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[2016] 4 R.C.F. 34

IMM-2266-15

2016 CF 164

Fakhria Ameni, Ehsan Faizee et Najeb Faizee (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Ameni c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Brown—Toronto, 27 janvier; Ottawa, 9 février 2016.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent des visas selon laquelle les demandeurs ne sont pas admissibles à la résidence permanente en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil en vertu de l’art. 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et des art. 139 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — Les demandeurs, des Afghans, ont présenté leur demande au Pakistan — Ils ont fourni des éléments de preuve afin de prouver qu’ils demeuraient au Pakistan — Il s’agissait principalement de savoir si l’agent a agi de manière incorrecte ou déraisonnable en demandant aux demandeurs de prouver leur « résidence » ou leur « résidence continue » au Pakistan pour être admis dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou la catégorie de personnes de pays d’accueil — La demande des demandeurs a été rejetée de manière déraisonnable parce que l’agent a exigé qu’ils démontrent qu’ils habitaient à l’extérieur de leur pays de nationalité — Les agents n’ont pas respecté les dispositions de la Loi applicables aux deux catégories de réfugiés — Ni l’art. 96 de la Loi ni l’art. 147 ou 139 du Règlement ne prévoient qu’un demandeur doit « habiter » à l’extérieur du pays dont il a la nationalité ou dans lequel il a sa résidence habituelle — Les demandeurs devaient seulement « se trouver hors » de tout pays dont ils ont la nationalité — Ils n’étaient pas tenus d’« étayer leur preuve de résidence continue » ou d’« établir leur résidence » — Les agents ont effectué une analyse inadmissible des causes et des effets et ont appliqué le mauvais critère juridique — La conclusion selon laquelle les demandeurs avaient faussement déclaré que leur pays de résidence était le Pakistan est également déraisonnable — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent des visas selon laquelle les demandeurs ne sont pas admissibles à la résidence permanente en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et des articles 139 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Les demandeurs, des Afghans, ont présenté leur demande auprès du Haut-commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan. Ils ont fourni des éléments de preuve à l’agent afin de prouver qu’ils demeuraient au Pakistan, notamment une lettre de confirmation de location de leur locateur à Peshawar.

Il s’agissait principalement de savoir si l’agent a agi de manière incorrecte ou déraisonnable en demandant aux demandeurs de prouver leur « résidence » ou leur « résidence continue » au Pakistan pour être admis dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou la catégorie de personnes de pays d’accueil.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La demande des demandeurs a été rejetée de manière déraisonnable parce que l’agent a exigé qu’ils démontrent qu’ils habitaient à l’extérieur de leur pays de nationalité. Les agents (deux agents semblent avoir travaillé sur le dossier) n’ont pas respecté les dispositions de la loi applicables aux deux catégories de réfugiés. Ni l’article 96 de la Loi ni l’article 139 ou 147 du Règlement ne prévoient qu’un demandeur doit « habiter » à l’extérieur du pays dont il a la nationalité ou dans lequel il a sa résidence habituelle. La seule condition applicable aux liens avec son pays que doit remplir une personne qui présente une demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou une demande de statut de personne de pays d’accueil est qu’elle doit « se trouver hors » de tout pays dont elle a la nationalité. Les demandeurs n’étaient pas tenus d’« étayer leur preuve de résidence continue » ou d’« établir leur résidence » au Pakistan. Il est indiqué dans les motifs des agents que les demandeurs « n’habitent pas à l’extérieur de leur pays de nationalité ». Bien que la décision Nassima c. Canada (Citoyenneté et Immigration) aborde le concept d’« habiter » dans le pays où la demande est présentée, la proposition que les termes utilisés par le législateur dans l’article 96 de la Loi et les articles 139 et 147 du Règlement pourraient être remplacés par le terme « habiter » ou des variantes de celui-ci et que les termes utilisés dans la Loi et le Règlement pourraient être remplacés par le terme « résider » ne peut pas s’appuyer sur cette décision. Il suffit de se trouver à l’extérieur de son pays de nationalité. Les agents ont effectué une analyse inadmissible des causes et des effets et ont appliqué le mauvais critère juridique.

Enfin, les agents ont tiré une conclusion déraisonnable selon laquelle les demandeurs avaient faussement déclaré que leur pays de résidence était le Pakistan. La prise en considération de la fausse déclaration était inextricablement liée au critère juridique erroné et à l’analyse déraisonnable des agents.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72(1), 96.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 139, 147.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Nassima c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 688; Wardak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 673.

DÉCISIONS CITÉES :

Sakthivel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 292; Bakhtiari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1229; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392; Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 838; Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315; Chandrakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 615 (C.A.) (QL); Siddiqui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 329, [2015] 4 R.C.F. 409; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458.

DOCTRINE CITÉE

Nations Unies. Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, Genève, réédition janvier 1992.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent des visas selon laquelle les demandeurs ne sont pas admissibles à la résidence permanente en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et des articles 139 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Lisa R. G. Winter-Card pour les demandeurs.

Teresa Ramnarine pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lisa R. G. Winter-Card, Welland, Ontario, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Brown : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) par Fakhria Ameni (la demanderesse) et ses deux fils, Ehsan Faizee et Najeb Faizee (collectivement les demandeurs), à l’encontre de la décision rendue le 17 mars 2015 par un agent des visas islamabadien de la Section de visa du Haut-commissariat du Canada au Pakistan (l’agent) et communiquée à la demanderesse ce même jour, décision selon laquelle la demanderesse et ses deux fils ne sont pas admissibles à la résidence permanente en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil en vertu de l’article 96 de la LIPR et des articles 139 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [DORS/2002-227] (le RIPR [ou le Règlement]). La demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été accordée le 28 octobre 2015.

[2]        Il est à noter qu’au début de l’audience, l’avocate des demandeurs a demandé, avec le consentement du défendeur, de modifier l’intitulé pour y ajouter les noms des deux fils. La requête est accordée avec effet immédiat. Les présents motifs contiennent l’intitulé modifié.

I.          Faits

[3]        La demanderesse est Afghane. Elle a présenté sa demande auprès du Haut-commissariat d’Islamabad, où elle a été reçue en entrevue. Elle a déclaré qu’elle habitait au Pakistan depuis 1993. C’est son mari, décédé en janvier 2015, qui avait présenté sa demande. Les autres noms figurant sur sa demande sont ceux de ses deux fils. Sa demande ne contient toutefois pas les noms de ses filles mariées habitant au Pakistan et à Kaboul et d’un autre de ses fils habitant aux États-Unis. La demanderesse et sa famille sont parrainées par l’Association éducative transculturelle de Sherbrooke, au Québec.

[4]        La demanderesse et sa famille ont indiqué qu’ils sont déménagés de l’Afghanistan à Peshawar en 1993. À cette époque, des combats faisaient rage dans leur localité et un beau-frère et la sœur du mari de la demanderesse ont été abattus par un moudjahid sous les yeux de la demanderesse et sa famille. Craignant pour leur sécurité, la demanderesse et sa famille se sont enfuies à pied à Peshawar, au Pakistan.

[5]        En 1999, la famille est retournée en Afghanistan dans l’espoir que le pays soit plus sécuritaire après le changement de régime. Or, un mois après le retour de la famille, le mari de la demanderesse a été enlevé et torturé pendant une semaine par les talibans. Après l’incident, la famille est retournée au Pakistan. Le mari ne s’est pas remis de ses blessures avant de mourir.

[6]        La demanderesse et ses fils ont fourni les éléments de preuve suivants à l’agent pour prouver qu’ils habitaient au Pakistan :

•           Une lettre signée par le mari qui avait été jointe à la demande initiale présentée en 2010 qui indiquait : [traduction] « Nous avons essayé d’obtenir la carte de preuve d’enregistrement à plusieurs reprises, mais nous n’avons pas pu l’obtenir parce que le processus était désorganisé et inefficace ». Les demandeurs n’avaient pas de carte de « preuve d’enregistrement », qui est une pièce d’identité délivrée aux réfugiés afghans enregistrés par le truchement d’une coopération entre le gouvernement pakistanais et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR);

•           Les tazkiras afghans (cartes d’identité nationales) ayant été renouvelés en 2009 et 2012;

•           Les cartes d’étudiant des fils de la demanderesse fournies dans l’affidavit, mais pas dans le dossier certifié du tribunal (DCT), sans bulletins ou autres dossiers scolaires. À l’audience, j’ai demandé que l’on cherche les cartes d’étudiant dans le dossier ministériel, mais la conclusion est restée la même : ces documents ne figurent pas dans le dossier. Pour ce motif, je ne suis pas prêt à accueillir à titre de nouveaux éléments de preuve les cartes d’étudiant mentionnées puisque l’agent a lui-même conclu que ces documents n’ont pas été produits. Cependant, je remarque que les tazkiras susmentionnés ne figurent pas non plus dans le DCT;

•           Une lettre de confirmation de location du locateur de la demanderesse, le Dr Sediqullah Sediq, indiquant que la demanderesse et sa famille sont ses locataires à Peshawar, au Pakistan, depuis 2005, et que la demanderesse prenait soin de ses enfants et de sa mère;

•           Une facture de services publics pour le logement pour les mois de janvier et février 2015;

•           Des lettres de l’employeur des fils, un restaurant appartenant à un Afghan, décrivant les tâches qu’exécutent les fils dans le restaurant à Peshawar, au Pakistan, sur du papier sans en-tête, où le nombre imprimé au bas des lettres avait été remplacé par un nombre écrit à la main. Une carte professionnelle du restaurant avait été jointe à ces lettres.

[7]        Les demandeurs n’ont pas remis à l’agent leurs passeports afghans, qu’ils avaient renouvelés à Kaboul en février 2015.

[8]        L’agent a envoyé une lettre à la demanderesse en janvier 2015, après le décès de son mari, afin d’informer la famille qu’elle était convoquée à une entrevue le 4 mars 2015, mais la lettre envoyée à l’adresse au dossier a été retournée non livrée. Le 26 février, la demanderesse principale a avisé la Commission que la famille avait déménagé le 1er janvier 2015 et que son mari était décédé. Elle a fourni sa nouvelle adresse à la Commission. La Commission a envoyé l’avis de convocation à une entrevue à cette nouvelle adresse et la demanderesse a reçu la lettre sans aucun problème.

[9]        L’agent a déterminé que la demanderesse ne répondait pas aux exigences d’immigration au Canada applicables aux deux catégories.

II.         Questions en litige

[10]      Je suis d’avis que les questions en litige sont les suivantes :

1.         L’agent a-t-il agi de manière incorrecte ou déraisonnable en demandant à la demanderesse et à ses fils de prouver leur « résidence » ou leur « résidence continue » au Pakistan pour être admis dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou la catégorie de personnes de pays d’accueil, conformément à l’article 96 de la LIPR et aux articles 139 et 147 du RIPR?

2.         L’agent a-t-il agi de manière déraisonnable en concluant que la demanderesse et ses fils ont faussement déclaré que leur pays de résidence était le Pakistan au lieu de l’Afghanistan?

3.         L’agent a-t-il enfreint les règles de justice naturelle en n’exposant pas aux demandeurs ses préoccupations concernant le fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité, ne leur donnant ainsi pas la possibilité de répondre?

III.        Discussion et analyse

A.        Critère de contrôle

[11]      En ce qui a trait au critère de contrôle, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (l’arrêt Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a statué aux paragraphes 57 et 62 qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable est le critère de contrôle à appliquer pour déterminer si un demandeur appartient à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention : décision Sakthivel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 292, au paragraphe 30, et décision Bakhtiari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1229, au paragraphe 22. Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[12]      Les questions d’équité procédurale et de justice naturelle sont sujettes à révision selon la norme de la décision correcte : arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43, et arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, aux paragraphes 53 à 55. Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision correcte :

[…] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

IV.       Analyse

[13]      La première question en litige concerne la qualité des liens avec un autre pays que le Canada qui doit être préalablement établie pour obtenir le statut de réfugié de la Convention ou le statut de personne de pays d’accueil. Par exemple, suffit-il qu’une personne « se trouve » dans ledit pays ou doit-elle prouver qu’elle « habite » dans ce pays? Ou faut-il qu’elle prouve qu’elle est une « résidente » de ce pays? Cette question consiste également à déterminer pourquoi un demandeur doit établir la qualité nécessaire des liens : il peut s’agir d’une exigence de la LIPR ou du RIPR ou il peut s’agir d’une condition que s’impose lui-même le demandeur parce qu’il a déclaré un ensemble de faits dans sa demande qu’il doit par la suite établir. L’incapacité à respecter le degré de lien établi dans la Loi peut mener au rejet de la demande. L’incapacité à établir les faits sur lesquels repose une demande peut également mener au rejet de la demande en se fondant sur la conclusion selon laquelle il y a eu une fausse déclaration ou un manque de crédibilité, ou pour tout autre motif.

[14]      Dans la présente espèce, il est allégué que les agents qui ont rejeté les demandes des demandeurs ont exigé par erreur que les demandeurs soient des « résidents » du Pakistan, mais les demandeurs allèguent que ni la LIPR, ni le RIPR ne prévoient une telle condition de résidence. Il est allégué que si les agents imposent une condition selon laquelle les demandeurs doivent résider au Pakistan pour établir le bien-fondé des demandes de statut de réfugié au sens de la Convention ou de statut de personne de pays d’accueil, en se fondant sur la croyance erronée qu’ils sont légalement autorisés à le faire, la décision est déraisonnable ou incorrecte et devrait être annulée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[15]      Par contre, le défendeur affirme que les agents n’ont pas commis d’erreur et que les demandeurs devaient démontrer aux termes de la Loi qu’ils habitaient au Pakistan pour présenter une demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de statut de personne de pays d’accueil au Pakistan. Par ailleurs, à l’audience relative au contrôle judiciaire, le défendeur a souligné que bien qu’elle soit déraisonnable, la conclusion tirée par les agents en ce sens n’est pas déterminante. La demande a plutôt été rejetée en raison des fausses déclarations des demandeurs. En effet, les demandeurs ont déclaré qu’ils habitaient au Pakistan, alors qu’en réalité, ils habitaient en Afghanistan. Par conséquent, puisque les demandeurs ont fait de fausses déclarations, il était raisonnable que les agents rejettent leurs demandes.

[16]      À la lumière de ces faits, je me pencherai sur les questions en litige.

A.        Première question en litige L’agent a-t-il agi de manière incorrecte ou déraisonnable en ne tenant pas compte du critère juridique applicable lorsqu’il a demandé à la demanderesse et à ses fils de prouver leur « résidence » ou leur « résidence continue » au Pakistan pour que leur demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de statut de personne de pays d’accueil soit acceptée, conformément à l’article 96 de la LIPR et aux articles 139 et 147 du RIPR?

[17]      Je suis d’avis que les demandeurs ont déclaré à juste titre que leur demande a été rejetée de manière déraisonnable parce que les agents ont exigé qu’ils démontrent qu’ils habitaient à l’extérieur de leur pays de nationalité. Cette conclusion est d’ailleurs manifeste d’après la lettre de décision. Cette dernière renvoie à l’article 96 de la LIPR, qui établit les critères d’admissibilité d’une demande de statut de réfugié au sens de la Convention, et à l’article 147 du RIPR, qui établit les critères d’admissibilité d’une demande de statut de personne de pays d’accueil :

[traduction] […] Je ne suis pas convaincu que vous habitez au Pakistan comme vous l’avez déclaré et je crois qu’il est plus probable que vous ayez été rapatriés ou que vous habitiez en Afghanistan, votre pays de nationalité. […] Par conséquent, vous ne répondez pas aux critères établis dans l’article 96 de la Loi ou l’article 147 du Règlement. Par conséquent, aux termes de l’alinéa 139(1)e) du Règlement et de l’article 11 de la Loi, la demande est rejetée.

[18]      Les notes de l’agent, qui font partie de la décision, mentionnent à plusieurs reprises que la résidence est une exigence législative. Ces mentions ont été soulignées dans la partie importante des notes du Système mondial de gestion des cas :

[traduction] […] Je m’appelle Douglas et je suis l’agent des visas assigné à votre dossier. […] Je suis celui qui déterminera si vous résidez à l’extérieur de votre pays de nationalité et si vous répondez aux exigences et si vous êtes admissible à un visa au Canada. Les clients ont indiqué qu’ils comprenaient.

[…] RÉSIDENCE (Confirmer avec le dossier IMM8) (Preuve de résidence) […] Dans sa déclaration, la mère a indiqué qu’elle habite à Peshawar, au Pakistan, depuis 1993. Elle n’avait pas de carte de preuve d’enregistrement (carte d’identité délivrée par le gouvernement pakistanais aux réfugiés afghans habitant au Pakistan) en 2006. Aucun dossier scolaire n’a été versé au dossier. Notre lettre de convocation à une entrevue nous a été retournée par le bureau de poste. Il n’y avait personne à l’adresse indiquée sur l’enveloppe pour accuser réception de la lettre recommandée. L’enveloppe porte une inscription écrite à la main indiquant que la personne à contacter a été jointe au téléphone, mais qu’elle a répondu qu’elle n’acceptait pas la lettre. La demanderesse principale a déclaré qu’elle a une nouvelle adresse, mais notre lettre a bel et bien été envoyée à la nouvelle adresse en janvier 2015. La demanderesse principale a fourni des factures de services publics, mais seulement pour la période de janvier à mars 2015. Une lettre de confirmation de location signée par le Dr Sediqullah le 28 février 2015 indique que la demanderesse et sa famille vivent dans un 1½ dans sa maison depuis 2005. La demanderesse a également fourni une entente de location produite par le fils du Dr Sediqullah qui indique qu’elle a un bail d’un an. Je suis d’avis que ces lettres n’étayent pas la preuve de résidence, car elles sont faciles à obtenir auprès de ce tiers.

De nombreux éléments de preuve démontrent que la famille est retournée en Afghanistan. Les deux fils affirment qu’ils travaillent dans un restaurant de Peshawar, mais une étiquette a été apposée au verso de la lettre d’emploi et aucun logo d’entreprise légitime ne figure au recto de la lettre. Un numéro privé a été écrit au recto de la lettre aux fins de vérification. Le prétendu numéro de téléphone officiel du restaurant qui figurait sur l’étiquette apposée au verso de la lettre n’était pas en service. Des tazkiras (pièces d’identité afghanes) ont été délivrés et certifiés à Kaboul en 2009 et en 2012. L’un des fils possédait un passeport afghan lisible à la machine qui lui avait été délivré en février 2015. Les passeports lisibles à la machine ne sont délivrés qu’à Kaboul. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse principale et ses deux fils habitent à l’extérieur de leur pays de nationalité. EXAMEN DE L’AGENT : J’ai examiné attentivement la présente demande et je crois, en me fondant sur la documentation et le processus d’entrevue, que cette famille ne vit pas à l’extérieur de son pays de nationalité. Comme il a été précité, la famille a été incapable d’établir qu’elle résidait au Pakistan. Les documents produits n’étayaient pas la preuve de résidence continue au Pakistan. Les membres de la famille ont été incapables de produire les cartes de preuve d’enregistrement que possèdent les ressortissants afghans qui vivent au Pakistan. Ils n’avaient aucune explication valable pour expliquer les raisons pour lesquelles ils n’ont pas obtenu ces pièces d’identité avant 2006, lorsqu’ils vivaient à Peshawar. Leurs cartes d’identité afghanes (tazkiras) ont été délivrées à Kaboul. Aucun dossier scolaire n’a été fourni pour prouver les études suivies au fil des ans. La documentation fournie est insuffisante pour établir la résidence, la fréquentation scolaire ou l’occupation d’un emploi au Pakistan. Un grand nombre de fraudes sont commises, et un grand nombre de demandeurs déclarent de façon erronée qu’ils ont le statut de résident pakistanais. Au cours des dernières années, plus de 4,7 millions d’Afghans ont quitté le Pakistan pour retourner en Afghanistan dans le cadre d’un programme de retour volontaire des Nations Unies. Les Nations Unies estiment également que 900 000 autres Afghans sont retournés dans leur pays de leur propre gré. Les demandeurs n’ont pas réussi à me convaincre qu’ils satisfont à la condition de résidence à l’extérieur de leur pays de nationalité. Comme il a été précité et comme il a été mentionné aux demandeurs pendant l’entrevue, je ne crois pas qu’ils habitent à l’extérieur de leur pays de nationalité. Par conséquent, ils ne répondent pas aux critères d’admissibilité à la réinstallation au Canada en tant que réfugiés au sens de l’article 96 de la Loi et de l’article 147 du Règlement. J’ai examiné tous les renseignements et documents mis à ma disposition, ainsi que les réponses des demandeurs aux préoccupations dont je leur ai fait part, et j’en viens tout de même à la conclusion que les demandeurs ont fait une déclaration fausse quant à leur pays de résidence et qu’en fait, ils n’habitent pas à l’extérieur de leur pays de nationalité. [Non souligné dans l’original.]

[19]      Je ne répéterai pas tous les passages soulignés, mais en me fondant sur ceux-ci, je n’ai aucune difficulté à conclure que les agents considéraient que les demandeurs avaient l’obligation légale de prouver qu’ils étaient des résidents du Pakistan pour remplir l’une des conditions préalables à l’établissement d’une demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de statut de personne de pays d’accueil. La déclaration selon laquelle [traduction] « [l]es demandeurs n’ont pas réussi à me convaincre qu’ils satisfont à la condition de résidence à l’extérieur de leur pays de nationalité » démontre à mon avis l’analyse sur laquelle repose la décision.

[20]      Cependant, en toute déférence, j’en arrive à la conclusion que ce faisant, les agents (deux agents semblent avoir travaillé sur le dossier) n’ont pas respecté les dispositions de la loi applicables aux deux catégories. L’article 96 de la LIPR régit les réfugiés au sens de la Convention et dispose :

Définition de réfugié

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. [Soulignement ajouté.]

[21]      L’article 147 du RIPR régit les demandes de statut de personne de pays d’accueil et dispose :

Catégorie de personnes de pays d’accueil

147 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui. [Soulignement ajouté.]

[22]      L’article 139 du RIPR dispose :

Exigences générales

139 (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

a) l’étranger se trouve hors du Canada;

b) il a fait une demande de visa de résident permanent au titre de la présente section conformément aux alinéas 10(1)a) à c) et (2)c.1) à d) et aux articles 140.1 à 140.3;

c) il cherche à entrer au Canada pour s’y établir en permanence;

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays. [Soulignement ajouté.]

[23]      En toute déférence, ni l’article 96 de la Loi, ni l’article 147 ou 139 du Règlement ne prévoient qu’un demandeur doit « habiter » à l’extérieur du pays dont il a la nationalité ou dans lequel il a sa résidence habituelle (la résidence habituelle ne s’applique qu’aux apatrides, ce qui n’est pas pertinent en l’espèce; le terme ne sera donc pas utilisé de nouveau). La seule condition applicable aux liens avec son pays que doit remplir une personne qui présente une demande de statut de réfugié au sens de la Convention est qu’elle doit « se trouver hors » de tout pays dont elle a la nationalité (consulter les alinéas 96a) et 96b)). En outre, la seule condition que doit remplir une personne qui présente une demande de statut de personne de pays d’accueil est qu’elle doit « se trouver hors » de tout pays dont elle a la nationalité (consulter les alinéas 147a) et 147b) et le paragraphe 139(1) du Règlement, qui exigent que le demandeur démontre qu’il « se trouve hors » de tout pays dont il a la nationalité et du Canada). Autrement dit, il suffit que les demandeurs se trouvent à l’extérieur de leur pays de nationalité.

[24]      Pour ce qui est des expressions utilisées dans la décision, il n’est indiqué nulle part dans la LIPR ou le RIPR que les personnes qui présentent une demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de statut de personne de pays d’accueil doivent « habiter à l’extérieur de leur pays de nationalité », « habiter au Pakistan », « étayer leur preuve de résidence » ou être « résidents » du Pakistan comme l’ont souligné les agents. En outre, les demandeurs ne sont pas tenus d’« étayer leur preuve de résidence continue » ou d’« établir leur résidence » au Pakistan.

[25]      Par souci d’exhaustivité, je remarque qu’il est indiqué dans les motifs des agents que les demandeurs [traduction] « n’habitent pas à l’extérieur de leur pays de nationalité ». Le concept d’« habiter » dans le pays où la demande est présentée est mentionné dans la décision Nassima c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 688 (la décision Nassima) [au paragraphe 13] :

Dans sa lettre de décision, l’agent signale des contradictions entre la version des faits de la demanderesse et celle de son fils, sur l’endroit où ils vivent et sur ce qu’ils font au Pakistan. Ces contradictions ont amené l’agent à ne pas être convaincu que les demandeurs vivent à Peshawar et, partant, à ne pas être convaincu qu’ils ne vivent pas en Afghanistan. [Non souligné dans l’original.]

[26]      En toute déférence, bien que la décision Nassima aborde le concept d’« habiter » dans le pays où la demande est présentée, la proposition que les termes utilisés par le législateur dans l’article 96 de la LIPR et les articles 139 et 147 du RIPR soulignés ci-dessus pourraient être remplacés par le terme « habiter » ou des variantes de celui-ci et que les termes utilisés dans la Loi et le Règlement pourraient être remplacés par le terme « résider » ne peut pas s’appuyer sur la décision Nassima. Il ne s’agissait pas de la question examinée dans la décision Nassima, qui portait sur la raisonnabilité des constatations d’un agent quant aux faits, ainsi que sur la crédibilité. Je remarque que dans une décision subséquente, Wardak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 673 (la décision Wardak), la Cour a examiné la décision qu’elle avait rendue dans Nassima et a mentionné que l’incapacité de la famille du demandeur à établir leur résidence au Pakistan avait mené au rejet de leur demande. La question qui se pose en l’espèce ne se posait tout simplement pas dans la décision Nassima ou Wardak.

[27]      Je suis d’accord avec l’argument des demandeurs selon lequel il faut simplement se trouver à l’extérieur du pays de nationalité. Cette décision est conforme avec les directives à cet égard acceptées à l’échelle internationale. Le paragraphe 88 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du HCR est rédigé comme suit : « C’est une des conditions générales de la reconnaissance du statut de réfugié que le demandeur qui a une nationalité se trouve hors du pays dont il a la nationalité. Il n’y a aucune exception à cette règle. La protection internationale ne peut pas jouer tant qu’une personne se trouve sur le territoire de son pays d’origine » (non souligné dans l’original [note en bas de page omise]). Il est à noter que le verbe utilisé n’est pas « résider » ni « habiter », mais plutôt « se trouver ».

[28]      Je suis d’avis que pour établir la qualité des liens avec un autre pays que le pays de nationalité, les personnes qui présentent une demande de protection à titre de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes de pays d’accueil à l’extérieur du Canada doivent seulement établir les éléments exigés dans la loi, c’est-à-dire qu’elles « se trouvent hors » du pays dont elles ont la nationalité. Autrement dit, elles doivent se trouver à l’extérieur de ce pays. Les agents ne possèdent pas l’autorisation légale nécessaire pour exiger que les demandeurs respectent une exigence plus rigoureuse. Je suis également d’avis qu’ils ont agi de manière déraisonnable et sans autorisation légale dans la mesure où, comme je l’ai observé dans la présente espèce, ils ont exigé que les demandeurs résident ou vivent à l’extérieur du pays dont ils ont la nationalité, alors qu’il suffisait qu’ils se trouvent à l’extérieur de leur pays de nationalité.

[29]      Les agents ont résumé leurs conclusions comme suit : [traduction] « Je ne crois pas qu’ils habitent à l’extérieur de leur pays de nationalité. Par conséquent, ils ne répondent pas aux critères d’admissibilité à la réinstallation au Canada en tant que réfugiés au sens de l’article 96 de la Loi et de l’article 147 du Règlement ». Il s’agit d’une analyse inadmissible des causes et des effets. Cette conclusion est donc déraisonnable. Qui plus est, dans la mesure où la décision repose sur cette conclusion et sur l’exigence sous-jacente, mais inexistante, relative à la résidence, cette conclusion doit être annulée. Par souci d’exhaustivité, j’estime en toute déférence que même si les agents ont appliqué le mauvais critère juridique, ma conclusion est la même : la décision doit être annulée.

[30]      Bien entendu, je tiens à ce qu’il soit très clair que cette conclusion n’absout pas les demandeurs de leurs obligations légales de dire la vérité dans leurs demandes. Il est très bien établi que les demandeurs doivent subir les conséquences de leurs actes, y compris le rejet de leurs demandes, s’ils présentent de manière inexacte la nature de leurs liens avec un autre pays que leur pays de nationalité. À la lumière de ces faits, j’aborde maintenant la fausse déclaration alléguée en l’espèce.

B.        Deuxième question en litige — La conclusion des agents selon laquelle les demandeurs ont faussement déclaré que leur pays de résidence était le Pakistan alors qu’il s’agissait de l’Afghanistan était-elle déraisonnable?

[31]      Bien que l’agent ait tiré une telle conclusion du point de vue technique, à mon humble avis, cette conclusion était déraisonnable pour plusieurs motifs.

[32]      Premièrement, l’analyse des agents reposait largement sur une considération erronée du degré de lien requis pour étayer une demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de statut de personne de pays d’accueil en vertu de l’article 96 de la LIPR et des articles 139 et 147 du RIPR, à savoir la résidence. Je suis d’avis que la prise en considération de la fausse déclaration était inextricablement liée au critère juridique erroné et à l’analyse déraisonnable quant à la résidence ou à l’habitation des demandeurs dans un autre pays que leur pays de nationalité. L’analyse de la fausse déclaration, dans la mesure très minime où elle est abordée dans la présente espèce, semble avoir été ajoutée après coup. En toute déférence, la décision a été rendue en analysant les faits de manière inappropriée, à tel point qu’il est maintenant impossible de distinguer et de séparer les deux analyses différentes. Dans ce contexte, il ne serait pas possible de se fier à l’analyse de la fausse déclaration; par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[33]      En outre, des aspects importants de l’évaluation de la question de la fausse déclaration sont déraisonnables ou, au mieux, problématiques. Les points sur lesquels se sont fondés les agents et le défendeur sont les suivants (mes commentaires suivent chacun d’eux) :

A.        La lettre initialement envoyée à la demanderesse pour l’aviser de la tenue d’une entrevue a été retournée, mais la nouvelle adresse était la même que celle à laquelle la première lettre avait été envoyée. Commentaires : Cette conclusion est déraisonnable. Après le décès de son mari, la demanderesse et ses fils ont déménagé. À peu près à la même date en janvier 2015, l’agent a envoyé une lettre à la demanderesse qui a été retournée. Il est suggéré que la lettre qui a été retournée avait été envoyée à la nouvelle adresse de la demanderesse, mais cela est impossible puisque l’agent n’a été informé de la nouvelle adresse qu’à la fin du mois de février. De plus, après avoir examiné les adresses figurant sur les lettres envoyées, il appert qu’elles sont différentes. L’agent a probablement tiré une conclusion défavorable non fondée quant à la crédibilité en se fondant sur cette erreur manifeste.

B.        Les demandeurs ne possédaient pas de cartes de preuve d’enregistrement (pièces d’identité délivrées par le gouvernement pakistanais aux réfugiés afghans vivant au Pakistan) avant 2006. Commentaires : Cette conclusion est déraisonnable. Les cartes de preuve d’enregistrement délivrées aux Afghans vivant au Pakistan sont essentiellement un produit d’un recensement mené par le HCR en 2005; ces cartes n’ont pas été délivrées avant 2006, mais après 2006. L’agent a probablement tiré une conclusion défavorable non fondée quant à la crédibilité en se fondant également sur cette erreur.

C.        Aucun dossier scolaire n’a été versé au dossier. Commentaires : Je suis d’avis que cette conclusion est raisonnable, car le DCT ne contient aucun dossier scolaire. Bien que les demandeurs aient présenté des copies de leur carte d’étudiant lors du contrôle judiciaire et aient déclaré que les copies avaient été versées au dossier, ces documents ne peuvent pas être acceptés à titre de nouveaux éléments de preuve étant donné qu’il a été clairement déterminé qu’ils n’ont pas été déposés à l’audience tenue par les agents. Cela étant dit, je remarque que les tazkiras apparemment acceptés par les décideurs ne figurent pas non plus dans le DCT.

D.        Les lettres de location sont [traduction] « faciles à obtenir auprès de ce tiers ». Commentaires : Cette conclusion est déraisonnable, car elle n’est étayée par aucune explication. Je suis incapable de déterminer pourquoi elle a été rendue; donc, elle n’est pas justifiée. Essentiellement, elle laisse entendre que le locateur ment. De plus, il existe une présomption selon laquelle les documents sont véritablement absents (consulter la décision Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 838, qui cite la décision Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315, aux paragraphes 40 et 45).

E.        Une étiquette a été apposée au verso de la lettre d’emploi et aucun logo d’entreprise légitime ne figure au recto de la lettre. Un numéro privé a été écrit au recto de la lettre aux fins de vérification. Commentaires : Cette conclusion pose problème. Les agents ont demandé une preuve d’emploi pour les deux fils, mais, dans la réalité, il est illégal pour des réfugiés non enregistrés comme eux de travailler au Pakistan. Les documents fournis doivent être examinés en gardant ce fait à l’esprit.

F.         Des tazkiras ont été délivrés et certifiés à Kaboul en 2009 et en 2012. Commentaires : Ces documents ont été utilisés pour démontrer que les demandeurs vivaient en Afghanistan. Or, les éléments de preuve montrent que ces documents ont été obtenus auprès d’un ami du père décédé et non pas parce que les demandeurs se trouvaient en Afghanistan.

[34]      En plus des préoccupations relatives au caractère raisonnable de la décision, je souhaite soulever une préoccupation concernant l’équité procédurale. Les agents ont déterminé que l’un des fils possédait un passeport afghan lisible à la machine qui lui avait été délivré en février 2015. Ce type de passeport est seulement délivré à Kaboul. Aucune explication n’a été fournie pour expliquer le commentaire concernant le passeport du fils, qui ne figure pas non plus dans le DCT. Les demandeurs affirment qu’ils n’ont pas été avisés de cette conclusion et allèguent que celle-ci a été utilisée à leur encontre en laissant entendre qu’ils habitaient en Afghanistan et pas au Pakistan et qu’ils s’étaient en effet réclamés à nouveau de la protection de l’Afghanistan. Il n’y a aucune transcription. L’absence d’avis va à l’encontre de l’obligation d’équité procédurale. À mon humble avis, les demandeurs auraient dû fournir ces passeports aux agents canadiens, car ils avaient l’obligation incontestable de joindre tous les documents pertinents à leurs demandes. Toutefois, bien qu’ils ne l’aient pas fait, les agents avaient tout de même l’obligation d’exposer aux demandeurs leurs préoccupations concernant le fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité : arrêt Chandrakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 615 (C.A.) (QL) et la décision Siddiqui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 329, [2015] 4 R.C.F. 409 (qui s’appuie sur le critère établi dans l’arrêt Chandrakumar, dans lequel les agents devaient d’abord étudier les explications fournies par les demandeurs au sujet de l’obtention d’un passeport avant de tirer une conclusion quant à la crédibilité du fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité). Je crains que les demandeurs en l’espèce n’aient pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations des agents concernant le fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité. Cependant, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur ce point compte tenu des autres difficultés liées à la décision qui ont été mentionnées précédemment.

[35]      Le contrôle judiciaire ne consiste pas à examiner chacun des éléments d’une décision, mais à examiner la décision comme un tout. De plus, le contrôle judiciaire ne consiste pas à rechercher les erreurs commises (consulter l’arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, au paragraphe 54). Le contrôle judiciaire tient plutôt à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel.

[36]      Après avoir pris du recul et avoir examiné la décision comme un tout, j’estime en toute déférence que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits du droit comme il est exigé dans l’arrêt Dunsmuir.

[37]      Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune ne se pose.

V.        Conclusion

[38]      La demande de contrôle judiciaire devrait donc être accueillie et aucune question ne devrait être certifiée.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         L’intitulé de la cause est modifié, avec effet immédiat, pour y ajouter les noms d’Ehsan Faizee et de Najeb Faizee en tant que demandeurs.

2.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

3.         La décision présentée ci-dessous est annulée.

4.         L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen conformément aux présents motifs.

5.         Aucune question n’est certifiée.

6.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

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