demeure) que les autres renseignements communiqués dans l’affidavit initial du commissaire, décrits aux paragraphes 32 et 33 des présents motifs, divulguaient suffisamment de circonstances pertinentes entourant la demande pour me permettre d’être convaincu i) que les défenderesses détiennent ou détiennent vraisemblablement les renseignements évoqués dans cette ordonnance; et ii) qu’il y avait lieu que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour rendre l’ordonnance.

[53]      Étant donné les préoccupations que les défenderesses ont soulevées quant au caractère suffisant de la divulgation faite dans l’affidavit initial du commissaire et l’observation que j’ai faite au cours de l’instance selon laquelle ces préoccupations auraient pu facilement être dissipées en communiquant des renseignements additionnels dans un affidavit modifié, le commissaire a produit un affidavit révisé peu après l’audition de la présente demande.

[54]      Dans cet affidavit révisé, des renseignements additionnels ont été ajoutés, de manière à refléter ce qui suit :

i)     Le commissaire a des raisons de croire que les défenderesses continuent de se conduire de manière à restreindre la concurrence des prix de détail des livres électroniques, en particulier en concluant et en maintenant des accords de distribution avec des détaillants de livres électroniques qui, entre autres choses, limitent ou éliminent la capacité des détaillants de tels livres de fixer, modifier ou réduire le prix de détail de ces livres vendus aux consommateurs.

ii)    Dans certaines circonstances, ces accords de distribution comportent également des clauses en vertu desquelles le prix de détail auquel un détaillant vend un livre électronique aux consommateurs dépend du prix de détail auquel un autre détaillant vend le même livre électronique aux consommateurs.

iii)   Le consentement ne dissipe pas les préoccupations du commissaire concernant la présumée conduite des défenderesses et les effets de cette conduite sur les marchés des livres électroniques au Canada, parce que le commissaire a des raisons de croire que les défenderesses demeurent parties à des accords du genre de ceux décrits plus haut avec des détaillants de livres électroniques au Canada et que le consentement n’aura pas d’incidence sur ces accords, de sorte que ceux-ci continueront de restreindre la concurrence des prix de détail des livres électroniques dans ce marché au Canada.

[55]      En outre, le commissaire a ajouté de nouveaux renseignements de manière à renvoyer expressément à chacun des éléments évoqués aux articles 76 et 79 de la Loi.

[56]      Pour les motifs que j’ai exposés plus haut après avoir eu la possibilité d’approfondir ma réflexion sur la question, j’estime qu’il n’était pas nécessaire que le commissaire communique ces renseignements additionnels dans un affidavit modifié.

[57]      Pour plus de certitude, au moment où j’ai rendu mon ordonnance datée du 3 mars 2014, j’étais convaincu (et je le suis toujours) que les renseignements contenus dans l’affidavit initial, décrits aux paragraphes 32 et 33 des présents motifs, étaient suffisants pour me convaincre qu’il y avait lieu que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour rendre cette ordonnance. Cette ordonnance a été modifiée dans plusieurs projets successifs pour régler certains autres problèmes qui sont traités plus loin, à la partie IV.B des présents motifs. Ces renseignements ont été renforcés par des renseignements additionnels communiqués dans l’affidavit initial, et dans les annexes y joints, concernant les enquêtes menées à l’étranger relativement à une conduite similaire aux États-Unis et en Europe. Il n’était pas nécessaire que le commissaire renvoie à chacun des éléments évoqués aux articles 90.1, 76 ou 79, ou qu’il explique plus en détail précisément comment il croyait que les défenderesses avaient limité la capacité des détaillants de fixer, modifier ou réduire le prix de détail des livres électroniques vendus à des consommateurs au Canada depuis 2011. Il n’était pas non plus nécessaire que le commissaire explique plus en détail pourquoi le consentement qui a été conclu avec les éditeurs ayant réglé n’aura pas d’incidence sur la conduite qui fait l’objet de l’enquête.

[58]      J’ajouterais simplement en passant que, compte tenu des renseignements factuels communiqués dans l’affidavit initial, il aurait dû être évident pour les défenderesses que la conduite qui y était décrite était susceptible de soulever des questions légitimes au regard des articles 76 et 79 de la Loi. Lors de l’audition de la présente demande, l’avocat du commissaire a affirmé que ces renseignements factuels concernant le fondement de l’enquête du commissaire avaient été communiqués auparavant aux défenderesses. Celles-ci n’ont pas contesté cette affirmation. Dans tous les cas, les défenderesses ne semblent pas avoir été lésées par l’absence d’une divulgation plus explicite quant au fondement de l’enquête du commissaire au regard des articles 76 et 79.

[59]      Par conséquent, il ne semble pas y avoir de motif valable justifiant que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour déroger à la règle générale, dont j’ai traité aux paragraphes 47 à 49 des présents motifs, selon laquelle le commissaire devrait jouir de la latitude voulue pour mener son enquête en vertu de la partie VIII de la Loi, que ce soit au regard de l’article de la Loi en rapport avec lequel l’enquête est menée, d’autres articles qui ont été cités, ou même d’articles qui n’ont pas été cités. Évidemment, tout cela est sous réserve qu’il soit satisfait aux différentes exigences que j’ai mentionnées, à savoir que le commissaire doit faire une divulgation complète et franche à la Cour, la Cour doit être convaincue que les renseignements décrits dans l’ordonnance demandée sont pertinents pour l’enquête du commissaire, et la Cour doit être convaincue que ces renseignements ne sont pas excessifs, disproportionnés ou inutilement onéreux.

B.         La portée des renseignements que le commissaire demande

[60]      Avant l’audition de la présente demande, le commissaire et les avocats des défenderesses ont eu plusieurs échanges écrits. Les défenderesses ont notamment exprimé des préoccupations concernant le caractère onéreux et possiblement redondant du projet d’ordonnance que le commissaire leur avait communiqué. Dans une large mesure, ces préoccupations avaient trait aux volumineux renseignements déjà communiqués au commissaire en 2012 et 2013 en rapport avec la coentreprise Penguin Random House et l’enquête américaine mentionnée à la partie I des présents motifs. Lorsqu’elles ont communiqué leurs préoccupations, les défenderesses ont noté que la Cour avait déjà averti le commissaire qu’il devrait faire part de ces préoccupations à la Cour et fournir un résumé des renseignements potentiellement redondants déjà obtenus des défenderesses (décision Labatt, précitée, aux paragraphes 77, 78, 88 à 91 et 95 à 97).

[61]      À la demande des défenderesses, et peut-être en raison de cet avertissement, le commissaire a divulgué la correspondance antérieure au dépôt de la présente demande et la correspondance ultérieure produite avant l’audience.

[62]      Dans leur correspondance, les défenderesses affirmaient notamment qu’elles avaient déjà fourni ce qui suit au commissaire :

i)     Des copies de leurs accords de mandat en vigueur relativement à la vente de livres électroniques;

ii)    Des renseignements au sujet de leurs plus gros clients au Canada pour ce qui est des livres électroniques (ces renseignements avaient été communiqués dans le cadre de l’avis au commissaire qui avait été produit en vertu de la partie IX de la Loi, relativement à la coentreprise Penguin Random House);

iii)   De volumineux renseignements en réponse à une demande officieuse de renseignements faite en rapport avec cette coentreprise;

iv)   Des copies de plus de 20 000 documents produits en réponse à une demande officielle de renseignements supplémentaires faite en rapport avec la coentreprise (qui avait apparemment amené les défenderesses à rassembler plus de 300 000 documents, avant de conclure finalement que la demande en visait seulement 20 000);

v)    Des copies d’environ 290 000 documents qui ont été communiqués à l’Antitrust Division du ministère de la Justice des États-Unis en rapport avec la coentreprise.

[63]      Les défenderesses notaient en outre qu’elles avaient engagé plus de 750 000 $ en honoraires professionnels (avant les taxes applicables) pour répondre aux demandes de renseignements antérieures du commissaire.

[64]      Les défenderesses ont demandé que le projet d’ordonnance soit modifié de manière à éliminer les demandes visant des renseignements qui avaient été communiqués auparavant, suite à quoi le commissaire a ajouté le paragraphe 12 au projet qui avait été présenté initialement à la Cour. Ce paragraphe énonce que les défenderesses n’ont pas besoin de produire des renseignements qui ont été communiqués au commissaire en rapport avec la coentreprise Penguin Random House en vertu des paragraphes 114(1) (renseignements réglementaires fournis avec l’avis initial) et 114(2) (demande officielle de renseignements supplémentaires) de la Loi.

[65]      Le paragraphe 12 du projet d’ordonnance complète le paragraphe 11, qui énonce que lorsqu’une défenderesse a déjà fourni un document au commissaire, cette défenderesse n’est pas tenue de produire une copie de ce document, pourvu que la défenderesse : 1) identifie le document ou la chose déjà produit à la satisfaction du commissaire; 2) produise et communique une déclaration écrite dans laquelle elle admet et confirme certaines choses; et 3) obtienne la confirmation du commissaire que ces documents ou choses n’ont pas à être produites. En outre, aux termes du paragraphe 11, lorsqu’une société liée aux défenderesses, mentionnée à l’annexe 1 de l’ordonnance, a déjà remis un document ou une chose au commissaire, les défenderesses ne sont pas tenues de produire une copie additionnelle du document, pourvu qu’elles remplissent les trois conditions susmentionnées.

[66]      Je suis convaincu que, pris ensemble, les paragraphes 12 et 11 répondent convenablement aux préoccupations des défenderesses quant au caractère potentiellement redondant de l’ordonnance.

[67]      Pour ce qui concerne les observations des défenderesses quant aux renseignements fournis antérieurement en rapport avec l’enquête actuelle du commissaire, la coentreprise Penguin Random House et l’enquête du ministère de la Justice des États-Unis concernant essentiellement la même conduite que l’enquête du commissaire, j’estime que la position générale du commissaire est raisonnable à première vue. En bref, le commissaire affirme que ces renseignements sont insuffisants pour déterminer les faits dans le cadre de la présente enquête. Compte tenu de la description de ces renseignements donnée plus haut, des fins différentes auxquelles un bonne part de ces renseignements ont été fournis et du fait que la majorité de ces renseignements ont été fournis à un organisme de réglementation dans un pays tiers en rapport avec une enquête différente, il ne me semble pas évident que ces renseignements devraient suffire pour l’enquête du commissaire concernant une présumée conduite au Canada qui serait visée aux articles 90.1, 76 et 79 de la Loi.

[68]      Je reconnais que les défenderesses ont déjà investi beaucoup de temps et d’argent pour répondre aux différentes demandes de renseignements antérieures du commissaire décrites précédemment. Cependant, cela n’est pas en soi suffisant pour que la Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour rendre le projet d’ordonnance révisé (décision Labatt, précitée, au paragraphe 92). Pour justifier l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire en faveur des défenderesses pour cette raison, il faudrait que la Cour soit convaincue que le fardeau assumé dans le passé par les défenderesses ainsi que le temps et l’argent additionnels qui seront nécessaires pour se conformer à l’ordonnance que j’ai rendue seront excessifs, disproportionnés ou inutilement onéreux.

[69]      Dans leur correspondance adressée au commissaire datée du 25 février 2014, les défenderesses ont reconnu que le projet d’ordonnance révisé avait répondu de manière satisfaisante à plusieurs des préoccupations qu’elles avaient exprimées auparavant. Cependant, elles ont soutenu que d’autres préoccupations subsistaient toujours. Leur plaidoirie à l’audience que j’ai présidée le lendemain a porté sur ces préoccupations ainsi que sur les questions de fond examinées dans la section suivante. Les préoccupations subsistantes des défenderesses peuvent être résumées comme suit.

[70]      Tout d’abord, les défenderesses ont soutenu que le projet d’ordonnance révisé devrait être limité aux livres électroniques d’intérêt général, et ne devrait pas s’étendre aux livres électroniques éducatifs. Elles fondaient cette position sur leur compréhension selon laquelle l’enquête ne vise pas les livres électroniques éducatifs et sur le fait que Pearson Canada a publié uniquement des livres éducatifs depuis qu’elle a transféré ses activités relatives aux livres d’intérêt général à Penguin Canada en juillet 2013. Elles ont ajouté que la définition de la catégorie plus générale composée de tous les livres d’intérêt général devrait être limitée aux ouvrages de fiction et aux ouvrages non romanesques d’intérêt général, comme ce fut le cas dans la plainte déposée aux États-Unis dont il a été question à la partie I des présents motifs.

[71]      Bien que le commissaire ait limité bon nombre des demandes dans le projet d’ordonnance révisé aux livres électroniques d’intérêt général (définis dans le projet d’ordonnance en question), certaines autres demandes n’étaient pas ainsi limitées. C’est le cas notamment des demandes relatives aux « données » énoncées aux points 11, 12 et 13 de l’annexe II. Le point 11 vise tous les livres, y compris les livres imprimés et les livres audio, tandis que le point 12 vise tous les livres électroniques. Au point 13, on demande ensuite bon nombre des mêmes renseignements que ceux visés au point 12, pour chaque livre imprimé et chaque livre audio visé au point 11.

[72]      Après que j’ai exprimé une certaine ouverture lors de l’audition de la présente affaire, à l’égard de la position des défenderesses concernant le point 13, le commissaire a limité ce point aux livres imprimés d’intérêt général et aux livres audio d’intérêt général. De plus, le commissaire a resserré la définition de ces types de livres dans l’ordonnance finale.

[73]      À mon avis, le refus du commissaire de limiter le projet d’ordonnance final, y compris les demandes susmentionnées, aux livres électroniques d’intérêt général n’est pas déraisonnable. J’accepte l’explication du commissaire selon laquelle les renseignements et les documents demandés aux termes du projet d’ordonnance final en rapport avec les livres imprimés, audio et éducatifs peuvent être pertinents et utiles aux fins de l’évaluation des effets de la présumée conduite anticoncurrentielle sur la concurrence dans le domaine des livres électroniques d’intérêt général. Par exemple, si l’analyse de tous ces renseignements révélait que les prix des livres imprimés et audio, y compris les livres éducatifs, n’avaient pas augmenté autant que les prix des livres électroniques d’intérêt général au cours de la période suivant l’adoption de la conduite sous enquête, cela pourrait aider le commissaire à établir que cette conduite a sensiblement réduit la concurrence ou qu’elle est susceptible d’avoir cet effet.

[74]      J’admets également la position du commissaire selon laquelle même si Pearson Canada a transféré ses activités dans le domaine des livres d’intérêt général à Penguin Canada en juillet 2013, il se peut qu’elle détienne des renseignements pertinents pour l’enquête, y compris des renseignements du genre de ceux qui sont visés par les demandes susmentionnées, et ce, pour plusieurs raisons. Parmi celles-ci, mentionnons le fait qu’elle distribuait et vendait des livres d’intérêt général (y compris des livres électroniques) avant ce transfert, qu’elle a conclu des accords de distribution et de vente de livres électroniques avec des détaillants, qu’elle demeure active dans le secteur de l’édition de livres en général, et qu’elle est une société liée à Penguin Canada. Si Pearson Canada ne détient plus certaines catégories de renseignements parce qu’ils ont été transférés à Penguin Canada, elle n’a qu’à l’expliquer en conformité avec les dispositions de l’ordonnance finale.

[75]      Ce raisonnement s’applique aussi relativement à la prétention des défenderesses selon laquelle la période pertinente ne devrait comprendre aucune période postérieure au 1er juillet 2013, date à laquelle i) Pearson Canada a cédé ses actifs liés aux livres d’intérêt général à Penguin Canada; et ii) Penguin Canada a été cédée à la coentreprise Penguin Random House. J’admets les affirmations des défenderesses selon laquelle les dirigeants de la coentreprise ne sont pas les mêmes personnes que les dirigeants des défenderesses, et Random House Canada n’a jamais fait l’objet d’aucune enquête concernant un accord relatif à la vente de livres électroniques. Cependant, je n’admets pas leur position selon laquelle les documents de la coentreprise ne peuvent pas être pertinents pour l’enquête du commissaire, et le fait de fournir des documents de la coentreprise qui sont postérieurs au 1er juillet 2013 imposerait un fardeau disproportionné à Penguin.

[76]      En outre, les défenderesses ont soutenu que la « période pertinente » au sens de l’ordonnance ne devrait inclure aucune période antérieure à 2010 parce que i) Penguin Canada et son prédécesseur n’ont vendu aucun livre électronique à des détaillants avant 2010; ii) des lecteurs de livres électroniques ont seulement commencé à être vendus au Canada vers la toute fin de 2009, et ce n’est vraisemblablement que beaucoup plus tard qu’ils ont commencé à être vendus en nombres appréciables; et iii) l’affidavit du commissaire dit seulement que le commissaire a [traduction] « des raisons de croire que Penguin s’est livrée à cette conduite à partir de 2011 environ ».

[77]      À mon avis, il n’est pas déraisonnable que le commissaire cherche à obtenir des renseignements remontant à septembre 2009. Selon la plainte déposée aux États-Unis, c’est vers cette époque que les discussions initiales ont eu lieu entre Apple et les éditeurs défendeurs aux États-Unis, dont Penguin U.S. Je suis convaincu qu’il est pertinent que le commissaire voie des copies des communications, des documents et des autres renseignements décrits dans l’ordonnance finale datant de cette période. Cela aidera notamment le commissaire à comprendre le contexte commercial dans lequel la présumée conduite au Canada a eu lieu, les raisons qui la sous-tendent, la mesure dans laquelle cette conduite différait de la conduite antérieure et les effets que la conduite en question a eus par rapport à la situation qui existait immédiatement auparavant, c’est-à-dire à l’automne 2009 et au cours de l’année 2010.

[78]      Les défenderesses ont soutenu en outre que la période pertinente décrite dans l’ordonnance ne devrait inclure aucune période postérieure au 17 mai 2013, soit la date du jugement final américain. À cet égard, les défenderesses ont affirmé qu’aux termes de ce jugement final, Penguin Canada et son prédécesseur se sont vu interdire en droit de conclure ou d’exécuter tout accord ou arrangement avec quelque autre éditeur de livres électroniques relativement aux prix ou aux conditions de vente de livres électroniques après cette date.

[79]      À mon avis, le fait qu’un défendeur ou une société liée à un défendeur visé par une demande faite en vertu de l’article 11 ait pu adopter une résolution dans un autre ressort relativement à une conduite qui est similaire à la conduite qui fait l’objet d’une enquête en vertu de la Loi n’implique pas nécessairement que les documents postérieurs à cette résolution ne peuvent pas être pertinents pour l’enquête du commissaire. Pour comprendre pleinement la nature et les incidences de la conduite en question, il sera souvent nécessaire de comparer le comportement et les politiques d’un défendeur durant la période au cours de laquelle la conduite contraire à la Loi est censée avoir été adoptée avec le comportement et les politiques du défendeur au cours d’une période raisonnable avant et après cette période.

[80]      Enfin, les défenderesses ont soutenu que le point 11 de l’ordonnance ne devrait pas exiger des renseignements relatifs à tous les livres qu’elles ont offerts à la vente durant la période pertinente, mais devrait plutôt être limité aux livres que les défenderesses ont effectivement vendus. Au soutien de cette prétention, elles ont affirmé qu’au cours de tout mois donné, il y a des milliers de livres plus anciens que Penguin Canada offre à la vente mais qu’elle ne vend pas. Les défenderesses ont ajouté qu’il ne serait pas possible de tenter d’identifier les livres qui n’ont pas été vendus au cours d’un mois donné, ou que cela représenterait un fardeau exagérément onéreux. De plus, les défenderesses ont affirmé que les renseignements relatifs aux livres qui n’ont pas été vendus au cours de la période pertinente ne peuvent être d’aucune pertinence quant à la concurrence au Canada ou à l’enquête du commissaire.

[81]      Après que j’ai exprimé une certaine ouverture à l’égard de la position des défenderesses sur ce point lors de l’audition de la présente demande, le commissaire a révisé le point 11 de manière à exclure les livres imprimés et audio qui n’avaient été vendus à aucun moment au cours de la période pertinente. À mon avis, cela constituait une mesure raisonnable et suffisante, compte tenu particulièrement du fait que les observations verbales des défenderesses à ce sujet semblaient viser les livres imprimés et audio plus anciens. Étant donné que l’enquête du commissaire vise les livres électroniques, les renseignements et les documents relatifs à ces livres, y compris les livres électroniques qui n’ont pas été vendus durant la période pertinente, pourraient très bien être pertinents pour l’enquête. En effet, il n’est pas évident que les renseignements et les documents relatifs à des quantités des produits pertinents vendus et non vendus au cours de la période pertinente visée par une enquête ne seraient pas pertinents pour l’enquête.

C.        Questions relatives à la justification de l’enquête

[82]      Dans leur correspondance adressée au commissaire et lors de l’audition de la présente demande, les défenderesses ont soutenu énergiquement qu’étant donné le consentement déposé auprès du Tribunal, le commissaire ne pouvait plus avoir de motif raisonnable de continuer de se préoccuper de ce que la conduite des défenderesses puisse diminuer sensiblement la concurrence, au sens de l’article 90.1 de la Loi.

[83]      Au soutien de leur position, les défenderesses ont noté que chacun des autres grands éditeurs de livres au Canada sont parties au consentement. Elles ont ajouté qu’une des clauses du consentement énonce que lorsque celui-ci impose à une défenderesse partie au consentement l’obligation d’adopter ou de s’abstenir d’adopter une certaine conduite, cette obligation s’applique à toute coentreprise ou autre arrangement commercial établi par cette défenderesse et Penguin (USA), Inc., Pearson Canada ou Penguin Canada, ou leurs filiales, successeurs et ayants droit. Par conséquent, les défenderesses ont affirmé que le consentement excluait expressément la possibilité d’un accord visé à l’article 90.1 de la Loi, parce que ni Pearson Canada ni Penguin Canada ne peuvent être parties à un accord avec un concurrent ayant une présence suffisante sur le marché pour pouvoir convenir de se comporter d’une manière qui empêche ou diminue sensiblement la concurrence. Les défenderesses soutiennent que cette position est renforcée par le communiqué de presse que le Bureau a émis au sujet du consentement. Ce communiqué de presse mentionne notamment que, selon le Bureau, le consentement [traduction] « devrait avoir pour effet d’intensifier la concurrence entre détaillants et d’occasionner du même coup une baisse du prix des livres électroniques ».

[84]      Compte tenu de ce qui précède, les défenderesses ont soutenu que le commissaire ne pouvait pas avoir « des raisons de croire » qu’il existe des motifs justifiant une ordonnance en vertu de la partie VII.1 ou de la partie VIII de la Loi, au sens du sous-alinéa 10(1)b)(ii), et que, par conséquent, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser de rendre l’ordonnance demandée par le commissaire. Les défenderesses ont formulé une observation similaire fondée sur leur affirmation selon laquelle le jugement final américain i) lie la coentreprise Penguin Random House, dont Penguin Canada fait partie; et ii) interdit à Penguin Canada de conclure ou d’exécuter tout accord ou arrangement avec tout autre éditeur de livres électroniques visant à augmenter, stabiliser, fixer, établir ou coordonner le prix de détail ou le prix de gros de tout livre électronique ou à fixer, établir ou coordonner toute condition relative à la vente de livres électroniques depuis le 17 mai 2013. Les défenderesses ont ajouté que le fait que le commissaire ait en fin de compte exonéré la coentreprise Penguin Random House renforce leur position selon laquelle le commissaire ne peut pas avoir « des raisons de croire » que les motifs décrits plus haut existent.

[85]      En réponse, le commissaire a soutenu que les défenderesses avaient conclu un ou plusieurs accords contrevenant à l’article 90.1 et qu’en vertu de cet accord ou de ces accords, elles avaient remplacé leurs accords de vente en gros antérieurs avec des détaillants par des accords de mandat qui imposent et continueront d’imposer des restrictions anticoncurrentielles aux détaillants. Le commissaire a également noté que la disposition du consentement qui impose des obligations aux éditeurs ayant réglé à l’égard de Penguin Canada et de Pearson Canada concerne les coentreprises ou autres arrangements commerciaux futurs entre les défenderesses et des éditeurs ayant réglé. Le commissaire a soutenu que, malgré cette disposition, les défenderesses peuvent continuer d’engager des discussions unilatérales avec des détaillants de livres électroniques tout en continuant d’agir conformément à l’accord anticoncurrentiel qui, selon les allégations du commissaire, a été conclu entre les défenderesses et les éditeurs ayant réglé. En réponse à des questions lors de l’audition de la présente demande, le commissaire a affirmé que le consentement ne comporte aucune disposition qui interdit aux éditeurs ayant réglé d’être parties à l’accord visé par l’enquête menée en vertu de l’article 90.1, ou qui exige que les éditeurs ayant réglé se retirent de tout accord semblable.

[86]      Il ressort clairement de leur libellé que chacune des obligations imposées aux éditeurs ayant réglé en vertu de la partie II du consentement vise les accords ou arrangements entre un éditeur ayant réglé et un détaillant de livres électroniques ou les représailles du premier contre le second. Par contraste avec le jugement final américain, le consentement ne semble comporter aucune disposition qui interdit expressément à un éditeur de conclure ou d’exécuter un accord ou autre arrangement avec un autre éditeur visant à fixer, établir ou coordonner le prix de détail ou de gros de tout livre électronique ou à fixer, établir ou coordonner des conditions relatives à la vente de tels livres.

[87]      Par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’il est aussi évident que les défenderesses le prétendent que le consentement exclut toute possibilité d’un accord visé à l’article 90.1. Cela est d’autant plus vrai au regard du fait que la coentreprise Penguin Random House a été exonérée, puisque cet arrangement concernait uniquement les parties à la coentreprise, tandis que l’accord qui est l’objet de l’enquête en vertu de l’article 90.1 met en cause d’autres chefs de file du secteur de l’édition au Canada.

[88]      Je ne suis pas non plus convaincu que l’enquête du commissaire n’est pas susceptible de mettre au jour des renseignements démontrant qu’il existe effectivement un accord visé à l’article 90.1 auquel l’une ou l’autre des défenderesses ou toutes deux sont parties. Je note que les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve relativement à l’un ou l’autre de ces points.

[89]      Plus fondamentalement, une demande fondée sur l’article 11 n’est pas appropriée pour que la Cour formule des conclusions définitives concernant des questions liées à des théories sur les effets de la concurrence, des moyens de défense, des exemptions ou la probabilité factuelle qu’une enquête puisse révéler l’existence de renseignements démontrant l’existence d’une conduite visée à l’article 90.1 ou à une autre disposition de la partie VIII de la Loi (décision Air Canada, précitée, au paragraphe 21; CP Containers (Bermuda) Ltd. (Re), 1995 CarswellNat 2899, 64 C.P.R. (3d) 384 (Trib. conc.), au paragraphe 6).

[90]      Une demande fondée sur l’article 11 est faite durant la phase d’enquête de l’application et de l’exécution de la Loi par le commissaire. Ces enquêtes visent à déterminer s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour justifier le dépôt d’une demande auprès du Tribunal (dans le cas des enquêtes en vertu de la partie VII.1 ou de la partie VIII de la Loi) ou un renvoi au directeur des poursuites pénales (dans le cas d’une enquête en vertu de la partie VI ou de la partie VII). En l’absence de preuves de mauvaise foi ou d’autres circonstances exceptionnelles, que j’ai actuellement du mal à cerner, la Cour devrait à ce stade de recherche des faits s’abstenir de tirer des conclusions, qui seraient essentiellement des conclusions définitives, concernant le bien-fondé d’une enquête (Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, à la page 235).

[91]      Cela s’applique également à la position des défenderesses concernant le paragraphe 76(4) de la Loi, qui dispose notamment qu’aucune ordonnance ne peut être rendue en vertu du paragraphe 76(2) lorsque le fournisseur défendeur et le client sont respectivement mandant et mandataire.

D.        Le rôle des défenderesses

[92]      L’article 11 énonce expressément que les demandes sont faites ex parte. En conséquence, seul le commissaire a le droit de participer à l’audience, de déposer des éléments de preuve ou de contre-interroger l’auteur de l’affidavit du commissaire (Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2006 CSC 36, [2006] 2 R.C.S. 189, au paragraphe 36); Commissioner of Competition v. Toshiba of Canada Limited, 2010 ONSC 659 (CanLII), 100 O.R. (3d) 535, aux paragraphes 34 à 36; Raimondo v. Canada (Competition Act, Director of Investigation and Research), 1995 CanLII 7316, 61 C.P.R. (3d) 142 (Div. gén. Ont.), aux paragraphes 12 et 15).

[93]      La Cour peut toutefois exiger dans certaines circonstances qu’un avis soit donné à la partie ou aux parties nommées dans l’ordonnance demandée par le commissaire, afin de donner à cette partie ou ces parties la possibilité de demander la permission de présenter des observations par écrit ou de vive voix. La Cour peut offrir une telle possibilité aux parties lorsque, comme c’est le cas dans la présente demande, ces dernières sont au courant de l’audience et elles y assistent.

[94]      Étant donné que le législateur peut être considéré comme ayant délibérément décidé que les demandes fondées sur l’article 11 devraient habituellement être entendues ex parte, il ne faut pas s’attendre à ce que la Cour accorde régulièrement la permission de présenter des observations par écrit ou de vive voix (R v. S.A.B., 2001 ABCA 235, 96 Alta. L.R. (3d) 31, au paragraphe 61). Lorsqu’un défendeur a des préoccupations quant à la portée ou au caractère potentiellement redondant du projet d’ordonnance, il est plus approprié que ces préoccupations soient portées à l’attention de la Cour par l’entremise du commissaire, vu l’obligation de divulgation complète et franche de ce dernier (décision Labatt, précitée, aux paragraphes 100 à 107).

[95]      À cet égard, la Cour voudra généralement savoir si un ou plusieurs projets de l’ordonnance qui est demandée ont fait l’objet de discussions avec des représentants de la partie ou des parties nommées dans l’ordonnance. Lorsqu’un tel dialogue a eu lieu, la Cour devrait être informée de la nature de toute préoccupation que la partie ou les parties en question ont exprimée, du fondement de ces préoccupations et de la question de savoir si le projet d’ordonnance a été modifié de manière à en tenir compte. Dans la présente demande, le commissaire l’a fait en annexant la correspondance antérieure des défenderesses à l’affidavit initial qui a été déposé pour le compte du commissaire. Les observations écrites du commissaire expliquaient ensuite comment il avait été répondu aux préoccupations des défenderesses dans des projets subséquents de l’ordonnance, le cas échéant.

[96]      Après que la Cour a rendu l’ordonnance, il demeure loisible à la défenderesse de présenter une requête pour traiter des questions qui surgissent par la suite, en la manière habituelle.

[97]      Les parties qui songent à demander la permission de présenter des observations par écrit ou de vive voix à la Cour devraient être conscientes que, si leur demande est accueillie, il pourrait s’avérer plus difficile pour elles de démontrer ultérieurement que la Cour devrait annuler ou modifier son ordonnance parce que « des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue » conformément à l’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

V.        Conclusion

[98]      Pour les motifs exposés ci-dessus, lorsqu’elle est saisie de demandes faites en vertu de l’article 11, la Cour ne cherchera généralement pas à savoir si le commissaire a divulgué suffisamment de renseignements pour convaincre la Cour que l’enquête du commissaire est une véritable enquête et qu’il y a des raisons de croire qu’il existe des motifs justifiant une ordonnance en vertu d’un article précis de la partie VIII de la Loi, ou en vertu de la partie VIII de manière générale. En effet, d’habitude, dans le cadre d’une instance introduite en vertu de l’article 11, la Cour cherchera plutôt à être convaincue i) qu’une enquête a effectivement été entreprise; ii) que le commissaire a procédé à une divulgation complète et franche; iii) que les renseignements ou les documents décrits dans l’ordonnance demandée sont pertinents pour l’enquête en question; et iv) que la portée de ces renseignements n’est pas excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse. Dans la présente instance, compte tenu des renseignements communiqués par le commissaire et des modifications qui ont été apportées aux différentes versions proposées de l’ordonnance que j’ai finalement rendue, je n’ai eu aucune difficulté à être convaincu de ces choses.

[99]      Pour ce qui concerne les questions de fond relatives à la concurrence soulevées par les défenderesses, les auditions ex parte de demandes faites en vertu de l’article 11 ne sont pas appropriées pour que la Cour tire des conclusions définitives à ce sujet.

[100]   Quant au rôle des défenderesses, il ne faudrait pas s’attendre à ce que la Cour accueille régulièrement des demandes de permission de présenter des observations par écrit ou de vive voix. En règle générale, il est plus approprié que les préoccupations de défendeurs relatives à la portée ou au caractère potentiellement redondant d’un projet d’ordonnance demandé aux termes d’une ordonnance faite en vertu de l’article 11 soient portées à l’attention de la Cour par l’entremise du commissaire, vu l’obligation de divulgation complète et franche de ce dernier.

ANNEXE 1

Dispositions pertinentes de la Loi sur la concurrence

10. (1) Le commissaire fait étudier, dans l’un ou l’autre des cas suivants, toutes questions qui, d’après lui, nécessitent une enquête en vue de déterminer les faits :

a) sur demande faite en vertu de l’article 9;

b) chaque fois qu’il a des raisons de croire :

(i) soit qu’une personne a contrevenu à une ordonnance rendue en application des articles 32, 33 ou 34, ou des parties VII.1 ou VIII,

(ii) soit qu’il existe des motifs justifiant une ordonnance en vertu des parties VII.1 ou VIII,

(iii) soit qu’une infraction visée à la partie VI ou VII a été perpétrée ou est sur le point de l’être;

c) chaque fois que le ministre lui ordonne de déterminer au moyen d’une enquête si l’un des faits visés aux sous-alinéas b)(i) à (iii) existe.

Enquête par le commissaire

(2) À la demande écrite d’une personne dont les activités font l’objet d’une enquête en application de la présente loi ou d’une personne qui a demandé une enquête conformément à l’article 9, le commissaire instruit ou fait instruire cette personne de l’état du déroulement de l’enquête.

Renseignements concernant les enquêtes

(3) Les enquêtes visées au présent article sont conduites en privé.          

Enquêtes en privé

11. (1) Sur demande ex parte du commissaire ou de son représentant autorisé, un juge d’une cour supérieure ou d’une cour de comté peut, lorsqu’il est convaincu d’après une dénonciation faite sous serment ou affirmation solennelle qu’une enquête est menée en application de l’article 10 et qu’une personne détient ou détient vraisemblablement des renseignements pertinents à l’enquête en question, ordonner à cette personne :

a) de comparaître, selon ce que prévoit l’ordonnance de sorte que, sous serment ou affirmation solennelle, elle puisse, concernant toute question pertinente à l’enquête, être interrogée par le commissaire ou son représentant autorisé devant une personne désignée dans l’ordonnance et qui, pour l’application du présent article et des articles 12 à 14, est appelée « fonctionnaire d’instruction »;

b) de produire auprès du commissaire ou de son représentant autorisé, dans le délai et au lieu que prévoit l’ordonnance, les documents — originaux ou copies certifiées conformes par affidavit — ou les autres choses dont l’ordonnance fait mention;

c) de préparer et de donner au commissaire ou à son représentant autorisé, dans le délai que prévoit l’ordonnance, une déclaration écrite faite sous serment ou affirmation solennelle et énonçant en détail les renseignements exigés par l’ordonnance.

Ordonnance exigeant une déposition orale ou une déclaration écrite

(2) Lorsque, en rapport avec une enquête, la personne contre qui une ordonnance est demandée en application de l’alinéa (1)b) est une personne morale et que le juge à qui la demande est faite aux termes du paragraphe (1) est convaincu, d’après une dénonciation faite sous serment ou affirmation solennelle, qu’une affiliée de cette personne morale a des documents qui sont pertinents à l’enquête, il peut, sans égard au fait que l’affiliée soit située au Canada ou ailleurs, ordonner à la personne morale de produire les documents en question.

Documents en possession d’une affiliée

(3) Nul n’est dispensé de se conformer à une ordonnance visée au paragraphe (1) ou (2) au motif que le témoignage oral, le document, l’autre chose ou la déclaration qu’on exige de lui peut tendre à l’incriminer ou à l’exposer à quelque procédure ou pénalité, mais un témoignage oral qu’un individu a rendu conformément à une ordonnance prononcée en application de l’alinéa (1)a) ou une déclaration qu’il a faite en conformité avec une ordonnance prononcée en application de l’alinéa (1)c) ne peut être utilisé ou admis contre celui-ci dans le cadre de poursuites criminelles intentées contre lui par la suite sauf en ce qui concerne une poursuite prévue à l’article 132 ou 136 du Code criminel.

Nul n’est dispensé de se conformer à l’ordonnance

(4) Une ordonnance rendue en application du présent article a effet partout au Canada.

[…]

Effet de l’ordonnance

76. (1) Sur demande du commissaire ou de toute personne à qui il a accordé la permission de présenter une demande en vertu de l’article 103.1, le Tribunal peut rendre l’ordonnance visée au paragraphe (2) s’il conclut, à la fois :

a) que la personne visée au paragraphe (3), directement ou indirectement :

(i) soit, par entente, menace, promesse ou quelque autre moyen semblable, a fait monter ou empêché qu’on ne réduise le prix auquel son client ou toute personne qui le reçoit pour le revendre fournit ou offre de fournir un produit ou fait de la publicité au sujet d’un produit au Canada,

(ii) soit a refusé de fournir un produit à une personne ou catégorie de personnes exploitant une entreprise au Canada, ou a pris quelque autre mesure discriminatoire à son endroit, en raison de son régime de bas prix;

b) que le comportement a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché.

Maintien des prix

(2) Le Tribunal peut, par ordonnance, interdire à la personne visée au paragraphe (3) de continuer de se livrer au comportement visé à l’alinéa (1)a) ou exiger qu’elle accepte une autre personne comme client dans un délai déterminé aux conditions de commerce normales.

Ordonnance

(3) Peut être visée par l’ordonnance prévue au paragraphe (2) la personne qui, selon le cas :

a) exploite une entreprise de production ou de fourniture d’un produit;

b) offre du crédit au moyen de cartes de crédit ou, d’une façon générale, exploite une entreprise dans le domaine des cartes de crédit;

c) détient les droits et privilèges exclusifs que confèrent un brevet, une marque de commerce, un droit d’auteur, un dessin industriel enregistré ou une topographie de circuit intégré enregistrée.

Personne visée par l’ordonnance

(4) L’ordonnance prévue au paragraphe (2) ne peut être rendue lorsque la personne visée au paragraphe (3) et le client ou la personne visés aux sous-alinéas (1)a)(i) ou (ii) ont entre eux des relations de mandant à mandataire ou sont des personnes morales affiliées ou des administrateurs, mandataires, dirigeants ou employés :

a) soit de la même personne morale, société de personnes ou entreprise individuelle;

b) soit de personnes morales, sociétés de personnes ou entreprises individuelles qui sont affiliées.

Cas où il ne peut être rendu d’ordonnance

(5) Pour l’application du présent article, le fait, pour le producteur ou fournisseur d’un produit, de proposer pour ce produit un prix de revente ou un prix de revente minimal, quelle que soit la façon de déterminer ce prix, lorsqu’il n’est pas prouvé que le producteur ou fournisseur, en faisant la proposition, a aussi précisé à la personne à laquelle il l’a faite que cette dernière n’était nullement obligée de l’accepter et que, si elle ne l’acceptait pas, elle n’en souffrirait en aucune façon dans ses relations commerciales avec ce producteur ou fournisseur ou avec toute autre personne, constitue la preuve qu’il a influencé, dans le sens de la proposition, la personne à laquelle il l’a faite.

Prix de détail proposé

(6) Pour l’application du présent article, la publication, par le producteur ou le fournisseur d’un produit qui n’est pas détaillant, d’une réclame mentionnant un prix de revente pour ce produit constitue la preuve qu’il a fait monter le prix de vente demandé par toute personne qui le reçoit pour le revendre, à moins que ce prix ne soit exprimé de façon à préciser à quiconque prend connaissance de la publicité que le produit peut être vendu à un prix inférieur.

Prix annoncé

(7) Les paragraphes (5) et (6) ne s’appliquent pas au prix apposé ou inscrit sur un produit ou sur son emballage.

Exception

(8) S’il conclut, à la suite d’une demande du commissaire ou de toute personne à qui il a accordé la permission de présenter une demande en vertu de l’article 103.1, qu’une personne, par entente, menace, promesse ou quelque autre moyen semblable, a persuadé un fournisseur, au Canada ou à l’étranger, en en faisant la condition de leurs relations commerciales, de refuser de fournir un produit à une personne donnée ou à une catégorie donnée de personnes en raison du régime de bas prix de cette personne ou catégorie et que la persuasion a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché, le Tribunal peut, par ordonnance, interdire à la personne de continuer à se comporter ainsi ou exiger qu’elle entretienne des relations commerciales avec le fournisseur en question aux conditions de commerce normales.

Refus de fournir

(9) L’ordonnance prévue au paragraphe (2) à l’égard du comportement visé au sous-alinéa (1)a)(ii) ne peut être rendue si le Tribunal est convaincu que la personne ou catégorie de personnes visée au sous-alinéa avait l’habitude, quant aux produits fournis par la personne visée au paragraphe (3) :

a) de les sacrifier à des fins de publicité et non d’en tirer profit;

b) de les vendre sans profit afin d’attirer les clients dans l’espoir de leur vendre d’autres produits;

c) de faire de la publicité trompeuse;

d) de ne pas assurer la qualité de service à laquelle leurs acheteurs pouvaient raisonnablement s’attendre.

Cas où il ne peut être rendu d’ordonnance

(10) Le Tribunal, lorsqu’il est saisi d’une demande présentée par une personne à qui il a accordé la permission de présenter une demande en vertu de l’article 103.1, ne peut tirer quelque conclusion que ce soit du fait que le commissaire a pris des mesures ou non à l’égard de l’objet de la demande.

Application

(11) Aucune demande à l’endroit d’une personne ne peut être présentée au titre du présent article si les faits allégués au soutien de la demande sont les mêmes ou essentiellement les mêmes que ceux qui ont été allégués au soutien :

a) d’une procédure engagée à l’endroit de cette personne en vertu des articles 45 ou 49;

b) d’une ordonnance demandée à l’endroit de cette personne en vertu des articles 79 ou 90.1.

Procédures en vertu des articles 45, 49, 79 et 90.1

(12) Pour l’application du présent article, « conditions de commerce » s’entend des conditions relatives au paiement, aux quantités unitaires d’achat et aux exigences raisonnables d’ordre technique ou d’entretien.

[…]

Définition de « conditions de commerce »

79. (1) Lorsque, à la suite d’une demande du commissaire, il conclut à l’existence de la situation suivante :

a) une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions;

b) cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées à une pratique d’agissements anti-concurrentiels;

c) la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché,

le Tribunal peut rendre une ordonnance interdisant à ces personnes ou à l’une ou l’autre d’entre elles de se livrer à une telle pratique.

Ordonnance d’interdiction dans les cas d’abus de position dominante

(2) Dans les cas où à la suite de la demande visée au paragraphe (1) il conclut qu’une pratique d’agissements anti-concurrentiels a eu ou a pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché et qu’une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) n’aura vraisemblablement pas pour effet de rétablir la concurrence dans ce marché, le Tribunal peut, en sus ou au lieu de rendre l’ordonnance prévue au paragraphe (1), rendre une ordonnance enjoignant à l’une ou l’autre ou à l’ensemble des personnes visées par la demande d’ordonnance de prendre des mesures raisonnables et nécessaires dans le but d’enrayer les effets de la pratique sur le marché en question et, notamment, de se départir d’éléments d’actif ou d’actions.

Ordonnance supplémentaire ou substitutive

(3) Lorsque le Tribunal rend une ordonnance en application du paragraphe (2), il le fait aux conditions qui, à son avis, ne porteront atteinte aux droits de la personne visée par cette ordonnance ou à ceux des autres personnes touchées par cette ordonnance que dans la mesure de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objet de l’ordonnance.

Restriction

(3.1) S’il rend une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2), le Tribunal peut aussi ordonner à la personne visée de payer, selon les modalités qu’il peut préciser, une sanction administrative pécuniaire maximale de 10 000 000 $ et, pour toute ordonnance subséquente rendue en vertu de l’un de ces paragraphes, de 15 000 000 $.

Sanction administrative pécuniaire

(3.2) Pour la détermination du montant de la sanction administrative pécuniaire, il est tenu compte des éléments suivants :

a) l’effet sur la concurrence dans le marché pertinent;

b) le revenu brut provenant des ventes sur lesquelles la pratique a eu une incidence;

c) les bénéfices réels ou prévus sur lesquels la pratique a eu une incidence;

d) la situation financière de la personne visée par l’ordonnance;

e) le comportement antérieur de la personne visée par l’ordonnance en ce qui a trait au respect de la présente loi;

f) tout autre élément pertinent.

Facteurs à prendre en compte

(3.3) La sanction prévue au paragraphe (3.1) vise à encourager la personne visée par l’ordonnance à adopter des pratiques compatibles avec les objectifs du présent article et non pas à la punir.

But de la sanction

(4) Pour l’application du paragraphe (1), lorsque le Tribunal décide de la question de savoir si une pratique a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché, il doit évaluer si la pratique résulte du rendement concurrentiel supérieur.

Efficience économique supérieure

(5) Pour l’application du présent article, un agissement résultant du seul fait de l’exercice de quelque droit ou de la jouissance de quelque intérêt découlant de la Loi sur les brevets, de la Loi sur les dessins industriels, de la Loi sur le droit d’auteur, de la Loi sur les marques de commerce, de la Loi sur les topographies de circuits intégrés ou de toute autre loi fédérale relative à la propriété intellectuelle ou industrielle ne constitue pas un agissement anti-concurrentiel.

Exception

(6) Une demande ne peut pas être présentée en application du présent article à l’égard d’une pratique d’agissements anti-concurrentiels si la pratique en question a cessé depuis plus de trois ans.

(7) Aucune demande à l’endroit d’une personne ne peut être présentée au titre du présent article si les faits au soutien de la demande sont les mêmes ou essentiellement les mêmes que ceux qui ont été allégués au soutien :

a) d’une procédure engagée à l’endroit de cette personne en vertu des articles 45 ou 49;

b) d’une ordonnance demandée par le commissaire à l’endroit de cette personne en vertu des articles 76, 90.1 ou 92.

[…]

Prescription

Procédures en vertu des articles 45, 49, 76, 90.1 ou 92

90.1 (1) Dans le cas où, à la suite d’une demande du commissaire, il conclut qu’un accord ou un arrangement — conclu ou proposé — entre des personnes dont au moins deux sont des concurrents empêche ou diminue sensiblement la concurrence dans un marché, ou aura vraisemblablement cet effet, le Tribunal peut rendre une ordonnance :

a) interdisant à toute personne — qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement — d’accomplir tout acte au titre de l’accord ou de l’arrangement;

b) enjoignant à toute personne — qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement — de prendre toute autre mesure, si le commissaire et elle y consentent.

Ordonnance

(2) Pour décider s’il arrive à la conclusion visée au paragraphe (1), le Tribunal peut tenir compte des facteurs suivants :

a) la mesure dans laquelle des produits ou des concurrents étrangers assurent ou assureront vraisemblablement une concurrence réelle aux entreprises des parties à l’accord ou à l’arrangement;

b) la mesure dans laquelle sont ou seront vraisemblablement disponibles des produits pouvant servir de substituts acceptables à ceux fournis par les parties à l’accord ou à l’arrangement;

c) les entraves à l’accès à ce marché, notamment :

(i) les barrières tarifaires et non tarifaires au commerce international,

(ii) les barrières interprovinciales au commerce,

(iii) la réglementation de cet accès;

d) les effets de l’accord ou de l’arrangement sur les entraves visées à l’alinéa c);

e) la mesure dans laquelle il y a ou il y aurait encore de la concurrence réelle dans ce marché;

f) le fait que l’accord ou l’arrangement a entraîné la disparition d’un concurrent dynamique et efficace ou qu’il entraînera ou pourrait entraîner une telle disparition;

g) la nature et la portée des changements et des innovations dans tout marché pertinent;

h) tout autre facteur pertinent à l’égard de la concurrence dans le marché qui est ou serait touché par l’accord ou l’arrangement.

Facteurs à considérer

(3) Pour l’application des paragraphes (1) et (2), le Tribunal ne peut fonder sa conclusion uniquement sur des constatations relatives à la concentration ou à la part de marché.

Preuve

(4) Le Tribunal ne rend pas l’ordonnance prévue au paragraphe (1) dans les cas où il conclut que l’accord ou l’arrangement a eu pour effet ou aura vraisemblablement pour effet d’entraîner des gains en efficience, que ces gains surpasseront et neutraliseront les effets de l’empêchement ou de la diminution de la concurrence qui résulteront ou résulteront vraisemblablement de l’accord ou de l’arrangement et que ces gains n’auraient pas été réalisés si l’ordonnance avait été rendue ou ne le seraient vraisemblablement pas si l’ordonnance était rendue.

Exception dans les cas de gains en efficience

(5) Pour l’application du paragraphe (4), le Tribunal ne peut fonder uniquement sur une redistribution de revenu entre plusieurs personnes sa conclusion que l’accord ou l’arrangement a eu pour effet ou aura vraisemblablement pour effet d’entraîner des gains en efficience.

Restriction

(6) Pour décider si l’accord ou l’arrangement aura vraisemblablement pour effet d’entraîner les gains en efficience visés au paragraphe (4), le Tribunal examine si ces gains se traduiront, selon le cas :

a) par une augmentation relativement importante de la valeur réelle des exportations;

b) par une substitution relativement importante de produits nationaux à des produits étrangers.

Facteurs pris en considération

(7) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’accord ou à l’arrangement qui est intervenu ou interviendrait exclusivement entre des personnes morales qui sont chacune des affiliées de toutes les autres.

Exception

(8) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’accord ou à l’arrangement qui se rattache exclusivement à l’exportation de produits du Canada, sauf dans les cas suivants :

a) il a eu pour résultat ou aura vraisemblablement pour résultat une réduction ou une limitation de la valeur réelle des exportations d’un produit;

b) il a restreint ou restreindra vraisemblablement les possibilités pour une personne d’entrer dans le commerce d’exportation de produits du Canada ou de développer un tel commerce;

c) il a sensiblement empêché ou diminué la concurrence dans la fourniture de services visant à favoriser l’exportation de produits du Canada, ou aura vraisemblablement un tel effet.

Exception

(9) Le Tribunal ne rend pas l’ordonnance prévue au paragraphe (1) en ce qui touche :

a) un accord ou un arrangement intervenu entre des institutions financières fédérales, au sens du paragraphe 49(3), à l’égard duquel le ministre des Finances certifie au commissaire le nom des parties et le fait qu’il a été conclu à sa demande ou avec son autorisation pour les besoins de la politique financière;

b) un accord ou un arrangement constituant une fusion — réalisée ou proposée — aux termes de la Loi sur les banques, de la Loi sur les associations coopératives de crédit, de la Loi sur les sociétés d’assurances ou de la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt, et à l’égard duquel le ministre des Finances certifie au commissaire le nom des parties et le fait que cette fusion est dans l’intérêt public, ou qu’elle le serait compte tenu des conditions qui pourraient être imposées dans le cadre de ces lois;

c) un accord ou un arrangement constituant une fusion — réalisée ou proposée — agréée en vertu du paragraphe 53.2(7) de la Loi sur les transports au Canada et à l’égard duquel le ministre des Transports certifie au commissaire le nom des parties.

 (10) Aucune demande à l’endroit d’une personne ne peut être présentée au titre du présent article si les faits au soutien de la demande sont les mêmes ou essentiellement les mêmes que ceux allégués au soutien :

a) d’une procédure engagée à l’endroit de cette personne en vertu des articles 45 ou 49;

b) d’une ordonnance demandée par le commissaire à l’endroit de cette personne en vertu des articles 76, 79 ou 92.

Exception

Procédures en vertu des articles 45, 49, 76, 79 et 92

(11) Au paragraphe (1), « concurrent » s’entend notamment de toute personne qui, en toute raison, ferait vraisemblablement concurrence à une autre personne à l’égard d’un produit en l’absence de l’accord ou de l’arrangement.

Définition de « concurrent »

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