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[2016] 1 R.C.F. 407

IMM-3126-14

2015 CF 837

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (demandeur)

c.

Miodrag Zaric (défendeur)

Répertorié : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Zaric

Cour fédérale, juge Fothergill—Toronto, 27 mai; Ottawa, 14 juillet 2015.

Citoyenneté et Immigration — Citoyens — Citoyens qui s’étaient vu accorder auparavant le statut de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger — Contrôle judiciaire contestant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé d’examiner de nouveau et d’annuler la décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) selon laquelle le défendeur était un réfugié au sens de la Convention — Le défendeur est un Serbe bosniaque qui a présenté une demande en vue d’obtenir le statut de réfugié au Canada — Après que la demande a été acceptée, le défendeur est devenu citoyen canadien — Le demandeur a allégué que le défendeur avait été déclaré coupable de meurtre et d’homicide involontaire lorsqu’il vivait en Bosnie-Herzégovine — Le demandeur a présenté une demande d’annulation de la décision de la SSR fondée sur des allégations de présentations erronées de la part du défendeur sur un fait important, soit ses antécédents criminels, ou de réticence au sujet de ce fait — Le défendeur a présenté une requête en rejet de la demande d’annulation du demandeur, alléguant que la demande d’annulation était théorique, car il n’était plus un réfugié au sens de la Convention — La Commission a accueilli la requête en rejet de la demande d’annulation du demandeur — La Commission a déclaré que l’art. 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) n’empêche pas l’application automatique de l’art. 108(1)c) lorsqu’un réfugié au sens de la Convention acquiert une nouvelle nationalité — Il s’agissait de savoir si le défendeur a automatiquement cessé d’être un réfugié lorsqu’il a obtenu la citoyenneté canadienne — Bien que le défendeur ait automatiquement cessé d’être un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés au moment où il a acquis la citoyenneté canadienne, il n’a pas automatiquement perdu son statut de personne protégée au sens de la LIPR — La Commission a invoqué l’art. 108(1) de la LIPR à l’appui de sa conclusion selon laquelle le défendeur a automatiquement cessé d’être un réfugié au moment où il a acquis la citoyenneté canadienne — Cependant, la Commission ne pouvait raisonnablement pas adopter cette interprétation puisque l’art. 108(1) de la LIPR ne vise que le rejet d’une demande d’asile avant qu’elle n’ait été tranchée par la Commission — L’art. 108(1) est silencieux au sujet des circonstances dans lesquelles le statut de réfugié ou de personne protégée d’une personne peut être perdu à la suite de la décision de la Commission — Dès que le statut de « personne protégée » a été accordé par la Commission, il peut être perdu, en vertu de l’art. 108(2) ou de l’art. 109(1) de la LIPR — En l’espèce, le demandeur a présenté une demande au titre de l’art. 109(1) de la LIPR, alléguant que le défendeur avait fait des présentations erronées ou s’était montré réticent au sujet de ses antécédents criminels lorsqu’il avait demandé le statut de personne protégée au Canada — La LIPR à l’art. 109(1) prévoit un mécanisme particulier pour annuler l’octroi de l’asile — Rien dans le libellé de l’art. 109 ne donne à penser qu’une demande d’annulation de l’asile par le ministre ne peut être faite si le demandeur est ultérieurement devenu citoyen canadien — Étant donné que le défendeur conservait toujours son statut de personne protégée, la Commission était aux prises avec un litige tout à fait actuel — En conséquence, la Commission a erré en concluant que sa décision quant à la demande d’annulation du demandeur n’aurait pas d’effet pratique sur les droits du demandeur — La Commission a erré en interprétant l’art. 108(1) de la LIPR comme étant la cause de la cessation du statut de réfugié du défendeur au moment où il est devenu citoyen canadien — Une question a été certifiée — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire qui contestait la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé d’examiner de nouveau et d’annuler la décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) selon laquelle le défendeur était un réfugié au sens de la Convention. Le défendeur est un Serbe bosniaque qui a présenté une demande en vue d’obtenir le statut de réfugié lorsqu’il est arrivé au Canada. La demande d’asile était fondée sur l’allégation qu’il avait été emprisonné et battu par des Serbes bosniaques à titre de déserteur, lors du conflit armé en Bosnie-Herzégovine. Sa demande a été acceptée et il est devenu plus tard un citoyen canadien. Contrairement aux affirmations du défendeur devant la SSR selon lesquelles il n’avait jamais commis ni été déclaré coupable de quelque crime dans quelque pays que ce soit, le demandeur a soutenu que le défendeur avait été déclaré coupable de meurtre et d’homicide involontaire en Bosnie-Herzégovine. Il semblerait que les autorités canadiennes aient été mises au courant des antécédents criminels du défendeur, en particulier après avoir reçu d’Interpol un avis de la déclaration de culpabilité.

Le demandeur a par la suite demandé d’annuler la décision de la SSR, alléguant des présentations erronées de la part du défendeur sur un fait important, soit ses antécédents criminels, ou de réticence au sujet de ce fait. Le défendeur a présenté une requête en rejet de la demande d’annulation du demandeur au motif que la demande d’annulation était théorique, car il n’était plus un réfugié au sens de la Convention. Plus précisément, le défendeur a prétendu que, en vertu de l’alinéa 108(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), son statut de réfugié avait pris fin dès qu’il eut obtenu la citoyenneté canadienne. Le demandeur a contesté l’argument portant sur le caractère théorique, alléguant que l’alinéa 108(1)c) de la LIPR ne pouvait être appliqué que sur demande du demandeur, tel que prévu par le paragraphe 108(2), et que le défendeur avait donc continué à être une personne protégée en vertu du droit interne canadien. La Commission a accueilli la requête en rejet de la demande d’annulation du défendeur en tirant la conclusion que la demande du demandeur était théorique et elle a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande malgré sa conclusion sur la nature théorique. Plus particulièrement, la Commission a déclaré que le paragraphe 108(2) de la LIPR prévoit une façon de mettre fin au statut de réfugié au sens de la Convention d’une personne; cependant, il n’empêche pas l’application automatique de l’alinéa 108(1)c) lorsqu’un réfugié au sens de la Convention acquiert une nouvelle nationalité.

Il s’agissait principalement de savoir si le défendeur a automatiquement cessé d’être un réfugié lorsqu’il a obtenu la citoyenneté canadienne.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Dans la mesure où une personne jouit du statut de personne protégée en vertu de l’article 95 en raison de sa qualité de réfugié en vertu de la LIPR, ce statut existe séparément de tout autre statut conféré par la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés en vertu du droit international. Le défendeur a obtenu le statut de « personne protégée » au sens du paragraphe 95(2) de la LIPR lorsque la Commission a conclu qu’il était un réfugié au sens de la Convention ou une personne protégée au sens du paragraphe 95(1) de la LIPR. Conformément aux clauses de cessation de la Convention, plus particulièrement la section C, les paragraphes 1 à 6 de l’article premier, le défendeur avait automatiquement cessé d’être un réfugié au sens de la Convention au moment où il a acquis la citoyenneté canadienne. Cela ne signifiait pas cependant que le défendeur avait automatiquement perdu son statut de personne protégée au sens de la LIPR au moment où il a cessé d’être un réfugié au sens de la Convention. L’article 108 de la LIPR reproduit cinq des six motifs de cessation énoncés par la Convention. En l’espèce, la Commission a invoqué le paragraphe 108(1) de la LIPR à l’appui de sa conclusion selon laquelle le défendeur avait automatiquement cessé d’être un réfugié au moment où il a acquis la citoyenneté canadienne. La Commission ne pouvait raisonnablement pas adopter cette interprétation. Le paragraphe 108(1) ne vise que le rejet d’une demande d’asile avant qu’elle n’ait été tranchée par la Commission. Le paragraphe 108(1) est silencieux au sujet des circonstances dans lesquelles le statut de réfugié ou de personne protégée d’une personne peut être perdu à la suite de la décision de la Commission. À cet égard, la décision de la Commission n’était pas raisonnable et ne pouvait être confirmée.

Dès que le statut de « personne protégée » a été accordé par la Commission, il peut être perdu, en vertu de la LIPR, de deux manières : en vertu du paragraphe 108(2) ou du paragraphe 109(1). C’est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qui fait les demandes de cessation au titre du paragraphe 108(2), alors que c’est le demandeur qui fait les demandes d’annulation au titre du paragraphe 109(1). En l’espèce, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration n’a pas fait de demande au titre du paragraphe 108(2) de la LIPR au motif que le défendeur avait perdu son statut de personne protégée du fait de son acquisition de la citoyenneté canadienne. C’est plutôt le demandeur qui a présenté une demande au titre du paragraphe 109(1) de la LIPR, alléguant que le défendeur avait fait des présentations erronées ou s’était montré réticent au sujet de ses antécédents criminels lorsqu’il avait demandé le statut de personne protégée au Canada. La Convention ne prévoit pas de mécanisme particulier pour annuler l’octroi de l’asile, mais c’est précisément ce que fait la LIPR au paragraphe 109(1). La disposition prévoit que, sur demande du demandeur, la Commission peut annuler une décision ayant accueilli une demande d’asile lorsque la décision « résult[e], directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait ». Rien dans le libellé de l’article 109 ne donne à penser qu’une demande d’annulation de l’asile par le demandeur ne peut être faite si le demandeur est ultérieurement devenu citoyen canadien.

Étant donné que le défendeur conservait toujours son statut de personne protégée, la Commission était aux prises, en l’espèce, avec un litige tout à fait actuel. En conséquence, la Commission a erré en concluant que sa décision quant à la demande d’annulation du demandeur n’aurait pas d’effet pratique sur les droits du demandeur. L’issue de la présente instance dépendait essentiellement de l’interprétation des dispositions applicables. La Commission a erré en interprétant le paragraphe 108(1) de la LIPR, qui ne vise que le rejet d’une demande avant que celle-ci ne fasse l’objet d’une décision, comme étant la cause de la cessation du statut de réfugié du défendeur au moment où il est devenu citoyen canadien. Cela suffisait pour décider de la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

La question de savoir si la protection des réfugiés accordée en vertu du paragraphe 95(1) de la LIPR cesse automatiquement du fait de l’application de l’alinéa 108(1)c) lorsqu’un réfugié au sens de la Convention devient citoyen canadien, empêchant ainsi le demandeur de demander, en vertu du paragraphe 109(1), à la Commission d’annuler sa décision antérieure d’accorder l’asile, a été certifiée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Décret précisant les responsabilités respectives du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et de la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en vertu de la Loi, TR/2005-120.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72, 95, 97, 108, 109.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1C.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Canada (Attorney General) v. Villanueva-Vera, 2012 ONCA 657, 112 O.R. (3d) 709; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; DL (DRC) & the Entry Clearance Officer, Pretoria v. The Entry Clearance Officer, Karachi, [2008] EWCA Civ. 1420 (BAILII).

DÉCISIONS CITÉES :

Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326; Abraham c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 266; ZN (Afghanistan) (FC) and others v. Entry Clearance Officer (Karachi) and one other action, [2010] UKSC 21.

DOCTRINE CITÉE

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Doc. N.U. HCR/1P/4/FRE/REV. 3 (Genève, réédition, décembre 2011), en ligne : <http://www.refworld.org/pdfid/4fc5db782.pdf>.

DEMANDE de contrôle judiciaire contestant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé d’examiner de nouveau et d’annuler la décision de la Section du statut de réfugié selon laquelle le défendeur était un réfugié au sens de la Convention. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Amina Riaz et Jelena Urosevic pour le demandeur.

Ronald Poulton et Barbara Jackman pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Ronald Poulton, Toronto, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Fothergill :

I.          Introduction

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR [ou la Loi]). Le ministre conteste le refus de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) d’examiner de nouveau et d’annuler la décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) selon laquelle Miodrag Zaric est un réfugié au sens de la Convention.

[2]        Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que M. Zaric avait automatiquement cessé d’être un réfugié en vertu du droit international lorsqu’il a acquis la citoyenneté canadienne. Cela ne signifie pas cependant qu’il a automatiquement cessé d’être une personne protégée en vertu du droit interne canadien, plus précisément en vertu du paragraphe 95(2) de la LIRP. La demande du ministre à la Commission d’annuler son statut de réfugié n’était donc pas théorique. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen sur le fond de la demande d’annulation du ministre.

II.         Contexte

[3]        M. Zaric est un Serbe bosniaque qui est arrivé au Canada le 23 octobre 1996. Il a présenté une demande d’asile qui a été accueillie par la SSR le 2 février 1998. La demande d’asile de M. Zaric était fondée sur l’allégation qu’il avait été emprisonné et battu par des Serbes bosniaques à titre de déserteur, lors du conflit armé en Bosnie-Herzégovine. M. Zaric a allégué s’être évadé, en décembre 1994, du camp de prisonniers où il était détenu, alors que la région était bombardée. Dans le cadre de sa demande, M. Zaric a affirmé qu’il n’était pas recherché par la police ni par quelque autre autorité dans quelque pays que ce soit, et qu’il n’avait jamais commis ni été déclaré coupable de quelque crime dans quelque pays que ce soit. Le 27 janvier 1999, M. Zaric est devenu un résident permanent du Canada. Le 6 octobre 2001, il est devenu citoyen canadien.

[4]        Le ministre allègue que, contrairement à ses affirmations devant la SSR, M. Zaric a été détenu en Bosnie-Herzégovine parce qu’il était accusé de meurtre et d’homicide involontaire à la suite d’un incident survenu le 30 mai 1993. M. Zaric et trois complices auraient, d’après les accusations, abattu un homme à l’aide d’une arme à feu car ils croyaient que celui-ci avait attaqué un de leurs amis plus tôt au cours de la soirée. Le fils de la victime, un mineur, aurait également été tué lors de l’attaque. Le ministre allègue que M. Zaric a été détenu à la prison de comté de Doboj entre le 31 mai 1993 et le 15 décembre 1994, jour où il s’est échappé et est devenu un fugitif.

[5]        D’après le ministre, M. Zaric a subi un procès par contumace et a été déclaré coupable de meurtre et d’homicide involontaire le 23 août 1996. Il a été condamné à une peine de 14 ans d’emprisonnement et ce jugement a été confirmé en appel par le tribunal de comté à Doboj le 15 septembre 1997. M. Zaric nie les allégations ayant mené à sa condamnation.

[6]        Le ministre explique que les autorités canadiennes ont été mises au courant des antécédents criminels de M. Zaric en 2004, après avoir reçu d’Interpol un avis de la déclaration de culpabilité, accompagné de renseignements biographiques, d’une photographie et d’empreintes digitales. S’appuyant sur le paragraphe 109(1) de la LIPR, le ministre a demandé, le 27 septembre 2010, à la Commission d’annuler la décision de la SSR. La demande d’annulation était fondée sur des allégations de présentations erronées de la part de M. Zaric sur un fait important, soit ses antécédents criminels, ou de réticence au sujet de ce fait.

[7]        Le 2 juin 2011, M. Zaric a présenté une requête en rejet de la demande d’annulation du ministre. Selon M. Zaric, la demande d’annulation du ministre était théorique, car il n’était plus un réfugié au sens de la Convention. Il a prétendu que, en vertu de l’alinéa 108(1)c) de la LIPR, son statut de réfugié avait pris fin dès qu’il eut obtenu la citoyenneté canadienne. Le long délai qui s’est écoulé avant la présentation de la demande d’annulation constituait selon lui un abus de procédure. Le ministre a répondu que la question n’était pas théorique, puisque l’alinéa 108(1)c) de la LIPR ne pouvait être appliqué que sur demande du ministre, tel que prévu par le paragraphe 108(2), et que M. Zaric continuait donc à être une personne protégée en vertu du droit interne canadien.

[8]        La Commission a tenu une audience le 26 septembre 2013. À la suite de l’audience, la Commission a demandé des arguments écrits supplémentaires au sujet de l’arrêt Canada (Attorney General) v. Villanueva-Vera, 2012 ONCA 657, 112 O.R. (3d) 709 (Villanueva-Vera), qui a été rendu par la Cour d’appel de l’Ontario en octobre 2012. Le 24 mars 2014, la Commission a accueilli la requête en rejet de la demande d’annulation du ministre.

III.        Les dispositions pertinentes

[9]        L’interprétation et l’application des dispositions suivantes de la LIPR se trouvent au cœur de la présente demande de contrôle judiciaire :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

Rejet

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

Perte de l’asile

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

Effet de la décision

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

Exception

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

Demande d’annulation

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

Rejet de la demande

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

Effet de la décision

[10]      La disposition suivante de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la Convention) est également pertinente en l’espèce :

Article premier

[…]

C. Cette Convention cessera, dans les cas ci-après, d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci-dessus :

[…]

3) Si elle a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité;

IV.       La décision de la Commission

[11]      La Commission a conclu que la demande du ministre était théorique. Elle a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande malgré sa conclusion sur la nature théorique. S’appuyant sur l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 (Borowski), la Commission a déclaré que le paragraphe 108(2) de la LIPR prévoit une façon de mettre fin au statut de réfugié au sens de la Convention d’une personne; cependant, il n’empêche pas l’application automatique de l’alinéa 108(1)c) lorsqu’un réfugié au sens de la Convention acquiert une nouvelle nationalité. La Commission a fait remarquer que le libellé du paragraphe 108(1) de la Loi diffère de celui du paragraphe 109(1) et que manifestement cette dernière disposition ne s’applique que sur demande du ministre.

[12]      Selon le raisonnement de la Commission, si le législateur avait voulu que le paragraphe 108(1) de la LIPR ne s’applique que sur demande du ministre, alors il l’aurait exprimé explicitement, tout comme il l’a fait au paragraphe 109(1). La Commission a renvoyé à l’arrêt Villanueva-Vera à l’appui de l’affirmation selon laquelle un individu qui a obtenu le statut de réfugié au Canada cesse d’être un réfugié lorsqu’il devient citoyen canadien. La Commission a donc conclu que M. Zaric avait cessé d’être un réfugié au sens de la Convention lorsqu’il était devenu citoyen canadien en 2001, et que le statut de réfugié que le ministre souhaitait annuler n’existait plus. La Commission a conclu que, selon l’arrêt Borowski, il n’existait plus de litige entre les parties et que la demande d’annulation du ministre était théorique.

[13]      S’appuyant toujours sur l’arrêt Borowski, la Commission a étudié la question de savoir si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l’affaire, même si elle avait conclu qu’elle avait une nature théorique. La Commission a conclu que, en pratique, les droits des parties ne seraient pas touchés par une décision dans l’affaire, et que le résultat serait strictement une « application symbolique ». La Commission a également exprimé des réserves liées à l’économie des ressources judiciaires et à sa fonction véritable dans l’élaboration du droit (Borowski, à la page 362), étant donné que ses décisions n’ont pas valeur de précédent.

V.        Les questions en litige

[14]      Les questions suivantes sont soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire :

A.        Quelle norme de contrôle devrait être appliquée à la décision de la Commission par la Cour?

B.        Lorsqu’il a obtenu la citoyenneté canadienne, M. Zaric a-t-il automatiquement cessé d’être un réfugié?

C.        Une question devrait-elle être certifiée en vue d’un appel?

VI.       Analyse

A.        Quelle norme de contrôle devrait être appliquée à la décision de la Commission par la Cour?

[15]      Il existe une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle judiciaire de l’interprétation et de l’application, par un tribunal, de sa loi constitutive (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 39). En l’espèce, la Commission a interprété et appliqué les dispositions de la LIPR, notamment les paragraphes 108(1), 108(2) et l’article 109. Elle a aussi tenu compte de la section C du paragraphe 3 de l’article premier de la Convention. Ces dispositions sont au cœur de l’expertise de la Commission. Rien ne permet de rejeter la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable doit être appliquée par la Cour lors du contrôle de leur interprétation et de leur application par la Commission. La gamme d’issues raisonnables peut cependant être limitée étant donné que la Commission faisait une interprétation d’un texte législatif (Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75, aux paragraphes 13 et 14; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326, au paragraphe 72; Abraham c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 266, aux paragraphes 45 et 48).

B.        Lorsqu’il a obtenu la citoyenneté canadienne, M. Zaric a-t-il automatiquement cessé d’être un réfugié?

[16]      Selon le ministre, il existe une distinction importante entre le statut de réfugié au sens de la Convention, qui relève du droit international, et l’octroi et la révocation du statut de réfugié en vertu du droit interne canadien. Le Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés [Doc. N.U. HCR/1P/4/FRE/REV.3 (Genève, réédition, décembre 2011)] du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le guide de l’UNHCR) énonce [à la page 1] que « [l]a Convention constitue, conjointement avec le Protocole de 1967, un code universel pour le traitement des réfugiés déplacés de leur pays du fait d’une persécution, de violations graves des droits humains ou d’autres formes de préjudices majeurs ». Les conventions et les traités internationaux conclus par le gouvernement fédéral au nom du Canada ne sont cependant pas directement applicables. Ils doivent être rendus applicables à l’interne, au moyen de dispositions législatives, pour avoir pleinement force de loi. La Cour suprême du Canada a confirmé que « [l]es conventions et les traités internationaux ne font pas partie du droit canadien à moins d’être rendus applicables par la loi » (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.S.C. 817, au paragraphe 69).

[17]      L’exigence que la Convention et le Protocole prennent effet au moyen de dispositions législatives internes du pays signataire est reconnue par le guide de l’UNHCR, qui explique [au paragraphe 189] que « la Convention n’indique pas le type de procédure à suivre pour déterminer le statut de réfugié. Il appartient donc à chaque État contractant d’établir la procédure qu’il juge la plus appropriée, compte tenu de sa structure particulière constitutionnelle et administrative ». De même, le guide de l’UNHCR [au paragraphe 24] « ne traite pas de certaines questions étroitement liées à la détermination du statut de réfugié, telles que l’octroi de l’asile à des réfugiés ou la condition juridique des réfugiés qui ont été reconnus comme tels ».

[18]      La Convention n’est pas complètement intégrée à la législation canadienne. Bien que les modalités de la Convention aient été dans une large mesure transposées dans la LIPR, il subsiste des différences entre le fonctionnement de la Convention et celui de la LIPR. Selon le guide de l’UNHCR [au paragraphe 28] :

Une personne est un réfugié, au sens de la Convention de 1951, dès qu’elle satisfait aux critères énoncés dans la définition. Cette situation est nécessairement réalisée avant que le statut de réfugié ne soit formellement reconnu à l’intéressé. Par conséquent, la détermination du statut de réfugié n’a pas pour effet de conférer la qualité de réfugié; elle constate l’existence de cette qualité. Une personne ne devient pas réfugié parce qu’elle est reconnue comme telle, mais elle est reconnue comme telle parce qu’elle est réfugié.

[19]      En revanche, les articles 95 et 97 de la LIPR décrivent quatre circonstances dans lesquelles une personne peut se voir accorder l’« asile ». Dans la mesure où une personne jouit du statut de personne protégée en vertu de l’article 95 en raison de sa qualité de réfugié en vertu de la LIPR, ce statut existe séparément de tout autre statut conféré par la Convention en vertu du droit international.

[20]      En l’espèce, la Commission a conclu que M. Zaric était un réfugié au sens de la Convention ou une personne protégée au sens du paragraphe 95(1) de la LIPR. Ainsi, M. Zaric a obtenu le statut de « personne protégée » au sens du paragraphe 95(2) de la LIPR. M. Zaric a ainsi obtenu des droits internes personnels.

[21]      Les clauses de cessation de la Convention, plus particulièrement la section C, les paragraphes 1 à 6 de l’article premier, prévoient les circonstances dans lesquelles un réfugié cesse d’être un réfugié. Le guide de l’UNHCR énonce [au paragraphe 111] qu’une personne n’est plus un réfugié si l’un des motifs de cessation énumérés se matérialise, ou au moment où la protection internationale « n’est plus nécessaire ou qu’elle ne se justifie plus ». Étant donné que l’une de ces circonstances se matérialise quand une personne acquiert « une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité », M. Zaric a automatiquement cessé d’être un réfugié au sens de la Convention au moment où il a acquis la citoyenneté canadienne.

[22]      Cela ne signifie pas cependant que M. Zaric a automatiquement perdu son statut de personne protégée au sens de la LIPR au moment où il a cessé d’être un réfugié au sens de la Convention. L’article 108 de la LIPR reproduit cinq des six motifs de cessation énoncés par la Convention. Le paragraphe 108(1) de la Loi, qui est intitulé « Rejet », énonce qu’« [e]st rejetée [par la Commission] la demande d’asile » (non souligné dans l’original) pour les motifs de cessation énumérés. Cette disposition ne peut s’appliquer qu’avant que la Commission se soit prononcée quant au statut de réfugié, car sa portée est limitée au « rejet » d’une demande d’asile. Rien dans la disposition ne peut raisonnablement être décrit comme étant directement applicable ou automatique, particulièrement après que la Commission ait tiré sa conclusion. La disposition contraint tout simplement la Commission à rejeter une demande d’asile n’ayant pas encore été tranchée, dans les cas où l’existence de l’un des motifs de cessation énumérés est démontrée.

[23]      En l’espèce, la Commission a invoqué le paragraphe 108(1) de la LIPR à l’appui de sa conclusion selon laquelle M. Zaric a automatiquement cessé d’être un réfugié au moment où il a acquis la citoyenneté canadienne. À mon avis, la Commission ne pouvait raisonnablement pas adopter cette interprétation. Tel que je l’ai déjà mentionné, le paragraphe 108(1) ne vise que le rejet d’une demande d’asile avant qu’elle n’ait été tranchée par la Commission. Le paragraphe 108(1) est silencieux au sujet des circonstances dans lesquelles le statut de réfugié ou de personne protégée d’une personne peut être perdu à la suite de la décision de la Commission. À cet égard, la décision de la Commission n’était pas raisonnable et ne peut être confirmée.

[24]      Dès que le statut de « personne protégée » a été accordé par la Commission, il peut être perdu, en vertu de la LIPR, de deux manières : en vertu du paragraphe 108(2) ou en vertu du paragraphe 109(1). Selon le Décret précisant les responsabilités respectives du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et de la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en vertu de la Loi, TR/2005-120 [abrogé, TR/2015-52], c’est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qui fait les demandes de cessation au titre du paragraphe 108(2), alors que c’est le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile qui fait les demandes d’annulation au titre du paragraphe 109(1).

[25]      Bien que la question n’ait pas été soulevée en l’espèce, le paragraphe 108(2), intitulé « Perte de l’asile », prévoit que « [l]’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1) ». Cette disposition présuppose que la Commission s’est déjà prononcée quant au statut de réfugié. Elle n’est pas, elle non plus, directement applicable ou automatique, car elle exige une demande du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

[26]      En l’espèce, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration n’a pas fait de demande au titre du paragraphe 108(2) de la LIPR au motif que M. Zaric avait perdu son statut de personne protégée du fait de son acquisition de la citoyenneté canadienne. Une telle demande, si elle avait été accueillie, n’aurait aucunement miné le caractère légitime de la décision de la SSR d’accorder le statut de réfugié à M. Zaric en tout premier lieu. C’est plutôt le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile qui a présenté une demande au titre du paragraphe 109(1) de la LIPR, alléguant que M. Zaric avait fait des présentations erronées ou s’était montré réticent au sujet de ses antécédents criminels lorsqu’il avait demandé le statut de personne protégée au Canada.

[27]      Le guide de l’UNHCR prévoit les circonstances dans lesquelles un individu n’aurait pas dû être reconnu comme réfugié en tout premier lieu (au paragraphe 117) :

La section C de l’article premier ne traite pas de l’annulation du statut de réfugié. Des cas peuvent cependant se présenter où il apparaît ultérieurement qu’une personne n’aurait jamais dû être reconnue comme réfugié, par exemple lorsqu’il apparaît ultérieurement que le statut de réfugié a été obtenu par une présentation erronée des faits ou que l’intéressé possède une autre nationalité ou encore qu’il serait tombé sous le coup d’une des clauses d’exclusion si tous les faits pertinents avaient été connus. En pareil cas, la décision par laquelle le statut de réfugié lui a été reconnu sera généralement annulée. [Non souligné dans l’original.]

[28]      Le guide de l’UNHCR prévoit que les faits rendant un revendicateur inadmissible à la protection des réfugiés peuvent n’être découverts qu’après une reconnaissance du droit d’asile au demandeur (au paragraphe 141) :

Ce sera normalement au cours du processus de détermination du statut de réfugié que les faits constituant des fins de non-recevoir en vertu de diverses clauses apparaîtront. Néanmoins, il se peut que ces faits ne soient connus qu’après qu’une personne aura été reconnue comme réfugié. En pareil cas, la clause d’exclusion devra entraîner l’annulation de la décision antérieure. [Non souligné dans l’original.]

[29]      Ni l’un ni l’autre des extraits du guide de l’UNHCR cités ci-dessus ne donne à penser que le statut de réfugié conféré par un État à une personne prend automatiquement fin dès la découverte de faits en justifiant l’exclusion. Le guide de l’UNHCR renvoie plutôt à une « annulation » de la décision de l’État d’accorder le droit d’asile.

[30]      La Convention ne prévoit pas de mécanisme particulier pour annuler l’octroi de l’asile, mais c’est précisément ce que fait la LIPR au paragraphe 109(1). La disposition prévoit que, sur demande du ministre, la Commission peut annuler une décision ayant accueilli une demande d’asile lorsque la décision « résult[e], directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait ». Rien dans le libellé de l’article 109 ne donne à penser qu’une demande d’annulation de l’asile par le ministre ne peut être faite si le demandeur est ultérieurement devenu citoyen canadien.

[31]      Ainsi que l’exprime clairement le guide de l’UNHCR, ce n’est pas le statut de réfugié qui est annulé, mais plutôt la décision selon laquelle l’asile devrait être accordé au demandeur. Étant donné que M. Zaric conservait toujours son statut de personne protégée lui ayant été accordé par la décision rendue par la SSR au titre des paragraphes 95(1) et (2) de la LIPR, la Commission était aux prises, en l’espèce, avec un litige tout à fait actuel.

[32]      En conséquence, la Commission a erré en concluant que sa décision quant à la demande d’annulation du ministre n’aurait pas d’effet pratique sur les droits du ministre. Bien que le ministre puisse aussi demander la révocation de la citoyenneté canadienne de M. Zaric sans demander d’abord l’annulation de son statut de personne protégée au sens de la LIRP, il peut exister des raisons pour que le ministre préfère remettre d’abord en question le statut de personne protégée de M. Zaric. La Commission possède une expertise particulière sur les questions de détermination du statut de réfugié. Ses procédures, et tout particulièrement ses règles de preuve, sont souples. M. Zaric affirme que cela peut mener à un abus de procédure, mais la Cour n’est pas saisie de cette question en l’espèce. Je souligne qu’une requête concernant un abus de procédure a été présentée à la Commission, mais n’a pas fait l’objet d’une décision. Je présume que c’est à cause de la décision de la Commission portant que la demande d’annulation du ministre était théorique.

[33]      L’issue de la présente instance dépend essentiellement de l’interprétation des dispositions applicables. J’ai conclu que la Commission avait erré en interprétant le paragraphe 108(1) de la LIPR, qui ne vise que le rejet d’une demande avant que celle-ci ne fasse l’objet d’une décision, comme étant la cause de la cessation du statut de réfugié de M. Zaric au moment où il est devenu citoyen canadien. Cela suffit pour décider de la demande de contrôle judiciaire du ministre.

[34]      Bien qu’il ne soit pas strictement nécessaire d’aborder la question, je conclus également que la Commission a erré en s’appuyant sur la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Villanueva-Vera. La seule question en litige dans l’arrêt Villanueva-Vera était la cessation (et non pas l’annulation) du statut de réfugié d’une personne qui était devenue citoyenne et qui, ultérieurement, avait fait l’objet de procédures d’extradition.

[35]      Dans l’arrêt Villanueva-Vera, la Cour d’appel de l’Ontario s’est appuyée sur l’arrêt de la Cour suprême Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281 (Németh), et sur celui de la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles dans DL (DRC) & the Entry Clearance Officer, Pretoria v. The Entry Clearance Officer, Karachi, [2008] EWCA Civ. 1420 (BAILII) (DL (DRC)) (renversé pour d’autres raisons dans l’arrêt ZN (Afghanistan) (FC) and others v. Entry Clearance Officer (Karachi) and one other action, [2010] UKSC 21). Au paragraphe 12 de l’arrêt Villanueva-Vera, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré ce qui suit au sujet de l’arrêt Németh :

[traduction] Németh visait la décision du ministre concernant la remise aux fins d’extradition d’une personne ayant le statut de réfugié, lorsque ce statut n’a ni cessé, ni été révoqué au moment où la décision de remise est prise. Les principes juridiques énoncés dans cet arrêt visent à orienter la décision du ministre et ne s’appliquent qu’à la circonstance en cause […]

[36]      Au paragraphe 20 de sa décision, la Cour d’appel de l’Ontario a discuté de l’arrêt DL (DRC), mais elle n’a pas fait référence à la discussion de la cour anglaise au sujet de savoir si la cessation du statut de réfugié est automatique ou ne peut s’appliquer qu’en vertu de la procédure domestique d’un État. L’extrait suivant est tiré de l’arrêt DL (DRC) :

[traduction]    Il reste la question de savoir si la cessation du statut de réfugié est automatique ou applicable seulement en vertu d’une procédure comme l’émission de l’avis envisagé dans les directives. Je suis d’accord pour affirmer qu’il est loisible aux États parties de prévoir, dans leurs ressorts territoriaux respectifs, des procédures en vertu desquelles la cessation au titre du paragraphe C(3) de l’article premier sera applicable. Le paragraphe 180 du guide de l’UNHCR énonce ce qui suit :

« Comme on l’a vu, la Convention de 1951 et le Protocole de 1967 définissent les personnes qui sont des réfugiés aux fins de ces instruments. Il va de soi que, pour permettre aux États parties à la Convention et au Protocole d’appliquer les dispositions de ces instruments, les réfugiés doivent pouvoir être identifiés. Cette identification, c’est-à-dire la détermination du statut de réfugié, même si elle est mentionnée dans la Convention de 1951 (voir l’article 9), n’est pas réglementée par cet instrument. En particulier, la Convention n’indique pas le type de procédure à suivre pour déterminer le statut de réfugié. Il appartient donc à chaque État contractant d’établir la procédure qu’il juge la plus appropriée, compte tenu de sa structure constitutionnelle et administrative. »

Si toutefois un État partie n’a pas mis en place de telles procédures, je crois que la cessation du statut de réfugié au titre du paragraphe C(3) de l’article premier prendra effet automatiquement. S’il en était autrement, l’absence de procédure interne contrecarrait l’effet de la disposition. [Non souligné dans l’original.]

[37]      Je reconnais que dans l’arrêt Villanueva-Vera, la Cour d’appel de l’Ontario a fait deux références de passage à l’application du paragraphe 108(1) de la LIPR. Aucune de ces références n’était essentielle en ce qui concerne sa décision. Au paragraphe 17, la Cour d’appel de l’Ontario renvoie à la section C, au paragraphe 3 de l’article premier de la Convention et, au paragraphe 18, elle fait remarquer que l’alinéa 108(1)c) de la LIPR a la même teneur. Selon moi, pour les raisons que je viens de mentionner, la Cour d’appel de l’Ontario a omis de faire une nuance d’importance. Selon la Convention, la cessation du statut de réfugié est automatique lorsque l’existence de l’un des motifs prescrits est établie, alors que le statut de personne protégée prévu par le droit interne d’un pays est régi par les procédures de ce pays (DL (DRC) au paragraphe 32).

[38]      En conséquence, l’observation faite par la Cour d’appel de l’Ontario au paragraphe 21 de l’arrêt Villanueva-Vera, à savoir que [traduction] « [d]u point de vue du Canada, tant au regard du droit international que du droit interne, son statut de réfugié a pris fin », est erronée sur le plan technique. Cela n’altère pas la conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario, énoncée comme suit dans le même paragraphe : [traduction] « lorsque madame Villanueva-Vera a acquis sa citoyenneté canadienne, les raisons pour lesquelles le statut de réfugié lui avait été accordé ont disparu ». Ce motif suffisait pour que la Cour d’appel de l’Ontario règle la question d’extradition dont elle était saisie. Ses commentaires sur l’application technique du paragraphe 108(1) de la LIPR peuvent être interprétés comme étant des remarques incidentes. De toute manière, je ne suis pas lié par l’arrêt Villanueva-Vera.

[39]      Ni l’arrêt Villanueva-Vera ni l’arrêt Németh ne visaient principalement l’interprétation technique et l’application du paragraphe 108(1) de la LIPR, et il n’était pas raisonnable, de la part de la Commission, de s’appuyer sur ces décisions pour étayer sa conclusion selon laquelle le statut de réfugié d’une personne au regard du droit interne canadien cesse automatiquement en vertu du paragraphe 108(1) de la LIPR dès l’octroi de la citoyenneté canadienne. La demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie.

C.        Une question devrait-elle être certifiée en vue d’appel?

[40]      Les deux parties proposent qu’une question soit certifiée à des fins d’appel. Au paragraphe 9 de l’arrêt Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290, la Cour d’appel fédérale a confirmé la norme applicable à la certification des questions :

Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL), au paragraphe 4; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).

[41]      Je conclus que les deux conditions préalables sont remplies en l’instance. Je certifierai la question de portée générale suivante :

La protection des réfugiés accordée en vertu du paragraphe 95(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés cesse-t-elle automatiquement du fait de l’application de l’alinéa 108(1)c) lorsqu’un réfugié au sens de la Convention devient citoyen canadien, empêchant ainsi le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de demander, en vertu du paragraphe 109(1), à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’annuler sa décision antérieure d’accorder l’asile?

JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision sur la demande d’annulation du ministre, sur le fond. La question suivante est certifiée en vue d’un d’appel :

La protection des réfugiés accordée en vertu du paragraphe 95(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés cesse-t-elle automatiquement du fait de l’application de l’alinéa 108(1)c) lorsqu’un réfugié au sens de la Convention devient citoyen canadien, empêchant ainsi le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de demander, en vertu du paragraphe 109(1), à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’annuler sa décision antérieure d’accorder l’asile?

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