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IMM-5626-13

2014 CF 258

Tong Sang Lai (demandeur)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeur)

Répertorié : Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour fédérale, juge Hughes—Vancouver, 13 mars; Toronto, 17 mars 2014.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de l’immigration (le Tribunal) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada par application de l’art. 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — Le Tribunal a conclu que le demandeur, un citoyen portugais de Macao et un résident permanent du Canada, était membre d’une organisation à Macao et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il s’était livré, entre autres, à des activités faisant partie d’un plan d’activités en vue de la perpétration d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction punissable par mise en accusation — Il s’agissait de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que les activités des personnes de l’organisation en question constituaient des infractions suivant les lois de Macao; si le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a appliqué une norme de preuve erronée pour déterminer que le demandeur était un membre de ladite organisation — Bien que le Tribunal soit effectivement tenu de prendre en considération l’équivalence entre le droit applicable dans le pays étranger et les lois applicables au Canada, il ne faut pas demander un avis d’expert dans toutes les situations — Il existe en l’espèce une preuve abondante selon laquelle les triades à Macao se sont livrées à diverses activités que tout pays civilisé trouverait illégales et criminelles — Plutôt que d’exiger une véritable preuve que la personne est membre d’une organisation, l’art. 37(1)a) de la LIPR exige uniquement des motifs raisonnables de croire que la personne en est membre — Le Tribunal a bien apprécié les principes juridiques applicables et sa décision était raisonnable, vu le dossier — Question certifiée — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire par laquelle la Section de l’immigration (le Tribunal) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

Le Tribunal a conclu que le demandeur, un citoyen portugais de Macao et un résident permanent du Canada, était membre d’une organisation appelée le Shui Fong à Macao et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il s’était livré à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

Il s’agissait principalement de savoir 1) si le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que les activités des personnes de l’organisation en question constituaient des infractions suivant les lois de Macao et 2) si le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a appliqué une norme de preuve erronée pour déterminer que le demandeur était un « membre » d’une organisation.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Le Tribunal est effectivement tenu de prendre en considération l’équivalence entre le droit applicable dans le pays étranger où l’infraction reprochée a été commise et les lois applicables au Canada. Toutefois, il ne faut pas demander un avis d’expert dans toutes les situations comportant l’examen d’un critère d’équivalence. Lorsque les infractions reprochées sont d’une gravité telle que, peu importe le pays, la plupart des nations civilisées auraient des lois pour condamner la conduite ainsi prohibée, il serait ridicule de s’attendre à ce qu’une preuve d’expert s’impose dans un tel cas. L’examen du dossier présenté au Tribunal a révélé une preuve abondante selon laquelle les triades à Macao se sont livrées à diverses activités que tout pays civilisé trouverait illégales et criminelles. Une analyse distincte était donc inutile. De plus, selon la preuve, le demandeur était directement désigné comme étant l’un des principaux membres des triades en question. Le demandeur n’a présenté aucune preuve convaincante pour la réfuter. Vu l’abondance d’éléments de preuve présentés contre le demandeur et vu que celui-ci n’a pratiquement rien produit pour appuyer sa thèse, l’issue était non seulement prévisible, mais inévitable.

Plutôt que d’exiger une véritable preuve que la personne est membre d’une organisation, l’alinéa 37(1)a) de la LIPR exige uniquement des motifs raisonnables de croire que la personne en est membre. L’appartenance à une organisation repose essentiellement sur une appréciation des faits. En l’espèce, le commissaire disposait d’une preuve abondante au dossier. Compte tenu de la décision et du résultat dans son ensemble, lorsqu’on se fonde sur la preuve abondante au dossier présenté au Tribunal, celui-ci a bien apprécié les principes juridiques applicables et sa décision était raisonnable, vu le dossier.

Une question quant au type de preuve requis en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR a été certifiée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)c.2).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)i), 33, 37, 40(1)a), 44, 45.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Yuen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16698 (C.A.F.); Park c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 782; Xiao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 195, [2009] 4 R.C.F. 510 (sub nom. Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)); Brannson c. Le ministère de l’Emploi et de l’Immigration, [1981] 2 C.F. 141 (C.A.); Victor c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 979; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Chung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 16; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Castelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 788, [2009] 2 R.C.F. 327; Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198.

demande de contrôle judiciaire par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Peter A. Chapman pour le demandeur.

Keith Reimer pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 

Chen & Leung, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Hughes : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 12 août 2013 par laquelle un commissaire de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a déterminé que le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (la LIPR).

[2]        Le demandeur est un citoyen portugais adulte de Macao. Il a obtenu le droit d’établissement au Canada en qualité de résident permanent le 28 octobre 1996. Il n’a pas acquis la citoyenneté canadienne.

[3]        L’audience relative à la présente affaire s’est déroulée sur trois jours. Plusieurs témoins ont été cités et une abondante preuve documentaire a été versée au dossier. Le demandeur n’a pas témoigné.

[4]        Le commissaire a étudié l’affaire pendant plusieurs mois; le 12 août 2013, il a publié la décision en cause, dans laquelle il concluait que le demandeur était membre d’une organisation appelée le Shui Fong à Macao et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il s’est livré à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation. Par conséquent, il a été interdit de territoire en application de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Le commissaire a également conclu que le demandeur n’avait pas fait une présentation erronée, selon les termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Cet aspect n’est pas contesté.

[5]        À l’audience, le conseil du demandeur a soulevé plusieurs questions et en a abandonné une. Le demandeur ne prétend plus que l’alinéa 37(1)a) de la LIPR n’est pas conforme à l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Le reste des questions dont je suis saisi peuvent s’énoncer comme suit :

Première question : Quelle est la norme de contrôle applicable?

Deuxième question : Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que les activités des personnes de l’organisation en question constituaient des infractions suivant les lois de Macao, sans preuve suffisante pour justifier cette conclusion?

Troisième question :  Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’homicide est une infraction punissable par mise en accusation au Canada?

Quatrième question :           Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a appliqué une norme de preuve erronée pour déterminer que le demandeur était un « membre » d’une organisation?

[6]        Voici, dans un premier temps, certaines dispositions de la LIPR pertinentes pour les questions que je devrai examiner :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

[…]

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité.

[…]

Objet en matière d’immigration

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[…]

Interprétation

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

Activités de criminalité organisée

(2) Les faits visés à l’alinéa (1)a) n’emportent pas interdiction de territoire pour la seule raison que le résident permanent ou l’étranger est entré au Canada en ayant recours à une personne qui se livre aux activités qui y sont visées.

[…]

Application

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

Rapport d’interdiction de territoire

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

Suivi

(3) L’agent ou la Section de l’immigration peut imposer les conditions qu’il estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution, au résident permanent ou à l’étranger qui fait l’objet d’un rapport ou d’une enquête ou, étant au Canada, d’une mesure de renvoi.

[…]

Conditions

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

a) reconnaître le droit d’entrer au Canada au citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté, à la personne inscrite comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens et au résident permanent;

b) octroyer à l’étranger le statut de résident permanent ou temporaire sur preuve qu’il se conforme à la présente loi;

c) autoriser le résident permanent ou l’étranger à entrer, avec ou sans conditions, au Canada pour contrôle complémentaire;

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

Décision

[7]        La présente affaire a trait à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et à la décision prise par la Section de l’immigration suivant l’alinéa 45d), à savoir qu’il y a lieu d’expulser le demandeur du Canada.

Première question : Quelle est la norme de contrôle applicable?

[8]        Il convient d’être circonspect à l’égard de la norme de contrôle afin de faire la distinction entre le rôle de la Section de l’immigration, dont les décisions suivant l’article 33 et l’alinéa 37(1)a) de la LIPR doivent reposer sur l’existence de « motifs raisonnables de croire », et le rôle des tribunaux qui examinent ces décisions.

[9]        Dans le jugement Chung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 16, aux paragraphes 21 à 26, le juge Russell de notre Cour a examiné avec soin la norme de contrôle que les tribunaux doivent appliquer dans les cas comme celui qui nous intéresse :

Suivant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], de la Cour suprême du Canada, la cour de révision n’a pas à procéder chaque fois à l’analyse relative à la norme de contrôle; lorsque la norme applicable à la question en cause est bien établie en jurisprudence, elle peut l’adopter. Ce n’est que lorsque la jurisprudence est muette ou qu’elle semble incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que l’examen des quatre facteurs de cette analyse est nécessaire : Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

Il est bien établi en jurisprudence que les décisions de la Commission en matière d’interdiction de territoire pour appartenance à une organisation criminelle « repose[nt] essentiellement sur son appréciation des faits et que, par conséquent, [elles] appelle[nt] la norme de contrôle de la raisonnabilité » : Lennon c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1122, au paragraphe 13; voir aussi M’Bosso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 302, au paragraphe 53 [M’Bosso]; Castelly c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 788, aux paragraphes 10-12; He c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 391, aux paragraphes 24-25 [He]; Tang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 292, au paragraphe 17. Cela inclut l’évaluation de la preuve, notamment la crédibilité des témoins et le poids à attribuer au témoignage : voir Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, aux paragraphes 38-42.

Comme d’autres l’ont signalé, l’application de la norme de la décision raisonnable en matière d’interdiction de territoire sous le régime des articles 34 à 37 de la Loi est fonction de la norme de preuve régissant les faits donnant lieu à l’interdiction, c’est-à-dire la norme des « motifs raisonnables de croire » : voir l’art. 33 de la Loi. Pour résumer clairement les choses, il fallait donc que la SI conclue raisonnablement à l’existence de motifs raisonnables de croire que : a) les Hells Angels sont une organisation criminelle (ce qui n’est pas contesté en l’espèce) et b) que le demandeur était « membre » de cette organisation au sens donné à ce mot par la jurisprudence : voir Tjiueza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1260, aux paragraphes 22-24; Rizwan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 781, au paragraphe 29; M’Bosso, précité, aux paragraphes 4 et 24.

La tentative du demandeur d’isoler des questions juridiques subsidiaires portant sur le traitement de la preuve par la SI, comme celle de la « norme de preuve » applicable à la réfutation de présomptions de crédibilité, est sans effet sur la norme de contrôle. L’appréciation de la preuve faite par la SI, et l’évaluation de la crédibilité des témoins que cela suppose nécessairement, appelle la déférence : Mugesera, précité.

L’application correcte de la règle formulée dans Browne c Dunn soulève une question d’équité procédurale. En effet, la mauvaise application de la règle, lorsque celle-ci s’applique, peut compromettre le droit d’une partie d’être informée et de réfuter — souvent appelé principe audi alteram partem. Les questions d’équité procédurale se contrôlent selon la norme de la décision correcte : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100. Comme la Cour d’appel fédérale l’a exposé dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, « [s]oit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». Cette question appelle la déférence.

Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel [ainsi qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[10]      L’absence d’équité procédurale ou l’absence de justice naturelle ne sont pas des questions soulevées en l’espèce. J’examinerai les questions de droit en appliquant la norme de la décision correcte. J’apprécierai les faits en appliquant la norme de la décision raisonnable, en gardant à l’esprit le fait que bon nombre des conclusions de fait ont été tirées sur la base des « motifs raisonnables de croire » plutôt que selon la « prépondérance des probabilités ».

[11]      En ce qui a trait au critère des « motifs raisonnables de croire », je me rapporte à ce que la Cour suprême du Canada a écrit dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, aux paragraphes 114 et 116 :

La première question que soulève l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration est celle de la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables [de penser] » qu’une personne a commis un crime contre l’humanité. La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), p. 445; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), par. 60. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.).

[…]

Pour l’application de la norme des « motifs raisonnables [de penser] », il importe de distinguer entre la preuve d’une question de fait et le règlement d’une question de droit. En effet, cette norme de preuve ne s’applique qu’aux questions de fait : Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), p. 311. Dans la présente affaire, elle s’applique pour décider si M. Mugesera a prononcé le discours en cause et pour établir le contenu du message communiqué par celui-ci et son contexte. Par contre, lorsqu’il s’agit de décider si ces faits satisfont aux exigences d’un crime contre l’humanité, la question devient une question de droit. Le règlement d’une question de droit n’est pas assujetti à la norme des « motifs raisonnables [de penser] », car l’existence de simples motifs raisonnables [de penser] que le discours pourrait être considéré comme un crime contre l’humanité ne suffit pas pour satisfaire au critère juridique applicable à la perpétration d’un tel crime. Les faits, tels qu’ils ont été constatés selon la norme des « motifs raisonnables [de penser] », doivent prouver que le discours constituait un crime contre l’humanité. [Italiques dans l’original.]

Deuxième question :           Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que les activités des personnes de l’organisation en question constituaient des infractions suivant les lois de Macao, sans preuve suffisante pour justifier cette conclusion?

[12]      L’essentiel de l’argumentation du conseil du demandeur en ce qui a trait à cette question est qu’aux termes de l’alinéa 37(1)b), la Section de l’immigration est tenue d’appliquer ce qu’on appelle un critère d’équivalence, c’est-à-dire de trancher la question de savoir si les lois pertinentes de Macao sont « équivalentes » aux lois pertinentes du Canada à l’égard d’« une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ». Le conseil soutient que le commissaire n’a pas tiré de conclusion quant à l’équivalence et que le dossier ne contient que peu d’éléments de preuve, voire aucun, qui puisse servir de fondement à une telle conclusion.

[13]      L’exigence d’un critère « d’équivalence » semble avoir pour origine l’interprétation donnée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Yuen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16698 , de la version antérieure de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, soit l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, ainsi libellé :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[…]

c.2) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles sont ou ont été membres d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction au Code Criminel ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui peut être punissable par mise en accusation ou a commis à l’étranger un fait — acte ou omission — qui, s’il avait été commis au Canada, constituerait une telle infraction, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

Personnes non admissibles

[14]      Dans l’avant-dernier paragraphe [paragraphe 13] des motifs de l’arrêt Yuen de la Cour d’appel, auxquels ont souscrit les juges Létourneau et Sexton, le juge Malone écrit ce qui suit :

De plus, l’organisation en cause ici n’a aucun objectif légitime, contrairement à celle en cause dans l’affaire Yamani. De plus, les activités qui sont interdites par l’alinéa (1)c.2) sont plus précises que celles en cause dans l’affaire Yamani. En l’instance, les activités se limitent à des infractions aux dispositions du Code criminel ou de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Lorsque les activités interdites ont été perpétrées à l’extérieur du Canada, il est nécessaire qu’il y ait une équivalence et une conclusion de criminalité dans les deux instances pour que l’alinéa 19(1)c.2) s’applique. Finalement, même s’il y a eu crime, il reste possible qu’une personne reçoive le bénéfice d’une disposition qui autorise l’admission au Canada dans la mesure où celle-ci est compatible avec l’intérêt national.

[15]      Dans le jugement Park c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 782, le juge Mosley, de notre Cour, a statué — et je suis de son avis — que c’est une question de droit que de savoir si une infraction commise à l’étranger est une infraction équivalente et que c’est donc la norme de la décision correcte qui s’applique. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 12 :

La question de savoir si une infraction commise à l’étranger pour laquelle l’étranger a été condamné est équivalente à une infraction à une loi fédérale canadienne est une question de droit. Par conséquent, une question de droit est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte : Kharchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1160, [2006] A.C.F. n° 1459, au paragraphe 29.

[16]      Au paragraphe 15 de ses motifs, le juge Mosley, citant les motifs du juge de Montigny dans le jugement Xiao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 195, [2009] 4 R.C.F. 510 [sub nom. Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)] aborde la question de la nature de la preuve requise pour établir la loi étrangère. Il écrit ce qui suit :

Comme l’a conclu le juge de Montigny dans Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 195, [2009] A.C.F. n° 264, au paragraphe 24, « il est bien établi maintenant que le droit pénal étranger peut être établi sans preuve d’expert lorsqu’il s’agit de savoir s’il y a interdiction de territoire pour criminalité dans le contexte de l’immigration. Le décideur peut se fonder sur la preuve d’expert si elle est accessible, mais il peut aussi se fonder sur les dispositions légales étrangères et nationales et l’ensemble de la preuve, à la fois orale et documentaire : voir par exemple Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 73 N.R. 315, 1 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.); Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 1 C.F. 235 (C.A.F.) ».

[17]      Il vaut la peine de citer les motifs du juge de Montigny au paragraphe 37 du jugement Xiao, précité, car il a pris soin de préciser qu’il disait non pas qu’il fallait demander un avis d’expert dans toutes les situations comportant l’examen d’un critère d’équivalence, mais plutôt que dans le genre d’affaire dont il était saisi, où le demandeur (une personne susceptible d’être expulsée) avait présenté une preuve d’expert crédible à l’agent, il pourrait être nécessaire de présenter une preuve de nature similaire pour la réfuter. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 37 :

Je voudrais qu’il soit clair que les présents motifs ne devraient pas être interprétés comme s’il fallait demander un avis d’expert dans toutes les situations où les fonctionnaires de l’immigration prennent des décisions basées sur le droit étranger. Toutefois, lorsque la position du demandeur est étayée par un avis crédible et bien expliqué fourni par un expert dont les compétences ne sont pas contestées, il serait tout simplement déraisonnable de tirer une conclusion défavorable sans avoir eu le bénéfice d’un avis d’expert.

[18]      Quant à la nature et à la qualité de la preuve nécessaire pour examiner une infraction commise à l’étranger, il y a lieu de se rappeler la distinction faite par le juge Urie, de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Brannson c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1981] 2 C.F. 141, entre les infractions malum in se et les infractions malum prohibitum; autrement dit, entre une infraction qui, de par sa nature même, peut être considérée comme une infraction dans toute nation civilisée, et une infraction peut-être plus spécifique à une certaine nation et pouvant nécessiter une étude des dispositions législatives et de la jurisprudence pertinentes de cette nation et du Canada. Voici ce qu’il écrit aux pages 144 et 145 :

J’admets que, pour certaines infractions qu’on peut sommairement qualifier de malum in se, comme le meurtre, l’arbitre n’est pas tenue de se fonder sur une preuve aussi onéreuse pour remplir ses obligations. Habituellement, les faits donnant lieu à une condamnation pour un crime de ce genre constituent une infraction punissable au Canada. C’est dans le domaine des infractions créées par la loi, lesquelles peuvent être qualifiées d’infractions malum prohibitum par opposition aux infractions malum in se, que mes remarques ci-dessous sont spécialement applicables (voir Button c. Le ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration [1975] C.F. 277, à la page 284).

[19]      Ce passage, et d’autres décisions, ont été récemment examinés par le juge Roy, de notre Cour, dans le jugement Victor c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 979, où il avait été prié d’analyser « l’équivalence » au regard de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR (et non de l’alinéa 37(1)a)). Je reproduis ici les paragraphes 38, 39 et 44 de ses motifs :

Comme on le verra plus loin, de toute façon, la jurisprudence sous l’alinéa 36(1)b) a évolué pour permettre que la soi-disant équivalence soit autre que d’avoir la correspondance parfaite des éléments essentiels des deux infractions. Si on examine cette jurisprudence, je ne vois pas comment l’argument du demandeur pourrait prévaloir, que ce soit lorsque c’est l’alinéa 36(1)b) ou l’alinéa 36(1)c) qui est invoqué en l’espèce.

Le demandeur cherche à convaincre que l’arrêt cité à répétition sur les façons d’établir la soi-disant équivalence (dans le cadre de l’alinéa 36(1)b)) ne donne pas ouverture aux trois méthodes qui y sont présentées, mais plutôt aura établi une grille d’analyse requérant que le décideur justifie ses choix entre plusieurs façons d’établir l’équivalence.

[…]

Ainsi, rien ne permet, à mon avis, de mettre en doute que la Cour d’appel fédérale, dans Hill, mettait à la disposition des méthodes alternatives d’établir la soi-disant « équivalence ». D’abondant, j’ajoute que la logique interne des trois manières s’oppose à la conclusion recherchée par le demandeur. En effet, on comprend mal pourquoi une manière dite hybride, la troisième, serait inférieure à la deuxième manière qui se satisfait de la preuve présentée pour établir les éléments essentiels de l’infraction au Canada.

[20]      L’examen de ces jugements et d’autres sources cités par les conseils des deux parties m’amène à conclure que le commissaire est effectivement tenu de prendre en considération l’équivalence entre le droit applicable dans le pays étranger où l’infraction reprochée a été commise et les lois applicables au Canada. Cette détermination doit être fondée sur le dossier dont le commissaire est saisi; par exemple, si une partie présente une preuve d’expert crédible, l’autre partie serait alors bien avisée d’en faire autant. Toutefois, lorsque les infractions reprochées sont d’une gravité telle que, peu importe le pays, la plupart des nations civilisées auraient des lois pour condamner la conduite ainsi prohibée, il serait ridicule de s’attendre à ce qu’une preuve d’expert s’impose dans un tel cas. Pour donner quelques exemples qui ne sont aucunement limitatifs, on conviendra volontiers que le meurtre, l’attaque non provoquée, les mutilations, l’extorsion et certaines autres infractions répondraient facilement à un tel critère.

[21]      Pour en revenir aux arguments du conseil du demandeur sur cette question, je conviens que, dans sa décision, le commissaire ne dit pas : « Je tire la conclusion suivante concernant l’équivalence » Je conviens également qu’aucune loi ni aucun jugement précis ne lui ont été présentés pour établir quelles étaient les dispositions en vigueur à Macao à la date pertinente concernant les infractions comme le meurtre, l’extorsion, l’agression et ainsi de suite. Toutefois, je ne crois pas que la décision devrait être annulée pour ces motifs.

[22]      Dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, la Cour suprême du Canada a affirmé que la LIPR comportait un certain nombre de dispositions destinées à faciliter le renvoi de résidents permanents qui se sont livrés à des activités de grande criminalité. Aux paragraphes 9 et 10, la juge en chef, s’exprimant au nom de la Cour, écrit ce qui suit :

La LIPR comporte une série de dispositions destinées à faciliter le renvoi de résidents permanents qui se sont livrés à des activités de grande criminalité. Cette intention se dégage des objectifs de la LIPR, des dispositions de la LIPR applicables aux résidents permanents et des audiences qui ont précédé l’adoption de la LIPR.

Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada. Cela représente un changement d’orientation par rapport à la loi précédente, qui accordait plus d’importance à l’intégration des demandeurs qu’à la sécurité : voir, par exemple, l’al. 3(1)i) LIPR comparativement à l’al. 3j) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)e) LIPR comparativement à l’al. 3d) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)h) LIPR comparativement à l’al. 3i) de l’ancienne Loi. Considérés collectivement, les objectifs de la  et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi.

[23]      En conséquence, selon les instructions de la Cour suprême, je dois donner une interprétation large aux dispositions de la LIPR relatives au renvoi pour activités criminelles.

[24]      Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, la juge Abella, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a fait une mise en garde contre les analyses distinctes de décisions comme celle qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. La cour de révision doit faire preuve de respect envers le processus décisionnel et apprécier le caractère raisonnable du point de vue du résultat et des motifs.

[25]      L’examen du dossier présenté au commissaire en l’espèce révèle une preuve abondante selon laquelle les triades à Macao se sont livrées à diverses activités que tout pays civilisé trouverait illégales et criminelles, notamment le meurtre commis de sang-froid en public, l’extorsion, l’agression et plus encore. Une analyse distincte était donc inutile. De plus, selon la preuve, le demandeur est directement désigné comme étant l’un des principaux membres des triades en question. Le demandeur n’a présenté aucune preuve convaincante pour la réfuter. Vu l’abondance d’éléments de preuve présentés contre le demandeur et vu que celui-ci n’a pratiquement rien produit pour appuyer sa thèse, l’issue était non seulement prévisible, mais inévitable. Je ne vois donc aucune raison d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

Troisième question :            Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’homicide est une infraction punissable par mise en accusation au Canada?

[26]      Le conseil du demandeur fait valoir que le commissaire utilise le mot « homicide » à plusieurs endroits dans les motifs à l’examen. Il soutient qu’au Canada, certains homicides peuvent fonder un acte d’accusation et d’autres pas, et que le commissaire n’en fait pas la distinction dans ses motifs.

[27]      Bien que cela soit vrai à proprement parler, il ne s’ensuit pas nécessairement que la décision doive être annulée et l’affaire renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue. La preuve démontre que les triades ont commis, entre autres choses, des meurtres de sang-froid au vu et au su du public, une telle conduite constituant incontestablement une infraction punissable par mise en accusation. Il ne fait aucun doute que les motifs du commissaire faisaient référence à tout le moins à ces meurtres lorsqu’il a utilisé le mot « homicide ».

Quatrième question :           Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a appliqué une norme de preuve erronée pour déterminer que le demandeur était un « membre » d’une organisation?

[28]      Je reprendrai, pour commencer, les motifs du juge Martineau dans le jugement Castelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 788, [2009] 2 R.C.F. 327, au paragraphe 26, selon lesquels l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, plutôt que d’exiger une véritable preuve que la personne est membre d’une organisation, exige uniquement des motifs raisonnables de croire que la personne en est membre. Le juge Martineau écrit ce qui suit :

Or, cette prétention de la demanderesse n’affecte pas la légalité de la décision rendue par le tribunal. En effet, l’appartenance à une organisation visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi ne requiert pas l’existence d’accusations ou de condamnations criminelles. D’ailleurs, la jurisprudence a clairement établi qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que la personne concernée soit membre d’une organisation, mais bien plutôt qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est membre : l’alinéa 37(1)a) et l’article 33 de la Loi; Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); et Mugesera, au paragraphe 114.

[29]      Je reprends cette fois encore les remarques du juge Russell dans le jugement Chung, précité, au paragraphe 22, selon lesquels l’appartenance à une organisation repose essentiellement sur une appréciation des faits.

[30]      Dans l’arrêt Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198, l’appartenance à une organisation a reçu de la part de la Cour d’appel fédérale une interprétation non pas stricte, mais libérale, de sorte que l’appartenance passée a été prise en compte dans cette affaire. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Linden écrit ce qui suit, aux paragraphes 18 à 21 :

Le législateur voulait notamment, en adoptant la LIPR, simplifier l’ancienne Loi. C’est exactement ce que fait l’article 33 : il réduit la répétition nécessaire des expressions exprimant l’appartenance passée, présente et future, que l’on trouvait dans l’ancienne Loi, en établissant une « règle d’interprétation » qui permet au décideur de tenir compte de faits passés, présents et futurs pour déterminer si une personne est interdite de territoire.

Si l’on interprétait l’alinéa 37(1)a) comme s’il visait uniquement l’appartenance actuelle à une organisation, l’article 33 serait redondant. La Commission a dit (à la page 49) — et je suis de cet avis — qu’il serait pertinent de tenir compte de la preuve relative au passé d’une personne et à ses projets futurs pour décider si cette personne appartient à une organisation décrite à l’article 37, même si la loi ne le dit pas.

À mon avis, le législateur devait vouloir que l’article 33 ait un certain sens. Le libellé de cette disposition est clair : une conclusion d’interdiction de territoire, laquelle est une conclusion portant sur une question de droit, peut être fondée sur une conclusion de fait concernant l’appartenance passée d’une personne à une organisation. En d’autres termes, le fait que l’appelant a été membre de la bande A.K. Kannan dans le passé — une conclusion de fait — peut servir de fondement à une conclusion de droit d’interdiction de territoire actuelle.

En deuxième lieu, cette interprétation est compatible avec l’objet des dispositions sur l’interdiction de territoire et la LIPR dans l’ensemble. L’un des objectifs des dispositions sur l’interdiction de territoire est la protection de la société canadienne. Ces dispositions facilitent le renvoi de résidents permanents qui constituent un danger pour la société canadienne en raison de leur conduite, parce qu’ils ont commis des actes criminels, des actes de criminalité organisée, qu’ils ont porté atteinte aux droits de la personne ou au droit international ou commis des actes de terrorisme. L’alinéa 37(1)a) aurait l’effet contraire si l’on interprétait l’expression « être membre » comme si elle ne visait que les personnes qui sont actuellement membres d’une organisation décrite dans cette disposition, car on limiterait ainsi les cas où une personne peut être interdite de territoire, ce qui aurait pour effet d’accroître le danger potentiel pour la sécurité du Canada.

[31]      En l’espèce, le commissaire disposait d’une preuve abondante au dossier, dont un livre et un article dans lesquels le demandeur était directement visé à titre de membre important de la triade. Il n’y a donc rien qui justifie l’annulation de la décision sur ce point.

CONCLUSION

[32]      La franchise dont a fait preuve le conseil du demandeur et la manière directe avec laquelle il a présenté ses arguments sont tout à son honneur. Cependant, compte tenu de la décision et du résultat dans son ensemble, en me fondant sur la preuve abondante au dossier présenté au commissaire, j’estime que celui-ci a bien apprécié les principes juridiques applicables et que sa décision était raisonnable, vu le dossier.

[33]      Je reconnais que l’interprétation de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR n’est pas tout à fait claire et que l’opinion de la Cour d’appel fédérale serait bienvenue à cet égard. Par conséquent, je certifierai la question suivante comme l’a proposé le conseil du demandeur :

À l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, l’expression « ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction » requiert-elle la preuve des éléments constitutifs d’une infraction commise à l’étranger, une analyse d’équivalence et une conclusion de double criminalité entre l’infraction à l’étranger et l’infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation?

[34]      Il n’y a aucune raison particulière d’adjuger des dépens.

JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS :

LA COUR :

1.    REJETTE la demande;

2.    CERTIFIE la question suivante :

À l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, l’expression « ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction » requiert-elle la preuve des éléments constitutifs d’une infraction commise à l’étranger, une analyse d’équivalence et une conclusion de double criminalité entre l’infraction à l’étranger et l’infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation?

3.    N’ADJUGE aucuns dépens.

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