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[2016] 2 R.C.F. 459

A-531-14

2015 CAF 237

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (appelant)

c.

Thanh Tam Tran (intimé)

Répertorié : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Tran

Cour d’appel fédérale, juges Gauthier, Ryer et Near, J.C.A.—Vancouver, 12 mai; Ottawa, 30 octobre 2015.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise par un délégué de l’appelant en vertu de l’art. 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La décision renvoyait l’intimé à une audience de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin d’établir s’il devait être déclaré interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’art. 36(1)a) de la Loi — La Cour fédérale a certifié les deux questions suivantes, à savoir si une peine d’emprisonnement avec sursis imposée aux termes du régime défini aux articles 742 à 742.7 du Code criminel est considérée comme un « emprisonnement » au sens de l’art. 36(1)a) et si l’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans », à l’art. 36(1)a), signifie l’emprisonnement maximal possible au moment où la personne a été condamnée ou l’emprisonnement maximal en vertu de la loi en vigueur au moment de l’enquête — L’intimé, un Vietnamien, était un résident permanent du Canada — L’intimé a participé à l’exploitation d’une plantation de marijuana pour laquelle il a été reconnu criminellement coupable — Il a été condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis — Avant la détermination de la peine de l’intimé, une nouvelle loi augmentant l’emprisonnement maximal prévu pour l’infraction dont l’intimé a été reconnu coupable est entrée en vigueur — Cependant, en raison des principes établis en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, l’intimé pouvait uniquement se voir imposer la peine la moins sévère applicable à l’infraction — La Cour fédérale a conclu qu’il était déraisonnable d’interpréter le mot « emprisonnement » prévu à l’art. 36(1)a) de la Loi comme englobant une peine d’emprisonnement avec sursis — En ce qui a trait à l’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans », la Cour fédérale a statué que l’art. 36(1)a) désignait la peine maximale d’emprisonnement en vertu de la loi en vigueur au moment de l’enquête — Le juge a conclu que la décision du délégué de l’appelant dans son ensemble était déraisonnable — Il s’agissait de savoir si l’interprétation de l’art. 36(1)a) de la Loi faite par l’appelant était raisonnable et si la décision sur le fond était raisonnable — Les objectifs explicites de la Loi révèlent une intention de donner priorité à la sécurité — Le libellé de l’art. 36(1)a) ne suggère pas que c’est le contrevenant concerné qui doit être passible de la peine maximale qui y est mentionnée — L’interprétation retenue par le délégué de l’appelant était compatible avec l’objectif législatif de la disposition examinée et n’était pas déraisonnable — Par conséquent, en réponse à la deuxième question certifiée, l’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans » à l’art. 36(1)a) de la LIPR peut raisonnablement être interprétée comme désignant la peine maximale d’emprisonnement en vertu de la loi en vigueur au moment de l’enquête — Le second critère figurant à l’art. 36(1)a) de la LIPR, qui traite de la sentence réelle imposée par un juge à un contrevenant qui est un résident permanent ou un étranger, a été examiné — L’interprétation retenue par le délégué de l’appelant en l’espèce n’est pas déraisonnable — Ainsi, quant à la première question certifiée, la Cour a conclu qu’une peine d’emprisonnement avec sursis imposée aux termes du régime défini aux art. 742 à 742.7 du Code criminel peut raisonnablement être interprétée comme étant un emprisonnement au sens de l’art. 36(1)a) de la LIPR — Quant au caractère raisonnable de la décision de déférer le dossier, la Cour fédérale n’a pas appliqué correctement le critère de contrôle applicable à la conclusion générale du délégué de l’appelant — La décision de déférer le dossier de l’intimé à la SI faisait partie de l’éventail des décisions pouvant se justifier au regard des faits et du droit — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimé d’une décision prise par un délégué de l’appelant en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La décision renvoyait l’intimé à une audience de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin d’établir s’il devait être déclaré interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. La Cour fédérale a certifié deux questions quant à savoir si une peine d’emprisonnement avec sursis imposée aux termes du régime défini aux articles 742 à 742.7 du Code criminel est considérée comme un « emprisonnement » au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR et si l’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans », à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, signifie l’emprisonnement maximal possible au moment où la personne a été condamnée ou l’emprisonnement maximal en vertu de la loi en vigueur au moment de l’enquête. L’appelant a soutenu que la décision de la Cour fédérale était déraisonnable parce que le décideur avait tenu compte, entre autres choses, d’allégations non prouvées concernant des arrestations, des accusations et des rapports de police.

Le demandeur est un Vietnamien et est un résident permanent du Canada. Il a participé avec d’autres personnes à l’exploitation d’une plantation de marijuana et a été reconnu coupable de production d’une substance désignée en contravention au paragraphe 7(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Il a été condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis. Au moment où l’intimé a commis l’infraction, celle-ci était punissable d’un emprisonnement maximal de 7 ans, mais avant sa condamnation et la détermination de la peine, une nouvelle loi augmentant l’emprisonnement maximal prévu pour cette infraction à 14 ans et comportant une nouvelle peine minimale de 2 ans d’emprisonnement est entrée en vigueur. Toutefois, en vertu des alinéas 11g) et i) de la Charte canadienne des droits et libertés, le juge qui a imposé la peine pouvait uniquement imposer la peine la moins sévère applicable à l’infraction. En l’espèce, cela signifiait que la peine maximale pouvant être imposée à l’intimé était un emprisonnement de 7 ans. Le dossier de l’intimé a été déféré pour enquête devant l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), mais l’ASFC a annulé l’enquête en raison de modifications législatives qui nuisaient au droit d’interjeter appel de l’intimé. L’agent de l’ASFC qui traitait le dossier de l’intimé a examiné tous les points soulevés par l’intimé, y compris ses antécédents criminels, son attitude actuelle et sa possibilité de réadaptation. L’agent de l’ASFC a conclu que la preuve démontrait que l’intimé a pris part à des activités criminelles passées et il n’a pas assumé la responsabilité de ses actes. Le délégué de l’appelant a souscrit à l’opinion de l’agent de l’ASFC, selon laquelle le dossier devrait être déféré pour enquête devant la SI. En ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 36(1)a), la Cour fédérale a conclu qu’il était déraisonnable d’interpréter le mot « emprisonnement » comme englobant une peine d’emprisonnement avec sursis. En ce qui concerne l’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans », elle a établi que l’alinéa 36(1)a) vise la peine maximale applicable au moment de la condamnation. La Cour fédérale a conclu que la décision dans son ensemble était déraisonnable parce que le délégué de l’appelant s’était appuyé sur des arrestations et des accusations non prouvées pour conclure qu’il était probable que l’intimé récidive.

Il s’agissait de savoir si l’interprétation de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR faite par l’appelant était raisonnable et si la décision sur le fond était raisonnable.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

En ce qui a trait au premier critère énoncé à l’alinéa 36(1)a) de la Loi, il fallait déterminer si ce critère était un critère objectif. En d’autres mots, il s’agissait de savoir si la peine maximale prévue doit être évaluée simplement selon la loi fédérale qui définit l’infraction, ou s’il s’agit uniquement de la peine maximale pouvant être imposée à la personne (critère subjectif). L’appelant a soutenu que, non seulement ce critère est objectif, mais que c’est la peine maximale prévue par la loi en vigueur lors de l’enquête qui est pertinente. L’objectif de la Loi et de l’article 36 a été examiné. Les objectifs explicites de la Loi révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Lorsqu’on examine le libellé de l’alinéa 36(1)a), on constate qu’il contient deux critères distincts : le mot « punissable », tant en français qu’en anglais, se rapporte à l’infraction à la loi fédérale et non à la peine qui pourrait en fait être imposée au contrevenant. Le libellé ne suggère pas que c’est le contrevenant concerné qui doit être passible de la peine maximale mentionnée. Ainsi, le sens littéral des mots tels que lus dans le contexte du paragraphe semblait confirmer l’interprétation retenue par le délégué de l’appelant. Le contexte immédiat a également été examiné, plus particulièrement les alinéas 36(1)b) et c) et le paragraphe 36(2) de la Loi. Le paragraphe 36(2) utilise une formulation semblable à celle de l’alinéa 36(1)a) et le critère qui y est énoncé est un critère objectif. Par conséquent, l’interprétation retenue par le délégué de l’appelant était compatible avec l’objectif législatif de la disposition examinée, qui n’est pas de punir un délinquant ou d’être injuste à son égard, mais plutôt de déterminer si une personne doit obtenir le privilège de demeurer au Canada — il s’agissait également d’une interprétation qui n’était pas déraisonnable. En réponse à la deuxième question certifiée, l’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans » à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR peut raisonnablement être interprétée comme désignant la peine maximale d’emprisonnement en vertu de la loi en vigueur au moment de l’enquête.

La signification du terme « emprisonnement » à l’alinéa 36(1)a) de la Loi, le second critère figurant à l’alinéa 36(1)a), qui traite de la sentence réelle imposée par un juge à un contrevenant qui est un résident permanent ou un étranger, a été examinée. Lorsque la Loi a été adoptée en 2002, le terme « emprisonnement » était utilisé dans trois dispositions particulières, à savoir les articles 36 et 50 et le paragraphe 64(2). L’évolution législative de l’article 50 et du paragraphe 64(2) de la Loi a apporté quelques éclaircissements sur la question faisant l’objet de la présente cause et a été examinée. L’opinion selon laquelle le législateur considère toujours que les peines d’emprisonnement de plus de six mois purgées dans la collectivité sont suffisamment graves pour justifier la perte du droit d’interjeter appel d’une décision d’interdiction de territoire est certainement confirmée par l’historique législatif au moment où le paragraphe 64(2) de la Loi a été modifié en 2013, prétendument pour l’harmoniser avec l’alinéa 36(1)a). Bien que l’on accorde généralement moins de poids à ces outils d’interprétation qu’à d’autres, on ne pouvait tout simplement pas conclure que l’interprétation du délégué de l’appelant, qui semblait être appuyée par l’historique législatif, devrait être jugée déraisonnable parce qu’elle entraîne des conséquences contradictoires qui pourraient être considérées absurdes. Ces contradictions ont été clairement décrites et examinées avant l’adoption du paragraphe 64(2), et aucun changement n’a été apporté afin de les exclure. Dans ces circonstances, en tenant compte des enseignements actuels de la Cour suprême du Canada, on ne pouvait conclure que l’interprétation retenue par le délégué de l’appelant en l’espèce était déraisonnable. Ainsi, à l’égard de la première question certifiée, on a conclu qu’une peine d’emprisonnement avec sursis imposée aux termes du régime défini aux articles 742 à 742.7 du Code criminel peut raisonnablement être interprétée comme étant un emprisonnement au sens de l’alinéa 36(1)a) de la Loi.

Quant au caractère raisonnable de la décision de déférer le dossier, la Cour fédérale semblait penser que l’agent de l’ASFC a traité les arrestations, les accusations et les rapports de police comme des preuves d’un comportement criminel de l’intimé, mais il a souligné que ces accusations et arrestations ne constituaient pas des preuves d’une conduite criminelle. Il était évident que l’agent était parfaitement capable d’établir une distinction entre les arrestations, les accusations suspendues et les condamnations criminelles, mais il a simplement pensé qu’il pouvait tenir compte de ces renseignements et de l’information contenue dans les rapports de police dans son évaluation générale du comportement de l’intimé et de ses possibilités de réadaptation. Bien qu’il n’y a aucun doute que toute l’information contenue dans les rapports de police ne doit pas être considérée comme des preuves crédibles, les rapports qui étaient à la disposition de l’agent contenaient des renseignements crédibles à l’égard du comportement de l’intimé. Bien qu’il eut été préférable que l’agent précise quels renseignements contenus dans les rapports de police étaient réellement jugés fiables et importants dans son évaluation, cette omission en l’espèce ne justifiait pas l’annulation de la décision. Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas appliqué correctement le critère de contrôle applicable à la conclusion générale du délégué de l’appelant. La décision de déférer le dossier de l’intimé à la SI faisait partie de l’éventail des décisions pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 11g),i).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 732(1), 742 à 742.7.

Loi accélérant le renvoi des criminels étrangers, L.C. 2013, ch. 16, art. 24.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 10.

Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, art. 7(1).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 50.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25(1), 33, 36, 44(1),(2), 50, 63, 64.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, Art. 1Fb).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, [2015] 3 R.C.S. 300; Sanchez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 913, conf. par 2014 CAF 157; Canada 3000 Inc., Re; Inter-Canadian (1991) Inc. (Syndic de), 2006 CSC 24, [2006] 1 R.C.S. 865.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. Middleton, 2009 CSC 21, [2009] 1 R.C.S. 674; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Edmond c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 674; Robertson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] 1 C.F. 197 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 R.C.F. 3; Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Najafi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262, [2015] 4 R.C.F. 162; Ward c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 CanLII 3948 (C.F. 1re inst.); Weso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1945 (1re inst.) (QL); Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; R. c. Wu, 2003 CSC 73, [2003] 3 R.C.S. 530; R. c. Fice, 2005 CSC 32, [2005] 1 R.C.S. 742.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, 41e lég., 1re sess., no 54 (24 octobre 2012).

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, 41e lég., 1re sess., no 62 (21 novembre 2012), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/content/hoc/Committee/411/CIMM/Evidence/EV5853281/CIMMEV62-F.PDF>.

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, 41e lég., 1re sess., no 64 (28 novembre 2012), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/content/hoc/Committee/411/CIMM/Evidence/EV5895073/CIMMEV64-F.PDF>.

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., no 199 (29 janvier 2013), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/content/hoc/House/411/Debates/199/HAN199-F.PDF>.

Canada. Parlement. Débats du Sénat, 41 lég., 1re sess., no 168 (30 mai 2013), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/Content/Sen/Chamber/411/Debates/pdf/168db_2013-05-30-f.pdf>.

Canada. Parlement. Sénat. Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie, 41e lég., 1re sess., no 38 (1 et 2 mai 2013), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/411/soci/pdf/38issue.pdf>.

Canada. Parlement. Sénat. Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie, 41e lég., 1re sess., no 39 (8 et 9 mai 2013), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/411/soci/pdf/39issue.pdf>.

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide opérationnel : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 6 : « L’examen des rapports établis en vertu de la L44(1) », en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/enf/enf06-fra.pdf>.

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide opérationnel : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 10 : « Renvois », en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/enf/enf10-fra.pdf>.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2014 CF 1040) qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimé d’une décision prise par un délégué de l’appelant en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de renvoyer l’intimé à une audience de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Banafsheh Sokhansanj et Alison Brown pour l’appelant.

Peter Edelmann et Aris Daghighian pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Edelman & Co., Vancouver, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Gauthier, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) contre la décision du juge James O’Reilly de la Cour fédérale (le juge) d’accueillir une demande de contrôle judiciaire présentée par Thanh Tam Tran. Cette décision porte la référence neutre 2014 CF 1040.

[2]        M. Tran est un citoyen du Vietnam et un résident permanent du Canada depuis 1989. En 2012, il a été reconnu coupable de production de marijuana et a été condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis.

[3]        La décision examinée par le juge était une décision prise par un délégué du ministre en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), qui renvoyait M. Tran à une audience de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin d’établir s’il devait être déclaré interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[4]        Le juge a certifié les deux questions suivantes :

[traduction]

1.   Une peine d’emprisonnement avec sursis imposée aux termes du régime défini aux articles 742 à 742.7 du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] est-elle considérée comme un « emprisonnement » au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR?

2.   L’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans », à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, signifie-t-elle l’emprisonnement maximal possible au moment où la personne a été condamnée ou l’emprisonnement maximal en vertu de la loi en vigueur au moment de l’enquête?

[5]        Devant la Cour, le ministre conteste également la conclusion du juge selon laquelle la décision était déraisonnable parce que le décideur avait tenu compte, entre autres choses, d’allégations non prouvées concernant des arrestations, des accusations et des rapports de police.

[6]        Pour les motifs suivants, j’accueillerais l’appel.

I.          Contexte

[7]        En mars 2011, M. Tran a participé avec d’autres personnes à l’exploitation d’une plantation de marijuana (opération de production) comptant environ 915 plants et à un vol d’électricité d’une valeur de près de 100 000 $. Le 29 novembre 2012, M. Tran a été reconnu coupable de production d’une substance désignée en contravention au paragraphe 7(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19 (LRCDAS).

[8]        Le 18 janvier 2013, M. Tran a reçu sa condamnation. Au moment où M. Tran a commis l’infraction, celle-ci était punissable d’un emprisonnement maximal de 7 ans. Le 6 novembre 2012, c’est-à-dire avant sa condamnation et la détermination de la peine, une nouvelle loi augmentant l’emprisonnement maximal prévu pour cette infraction à 14 ans et comportant une nouvelle peine minimale de 2 ans d’emprisonnement est entrée en vigueur. Toutefois, en vertu des alinéas 11g) et i) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (Charte) (voir l’annexe A), le juge qui a imposé la peine pouvait uniquement imposer la peine la moins sévère applicable à l’infraction. En l’espèce, cela signifiait que la peine maximale pouvant être imposée à M. Tran était un emprisonnement de 7 ans.

[9]        Le 26 juillet 2013, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR (voir l’annexe A) dans lequel il a déclaré que M. Tran était interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a). Il semble que le dossier de M. Tran ait été déféré pour enquête.

[10]      Toutefois, puisque l’article 64 de la LIPR (voir l’annexe A) venait d’être modifié (Loi accélérant le renvoi des criminels étrangers, L.C. 2013, ch. 16 [article 24]), l’ASFC a annulé l’enquête parce qu’elle était d’avis que M. Tran n’aurait plus le droit d’interjeter appel d’une mesure de renvoi (dossier d’appel, vol. 1, onglet 37, pages 271 et 272 et onglet 38, page 273). M. Tran a été autorisé à déposer des observations supplémentaires dans lesquelles le conseil de M. Tran a fait une analyse détaillée des deux arguments suivants que M. Tran a fait valoir au juge ainsi que devant la Cour (dossier d’appel, vol. 1, onglet 14, pages 144 à 157).

[11]      Premièrement, M. Tran ne tombait pas sous le coup de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR parce qu’au moment de la détermination de sa peine, l’emprisonnement maximal dont il était passible était de 7 ans selon les alinéas 11g) et i) de la Charte. Deuxièmement, sa peine d’emprisonnement de 12 mois avec sursis n’était pas visée par l’alinéa 36(1)a), et donc par le paragraphe 64(2) de la LIPR, parce que le terme « emprisonnement » doit être interprété comme désignant uniquement les « incarcérations » et excluant les « peines d’emprisonnement avec sursis ».

[12]      Les deux parties conviennent que le délégué du ministre jouissait d’une certaine discrétion, quoique limitée, dans sa décision de déférer ou non pour enquête le dossier d’un résident permanent tel que M. Tran, même s’il était déterminé que ce dernier répondait au critère énoncé à l’alinéa 36(1)a) (Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 R.C.F. 3, et le chapitre ENF 6 : « L’examen des rapports établis en vertu de la L44(1) », du Guide opérationnel : Exécution de la loi (ENF) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) (Guide d’exécution de la loi) (recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 113)). Puisque cette question n’était pas en litige devant le juge ou la Cour, je vais supposer aux fins du présent appel que ceci est juste. Je remarque toutefois qu’il s’agit d’une question qui devra être examinée à une date ultérieure, compte tenu de la décision de la Cour dans l’arrêt Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409, au paragraphe 41.

[13]      Ainsi, conformément aux directives fournies par l’ASFC, M. Tran a soulevé divers faits justifiant, selon lui, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Plus précisément, M. Tran a fait valoir la longue durée de sa résidence au Canada et le fait qu’il vivait au Canada depuis plus de 22 ans [traduction] « sans incident » (24 ans si l’on considère la période suivant sa condamnation) (dossier d’appel, vol. 1, onglet 14, page 163). Il a également fait valoir que son renvoi irait à l’encontre de l’intérêt supérieur de ses cinq enfants, tous nés au Canada et issus de différentes relations. Les mères et les enfants habitent en Colombie-Britannique. M. Tran a ajouté que sa conjointe actuelle était une citoyenne canadienne et que d’autres membres de sa famille résidaient également au Canada. Par contre, il n’avait absolument aucun membre de sa famille ou réseau de soutien au Vietnam, où les conditions de vie sont difficiles.

[14]      M. Tran a aussi évoqué le fait qu’il travaille très fort à titre de couvreur de toitures pour assurer le soutien de sa famille élargie, ce qui est souvent difficile en raison du caractère saisonnier de l’industrie de la toiture. Cependant, le seul élément de preuve au dossier est qu’il paie 560 $ par mois pour deux de ses enfants. Comme l’a souligné dans ses motifs le juge qui a imposé la peine, M. Tran a expliqué que c’est en raison de ses besoins financiers qu’il a participé à l’opération de production qui a mené à sa condamnation. Il a aussi fait valoir qu’il s’agissait d’une infraction non violente.

II.         Décision du délégué du ministre

[15]      Le 10 octobre 2013, le délégué du ministre a souscrit à l’opinion de l’agent de l’ASFC, résumée dans le rapport « Points saillants relatifs au paragraphe 44(1) et à l’article 56 – Dossiers dans les bureaux intérieurs (résumé) » daté du 7 octobre 2013 (le rapport), selon laquelle le dossier de M. Tran devrait être déféré pour enquête devant la SI (voir le dossier d’appel, vol. 1, onglet 5, pages 25 à 27).

[16]      Dans le rapport, l’agent de l’ASFC, conformément au Guide d’exécution de la loi, a examiné tous les points soulevés par M. Tran, ses antécédents criminels, son respect antérieur de la loi, son attitude actuelle, sa possibilité de réadaptation, les circonstances dans lesquelles s’est produite l’infraction pour laquelle il a été déclaré coupable, ainsi que la peine imposée.

[17]      L’agent de l’ASFC a remarqué notamment que, contrairement à ce qui avait été déclaré au juge qui a imposé la peine, la condamnation en vertu de la LRCDAS n’était pas la première et l’unique condamnation criminelle de M. Tran puisque celui-ci avait été reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies quelques jours avant l’audience de détermination de la peine (dossier d’appel, vol. 2 , onglet 61). L’agent a soutenu que le point pertinent n’était pas la nature de l’autre condamnation, mais plutôt le fait que M. Tran avait sciemment omis de dire toute la vérité au juge qui a imposé la peine, celui-ci s’est appuyé sur cette déclaration pour lui imposer une peine d’emprisonnement avec sursis plutôt qu’une incarcération comme le demandait le procureur de la Couronne.

[18]      En outre, après avoir constaté qu’aucune des autres arrestations et accusations suspendues dont M. Tran avait fait l’objet depuis 1998 et dont le rapport faisait état n’avait abouti à une condamnation, l’agent a écrit qu’il avait tenu compte des éléments de preuve touchant ces événements (notamment les rapports de police) dans son évaluation de la possibilité de réadaptation et de la crédibilité générale de M. Tran. À son avis, ces éléments étaient pertinents puisque M. Tran s’est présenté comme une personne très intègre qui vivait au Canada depuis 24 ans [traduction] « sans incident ». Il a conclu que le comportement de M. Tran ne pouvait être qualifié de [traduction] « pur et honnête à la lumière de ces arrestations, dont certaines découlaient d’infractions graves ».

[19]      Même si l’agent a reconnu que l’infraction à la LRCDAS pour laquelle M. Tran a été reconnu coupable et condamné ne comportait aucune violence, il a souligné que l’ampleur de la production de marijuana contribuait au problème plus important de la production de substances désignées en Colombie-Britannique, à l’origine d’une grande violence. Selon l’agent, l’ampleur de l’opération de production laissait entrevoir un certain niveau d’organisation puisqu’il aurait été difficile à une seule personne de produire et de gérer une telle quantité de marijuana. Il a mentionné que, dans la région du Lower Mainland de la Colombie-Britannique, ce genre d’opération de production n’est pas mené en vase clos et est souvent lié à des crimes plus graves, y compris la violence des gangs de rues.

[20]      L’agent a fait valoir que les récents changements apportés à la LRCDAS à l’égard de la peine liée à ce type d’infraction montrent le sérieux qu’accorde le législateur à la question. Même si la sentence plus sévère ne pouvait être imposée à M. Tran, cela ne signifiait certainement pas pour autant que le législateur considérait que cette infraction était moins grave en 2011; il n’avait simplement pas encore adopté les modifications législatives. Après avoir reconnu une autre fois qu’en l’absence d’une déclaration de culpabilité, le juge qui a imposé la peine aurait accordé peu de poids aux arrestations et aux accusations suspendues, l’agent a déclaré que sa propre évaluation reposait sur des facteurs plus informels que ceux utilisés par la justice pénale, y compris les lettres rédigées par les amis et la famille. Par conséquent, il croyait qu’il était approprié qu’il tienne compte des preuves fiables fournies par la police. Ayant remarqué que la période dont il devait tenir compte pour déterminer la possibilité de réadaptation était plutôt courte, l’agent a ajouté :

[traduction] M. TRAN n’a commis aucune infraction depuis un an et demi, ses antécédents montrent qu’il tend à être arrêté tous les deux ans. En refusant de reconnaître ses problèmes passés, notamment sa condamnation très récente, je conclus que M. TRAN n’assume pas la responsabilité de ses actes. À la lumière du peu de renseignements dont je dispose, je ne peux que supposer qu’il récidivera probablement étant donné que c’est ce qu’il a fait auparavant et qu’il n’a montré aucune volonté d’assumer la responsabilité à l’égard de quoi que ce soit à part ce dont les autorités d’immigration sont selon lui au courant. L’avocat allègue qu’« [il] n’a jamais été un toxicomane et n’est pas membre des AA ou d’un autre programme similaire ». Les trois arrestations et la déclaration de culpabilité pour conduite avec facultés affaiblies suggèrent que ce n’est peut-être pas le cas. [Soulignement ajouté.]

[21]      Il n’est pas nécessaire ici d’examiner les commentaires faits par l’agent au sujet des circonstances atténuantes invoquées par M. Tran, notamment l’intérêt supérieur des enfants, car ceux-ci ne sont pas directement pertinents aux questions dont nous sommes saisis en l’espèce. Devant la Cour, M. Tran n’a pas prétendu qu’il y avait une erreur sujette à révision à cet égard. Par conséquent, il nous suffira de mentionner que le rapport conclut ce qui suit :

[traduction] En me fondant sur l’ensemble de l’information précitée, et compte tenu des observations présentées par l’avocat, je suis d’avis que ce rapport devrait être déféré pour enquête. M. TRAN a pris part à une grave infraction criminelle. La preuve fournie est qu’il a participé à des activités criminelles dans le passé et qu’il n’assume pas l’entière responsabilité de ses actes. Les circonstances atténuantes (établissement, famille, difficultés au Vietnam, etc.) sont éclipsées par la gravité de l’infraction, la conduite de M. TRAN dans la société et l’absence d’indication que son comportement s’améliorera.

III.        Décision de la Cour fédérale

[22]      Le juge a choisi d’appliquer le critère de contrôle du caractère raisonnable à toutes les questions dont il a été saisi, à savoir l’interprétation de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR et le bien-fondé de la décision.

[23]      En ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 36(1)a), le juge a conclu qu’il était déraisonnable d’interpréter le mot « emprisonnement » comme englobant une peine d’emprisonnement avec sursis, cela pour les raisons suivantes :

i.          Dans les arrêts R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61 (Proulx) et R. c. Middleton, 2009 CSC 21, [2009] 1 R.C.S. 674 (Middleton), la Cour suprême du Canada a confirmé que le sens de ce mot variait selon le contexte et qu’il n’incluait pas toujours les peines avec sursis pour l’ensemble des lois fédérales;

ii.         En se fondant sur l’arrêt Proulx, au paragraphe 21, dans lequel la Cour suprême déclare qu’une peine d’emprisonnement avec sursis « constitue une solution de rechange à l’incarcération de certains délinquants non dangereux », le juge a conclu que l’inclusion de ces peines irait à l’encontre du but visé par l’alinéa 36(1)a), qui concerne la grande criminalité;

iii.        Dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539 (Medovarski), la Cour suprême du Canada, faisant référence à l’alinéa 36(1)a), déclare au paragraphe 11 :

Conformément à ces objectifs, la LIPR crée un nouveau régime par lequel la peine d’emprisonnement de plus de six mois emporte interdiction de territoire : al. 36(1)a) LIPR. La personne condamnée à une peine d’emprisonnement de plus de deux ans ne peut pas interjeter appel d’une mesure de renvoi la visant : art. 64 LIPR. [Soulignement ajouté.]

[24]      En ce qui concerne la deuxième question, liée au sens de l’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans », le juge a établi une distinction entre l’affaire dont il était saisi et l’arrêt Sanchez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 157 (Sanchez) de la Cour d’appel fédérale, soulignant que, contrairement à la section 1Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, dont il était question dans l’arrêt Sanchez, l’alinéa 36(1)a) « vise la peine maximale applicable au moment de la condamnation » (motifs du juge, au paragraphe 19, soulignement ajouté).

[25]      Ensuite, le juge déclare à tort que M. Tran n’a pas été reconnu coupable d’un crime punissable d’une peine d’au moins 10 ans d’emprisonnement puisque « [l]a peine maximale à l’époque de la condamnation était une peine de 7 ans d’emprisonnement » (motifs du juge, au paragraphe 20, soulignement ajouté). De plus, le juge remarque que, bien que la peine maximale ait par la suite été augmentée à 14 ans, M. Tran n’était pas passible d’une peine de cette durée. Il est difficile de savoir si le juge a cru à tort que la peine maximale avait été augmentée après que M. Tran a été déclaré coupable (son utilisation des mots « par la suite été augmentée »), ou s’il voulait dire qu’en raison des alinéas 11g) et i) de la Charte, la modification qui a été apportée avant la condamnation de M. Tran, mais après l’infraction, ne s’appliquerait pas à lui (l’utilisation des mots « M. Tran n’était pas passible »). Toutefois, le juge n’a pas mentionné ces alinéas de la Charte dans ses motifs.

[26]      Enfin, le juge a conclu que la décision dans son ensemble était déraisonnable parce que le délégué du ministre s’était appuyé sur des arrestations et des accusations non prouvées pour conclure qu’il était probable que M. Tran « [traduction] récidive étant donné qu’il l’avait fait par le passé » (motifs du juge, au paragraphe 23).

[27]      Je remarque que le juge n’a jamais expressément examiné l’interprétation de l’alinéa 36(1)a) qu’il a mentionné dans sa question certifiée (voir le paragraphe 4 ci-dessus), à savoir si cette disposition signifie l’emprisonnement maximal applicable au moment où la personne est reconnue coupable (voir les paragraphes 24 et 25 ci-dessus).

IV.       Lois

[28]      Le paragraphe 36(1) de la LIPR énonce ce qui suit :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Grande criminalité

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

[29]      D’autres dispositions législatives pertinentes sont citées à l’annexe A.

V.        Questions en litige

[30]      Le rôle de la Cour dans le cas d’un appel d’une décision de la Cour fédérale à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire est de déterminer si le juge a utilisé la norme de contrôle appropriée et s’il a correctement appliqué cette norme aux questions en litige (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47).

[31]      Ainsi, dans le présent appel, dans lequel personne ne conteste le choix de la norme de contrôle par le juge (voir aussi l’arrêt Najafi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262, [2015] 4 R.C.F. 162, au paragraphe 56), les questions en litige sont les suivantes :

i.          L’interprétation de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR faite par le ministre est-elle raisonnable (voir plus particulièrement la question certifiée au paragraphe 4 ci-dessus)?

ii.         La décision sur le fond est-elle raisonnable?

[32]      Dans son mémoire, le ministre a brièvement soulevé un nouvel argument qui n’avait pas été présenté au juge. Il a déclaré que la Cour ne devrait pas se prononcer sur l’appel puisque les questions soulevées devant le délégué du ministre pouvaient être examinées de nouveau lors de l’enquête de la SI. Il est donc prématuré de les examiner maintenant. M. Tran répond que cet argument est surprenant étant donné que le ministre a demandé une audition accélérée de l’appel parce que la décision du juge était source de chaos et de confusion. De plus, M. Tran s’oppose à ce que la Cour tienne compte de ce nouvel argument parce qu’il a déjà engagé des frais juridiques en réponse à l’appel interjeté par le ministre et parce que la SI ne se penchera pas sur la décision de l’ASFC selon laquelle il n’a pas le droit de faire appel (en vertu du paragraphe 64(2) de la LIPR) si elle croit qu’il a été reconnu coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans.

[33]      Le ministre n’a pas insisté sur ce nouvel argument lors de l’audition du présent appel. Il a reconnu qu’il y avait actuellement plusieurs litiges en suspens portant sur les mêmes questions et qu’il serait important que celles-ci soient examinées dès que possible. Je sais qu’il y a au moins une demande de contrôle judiciaire pour laquelle l’audience prévue à la Cour fédérale a été ajournée en attendant la décision de la Cour au sujet des questions certifiées. La Cour a le pouvoir discrétionnaire d’étudier une nouvelle question dans le cadre d’un appel, mais, après mûre réflexion, j’ai conclu que cela ne serait pas approprié dans ce litige un peu exceptionnel.

VI.       Analyse

A.        Interprétation du paragraphe 36(1) de la LIPR

[34]      Le délégué du ministre ne traite pas expressément des arguments juridiques soulevés par M. Tran dans la décision. Selon le ministre, il est implicite que le délégué du ministre a considéré que le dossier de M. Tran était visé par le paragraphe 36(1) de la LIPR pour l’un des motifs suivants :

i.          Au moment de son enquête, l’infraction pour laquelle il avait été reconnu coupable était punissable d’un emprisonnement de plus de 10 ans;

ii.         Il avait été condamné à une peine d’emprisonnement de plus de 6 mois.

[35]      En fait, la décision de l’ASFC de demander des observations additionnelles en raison de l’absence d’appel ne peut que reposer sur le fait que M. Tran avait été condamné à une peine d’emprisonnement d’au moins six mois (article 64 de la LIPR).

B.        Infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans

[36]      Je vais commencer mon analyse en examinant le premier critère énoncé à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. La première question à examiner est de savoir si ce critère est un critère objectif, à savoir : si la peine maximale prévue doit être évaluée simplement selon la loi fédérale qui définit l’infraction, ou s’il s’agit uniquement de la peine maximale pouvant être imposée à la personne (critère subjectif). Autrement dit, la peine maximale prévue à l’alinéa 36(1)a) s’applique-t-elle à l’infraction décrite dans la loi fédérale ou à M. Tran lui-même?

[37]      Les parties acceptent que, si l’interprétation du juge, au paragraphe 19 de ses motifs (selon laquelle l’infraction devait être punissable d’une peine maximale de plus de 10 ans au moment où le verdict de culpabilité a été prononcé à l’encontre de M. Tran), fait référence à la peine maximale prévue par la LRCDAS (critère objectif), alors le dossier de M. Tran est visé par le paragraphe 36(1) puisque, contrairement à ce que dit le juge dans ses motifs, l’infraction était de fait punissable d’une peine de plus de 10 ans le 29 novembre 2012.

[38]      Le ministre soutient que, non seulement ce critère est objectif, mais également que c’est la peine maximale prévue par la loi en vigueur lors de l’enquête qui est pertinente. À cet égard, le ministre s’appuie notamment sur le fait que ce paragraphe a été appliqué dans ses versions précédentes de cette façon depuis au moins 1979 (voir l’arrêt Robertson, cité au paragraphe 54 [des présents motifs]).

[39]      M. Tran fait valoir que, peu importe quel est le moment à prendre en compte pour établir s’il est visé par l’alinéa 36(1)a), c’est-à-dire la date de sa condamnation ou la date de son enquête, l’alinéa 36(1)a) ne s’est en fait jamais appliqué à lui car la cour n’a jamais eu la possibilité de lui imposer une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans ou plus. À son avis, ce critère doit être appliqué en tenant compte de sa situation personnelle, à savoir s’il était « passible » de la peine prévue dans la LRCDAS, au moment soit de sa condamnation ou de son enquête, pour reprendre le mot utilisé par le juge. Ici, en raison de l’application des alinéas 11g) et i) de la Charte, M. Tran n’a jamais été passible d’une peine d’emprisonnement de 10 ans ou plus pour cette infraction.

[40]      En ce qui concerne la version de la loi fédérale qui est généralement pertinente, le cas échéant, M. Tran prétend que l’interprétation adoptée par le délégué du ministre et proposée par le ministre se traduirait par une absurdité. Elle signifierait que tout résident permanent déjà reconnu coupable d’une infraction, peu importe si la condamnation a été prononcée il y a 25 ans ou plus, pourrait être expulsé pour un crime qui n’était pas considéré comme un crime grave lorsqu’il a été commis ou que la condamnation a été prononcée. En outre, il fait valoir que cette interprétation donnerait en fait un effet rétrospectif et rétroactif à la LRCDAS par une application rétroactive de la loi sur l’immigration. Cette façon de faire est contraire à un principe fondamental du droit pénal et viole la présomption contre l’application rétrospective et rétroactive des lois. Selon M. Tran, l’alinéa 36(1)a) augmente la responsabilité ou la peine associée à ses antécédents criminels.

[41]      Le délégué du ministre était clairement en désaccord avec les arguments présentés dans les observations de M. Tran, mais il semble avoir inclus la gravité du crime au moment où il a été commis dans les circonstances ou facteurs pertinents à examiner avant de décider si la question devrait être déférée à la SI.

[42]      Nous ne bénéficions pas d’une analyse téléologique et contextuelle de l’alinéa 36(1)a) faite par le délégué du ministre. M. Tran n’a pas prétendu que ceci représentait une violation de l’équité procédurale; il a plutôt fait valoir que la décision est déraisonnable parce que le délégué du ministre avait incorrectement interprété et appliqué cette disposition.

[43]      L’absence de motifs concernant l’interprétation du paragraphe 36(1) peut expliquer pourquoi le juge a simplement offert sa propre vision de l’interprétation correcte de la disposition pertinente avant de conclure que la décision était déraisonnable. Cependant, même si l’interprétation du juge était correcte, ce n’était pas ce qu’il devait faire. En effet, le juge devait déterminer si l’interprétation retenue par le décideur faisait partie de la gamme des interprétations justifiables au regard des faits et du droit.

[44]      Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 48, la Cour suprême du Canada déclare qu’une cour doit porter attention « “[…] aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision” » (soulignement ajouté). Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S.708, au paragraphe 12, en l’absence de motifs fournis par le décideur initial, la juge Abella, s’exprimant pour la Cour, a conclu qu’une cour de justice qui révise une décision administrative doit d’abord chercher à compléter les motifs avant de tenter de les contrecarrer. Ainsi, je comprends que la Cour suprême du Canada affirme que la retenue due à l’égard d’un tribunal ne disparaît pas parce que sa décision sur une question est implicite.

[45]      Dans un litige comme celui-ci, où il n’est pas évident qu’une seule interprétation est justifiable, il est plutôt difficile de faire ce que la Cour suprême du Canada nous demande en raison du nombre d’hypothèses interprétatives et de principes pouvant être examinés et appliqués. Quelques directives supplémentaires sur le sujet seraient certainement bien accueillies, compte tenu notamment du fait que le poids relatif à accorder aux différentes présomptions et aux différents outils d’interprétation n’a jamais été clairement traité par la Cour suprême du Canada.

[46]      La Cour suprême du Canada nous a tout récemment rappelé ce qui suit (Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, [2015] 3 R.C.S. 300, au paragraphe 18) :

Pour juger du caractère raisonnable de l’interprétation d’un décideur administratif, la règle moderne d’interprétation des lois formulée par Driedger apporte un éclairage utile dans l’évaluation :

[traduction]

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87)

[47]      Par conséquent, je vais d’abord examiner l’objectif de la LIPR et de l’article 36. Dans l’arrêt Medovarski, au paragraphe 10, la Cour suprême du Canada en fait la description suivante :

Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada. […] Considérés collectivement, les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi.

[48]      Lorsqu’on examine le libellé de l’alinéa 36(1)a), on constate qu’il contient deux critères distincts. Il s’agit de la seule disposition de ce genre au paragraphe 36(1) de la LIPR. Selon mon interprétation de cet alinéa, le mot « punissable », tant en français qu’en anglais, se rapporte à l’infraction à la loi fédérale et non à la peine qui pourrait en fait être imposée au contrevenant. Le libellé ne suggère pas que c’est le contrevenant concerné qui doit être passible de la peine maximale mentionnée. Ainsi, le sens littéral des mots tels que lus dans le contexte du paragraphe semble confirmer l’interprétation retenue par le délégué du ministre.

[49]      J’examine maintenant le contexte immédiat et je remarque que l’expression « une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans » est également utilisée dans les alinéas traitant de la grande criminalité commise à l’étranger et qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans (alinéas 36(1)b) et c)). En ce qui concerne les infractions commises à l’étranger, il est clair qu’il s’agit d’un critère objectif. Ceci est encore plus clair si l’on considère qu’un étranger n’aurait même pas à être déclaré coupable, au Canada ou à l’étranger, pour être considéré interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(1)c).

[50]      Le paragraphe 36(2) (voir l’annexe A) traite des autres actes criminels qui entraînent l’interdiction de territoire. Il est pertinent à la présente analyse puisque sa formulation est semblable à celle de l’alinéa 36(1)a). En fait, l’alinéa 36(2)a) définit la criminalité comme le fait d’« être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits » (soulignement ajouté). Ici encore, cette criminalité peut s’entendre d’infractions commises tant au Canada qu’à l’extérieur du Canada — alinéas 36(2)b), c) et d). Il est très clair que le critère énoncé au paragraphe 36(2) est un critère objectif lorsque l’on examine l’alinéa 36(3)a) de la LIPR (voir l’annexe A), qui énonce qu’aux fins de l’application du paragraphe 36(2), l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu.

[51]      À la présente étape de mon analyse, je conclus que l’interprétation retenue par le délégué du ministre (critère objectif) semble être raisonnable. J’en viens maintenant à la question de savoir si l’interprétation du délégué du ministre, selon laquelle l’admissibilité de M. Tran devait être évaluée en fonction de la loi en vigueur au moment de son enquête, est raisonnable.

[52]      Je suis d’accord avec le juge que le libellé de l’alinéa 36(1)a) peut appuyer l’interprétation selon laquelle le moment à prendre en compte pour déterminer si une infraction à une loi fédérale est punissable de l’emprisonnement maximal prévu à l’alinéa 36(1)a) est le moment de la déclaration de culpabilité. Cependant, la formulation à cet égard n’est pas aussi claire que le juge semble l’avoir pensé.

[53]      Le ministre soutient que, si l’on examine le libellé de l’alinéa 36(1)a) dans son contexte, notamment son objectif législatif et le libellé de l’article 33 de la LIPR (voir l’annexe A), l’interprétation retenue par le décideur est raisonnable. Il remarque que, dans la décision Edmond c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 674, la juge Tremblay-Lamer de la Cour fédérale est arrivée à cette conclusion après avoir interprété l’alinéa 36(1)c) de la LIPR suivant le principe moderne d’interprétation des lois de Driedger. Le ministre ajoute que, même avant l’adoption de la LIPR, les versions précédentes des dispositions traitant de l’interdiction de territoire pour une infraction commise à l’extérieur du Canada étaient systématiquement interprétées comme exigeant que l’on envisage la sanction législative prévue pour l’infraction à la date de l’enquête ou à la date de la mesure d’expulsion (voir les décisions Ward c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 CanLII 3948 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 16 à 18; et Weso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1945 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 7 et 8).

[54]      Je reconnais qu’il est logique d’interpréter l’alinéa 36(1)a) de la même manière que les alinéas 36(1)b) ou c). En fait, dans l’arrêt Robertson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] 1 C.F. 197 (C.A.) (Robertson), le vol de biens d’une valeur de 50 $ était punissable d’une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement lorsque M. Robertson a été reconnu coupable, mais on a considéré qu’il ne méritait pas cette peine au moment de son enquête. Il s’agit clairement du revers de l’argument et de l’exemple soumis par M. Tran, et d’un argument certainement aussi puissant que celui qu’il soulève maintenant, c’est-à-dire qu’une personne aurait pu être condamnée il y a 25 ans pour un crime qui n’était pas considéré comme un crime grave à ce moment, mais qui l’est maintenant.

[55]      Cependant, pour donner effet aux deux faces de cet argument, il faudrait adopter une interprétation qui donnerait effet en fin de compte à l’alinéa 11i) de la Charte. Cet alinéa ne s’applique pas dans le contexte actuel, car la procédure devant le délégué du ministre n’est ni criminelle ni pénale.

[56]      En outre, il est important de tenir compte du fait que, comme le réaffirme l’arrêt Medovarski, au paragraphe 46, le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non-citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada (Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733).

[57]      L’objectif législatif ici n’est pas de punir un délinquant ou d’être injuste à son égard, mais plutôt de déterminer si une personne doit obtenir le privilège de demeurer au Canada. L’interprétation retenue par le délégué du ministre est, par conséquent, compatible avec l’objectif législatif de la disposition examinée.

[58]      Je suis d’accord avec les commentaires du juge Russell dans la décision Sanchez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 913, au paragraphe 60, confirmée par l’arrêt Sanchez, précité, que « [c]’est au Canada de décider de ceux qu’il juge indésirables, et le point de vue du Canada à cet égard peut évoluer dans le temps quand le Parlement modifie sa façon de percevoir des crimes particuliers. Un crime jugé auparavant avec plus d’indulgence pourra sembler beaucoup plus menaçant et répugnant au fil du temps et des gouvernements ». Ces observations, quoiqu’elles aient été exprimées dans un contexte différent, sont pertinentes ici. À moins que le législateur ne mentionne clairement le contraire, l’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 36(1) doit logiquement être évaluée en fonction des perceptions prépondérantes au Canada à l’égard de la gravité de l’infraction visée.

[59]      Comme l’a mentionné le ministre lors de l’audience, il y a peu de doute que, si une infraction était peu importante au moment où une personne l’a commise au Canada, supposons il y a 25 ans comme le propose M. Tran, et que cette personne n’a commis aucune autre infraction depuis ce temps, il y aura probablement des raisons contraignantes de ne pas déférer le dossier devant la SI.

[60]      Compte tenu de ce qui précède, et bien que l’on pourrait vraisemblablement trouver d’autres interprétations justifiables, je ne peux conclure que l’interprétation retenue par le délégué du ministre est déraisonnable. Par conséquent, la réponse à la deuxième question certifiée est la suivante :

L’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans » à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR peut raisonnablement être interprétée comme désignant la peine maximale d’emprisonnement en vertu de la loi en vigueur au moment de l’enquête.

C.        Signification du terme « emprisonnement » à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR

[61]      Je vais maintenant examiner le second critère figurant à l’alinéa 36(1)a), qui traite de la sentence réelle imposée par un juge à un contrevenant qui est un résident permanent ou un étranger. Il s’agit de la question que M. Tran considère la plus importante dans le présent appel, car elle pourra aussi déterminer s’il aura le droit d’interjeter appel à la Section d’appel de l’immigration (SAI) en vertu de l’article 63 de la LIPR (voir l’annexe A). Dans le cadre d’un tel recours, M. Tran aurait droit à ce que son dossier soit examiné par la SAI pour des motifs d’ordre humanitaire avant qu’une mesure de renvoi puisse être exécutée.

[62]      Il n’est pas nécessaire de répéter ce que j’ai déjà déclaré à l’égard des objectifs législatifs de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR (voir le paragraphe 47 ci-dessus). Je remarque toutefois que, dans l’arrêt Medovarski, la Cour suprême du Canada a aussi examiné l’objectif de l’adoption de l’article 64. La Cour suprême a conclu que l’objectif du législateur était de renvoyer diligemment du pays les personnes qui se livrent à la grande criminalité (arrêt Medovarski, aux paragraphes 12 et 13).

[63]      Lorsque la LIPR a été adoptée en 2002, le terme « emprisonnement » était utilisé dans trois dispositions particulières, à savoir les articles 36 et 50 et le paragraphe 64(2).

[64]      Bien que pour le profane, une peine d’emprisonnement signifie généralement une période passée en prison ou en incarcération, cette notion a un sens plus large lorsqu’elle est utilisée dans le contexte de la détermination d’une peine pouvant être imposée pour une infraction criminelle en vertu d’une loi fédérale.

[65]      Il est manifeste qu’en vertu de l’article 742.1 du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] (voir l’annexe A), et sous réserve des diverses exceptions ajoutées en 2007 [art. 742.1 (mod. par L.C. 2007, ch. 12, art. 1)] et en 2012 [art. 742.1 (mod. par L.C. 2012, ch. 1, art. 34)], une peine d’emprisonnement de moins de deux ans peut être purgée dans la collectivité plutôt qu’en prison. Il est entendu qu’en cas de manquement aux conditions imposées par le juge, le contrevenant peut devoir purger le reste de sa peine en prison.

[66]      Dans une série d’arrêts (Proulx, précité; R. c. Wu, 2003 CSC 73, [2003] 3 R.C.S. 530; R. c. Fice, 2005 CSC 32, [2005] 1 R.C.S. 742; Middleton, précité), la Cour suprême du Canada exprime clairement l’opinion que même si la notion d’« emprisonnement » comprendra généralement les peines d’emprisonnement avec sursis dans le cas des condamnations en vertu du Code criminel, il peut y avoir des cas dans lesquels le principe moderne d’interprétation des lois de Driedger exigera que cette notion soit limitée à une période de détention en prison.

[67]      Toutefois, comme l’a souligné le ministre, dans l’arrêt Middleton, tant le juge Fish s’exprimant pour la majorité (paragraphes 10 et 11) que le juge Binnie dans ses motifs concordants (paragraphe 57) a reconnu que la règle générale s’applique sauf si le législateur indique clairement le contraire. Dans cet arrêt, le juge Fish a déclaré que l’examen du libellé même, qui mentionne expressément le mot « prison », justifie de conclure que la peine avec sursis n’est pas un « emprisonnement » au sens du paragraphe 732(1) du Code criminel.

[68]      M. Tran fait valoir, et le juge est d’accord, que, dans le cas présent, considérant l’objectif particulier de l’alinéa 36(1)a), à savoir l’interdiction de territoire en raison de grande criminalité par opposition aux autres types de criminalité (paragraphe 36(2)), l’expression doit être interprétée comme désignant les peines à purger en prison.

[69]      Pendant l’audience, et dans les brèves observations écrites soumises par la suite, il est devenu évident que, selon M. Tran, la règle de droit a vocation permanente (article 10 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21) (voir l’annexe A). Ainsi, même s’il avait été plausible (bien que cela eut constitué selon lui une interprétation erronée) d’inclure une peine d’emprisonnement avec sursis dans le champ d’application de l’alinéa 36(1)a) en 2002 au moment de l’adoption de la LIPR, ceci n’est plus possible aujourd’hui. En effet, à son avis, lorsque l’on examine les modifications qui ont été apportées aux articles 742.1 à 742.7 du Code criminel en 2007 et 2012 et qui limitent maintenant clairement la capacité des juges d’imposer des peines avec sursis pour des infractions moins graves qu’au moment du prononcé des arrêts Proulx et Middleton et de l’adoption de la LIPR, et cela uniquement dans les cas où le juge qui prononce la peine est convaincu que le contrevenant ne met pas en danger la collectivité, il serait contraire à l’objectif législatif de la disposition et du paragraphe 64(2) de les appliquer à l’emprisonnement avec sursis.

[70]      Cependant, comme nous le verrons, la gravité d’un crime ou d’une infraction est une question d’opinion.

[71]      En fait, le juge qui a imposé la peine dans la présente affaire s’est appuyé sur la jurisprudence touchant des infractions semblables et il a déclaré, au paragraphe 31 de ses motifs (dossier d’appel, vol. 2, onglet 61, page 365) :

[traduction] Les personnes intelligentes et informées sont en désaccord sur la gravité de ces infractions, et elles en ont le droit. Évidemment, la situation est plus difficile lorsque les fonctionnaires judiciaires qui appartiennent à des niveaux hiérarchiques plus élevés que la Cour sont en désaccord, et ils l’ont été au fil des ans.

[72]      Par ailleurs, affirmer qu’une peine d’emprisonnement avec sursis est plus clémente qu’une peine semblable purgée en prison et est réservée aux infractions moins graves ne veut pas nécessairement dire que le législateur ne considère pas ces infractions comme suffisamment graves pour être visées par l’alinéa 36(1)a). Il existe toujours une importante marge entre les infractions décrites au paragraphe 36(2), qui incluent même des infractions commises en vertu de la LIPR, et celles pour lesquelles un emprisonnement avec sursis peut maintenant être imposé.

[73]      Les parties ont reconnu que l’évolution législative de l’alinéa 36(1)a) n’est pas spécialement utile dans le cade de la prise d’une décision à l’égard de la question examinée. Toutefois, l’évolution législative de l’article 50 de la LIPR apporte quelques éclaircissements, et en général, on suppose que le législateur voulait que les mêmes mots aient la même signification dans tous les articles où ils sont utilisés. Avant l’adoption de la LIPR, l’article 50 était formulé comme suit [Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2] :

50 […]

Sursis dans le cas des détenus

(2) L’incarcération de l’intéressé dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction, antérieurement à la prise de la mesure de renvoi ou à son exécution, suspend l’exécution de celle-ci jusqu’à l’expiration de la peine, compte tenu des réductions légales de peine et des mesures de clémence.

[74]      Il est maintenant formulé comme suit :

Sursis

50 Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

[…]

b) tant que n’est pas purgée la peine d’emprisonnement infligée au Canada à l’étranger.

[75]      On présume généralement que, lorsque le législateur modifie une disposition à ce point, il a l’intention d’en changer la portée. L’article 50 de la LIPR est appliqué aux peines d’emprisonnement avec sursis par l’ASFC, qui n’exécutera pas une mesure de renvoi tant que le contrevenant n’a pas fini de purger sa peine d’emprisonnement avec sursis dans la collectivité. Ceci est établi au chapitre ENF 10 « Renvois » du Guide opérationnel : Exécution de la loi (ENF) (Guide d’exécution de la loi), qui traite des renvois (recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 114). Comme on le mentionne à la page 32 du chapitre ENF 10 du Guide d’exécution de la loi, cette interprétation a été adoptée après des recherches approfondies et des consultations assidues auprès de l’ASFC et des services juridiques de CIC.

[76]      Bien que le Guide d’exécution de la loi de CIC et les avis exprimés par la Section du droit de l’immigration de l’Association du Barreau canadien, dont je parlerai plus tard, n’ont que peu de poids, ils suggèrent tout de même que l’interprétation du délégué du ministre est à tout le moins plausible après examen approfondi par des spécialistes du domaine.

[77]      On a insisté sur le fait que, dans l’arrêt Medovarski, la Cour utilise le terme « peine d’emprisonnement » lorsqu’elle examine les paragraphes 64(2) et 36(1).

[78]      Je constate que ce qui était en cause dans cette affaire n’a jamais été le sens des mots « peine d’emprisonnement », mais plutôt la disposition transitoire applicable au paragraphe 64(2) de la LIPR. À cette époque, le paragraphe 64(2) s’appliquait uniquement dans les cas où une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus avait été imposée. Ainsi, en réalité, il ne pouvait s’appliquer qu’aux peines de prison parce que les peines d’emprisonnement de deux ans ou plus ne pouvaient pas, et ne peuvent toujours pas, être purgées dans la collectivité.

[79]      Il est intéressant de souligner que, dans l’arrêt Medovarski, la Cour a examiné un argument pratique soumis par Mme Medovarski, car celui-ci peut être pertinent pour déterminer si la disposition telle qu’interprétée par le délégué du ministre aurait le « résultat » désastreux mentionné par M. Tran. Aux paragraphes 40 et 41 de l’arrêt Medovarski, la Cour s’est penchée sur l’argument selon lequel, en pratique, des demandeurs et des résidents permanents qui souhaiteraient éviter de perdre leur droit d’appel en raison d’une interdiction de territoire pour grande criminalité, ont demandé au juge qui imposait la peine d’examiner l’effet de l’article 64 avant de prendre leur décision. Ceci signifie que des résidents permanents et des étrangers qui veulent éviter les conséquences de l’article 64 peuvent convaincre un tribunal de les condamner à une peine de prison plus courte, plutôt qu’à un emprisonnement avec sursis de six mois ou plus, afin d’éviter les conséquences d’une telle sentence sur leur admissibilité et leur droit d’appel. La Cour a reconnu que les résidents permanents et les étrangers condamnés avant l’entrée en vigueur de la disposition n’auraient pas eu la possibilité de faire de telles observations. Toutefois, la Cour a décrit cette situation comme étant « évidente » et a déclaré que le législateur avait choisi de ne pas en tenir compte.

[80]      Cela étant dit, je reviens à l’interprétation de l’article en tenant compte du contexte. Comme je l’ai mentionné précédemment, on a modifié l’article 64 en 2013 afin de réduire la peine d’emprisonnement prévue à six mois ou plus. Le fait qu’il s’applique aux délinquants condamnés à purger leur peine d’emprisonnement dans la collectivité a été expressément soulevé par la Section nationale du droit de l’immigration de l’Association du Barreau canadien, qui a recommandé que la modification apportée au paragraphe 64(2) précise qu’une peine d’emprisonnement excluait l’emprisonnement avec sursis de la durée prévue par cette disposition.

[81]      En l’espèce, l’historique législatif m’est particulièrement utile au moment d’examiner ce que je considère être l’argument le plus sérieux contre l’interprétation retenue par le délégué du ministre : les conséquences contradictoires, voire l’absurdité découlant du fait de considérer que la LIPR traite plus sévèrement une peine de sept mois de prison avec sursis qu’une incarcération de cinq mois.

[82]      Le ministre a regroupé plusieurs extraits de l’historique législatif, affirmant qu’il est tout à fait instructif en l’espèce. Je rappelle d’abord que le juge Binnie, s’exprimant pour la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada 3000 Inc., Re; Inter-Canadian (1991) Inc. (Syndic de), 2006 CSC 24, [2006] 1 R.C.S. 865, au paragraphe 57, remarque ce qui suit :

Bien que sa valeur probante soit restreinte, la transcription des débats parlementaires peut servir à déterminer le contexte et l’objet d’un texte législatif; […]. En l’espèce, elle confirme l’intention évidente du législateur d’exclure la responsabilité personnelle des propriétaires en titre à l’égard des redevances pour la navigation aérienne. L’historique législatif et la LCSNAC elle-même montrent clairement que le législateur ne voulait pas que cette Loi remplace ou écarte le cadre réglementaire en place […]

[83]      Dans ce cas, les références utilisées par le juge Binnie semblaient être tout à fait convaincantes quant à la signification de certains termes de la disposition examinée. Je suis d’avis que c’est aussi le cas en l’espèce.

[84]      Selon l’honorable Jason Kenney, à l’époque ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme, l’objectif de la réduction du seuil interdisant la possibilité d’un appel à la SAI était d’empêcher les personnes reconnues coupables de crimes graves d’utiliser abusivement le système en retardant leur renvoi pendant des années (Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 41e lég., 1re sess., no 54, 24 octobre 2012, aux pages 2 et 4 (recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 118)). Pendant les travaux de la Chambre des communes et du Sénat, ainsi que du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration et du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, des débats ont porté sur la définition de « grande criminalité » et sur la question de savoir si le fait de l’associer à des crimes passibles d’une peine de plus de six mois était une mesure appropriée (voir, par exemple, Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., no 199 (29 janvier 2013), à la page 13369 (Mylène Freeman — Argenteuil — Papineau — Mirabel, NPD), aux pages 13369 et 13370 (Ted Opitz — Etobicoke-Centre, PCC), à la page 13375 (John Weston — West Vancouver — Sunshine Coast — Sea to Sky Country, PCC) (recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 123); Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie, Témoignages, 41e lég., 1re sess., fascicule no 38 (1er et 2 mai 2013), aux pages 38:13, 38:14 et 38:52 (sénateur Art Eggleton), à la page 38:46 (Julie Taub, avocate spécialisée en droit de l’immigration et des réfugiés) (recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 126)).

[85]      Plusieurs participants ont fait remarquer que les peines d’emprisonnement avec sursis étaient visées par la disposition telle que rédigée, et ils ont souligné l’injustice possible associée au fait que les personnes ayant été condamnées à un emprisonnement de plus de six mois avec sursis perdaient le droit d’appel, contrairement à celles qui avaient reçu des peines d’emprisonnement de plus courte durée, même si ces mesures punitives sont considérées comme équivalentes ou plus sévères : voir, par exemple, Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 41e lég., 1re sess., no 62 (21 novembre 2012), à la page 2 (Ahmed Hussen — président national, Congrès canadien somalien) (recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 121); Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, 41 lég., 1re sess., no 38 (1er et 2 mai 2013), à la page 38:44 (Gordon Maynard — ancien président, Section nationale du droit de l’immigration de l’Association du Barreau canadien) (recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 126); no 39 (8 et 9 mai 2013), à la page 39:20 (sénateur Art Eggleton) (recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 127). À l’issue de plusieurs discussions, trois motions différentes ont été soumises en vue d'exclure expressément de cette disposition les peines avec sursis, motions qui ont toutes été rejetées : Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 41e lég., 1re sess., no 64 (28 novembre 2012), aux pages 2 et 4 (Jinny Jogindera Sims — Newton — Delta-Nord, NPD), aux pages 4 et 7 (Kevin Lamoureux — Winnipeg-Nord, Lib.) (recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 122); Débats du Sénat, 41e lég., 1re sess., no 168 (30 mai 2013), aux pages 4081 et 4082 (sénateur Art Eggleton) (recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 128).

[86]      L’opinion selon laquelle le législateur considère toujours que les peines d’emprisonnement de plus de six mois purgées dans la collectivité sont suffisamment graves pour justifier la perte du droit d’interjeter appel d’une décision d’interdiction de territoire était certainement confirmée par l’historique législatif au moment où le paragraphe 64(2) a été modifié en 2013, prétendument pour l’harmoniser avec l’alinéa 36(1)a). Bien que l’on accorde généralement moins de poids à ces outils d’interprétation qu’à d’autres, je ne peux tout simplement pas conclure que l’interprétation du délégué du ministre, qui semble être appuyée par l’historique législatif, devrait être jugée déraisonnable parce qu’elle entraîne des conséquences contradictoires qui pourraient être considérées absurdes. Ces contradictions ont été clairement décrites et examinées avant l’adoption du paragraphe 64(2), et aucun changement n’a été apporté afin de les exclure.

[87]      Dans ces circonstances, en tenant compte des enseignements actuels de la Cour suprême du Canada, et même s’il peut clairement y avoir d’autres interprétations justifiables, je ne peux conclure que l’interprétation retenue par le délégué du ministre en l’espèce est déraisonnable. Évidemment, la retenue due à l’égard des décideurs administratifs vise en partie à leur accorder la souplesse dont ils ont besoin pour s’adapter aux nouveaux arguments et aux nouvelles circonstances. La SI et la SAI sont donc évidemment libres d’adopter une autre interprétation si elles croient que c’est ce qu’elles doivent faire en réponse aux conséquences contradictoires décrites ci-dessus. Cependant, il faudrait probablement l’appliquer aux trois dispositions de la LIPR dans lesquelles le terme « emprisonnement » est utilisé.

[88]      Ainsi, je propose de répondre à la première question certifiée comme suit :

Une peine d’emprisonnement avec sursis imposée aux termes du régime défini aux articles 742 à 742.7 du Code criminel peut raisonnablement être interprétée comme étant un emprisonnement au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

D.        La décision de déférer le dossier est-elle raisonnable?

[89]      Le juge semble penser que l’agent a traité les arrestations, les accusations et les rapports de police comme des preuves d’un comportement criminel parce qu’il a conclu que M. Tran récidiverait probablement puisque c’est ce qu’il avait fait dans le passé. Le juge a souligné que ces accusations et arrestations ne constituent pas des preuves d’une conduite criminelle.

[90]      À mon avis, il est évident que l’agent était parfaitement capable d’établir une distinction entre les arrestations, les accusations suspendues et les condamnations criminelles. Il le mentionne dans son rapport. Il a simplement pensé qu’il pouvait tenir compte de ces renseignements et de l’information contenue dans les rapports de police dans son évaluation générale du comportement de M. Tran et de ses possibilités de réadaptation.

[91]      Je suis d’accord avec l’agent lorsqu’il affirme avoir le droit de tenir compte de ces renseignements au moment d’examiner certaines déclarations faites par M. Tran, notamment que son comportement avait été sans incident pendant une longue période avant les deux déclarations de culpabilité, et de la question de savoir s’il assumait l’entière responsabilité de son comportement antérieur. Il a également mis en contexte la période de temps relativement brève écoulée depuis sa dernière condamnation.

[92]      Quant à l’utilisation des mots [traduction] « récidivera probablement étant donné que c’est ce qu’il a fait auparavant », il faut lire ces mots en fonction du contexte. M. Tran avait déjà reçu deux déclarations de culpabilité et, comme il a été mentionné précédemment, l’agent a reconnu qu’il y avait une différence entre une arrestation et une condamnation.

[93]      Bien qu’il n’y a aucun doute que toute l’information contenue dans les rapports de police ne doit pas être considérée comme des preuves crédibles simplement parce qu’elle figure dans des rapports de police, j’ai pris connaissance des rapports qui étaient à la disposition de l’agent, et ceux-ci contiennent des renseignements crédibles à l’égard du comportement de M. Tran, notamment sa consommation d’alcool et l’incidence de celle-ci sur son comportement. Clairement, il aurait été préférable que l’agent précise quels renseignements contenus dans les rapports de police ont réellement été jugés fiables et importants dans son évaluation. Cependant, je ne suis pas convaincue qu’en l’espèce, cette omission justifie l’annulation de la décision.

[94]      Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le juge n’a pas appliqué correctement le critère de contrôle applicable à la conclusion générale du délégué du ministre. La décision de déférer le dossier de M. Tran à la SI fait partie de l’éventail des décisions pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[95]      Compte tenu de ce qui précède, je propose d’accueillir l’appel.

Le juge Ryer, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.

ANNEXE A

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]

Affaires criminelles et pénales

11. Tout inculpé a le droit :

[…]

g) de ne pas être déclaré coupable en raison d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d’après le droit interne du Canada ou le droit international et n’avait pas de caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations;

[…]

i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6

Article premier

Définition du Terme « Réfugié »

[…]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[…]

b)   qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46

Condamnations à l’emprisonnement avec sursis

[…]

Octroi du sursis

742.1 Le tribunal peut ordonner à toute personne qui a été déclarée coupable d’une infraction de purger sa peine dans la collectivité afin que sa conduite puisse être surveillée — sous réserve des conditions qui lui sont imposées en application de l’article 742.3 —, si elle a été condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans et si les conditions suivantes sont réunies :

a) le tribunal est convaincu que la mesure ne met pas en danger la sécurité de la collectivité et est conforme à l’objectif essentiel et aux principes énoncés aux articles 718 à 718.2;

b) aucune peine minimale d’emprisonnement n’est prévue pour l’infraction;

c) il ne s’agit pas d’une infraction poursuivie par mise en accusation et passible d’une peine maximale d’emprisonnement de quatorze ans ou d’emprisonnement à perpétuité;

d) il ne s’agit pas d’une infraction de terrorisme ni d’une infraction d’organisation criminelle poursuivies par mise en accusation et passibles d’une peine maximale d’emprisonnement de dix ans ou plus;

e) il ne s’agit pas d’une infraction poursuivie par mise en accusation et passible d’une peine maximale d’emprisonnement de dix ans, et, selon le cas :

(i) dont la perpétration entraîne des lésions corporelles,

(ii) qui met en cause l’importation, l’exportation, le trafic ou la production de drogues,

(iii) qui met en cause l’usage d’une arme;

f) il ne s’agit pas d’une infraction prévue à l’une ou l’autre des dispositions ci-après et poursuivie par mise en accusation :

(i) l’article 144 (bris de prison),

(ii) l’article 264 (harcèlement criminel),

(iii) l’article 271 (agression sexuelle),

(iv) l’article 279 (enlèvement),

(v) l’article 279.02 (traite de personnes : tirer un avantage matériel),

(vi) l’article 281 (enlèvement d’une personne âgée de moins de quatorze ans),

(vii) l’article 333.1 (vol d’un véhicule à moteur),

(viii) l’alinéa 334a) (vol de plus de 5 000 $),

(ix) l’alinéa 348(1)e) (introduction par effraction dans un dessein criminel : endroit autre qu’une maison d’habitation),

(x) l’article 349 (présence illégale dans une maison d’habitation),

(xi) l’article 435 (incendie criminel : intention frauduleuse).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

[…]

Interprétation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[…]

Grande criminalité

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

Criminalité

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

d) commettre, à son entrée au Canada, une infraction qui constitue une infraction à une loi fédérale précisée par règlement.

Application

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

a) l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

b) la déclaration de culpabilité n’emporte pas interdiction de territoire en cas de verdict d’acquittement rendu en dernier ressort ou en cas de suspension du casier — sauf cas de révocation ou de nullité — au titre de la Loi sur le casier judiciaire;

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui, à l’expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

d) la preuve du fait visé à l’alinéa (1)c) est, s’agissant du résident permanent, fondée sur la prépondérance des probabilités;

e) l’interdiction de territoire ne peut être fondée sur les infractions suivantes :

(i) celles qui sont qualifiées de contraventions en vertu de la Loi sur les contraventions,

(ii) celles dont le résident permanent ou l’étranger est déclaré coupable sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants, chapitre Y-1 des Lois révisées du Canada (1985),

(iii) celles pour lesquelles le résident permanent ou l’étranger a reçu une peine spécifique en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

[…]

Rapport d’interdiction de territoire

44 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

Suivi

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

[…]

Sursis

50 Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

a) une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution, le ministre ayant toutefois le droit de présenter ses observations à l’instance;

b) tant que n’est pas purgée la peine d’emprisonnement infligée au Canada à l’étranger;

c) pour la durée prévue par la Section d’appel de l’immigration ou toute autre juridiction compétente;

d) pour la durée du sursis découlant du paragraphe 114(1);

e) pour la durée prévue par le ministre.

[…]

Droit d’appel : visa

63 (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

Droit d’appel : mesure de renvoi

(2) Le titulaire d’un visa de résident permanent peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise en vertu du paragraphe 44(2) ou prise à l’enquête.

Droit d’appel : mesure de renvoi

(3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise en vertu du paragraphe 44(2) ou prise à l’enquête.

Droit d’appel : obligation de résidence

(4) Le résident permanent peut interjeter appel de la décision rendue hors du Canada sur l’obligation de résidence.

Droit d’appel du ministre

(5) Le ministre peut interjeter appel de la décision de la Section de l’immigration rendue dans le cadre de l’enquête.

[…]

Restriction du droit d’appel

64 (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

Grande criminalité

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise, d’une part, l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins six mois et, d’autre part, les faits visés aux alinéas 36(1)b) et c).

Fausses déclarations

(3) N’est pas susceptible d’appel au titre du paragraphe 63(1) le refus fondé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, sauf si l’étranger en cause est l’époux ou le conjoint de fait du répondant ou son enfant.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21

Principe général

10 La règle de droit a vocation permanente; exprimée dans un texte au présent intemporel, elle s’applique à la situation du moment de façon que le texte produise ses effets selon son esprit, son sens et son objet.

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