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[2016] 4 R.C.F. 157

A-470-14

2016 CAF 93

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Bujar Huruglica, Hanife Huruglica, Sadije Ramadani (intimés)

et

L’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés et le Conseil canadien pour les réfugiés (intervenants)

Répertorié : Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Gauthier, Webb et Near, J.C.A.—Toronto, 29 septembre 2015; Ottawa, 29 mars 2016.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié — Rôle de la SAR en appel — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire des intimés de la décision de la SAR ayant rejeté leur appel interjeté à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de rejeter la demande d’asile des intimés — La SAR a jugé que la norme de contrôle appropriée dans l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la SPR était celle de la décision raisonnable — Lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a décidé que la conclusion de la SAR quant à son rôle en appel était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte — Elle a également conclu que la SAR a commis une erreur en examinant la décision de la SPR selon la norme de la raisonnabilité — La Cour fédérale a certifié une question quant à la portée de l’examen de la SAR lors d’un appel d’une décision de la SPR — Il s’agissait de savoir 1) quelle était la norme de contrôle qui devait être appliquée en l’espèce, notamment en ce qui concerne la question certifiée; 2) quelle norme de contrôle la Cour fédérale devait appliquer en ce qui concerne la question qu’elle devait trancher; 3) si la Cour fédérale a correctement appliqué cette norme, c’est-à-dire, si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a défini la portée de son examen lorsqu’elle examine un appel d’une décision de la SPR — La Cour suprême du Canada a confirmé dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration) que même si une question certifiée en vertu de l’art. 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés peut fort bien être d’importance générale pour le régime du droit des réfugiés, il ne s’agit pas du genre de question qui relève des exceptions à la norme de la décision raisonnable — Pour modifier la norme appliquée aux questions certifiées, le législateur doit modifier la Loi — Le juge de la Cour fédérale a retenu la mauvaise norme de contrôle; il a mal interprété les exceptions limitées à l’égard desquelles la norme de la décision correcte peut être appliquée — La SAR a conclu à bon droit qu’il ne ressort ni des art. 110 et 111, ni de la loi dans son ensemble qu’il faille déférer aux conclusions de fait de la SPR — La SAR doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit, soit la norme de contrôle de la décision correcte — La SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis une erreur — L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR — En l’espèce, la SAR a commis une erreur en appliquant la norme de la décision raisonnable à l’analyse de la SPR — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire des intimés de la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) dans laquelle les intimés contestaient la validité de la décision de la SAR de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAR a rejeté l’appel des intimés interjeté à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de rejeter la demande d’asile des intimés.

Les intimés, qui sont citoyens du Kosovo et musulmans, ont soutenu que leur vie a été menacée par un groupe extrémiste islamique et que la police locale avait été insensible à leurs demandes d’aide. La SPR a rejeté leur demande d’asile au motif que, entre autres, ils ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de produire des preuves claires et convaincantes pour réfuter la présomption selon laquelle ils pourraient se prévaloir de la protection de l’État au Kosovo. Quant à la SAR, elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire de remédier à cette prétendue erreur dans l’évaluation de la crédibilité des intimés puisque, à son avis, il lui était raisonnablement loisible de tirer une conclusion quant à la protection de l’État et cette conclusion était suffisante pour rejeter les thèses des intimés. Pour tirer sa conclusion, la SAR a déterminé la norme de contrôle qui s’appliquait à l’appel de la décision de la SPR, concluant que la norme de contrôle appropriée était celle de la décision raisonnable.

Lors de la demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale a décidé que la conclusion de la SAR quant à son rôle en appel était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Elle a également conclu que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a examiné la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable. Elle a ajouté que la SAR doit instruire l’affaire comme une procédure d’appel hybride. Elle doit examiner tous les aspects de la décision de la SPR et en arriver à sa propre conclusion quant à savoir si le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger. Lorsque ses conclusions diffèrent de celles de la SPR, la SAR doit y substituer sa propre décision. Le juge de la Cour fédérale (le juge) a certifié la question de savoir quelle est la portée de l’examen de la SAR lors d’un appel d’une décision de la SPR.

Il s’agissait de savoir quelle était la norme de contrôle qui devait être appliquée en l’espèce, notamment en ce qui concerne la question certifiée; quelle norme de contrôle la Cour fédérale devait appliquer en ce qui concerne la question qu’elle devait trancher; et si le juge a correctement appliqué cette norme, c’est-à-dire, si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a défini la portée de son examen lorsqu’elle examine un appel d’une décision de la SPR.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La Cour s’est penchée sur la décision de la SAR pour rechercher si le juge a retenu la norme de contrôle appropriée à l’égard de la question qu’il était appelé à trancher et s’il l’a appliquée correctement. Les intervenants se sont appuyés sur la décision de la Cour dans Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration) pour faire valoir que la Cour doit donner la réponse correcte aux questions qui ont été certifiées conformément à l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés; toutefois, la Cour suprême a infirmé cette décision et elle a confirmé que, même si une question certifiée peut fort bien être d’importance générale pour le régime du droit des réfugiés, il ne s’agit pas du genre de question qui relève des exceptions à la norme de la décision raisonnable. Bien que le législateur soit habilité à définir la norme de contrôle qu’il souhaite voir appliquer aux questions certifiées conformément à l’alinéa 74d) de la Loi, il lui faut faire preuve d’une grande clarté. Par conséquent, si le législateur souhaite maintenir le système qui était en vigueur avant l’arrêt Kanthasamy, il lui sera nécessaire de modifier le régime de la Loi et de clarifier son intention selon laquelle les questions certifiées doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

Le juge de la Cour fédérale a retenu la mauvaise norme de contrôle et a mal interprété les exceptions limitées à l’égard desquelles la norme de la décision correcte peut être appliquée. La Cour ne pouvait tout simplement pas conclure qu’une question de droit touchant l’interprétation de la loi constitutive d’un organisme administratif déterminant son rôle en tant que juridiction d’appel fasse autorité au-delà du régime administratif particulier en question. La définition de la portée de la fonction d’appel de la SAR (ou sa norme de contrôle) doit relever de la compétence de la SAR. La question que le juge devait trancher ne touchait pas véritablement à la compétence. De plus, la Cour suprême a précisé dans l’arrêt Kanthasamy qu’une question d’importance générale pour le régime du droit des réfugiés ne relève pas de l’une ou l’autre des exceptions à l’application de la norme de la décision raisonnable consacrées par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick. Par conséquent, le juge n’a pas retenu la norme de contrôle correcte dans l’affaire dont il était saisi, à savoir celle de la décision raisonnable.

Une analyse de l’interprétation législative a été menée afin de déterminer si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a défini la portée de son examen dans le cadre du présent appel de la décision de la SPR. Les articles 110 et 111 de la Loi visent les appels interjetés auprès de la SAR à l’égard de décisions de la SPR. La SAR a conclu à bon droit qu’il ne ressort ni des articles 110 et 111, ni de la loi dans son ensemble qu’il faille déférer aux conclusions de fait de la SPR. Ces dispositions témoignent plutôt de l’intention du législateur d’habiliter la SAR à assurer le règlement définitif des demandes de protection des réfugiés. Plus particulièrement, l’alinéa 111(2)a) de la Loi dispose que la SAR n’est pas tenue d’user de déférence à l’égard des conclusions de fait et qu’il n’opère pas de distinction entre les erreurs de droit, les erreurs de fait, ou les erreurs mixtes de fait et de droit. Il exige simplement que la décision de la SPR soit « erronée en droit, en fait ou en droit et en fait » (en anglais : « wrong in law, in fact or in mixed law and fact »). Quant à l’alinéa 111(2)b), il dispose que si une erreur a été relevée (alinéa 111(2)a)), la SAR peut renvoyer l’affaire pour réexamen, selon les instructions qu’elle juge appropriées, seulement dans certaines circonstances stipulées où elle ne peut confirmer ou casser la décision rendue par la SPR sans réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à celle-ci. Cette possibilité est offerte parce qu’il peut arriver que, dans certaines affaires mettant en cause des témoignages de vive voix cruciaux ou déterminants aux yeux de la SAR, celle-ci ne soit pas en mesure de confirmer une décision de la SPR ou d’y substituer la sienne. Si l'on interprète en fonction du régime législatif et de ses objectifs, il n’y avait rien dans la Loi qui justifiait le recours à une norme du caractère raisonnable ou de l’erreur manifeste et dominante pour analyser les conclusions de fait, ou les conclusions mixtes de fait et de droit de la SPR. Le rôle de la SAR est d’intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Si une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement. La SAR peut aussi casser une décision et y substituer la sienne eu égard à une demande, sauf si elle conclut qu’elle ne peut y arriver sans examiner les éléments de preuve présentés à la SPR (alinéa 111(2)b) de la Loi). En outre, l’appel auprès de la SAR ne constitue pas un véritable processus de novo, où le décideur repart à zéro.

Selon une analyse de l’évolution législative et de l’histoire de la Loi, la SAR devait essentiellement servir de filet de sécurité puisqu’elle devait rattraper les erreurs de droit ou de fait de la SPR, ce qui confirmait la conclusion quant à l’intention du législateur de confier à la SAR la mission d’examiner les décisions de la SPR en fonction de la norme de la décision correcte.

En conclusion, au terme de cette analyse des dispositions législatives, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il était question en l’espèce, laquelle ne soulevait pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif d’une décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis une erreur. Après cette étape, la SAR doit alors statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Nulle autre interprétation des dispositions législatives pertinentes ne serait raisonnable. Par conséquent, en l’espèce, la SAR a commis une erreur en appliquant la norme de la décision raisonnable à l’analyse de la SPR concernant la preuve objective de la protection de l’État et à sa conclusion afférente.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289, art. 18, 33.

Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 147(5).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 67–69.1.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(2), 25, 67, 72, 74, 110, 111, 153(4), 162, 165, 170, 171, 175(1).

Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17.

Projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (entrée en vigueur des articles 110, 111 et 171), 39e lég., 2e sess., 2007.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 159.91.

Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, règle 3(3)g).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909, infirmant 2014 CAF 113, [2015] 1 R.C.F. 335; Spasoja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 913.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Newton v. Criminal Trial Lawyers’ Association, 2010 ABCA 399 (CanLII), 493 A.R. 89; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Tran, 2015 CAF 237, [2016] 2 R.C.F. 459; BC Society for the Prevention of Cruelty to Animals v. British Columbia (Farm Industry Review Board), 2013 BCSC 2331, 67 Admin. L.R. (5th) 152; Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2003] 2 R.C.F. 317.

DÉCISIONS CITÉES :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Halifax (Regional Municipality) v. United Gulf Developments Ltd., 2009 NSCA 78, 280 N.S.R. (2d) 350; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; McLean c. Colombie-Britannique (Commission des valeurs mobilières), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135; Alvarez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 702; Yetna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 858; Bahta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1245; Sow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 295; Bellingy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1252; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; Djossou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1080, [2015] 3 R.C.F. 664; Akuffo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1063; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 R.C.F. 230.

DOCTRINE CITÉE

Atkinson, Ken. The Refugee Appeal Division : Presentation to the Toronto Regional Consultative Committee, 5 février 2014 [non publiée].

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, 37e lég., 1re sess., no 5 (20 mars 2001), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Mode=1&Parl=37&Ses=1&DocId=1040609&Language=F>.

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, 37e lég., 1re sess., no 22 (8 mai 2001), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Mode=1&Parl=37&Ses=1&DocId=696136&Language=F>.

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, 37e lég., 1re sess., no 27 (17 mai 2001), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Mode=1&Parl=37&Ses=1&DocId=1040838&File=0&Language=F>.

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, 40e lég., 3e sess., no 012 (4 mai 2010), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Mode=1&Parl=40&Ses=3&DocId=4495456&Language=F>.

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 39e lég., 1re sess., vol. 141, no 122 (2 mars 2007).

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 3e sess., vol. 145, no 033 (26 avril 2010).

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., vol. 146, no 090 (6 mars 2012).

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., vol. 146, no 094 (12 mars 2012).

Canada. Parlement. Sénat. Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie, 37e lég., 1re sess., no 29 (4 octobre 2001), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/371/soci/29ev-f.htm?Language=E&Parl=37&Ses=1&comm_id=47>.

Canada. Parlement. Sénat. Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie, 40e lég., 3e sess., no 11 (22 juin 2010), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/403/soci/11cv-f.htm?Language=E&Parl=40&Ses=3&comm_id=47>.

Daly, Paul. « Les appels administratifs au Canada » (2015), 93 R. du B. can. 71.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.

Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés. Commentaires du HCR sur le projet de loi C-31 : Loi visant à protéger le système d’Immigration au Canada, mai 2012, en ligne : <http://www.unhcr.ca/fr/download-app/publications/>.

Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Dictionnaires Le Robert, 2006, « erroné ».

Oxford English Dictionary, 3e éd. Oxford University Press, « wrong ».

Thomas, Robert. Administrative Justice and Asylum Appeals : A Study of Tribunal Adjudication. Oxford : Hart Publishing, 2011.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2014 CF 799, [2014] 4 R.C.F. 811) qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire des intimés de la décision de la Section d’appel des réfugiés (X (Re), 2013 CanLII 84910) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a rejeté leur appel interjeté à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de rejeter leur demande d’asile. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Tamrat Gebeyehu, Nina Chandy et Amy King pour l’appelant.

Cheryl Robinson pour les intimés.

Audrey Macklin et Anthony Navaneelan pour les intervenants.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Chantal Desloges, société professionnelle, Toronto, pour les intimés.

Audrey Macklin, LL.M., LL.B., faculté de droit, Université de Toronto, et Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP, Toronto, pour les intervenants.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Gauthier, J.C.A. : Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (l’appelant ou le ministre) interjette appel de la décision du juge Michael L. Phelan de la Cour fédérale qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire des trois intimés : 2014 CF 799, [2014] 4 R.C.F. 811. Par leur demande, les intimés ont contesté la validité de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la C.I.S.R.) [X (Re), 2013 CanLII 84910], qui a rejeté leur appel interjeté à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR).

[2]        Conformément à l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi), le juge a certifié la question suivante :

Quelle est la portée de l’examen de la Section d’appel des réfugiés lors d’un appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés?

[3]        Les intimés, qui sont citoyens du Kosovo et musulmans, soutiennent que leur vie a été menacée par un groupe extrémiste islamique, les wahhabites, et que la police locale avait été insensible à leurs demandes d’aide. La SPR a rejeté leur demande au motif que, entre autres, ils ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de produire des preuves claires et convaincantes pour réfuter la présomption selon laquelle ils pourraient se prévaloir de la protection de l’État au Kosovo. L’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, et le Conseil canadien pour les réfugiés se sont vu accorder la qualité d’intervenant afin d'appuyer la position des intimés.

[4]        Par les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais l’appel.

I.          Faits et procédures

[5]        M. Bujar Huruglica est marié à Mme Hanife Huruglica. Sadije Ramadani est la mère de Mme Huruglica. Comme nous l’avons signalé, les intimés sont tous citoyens du Kosovo et musulmans. Suivant l’embauche de M. Huruglica et de Mme Ramadani par des entrepreneurs retenus par le gouvernement américain, ils auraient été, eux et les membres de leur famille, menacés par des extrémistes islamiques au Kosovo. Ils ont témoigné que les policiers kosovars n’avaient pas été attentifs à leurs préoccupations et que leurs tentatives de se plaindre des menaces qu’ils avaient reçues n’avaient pas été prises au sérieux. Les intimés ont fui le Kosovo en janvier 2013. Ils se sont rendus aux États-Unis, où ils ont séjourné grâce à un visa de visiteur, et ils sont par la suite entrés au Canada, où ils ont présenté leurs demandes d’asile en mars 2013.

[6]        Bien que les intimés aient témoigné avec franchise, et que la SPR n’ait pas relevé d’importantes incohérences ou des omissions dans leur témoignage, la SPR a rejeté leurs demandes au motif que le défaut des intimés d’avoir présenté des demandes d’asile alors qu’ils se trouvaient aux États-Unis avait diminué leur crédibilité quant à leur crainte subjective. Il a été conclu que la preuve documentaire devant la SPR concernant la situation du pays en cause n'allait pas dans le sens de l’allégation des intimés portant qu’ils ne pouvaient pas se prévaloir d’une protection de l’État adéquate au Kosovo. La SPR a également noté que cette preuve documentaire n’établissait pas la présence et la puissance des extrémistes islamiques au Kosovo. À ce titre, il n’y avait pas d’éléments de preuve convaincants dont il ressortait que les wahhabites — ou autres extrémistes — avaient exercé une influence importante sur la police ou d’autres institutions de l’État au Kosovo.

[7]        Devant la SAR, les intimés n’ont pas présenté de nouveaux éléments de preuve ou demandé une audience. Les intimés ont soutenu que l’appréciation de la SPR quant à la crédibilité était erronée, en ce sens que la SPR avait omis de tenir compte de leur explication justifiant pourquoi ils n’avaient pas demandé l’asile aux États-Unis et qu’elle avait omis de tenir compte des éléments de preuve objectifs relatifs à la manifestation d’un extrémisme islamique au Kosovo. Ils ont fait valoir en outre que l’analyse de la SPR sur la protection de l’État était également déficiente, puisqu’elle ne tenait pas compte de la preuve d’une corruption répandue dans tous les ordres de gouvernement, ni de l’inconduite et du caractère inadéquat de la police.

[8]        La SAR a signalé qu’il n’était pas nécessaire de remédier à cette prétendue erreur dans l’évaluation de la crédibilité des intimés puisque, à son avis, il était raisonnablement loisible à la SPR de tirer une conclusion quant à la protection de l’État et cette conclusion était suffisante pour rejeter les thèses des intimés.

[9]        Pour tirer sa conclusion, la SAR a déterminé la norme de contrôle qui s’appliquait à l’appel de la décision de la SPR. Les intimés n’avaient fait aucune observation à cet égard.

[10]      La SAR a utilisé la grille consacrée par l’arrêt Newton v. Criminal Trial Lawyers’ Association, 2010 ABCA 399 (CanLII), 493 A.R. 89 (Newton) dans son analyse de la norme de contrôle. Elle a conclu que ce qui est convenu d’appeler les critères de l’arrêt Newton étaient mieux adaptés à la situation que ceux consacrés par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir) étant donné que la SAR est un organisme administratif d’appel plutôt qu’une cour de révision. Les critères de l’arrêt Newton sont les suivants [au paragraphe 43] :

[traduction]

a)   les rôles respectifs du tribunal de première instance et du tribunal d’appel, tels qu’ils ont été établis par suite de l’interprétation de la loi habilitante;

b)   la nature de la question à trancher;

c)   l’interprétation de la loi dans son ensemble;

d)   l’expertise et la position privilégiée du tribunal de première instance, par comparaison avec celles du tribunal d’appel;

e)   la nécessité de limiter le nombre, la durée et le coût des appels;

f)    la protection de l’économie et de l’intégrité de la procédure devant le tribunal de première instance;

g)   les autres facteurs qui sont pertinents dans le contexte particulier.

[11]      Tout d’abord, après avoir fait un bref résumé de certaines des dispositions visant la SPR et la SAR, la SAR a conclu (motifs de la SAR, au paragraphe 13) :

[…] ces rôles respectifs laissent entendre qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit qui peuvent découler des éléments de preuve présentés à l’audience devant la SPR. Lorsque la SAR est saisie de nouveaux éléments de preuve, présentés sous forme de documents ou de témoignages dans le cadre d’une audience, elle peut démontrer une déférence moindre puisque la SPR n’aura pas examiné ces éléments de preuve.

[12]      Deuxièmement, la SAR a relevé que les questions dont elle était saisie concernaient les faits, et que ces questions étaient généralement examinées selon la norme de contrôle empreinte de déférence, tant dans le cadre d’un appel que d’une procédure de contrôle judiciaire : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 89.

[13]      Troisièmement, la SAR a conclu qu’il ressort de l’objet et des dispositions de la LIPR que la SAR a le pouvoir d’assurer le règlement définitif des demandes de protection des réfugiés et ainsi, avoir le droit de faire preuve de moins de déférence envers la SPR pour y arriver. En particulier, la SAR s’est inspirée du paragraphe 111(1) et du paragraphe 111(2), de l’alinéa 171c) et du paragraphe 162(2) de la LIPR.

[14]      S’agissant de l’expertise et de la position privilégiée de la SPR par rapport à celle de la SAR, la SAR a rappelé que la SPR a toujours cet avantage de voir et d’interroger les demandeurs d’asile, tandis que la SAR a rarement cette possibilité. Cela « porte à croire que la SAR doit faire preuve de déférence en ce qui concerne les conclusions de fait de la SPR, particulièrement en ce qui concerne la crédibilité, lorsqu’elle ne tient pas d’audience et n’a pas la possibilité d’examiner elle-même les éléments de preuve » [note en bas de page omise] : motifs de la SAR, au paragraphe 20.

[15]      Le dernier critère examiné par la SAR était la nécessité de limiter le nombre, la durée et le coût des appels et d’assurer la protection de l’économie et de l’intégrité de la procédure de la SPR. De l’avis de la SAR, c’est ce critère qui l’emportait sur les autres et il appelait une approche qui commandait la retenue en ce qui concerne les questions de fait, particulièrement lorsque, en outre, la SPR a l’avantage d’entendre les témoins. À cet égard, la SAR a suivi la conclusion de la Cour d’appel de l’Alberta tirée dans l’arrêt Newton portant « qu’il est [traduction] “particulièrement inefficace” de répéter une audience de première instance au tribunal d’appel » : motifs de la SAR, au paragraphe 21. La SAR a conclu en ce sens malgré le fait que son interprétation de la Loi dans son ensemble mènerait à la conclusion qu’il fallait faire preuve de peu de déférence, voire aucune, à l’égard des conclusions de la SPR : motifs de la SAR, au paragraphe 22.

[16]      Ayant tiré cette conclusion, la SAR a donc jugé que la norme de contrôle appropriée dans le présent appel était celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est définie par la jurisprudence : Dunsmuir et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (Newfoundland Nurses). La SAR n’a pas envisagé d’autres solutions, notamment la norme de l’erreur manifeste et dominante consacrée par l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen).

[17]      Dans sa décision sur le fond de l’appel, la SAR a examiné de près le raisonnement de la SPR, ainsi que l’argumentation des intimés. La SAR a noté qu’en plus de la preuve objective citée par la SPR, il y avait d’autres éléments de preuve objectifs qui appuient la conclusion de la SPR sur le caractère adéquat de la protection de l’État. Elle a fait observer que les éléments de preuve objectifs dont disposait la SPR allaient dans plusieurs sens, en ce qu’ils exposaient des lacunes dans le fonctionnement des institutions gouvernementales, mais qu’il en ressortait également que le gouvernement avait pris des mesures en vue d’améliorer la qualité de l’application de la loi et que les mesures prises avaient donné des résultats concrets. Cette preuve documentaire révélait également que la population kosovare faisait confiance au service de police national et était largement satisfaite du travail qu’il accomplit.

[18]      Ayant noté que les omissions à l’échelle locale de maintenir l’ordre d’une façon efficace n’équivalaient pas à l’absence de protection étatique, à moins qu'il ne ressorte de la preuve documentaire une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d’offrir sa protection, la SAR a examiné les efforts réels déployés par les intimés auprès de la police locale et a conclu qu’il n’était pas déraisonnable pour la SPR d'opiner que les intimés auraient dû faire davantage que s’adresser une seule fois à la police comme ils l’ont fait.

[19]      Par ses motifs accueillant la demande de contrôle judiciaire, le juge a décidé que la conclusion de la SAR quant à son rôle en appel était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Il a justifié ce choix en se fondant sur le fait que cette question de droit en est une d’intérêt général pour le système juridique dans son ensemble et qui était d’une importance particulière, allant au-delà du droit des réfugiés. Il a noté que [traduction] « [l]’établissement de la norme de contrôle est un aspect légitime du rôle de supervision de la cour supérieure », et que tant la Cour d’appel de l’Alberta que la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse ont suivi la norme de la décision correcte pour examiner une question similaire : Newton [au paragraphe 39]; Halifax (Regional Municipality) v. United Gulf Developments Ltd., 2009 NSCA 78, 280 N.S.R. (2d) 350 (United Gulf). Le juge a également signalé que la détermination de la norme de contrôle déborde du cadre des compétences spécialisées et de l’expérience de la SAR, même si elle dépend de l’interprétation de la LIPR, la loi constitutive de la SAR. Par ces motifs, le juge a opéré une distinction entre les faits de l’affaire dont il était saisi et ceux de l'affaire Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654.

[20]      Le juge a ensuite conclu que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a examiné la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable. Il a fait observer que cette norme a été retenue afin que soit respectée la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, un concept qui est « d’une importance et d’une applicabilité moindres » en l’espèce, qui implique un organisme administratif d’appel : motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 43. De l’avis du juge, la relation entre la SAR et la SPR « s’apparente davantage à celle entre un tribunal de première instance et un tribunal d’appel, mais elle est influencée en outre par les pouvoirs réparateurs beaucoup plus vastes conférés au tribunal d’appel » : motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 44.

[21]      Le juge a conclu qu’il pouvait être judicieux de faire preuve de retenue à l’égard d’une décision de la SPR lorsque celle-ci porte sur la crédibilité d’un témoin, mais tel n’était pas le cas en ce qui concerne la demande dont il était saisi. Pour ce qui est des éléments de preuve documentaire concernant la situation du pays en cause, le juge a conclu que la SAR était aussi compétente que la SPR, sinon plus.

[22]      Après avoir examiné la législation pertinente et son objet, et après avoir comparé le rôle de la SAR avec celui de la Section d’appel de l’immigration (SAI), le juge a conclu comme suit (aux paragraphes 54 et 55) :

Après avoir conclu que la SAR avait commis une erreur en examinant la décision de la SPR selon la norme de la raisonnabilité, j’ai conclu en outre que, pour les motifs qui précèdent, la SAR doit instruire l’affaire comme une procédure d’appel hybride. Elle doit examiner tous les aspects de la décision de la SPR et en arriver à sa propre conclusion quant à savoir si le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger. Lorsque ses conclusions diffèrent de celles de la SPR, la SAR doit y substituer sa propre décision.

Lorsque la SAR effectue son examen, elle peut reconnaître et respecter la conclusion de la SPR sur des questions comme la crédibilité et/ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier pour tirer une conclusion, mais elle ne doit pas se borner, comme doit le faire une cour d’appel, à intervenir sur les faits uniquement lorsqu’il y a une « erreur manifeste et dominante ».

II.         Questions en litige

[23]      Les questions à trancher sont les suivantes :

a)         Quelle est la norme de contrôle que doit appliquer notre Cour, notamment en ce qui concerne la question certifiée?

b)         Quelle norme de contrôle le juge devait-il appliquer en ce qui concerne la question qu’il devait trancher?

c)         Le juge a-t-il correctement appliqué cette norme, c’est-à-dire, la SAR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a défini la « portée de [son] examen lorsqu’elle examine un appel d’une décision de la SPR »? Je note que cette question est plus circonscrite que la question certifiée par le juge, étant donné que l’examen de la SAR en l’espèce ne portait ni sur une question de droit, ni sur une question relative à la crédibilité des témoignages entendus par la SPR.

[24]      En ce qui a trait à la question certifiée, qui est énoncée au paragraphe 2, je répondrai simplement à la question qui est déterminante dans le présent appel, car c’est la seule question qui aurait dû être dûment certifiée en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR.

III.        Textes législatifs

[25]      Les dispositions les plus pertinentes de la LIPR sont reproduites ici, tandis que d’autres dispositions citées dans les présents motifs figurent à l’annexe A :

Objet de la loi

3 […]

Objet relatif aux réfugiés

(2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

a) de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution;

b) de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d’affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller;

c) de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d’une procédure équitable reflétant les idéaux humanitaires du Canada;

d) d’offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités;

e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain;

f) d’encourager l’autonomie et le bien-être socioéconomique des réfugiés en facilitant la réunification de leurs familles au Canada;

g) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

h) de promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice par l’interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d’asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité.

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

Appel

110 (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

[…]

Restriction

(2) Ne sont pas susceptibles d’appel :

a) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile d’un étranger désigné;

b) le prononcé de désistement ou de retrait de la demande d’asile;

c) la décision de la Section de la protection des réfugiés rejetant la demande d’asile en faisant état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile ou du fait que celle-ci est manifestement infondée;

d) sous réserve des règlements, la décision de la Section de la protection des réfugiés ayant trait à la demande d’asile qui, à la fois :

(i) est faite par un étranger arrivé, directement ou indirectement, d’un pays qui est — au moment de la demande — désigné par règlement pris en vertu du paragraphe 102(1) et partie à un accord visé à l’alinéa 102(2)d),

(ii) n’est pas irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e) par application des règlements pris au titre de l’alinéa 102(1)c);

d.1) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile du ressortissant d’un pays qui faisait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1) à la date de la décision;

e) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande du ministre visant la perte de l’asile;

f) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande du ministre visant l’annulation d’une décision ayant accueilli la demande d’asile.

[…]

Fonctionnement

(3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

Délais

(3.1) Sauf si elle tient une audience au titre du paragraphe (6), la section rend sa décision dans les délais prévus par les règlements.

Éléments de preuve admissibles

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

Exception

(5) Le paragraphe (4) ne s’applique pas aux éléments de preuve présentés par la personne en cause en réponse à ceux qui ont été présentés par le ministre.

Audience

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

Décision

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

(1.1) [Abrogé, 2012, ch. 17, art. 37]

Renvoi

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

[…]

Attributions communes

Compétence exclusive

162 (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.

Fonctionnement

(2) Chacune des sections fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité.

[…]

Section d’appel des réfugiés

Procédure

171 S’agissant de la Section d’appel des réfugiés :

a) la section avise la personne en cause et le ministre de la tenue de toute audience;

a.1) sous réserve du paragraphe 110(4), elle donne à la personne en cause et au ministre la possibilité, dans le cadre de toute audience, de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations;

a.2) elle n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

a.3) elle peut recevoir les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision;

a.4) le ministre peut, en tout temps avant que la section ne rende sa décision, sur avis donné à celle-ci et à la personne en cause, intervenir dans l’appel;

a.5) il peut, en tout temps avant que la section ne rende sa décision, produire des éléments de preuve documentaire et présenter des observations écrites à l’appui de son appel ou de son intervention dans l’appel;

b) la section peut admettre d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation;

c) la décision du tribunal constitué de trois commissaires a la même valeur de précédent pour le tribunal constitué d’un commissaire unique et la Section de la protection des réfugiés que celle qu’une cour d’appel a pour une cour de première instance. [Je souligne.]

IV.       Analyse

A.        Quelle est la norme de contrôle que doit appliquer notre Cour, notamment en ce qui concerne la question certifiée?

[26]      Lors de l’examen d’une décision de la Cour fédérale rendue dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire, notre Cour doit rechercher si le juge a retenu la ou les norme(s) de contrôle appropriée(s) à l’égard de la ou des questions qu’il est appelé à trancher et s’il l’a ou les a appliquée(s) correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira), aux paragraphes 45 à 47. Selon cet examen, il faut « [se mettre] à la place » du juge. Notre Cour se penchera par conséquent sur la décision de la SAR.

[27]      Cela dit, les intervenants ont notamment insisté sur le fait que la Cour doit donner la réponse correcte aux questions qui ont été certifiées conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR. Dans leurs observations écrites et orales, ils se sont appuyés sur une décision de notre Cour : Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 R.C.F. 335, aux paragraphes 30 à 37. Toutefois, depuis lors, la Cour suprême a infirmé cette décision : Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909 (Kanthasamy). La Cour suprême a confirmé que, même si une question certifiée peut fort bien être d’importance générale pour le régime du droit des réfugiés, il ne s’agit pas du genre de question qui relève des exceptions à la norme de la décision raisonnable : Kanthasamy, au paragraphe 44.

[28]      L’arrêt Kanthasamy aura évidemment d’énormes répercussions, étant donné que pendant de nombreuses années, la Cour fédérale a eu recours à la procédure de certification en vertu de l’alinéa 74d) afin de résoudre les divergences d’interprétation ou les désaccords sur des questions de droit d’importance générale. Le fait que notre Cour a produit la réponse correcte aux questions certifiées semble avoir été bien accueilli, notamment par la SAI et la SPR, qui ont considéré cette pratique comme utile dans l’exécution de leur mission.

[29]      Le législateur est manifestement habilité à définir la norme de contrôle qu’il souhaite voir appliquer aux questions certifiées conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR. Toutefois, il lui faut faire preuve d’une grande clarté. Si le législateur souhaite maintenir le système qui était en vigueur avant l’arrêt Kanthasamy, il lui sera nécessaire de modifier le régime de la LIPR et de clarifier son intention selon laquelle les questions certifiées doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

B.        Quelle norme de contrôle le juge devait-il appliquer en ce qui concerne la question qu’il devait trancher?

[30]      L’appelant soutient avec vigueur que le juge a retenu la mauvaise norme de contrôle. La conclusion du juge à cet égard, ainsi que la jurisprudence sur laquelle il s’est appuyé (Newton et United Gulf), n’ont pas tenu compte de toute la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, notamment depuis 2011. Ni le juge, ni l’une ou l’autre des deux cours d’appel provinciales n’ont porté leur attention sur la présomption portant que la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les questions de droit découlant de l’interprétation de la loi constitutive d’un organisme administratif : voir, par exemple, McLean c. Colombie-Britannique (Commission des valeurs mobilières), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895 (McLean); Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160; et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135 (CN c. Canada). Le ministre soutient que le juge a mal interprété les exceptions limitées à l’égard desquelles la norme de la décision correcte peut être appliquée. Je retiens cette thèse.

[31]      En toute déférence pour le juge et ses collègues de la Cour fédérale qui ont avalisé la norme de contrôle qu’il a retenue, je ne peux tout simplement pas conclure qu’une question de droit touchant l’interprétation de la loi constitutive d’un organisme administratif déterminant son rôle en tant que juridiction d’appel fasse autorité au-delà du régime administratif particulier en question : voir, entre autres, Alvarez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 702; Yetna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 858; Spasoja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 913 (Spasoja); Bahta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1245; Sow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 295; Bellingy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1252. En fait, cela a un lien logique avec la thèse avancée par les intimés et les intervenants portant qu’il n’est pas utile d’examiner la jurisprudence portant sur le rôle des organismes administratifs d’appel autres que ceux créés en vertu de la LIPR : voir aussi les motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 53.

[32]      Tout comme les principes de droit en matière d’attribution des dépens et des délais prescrits relèvent de l’expertise des organismes administratifs visés dans les décisions Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, au paragraphe 25 et McLean, au paragraphe 21, la définition de la portée de sa fonction d’appel (ou sa norme de contrôle) doit relever de la compétence de la SAR.

[33]      Je rejette la thèse des intimés selon laquelle la question que le juge devait trancher touchait véritablement à la compétence. Les intimés ont formulé la question de telle sorte qu’il y a capacité concurrente de la SPR et de la SAR à exercer leurs compétences uniques et exclusives pour tirer des conclusions de fait, de droit et des conclusions mixtes de fait et de droit sur les mêmes éléments de preuve. Toutefois, la Cour suprême a fait une mise en garde contre une interprétation large de ce qu’elle considère comme des « questions touchant véritablement à la compétence », ainsi que des questions de chevauchement de compétences ou de compétences concurrentes entre deux organismes administratifs. À mon avis, il n’y a pas de question en l’espèce qui relève du champ d’application de ces exceptions. J’approuve la position retenue par d’autres juges de la Cour fédérale, comme le juge Luc Martineau dans l’affaire Djossou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1080, [2015] 3 R.C.F. 664 (Djossou) et la juge Jocelyne Gagné dans l’affaire Akuffo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1063, portant qu’il ne s’agit pas d’une question touchant véritablement la compétence.

[34]      Enfin, la Cour suprême a précisé dans l’arrêt Kanthasamy qu’une question d’importance générale pour le régime du droit des réfugiés ne relève pas de l’une ou l’autre des exceptions à l’application de la norme de la décision raisonnable consacrées par l’arrêt Dunsmuir.

[35]      Je conclus donc que le juge n’a pas retenu la norme de contrôle correcte dans l’affaire dont il était saisi, à savoir celle de la décision raisonnable.

C.        La SAR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a défini la portée de son examen dans le cadre du présent appel de la décision de la SPR?

[36]      Avant d’entreprendre l’interprétation des textes législatifs, il est important de délimiter ce qui est controversé devant nous de ce qui ne l’est pas.

[37]      Il n’est pas controversé que le rôle de la SAR ne consiste pas à examiner les décisions de la SPR selon la procédure de contrôle judiciaire. Il n’est nullement controversé entre toutes les parties que le processus devant la SAR est une « procédure d’appel hybride ». Il n’est pas non plus controversé entre les parties qu’en ce qui concerne les questions de droit, la SAR ne doit intervenir que si la SPR a commis une erreur. Cela signifie qu’elle doit suivre la norme de la décision correcte. Autrement dit, et comme nous l’expliquons ci-dessous, un des rôles de la SAR est de développer une jurisprudence uniforme à l’échelle du pays.

[38]      La controverse entre les parties porte sur le sens qu’il faut donner aux mots « procédure d’appel hybride » en l’espèce, et sur ce en quoi consiste le rôle de la SAR à l’égard des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit.

[39]      Selon le ministre, le juge a fait erreur dans la mesure où ses motifs peuvent être interprétés comme qualifiant l’appel à la SAR de processus de novo. En effet, le ministre soutient que lorsque la SAR ne tient pas d’audience et se prononce sur les questions soulevées par le demandeur d’asile ou le ministre en se fondant sur le dossier de la SPR (paragraphe 110(3) de la LIPR), la SAR siège véritablement comme une cour d’appel. Par conséquent, elle ne doit pas procéder à l’examen indépendant de la demande. Le ministre dit plutôt que la SAR devrait limiter son intervention aux cas où la SPR a tiré une conclusion déraisonnable ou, à titre subsidiaire, a commis une erreur manifeste et dominante : mémoire des faits et du droit (MFD) de l’appelant, aux paragraphes 78 à 81. Le ministre soutient que le raisonnement dans l’arrêt Spasoja et sa conclusion quant au rôle de la SAR doivent être suivis, car ils préservent l’intégrité du processus de la SPR : MFD de l’appelant, au paragraphe 30. Le ministre ne nie pas qu’il faille faire preuve d’un degré de déférence moins élevé, le cas échéant, dans les cas relativement rares où la SAR tient une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR (voir en particulier l’alinéa 110(6)c)). C’est dans ce sens seulement que l’appel constitue, de l’avis du ministre, une procédure d’appel hybride.

[40]      D’autre part, les intimés et les intervenants appuient les conclusions du juge aux paragraphes 54 et 55 de ses motifs. En fait, le constat d’une erreur ne doit pas, à leur avis, constituer une condition préalable à quelque intervention que ce soit par la SAR en appel : MFD des intimés, au paragraphe 51.

[41]      Quelques observations sur ma démarche et sur ce que j’estime nécessaire d’inclure dans mes motifs sont également justifiées. Dans l’affaire Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Tran, 2015 CAF 237, [2016] 2 R.C.F. 459, au paragraphe 45, j’ai signalé qu’il est plutôt difficile d’appliquer la norme de la décision raisonnable à de pures questions d’interprétation des lois, et que des directives supplémentaires de la part de la Cour suprême seraient certainement bien accueillies quant au type d’analyse que les tribunaux doivent effectuer dans de tels cas.

[42]      Les parties ont renvoyé aux approches conflictuelles et aux conclusions tirées par les juges de la Cour fédérale sur la question dont nous sommes saisis. Ainsi, pour m’assurer que je comprenais les diverses approches quant à l’interprétation des dispositions pertinentes qui ont été retenues ci-dessous, j’ai examiné l’ensemble de la jurisprudence de la Cour fédérale, ainsi qu’un bon échantillon de la jurisprudence de la SAR qui discute la question (en particulier celle qui est postérieure à la décision du juge en l’espèce).

[43]      Toutefois, je déduis de l'enseignement professé par la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy qu’il n’est pas vraiment nécessaire que je me livre à une analyse comparative afin d’expliquer si oui ou non une autre interprétation des textes législatifs est raisonnable. Pendant de nombreuses années, l’article 25 de la LIPR avait donné lieu, de la part de nombreux décideurs administratifs et judiciaires, à une lecture différente de celle qui fut finalement retenue par la plus haute juridiction canadienne dans l’arrêt Kanthasamy. Malgré cela, la Cour suprême n’a pas fait mention de ces autres interprétations avant de conclure que l’article 25 de la LIPR ne pouvait raisonnablement appeler qu’une seule interprétation, et que la décision faisant l’objet de l’examen était donc déraisonnable.

[44]      Cette approche semble être particulièrement bien adaptée à la question dont nous sommes saisis dans le présent appel. Je retiens la thèse invoquée par le professeur Paul Daly portant que la nature même de la question (c’est-à-dire quel rôle le législateur avait l’intention de réserver à la SAR) implique qu’il ne peut y avoir de nombreuses réponses : Paul Daly, « Les appels administratifs au Canada » (2015), 93 R. du B. can. 71 (Les appels administratifs au Canada), à la page 105. Par conséquent, l’éventail des solutions juridiquement acceptables est nécessairement limité. En fait, tel qu’il sera expliqué, je suis d’avis que l’intention du législateur n’est pas ambiguë. La controverse que soulève la jurisprudence de la SAR et de la Cour fédérale peut être plus précisément qualifiée de désaccord sur la question de savoir s’il faut s’inspirer de la norme applicable en matière de procédure de contrôle judiciaire visant une mesure administrative (Dunsmuir) ou de celle applicable par une cour d’appel à l’égard d’une décision d’une instance inférieure (Housen) afin de déterminer la façon dont la SAR est appelée à se prononcer sur les décisions de la SPR.

[45]      Je remarque également que dans ce cas particulier, la SAR n’a pas eu l’avantage des observations à l’égard de son rôle en tant que juridiction d’appel, ni d’un dossier qui comprenait l’évolution législative et les travaux préparatoires relatifs aux dispositions de la LIPR pertinentes. En outre, il semble que la SAR ait été l’un des premiers, sinon le premier, organisme administratif d’appel à l’extérieur de l’Alberta à se fonder sur les critères de l’arrêt Newton. Cela a été signalé par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire BC Society for the Prevention of Cruelty to Animals v. British Columbia (Farm Industry Review Board), 2013 BCSC 2331, 67 Admin. L.R. (5th) 152, au paragraphe 31; elle a alors refusé de suivre l’arrêt Newton.

[46]      À mon avis, l’arrêt Newton n’est pas particulièrement utile. J’estime que la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR qui doivent être lus au regard de leur contexte global, selon leur sens grammatical et ordinaire, et en harmonie avec l’économie de la LIPR et son objet (Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983)). L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR.

[47]      Les principes qui ont guidé et façonné le rôle des juges en matière de contrôle judiciaire des décisions rendues par des décideurs administratifs (consacrés par l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 27 à 33) ne trouvent pas application en l’espèce. En effet, le rôle et l’organisation des différents niveaux des décideurs administratifs ne créent pas de tension entre l’intention du législateur de confier une compétence aux décideurs administratifs et l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit.

[48]      En toute déférence pour l’opinion contraire, il serait également inapproprié de puiser dans les éléments recensés par l’arrêt Housen, puisque l’adoption du degré élevé de retenue judiciaire accordée par les juridictions d’appel aux juridictions inférieures sur les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit a été principalement guidée par une politique judiciaire : Housen, aux paragraphes 16 et 17.

[49]      Lorsque le législateur conçoit une structure administrative à plusieurs niveaux, il lui incombe de tenir compte de facteurs tels que l’utilisation optimale des ressources de l’exécutif et la question de savoir s’il est nécessaire de limiter le nombre, la durée et le coût des recours administratifs. Comme on le verra, l’évolution législative et les travaux préparatoires relatifs à la LIPR éclaircissent les raisons de principe qui ont guidé la création de la SAR et le rôle qu’elle est censée jouer. Ces considérations de principe sont uniques à la SPR et à la SAR. Par conséquent, on ne doit pas simplement présumer que ce qui était réputé être la politique la plus appropriée pour les juridictions d’appel vaut également pour certains organismes administratifs d’appel.

[50]      En bref, je ne dis pas que la norme de la décision raisonnable ne joue jamais en matière d’appels devant des organismes administratifs d’appel. En fait, il y a des exemples où le législateur exprime clairement l’intention qu’une telle norme soit appliquée : voir, par exemple, le paragraphe 18(2) et l’article 33 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289, adopté en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10; le paragraphe 147(5) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (voir l’annexe A). Cette dernière disposition a été examinée et interprétée par notre Cour dans l’arrêt Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2003] 2 R.C.F. 317, aux paragraphes 6 à 9.

[51]      Ce que je dis plutôt c’est qu’on ne peut pas simplement décider que cette norme s’applique en fonction de sa propre évaluation des critères e) et f) recensés dans l’arrêt Newton (voir les paragraphes 10, 15 et 16 ci-dessus). Il faut plutôt chercher à donner effet à l’intention du législateur.

[52]      Dans cet esprit, j’analyserai maintenant les textes législatifs en examinant d’abord le but poursuivi et l’objet de la LIPR.

1)         But poursuivi et objet de la LIPR

[53]      Les nombreux objets de la LIPR sont expressément recensés au paragraphe 3(2) de la LIPR (voir le paragraphe 25 ci-dessus). Le ministre porte particulièrement attention à l’alinéa 3(2)e), qui se rapporte à la mise en place d’une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse de l’intégrité du système canadien de protection des réfugiés. Cela est manifestement très pertinent lorsqu’on considère les fonctions de la SPR et de la SAR. Cela dit, il faut toujours garder à l’esprit que le tout premier objet de la LIPR (alinéa 3(2)a)) est de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution. C’est peut-être ce qui a incité Robert Thomas à observer que la prise de décisions à l’égard des demandes d’asile est [traduction] « peut-être la fonction juridictionnelle la plus problématique de l’État moderne » : Robert Thomas, Administrative Justice and Asylum Appeals : A Study of Tribunal Adjudication (Oxford : Hart Publishing, 2011), à la page 48, tel que cité dans Les appels administratifs au Canada, à la page 95, note de bas de page 103.

2)         Le régime législatif et les articles 110 et 111 de la LIPR

[54]      La LIPR crée deux sections distinctes de la C.I.S.R. chargées d’instruire les demandes d’asile. La SPR joue un rôle primordial dans le processus de reconnaissance du statut de réfugié, car elle doit tenir une audience à l’égard de chacun des demandeurs d’asile : alinéa 170b) de la LIPR. Elle doit également déterminer à l’avance les questions qui devront être tranchées lors de l’audience. À l’audience, le commissaire de la SPR joue un rôle crucial, qui est bien différent de celui d’un juge. La plupart du temps, il ou elle interroge le ou la requérant(e) avant qu’il ou elle soit interrogé(e) par son propre avocat, ou contre-interrogé(e) par le représentant du ministre, s’il y en a un.

[55]      La SPR est le décideur final à l’égard de toutes les demandes recensées au paragraphe 110(2) de la LIPR. Les intimés ont également signalé que la SPR a été en fait le décideur final dans environ 80 p. 100 des demandes d’asile examinées en 2013 : MFD des intimés, au paragraphe 53; The Refugee Appeal Division : Presentation to the Toronto Regional Consultative Committee par Ken Atkinson (5 février 2014), dossier d’appel de l’appelant, vol. 1, onglet 7, à la page 68.

[56]      Lorsqu’elle examine un appel, la SAR dispose essentiellement des mêmes pouvoirs que la SPR : voir les articles 162 et 171 de la LIPR. Par exemple, la SAR a la même capacité que la SPR à admettre « d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation » : alinéa 171b) de la LIPR. Néanmoins, il existe quelques différences importantes entre la SAR et la SPR. Tout d’abord, la SAR tient rarement une audience : paragraphe 110(6) de la LIPR. Bien qu’elle puisse examiner tout nouvel élément de preuve documentaire présenté par le ministre, elle peut uniquement accepter de nouveaux éléments de preuve au sens du paragraphe 110(4) de la part du demandeur d’asile (voir la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 R.C.F. 230). En outre, 10 p. 100 de ses commissaires, ainsi que son vice-président, doivent être des avocats ou des notaires : paragraphe 153(4) de la LIPR. Lorsqu’un appel est entendu par trois commissaires de la SAR, leur décision a la même valeur jurisprudentielle qu’une décision d’une juridiction d’appel a pour une juridiction de première instance. Une telle décision lie tous les commissaires de la SPR, ainsi qu’un tribunal constitué d’un seul commissaire de la SAR : alinéa 171c) de la LIPR.

[57]      La LIPR prévoit un processus à deux paliers similaire pour l’instruction d’autres affaires d’immigration. Notamment, certaines décisions rendues au premier palier sont portées en appel devant la SAI, une autre section de la C.I.S.R. Le texte de l’alinéa 67(1)a) de la LIPR, semblable à celui de l’alinéa 111(2)a), précise quand la C.I.S.R. peut intervenir (voir l’annexe A). Je ne vois pas l’intérêt d’épiloguer longuement sur la SAI, car les affaires évoquées par le ministre et décidées par la SAI ne sont plus pertinentes, soit parce qu’il s’agit d’anciennes affaires qui ont été tranchées avant l’entrée en vigueur de la LIPR, soit parce que, bien qu’ayant été résolues après son entrée en vigueur, leur issue repose sur la jurisprudence précédant l’entrée en vigueur de la LIPR. Dans les deux cas, l’interprétation porte sur la partie des dispositions précisant le moment auquel la SAI peut intervenir, qui n’est plus d'actualité, sans proposer d’analyse des mots « erronée en droit, en fait ou en droit et en fait » de l’alinéa 67(1)a).

[58]      Les articles 110 et 111, reproduits précédemment, visent les appels interjetés auprès de la SAR à l’égard de décisions de la SPR. Sous réserve de mes observations concernant l’alinéa 111(2)b), je souscris de manière générale à la conclusion de la SAR portant qu’il ne ressort ni des articles 110 et 111, ni de la loi dans son ensemble qu’il faille déférer aux conclusions de fait de la SPR. Comme la SAR l’a reconnu en l’espèce, ces dispositions témoignent de l’intention du législateur d’habiliter la SAR à assurer le règlement définitif des demandes de protection des réfugiés.

[59]      Plus particulièrement, l’alinéa 111(2)a) dispose que la SAR n’est pas tenue d’user de déférence à l’égard des conclusions de fait. L’alinéa 111(2)a) n’opère pas de distinction entre les erreurs de droit, les erreurs de fait, ou les erreurs mixtes de fait et de droit. Il exige simplement que la décision de la SPR soit « erronée en droit, en fait ou en droit et en fait » (en anglais : « wrong in law, in fact or in mixed law and fact »).

[60]      À l’audience, le ministre a soutenu que le texte même de l’alinéa 111(2)a) limite son application au cas où, en vertu du paragraphe 111(1), la Section d’appel des réfugiés renvoie l’affaire à la Section de la protection des réfugiés. L’alinéa 111(2)a) nous éclairerait donc peu sur le rôle de la SAR après qu’elle a confirmé une décision de la SPR ou qu’elle l’a cassée en y substituant « la décision qui aurait dû être rendue » au titre du paragraphe 111(1). Je ne puis retenir cette thèse. Si elle l’était, la SAR serait tenue de statuer (en choisissant parmi les options prévues au paragraphe 111(1)) avant d’avoir choisi la norme de contrôle applicable à l’espèce — bref, on lui imposerait de mettre la charrue avant les bœufs.

[61]      Bien que le contexte soit différent, notre Cour a rejeté une thèse semblable dans l’arrêt Cartier (au paragraphe 9). Notre Cour a alors relevé que, en dépit du libellé maladroit de la disposition invoquée, la même norme de contrôle joue, que la juridiction d’appel ait confirmé ou infirmé la décision attaquée, ce qui a abouti à la libération du délinquant. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement dans la présente affaire. En appel, la SAR doit tenir compte de la décision de la SPR et du dossier mis à sa disposition afin de décider l’issue de l’affaire, y compris s’il vaut mieux trancher l’appel en vertu du paragraphe 111(1) (renvoi de l’affaire, conformément à ses instructions à la SPR) et du paragraphe 111(2). La portée ou la nature de son examen de la décision, de même que son analyse du dossier ne peuvent dépendre de sa conclusion définitive à cet égard.

[62]      À mes yeux, le paragraphe 111(2) fait partie intégrante du contexte global qui doit être examiné pour déterminer l’intention du législateur quant au rôle de la SAR dans tous les cas recensés au paragraphe 111(1). Cet examen est d’autant plus important que l’alinéa 111(2)b) renvoie expressément au paragraphe 111(1).

[63]      Je remarque en outre que le ministre semble dire que le mot « erronée » est synonyme ou équivalent de « déraisonnable » (MFD de l’appelant, au paragraphe 80). Là encore, je ne puis souscrire à cette thèse. Il ne s’agit pas du sens ordinaire du mot « erronée », ni de son acception habituelle en matière juridique.

[64]      Le sens ordinaire du mot « erronée » est « fausse », « incorrecte », « inexacte », « mal fondée » (Le Nouveau Petit Robert [Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris : Dictionnaires Le Robert], 2006, s.v., au mot erroné). Dans la version anglaise, le mot « wrong » a exactement le même sens ordinaire : « not correct or true », « incorrect », « mistaken » (The Oxford English Dictionary, 3e éd., s.v., au mot « wrong »). Il ressort de cette terminologie que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Qui plus est, l’intention du législateur d’utiliser le mot « erronée » dans son sens ordinaire est, à mon avis, confirmée par les travaux préparatoires, auxquels je reviendrai ultérieurement.

[65]      Je pense que le ministre s’appuie uniquement sur l’hypothèse selon laquelle le législateur souhaitait appliquer l’une des normes de contrôle déférentes aux conclusions de fait, que ce soit dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire ou d’un appel d’une décision de première instance. Pareille hypothèse ne tient pas ici puisque le législateur a clairement signalé que la SPR ne peut commettre d’erreur de droit, de fait, ni d’erreur de fait et de droit. Comme je l’ai déjà signalé, il ne serait guère logique de donner au mot « erronée » un sens différent selon qu’il se rapporte aux mots « en droit », « en fait » ou « en droit et en fait » qui se trouvent à l’alinéa 111(2)a). Cela irait à l’encontre de la règle la plus fondamentale en matière d’interprétation des lois.

[66]      De plus, selon une recension des lois et des règlements fédéraux, le mot « erronée », tel qu’il s’entend aux alinéas 111(2)a) et 67(1)a) de la LIPR, ne figure dans aucun autre texte législatif fédéral. À l’inverse, on trouve dans les lois et les règlements de multiples occurrences des mots « raisonnable » ou « raisonnablement », qui renvoient à la norme du caractère raisonnable. Je donne un exemple d’occurrence de chacun de ces mots au paragraphe 50 ci-devant. Il est donc évident que le libellé de ces dispositions uniques de la LIPR donne effet à l’intention du législateur relativement à ce régime sui generis.

[67]      Lors de l’audience, le ministre a déclaré que la caractéristique la plus importante du processus d’appel de la SAR a trait au fait que, dans la très grande majorité des affaires, y compris celle dont nous sommes saisis, elle doit trancher au vu du dossier de la SPR (paragraphe 110(3) de la LIPR). Aux yeux du ministre, il faut en déduire que le législateur souhaitait que toutes les conclusions de fait, et pas seulement celles qui reposent sur l’appréciation des témoignages de vive voix, soient examinées en fonction de la norme du caractère raisonnable ou de l’erreur manifeste et dominante. Un seul exemple suffira à illustrer pourquoi, à mon avis, je ne crois pas qu’il s’agit de l’unique inférence que l’on puisse tirer du paragraphe 110(3). Le présent appel repose uniquement sur le dossier mis à la disposition du juge. Or, comme il a été signalé précédemment, dès lors qu’il a été confirmé que le juge a choisi la norme de contrôle voulue pour l’affaire dont il est saisi, la Cour doit tout simplement « se mettre à la place » du juge afin de décider s’il a appliqué correctement ladite norme. Aucune déférence n’est exigée à cet égard, même si la Cour doit procéder à un contrôle rigoureux de la décision portée en appel.

[68]      Certes, à l’instar de l’alinéa 111(2)a), le paragraphe 110(3) fait partie des éléments à prendre en compte aux fins de l’analyse. Seulement, le paragraphe 110(3) n’est pas aussi déterminant que ce que soutient le ministre par la thèse exposée plus haut.

[69]      J’examinerai maintenant l’alinéa 111(2)b), disposant que si une erreur a été relevée (alinéa 111(2)a)), la SAR peut renvoyer l’affaire pour réexamen, selon les instructions qu’elle juge appropriées, seulement si elle « estime » qu’elle ne peut confirmer ou casser la décision rendue par la SPR sans réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à celle-ci. Cette possibilité est offerte parce qu’il peut arriver que, dans certaines affaires mettant en cause des témoignages de vive voix cruciaux ou déterminants aux yeux de la SAR, celle-ci ne soit pas en mesure de confirmer une décision de la SPR ou d’y substituer la sienne.

[70]      Ce texte reconnaît également l’avantage certain que peut avoir la SPR sur la SAR lorsque les conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit reposent sur l’appréciation de la crédibilité ou de la valeur des témoignages de vive voix. Il indique aussi que, étant entendu que la SAR doive parfois faire preuve d’une certaine retenue avant de rendre sa propre décision, la question de savoir si les circonstances commandent pareille retenue doit être appréciée au cas par cas. Dans chaque cas, la SAR doit rechercher si la SPR a joui d’un véritable avantage et si, le cas échéant, elle peut néanmoins rendre une décision définitive relativement à une demande d’asile.

[71]      Il existe plusieurs cas de figure possibles. Ainsi, si la SPR a trouvé un témoin honnête et crédible, la question de la crédibilité ne se pose pas vraiment. Il en est de même si la SAR peut statuer sur la demande en se fiant aux conclusions de fait de la SPR quant à la valeur relative des témoignages et à leur crédibilité.

[72]      Les difficultés se produisent lorsque la crédibilité des conclusions elles-mêmes est attaquée en appel et que la SAR ne peut trancher sans accepter ou rejeter ces conclusions. Si la SAR relève une erreur dans un cas où, par exemple, un demandeur n’a pas été jugé crédible parce que son récit n’était pas plausible selon le simple bon sens, il peut s’avérer que la SPR n’ait pas de véritable avantage sur la SAR.

[73]      Il peut aussi arriver qu’il ait été conclu que le témoin n’était pas crédible en raison de contradictions qui ne justifient pas cette conclusion ou qui tout simplement n’existent pas. Si la SAR peut facilement relever une erreur dans l’appréciation des témoignages de vive voix, mais qu’il est essentiel de connaître la valeur de ce témoignage pour confirmer ou casser la décision de la SPR, la SAR peut décider de renvoyer l’affaire à la SPR et donner ses instructions concernant l’erreur relevée dans les conclusions concernant la crédibilité.

[74]      Cela étant dit, je ne vois pas l’utilité d’en dire plus sur les autres cas de figure possibles puisqu’ils ne jouent pas en l’espèce. La SAR doit avoir la possibilité de développer sa propre jurisprudence à ce sujet; il n’est donc pas nécessaire que je lui donne des précisions sur le degré de déférence commandé par chaque affaire.

[75]      Avant de conclure mon analyse du texte et du régime de la LIPR, je ferai quelques observations sur une autre thèse du ministre qui pourrait théoriquement être pertinente dans le cadre de la présente analyse en raison de son lien possible avec l’objectif fixé à l’alinéa 3(2)a) de la LIPR. Sans toutefois présenter des preuves à l’appui de son argumentaire, le ministre avance que, à défaut d’appliquer une norme faisant intervenir un degré élevé de déférence quant aux conclusions de fait de la SPR, la SAR devra examiner une documentation très volumineuse et manquera ainsi à sa mission.

[76]      Comme je l’ai déjà signalé, j’ai compulsé une bonne partie de la jurisprudence de la SAR qui repose sur l’analyse préconisée par le juge en l’espèce. Les commissaires visés de la SAR avaient opté pour cette approche même après que la Cour fédérale eut conclu à l’occasion d’autres affaires que la norme de l’erreur manifeste et dominante pouvait jouer en matière de contrôle des conclusions de fait de la SPR. Je signale en passant que l’impressionnante qualité générale de cette jurisprudence m’apparaît de bon augure. Selon ce que j’ai pu constater, la SAR n’a aucune difficulté à remplir sa mission quand elle procède à des examens au fond des décisions attaquées de la SPR. Je n’ai trouvé aucune mention de telles difficultés dans la jurisprudence fondée sur la méthode d’analyse préconisée par le juge dans la présente affaire. Quelques commissaires de la SAR ont opté pour l’analyse proposée dans la décision Spasoja. Si j’ai bien compris, ils ont choisi cette méthode parce qu’il s’avérait plus facile d’appliquer une norme déjà bien définie, et non parce qu’ils manquaient de temps ou de ressources pour réaliser l’examen au fond des documents au dossier qui aurait été requis par une norme commandant un degré de déférence moindre.

[77]      Quoi qu’il en soit, et tel qu’il a été signalé aux paragraphes 49 et 51 ci-devant, il revient au législateur de prendre en compte le nombre d’appels, de même que les efforts et le temps qu’il faut consacrer à chacun. Si je l’interprète en fonction du régime législatif et de ses objectifs, je ne trouve rien dans la LIPR qui justifie le recours à une norme du caractère raisonnable ou de l’erreur manifeste et dominante pour analyser les conclusions de fait, ou les conclusions mixtes de fait et de droit de la SPR.

[78]      À cette étape-ci de mon analyse, je conclus que la SAR doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Si une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement. La SAR peut aussi casser une décision et y substituer la sienne eu égard à une demande, sauf si elle conclut qu’elle ne peut y arriver sans examiner les éléments de preuve présentés à la SPR (alinéa 111(2)b) de la LIPR).

[79]      Je suis d’avis par ailleurs que l’appel auprès de la SAR ne constitue pas un véritable processus de novo. Étant conscient qu’il puisse exister des divergences d’opinion et d’interprétation, je tiens à clarifier ce que j’entends par « véritable processus de novo ». À mon sens, lorsqu’il y a réexamen de l’affaire de novo, le décideur repart à zéro, c’est-à-dire que la juridiction d’appel ne reçoit pas le dossier de l’instance inférieure et ne prend en compte aucun aspect de la décision initiale. Lorsque l’appel consiste en un véritable processus de novo, la norme de contrôle n’est jamais en cause. De toute évidence, telle n’est pas l’idée lorsque la SAR instruit l’affaire sans tenir d’audience.

[80]      Je ferai maintenant l’analyse de l’évolution et de l’histoire de la LIPR. En dépit du peu de poids accordé généralement aux travaux préparatoires d’une loi, je suis d’accord avec la Cour fédérale dans la décision Spasoja que dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’un élément particulièrement instructif qu’on ne saurait ignorer. Je le répète, je suis d’avis que l’évolution et l’historique législatifs confirment la conclusion que j’ai tirée à ce stade de mon analyse.

3)         Évolution et historique législatifs

[81]      Bien qu’une grande partie de mes observations qui suivent se trouve déjà dans diverses décisions de la Cour fédérale (voir par exemple Djossou, aux paragraphes 74 à 85, ainsi que Spasoja, aux paragraphes 32 à 38), il est utile d’y revenir, notamment parce que ces analyses nous éclairent sur la manière dont le législateur envisageait le rôle de la SAR et dont le processus décisionnel administratif à deux paliers a été conçu pour garantir son équité et son efficacité.

[82]      De 1985 jusqu’à la promulgation de la LIPR, les demandes d’asile étaient tranchées sous le régime des articles 67 à 69.1 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [abrogé par L.C. 2001, ch. 27, art. 274]. Les demandes d’asile étaient tranchées par une formation de deux commissaires de la Section du statut de réfugié, sauf si les demandeurs acceptaient que leur demande soit instruite par un seul commissaire. Aucun appel n’était possible; la seule voie de recours était le contrôle judiciaire.

[83]      Le projet de loi C-11 (devenu la LIPR) a reçu la sanction royale le 1er novembre 2001; il prévoyait la création d’une Section d’appel des réfugiés (la SAR) au sein de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (C.I.S.R.). En 2007, un projet d’initiative parlementaire (projet de loi C-280 [Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (entrée en vigueur des articles 110, 111 et 171), 39e lég., 2e sess., 2007]) visant l’adoption de dispositions sur la SAR (articles 110 et 111 en particulier) n’a toutefois jamais reçu la sanction royale.

[84]      Un autre projet de loi C-11, intitulé la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés [L.C. 2010, ch. 8], a été déposé en mars 2010. Il proposait de mettre en vigueur les dispositions non encore édictées de la LIPR concernant la SAR dans les deux années suivant la proclamation royale. Il prévoyait en outre des modifications des dispositions visant la SAR afin de l’habiliter à recueillir de nouveaux éléments de preuve dans certains cas, de même qu’à tenir une audience dans certains cas précis (paragraphes 110(4) et (6)). Il a reçu la sanction royale le 29 juin 2010.

[85]      Le projet de loi C-31, Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada [L.C. 2012, ch. 17], a été déposé en février 2012. Il proposait de nouvelles modifications des dispositions visant la SAR, y compris des restrictions au droit d’appel prévu dans la LIPR pour plusieurs catégories de demandeurs d’asile, ainsi que l’interdiction d’interjeter appel en cas de retrait d’asile ou d’annulation d’une décision (paragraphe 110(2) de la LIPR). Il a reçu la sanction royale le 28 juin 2012.

[86]      Les modifications proposées en 2010 et en 2012 sont entrées en vigueur le 15 décembre 2012, et la SAR a été officiellement instituée. Comme nous l’avons dit, l’historique législatif n’est pas déterminant et ne doit pas recevoir une importance indue dans la recherche de l’intention du législateur (CN c. Canada, au paragraphe 47). Il est néanmoins instructif de tenir compte des déclarations de la ministre à l’origine de la législation, ainsi que des autres intervenants ayant participé directement à son élaboration.

[87]      Lorsque le projet de loi C-11 a été déposé, la sous-ministre adjointe Joan Atkinson a souligné que le recours à des formations ne comprenant qu’un seul commissaire (la SPR) serait compensé par l’introduction du droit d’appel auprès de la SAR pour les demandeurs (Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 37e lég., 1re sess., no 27 (17 mai 2001), à la page 1140, cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 1, onglet 10). De même, l’honorable Elinor Caplan, la ministre responsable du projet de loi, a cru bon de souligner que (Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie, 37e lég., 1re sess., no 29 (4 octobre 2001), cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 1, onglet 11) :

Le but [de la SAR] est d’assurer que la bonne décision est prise [...] Nous voudrions que [...] le fait que la SAR est en mesure de réparer les erreurs éventuelles rassurera la Cour fédérale quant au processus de prise de décisions de la SSR. De cette manière, nous devrions voir moins de dossiers soumis à la Cour fédérale. [Je souligne.]

[88]      Peter Showler, ancien président de la C.I.S.R., a expliqué pourquoi il serait opportun que la formation qui instruit les demandes d’asile soit composée d’un commissaire au lieu de deux (Comité permanent de la Citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 37e lég., 1re sess., no 5 (20 mars 2001), aux pages 0915 à 0920 et 0925, cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 1, onglet 6) :

Dorénavant, la grande majorité des décisions de protection seront rendues par un seul commissaire, contrairement au modèle actuel en vertu duquel les revendications sont normalement entendues par un tribunal composé de deux commissaires. Les audiences tenues par un commissaire unique sont un moyen beaucoup plus efficace de trancher les revendications. Il est vrai que les revendicateurs ne pourront plus tirer profit du bénéfice du doute actuellement accordé par un tribunal composé de deux commissaires. Toutefois, cet inconvénient perçu est largement compensé par la création de la section d’appel des réfugiés, la SAR, où tous les demandeurs d’asile déboutés et le ministre pourront interjeter appel des décisions rendues par la SPR.

Les appels interjetés devant la SAR seront uniquement faits par écrit et examinés par des décideurs chevronnés de la SPR, dotés des pouvoirs de confirmer la décision de celle-ci, de l’infirmer ou de lui substituer leurs propres décisions; ou encore, dans certains cas exceptionnels où il sera nécessaire d’entendre des témoignages supplémentaires de vive voix, ils pourront renvoyer le cas à la SPR pour une nouvelle audience. Nous avons l’intention de doter la SAR de personnel et de ressources dont elle aura besoin pour traiter, selon nos estimations, entre 8 000 et 9 000 cas par an.

Nous croyons que la SAR obtiendra deux résultats différents, mais complémentaires. En examinant les décisions individuelles de la SPR sur le fond, la SAR pourra, de manière efficace, corriger les erreurs faites par la SPR. De plus, la Section assurera la cohérence dans le processus décisionnel grâce à la jurisprudence uniforme à l’échelle du pays que cette section établira sur les questions liées au droit des réfugiés. Comme je l’ai déjà dit devant votre comité, ce système n’aura pas selon nous pour seul avantage d’améliorer la qualité de nos décisions. Si la jurisprudence est plus cohérente et uniforme, les décideurs de la SPR pourront en fait également rendre leurs décisions plus rapidement.

[…]

Il y a donc une importante différence entre les deux. Nous pensons qu’en fin de compte le délai sera le même délai qu’auparavant. Mais comme je l’ai déjà dit, nous escomptons des décisions de meilleure qualité, parce que nous aurons bénéficié de deux essais. Il y aura en effet la décision originale, suivie d’une révision de cette décision par des personnes expérimentées et faisant autorité. [Je souligne.]

[89]      La ministre Caplan a ajouté ultérieurement (Comité permanent de la Citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 37e lég., 1re sess., no 22 (8 mai 2001), aux pages 0845 et 0935, cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 1, onglet 8) :

Le projet de loi C-11 créera, à la CISR, une nouvelle Section d’appel des réfugiés chargée d’entendre les appels au fond des décisions sur les demandes d’asile, cette section rendra le système plus rapide et plus équitable en servant de mécanisme pour corriger les erreurs du premier palier de décision.

[…]

[…] Je veux également préciser que la SAR, la Section d’appel des réfugiés, n’offre pas la possibilité d’une deuxième audience. Elle effectue un examen du bien-fondé des informations données lors de l’audience tenue par la Section de protection des réfugiés.

[90]      Lors de la deuxième lecture du projet de loi d’initiative parlementaire déposé en 2007, le député Richard Nadeau a évoqué une série de critères systémiques justifiant la création de la SAR, y compris la nécessité d’accroître l’efficacité. Cette nécessité a été précisée comme suit par le Conseil canadien pour les réfugiés : « Une section d’appel spécialisée pour des questions de réfugiés est une instance bien plus efficace pour traiter les demandeurs déboutés que ne peut l’être la Cour fédérale [...] La correction des erreurs de droit comme de faits est donc mieux assurée avec la Section d’appel des réfugiés » (Débats de la Chambre des communes, 39e lég., 1re sess., vol. 141, no 122 (2 mars 2007), à la page 7569, cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 1, onglet 15).

[91]      Le 26 avril 2010, lors du débat en deuxième lecture du projet de loi C-11, l’honorable Jason Kenney, alors ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, s’est prononcé comme suit (Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 3e sess., vol. 145, no 033 (26 avril 2010), à la page 1945, cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 2, onglet 24) :

Il est très important de noter que le nouveau système proposé comprendrait également une procédure d’appel complète. Contrairement à la procédure d’appel proposée dans le passé et à celle qui est en veilleuse dans la loi actuelle, cette section d’appel pour les réfugiés permettrait la présentation de nouveaux éléments de preuve et, dans certains cas, la tenue d’une audience. [Je souligne.]

[92]      Le 4 mai 2010, le ministre Kenney a fait les observations suivantes devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (Témoignages, 40e lég., 3e sess., no 012 (4 mai 2010), aux pages 2 et 7, cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 2, onglet 25) :

[…] Toutefois, il y a enfin une section d’appel, ce qui est même mieux que ce qui était prévu par la loi en 2002.

Cette nouvelle Section d’appel des réfugiés fournirait à la plupart des demandeurs une seconde chance, une possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve relativement à leur demande, et de le faire dans le cadre d’une audience, au besoin. Puis, il m’importe de mentionner que la loi permettra d’exécuter le renvoi des personnes qui feraient un usage abusif de notre système, et ce, dans un délai d’un an suivant une décision définitive défavorable de la CISR quant à leur demande

[…]

Je voudrais souligner que la Section d’appel des réfugiés prévue dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2003, et proposée dans le projet de loi d’initiative parlementaire de M. St-Cyr, n’inclut pas, comme le fait la SAR prévue dans le projet de loi C-11, la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve et dans certains cas de tenir une audience verbale devant le décisionnaire de la section d’appel. Il s’agit là d’une SAR améliorée. Cela permet d’avoir une plus grande équité dans les mesures administratives, mais ce ne sera possible qu’avec la rationalisation d’autres éléments du système qui est indiquée dans les propositions. [Je souligne.]

[93]      Le ministre Kenney a ajouté lors de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie (Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie, 40e lég., 3e sess., no 11 (22 juin 2010), aux pages 11:14 et 11:19, dans le cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 2, onglet 34) :

[…] Grâce à la création de la section d’appel des réfugiés, nous disposerions d’un système simplifié qui, dans les faits, renforcerait l’équité procédurale. Ainsi, les demandeurs déboutés auraient droit à un processus d’appel complet.

Voici ce que prévoit le projet de loi C-11 en ce qui concerne notre système. Tout d’abord, la tenue d’une nouvelle entrevue avec un fonctionnaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en début de processus au lieu du formulaire écrit. D’après nous, cela accélérera le processus et le rendra plus efficace. Deuxièmement, des fonctionnaires chargés des décisions indépendantes à la section de la protection des réfugiés au lieu de nominations politiques. Cela veut dire que les gens qui président aux audiences auprès des demandeurs d’asile seront, à la suite de ces réformes, des fonctionnaires situés à la CISR au lieu des nominations du Conseil des ministres. Troisièmement, une nouvelle Section d’appel des réfugiés, qui s’appuie sur des éléments factuels et surpasse ce que réclament depuis longtemps les défenseurs des droits des réfugiés.

[…]

[…] L’audience initiale devant la Section de la protection des réfugiés et l’appel devant la Section d’appel des réfugiés constituent tous deux une analyse du risque auquel s’expose le demandeur d’asile. Le demandeur est-il exposé à un risque de torture ou à une menace à sa vie si on le renvoie dans son pays d’origine? […] Nous sommes d’avis que, dès le moment où l’évaluation du risque a été deux fois négative — c’est-à-dire une fois que l’agent de la CISR a examiné le dossier et déclaré que la personne ne s’expose à aucun risque si elle est renvoyée dans son pays et si la Section d’appel des réfugiés rend la même décision —, il n’est pas approprié de procéder à une troisième évaluation fondée sur le critère juridique de risque actuellement prévu par les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, évaluation qui serait redondante. [Je souligne.]

[94]      Le ministre Kenney reprend les mêmes arguments à l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi C-31, déposé à la Chambre des communes en 2012 (Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., vol. 146, no 090 (6 mars 2012), à la page 5874, cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 2, onglet 36) :

Je répète que le projet de loi créerait également la Section d’appel des réfugiés. La grande majorité des demandeurs qui viennent de pays qui ne produisent pas normalement de réfugiés auraient, pour la première fois, en cas de refus par la Section de la protection des réfugiés, accès à un appel fondé sur les faits devant la Section d’appel des réfugiés de la CISR. Nous sommes le premier gouvernement à avoir créé un véritable appel fondé sur l’établissement des faits.

[95]      Il a ajouté ce qui suit peu de temps après (Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., vol. 146, no 094 (12 mars 2012), à la page 6092, cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 2, onglet 37) :

Ce que nous préconisons dans le projet de loi C-31 excède nos obligations juridiques et humanitaires aux termes de la Charte des droits et libertés et de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés. Cette mesure propose un système d’asile universellement accessible qui respecterait assurément notre obligation à l’égard du principe de non-refoulement des personnes qui ont besoin de la protection du Canada. Elle prévoit une audience complète et équitable devant un organisme quasi judiciaire indépendant, ce qui va bien au-delà de nos obligations en vertu de la Charte et de la Convention des Nations Unies. Le projet de loi permettrait, pour la première fois, à la grande majorité des demandeurs à qui on a refusé l’asile à la première instance d’interjeter appel et d’exposer leur situation à la Section d’appel des réfugiés. [Je souligne.]

[96]      Au vu de ces extraits, il m’apparaît clair que le législateur souhaitait créer un processus plus efficace en demandant à un commissaire unique de la SPR d’examiner les demandes d’asile, et en habilitant celui-ci à rendre plus rapidement sa décision, tout en sachant que toute erreur de sa part serait redressée en appel par un autre décideur spécialisé, d’expérience et doté d’une bonne capacité d’analyse.

[97]      Au lieu d’une deuxième audience obligatoire en appel — laquelle pourrait retarder la décision définitive de la SAR à l’égard d’une demande d’asile — le « deuxième essai » en appel consenti au demandeur (paragraphe 88 ci-devant) devait reposer sur le dossier présenté à la SPR, sauf dans des cas exceptionnels dans lesquels de nouveaux éléments de preuves pouvaient être admis et sous réserve du respect des exigences du paragraphe 110(6).

[98]      Essentiellement, la SAR devait servir de filet de sécurité puisqu’elle devait rattraper les erreurs de droit ou de fait de la SPR. Cela me conforte dans ma première conclusion quant à l’intention du législateur de confier à la SAR la mission d’examiner les décisions de la SPR en fonction de la norme de la décision correcte.

[99]      Apparemment, cet objectif rejoint les commentaires du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) sur le projet de loi C-31, qui soutient que dans la procédure d’appel des décisions en matière d’asile, le décideur doit pouvoir examiner les questions de fait et de droit, accueillir et apprécier de nouveaux éléments de preuve, et reconnaître les réfugiés sur une base indépendante (Commentaires du HCR sur le projet de loi C-31 : Loi visant à protéger le système d’immigration au Canada, mai 2012, site du HCR Canada : <http://www.unhcr.ca/fr/download-app/publications/>, cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie I, vol. 4, onglet 93).

[100]   Il était certainement à prévoir en 2001 que la SAR devrait composer avec une lourde charge de travail (entre 8 000 et 9 000 dossiers par année), et la C.I.S.R. avait donc projeté de doter la nouvelle section des ressources humaines et matérielles suffisantes. Le président de la C.I.S.R. de l’époque ne semblait aucunement douter de la capacité (eu égard aux ressources humaines et matérielles) de la SAR à examiner les décisions de la SPR au fond et à corriger les erreurs de celle-ci (paragraphe 88 ci-dessus). Apparemment, cet exercice n’était aucunement perçu comme un dédoublement inutile du travail de la SPR — c’est pour cette raison même qu’on a réduit le nombre de commissaires composant les formations de la SPR chargées d’examiner les demandes d’asile. Il semble certainement plus efficace de confier les activités courantes de préparation et de tenue des audiences à un seul décideur plutôt qu’à deux.

[101]   Forcément, les restrictions imposées au droit d’appel des demandeurs d’asile en 2012 auraient pour effet d’alléger la charge de travail de la SAR, alors que l’autre disposition adoptée a élargi son droit de recevoir de nouveaux éléments de preuve.

[102]   L’efficacité recherchée par le législateur (décision rendue plus rapidement par un seul commissaire et généralement examinée — si un droit d’appel est prévu — par un commissaire de la SAR, sans nécessité d’une deuxième audience la plupart du temps pour corriger les erreurs), de même que son intention d’affecter les ressources nécessaires pour réaliser cet objectif, s’éloignent passablement des facteurs à l’origine de la politique judiciaire exposée dans l’arrêt Housen et intégrée aux critères pris en compte dans l’arrêt Newton.

4)         Conclusion concernant l’interprétation des textes législatifs

[103]   Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Nulle autre interprétation des dispositions législatives pertinentes ne serait raisonnable.

[104]   Ainsi, la SAR a commis une erreur en appliquant la norme de la décision raisonnable à l’analyse de la SPR concernant la preuve objective de la protection de l’État et à sa conclusion afférente. Par ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens en faveur des intimés.

[105]   Je tiens à souligner l’excellente qualité des observations présentées par les intervenants, qui m’ont été d’une grande utilité.

[106]   À la lumière des paragraphes 23 et 24 ci-devant, je reformulerais la question certifiée comme suit :

Était-il raisonnable de la part de la SAR de limiter son rôle à l’examen du caractère raisonnable des conclusions de fait (ou des conclusions mixtes de fait et de droit) de la SPR, lesquelles ne mettent pas en cause la question de la crédibilité?

Réponse : Non. La SAR aurait dû appliquer la norme de la décision correcte dans le cadre de son examen visant à décider si la SPR a commis une erreur.

Le juge Webb, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.

ANNEXE A — AUTRES DISPOSITIONS APPLICABLES

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27)

Fondement de l’appel

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Effet

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

[…]

Demande d’autorisation

72 (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;

b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;

d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne;

e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.

[…]

Demande de contrôle judiciaire

74 Les règles suivantes s’appliquent à la demande de contrôle judiciaire :

a) le juge qui accueille la demande d’autorisation fixe les date et lieu d’audition de la demande;

b) l’audition ne peut être tenue à moins de trente jours — sauf consentement des parties — ni à plus de quatre-vingt-dix jours de la date à laquelle la demande d’autorisation est accueillie;

c) le juge statue à bref délai et selon la procédure sommaire;

d) sous réserve de l’article 87.01, le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

[…]

153 […]

Qualité

(4) Le vice-président de la Section d’appel de l’immigration, la majorité des vice-présidents adjoints de cette section et au moins dix pour cent des commissaires visés au paragraphe (1) sont obligatoirement inscrits, depuis au moins cinq ans, au barreau d’une province ou membres de la Chambre des notaires du Québec.

[…]

Pouvoir d’enquête

165 La Section de la protection des réfugiés, la Section d’appel des réfugiés et la Section de l’immigration et chacun de leurs commissaires sont investis des pouvoirs d’un commissaire nommé aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes et peuvent prendre les mesures que ceux-ci jugent utiles à la procédure.

[…]

Fonctionnement

170 Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

a) procède à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation du bien-fondé de la demande;

b) dispose de celle-ci par la tenue d’une audience;

c) convoque la personne en cause et le ministre;

d) transmet au ministre, sur demande, les renseignements et documents fournis au titre du paragraphe 100(4);

d.1) peut interroger les témoins, notamment la personne en cause;

e) donne à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations;

f) peut accueillir la demande d’asile sans qu’une audience soit tenue si le ministre ne lui a pas, dans le délai prévu par les règles, donné avis de son intention d’intervenir;

g) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

h) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision;

i) peut admettre d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.

[…]

Fonctionnement

175 (1) Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section d’appel de l’immigration :

a) dispose de l’appel formé au titre du paragraphe 63(4) par la tenue d’une audience;

b) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

c) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision.

Règles de la Section d’appel des réfugiés (DORS/2012-257)

3 […]

Contenu du dossier de l’appelant

(3) Le dossier de l’appelant comporte les documents ci-après, sur des pages numérotées consécutivement, dans l’ordre qui suit :

[…]

g) un mémoire qui inclut des observations complètes et détaillées concernant :

(i) les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel,

(ii) l’endroit où se trouvent ces erreurs dans les motifs écrits de la décision de la Section de la protection des réfugiés portée en appel ou dans la transcription ou dans tout enregistrement audio ou électronique de l’audience tenue devant cette dernière.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

Délais d’appel

159.91 (1) Pour l’application du paragraphe 110(2.1) de la Loi et sous réserve du paragraphe (2), la personne en cause ou le ministre qui porte en appel la décision de la Section de la protection des réfugiés le fait dans les délais suivants :

a) pour interjeter appel de la décision devant la Section d’appel des réfugiés, dans les quinze jours suivant la réception, par la personne en cause ou le ministre, des motifs écrits de la décision;

b) pour mettre en état l’appel, dans les trente jours suivant la réception, par la personne en cause ou le ministre, des motifs écrits de la décision.

Consignes du commissaire (griefs et appels) (DORS/2014-289)

Décision au dernier niveau

18 (1) L’arbitre qui dispose d’un grief de dernier niveau peut rendre une décision :

a) le rejetant et confirmant la décision de premier niveau;

b) l’accueillant et :

(i) renvoyant l’affaire avec des directives relatives au réexamen de la décision, de l’acte ou de l’omission à l’intimé ou à la personne chargée de faire un tel réexamen,

(ii) renvoyant l’affaire à l’arbitre qui a rendu la décision au premier niveau ou à un autre arbitre, avec des directives en vue d’une nouvelle décision,

(iii) ordonnant la réparation qui s’impose.

Éléments à considérer

(2) Lorsqu’il rend la décision, l’arbitre évalue si la décision de premier niveau contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable.

[…]

Décision du commissaire

33 (1) Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, le commissaire évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable.

Décision — non-respect des directives

(2) Malgré le paragraphe (1), le commissaire peut, sous réserve des principes d’équité procédurale, disposer de l’appel à l’encontre des intérêts de la partie qui ne respecte pas l’une de ses directives.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20)

147 […]

Mise en liberté immédiate

(5) Si sa décision entraîne la libération immédiate du délinquant, la Section d’appel doit être convaincue, à la fois, que :

a) la décision visée par l’appel ne pouvait raisonnablement être fondée en droit, en vertu d’une politique de la Commission ou sur les renseignements dont celle-ci disposait au moment de l’examen du cas;

b) le retard apporté à la libération du délinquant serait inéquitable.

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