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T-1405-13

2014 CF 1

Société TELUS Communications (demanderesse)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : TELUS c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Strickland—Ottawa, 3 décembre 2013 et 2 janvier 2014.

Télécommunications — Demande de contrôle judiciaire visant le pouvoir du ministre de l’Industrie (le ministre) relativement à la délivrance, en vertu de la Loi sur la radiocommunication (la LR), des licences d’utilisation du spectre — Le ministre a mis à disposition des fréquences dans la bande de 700 MHz pour les systèmes mobiles commerciaux — Un processus de consultation traitait de mécanismes précis pouvant s’appliquer aux enchères de la bande de 700 MHz, afin de favoriser l’existence d’un marché concurrentiel, notamment des limites de regroupement des fréquences (plafonds de fréquences), ou des limites au nombre de fréquences qu’une seule entité peut détenir — Un autre rapport énonçait les règles et les procédures de participation au processus concurrentiel de délivrance de licences, y compris les conditions de licence applicables — La demanderesse a été touchée par de telles décisions et conditions, parce que, à titre de grand fournisseur de services sans fil, elle ne se verra pas délivrer certaines licences — La demanderesse a soutenu que ces conditions ou décisions sont en fait des critères d’admissibilité que le ministre n’avait pas le pouvoir d’appliquer, outrepassant donc sa compétence — Il s’agissait de savoir si le ministre a outrepassé sa compétence lorsqu’il a assorti la délivrance des licences de spectre des conditions en cause — Le fait de limiter la capacité des grands fournisseurs de service sans fil d’acquérir du spectre n’impose pas une exigence quant à l’admissibilité, mais a pour but la concrétisation et l’avancement des objectifs de la politique de télécommunication clairement formulée — Il y a entre le ministre et le gouverneur en conseil une compétence concurrente d’établir les conditions de délivrance des licences, le gouverneur en conseil ayant le pouvoir exclusif de légiférer — En l’absence de règlement adopté par le gouverneur en conseil relativement à l’admissibilité aux licences du spectre, cela permettait au ministre d’exercer son pouvoir et d’assortir les licences de conditions — L’existence d’un pouvoir réglementaire non utilisé n’a pas pour fonction de limiter la capacité du ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire réglementaire — Le ministre a correctement et raisonnablement exercé son pouvoir en l’espèce — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire visant le pouvoir du ministre de l’Industrie (le ministre) relativement à la délivrance, en vertu de la Loi sur la radiocommunication (la LR), des licences d’utilisation du spectre pour la bande 700 MHz. La demanderesse sollicitait un jugement déclaratoire et une ordonnance de prohibition en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

Le spectre de fréquences radio est divisé en bandes de fréquences conçues pour être utilisées par les services de radiocommunication. Le ministre de l’Industrie est chargé de gérer le spectre au Canada dans le cadre de la Loi sur le ministère de l’Industrie (LMI), de la LR et du Règlement sur la radiocommunication (le Règlement), en tenant dûment compte des objectifs de la Loi sur les télécommunications (la LT). Le ministre a conclu que, pour permettre la croissance continue des larges bandes sans fil, on a besoin d’un spectre suffisamment large pour permettre l’expansion des réseaux sans fil et l’arrivée des nouvelles technologies à large bande. À cette fin, il a mis à disposition des fréquences dans la bande de 700 MHz pour les systèmes mobiles commerciaux. En prévision d’une forte demande, le ministre a décidé que le spectre serait offert au moyen d’une enchère. À cet égard, le ministre a commencé un processus initial de consultation qui a débouché sur la publication par Industrie Canada, le 30 novembre 2010, d’un rapport intitulé « Consultation sur un cadre politique et technique visant la bande de 700 MHz et les aspects liés au spectre mobile commercial » (la Consultation). La Consultation traitait de mécanismes précis, notamment de limites de regroupement des fréquences (plafonds de fréquences et des réserves de fréquences) pouvant s’appliquer aux enchères de la bande de 700 MHz, afin de favoriser l’existence d’un marché concurrentiel. Les plafonds de fréquences limitaient la quantité de fréquences que chaque soumissionnaire admissible pouvait acheter dans une zone géographique précise.

En mars 2011, Industrie Canada a publié une « Politique cadre sur la vente aux enchères du spectre au Canada », laquelle prévoyait, entre autres, que le gouvernement pouvait prendre diverses mesures pour promouvoir l’émergence d’un marché concurrentiel après les enchères, notamment en restreignant la participation de certaines entités aux enchères et/ou en imposant des limites au nombre de fréquences qu’une seule entité peut détenir au moyen de fréquences réservées et de limites de regroupement de fréquences.

En mars 2012, Industrie Canada a publié le « Cadre politique et technique : Service mobile à large bande (SMLB) — bande de 700 MHz, Service radio à large bande (SRLB) — bande de 2 500 MHz » (le Cadre politique et technique), grâce auquel Industrie Canada annonçait les décisions résultant de son processus de consultation antérieur. Industrie Canada a affirmé qu’elle avait conclu que des mesures ciblées étaient requises pour permettre d’atteindre les objectifs de soutenir une concurrence constante, des investissements solides, d’améliorer les services mobiles dans les régions rurales, ainsi que de fournir la sûreté et la sécurité publique. Industrie Canada a en outre déterminé que les plafonds de fréquences convenaient mieux que les réserves.

En mars 2013, Industrie Canada a publié le « Cadre de délivrance de licences pour les services mobiles à large bande (SMLB) — bande de 700 MHz » (le Cadre de délivrance des licences), qui énonce les règles et les procédures de participation au processus concurrentiel de délivrance de licences du spectre dans la bande de 700 MHz, y compris les conditions de licence applicables.

La demanderesse a été touchée par de telles décisions et conditions, parce qu’il résultera du processus des enchères que, à titre de grand fournisseur de services sans fil, elle ne se verra pas délivrer de licences pour plus d’un bloc de fréquences dans certains blocs. La demanderesse a soutenu que ces conditions ou décisions sont en fait des critères d’admissibilité que le ministre n’avait pas le pouvoir d’appliquer, outrepassant donc sa compétence.

La principale question était de savoir si le ministre a outrepassé sa compétence lorsqu’il a assorti la délivrance des licences de spectre pour la bande de fréquences de 700 MHz des conditions en cause.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Le point litigieux consistait à savoir si, lorsque le ministre a assorti de conditions la délivrance des licences du spectre, il a outrepassé son pouvoir en prenant une décision quant à l’admissibilité. Il s’agissait de savoir si les conditions imposées par le ministre ont en fait trait à « l’admissibilité » et outrepassaient donc sa compétence. Tant le ministre que le gouverneur en conseil ont le pouvoir d’assortir de conditions les licences du spectre, mais seul le gouverneur en conseil a le pouvoir de définir les critères d’admissibilité. Le pouvoir du ministre est assujetti au pouvoir réglementaire du gouverneur en conseil, lequel n’a pas été exercé dans le domaine des licences du spectre. Le ministre disposait bien du pouvoir d’établir des plafonds de fréquences comme condition dans le cadre de la délivrance des licences. Ce faisant, le ministre n’a pas imposé d’exigences d’admissibilité ou transgressé les pouvoirs réglementaires du gouverneur en conseil. L’imposition de plafonds de fréquences ou de limites de regroupement de fréquences avait pour but la concrétisation et l’avancement des objectifs de la politique de télécommunication clairement formulée. Conformément aux paragraphes 5(1.2) et 5(1.4) de la LR, le ministre peut recourir à un processus d’adjudication et établir les formalités, les normes et les modalités y afférant, notamment les qualités des enchérisseurs, lorsqu’il choisit les personnes auxquelles les autorisations de radiocommunication seront délivrées. Le fait que de telles conditions ou qualités servent à limiter la capacité des grands fournisseurs de service sans fil d’acquérir plus de blocs dans la bande attrayante de 700 MHz du spectre, n’impose pas une exigence quant à l’admissibilité; au contraire, il s’agit de la mise en œuvre de la politique envisagée. Même si l’admissibilité était touchée, cela serait accessoire à l’intention générale du législateur.

La demanderesse a fait observer que le ministre a uniquement le pouvoir discrétionnaire administratif de choisir les titulaires de licences parmi ceux qui sont admissibles. Cependant, l’arrêt sur lequel elle s’est fondée a été distingué. En l’espèce, le ministre peut délivrer des licences du spectre et les assortir de conditions. Le gouverneur en conseil a le pouvoir réglementaire de définir les conditions d’attribution des licences du spectre et les critères d’admissibilité. Ainsi, il y a une compétence concurrente d’établir les conditions de délivrance des licences, le gouverneur en conseil ayant le pouvoir exclusif de légiférer. Par ailleurs, comme le gouverneur en conseil n’a pas encore légiféré quant aux licences du spectre, cela permet au ministre d’exercer son pouvoir et d’assortir les licences de conditions, ce qui touche accessoirement à l’admissibilité. Le législateur a spécifiquement accordé au ministre le pouvoir discrétionnaire d’octroyer ou de refuser d’octroyer une licence conformément à son mandat et à sa compétence. Si l’établissement d’un plafond de fréquences entraîne le refus d’une licence à une catégorie précise de demandeurs, il s’agit là de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et non pas de l’imposition illégale de critères d’admissibilité. L’existence d’un pouvoir réglementaire non utilisé, comme c’est le cas en l’espèce, n’a pas pour fonction de limiter la capacité du ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire réglementaire.

En conclusion, le ministre avait le pouvoir d’établir des conditions pour les licences de spectre dans la bande de 700 MHz, notamment les plafonds de fréquences applicables aux grands fournisseurs de service sans fil comme la demanderesse. S’il y avait un quelconque aspect des conditions qui touche à l’admissibilité, alors cela est accessoire au pouvoir du ministre d’administrer la gestion du spectre, conformément aux objectifs de cette politique. En l’absence de règlement adopté par le gouverneur en conseil relativement à l’admissibilité aux licences du spectre, l’imposition de conditions n’outrepasse pas le pouvoir du ministre ou n’entre pas en conflit avec le pouvoir réglementaire du gouverneur en conseil. Le ministre a correctement et raisonnablement exercé son pouvoir à cet égard.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Instructions au CRTC (inadmissibilité de non-Canadiens), DORS/97-192.

Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9.

Loi sur la radio, S.R.C. 1952, ch. 233.

Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R-2, art. 2 « autorisation de radiocommunication », 5(1),(1.1),(1.2),(1.4), 6.

Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, art. 9(1).

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42.

Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1, art. 4(1), 5.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 133(6).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(1),(2).

Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29, art. 58(5).

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14.

Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, art. 7, 16, 22(1).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

Personal Information Protection Act, S.A. 2003, ch. P-6.5, art. 50(5).

Règlement sur la propriété et le contrôle des entreprises de télécommunication canadiennes, DORS/94-667.

Règlement sur la radiocommunication, DORS/96-484, art. 9, 10.

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, art. 161(1)a).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 302.

Securities Act, R.S.B.C. 1996, ch. 418, art. 159, 161(6)(d).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2011 CF 1308, conf. par 2012 CAF 322; May c. CBC/Radio-Canada, 2011 CAF 130; Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.); Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 273, [2008] 2 R.C.F. 341; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Vaziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159.

décision différenciée :

Procureur général du Canada c. Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60.

décisions examinées :

Apotex Inc. c. Canada (Health), 2010 CF 1310; Sweet c. Canada, 1999 CanLII 8927 (C.A.F.); Fisher c. Canada (Procureur général), 2013 CF 1108; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 155; Clare c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 265; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général), [1993] F.C.J. no 902 (QL), (1993), 107 D.L.R. (4th) 190 (C.F. 1re inst.); Greenisle Environmental Inc. v. Prince Edward Island, 2005 PESCTD 33, 248 Nfld. & P.E.I.R. 39.

décisions citées :

Canada (Procureur général) c. Trust Business Systems, 2007 CAF 89; Airth c. Canada (Revenu national), 2006 CF 1442; Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1120; Goodwin c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1185; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, conf. sub nom Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, [2010] 4 R.C.F. 579; Aviation Roger Forgues Inc. c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 196; Momi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 738, [2007] 2 R.C.F. 291; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; Jabel Image Concepts Inc. c. Canada, 2000 CanLII 15319 (C.A.F.); R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217; Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2001 CAF 236, [2001] 4 C.F. 237, conf. par 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476; R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205; Angus c. Canada, [1990] 3 C.F. 410 (C.A.); Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1998] 2 C.F. 548 (C.A.); Association des crevettiers acadiens du Golfe inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CF 305.

DOCTRINE CITÉE

Handa, Sunny et al. Communications Law in Canada, fascicule no 46 (édition feuilles mobiles). Markham : LexisNexis, 2013.

Industrie Canada. « Cadre de délivrance de licences pour les services mobiles à large bande (SMLB) — bande de 700 MHz », mars 2013, en ligne : <https://www.ic.gc.ca/eic/site/smt-gst.nsf/vwapj/Cadre_de_delivrance_de_licences_SMLB_bande_de_700_MHz.pdf/$file/Cadre_de_delivrance_de_licences_SMLB_bande_de_700_MHz.pdf>.

Industrie Canada. « Cadre politique et technique: Service mobile à large bande (SMLB) — bande de 700 MHz, Service radio à large bande (SRLB) — bande de 2 500 MHz », mars 2012, en ligne : <https://www.ic.gc.ca/eic/site/smt-gst.nsf/vwapj/700MHz-f.pdf/$file/700MHz-f.pdf>.

Industrie Canada. « Consultation sur un cadre de délivrance des licences pour services mobiles à large bande (SMLB) — bande de 700 MHz », avril 2012, en ligne : <https://www.ic.gc.ca/eic/site/smt-gst.nsf/vwapj/dgso-002-12-consultation-SMLB-700MHz-v1.pdf/$FILE/dgso-002-12-consultation-SMLB-700MHz-v1.pdf>.

Industrie Canada. « Consultation sur un cadre politique et technique visant la bande de 700 MHz et les aspects liés au spectre mobile commercial », le 30 novembre 2010, en ligne : <https://www.ic.gc.ca/eic/site/smt-gst.nsf/vwapj/smse018f.pdf/$file/smse018f.pdf>.

Industrie Canada. « Politique cadre sur la vente aux enchères du spectre au Canada», mars 2011, en ligne : <https://www.ic.gc.ca/eic/site/smt-gst.nsf/vwapj/dgso-001-11-framework-f.pdf/$FILE/dgso-001-11-framework-f.pdf>.

Ryan, Michael H. Canadian Telecommunications Law and Regulation. Scarborough, Ont. : Carswell, 1993.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant le pouvoir du ministre de l’Industrie relativement à la délivrance, en vertu de la Loi sur la radiocommunication, des licences d’utilisation du spectre pour la bande 700 MHz. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Christopher C. Rootham, Stephen R. Schmidt et Michael H. Ryan (Arnold & Porter LLP, Londres, Angleterre) pour la demanderesse.

Sanderson Graham, Gregory Tzemenakis et David Aaron pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Nelligan O’Brien Payne LLP et TELUS Communications Company, Ottawa, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        La juge Strickland : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant le pouvoir du ministre de l’Industrie (le ministre) relativement à la délivrance, en vertu de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R-2 (la LR), des licences d’utilisation du spectre pour la bande 700 MHz. La présente demande, présentée au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la LCF), vise à obtenir un jugement déclaratoire et une ordonnance de prohibition.

Le contexte factuel

[2]        Le spectre de fréquences radio est divisé en bandes de fréquences conçues pour être utilisées par les services de radiocommunication et chacun de ceux‑ci se voit attribuer une priorité d’accès spécifique aux différentes bandes. Le ministre de l’Industrie est chargé de gérer le spectre au Canada dans le cadre de la Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1 (la LMI), de la LR, et du Règlement sur la radiocommunication, DORS/96-484 (le Règlement), en tenant dûment compte des objectifs de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38 (la LT). En 1995, Industrie Canada a établi un cadre politique pour le spectre au Canada, lequel a par la suite été révisé ou modifié par diverses versions, notamment celle datée de juin 2007.

[3]        Le ministre a conclu que, pour permettre la croissance continue des larges bandes sans fil, on a besoin d’un spectre suffisamment large pour permettre l’expansion des réseaux sans fil et l’arrivée des nouvelles technologies à large bande. À cette fin, il a mis à disposition des fréquences dans la bande de 700 MHz pour les systèmes mobiles commerciaux. Prévoyant que les demandes dépasseraient l’offre pour les fréquences très convoitées de la bande de 700 MHz, le ministre a décidé que le spectre serait offert au moyen d’une enchère comme cela s’est fait auparavant. À cet égard, le ministre a commencé un processus initial de consultation qui a débouché sur la publication par Industrie Canada, le 30 novembre 2010, d’un rapport intitulé « Consultation sur un cadre politique et technique visant la bande de 700 MHz et les aspects liés au spectre mobile commercial » (la Consultation). La Consultation traitait de mécanismes précis, notamment de limites de regroupement des fréquences (plafonds de fréquences et des réserves de fréquences) pouvant s’appliquer aux enchères de la bande de 700 MHz, afin de favoriser l’existence d’un marché concurrentiel. Le Canada a aussi été divisé en 14 zones de services différentes aux fins des enchères.

[4]        Les plafonds de fréquences limitaient la quantité de fréquences que chaque soumissionnaire admissible pouvait acheter dans une zone géographique précise. Le plafond de fréquences fixé dans une enchère en 2001, afin de s’assurer que les nouveaux venus aient accès à suffisamment de fréquences pour concurrencer les exploitants existants, a eu comme résultante l’arrivée de deux nouveaux titulaires de licences.

[5]        La Consultation visait à obtenir les commentaires des acteurs de l’industrie relativement à des réserves ou des plafonds de fréquences pour les licences dans la bande de 700 MHz. TELUS et d’autres intervenants ont déposé des observations en réponse.

[6]        En mars 2011, Industrie Canada a publié une « Politique cadre sur la vente aux enchères du spectre au Canada ». Cette politique prévoit, entre autres, que le gouvernement peut prendre diverses mesures pour promouvoir l’émergence d’un marché concurrentiel après les enchères, notamment en restreignant la participation de certaines entités aux enchères et/ou en imposant des limites au nombre de fréquences qu’une seule entité peut détenir au moyen de fréquences réservées et de limites de regroupement de fréquences.

[7]        En avril 2012, Industrie Canada a publié une « Consultation sur un cadre de délivrance des licences pour services mobiles à large bande (SMLB) — bande de 700 MHz » (la Consultation de 2012), lançant ainsi une consultation sur un cadre de délivrance des licences pour ces services. Industrie Canada a sollicité des commentaires sur des aspects de la délivrance des licences comme la façon de procéder aux enchères, les règles et les processus des enchères, et les conditions de licence relatives aux fréquences dans la bande de 700 MHz. Industrie Canada a sollicité des commentaires sur la formulation proposée pour les conditions de licence concernant la limite de regroupement de spectre ainsi que la transférabilité et divisibilité des licences. TELUS et d’autres intervenants ont encore une fois déposé des observations en réponse.

[8]        En mars 2012, Industrie Canada a publié le « Cadre politique et technique : Service mobile à large bande (SMLB) — bande de 700 MHz, Service radio à large bande (SRLB) — bande de 2 500 MHz » (le Cadre politique et technique). Grâce à ce document, Industrie Canada annonçait les décisions résultant de son processus de consultation antérieur. Entre autres, Industrie Canada a conclu que des mesures ciblées concernant les enchères des bandes de 700 MHz et de 2 500 MHz étaient requises pour permettre d’atteindre les objectifs de soutenir une concurrence soutenue , des investissements solides, d’améliorer les services mobiles dans les régions rurales, ainsi que de fournir la sûreté et la sécurité publique. Industrie Canada a en outre déterminé que les plafonds de fréquences convenaient mieux que les réserves.

[9]        Les décisions concernant les mécanismes visant à promouvoir la concurrence dans les enchères dans la bande de 700 MHz ont été résumées de la façon suivante (le Cadre politique et technique, en général, la Partie B3, aux pages 33 à 35) :

B3-1 : Un plafond de deux blocs de fréquences appariés dans la bande de 700 MHz (blocs A, B, C, C1 et C2) s’applique à tous les titulaires de licence.

B3-2 : Un plafond d’un bloc de fréquences apparié parmi les blocs B, C, C1 et C2 s’applique à tous les grands fournisseurs de services sans fil. On entend par « grands fournisseurs de services sans fil » les entreprises détenant une part d’au moins 10 % du marché national des services sans fil sur abonnement ou d’au moins 20 % du marché des services sans fil sur abonnement dans la province de la zone autorisée pertinente.

B3-3 : Les blocs de fréquences non appariés D et E de la partie inférieure de la bande de 700 MHz ne sont pas assujettis à un plafond de fréquences.

[…]

B3-6 : Les plafonds de fréquences mis en place pour les enchères de la bande de 700 MHz seront maintenus pour une période de cinq ans à compter de la délivrance des licences. Par conséquent, le Ministère n’autorisera aucun transfert de licence ou aucune délivrance de nouvelle licence qui aurait pour effet de permettre à un titulaire de licence de dépasser le plafond de fréquences durant cette période. [Notes en bas de page omises.]

[10]      En mars 2013, Industrie Canada a publié le « Cadre de délivrance de licences pour les services mobiles à large bande (SMLB) — bande de 700 MHz » (le Cadre de délivrance des licences) dans lequel elle annonçait les décisions résultant des consultations antérieures à cet égard. Le Cadre de délivrance de licences a été décrit comme étant un complément au Cadre politique et technique. Le Cadre de délivrance des licences énonce les règles et les procédures de participation au processus concurrentiel de délivrance de licences du spectre dans la bande de 700 MHz, y compris les détails relatifs à la structure et aux règles des enchères, au processus de demande et aux échéances, et aux conditions de licence applicables. Ce document mentionne que des décisions de principe concernant le processus de délivrance de licences du spectre dans la bande de 700 MHz ont été annoncées dans le Cadre politique et technique, et que les licences qui seront mises aux enchères seront conformes à ces décisions.

[11]      La décision relative au libellé des conditions de licence pertinentes, commentée par TELUS, est énoncée de la façon suivante [le Cadre de délivrance des licences, à la page 44] :

Le titulaire de licence doit se conformer aux limites suivantes de regroupement de fréquences :

    Une limite de deux blocs de fréquences appariées dans la bande de 700 MHz (blocs A, B, C, C1 et C2) s’applique à tous les titulaires de licences.

    Une limite d’un bloc de fréquences appariées dans les blocs B, C, C1 et C2 s’applique à tous les grands fournisseurs de services sans fil. On définit ces derniers comme des entreprises détenant au moins 10 p. cent du marché national des abonnés aux services sans fil, ou au moins 20 p. cent du marché des abonnés aux services sans fil dans la province où se trouve l’étendue faisant l’objet de la licence […]

Ces limites de regroupement de fréquences demeureront en place pendant les cinq ans suivant la délivrance de la licence. Aucun transfert de licence ou délivrance de licence permettant à un titulaire de licence de dépasser les limites de regroupement de fréquences pendant cette période ne sera autorisé. [Note en bas de page omise.]

[12]      TELUS, un grand fournisseur de services sans fil, comme défini dans le Cadre politique et technique, est touché par de telles décisions et conditions, parce qu’il résultera du processus des enchères que TELUS ne se verra pas délivrer de licences pour plus d’un bloc de fréquences dans les blocs B, C, C1 et C2.

[13]      TELUS soutient que ces deux conditions ou décisions, telles qu’elles sont décrites dans le Cadre politique et technique et le Cadre de délivrance des licences, sont en fait des critères d’admissibilité. Toutefois, le ministre n’a pas le pouvoir d’appliquer quelque critère que ce soit autre que ceux prévus dans le Règlement, lorsqu’il décide de l’admissibilité de TELUS ou d’autres qui sollicitent la délivrance de licences en vertu de la LR. Le ministre a donc outrepassé sa compétence et ses décisions sont illégales.

[14]      Il est prévu que les enchères de la bande de 700 MHz, auxquelles TELUS a l’intention de participer, auront lieu le 14 janvier 2014. Par conséquent, TELUS demande que sa demande de contrôle judiciaire soit instruite selon la procédure accélérée.

Le contexte législatif

[15]      La question en litige dans la présente demande concerne l’interprétation des dispositions législatives concernant l’étendue du pouvoir du ministre. Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en entier à l’annexe A de la présence décision et sont résumées ci‑dessous.

La LR

[16]      L’article 2, les paragraphes 5(1), 5(1.1), 5(1.2), 5(1.4) et l’alinéa 6(1)b) de la LR sont pertinents quant à la présente procédure. L’article 2 définit l’« autorisation de radiocommunication » comme étant toute licence ou autorisation et tout certificat visé à l’alinéa 5(1)a). Le paragraphe 5(1) confère le pouvoir au ministre, sous réserve de tout règlement pris en application de l’article 6, de délivrer et d’assortir de conditions les licences radio (sous‑alinéa 5(1)a)(i)), les licences du spectre (sous-alinéa 5(1)a)(i.1)) et toute autre autorisation relative à la radiocommunication qu’il estime indiqué (sous‑alinéa 5(1)a)(v)), ainsi que de planifier l’attribution et l’utilisation du spectre (alinéa 5(1)e)), et de prendre toute autre mesure propre à favoriser l’application efficace de la LR (alinéa 5(1)n)). De plus, le paragraphe 5(1.1) énonce que dans l’exercice des pouvoirs prévus au paragraphe 5(1), le ministre peut tenir compte de la politique canadienne de télécommunication énoncée à l’article 7 de la LT. Le paragraphe 5(1.2) énonce que dans l’exercice du pouvoir qui lui est conféré par l’alinéa 5(1)a), le ministre peut recourir à un processus d’adjudication pour délivrer des autorisations de radiocommunication. Le paragraphe 5(1.4) dispose que le ministre peut établir les formalités, les normes et les modalités applicables au processus d’adjudication visé au paragraphe (1.2) et, notamment, fixer les mécanismes d’enchères, la mise à prix, les qualités des enchérisseurs, les modalités d’acceptation des enchères, les frais de demande exigibles des enchérisseurs, les exigences de dépôt, les pénalités pour retrait et les calendriers de paiement.

[17]      L’alinéa 6(1)b) de la LR confère au gouverneur en conseil le pouvoir d’adopter un règlement définissant l’admissibilité à l’attribution d’autorisations de radiocommunication. Comme énoncé ci‑dessus, par définition, les autorisations de radiocommunication incluent à la fois les licences radio et les licences du spectre. Le règlement est muet en ce qui a trait à l’admissibilité aux licences du spectre.

Le Règlement

[18]      Le gouverneur en conseil a exercé son pouvoir réglementaire par l’adoption du Règlement. La partie I du Règlement traite des licences radio et établit les modalités principales de telles licences, notamment les restrictions applicables, les exigences en matière d’admissibilité, l’incessibilité et les appareils radio exemptés. Selon le paragraphe 9(1), sont admissibles à l’attribution de licences radio à titre d’usager radio ou de fournisseur de service radio, les personnes physiques (dépendamment de leur statut en matière de citoyenneté ou de résidence), les personnes morales constituées, les sociétés de personnes ou coentreprises, les gouvernements, les propriétaires de navire ou d’aéronef et d’autres. Selon le paragraphe 10(1), sont admissibles à l’attribution d’une licence radio à titre de transporteur de radiocommunication les personnes physiques (dépendamment de leur statut en matière de citoyenneté ou de résidence) les sociétés de personnes ou coentreprises, les gouvernements et les personnes morales dans le contexte de propriété et de contrôle canadiens.

La LMI

[19]      Le paragraphe 4(1) et l’article 5 de la LMI sont aussi pertinents quant à la présente procédure. Le paragraphe 4(1) énonce les pouvoirs et fonctions du ministre et mentionne que ceux‑ci s’étendent de façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement « non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux » et liés aux télécommunications (alinéa 4(1)k)). L’article 5 énonce les objectifs qui guident le ministre dans l’exercice du pouvoir que lui confère le paragraphe 4(1) notamment, encourager la mise sur pied, le développement et l’efficacité des systèmes et installations de communications du pays et faciliter l’adaptation aux situations intérieure et internationale (alinéa 5g)), stimuler l’investissement (alinéa 5h)), promouvoir les intérêts et la protection du consommateur canadien (alinéa 5i)).

La LT

[20]      L’article 7 de la LT énonce les objectifs de la politique canadienne de télécommunication. L’article 16 énonce les exigences en matière d’admissibilité à agir comme entreprise de télécommunication et le paragraphe 22(1) mentionne que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant l’admissibilité des entreprises canadiennes prévue à l’article 16 d’agir en tant qu’entreprise de télécommunication.

Les questions en litige

[21]      Selon la demanderesse, la seule question en litige dans la présente demande consiste à savoir si le ministre a compétence pour imposer des critères d’admissibilité quant aux personnes auxquelles les licences du spectre peuvent être délivrées, et d’assortir la délivrance des licences de conditions, lesquelles comprennent des critères d’admissibilité autres que ceux prescrits par le gouverneur en conseil.

[22]      Le défendeur a formulé les questions en litige de la façon suivante :

•   La demande est-elle prescrite?

•   Quelle est la norme de contrôle applicable?

•   La décision du ministre était-elle raisonnable?

[23]      À l’évidence, les parties ont formulé de façon très différente la principale question en litige dans la présente demande. La demanderesse l’a formulée comme étant une question de compétence, tandis que selon le défendeur il s’agit d’une question de caractère raisonnable des décisions du ministre. Selon moi, il convient de formuler comme suit les questions en litige :

1.    Selon le paragraphe 18.1(2) de la LCF, la présente demande est‑elle prescrite?

2.    Quelle est la norme de contrôle applicable?

3.    Le ministre a‑t‑il outrepassé sa compétence lorsqu’il a assorti la délivrance des licences de spectre pour la bande de fréquences de 700 MHz des conditions en cause?

Première question en litige : Selon le paragraphe 18.1(2) de la LCF, la présente demande est‑elle prescrite?

Observations du défendeur

[24]      Le défendeur soutient que la demanderesse conteste une décision de politique ministérielle distincte à laquelle le délai de 30 jours imposé par l’article 18.1 de la LCF s’applique, et qu’elle devrait donc être rejetée parce qu’elle a été présentée en retard.

[25]      La demanderesse a appris en mars 2012, grâce au Cadre politique et technique, la décision de politique d’utiliser un système de plafond de fréquences prise par le ministre et en mars 2013, grâce au Cadre de délivrance des licences. Bien que la demanderesse eût pu présenter la demande de contrôle judiciaire à ce moment‑là, elle a choisi de ne le faire qu’environ 17 mois plus tard, soit en août 2013. La demande n’a donc pas du tout été déposée dans le délai prescrit. La décision contestée n’est pas une « conduite continue » ou une politique générale en évolution (Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2011 CF 1308, au paragraphe 20, confirmé par 2012 CAF 322 (Apotex 2012), au paragraphe 8; Canada (Procureur général) c. Trust Business Systems, 2007 CAF 89 (Trust Business), au paragraphe 20). Il s’agit d’un ensemble de décisions de politique spécifiques, prises à un moment précis, qui comprennent notamment la façon dont les enchères du 14 janvier 2014 seront menées. La demanderesse instille de l’incertitude dans les enchères et va à l’encontre des objectifs du paragraphe 18.1(2).

Observations de la demanderesse

[26]      Selon la demanderesse, aucune décision n’a encore été rendue dans cette cause, il n’y en aura pas non plus, jusqu’à ce que les résultats des enchères soient connus et que le ministre décide à qui les licences seront délivrées. Ainsi, la demande ne vise pas une « décision » précise aux termes du paragraphe 18.1(2) de la LCF. Au contraire, elle a trait à un « objet », aux termes du paragraphe 18.1(1) de la LCF, soit la politique du ministre de refuser d’émettre des licences du spectre autorisant l’utilisation d’un deuxième bloc de fréquences par les grands fournisseurs de service sans fil. Le délai de 30 jours mentionné au paragraphe 18.1(2) ne s’applique pas à une demande visant à contester la légalité ou la compétence de créer une politique continue (Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2010 CF 1310 (Apotex), au paragraphe 10; Airth c. Canada (Revenu national), 2006 CF 1442 (Airth), aux paragraphes 9 et 10; Sweet c. Canada, 1999 CanLII 8927 (C.A.F.) (Sweet), au paragraphe 11; May c. CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130 (May), au paragraphe 10; Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.) (Krause)).

[27]      En outre, si la demanderesse attend jusqu’aux enchères pour recevoir une décision relative à la délivrance des licences et qu’elle présente par la suite une demande de contrôle judiciaire de cette décision, la validité des enchères serait mise en doute et, selon la décision May, précitée, il n’est pas certain que la tenue d’une audience en procédure accélérée serait autorisée.

Analyse

[28]      Le paragraphe 18.1(1) de la LCF mentionne qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par « l’objet » de la demande. Le paragraphe 18.1(2) mentionne que les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les 30 jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, « de sa décision ou de son ordonnance » au bureau du procureur général du Canada ou à la partie concernée.

[29]      Par conséquent, lorsque la question sur laquelle porte le contrôle judiciaire a trait à « l’objet de la demande », plutôt qu’à une « décision » ou une « ordonnance », le délai de 30 jours ne s’applique pas (Krause, précité, au paragraphe 23; Airth, précitée, aux paragraphes 5 et 10). Par conséquent, la question consiste à savoir si la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse a trait à une décision ou à un objet.

[30]      Tant le Cadre politique et technique que le Cadre de délivrance des licences décrivent les conclusions du ministre comme étant des « décisions ». Dans ses observations, le défendeur décrit les conclusions du ministre comme étant des décisions de politique.

[31]      Dans l’arrêt Krause, précité, la Cour d’appel fédérale a décidé que le délai fixé par le paragraphe 18.1(2) n’empêchait pas les demandeurs de solliciter de la Cour une ordonnance de mandamus, une ordonnance de prohibition et un jugement déclaratoire. Dans cette affaire, bien qu’il fut question d’une décision centrale d’adopter les recommandations de 1988 de l’Institut canadien des comptables agréés et de les mettre en application au cours des cinq exercices subséquents, ce n’était pas cette décision générale qui était contestée, c’était plutôt les actes accomplis par les ministres responsables pour mettre à exécution cette décision qui étaient prétendument invalides ou illégaux. La Cour d’appel a déclaré ce qui suit [aux paragraphes 23 et 24] :

Ce que reprochent les appelants aux ministres responsables c’est qu’en faisant ce qu’ils ont fait au cours de l’exercice 1993-1994 et des exercices subséquents, ils ont contrevenu aux dispositions applicables de ces deux lois et n’ont donc pas rempli leurs obligations en la matière, et que ces agissements se poursuivront si la Cour n’intervient pas pour faire respecter l’état de droit […]

L’exercice de la compétence prévue à l’article 18 n’est pas subordonné à l’existence d’une « décision ou ordonnance ». Dans Alberta Wilderness Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), le juge Hugessen a fait observer que le recours prévu par cette disposition « ne dépend pas de l’existence préalable d’une décision ni d’une ordonnance ». En l’espèce, l’existence d’une décision générale d’adopter les recommandations de l’Institut canadien des comptables agréés ne fait pas courir le délai de prescription du paragraphe 18.1(2) de façon à rendre les appelants irrecevables à agir en mandamus, prohibition ou jugement déclaratoire. Autrement, quelqu’un qui serait dans le même cas n’aurait jamais la possibilité de demander justice sous le régime de l’article 18 du seul fait que le supposé acte invalide ou illégal découle d’une décision antérieurement prise en la matière. Cette dernière décision n’est pas elle-même un manquement à quelque obligation légale que ce soit. S’il y a eu manquement, celui-ci tient aux actes accomplis par le ministre responsable en violation du texte de loi applicable. [Note en fin de texte omise.]

[32]      Selon le défendeur, contrairement à la présente espèce, dans l’arrêt Krause il n’était pas question d’une contestation directe d’une décision. En outre, à la différence de l’arrêt Krause, nous ne sommes pas en présence en l’espèce d’une conduite continue. À l’opposé, la demanderesse soutient que l’arrêt Krause tout comme la situation en l’espèce est un exemple d’une conduite continue. De plus, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale au paragraphe 24 de l’arrêt Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 273, [2008] 2 R.C.F. 341 (Moresby), au paragraphe 24, en citant les propos tenus dans l’arrêt Krause « [p]arce que l’illégalité a trait à la validité d’une politique plutôt qu’à son application, une politique illégale peut être contestée en tout temps; le demandeur n’a pas à attendre que la politique ait été appliquée à son cas particulier ».

[33]      L’arrêt Sweet, précité, concernait une politique de « double occupation » involontaire dans un établissement correctionnel. La Cour d’appel fédérale y a déclaré ce qui suit [au paragraphe 11] :

Ce que l’appelant conteste, ce n’est pas tant la décision du Service correctionnel du Canada (« le Service ») de le forcer à partager une cellule, mais la politique de la double occupation des cellules en soi. L’idée derrière l’argumentation de l’appelant est que la politique de la double occupation des cellules, qui touche l’appelant et de nombreux autres détenus, devrait être déclarée invalide. La politique est d’application courante et peut être contestée à tout moment; le contrôle judiciaire, avec les réparations y afférentes tels le jugement déclaratoire, les recours extraordinaires et l’injonction, est la procédure appropriée pour porter la contestation devant la Cour (voir Krause c. Canada, 1999 CanLII 9338, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.F.)).

[34]      Au paragraphe 10 de la décision Apotex, précitée, le juge Pinard, faisant référence à la décision Airth, précitée, a conclu que pour distinguer l’objet d’une demande, d’une décision ou d’une ordonnance il faut se demander s’il est question d’une [traduction] « “décision unique” » ou d’une décision qui fait « “partie d’une ligne de conduite dont le demandeur conteste l’ensemble” ». Le juge Pinard a reconnu que le demandeur dans cette décision sollicitait une réparation suite à un certain nombre de décisions et de conduites du même décideur, agissant en vertu de la même loi, découlant du même cadre factuel. Selon le juge Pinard, la question de savoir si la contestation du demandeur portait sur une décision ou sur l’objet de la demande devait être tranchée par le juge des faits.

[35]      Ultérieurement, le juge Barnes a rejeté la demande au motif qu’elle avait été présentée en retard (Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2011 CF 1308 [précitée]) et, ce faisant, il a fait une distinction d’avec l’arrêt Krause, précité, lorsqu’il a déclaré que celui‑ci portait sur le caractère légal de la mise en œuvre de la politique sur une base continue. L’affaire dont il était saisi portait sur la contestation de trois décisions administratives distinctes. Le juge Barnes a déclaré ce qui suit [au paragraphe 19] :

Dans la décision Manuge, susmentionnée, j’ai formulé des remarques semblables [au paragraphe 17] :

Il ne fait aucun doute que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Grenier et ses arrêts antérieurs, Tremblay c. Canada, 2004 CAF 172, 4 R.C.F. 165, et Budisukma Puncak Send[i]rian Berhad c. Canada, 2005 CAF 267, 338 N.R. 75, voulait surtout garantir le caractère définitif des décisions administratives et faire en sorte que ces décisions commandent la retenue judiciaire appropriée (voir par exemple les paragraphes 27 à 30 de l’arrêt Grenier). Elle était aussi, à juste titre, préoccupée par une procédure où l’une des parties serait à même d’attaquer indirectement une décision, bien au‑delà du délai de 30 jours prévu pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire. Ce sont là des considérations qui revêtent une bien moindre importance dans un cas où la contestation se limite à la légalité d’une politique gouvernementale et où l’application de cette politique a des répercussions durables sur la partie concernée. Il convient peut‑être aussi de noter que, dans les arrêts Grenier, Tremblay et Berhad, les propos de la Cour d’appel fédérale sur ces considérations portaient invariablement sur la légalité des décisions administratives sous‑jacentes, sans qu’il soit nullement question de la contestation d’une politique, d’un texte législatif ou d’un acte des pouvoirs publics. Dans l’arrêt Tremblay, la Cour d’appel fédérale a aussi noté « la séparation ténue qui existe entre un contrôle judiciaire et une action » lorsqu’est exercé un recours extraordinaire. [Note en bas de texte omise.]

[36]      Le juge Barnes a décidé que permettre à Apotex de ne pas respecter le délai de dépôt de 30 jours en ce qui concerne la demande ouvrirait la voie à une multitude de demandes tardives similaires, ce qui entraînerait en pratique l’élimination du délai prescrit. Une décision en ce sens aurait également pour effet de faire fi de la nécessité d’assurer le caractère définitif des décisions administratives distinctes dont la légalité est directement attaquée, comme c’était le cas dans cette affaire. Il a conclu que la position d’Apotex n’était rien de plus qu’un moyen déguisé visant à lui permettre d’éviter d’enfreindre à la fois la lettre et l’esprit du paragraphe 18.1(2) de la LCF et de la règle 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

[37]      La demanderesse s’appuie fortement sur l’arrêt May, précité. Dans cet arrêt, Elizabeth May, alors chef du Parti vert, a présenté une demande de contrôle judiciaire visant le bulletin d’information de radiodiffusion du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) émis conformément à la Loi électorale du Canada [L.C. 2000, ch. 9]. Il ressortait de ce bulletin que le CRTC devait adopter, dans les quatre jours suivant la publication du bref électoral, un ensemble de lignes directrices relatives au caractère applicable de la Loi sur la radiodiffusion [L.C. 1991, ch. 11] et son règlement quant à la conduite des radiodiffuseurs durant une élection générale. Le bulletin faisait référence aux lignes directrices de 1995 du CRTC selon lesquelles il n’est pas nécessaire que tous les chefs des partis politiques soient inclus dans le débat des chefs, tant qu’une couverture équitable de tous les partis était fournie. Mme May a soutenu que le CRTC avait outrepassé ses pouvoirs en émettant ce bulletin. La question en litige devant la Cour d’appel fédérale était de savoir s’il fallait accueillir la requête de Mme May visant à obtenir une instruction accélérée de sa demande de contrôle judiciaire.

[38]      Selon Mme May, elle n’avait pas d’autre choix que de solliciter une réparation urgente, parce que le bulletin était un acte administratif qui touchait ses droits et qu’il avait été émis seulement après l’émission du bref électoral. Si elle avait présenté sa demande plus tôt, celle‑ci aurait été prématurée, et si l’instruction n’avait pas lieu rapidement, elle serait théorique. Autrement dit, selon Mme May, le bulletin était une décision ou une ordonnance au sens du paragraphe 18.1(2) [de la LCF] et le contrôle judiciaire était impossible tant qu’une telle décision ou ordonnance n’avait pas été rendue.

[39]      La Cour d’appel fédérale n’était pas d’accord avec la position de Mme May et, en définitive, a rejeté sa requête [aux paragraphes 10 et 11] :

[traduction] À mon humble avis, cet argument est erroné. Bien qu’il soit vrai que normalement les demandes de contrôle judiciaire présentées à la Cour sollicitent le contrôle de décision d’un office fédéral, il est bien établi dans la jurisprudence que le paragraphe 18.1(1) permet à « quiconque est directement touché par l’objet de la demande » de présenter une demande de contrôle judiciaire. Le terme « objet » inclut plus qu’une simple décision ou une ordonnance d’un office fédéral, et s’applique à tout ce pour quoi une réparation peut être demandée : Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476, à la page 491 (C.A.F.). Les politiques continues qui sont illégales ou inconstitutionnelles peuvent être contestées à tout moment au moyen d’une demande de contrôle judiciaire sollicitant, comme en l’espèce, la réparation que procure un jugement déclaratoire : Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17.

En l’espèce, le bulletin contesté du CRTC contient une référence aux lignes directrices, lesquelles contiennent la même règle contestée. En fait, la même règle contestée a été appliquée aux débats des chefs dans les élections fédérales depuis 1995. Ainsi, elle peut être qualifiée de [traduction] « politique en cours », laquelle pouvait être et peut être contestée à tout moment par la demanderesse. Par conséquent, la demanderesse n’avait pas besoin d’attendre jusqu’à ce que le bulletin pour l’élection générale de 2011 soit émis pour déposer sa demande.

[40]      Dans la décision Fisher c. Canada (Procureur général), 2013 CF 1108 (Fisher), il était question d’une modification qui avait été adoptée et qui prévoyait l’obligation pour les délinquants en liberté conditionnelle mitigée de se conformer à l’alinéa 161(1)a) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition [DORS/92-620], à l’application duquel ils avaient auparavant été soustraits en vertu du paragraphe 133(6) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition [L.C. 1992, ch. 20]. Le demandeur affirmait que la modification avait eu pour effet pratique d’accorder à ses agents de libération conditionnelle le pouvoir discrétionnaire de changer les conditions de sa libération conditionnelle. La modification l’obligeait aussi à se présenter en personne tous les trois mois. En ce qui concerne le délai prescrit pour présenter la demande de contrôle judiciaire, le juge Russell était d’accord avec le demandeur que la modification tenait davantage de la nature d’une politique continue qui est illégale et inconstitutionnelle et qui peut être contestée en tout temps au moyen d’une demande de contrôle judiciaire. Dans cette affaire, la question en litige avait trait aux actions prises dans le cadre de la mise en application de la décision.

[41]      Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la contestation de la demanderesse porte sur le fait que le ministre n’a pas le pouvoir légal de prendre des décisions ou d’imposer des conditions à la délivrance des licences du spectre, lesquelles, selon la demanderesse, ont pour effet d’ériger des critères d’admissibilité relativement à la délivrance de telles licences. La demanderesse sollicite en guise de réparation un jugement déclaratoire ou une ordonnance de prohibition.

[42]      La décision du ministre d’assortir des conditions en cause toutes les licences du spectre pour lesquelles les grands fournisseurs de service sans fil pouvaient ultimement surenchérir a été adoptée au moyen du Cadre politique et technique et énoncée à nouveau dans le Cadre de délivrance des licences. Le Cadre de délivrance des licences énonçait [à la page 41] que « [l]es conditions suivantes s’appliquent à toutes licences délivrées par l’entremise des enchères du spectre pour les fréquences dans la bande de 700 MHz ». Par conséquent, selon moi, il s’agit de décisions qui ne seront pas touchées par l’ultime processus des enchères. À cet égard, ces décisions ont été prises et elles sont distinctes. Elles s’appliquent à des accès au spectre précis, dans des zones géographiques précises, pendant une durée précise. Toutefois, elles ont été adoptées dans le contexte du Cadre politique et technique et, par conséquent, elles font partie d’une politique continue. Lorsqu’il délivre les licences assorties de conditions, le ministre agit selon une politique.

[43]      Compte tenu de ce qui précède et de l’arrêt Moresby, précité, lequel [au paragraphe 24] réitère les propos suivants tenus dans l’arrêt Krause, à savoir « [p]arce que l’illégalité a trait à la validité d’une politique plutôt qu’à son application, une politique illégale peut être contestée en tout temps », et compte tenu de la large définition donnée au terme « objet » dans l’arrêt May, j’ai conclu que la présente question entre dans le champ d’application de l’article 18.1 et, que par conséquent, le délai de 30 jours ne s’applique pas.

Deuxième question en litige : Quelle est la norme de contrôle applicable?

Observations de la demanderesse

[44]      La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte parce qu’en l’espèce, le litige touche véritablement à la compétence. La question porte sur la délimitation des compétences respectives de deux entités concurrentes : le ministre et le gouverneur en conseil. Le ministre ne possède pas une expertise juridique supérieure à celle d’une cour de justice en ce qui a trait à la délimitation des compétences (Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160 (Alliance), au paragraphe 26; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (Alberta Teachers), aux paragraphes 30 et 31; Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1120, au paragraphe 16; Goodwin c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1185, aux paragraphes 22 à 24).

Observations du défendeur

[45]      Le défendeur soutient que la décision du ministre soulève une question mixte de fait, de pouvoir discrétionnaire, et de politique de telle sorte que la déférence s’applique en général automatiquement (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), aux paragraphes 46, 47, 53 et 62 à 64). Sauf dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’un tribunal interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, on présume qu’il s’agit d’une interprétation législative commandant la déférence (Alberta Teachers, précité, aux paragraphes 30, 34 et 39). Selon le défendeur, il y a en fait deux décisions en cause dans la présente demande : d’une part l’interprétation faite par le ministre de sa « propre loi constitutive » et des lois étroitement liées à son mandat, d’autre part la décision du ministre d’utiliser un plafond de fréquences.

[46]      Le ministre a interprété ses pouvoirs comme s’ils comprennent la capacité de prendre diverses mesures pour favoriser l’émergence d’un marché concurrentiel après les enchères, par l’imposition d’un système de plafond de fréquences. Cette situation n’est pas différente de celle de l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 48 à 50. La décision du ministre d’utiliser un plafond de fréquences est une décision purement politique et, par conséquent, elle ne peut être contestée que sur la base de motifs restreints (Moresby, précité, au paragraphe 24).

[47]      En outre, si la demanderesse veut soulever une question qui touche véritablement à la compétence, il faudrait qu’elle établisse les raisons pour lesquelles la Cour ne devrait pas contrôler l’interprétation que le tribunal administratif a fait de sa loi constitutive au regard de la norme déférente de la décision raisonnable (Alberta Teachers, précité, aux paragraphes 46 et 47).

Analyse

[48]      Lorsqu’elle détermine la norme de contrôle applicable, la Cour vérifie en premier lieu si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. Lorsque cette démarche se révèle infructueuse, la Cour entreprend la seconde étape qui consiste à déterminer la norme de contrôle applicable en tenant compte d’éléments tels que la nature de la question en cause, l’expertise du tribunal, l’existence ou l’inexistence d’une clause privative et la raison d’être du tribunal (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 à 64; Agraira, précité, au paragraphe 48).

[49]      L’avis de demande conteste le pouvoir du ministre d’adopter des critères d’admissibilité quant aux personnes qui sollicitent la délivrance de licences du spectre pour la bande de 700 MHz. Ce pouvoir comprend l’interprétation des dispositions de la LR, du Règlement, et des dispositions étroitement liées de la LMI et de la LT. Étant donné qu’il n’y a pas de jurisprudence directement liée à la détermination de la norme de contrôle applicable, la Cour doit entreprendre la seconde étape de l’analyse énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, précité.

[50]      Comme il ressort des observations des parties, le cœur de la question de la norme de contrôle applicable à la présente affaire est la nature de la question posée à la Cour.

[51]      Il ressort clairement de la jurisprudence que, « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 54; Alliance, précité, au paragraphe 28). Ce principe s’applique, sauf si l’interprétation de la loi constitutive appartient à l’une des catégories de questions pour lesquelles la norme de la décision correcte continue de s’appliquer. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Alliance, précité [au paragraphe 26] :

Selon l’arrêt Dunsmuir, les catégories énumérées ci-après sont susceptibles de contrôle judiciaire soit selon la norme de la décision correcte soit selon celle de la décision raisonnable. La norme de la décision correcte s’applique : (1) aux questions constitutionnelles; (2) aux questions de « droit générales [qui sont] “à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère[s] au domaine d’expertise de l’arbitre ”» (Dunsmuir, par. 60, citant l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, par. 62); (3) aux questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents; (4) aux « question[s] touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité » (par. 58‑61). En revanche, c’est généralement la norme de la décision raisonnable qui s’applique dans les cas suivants : (1) la question se rapporte à l’interprétation de la loi habilitante (ou « constitutive ») du tribunal administratif ou à « une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (par. 54); (2) la question soulève à son tour des questions touchant les faits, le pouvoir discrétionnaire ou des considérations d’intérêt général; (3) la question soulève des questions de droit et de fait intimement liées (par. 51 et 53-54).

(Voir aussi : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, au paragraphe 18; Dunsmuir, précité, aux paragraphes 58, 60 et 61.)

[52]      Dans l’arrêt Alberta Teachers, précité, le juge Rothstein rédigeant pour la majorité a relevé que la catégorie des « questions touchant véritablement à la compétence sème la confusion tant chez les juges que chez les avocats ». Il a conclu qu’il était incapable de définir ce qui constitue une question touchant véritablement à la compétence, mais il a déclaré ce qui suit [au paragraphe 39] :

À mon sens, ce que je préconise en l’espèce découle naturellement de la volonté de simplification qui anime notre Cour dans Dunsmuir, et donne directement suite à Alliance (par. 26). Les véritables questions de compétence ont une portée étroite et se présentent rarement. Il convient de présumer que la norme de contrôle à laquelle est assujettie la décision d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive ou qui l’applique est celle de la décision raisonnable. Tant que subsiste la catégorie des véritables questions de compétence, la partie qui prétend soulever une question qui y appartient doit établir les raisons pour lesquelles le contrôle visant l’interprétation de sa loi constitutive par le tribunal administratif ne devrait pas s’effectuer au regard de la norme déférente de la décision raisonnable.

[53]      Au paragraphe 42, le juge Rothstein a en outre déclaré que, « [c]oncrètement, il convient d’indiquer aux tribunaux et aux plaideurs que, pour l’heure, les questions touchant véritablement à la compétence sont exceptionnelles et que, si l’occasion se présente, il conviendra ultérieurement de se demander si la catégorie est effectivement utile ou nécessaire ». L’arrêt Alberta Teachers portait sur l’interprétation du paragraphe 50(5) de la Personal Information Protection Act [S.A. 2003, ch. P-6.5], qui est la loi constitutive du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée, et plus particulièrement sur la question de savoir si la prorogation du délai par le commissaire après les 90 jours impartis a automatiquement mis fin à l’enquête. La Cour a conclu que la question n’appartenait à aucune des catégories auxquelles la norme de la décision correcte s’applique. Le commissaire interprétait sa loi constitutive et la norme de la décision raisonnable s’appliquait. Selon moi, cette cause doit être distinguée de la présente affaire parce que la question d’interprétation qui y était en litige n’incluait pas, comme en l’espèce, une question touchant véritablement à la compétence respective de deux entités qui ont le pouvoir d’administrer la même loi, à savoir le ministre et le gouverneur en conseil.

[54]      Il convient de noter qu’à la suite de l’arrêt Alberta Teachers, les questions touchant véritablement à la compétence portant sur l’interprétation par un tribunal ou un ministre de sa loi constitutive ont continué d’être relevées par les tribunaux. L’arrêt Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 155, en est un exemple. Dans cet arrêt, le juge Mainville a conclu que la question soulevée dans l’appel en cause, à savoir la signification de l’expression « protégés légalement par des dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale » employée au paragraphe 58(5) de la Loi sur les espèces en péril [L.C. 2002, ch. 29] (la LEP), était une question d’interprétation législative et devait être contrôlée selon la norme de la décision correcte. Le juge Mainville n’a pas fait droit à l’observation du ministre selon laquelle une présomption de déférence s’appliquait parce que le ministre interprétait une disposition de sa loi constitutive ou de lois étroitement liées à son mandat.

[55]      Le juge Mainville a conclu que les facteurs suivants penchaient en faveur de l’application de la norme de la décision correcte :

• il n’y avait pas de clause privative dans les lois qui lui étaient soumises notamment, la Loi sur les pêches [L.R.C. (1985), ch. F-14];

•   il y avait des indications dans la LEP que le législateur avait considérablement limité le pouvoir discrétionnaire du ministre;

•   le ministre remplissait une fonction administrative et non pas une fonction judiciaire, en vertu de la disposition en cause;

•   le point en litige était une question d’interprétation législative que les tribunaux judiciaires étaient le plus aptes à trancher, dans les circonstances de cette affaire;

•   bien que le ministre puisse certainement faire état d’expertise en matière de gestion des pêches et de l’habitat des poissons, il n’en est pas pour autant pourvu d’expertise dans l’interprétation des dispositions de la LEP ou de la Loi sur les pêches.

[56]      De plus, dans le récent arrêt Clare c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 265, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si la Commission de révision agricole du Canada est légalement habilitée à accueillir une demande de prorogation du délai prévu pour présenter une demande de révision relative à un avis de violation émis par l’Agence canadienne d’inspection des aliments est une question d’interprétation législative, et que [au paragraphe 10] :

Notre Cour enseigne que la norme de contrôle applicable lorsque la Commission interprète un texte législatif est celle de la décision correcte : Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152, aux paragraphes 30 à 32 (Doyon); Canada (Procureur général) c. Porcherie des Cèdres Inc., 2005 CAF 59, au paragraphe 13; Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments) c. Westphal-Larsen, 2003 CAF 383, au paragraphe 7 (Westphal-Larsen).

[57]      Récemment, dans l’arrêt McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895 (McLean), la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à la question visant à déterminer, aux fins de l’alinéa 161(6)(d) du Securities Act [R.S.B.C. 1996, ch. 418], « l’événement » à partir duquel commence à courir la prescription de six ans prévue à l’article 159. La Cour suprême a conclu que la présomption de déférence à l’égard de l’interprétation faite par un décideur administratif de sa loi constitutive ou de lois étroitement liées à son mandat n’avait pas été réfutée. Dans cet arrêt, le point de droit résidait dans l’interprétation des dispositions en question et son examen en première instance ressortit seulement à la Commission, et il était donc impossible que la question en litige donne lieu à des interprétations divergentes.

[58]      En outre, au paragraphe 22, la Cour suprême a déclaré que la présomption adoptée dans l’arrêt Alberta Teachers « n’est pas immuable », puisqu’elle « reconnaît depuis longtemps que certaines catégories de questions, même lorsqu’elles emportent l’interprétation d’une loi constitutive, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, par. 58‑61) ». Ensuite, « une analyse contextuelle peut “écarter la présomption d’assujettissement à la norme de la raisonnabilité de la décision qui résulte d’une interprétation de la loi constitutive” (Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283, par. 16) ». Ainsi, dans l’arrêt McLean, la Cour suprême a encore une fois reconnu que l’arrêt Alberta Teachers avait en définitive laissé la voie ouverte aux questions touchant véritablement à la compétence, même lorsque le décideur interprète sa loi constitutive.

[59]      Selon moi, et comme la demanderesse l’a reconnu lors de l’audience, la présente affaire ne porte pas sur une contestation du caractère sage ou juste d’une politique du gouvernement, elle porte plutôt sur la question de savoir si un pouvoir de mettre en œuvre des décisions prises en vertu d’une politique existe. La demanderesse n’a pas contesté le caractère raisonnable de la décision du ministre d’assortir de conditions la délivrance des licences du spectre pour la bande de 700 MHz. Bien que l’interprétation de la loi constitutive du ministre et des lois qui y sont étroitement liées soit en cause, la nature de la question posée à la Cour touche véritablement à la compétence car la délimitation des compétences entre le pouvoir du ministre et celui du gouverneur en conseil est en cause. Par conséquent, il s’agit ici d’une question d’interprétation législative qui commande l’application de la norme de la décision correcte.

[60]      En outre, la LR ne contient pas de clause privative, le ministre n’a pas statué sur un litige, et bien que le ministre ait l’expertise en matière de télécommunication, cela ne lui confère pas nécessairement l’expertise juridique nécessaire pour interpréter les dispositions légales pertinentes afin de délimiter le pouvoir du ministre et celui du gouverneur en conseil, question à laquelle la Cour, vu les circonstances, est également la mieux placée pour répondre.

[61]      Par conséquent, selon moi, la norme de la décision correcte s’applique à la présente demande.

Troisième question en litige : Le ministre a‑t‑il outrepassé son pouvoir lorsqu’il a assorti la délivrance des licences du spectre pour la bande de fréquence de 700 MHz des conditions en cause?

Observations de la demanderesse

[62]      La demanderesse soutient essentiellement que bien que le ministre ait le pouvoir de délivrer les licences du spectre et de les assortir de conditions, ce pouvoir est assujetti à la fonction du gouverneur en conseil de prendre des règlements, et que ce n’est que ce dernier qui a le pouvoir de définir l’admissibilité à la délivrance des licences du spectre.

[63]      Le paragraphe 4(1) de la LMI définit l’étendue des pouvoirs et des fonctions du ministre, lesquels comprennent le domaine des télécommunications, y compris la gestion du spectre. Toutefois, ces pouvoirs sont limités, car ils ne visent pas les domaines attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux. À cet égard, le paragraphe 6(1) de la LR confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements portant sur une grande variété de questions notamment, la gestion du spectre. En vertu de ce pouvoir, le gouverneur en conseil a pris le Règlement qui vise notamment à « définir l’admissibilité à l’attribution [par le ministre] d’autorisations de radiocommunications, ou de toute catégorie de celle‑ci » (alinéa 6(1)b)).

[64]      La demanderesse soutient que le gouverneur en conseil est l’un des « ministères ou organismes fédéraux » au sens du paragraphe 4(1) de la LMI (Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général), [1993] F.C.J. no 902 (QL), (1993), 107 D.L.R. (4th) 190 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 6 (QL); Aviation Roger Forgues Inc. c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 196; Momi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 738, [2007] 2 R.C.F. 291, au paragraphe 8). Par conséquent, la lecture de l’alinéa 6(1)b) de la LR de concert avec le paragraphe 4(1) de la LMI a pour effet d’exclure des pouvoirs et fonctions du ministre le pouvoir de traiter des questions relatives à l’admissibilité des personnes à détenir des licences du spectre.

[65]      L’intention du ministre de refuser la délivrance de licences autorisant l’utilisation d’un deuxième bloc de fréquences aux grands fournisseurs de service sans fil a trait à « l’admissibilité », et par conséquent, outrepasse sa compétence. Le paragraphe 5(1) confère au ministre le pouvoir de choisir les titulaires de licences parmi ceux qui sont admissibles, mais ce pouvoir ne permet pas de décider qui est admissible; ce pouvoir est conféré par la loi au gouverneur en conseil (Procureur général du Canada c. Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60 (La Compagnie), aux pages 75 et 76).

[66]      La LR, la LT, et la Loi sur la radiodiffusion font partie du même « régime législatif étroitement lié » et lorsque les télécommunications et la radiodiffusion sont en cause, c’est le gouverneur en conseil et non pas le ministre qui détermine l’admissibilité (Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010‑167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010‑168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489 (Renvoi relatif à la radiodiffusion), au paragraphe 34; la LT, paragraphe 16(2); le Règlement sur la propriété et le contrôle des entreprises de télécommunications canadiennes, DORS/94‑667; la Loi sur la radiodiffusion, paragraphe 9(1); les Instructions au CRTC (Inadmissibilité de non‑Canadiens), DORS 97‑192).

[67]      Les entreprises de télécommunications et les radiodiffuseurs s’appuient grandement sur la radiocommunication pour offrir leurs services. Si le ministre se voyait conférer le pouvoir de déterminer « l’admissibilité », alors l’admissibilité d’une entreprise de télécommunications ou d’un radiodiffuseur à l’utilisation du spectre serait déterminée deux fois par deux différents organismes du gouvernement : le gouverneur en conseil relativement à l’admissibilité à agir en tant qu’entreprise de télécommunication ou de radiodiffusion, et le ministre relativement à l’utilisation du spectre par ces entreprises. Les lois qui portent sur des sujets analogues doivent être présumées cohérentes et harmonieuses (Renvoi relatif à la radiodiffusion, précité).

[68]      Conformément à l’article 6 de la LR, le législateur a expressément octroyé au gouverneur en conseil le pouvoir de déterminer l’admissibilité qui ne fait pas partie de la liste des pouvoirs conférés au ministre par le paragraphe 5(1). Cela donne fortement à penser que le législateur ne voulait pas que le ministre ait ce pouvoir (Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, à la page 33). Il n’y a pas de fondement permettant de déduire que ce pouvoir existe parce qu’il « découle nécessairement » du pouvoir exprès du ministre (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140 (ATCO), au paragraphe 39).

[69]      Conformément à la méthode d’interprétation des lois de Driedger, utilisée par la Cour suprême du Canada, le pouvoir de délivrer des licences conféré au ministre par le paragraphe 5(1) de la LR doit être interprété à la lumière des dispositions suivantes : le paragraphe 4(1) de la LMI, les autres dispositions de la LR, notamment l’article 6, le vaste régime législatif de la LT, et la Loi sur la radiodiffusion.

[70]      Le paragraphe 5(1.4) de la LR confère au ministre le pouvoir de fixer les qualités des enchérisseurs, mais il ne lui confère pas le pouvoir de définir les critères d’admissibilité. Bien que les termes « admissibilité » et « qualités » soient reliés, la LR les utilise de façon différente. Par conséquent, il faut considérer cela comme étant « une indication de changement de sens ou de différence de sens » (Jabel Image Concepts Inc. c. Canada, 2000 CanLII 15319 (C.A.F.), au paragraphe 12). L’expression « qualités des enchérisseurs » telle qu’elle est utilisée dans la LR a trait aux aspects techniques et administratifs du processus des enchères (R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217, au paragraphe 51). Dans le Cadre de délivrance des licences, le ministre fait aussi la différence entre le terme « admissibilité » et l’expression « qualités des enchérisseurs ».

[71]      Le paragraphe 5(1) de la LR et l’article 7 de la LT ne confèrent pas au ministre le pouvoir de définir les critères d’admissibilité. Les politiques ne peuvent pas servir à conférer une compétence (Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2001 CAF 236, [2001] 4 C.F. 237, au paragraphe 53, confirmé par l’arrêt de la Cour suprême 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476; Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, [2010] 4 R.C.F. 579, au paragraphe 99, confirmé par sub nom. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471). La responsabilité attribuée au ministre par le paragraphe 5(1) quant au « développement ordonné et à l’exploitation efficace de la radiocommunication » ne lui confère pas non plus le pouvoir de définir les critères d’admissibilité. Il permet simplement de définir les objectifs pour lesquels le pouvoir d’attribuer des licences peut être exercé, mais il n’élargit pas les pouvoirs du ministre, lesquels demeurent assujettis aux pouvoirs réglementaires du gouverneur en conseil prévus à l’article 6.

Observations du défendeur

[72]      Le défendeur soutient essentiellement que le ministre a le pouvoir de délivrer les licences de spectre et de les assortir de conditions. Le ministre a raisonnablement exercé son pouvoir conformément aux importantes considérations de politique.

[73]      Le défendeur soutient que le gouverneur en conseil n’appartient pas à la catégorie des « ministères ou organismes fédéraux » au sens du paragraphe 4(1) de la LMI. La demanderesse a mal compris l’arrêt R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205. Aux pages 424 et 425 de l’arrêt Angus c. Canada, [1990] 3 C.F. 410 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’un libellé semblable en ce sens dans une autre loi doit être interprété comme renvoyant à un seul office fédéral ou ministère et non pas au gouverneur en conseil.

[74]      La LT régit les télécommunications au Canada en général, et les objectifs de la politique canadienne de télécommunication sont énoncés à l’article 7 de cette loi. La LR régit l’attribution de licences, la réglementation d’appareils radio, et l’utilisation de fréquences de radiocommunication au Canada. Une « autorisation de radiocommunication » est toute licence ou autorisation et tout certificat délivré par le ministre conformément à l’alinéa 5(1)a) de la LR. Une « licence radio » est toute licence délivrée en application du sous‑alinéa 5(1)a)(i), et la « licence de spectre » est délivrée au titre du sous‑alinéa 5(1)a)(i.1). Une licence de spectre est une autorisation de radiocommunication, mais ce n’est pas une licence radio. Les pouvoirs du ministre, prévus au paragraphe 5(1) sont vastes et ils incluent l’établissement des conditions de licences, la planification et l’attribution de l’utilisation du spectre. Lorsqu’il exerce ce pouvoir, le ministre peut prendre en compte toutes les questions qu’il estime pertinentes pour le développement ordonné et l’exploitation efficace de la radiocommunication au Canada et il peut tenir compte de la politique canadienne de télécommunication énoncée à l’article 7 de la LT. Selon les paragraphes 5(1.2) et (1.4), il a aussi le pouvoir de recourir à un processus d’adjudication.

[75]      Conformément aux articles 9 et 10 du Règlement, le gouverneur en conseil a le pouvoir de définir les critères d’admissibilité relativement aux licences radio et non pas aux licences du spectre. Comme la demanderesse l’a reconnu, le gouverneur en conseil n’a pas exercé son pouvoir de définir les critères d’admissibilité applicables aux licences du spectre.

[76]      Le défendeur soutient que l’interprétation faite par le ministre de ses vastes pouvoirs relatifs à la gestion du spectre était raisonnable parce qu’il a eu recours à une analyse contextuelle de sa loi constitutive, la LR, et d’autres lois qui y sont étroitement liées.

[77]      Lorsqu’il a décidé d’assortir de conditions la délivrance de licences du spectre pour la bande de 700 MHz, le ministre a pris en compte toutes les questions pertinentes au développement ordonné et à l’exploitation efficace de la radiocommunication au Canada. En outre, le ministre avait le pouvoir d’utiliser un système d’adjudication pour choisir les personnes auxquelles les licences du spectre seraient délivrées dans la bande de 700 MHz et d’établir les procédures, les normes et les conditions applicables à ce système d’adjudication. Le ministre a interprété ses pouvoirs comme s’ils incluaient la capacité de prendre diverses mesures pour favoriser l’émergence d’un marché concurrentiel après les enchères, au moyen de plafond de fréquences.

[78]      Le défendeur soutient que si le gouverneur en conseil avait un pouvoir exclusif comme l’a donné à penser la demanderesse, alors les pouvoirs du ministre seraient réduits à ceux d’une délivrance à l’aveuglette des licences. Même s’il s’appliquait, le Règlement servirait à empêcher le ministre de délivrer une licence à quiconque ne satisfait pas aux exigences d’admissibilité concernant les sociétés canadiennes, leur propriété et leur contrôle, mais il n’épuiserait pas les mesures que le ministre est légalement autorisé à prendre. La décision d’accorder ou de refuser une licence demeure une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du ministre (Sunny Handa et al., Communications Law in Canada, fascicule no 46 (édition feuilles mobiles (consulté le 22 novembre 2013) Markham : LexisNexis, septembre 2013); Michael H. Ryan, Canadian Telecommunications Law and Regulation (Scarborough, Ont. : Carswell, 1993). Le pouvoir de définir les conditions de la mise aux enchères de la bande de 700 MHz inclut nécessairement le pouvoir de définir les mesures visant à favoriser la concurrence par l’établissement de paramètres quant aux licences du spectre (ATCO, précité, au paragraphe 51).

[79]      Le défendeur soutient que la décision du ministre d’utiliser un plafond de fréquences était raisonnable, car il a exercé son pouvoir discrétionnaire dans l’intérêt du public et au profit de tous les Canadiens. La raison d’être du plafond était clairement énoncée dans le Cadre politique et technique et dans le Cadre de délivrance des licences. TELUS et d’autres grands fournisseurs de service sans fil ne sont pas inadmissibles à participer aux enchères étant donné qu’ils peuvent soumissionner quant au spectre dans le cadre des paramètres établis par le ministre. Le plafond de fréquences régit la façon dont le ministre délivre les licences quant au spectre disponible dans des zones géographiques précises. Il s’agit d’une restriction temporaire visant la bande de 700 MHz qui est en place pour une période déterminée de cinq ans, comme condition des licences du spectre afin d’empêcher le transfert d’une licence existante à de grands fournisseurs de service sans fil. Il s’agit aussi d’une restriction temporaire à la capacité des grands fournisseurs de service sans fil d’accumuler de grands volumes de fréquences de choix dans des zones géographiques précises.

[80]      Le défendeur déclare que les tribunaux ont accepté la validité de politiques semblables qui répartissent entre de nombreux demandeurs l’accès à une ressource rare et ayant une grande valeur commerciale ou qui donnent la priorité à certains demandeurs (Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1998] 2 C.F. 548 (C.A.) (Carpenter Fishing); Association des crevettiers acadiens du Golfe inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CF 305 (Association des crevettiers acadiens du Golfe inc.); Vaziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159 (Vaziri)). Des considérations semblables sont pertinentes dans l’attribution de radiocommunication et elles découlent du pouvoir explicite du ministre d’encourager la mise sur pied, le développement et l’efficacité des systèmes de communication. La décision du ministre est clairement liée à l’amélioration de l’efficacité de l’industrie et de la concurrence, et elle est cohérente avec les mandats prévus dans la LMI et la LR.

[81]      En outre, le Règlement ne s’applique pas aux enchères du spectre pour la bande de 700 MHz étant donné qu’il s’applique aux licences radio et non pas aux licences du spectre. Par conséquent, il n’y a pas de conflit entre les dispositions réglementaires et la décision de politique du ministre. Le fait que le pouvoir réglementaire existant n’a pas été exercé n’entraîne pas automatiquement une limitation à la capacité du ministre d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé par le Règlement (Vaziri, précitée, au paragraphe 35).

Analyse

[82]      Dans la présente espèce, le point litigieux consiste à savoir si, lorsque le ministre a assorti de conditions la délivrance des licences du spectre pour la bande de 700 MHz, il a outrepassé son pouvoir en prenant une décision quant à l’admissibilité. Il s’agit de savoir si les conditions imposées par le ministre ont en fait trait à « l’admissibilité » et outrepassent donc sa compétence.

[83]      Les pouvoirs du ministre découlent de la loi et le ministre ne peut agir que dans le cadre des contraintes de cette compétence établie par la loi. Dans la décision Vaziri, précitée [au paragraphe 21], la juge Snider a cité le paragraphe 17 de la décision Greenisle Environmental Inc. v. Prince Edward Island, 2005 PESCTD 33, 248 Nfld. & P.E.I.R. 39 :

[traduction] [...] Selon un principe fondamental, c’est le législateur qui attribue les pouvoirs exécutifs et ceux-ci sont définis et délimités par la loi. Le titulaire de pouvoirs délégués par la loi ne peut prendre une décision ou établir une règle que si la loi l’habilite à le faire. Les titulaires de pouvoirs délégués par la loi n’ont pas de pouvoirs inhérents […]

[84]      Par conséquent, dans la présente espèce, la Cour doit interpréter les lois pertinentes et déterminer si le ministre a agi dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi.

[85]      Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2012 CAF 322, la Cour d’appel fédérale a résumé de la façon suivante la méthode privilégiée d’interprétation des lois, telle que décrite par la Cour suprême du Canada [aux paragraphes 24, 25, 26 et 28] :

Premièrement, bien que je convienne de la nécessité d’examiner la portée et la nature du pouvoir que le Règlement confère à la ministre, j’estime que le Règlement doit être interprété selon la méthode privilégiée d’interprétation des lois.

La Cour suprême du Canada a formulé cette méthode en ces termes :

Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre, voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan. Driedger on the Construction of Statutes (3e éd., 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd., 1990)). Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd., 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[…]

La Cour suprême a reformulé ce principe de la manière suivante par l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10 (non souligné dans l’original) :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[…]

Les juges majoritaires ont expliqué comme suit, par l’arrêt de la Cour suprême Montréal (Ville) c. 2952‑1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, au paragraphe 15, dans quelles limites il convient de recourir au contexte :

Dans l’exercice d’interprétation, plus le texte choisi par le législateur sera général, plus le contexte sera important. L’exercice d’interprétation contextuelle comporte ses limites. Le tribunal n’endosse son rôle d’interprète que lorsque les deux éléments de la communication convergent vers une même direction : le texte s’y prête et l’intention du législateur se dégage clairement du contexte. [Souligné par la Cour d’appel fédérale.]

[86]      Par conséquent, les mots contenus dans la loi doivent être interprétés dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. En l’espèce, les lois pertinentes sont la LR et son Règlement, la LMI, et la LT. Dans l’arrêt Renvoi relatif à la radiodiffusion, précité, le juge Rothstein a conclu que la LR, la LT, de même que la Loi sur le droit d’auteur [L.R.C. (1985), ch. C-42] et la Loi sur la radiodiffusion, font partie d’un régime législatif indissociable. Selon moi, il en est de même de la LR, de son Règlement, de la LT, et de la LMI.

[87]      Dans l’arrêt ATCO, précité, la Cour suprême du Canada a offert d’autres précisions en matière d’interprétation des lois qui sont pertinentes dans la présente affaire [au paragraphe 51] :

Il incombe à notre Cour de déterminer l’intention du législateur et d’y donner effet (Bell ExpressVu, par. 62) sans franchir la ligne qui sépare l’interprétation judiciaire de la formulation législative (voir R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, par. 26; Bristol-Myers Squibb Co., par. 174). Cela dit, cette règle permet l’application de « la doctrine de la compétence par déduction nécessaire » : sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l’objectif du régime législatif : voir Brown, p. 2-16.2; Bell Canada, p. 1756. Par le passé, les cours de justice canadiennes ont appliqué la doctrine de manière à investir les organismes administratifs de la compétence nécessaire à l’exécution de leur mandat légal :

[traduction] Lorsque l’objet de la législation est de créer un vaste cadre réglementaire, le tribunal administratif doit posséder les pouvoirs qui, par nécessité pratique et déduction nécessaire, découlent du pouvoir réglementaire qui lui est expressément conféré.

[88]      La LR prévoit une séparation des pouvoirs entre le ministre de l’Industrie et le gouverneur en conseil. Conformément à la LR, le ministre a le pouvoir de délivrer et de refuser les licences du spectre, et il peut de plus :

•   délivrer et assortir de conditions les licences du spectre (sous‑alinéa 5(1)a)(i.1));

•   planifier l’attribution et l’utilisation du spectre (alinéa 5(1)e));

•   prendre toute autre mesure propre à favoriser l’application efficace de cette loi (alinéa 5(1)n)).

Lorsqu’il exerce ses pouvoirs, le ministre prend en compte toutes les questions qu’il estime pertinentes afin d’assurer le développement ordonné et l’exploitation efficace de la radiocommunication au Canada (paragraphe 5(1)) et il peut aussi tenir compte de la politique canadienne de télécommunication énoncée à l’article 7 de la LT (paragraphe 5(1.1)).

[89]      Dans l’exercice, en vertu de l’alinéa 5(1)a), de son pouvoir de délivrance des licences radio, le ministre peut aussi recourir à un processus d’adjudication « pour délivrer des autorisations de radiocommunication » (paragraphe 5(1.2)) et il peut établir les formalités, les normes et les modalités applicables au processus d’adjudication visé au paragraphe (1.2) lorsqu’il délivre ces autorisations (paragraphe 5(1.4)). Toutefois, le législateur n’a pas utilisé le terme « admissibilité » au paragraphe 5(1).

[90]      La LR confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements définissant l’admissibilité à l’attribution d’autorisations de radiocommunication, notamment les critères d’admissibilité fondés sur la citoyenneté ou la résidence permanente des personnes physiques, et dans le cas d’une personne morale, la résidence, le lien de propriété ou le pouvoir de contrôle (alinéa 6(1)b)); définissant les qualités requises pour l’attribution d’autorisations de radiocommunication (alinéa 6(1)c)); précisant les conditions des autorisations de radiocommunication et, dans le cas des licences radio, celles qui concernent les services pouvant être fournis par leurs titulaires (alinéa 6(1)e)); précisant les conditions et les restrictions applicables au service radio réglementaire (alinéa 6(1)f)). Par conséquent, c’est le gouverneur en conseil qui a le pouvoir de prendre des règlements quant à la détermination de l’admissibilité aux autorisations de radiocommunication, et quant à leurs conditions.

[91]      Comme je l’ai relevé ci‑dessus, l’article 2 de la LR définit l’« autorisation de radiocommunication » comme toute licence ou autorisation et tout certificat visé à l’alinéa 5(1)a), ce qui comprend tant les licences radio que les licences du spectre. Par conséquent, le gouverneur en conseil peut définir les critères d’admissibilité quant aux licences du spectre, y compris leurs conditions. Bien que le gouverneur en conseil, aux articles 9 et 10 du Règlement, ait prescrit des exigences relativement à l’admissibilité en ce qui concerne les « licences radio », il n’a pas pris de règlement quant aux licences du spectre.

[92]      En conséquence, tant le ministre que le gouverneur en conseil ont le pouvoir d’assortir de conditions les licences du spectre, mais seul le gouverneur en conseil a le pouvoir de définir les critères d’admissibilité. Le pouvoir du ministre est assujetti au pouvoir réglementaire du gouverneur en conseil, lequel n’a pas été exercé dans le domaine des licences du spectre. Si le gouverneur en conseil décidait de prendre un règlement dans ce domaine, cela aurait pour conséquence de circonscrire le pouvoir discrétionnaire du ministre, mais tel n’est pas le cas en l’espèce.

[93]      Il reste donc la question de savoir si, lorsqu’il a imposé des plafonds de fréquences quant aux licences du spectre, le ministre rendait une décision relativement à l’admissibilité. S’il en était ainsi, il faut savoir si ce pouvoir appartient exclusivement au gouverneur en conseil.

[94]      Lors de l’examen de cette question, il est important de souligner que les pouvoirs conférés au ministre par le paragraphe 5(1) de la LR sont vastes. Le paragraphe 5(1) mentionne que lorsqu’il exerce ses pouvoirs, le ministre peut tenir compte des questions qu’il juge pertinentes afin d’assurer le développement ordonné et l’exploitation efficace de la radiocommunication au Canada. Le paragraphe 5(1.1) mentionne que dans l’exercice des pouvoirs prévus au paragraphe (1), le ministre peut aussi tenir compte de la politique canadienne de télécommunication indiquée à l’article 7 de la LT, lequel est libellé de la façon suivante :

7.  La présente loi affirme le caractère essentiel des télécommunications pour l’identité et la souveraineté canadiennes; la politique canadienne de télécommunication vise à :

a)  favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;

b)  permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions—rurales ou urbaines—du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;

c)  accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;

[…]

h)  satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication.     

Politique

[95]      Les pouvoirs du ministre, prévus au paragraphe 4(1) de la LMI, sont tout aussi vastes et doivent être exercés de façon à atteindre les objectifs que le législateur a énoncés à l’article 5.

[96]      Cela étant, selon la méthode d’interprétation soulignée dans l’arrêt ATCO, précité, lorsqu’on lit les dispositions de la LR qui confèrent au ministre le pouvoir de délivrer les licences du spectre et de les assortir de conditions, de concert avec les objectifs de politique tant de la LT que de la LMI, le ministre dispose bien du pouvoir d’établir des plafonds de fréquences comme condition dans le cadre de la délivrance des licences. Selon moi, ce faisant, le ministre n’a pas imposé d’exigences d’admissibilité ou transgressé les pouvoirs réglementaires du gouverneur en conseil. J’en arrive à cette conclusion en raison des motifs supplémentaires suivants.

[97]      Premièrement, l’imposition de plafonds de fréquences ou de limites de regroupement de fréquences avait pour but la concrétisation et l’avancement des objectifs de la politique de télécommunication clairement formulée, dans le contexte du régime de lois interreliées dans son ensemble, y compris la politique canadienne de télécommunication indiquée à l’article 7 de la LT. Ce but est aussi reflété dans les objectifs de politique contenus dans le Cadre de politique du spectre, lequel mentionne qu’il vise à maximiser les avantages économiques et sociaux que les Canadiens tirent de l’utilisation du spectre de fréquences radio. En outre, les objectifs de politique figurant dans le Cadre politique et technique comprennent la promotion et le maintien de la concurrence dans le marché des services de télécommunications sans fil au bénéfice des consommateurs.

[98]      Conformément aux paragraphes 5(1.2) et 5(1.4) de la LR, le ministre peut recourir à un processus d’adjudication et établir les formalités, les normes et les modalités y afférant, notamment les qualités des enchérisseurs, lorsqu’il choisit les personnes auxquelles les autorisations de radiocommunication seront délivrées. Le fait que de telles conditions ou qualités servent à limiter la capacité, et non pas le droit, des grands fournisseurs de service sans fil d’acquérir plus de blocs dans la bande attrayante de 700 MHz du spectre, n’impose pas une exigence quant à l’admissibilité; au contraire, il s’agit de la mise en œuvre de la politique envisagée. Même si l’admissibilité était touchée, cela serait accessoire à l’intention générale du législateur.

[99]      Il convient aussi de souligner la façon dont le Cadre de délivrance des licences utilise le terme « admissibilité ». La partie 6 du Cadre de délivrance des licences est intitulée « Conditions de licence pour les fréquences dans la bande de 700 MHz ». Elle porte notamment sur : la période de validité (partie 6.1), les limites de regroupement de fréquences (partie 6.2), la transférabilité et la divisibilité des licences et l’octroi de licences subordonnées (partie 6.3), l’admissibilité (partie 6.4), le traitement des utilisateurs actuels du spectre (partie 6.5), les installations de stations radio (partie 6.6), la communication de données techniques (partie 6.7), la conformité aux lois, aux règlements et à d’autres obligations (partie 6.8). L’admissibilité est analysée de la façon suivante [à la page 49] :

6.4     Admissibilité

268. Tel qu’énoncé dans le document de consultation, dans l’ensemble, les licences de spectre contiennent une condition de licence concernant l’admissibilité. Elle se lit ainsi :

Le titulaire offrant des services à titre de transporteur de radiocommunications doit satisfaire en permanence aux critères d’admissibilité qui s’applique, exposés au paragraphe 10(2) du Règlement sur la radiocommunication. Le titulaire doit aviser le ministre de l’Industrie de tout changement qui aurait une incidence déterminante sur son admissibilité. Cet avis doit être donné avant toute transaction proposée dont il a connaissance.

[100]   Le paragraphe 10(2) du Règlement s’applique aux transporteurs de radiocommunication qui sollicitent des licences radio. Le paragraphe 9(1) du Règlement traite de l’admissibilité des personnes qui sollicitent l’attribution de licences radio à titre d’usagers radio ou de fournisseurs de service radio autres que les transporteurs de radiocommunications. Aucune de ces dispositions n’est applicable aux licences du spectre; toutefois, il est important de souligner que les seules exigences en matière d’admissibilité établies par le gouverneur en conseil au moyen de ces paragraphes traitent principalement de la citoyenneté ou de la résidence des personnes physiques, et, dans le cas d’une personne morale, du lien de propriété ou du pouvoir de contrôle. Ainsi, le Cadre de délivrance des licences traite de « l’admissibilité » dans le contexte des conditions de délivrance des licences du spectre, mais il est confiné aux références limitées contenues dans le Règlement.

[101]   Comme il ressort de la Politique cadre sur la vente aux enchères du spectre au Canada, le spectre des fréquences radio électriques est une ressource publique limitée dont les utilisateurs privés et les fournisseurs de service de communications sans fil ont besoin pour toute une gamme d’utilisations. Le défendeur soutient que les tribunaux ont reconnu la validité de politiques semblables, tels que les quotas de pêche (Carpenter Fishing; Association des crevettiers acadiens du Golfe inc.; Vaziri, tous précités), lesquels permettent l’accès à des ressources rares et précieuses sur le plan commercial. Cela est vrai, mais, en l’espèce, la demanderesse ne conteste pas l’essence des conditions établies, mais plutôt le pouvoir du ministre de les imposer. Cela dit, je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que des considérations semblables sont pertinentes dans les politiques de télécommunication qui découlent des objectifs du ministre visant à promouvoir l’efficacité des systèmes de communication et la concurrence, et qui est cohérente avec son mandat prévu dans la LMI et la LR.

[102]   La demanderesse se fonde sur l’arrêt La Compagnie, précité, à l’appui de son observation selon laquelle le ministre a uniquement le pouvoir discrétionnaire administratif de choisir les titulaires de licences parmi ceux qui sont admissibles. Cette affaire a été tranchée eu égard à la précédente Loi sur la radio [S.R.C. 1952, ch. 233], laquelle est maintenant la LR. La Cour suprême a déclaré ce qui suit [aux pages 75 et 76] :

[traduction] En vertu de l’article 4 de la Loi sur la radio, le ministre des Transports a le pouvoir exclusif de délivrer des licences. L’article 3 de ladite Loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir exclusif de prescrire le tarif des droits à payer pour ces licences dans un cas où un pouvoir discrétionnaire administratif a été accordé et dans un cas il s’agit d’un pouvoir de légiférer. Le ministre des Transports, en tant que ministre responsable de la gestion de la Loi sur la radio, a indubitablement l’obligation de recueillir les droits de licence prescrits par le gouverneur en conseil mais, sauf en sa capacité à titre de l’un des membres de l’exécutif du gouvernement, il n’a pas le pouvoir de déterminer quel devrait être le tarif des droits en question.

[103]   Selon moi, l’arrêt La Compagnie doit être distingué de la présente affaire. Il portait sur une disposition relative au pouvoir de prescrire le tarif ou les droits, une activité distincte et limitée. La Cour suprême a décidé que le ministre des Transports avait le pouvoir exclusif de délivrer des licences, tandis que le pouvoir exclusif de prescrire le tarif des droits à payer pour ces licences était attribué au gouverneur en conseil.

[104]   En l’espèce, sous réserve de tout règlement adopté en vertu de l’article 6, le ministre peut délivrer des licences du spectre et les assortir de conditions. Le gouverneur en conseil a le pouvoir réglementaire de définir les conditions d’attribution des licences du spectre et les critères d’admissibilité. Ainsi, il y a une compétence concurrente d’établir les conditions de délivrance des licences, le gouverneur en conseil ayant le pouvoir exclusif de légiférer. Par ailleurs, comme le gouverneur en conseil n’a pas encore légiféré quant aux licences du spectre, cela permet au ministre d’exercer son pouvoir et d’assortir les licences de conditions, ce qui touche accessoirement à l’admissibilité.

[105]   En outre, si l’interprétation faite par la demanderesse de l’arrêt La Compagnie, précité, était juste, c’est‑à‑dire que le ministre a uniquement le pouvoir discrétionnaire administratif de choisir les titulaires de licences parmi ceux qui sont admissibles, conformément au Règlement, cela viderait de son essence la politique de télécommunication et le pouvoir du ministre de l’administrer au moyen de l’imposition de conditions à la délivrance des licences du spectre. Il en est ainsi parce qu’en l’absence de règlement régissant l’admissibilité de titulaires potentiels de licences du spectre, il n’y aurait pas de bassin à partir duquel on pourrait choisir, ce qui mènerait essentiellement l’ensemble du processus à une impasse. En outre, les critères d’admissibilité prévus dans le Règlement relatif aux licences radio et autres, traitent du statut de citoyenneté des personnes physiques, et pour ce qui est des personnes morales titulaires potentielles de licences, de la propriété et du contrôle. Par conséquent, cela donne à entendre que le gouverneur en conseil a décidé, pour l’instant, de ne pas limiter les conditions de délivrance de licences, telles que celles qui sont en litige dans la présente espèce, au moyen d’un règlement.

[106]   Comme le défendeur le soutient, même si le Règlement s’appliquait, et par conséquent interdisait au ministre d’accorder des licences de spectre à toute personne qui ne satisfaisait pas aux exigences minimales concernant le contrôle et la propriété canadienne, cela n’épuiserait pas les autres voies que le ministre peut légalement emprunter telles que l’adoption de conditions, notamment des plafonds de fréquences pour les licences du spectre. Le fait de satisfaire aux critères d’admissibilité ne donne pas automatiquement le droit à une personne d’obtenir une licence, et le ministre conserve le pouvoir discrétionnaire d’octroyer ou de refuser d’octroyer une licence (Ryan, précité; Handa, précité, au paragraphe 4.117). En l’espèce, le législateur a spécifiquement accordé au ministre le pouvoir discrétionnaire d’octroyer ou de refuser d’octroyer une licence conformément à son mandat et à sa compétence. Si l’établissement d’un plafond de fréquences entraîne le refus d’une licence à une catégorie précise de demandeurs, il s’agit là de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et non pas de l’imposition illégale de critères d’admissibilité.

[107]   En outre, l’existence d’un pouvoir réglementaire non utilisé, comme c’est le cas en l’espèce, n’a pas pour fonction de limiter la capacité du ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire réglementaire. Dans la décision Vaziri, précitée, la juge Snider a examiné une question similaire, bien que ce fût dans des circonstances factuelles différentes et dans le contexte de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27]. La juge a déclaré ce qui suit [aux paragraphes 30 à 35] :

Il existe toutefois des décisions utiles pour analyser la question qui m’est soumise en ce qui concerne la compétence du ministre en cas de défaut d’exercer un pouvoir de réglementation.

La première de ces décisions est l’arrêt Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la radiodiffusion et les télécommunications canadiennes, [1978] 2 R.C.S. 141. Dans l’affaire Capital Cities, le Conseil de la radiodiffusion et les télécommunications canadiennes (le CRTC) avait refusé de modifier la licence accordée à Rogers Cable TV Ltd. en se fondant sur les orientations antérieurement établies par lui-même et par le ministère des Transports. Aucun règlement sur lequel le CRTC aurait pu fonder sa décision n’avait été édicté malgré l’existence du pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par la Loi sur la radiodiffusion. Les juges majoritaires ont posé la question suivante (à la page 170) :

Toutefois, en l’absence de règlement, le Conseil est-il tenu de ne rendre que des décisions ad hoc sur les demandes de licences ou de modifications de licences et lui est-il interdit d’annoncer les politiques sur lesquelles il se fondera lorsqu’il examinera ces demandes?

Comme c’est le cas en l’espèce, dans l’affaire Capital Cities, le pouvoir de réglementation prévu par la loi habilitante était très large. La Cour suprême a jugé, à la majorité, qu’il était « tout à fait approprié d’énoncer des principes directeurs comme le Conseil [le CRTC] l’a fait », car, compte tenu de la grande portée des objets visés par la loi applicable, le CRTC s’était vu confier un vaste mandat, en l’occurrence la gestion de tous les aspects du système de radiodiffusion canadienne, et il avait formulé ces principes directeurs après avoir consulté les intéressés.

L’arrêt Capital Cities a été suivi quatre ans plus tard par l’arrêt CTV, précité. Cette affaire portait sur une décision par laquelle le comité de direction du CRTC avait, sans y être autorisé par ses règlements, assorti la licence de radiodiffusion accordée au réseau CTV d’une condition l’obligeant à respecter un certain niveau de contenu canadien dans ses émissions. La Cour suprême a adopté à l’unanimité le raisonnement suivi par le juge en chef de la Cour d’appel dans la décision faisant l’objet du pourvoi formé devant elle. Dans cette décision, la Cour d’appel s’était dite d’avis que la généralité des objets formulés dans la loi habilitante autorisait le CRTC à assortir les licences de radiodiffusion de conditions. Il était loisible au CRTC de remplir les objectifs de la loi en imposant des conditions au cas par cas tant que ne serait pas édicté un règlement, lequel aurait pour effet de supplanter le pouvoir ad hoc du conseil exécutif.

L’affaire Carpenter Fishing Corp. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] A.C.F. no 1811; [1998] 2 C.F. 548 (QL) (C.A.F.) est également utile pour trancher la question qui m’est soumise. Dans cette affaire, le ministre des Pêches et des Océans avait choisi une formule, qui se voulait à la fois une ligne directrice générale et une ligne directrice stratégique, pour l’attribution par son ministère de quotas individuels aux détenteurs de permis. La Cour d’appel fédérale a jugé légale la décision du ministre. Cette décision rappelle celle qu’a prise en l’espèce le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en accordant la priorité à certaines demandes. Dans les deux cas, la décision avait été prise en réponse à de graves préoccupations qui relevaient directement des attributions du ministre. La situation en cause dans l’affaire Carpenter Fishing est par conséquent comparable à celle qui nous intéresse en l’espèce. Les actes des deux ministres concernés se voulaient des réponses pratiques inspirées de considérations de principe légitimes. Les régimes législatifs en vertu desquels les deux ministres ont agi sont complexes et ils impliquent des questions dynamiques.

Pris globalement, les arrêts Carpenter Fishing, Capital Cities et CTV offrent des pistes de solution utiles pour trancher la présente demande. Le ministre est chargé de l’application de la LIPR. Si aucun règlement n’a été pris, il a le pouvoir de définir les orientations du gouvernement en ce qui concerne la gestion de l’afflux des immigrants au Canada, à condition que ses orientations et ses décisions soient prises de bonne foi et qu’elles soient compatibles avec l’objet et l’esprit de la LIPR. Le gouverneur en conseil conserve le pouvoir de définir par règlement la façon dont le ministre doit appliquer la LIPR et il peut supplanter les pouvoirs du ministre. Cependant, lorsque aucun pouvoir législatif ou réglementaire n’a été exercé de façon expresse, le ministre doit pouvoir disposer de toute la latitude nécessaire pour administrer le système. Sans les orientations et les méthodes que les demandeurs contestent, le système ne pourrait fonctionner. Or, il n’est pas possible que le législateur fédéral ait voulu que le système ne fonctionne pas.

[108]   Bien que la décision Vaziri ait trait à un régime législatif différent, selon moi, ces principes sont applicables en l’espèce.

[109]   En conclusion, le ministre avait le pouvoir d’établir des conditions pour les licences de spectre dans la bande de 700 MHz, notamment les plafonds de fréquences applicables aux grands fournisseurs de service sans fil comme TELUS. Compte tenu du pouvoir du ministre au vu des objectifs de politique du régime de lois interreliées composé de la LR, du Règlement, de la LT et de la LMI, et après une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, selon moi, les conditions en cause ne comprennent pas d’exigences relatives à l’admissibilité, mais elles servent à favoriser la mise en œuvre d’une politique de télécommunication clairement formulée. S’il y a un quelconque aspect des conditions qui touche à l’admissibilité, alors cela est accessoire au pouvoir du ministre d’administrer la gestion du spectre, conformément aux objectifs de cette politique. Ainsi, quoi qu’il en soit, en l’absence de règlement adopté par le gouverneur en conseil relativement à l’admissibilité aux licences du spectre, l’imposition de conditions n’outrepasse pas le pouvoir du ministre ou n’entre pas en conflit avec le pouvoir réglementaire du gouverneur en conseil. Le ministre a correctement et raisonnablement exercé son pouvoir à cet égard.

[110]   Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.    la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont payables au défendeur;

2.    dans le cas où les parties ne peuvent pas s’accorder sur le montant des dépens à payer au défendeur, ils peuvent déposer des observations écrites à la Cour dans les 10 jours de la présente décision.

ANNEXE

Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R-2

DÉFINITIONS

2.  Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

Définitions

« autorisation de radiocommunication »Toute licence ou autorisation et tout certificat visés à l’alinéa 5(1)a).

[…]

 

« autorisation de radiocommunication » “radio authorization

POUVOIRS MINISTÉRIELS

5.  (1) Sous réserve de tout règlement pris en application de l’article 6, le ministre peut, compte tenu des questions qu’il juge pertinentes afin d’assurer la constitution ou les modifications ordonnées de stations de radiocommunication ainsi que le développement ordonné et l’exploitation efficace de la radiocommunication au Canada :

a)  délivrer et assortir de conditions :

(i)         les licences radio à l’égard d’appareils radio, et notamment prévoir les conditions spécifiques relatives aux services pouvant être fournis par leur titulaire,

(i.1)      les licences de spectre à l’égard de l’utilisation de fréquences de radiocommunication définies dans une zone géographique déterminée, et notamment prévoir les conditions spécifiques relatives aux services pouvant être fournis par leur titulaire,

[…]

(v)        toute autre autorisation relative à la radiocommunication qu’il estime indiquée;

b)  modifier les conditions de toute licence ou autorisation ou de tout certificat ainsi délivrés;

[…]

e)  planifier l’attribution et l’utilisation du spectre;

[…]

n)  prendre toute autre mesure propre à favoriser l’application efficace de la présente loi.

Pouvoirs ministériels

(1.1)          Dans l’exercice des pouvoirs prévus au paragraphe (1), le ministre peut aussi tenir compte de la politique canadienne de télécommunication indiquée à l’article 7 de la Loi sur les télécommunications.

Politique canadienne de télécommunication

(1.2)          Dans l’exercice du pouvoir qui lui est conféré par l’alinéa (1)a), le ministre peut recourir à un processus d’adjudication pour délivrer des autorisations de radiocommunication.

[…]

Adjudication d’autorisations de radiocommunication

(1.4)          Le ministre peut établir les formalités, les normes et les modalités applicables au processus d’adjudication visé au paragraphe (1.2) et notamment fixer les mécanismes d’enchère, la mise à prix, les qualités des enchérisseurs, les modalités d’acceptation des enchères, les frais de demande exigibles des enchérisseurs, les exigences de dépôt, les pénalités pour retrait et les calendriers de paiement.

[…]

Processus d’adjudication

POUVOIRS DU GOUVERNEUR EN

CONSEIL ET AUTRES

6.  (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a)  fixer les exigences et les normes techniques à l’égard d’appareils radio, de matériel brouilleur et de matériel radiosensible, ou de toute catégorie de ceux-ci;

b)  définir l’admissibilité à l’attribution d’autorisations de radiocommunication, ou de toute catégorie de celles-ci, notamment les critères d’admissibilité fondés sur :

(i)    dans le cas d’une personne physique, la citoyenneté ou la résidence permanente,

(ii)   dans le cas d’une personne morale, la résidence, le lien de propriété ou le pouvoir de contrôle, ainsi que le statut de citoyen ou de résident permanent de ses administrateurs et dirigeants;

c)  définir les qualités requises pour l’attribution d’autorisations de radiocommunication, ou de toute catégorie de celles-ci, notamment l’examen à subir;

d)  préciser la procédure applicable à la présentation des demandes d’autorisations de radiocommunication, ou de toute catégorie de celles-ci, notamment quant aux modalités de forme, au mode de traitement et au sort de ces demandes, ainsi qu’à la délivrance des autorisations par le ministre;

e)  préciser les conditions des autorisations de radiocommunication et, dans le cas des licences radio, celles qui concernent les services pouvant être fournis par leur titulaire;

f)   préciser les conditions et les restrictions applicables aux services radio réglementaires;

[…]

s)  prendre toute mesure d’ordre réglementaire prévue par la présente loi;

t)   prendre toute autre mesure d’application de la présente loi.

Règlements

Règlement sur la radiocommunication, DORS/96-484

Admissibilité

9.  (1) Pour tous les services sauf le service de radioamateur, sont admissibles à l’attribution d’une licence radio soit à titre d’usager radio, soit à titre de fournisseur de services radio autre qu’un transporteur de radiocommunications :

a)  la personne physique qui est :

(i)    soit un citoyen au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la citoyenneté,

(ii)   soit un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration,

(iii)   soit un non-résident qui a obtenu une autorisation d’emploi sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés;

b)  la personne morale qui est constituée ou prorogée sous le régime des lois fédérales ou provinciales;

[…]

10. (1) […]

(2) Sont admissibles à l’attribution d’une licence radio, à titre de transporteur de radiocommunications :

a)  la personne physique qui est :

(i)    soit un citoyen au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la citoyenneté et un résident habituel du Canada,

(ii)   soit un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et un résident habituel du Canada depuis une période maximale d’un an à compter de l’expiration de la date où elle est devenue pour la première fois admissible à demander la citoyenneté canadienne;

b)  la société de personnes ou la coentreprise dont chaque associé ou coentrepreneur est admissible à l’attribution d’une licence radio en vertu du présent paragraphe;

c)  le gouvernement fédéral, un gouvernement provincial ou une administration locale au Canada, ou un organisme de l’un d’eux;

d)  la personne morale qui est :

(i)    soit constituée ou prorogée sous le régime des lois fédérales ou provinciales et est la propriété de Canadiens et sous contrôle canadien,

(ii)   soit une entreprise canadienne qui remplit les conditions d’admissibilité prévues aux paragraphes 16(1) ou (2) de la Loi sur les télécommunications, qu’elle soit ou non exemptée de l’application de cette loi ou autrement soustraite à son application.

Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1

Pouvoirs et fonctions du ministre

4.  (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent de façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés :

[…]

k)  aux télécommunications, sauf en ce qui a trait à la planification et à la coordination des services de télécommunication aux ministères et aux organismes fédéraux et à la radiodiffusion — à l’exception de la gestion du spectre et des aspects techniques de la radiodiffusion.

[…]

Compétence générale

5.  Le ministre exerce les pouvoirs et fonctions que lui confère le paragraphe 4(1) de manière à :

a)  renforcer l’économie nationale et promouvoir le développement durable;

b)  favoriser la circulation des biens, des services et des facteurs de production ainsi que le commerce intérieur;

c)  accroître la compétitivité de l’industrie, des biens et des services canadiens sur le plan international et faciliter l’adaptation aux situations intérieure et internationale;

d)  favoriser le plein essor de la science et de la technologie et encourager leur utilisation optimale;

e)  favoriser la science et la technologie au Canada;

f)   renforcer la structure nécessaire à l’essor et à l’efficacité du marché canadien;

g)  encourager la mise sur pied, le développement et l’efficacité des systèmes et installations de communications du pays et faciliter l’adaptation aux situations intérieure et internationale;

h)  stimuler l’investissement;

i)   promouvoir les intérêts et la protection du consommateur canadien.

Objectifs

Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38

Politique canadienne de télécommunication

7.  La présente loi affirme le caractère essentiel des télécommunications pour l’identité et la souveraineté canadiennes; la politique canadienne de télécommunication vise à :

a)  favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;

b)  permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions — rurales ou urbaines — du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;

c)  accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;

d)  promouvoir l’accession à la propriété des entreprises canadiennes, et à leur contrôle, par des Canadiens;

e)  promouvoir l’utilisation d’installations de transmission canadiennes pour les télécommunications à l’intérieur du Canada et à destination ou en provenance de l’étranger;

f)   favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celle-ci est nécessaire;

g)  stimuler la recherche et le développement au Canada dans le domaine des télécommunications ainsi que l’innovation en ce qui touche la fourniture de services dans ce domaine;

h)  satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication;

i)   contribuer à la protection de la vie privée des personnes.

[…]

Politique

Propriété et contrôle canadiens

16.            (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

Définitions

« coentreprise » Association d’entités dans le cas où leurs rapports ne constituent pas, en vertu des lois canadiennes, une personne morale, une société de personnes ou une fiducie et si les droits de participation indivise à la propriété des actifs de l’entreprise canadienne ou des intérêts avec droit de vote de l’entreprise canadienne appartiennent ou appartiendront à celles-ci.

« coentreprise » “joint venture

« entité » Personne morale, société de personnes, fiducie ou coentreprise.

« entité » “entity

« intérêt avec droit de vote »

a)  Action avec droit de vote d’une personne morale avec capital social;

b)  titre de participation d’une personne morale sans capital social qui accorde à son propriétaire des droits semblables à ceux du propriétaire d’une action avec droit de vote;

c)  titre de participation d’une société de personnes, d’une fiducie ou d’une coentreprise qui permet à son propriétaire de recevoir une partie des profits et, en cas de dissolution, une partie des actifs.

« intérêt avec droit de vote » “voting interest

(2) Est admise à agir comme entreprise de télécommunication l’entreprise canadienne, selon le cas :

a)  qui est une entité constituée, organisée ou prorogée sous le régime des lois fédérales ou provinciales et qui est la propriété de Canadiens et sous contrôle canadien;

b)  qui n’est propriétaire ou exploitante que d’une installation de transmission visée au paragraphe (5);

c)  dont les revenus annuels provenant de la fourniture de services de télécommunication au Canada représentent moins de dix pour cent de l’ensemble des revenus pour l’année, déterminé par le Conseil, provenant de la fourniture de ces services au Canada.

Admissibilité

(3) Pour l’application de l’alinéa (2)a), est la propriété de Canadiens et est contrôlée par ceux-ci l’entité :

a)  dans le cas d’une personne morale, dont au moins quatre-vingts pour cent des administrateurs sont des Canadiens;

b)  dont au moins quatre-vingts pour cent des intérêts avec droit de vote sont la propriété effective, directe ou indirecte, de Canadiens, à l’exception de ceux qui sont détenus à titre de sûreté uniquement;

c)  qui n’est pas par ailleurs contrôlée par des non-Canadiens.

Contrôle et propriété canadiens

(4) Il est interdit à l’entreprise canadienne d’agir comme entreprise de télécommunication si elle n’y est pas admise aux termes du présent article.

Interdiction

(5) L’alinéa (2)a) et le paragraphe (4) ne s’appliquent pas en ce qui touche la propriété ou l’exploitation :

a)  de câbles sous-marins internationaux;

b)  de stations terriennes qui assurent des services de télécommunication par satellites;

c)  de satellites.

Exclusion

(6) L’entreprise canadienne admise à agir comme entreprise de télécommunication au titre de l’alinéa (2)c) demeure ainsi admise même si ses revenus annuels provenant de la fourniture de services de télécommunication au Canada représentent dix pour cent ou plus de l’ensemble des revenus pour l’année provenant de la fourniture de ces services au Canada si l’augmentation de ses revenus annuels provenant de la fourniture de ces services au Canada à dix pour cent ou plus de l’ensemble des revenus pour l’année provenant de la fourniture de ces services au Canada ne découlait pas de l’acquisition du contrôle d’une autre entreprise canadienne ni de l’acquisition d’actifs utilisés par une autre entreprise canadienne pour la fourniture de service de télécommunication.

Exception

(7) L’entreprise canadienne visée au paragraphe (6) ne peut acquérir le contrôle d’une autre entreprise canadienne ni acquérir des actifs utilisés par une autre entreprise canadienne pour la fourniture de service de télécommunication.

Acquisition

(8) L’entreprise canadienne admise à agir comme entreprise de télécommunication au titre de l’alinéa (2)c) avise le Conseil de l’acquisition du contrôle de toute entreprise canadienne ou de l’acquisition des actifs utilisés par une autre entreprise canadienne pour la fourniture de service de télécommunication.

Avis

(9) Pour déterminer les revenus annuels provenant de la fourniture de services de télécommunication au Canada pour l’application du présent article, sont également visés les revenus provenant de la fourniture de tels services au Canada par tout affilié — au sens prévu au paragraphe 35(3) — de l’entreprise canadienne.

[…]

Affilié

Règlements

22.            (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant l’admissibilité des entreprises canadiennes prévue à l’article 16. Il peut notamment prendre des règlements :

a)  sur les renseignements à fournir, les personnes par qui et à qui ils doivent être fournis, les modalités de temps ou autres de leur fourniture et les conséquences du défaut de les fournir;

b)  sur les circonstances dans lesquelles l’entreprise canadienne peut, pour maintenir son admissibilité, contrôler l’acquisition et la propriété de ses actions avec droit de vote, ainsi que limiter, suspendre ou refuser de reconnaître des droits de propriété à l’égard de celles-ci ou obliger ses actionnaires à en disposer, ainsi que sur les modalités afférentes à la prise de ces mesures;

c)  autorisant le conseil d’administration de l’entreprise canadienne à procéder, à l’égard des actions avec droit de vote, à un versement de dividendes ou à toute autre distribution qui seraient par ailleurs interdits en raison de la détention de celles-ci en violation de l’article 16 ou des règlements d’application du présent paragraphe, dans les cas où, selon le Conseil, soit la violation est involontaire ou de nature technique, soit il serait injuste de ne pas procéder au versement ou à la distribution;

d)  sur les circonstances dans lesquelles l’entreprise canadienne peut limiter les droits de vote afférents aux actions — ou suspendre ou annuler leur exercice — pour maintenir son admissibilité, ainsi que sur les modalités afférentes à la prise de ces mesures;

e)  sur les circonstances dans lesquelles l’entreprise canadienne peut vendre ou racheter les actions détenues en violation de l’article 16 ou des règlements d’application du présent paragraphe, disposer du produit de la vente et rembourser les acheteurs de bonne foi, ainsi que sur les modalités afférentes à la prise de ces mesures;

f)   sur les pouvoirs de l’entreprise canadienne lui permettant d’exiger la divulgation de l’identité des véritables propriétaires de ses actions, sur le droit de l’entreprise et de ses administrateurs, dirigeants, employés et mandataires de se fier à cette divulgation, ainsi que sur les effets qui peuvent en résulter;

g)  sur la vérification par le Conseil de l’admissibilité de l’entreprise canadienne, ainsi que sur les mesures que celui-ci peut prendre pour maintenir cette admissibilité, notamment l’exercice des pouvoirs du conseil d’administration de l’entreprise et l’annulation des décisions de celui-ci, ainsi que sur les circonstances justifiant la prise de ces mesures et les modalités afférentes à celle-ci;

h)  sur les circonstances dans lesquelles le Conseil et ses conseillers, dirigeants, employés ou mandataires ou l’entreprise canadienne et ses administrateurs, dirigeants, employés ou mandataires peuvent être exemptés de toute responsabilité pour les mesures qu’ils ont prises afin de maintenir l’admissibilité de l’entreprise, ainsi que sur les modalités afférentes à l’octroi de cette exemption;

i)   en vue de définir les termes « ayant droit » et « Canadiens » pour l’application de l’article 16;

j)   en vue de prendre toute mesure d’ordre réglementaire et, d’une façon générale, toute mesure d’application de l’article 16 et du présent paragraphe.

Règlements

(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement relatif aux licences de câble sous-marin international :

a)  préciser les renseignements devant accompagner les demandes de licence et la procédure applicable à la présentation de celles-ci — notamment quant à leurs modalités de forme, à leur mode de traitement et à leur sort;

b)  régir la forme des licences ainsi que les renseignements devant y figurer, et exiger de leur titulaire, leur publication ou leur mise à la disposition du public;

c)  établir les catégories de licences de câble sous-marin international et déterminer les personnes pouvant être titulaires de telles licences;

d)  fixer le montant des droits à acquitter pour les licences — ou le mode de leur calcul — ainsi que les modalités de leur paiement;

e)  prendre toute autre mesure nécessaire pour l’application des articles 17 à 20.

Idem

(3) Les droits payables dans le cadre de la présente partie constituent une créance de Sa Majesté du chef du Canada, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant tout tribunal compétent.

Créances de Sa Majesté

(4) Les projets de règlement visés au présent article sont publiés dans la Gazette du Canada au moins soixante jours avant la date prévue pour leur entrée en vigueur, les intéressés se voyant accorder la possibilité de présenter au ministre leurs observations à cet égard.

Publication des projets de règlement

(5) Une seule publication suffit, que le projet ait ou non été modifié.

Idem

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