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SCRS-30-08

2013 CF 1275

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée par [***] visant la délivrance d’un mandat en application des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23;

ET AFFAIRE INTÉRESSANT [***]

Répertorié : X (Re)

Cour fédérale, juge Mosley—Ottawa, 4 septembre, 23 et 24 octobre; 22 novembre 2013.

*Note de l’arrêtiste : Cette décision a été confirmée en appel (A-145-14, 2014 CAF 249). Voici la référence de publication des motifs du jugement prononcés le 31 juillet 2014 : [2015] 1 R.C.F. 684.

Les parties expurgées par ordonnance de la Cour sont indiquées par [***].

Renseignement de sécurité — Motifs supplémentaires modifiés et caviardés d’ordonnance clarifiant la portée et les limites des motifs émis le 4 mai 2009 (demande SCRS-30-08) — Les motifs de mai 2009 ont autorisé la délivrance d’un mandat pour intercepter des télécommunications étrangères à l’intérieur du Canada — Des mandats similaires (mandats SCRS-30-08 ou 30-08) ont été délivrés depuis en vertu des art. 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS ou la Loi) — Il n’a pas été question de mettre à contribution les agences étrangères alliées afin d’intercepter les communications dans la demande SCRS-30-08 — Néanmoins, des tentatives ont été faites pour viser précisément cet objectif malgré le fait que la Cour, dans la demande précédente (demande SCRS-10-07), avait déterminé qu’elle n’avait pas compétence pour décerner un mandat extraterritorial — Il s’agissait de savoir si le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a respecté son obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue et d’exposer les faits de manière complète, franche et impartiale lorsqu’il a demandé l’émission de mandats 30-08; et quel était le pouvoir légal du SCRS de demander, par l’intermédiaire du Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC), à des partenaires étrangers de l’aider à intercepter les télécommunications de Canadiens pendant que ceux-ci se trouvent à l’étranger — Lorsqu’il présente une demande de mandat au titre des art. 12 et 21 de la Loi sur le SCRS, le SCRS doit faire état de tous les faits importants — L’adoption d’une conception étroite de la pertinence reviendrait à dire que la Cour ne doit pas être informée quant à certaines questions, y compris les questions ayant trait à l’historique des tentatives qui ont été faites en vue d’obtenir de la Cour l’autorisation de recueillir des renseignements de sécurité à l’étranger et les incidences que peut comporter le partage de renseignements avec des agences étrangères — Le SCRS a décidé d’omettre, dans les demandes 30-08, les renseignements concernant leur intention de demander l’assistance de partenaires étrangers — La Cour a été amenée à croire que les activités d’interception auraient toutes lieu au Canada ou seraient toutes contrôlées par les autorités canadiennes — Le SCRS a omis un renseignement important en n’expliquant pas à la Cour sa nouvelle thèse selon laquelle il n’avait pas besoin d’être autorisé par mandat pour mettre à contribution les biens des pays alliés constituant des secondes parties afin d’effectuer des interceptions à l’étranger — Le mandat 30-08 n’autorise pas l’interception, directement ou indirectement, de communications d’un Canadien par une agence étrangère pour le compte du SCRS par l’intermédiaire du CSTC — L’art. 12 de la Loi ne soustrait pas le SCRS à l’application du Code criminel et de la Charte canadienne des droits et libertés — L’art. 12 n’autorise pas le SCRS à faire appel aux capacités d’interception d’agences étrangères — Le législateur n’a pas accordé au SCRS le pouvoir de violer le droit international et la souveraineté de pays étrangers — Le principe de la courtoisie entre pays cesse dès qu’il y a violation manifeste du droit international et des droits fondamentaux de la personne — Les représentants du SCRS et du CSTC savaient qu’en demandant aux pays alliés de s’exécuter, ceux-ci violeraient le droit international — L’exercice de l’autorisation accordée par le mandat décerné par la Cour a été utilisé comme couverture à l’égard d’activités qu’elle n’a pas autorisées — Le législateur n’a pas donné au SCRS l’autorisation de mettre à contribution les secondes parties alliées afin d’intercepter, en vertu de l’art. 12, les communications privées de Canadiens — Le législateur n’a pas envisagé que le CSTC pourrait assurer une telle assistance au SCRS sur le seul fondement de l’art. 12 — La compétence de la Cour pour décerner un mandat en vue de l’interception au Canada de télécommunications étrangères ne comprend pas l’autorisation de permettre à des agences étrangères d’intercepter les communications de Canadiens qui voyagent à l’étranger.

Compétence de la Cour fédérale — Motifs supplémentaires caviardés d’ordonnance clarifiant la portée et les limites des motifs émis le 4 mai 2009 qui autorisaient la délivrance d’un mandat pour intercepter des télécommunications étrangères à l’intérieur du Canada — La Cour a compétence pour décerner un mandat en vertu de l’art. 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, pour l’interception au Canada de télécommunications étrangères — Cette compétence ne comprend pas l’autorisation de permettre au SCRS de demander que des agences étrangères interceptent, directement ou par l’entremise du CSTC, les communications de Canadiens qui voyagent à l’étranger.

Justice criminelle et pénale — Preuve — Obligation de divulgation complète et franche — Motifs supplémentaires caviardés d’ordonnance clarifiant la portée et les limites des motifs émis le 4 mai 2009 (demande SCRS-30-08) qui autorisaient la délivrance d’un mandat pour intercepter des télécommunications étrangères à l’intérieur du Canada — Des mandats similaires (mandats SCRS-30-08 ou 30-08) ont été délivrés depuis en vertu des art. 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) — Il n’a pas été question de mettre à contribution les agences étrangères alliées afin d’intercepter les communications dans la demande SCRS-30-08 — Néanmoins, des tentatives ont été faites pour viser précisément cet objectif malgré le fait que la Cour, dans la demande précédente (demande SCRS-10-07), avait déterminé qu’elle n’avait pas compétence pour décerner un mandat extraterritorial — Il s’agissait de savoir si le SCRS a respecté son obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue et d’exposer les faits de manière complète, franche et impartiale lorsqu’il a demandé l’émission de mandats 30-08 — Lorsqu’il présente une demande de mandat au titre des art. 12 et 21 de la Loi sur le SCRS, le SCRS doit faire état de tous les faits importants — Le SCRS a décidé d’omettre, dans les demandes 30-08, les renseignements concernant leur intention de demander l’assistance de partenaires étrangers — La Cour a été amenée à croire que les activités d’interception auraient toutes lieu au Canada ou seraient toutes contrôlées par les autorités canadiennes — Le SCRS a omis un renseignement important en n’expliquant pas à la Cour sa nouvelle thèse selon laquelle il n’avait pas besoin d’être autorisé par mandat pour mettre à contribution les biens des pays alliés constituant des secondes parties afin d’effectuer des interceptions à l’étranger.

Il s’agissait de motifs supplémentaires modifiés et caviardés d’ordonnance clarifiant la portée et les limites des motifs très secrets de l’ordonnance émise le 4 mai 2009 (la demande SCRS-30-08) en raison des renseignements additionnels qui ont été fournis à la Cour à la suite de la publication du Rapport annuel 2012‒2013 du Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC).

Les motifs d’ordonnance du 4 mai 2009 autorisaient la délivrance d’un mandat pour l’interception de communications étrangères à l’intérieur du Canada. Le mandat constituait une dérogation à la doctrine adoptée antérieurement par la Cour selon laquelle elle n’avait pas compétence pour autoriser la collecte de renseignements confidentiels en matière de sécurité concernant une menace à la sécurité du Canada par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) d’un pays autre que le Canada. Il convenait d’autoriser la collecte de télécommunications étrangères tant que l’interception des télécommunications et les saisies de renseignements avaient lieu à l’intérieur du Canada. Depuis la demande SCRS-30-08, un certain nombre de mandats similaires ont été décernés (mandats SCRS-30-08 ou mandats 30-08) à la suite de nouvelles demandes relativement à d’autres cibles d’enquête en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (la Loi sur le SCRS).

Dans une demande de 2007 (la demande SCRS-10-07), le SCRS demandait un mandat l’autorisant à intercepter les télécommunications destinées aux personnes visées par l’enquête ou les télécommunications provenant des personnes visées par l’enquête, y compris les communications à l’étranger. Le SCRS demandait que le mandat prévoie qu’il pouvait être exécuté en tout lieu à l’extérieur du Canada, sous le contrôle du gouvernement du Canada ou d’un gouvernement étranger. La Cour a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour décerner un mandat extraterritorial. Rien dans les motifs de la demande SCRS-30-08 ne semble enseigner que les agents du SCRS n’avaient pas besoin de mandat ou d’autres autorisations légales, y compris celles d’un pays étranger, pour se livrer à l’étranger à des activités intrusives de collecte de renseignements. La Cour a plutôt conclu que la Loi ne prévoyait pas l’émission d’un tel mandat et que la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) ne visait pas de telles activités. Dans la demande SCRS-10-07, le SCRS a exposé en détail comment les ressources des agences étrangères alliées seraient mises à contribution afin d’intercepter les communications du Canadien se déplaçant à l’étranger. Dans la demande SCRS-30-08, le CSTC a déclaré que les communications ciblées seraient interceptées uniquement par le matériel du gouvernement canadien. Il n’a pas été question de mettre à contribution les agences étrangères alliées. Il y avait suffisamment de motifs factuels et juridiques pour distinguer la demande SCRS-30-08 de la demande SCRS-10-07 et le mandat 30-08 a été accordé.

Peu de temps après que les motifs d’ordonnance du 4 mai 2009 ont été émis, des tentatives ont été faites en vue de charger des agences étrangères d’intercepter des télécommunications relativement aux cibles visées par le mandat. L’interdépendance entre les mandats 30-08 et les demandes d’assistance étrangère est mentionnée dans une note de service émise par le SCRS à l’attention de tous les bureaux régionaux et toutes les sections du SCRS et signalait, entre autres, que les systèmes de collecte de télécommunications d’agences étrangères pouvaient être utilisés pour l’interception de communications étrangères. Le rapport annuel du CSTC signale que le commissaire s’est penché sur l’aide qu’a apportée le CSTC au SCRS dans l’exécution d’un certain nombre des premiers mandats décernés en rapport avec la lutte antiterroriste. Le commissaire a recommandé que le CSTC discute avec le SCRS l’application à d’autres situations d’une pratique existante pour protéger la vie privée; et que le CSTC conseille au SCRS de fournir à la Cour fédérale du Canada certaines preuves supplémentaires quant à la nature et à l’ampleur de l’aide qu’il peut apporter au SCRS. Après avoir examiné les renseignements présentés par le SCRS au CSTC, il était évident que le commissaire était principalement préoccupé par les renseignements qui avaient été soumis à la Cour dans le cadre de la demande SCRS-10-07 et qui n’avaient pas été soumis dans le cadre de la demande SCRS-30-08 ou dans une demande ultérieure d’émission d’un mandat 30-08. Selon le témoignage rendu par le SCRS, si le mandat était décerné, le CSTC fournirait une assistance au SCRS, notamment en demandant à ses partenaires membres du « Groupe des cinq » (États-Unis, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande) de surveiller les cibles des mandats. Bien que cette pratique n’ait pas été discutée dans la preuve soumise à l’appui de la demande SCRS-30-08, elle a été appliquée par défaut par le SCRS et le CSTC lors de la délivrance du mandat 30-08. Le commissaire estimait que la Cour fédérale devrait être explicitement avisée dans chaque cas que le CSTC peut, à la demande du SCRS, partager avec les partenaires des secondes parties des renseignements concernant la cible canadienne visée par un mandat 30-08. Cette discussion et cette recommandation semblaient rattacher l’émission du mandat 30-08 devant être exécuté au Canada aux demandes faites aux secondes parties.

Il s’agissait de savoir si le SCRS a respecté son obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue et d’exposer les faits de manière complète, franche et impartiale lorsqu’il a demandé l’émission d’un mandat 30-08 dans le cadre de la demande SCRS-30-08 et de toute demande ultérieure de délivrance d’un mandat 30-08; et quel était le pouvoir légal du SCRS de demander, par l’intermédiaire du CSTC, à des partenaires étrangers de l’aider à intercepter les télécommunications de Canadiens pendant que ceux-ci se trouvent à l’étranger.

Jugement : La compétence de la Cour pour décerner un mandat en vertu de l’article 21 de la Loi en vue de l’interception au Canada de télécommunications étrangères ne comprend pas l’autorisation de permettre à des agences étrangères d’intercepter les communications de Canadiens qui voyagent à l’étranger.

Lorsqu’il présente une demande de mandat au titre des articles 12 et 21 de la Loi sur le SCRS, le SCRS doit faire état de tous les faits importants, favorables ou non. En matière de demande de mandat au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, les faits importants sont ceux qui peuvent aider le juge désigné à décider si les critères énoncés aux alinéas 21(2)a) et 21(2)b) ont été satisfaits. Cependant, la conception étroite de la pertinence doit être rejetée, car elle exclut les renseignements concernant le cadre élargi dans lequel les demandes de délivrance de mandat au titre de la Loi sur le SCRS sont présentées. Cela revient à dire que la Cour ne doit pas être informée quant à des questions au sujet desquelles elle pourrait avoir des réserves si elle en était informée. Dans les circonstances de l’espèce, cela comprendrait les questions ayant trait à l’historique des tentatives qui ont été faites en vue d’obtenir de la Cour l’autorisation de recueillir des renseignements de sécurité à l’étranger et les incidences que peut comporter le partage de renseignements concernant des Canadiens avec des agences étrangères de sécurité et de renseignement. Les représentants du SCRS, après avoir consulté leurs conseillers juridiques, ont décidé d’omettre, dans les demandes de mandats 30-08, les renseignements concernant leur intention de demander l’assistance de partenaires étrangers. Par conséquent, la Cour a été amenée à croire que les activités d’interception auraient toutes lieu au Canada ou seraient toutes contrôlées par les autorités canadiennes. Le SCRS a omis un renseignement important en n’expliquant pas à la Cour sa nouvelle et différente thèse selon laquelle, contrairement à ce qu’il a affirmé dans la demande SCRS-10-07, il n’avait pas besoin d’être autorisé par mandat pour mettre à contribution les biens des pays alliés constituant des secondes parties afin d’effectuer des interceptions à l’étranger.

Un mandat 30-08 n’autorise pas l’interception, directement ou indirectement, de communications d’un Canadien par une agence étrangère pour le compte du SCRS par l’intermédiaire du CSTC. Il semble que ce n’est qu’après que la Cour eut décerné le premier mandat 30-08, qu’on a tenté d’invoquer l’article 12 de la Loi sur le SCRS à titre de pouvoir légal exigé par le CSTC pour cibler des Canadiens dans le cadre de l’exercice de son mandat d’assistance de l’alinéa 273.64(1)c) de la Loi sur la défense nationale. La Cour se devait d’être préoccupée par le fait que le pouvoir qui lui est accordé par le législateur d’autoriser le SCRS à mener des activités d’enquête intrusives pouvait être perçu sur la scène publique comme étant une approbation de la surveillance et de l’interception des communications de Canadiens par des agences étrangères. En ce qui concerne la portée du pouvoir accordé par l’article 12, ce texte doit être interprété au regard de l’économie de la Loi, des garanties et des protections énoncées dans la Charte et des limites imposées par le droit interne comme le Code criminel. L’article 12 ne soustrait pas le SCRS à l’application de ces lois d’application générale. L’article 12 n’autorise pas expressément le SCRS à faire appel aux capacités d’interception d’agences étrangères. Il ne ressort nullement de la Loi sur le SCRS ou des travaux préparatoires que, en adoptant l’article 12, le législateur a accordé au SCRS le pouvoir légal explicite de violer le droit international et la souveraineté de pays étrangers, directement ou indirectement, par l’intermédiaire du CSTC et des secondes parties. L’arrêt rendu par la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Schreiber c. Canada (Procureur général) ne répond pas à la question de savoir si on peut demander à une agence étrangère de fournir des renseignements sur un Canadien. La jurisprudence Schreiber n’enseigne pas qu’en intervenant en vertu d’une telle demande, le territoire étranger violerait la souveraineté d’un autre pays, alors que, en l’occurrence, tel semblait être le cas. Le principe de la courtoisie entre pays selon lequel le responsable canadien en mission à l’étranger se plie aux règles de droit et de procédure étrangères cesse dès que la participation du Canada aux activités d’un État étranger ou de ses représentants constitue une violation manifeste du droit international et des droits fondamentaux de la personne. En demandant aux autres membres du « Groupe des cinq » d’intercepter les communications de cibles canadiennes, les représentants du SCRS et du CSTC savaient, compte tenu de l’avis juridique qu’ils avaient reçu à propos de l’incidence de la jurisprudence R. c. Hape et de la décision dans la demande SCRS-10-07, qu’en s’exécutant, les secondes parties violeraient le droit international. Il était manifeste que l’exercice de l’autorisation accordée par le mandat décerné par la Cour a été utilisé comme couverture à l’égard d’activités qu’elle n’a pas autorisées. Le législateur visait à donner au SCRS l’autorisation de mettre à contribution les moyens de collecte des secondes parties alliées afin d’intercepter, en vertu du pouvoir général d’enquête prévu à l’article 12, les communications privées de Canadiens. De plus, il n’y a rien dans l’historique législatif des modifications apportées à la Loi sur la défense nationale en 2001 dont on puisse déduire que le législateur avait envisagé que le CSTC pourrait assurer une telle assistance au SCRS sur le seul fondement de l’article 12. À l’avenir, lorsqu’une demande de mandat 30-08 est faite à la Cour, celle-ci doit être informée quant à savoir si une demande d’assistance étrangère a été faite et, le cas échéant, elle doit être informée quant aux conséquences subies par les personnes visées par la demande. La conclusion tirée dans le cadre de la demande SCRS-30-08 selon laquelle la Cour a compétence pour décerner un mandat en vertu de l’article 21 pour l’interception au Canada de télécommunications étrangères sous certaines conditions précises demeure valide. Cette compétence ne comprend pas l’autorisation de permettre au SCRS de demander que des agences étrangères interceptent, directement ou par l’entremise du CSTC en vertu de sa mission d’assistance, les communications de Canadiens qui voyagent à l’étranger.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 24(1).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 183 « communication privée ».

Foreign Intelligence Surveillance Act of 1978, 50 U.S.C. Ch. 36.

Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, art. 102.

Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 273.64(1),(2)a),(3), 273.65(2).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2 « intercepter », 12, 21, 26.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3; R. v. G.B. (application by Bogiatzis, Christodoulou, Cusato and Churchill), [2003] O.T.C. 785, 108 C.R.R. (2d) 294 (C.S.J. Ont.); Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125.

décisions examinées :

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), 2008 CF 301, [2008] 4 R.C.F. 230; Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), 2008 CF 300, [2008] 3 R.C.F. 477; Schreiber c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 841; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565.

décisions citées :

R. v. McQueen, [1975] 6 W.W.R. 604, (1975), 25 C.C.C. (2d) 262 (C.A. Alb.); R. v. Giles, 2007 BCSC 1147; R. v. Taylor, 1997 CanLII 3797, 42 C.R.R. (2d) 371 (C.A. C.-B.), conf. par [1998] 1 R.C.S. 26; R. c. Taillefer, 1995 CanLII 4592, 100 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Qué.); Harkat (Re), 2010 CF 1243, infirmée pour d’autres motifs 2012 CAF 122, [2012] 3 R.C.F. 635, conf. en partie par 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33; Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299; Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163; R. v. Luciano, 2011 ONCA 89, 267 C.C.C. (3d) 16; R. v. Lee, 2007 ABQB 767, 427 A.R. 76.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 2012‒2013, en ligne : <http://www.sirc-csars.gc.ca/pdfs/ar_2012-2013-fra.pdf>.

Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 2012‒2013. « Combler les lacunes : réviser le fonctionnement des activités de renseignements et de leur surveillance », en ligne : <http://www.sirc-csars.gc.ca/pdfs/ar_2012-2013- fra.pdf>.

Hubbard, Robert W. et al. The Law of Privilege in Canada. Toronto : Canada Law Book, 2014.

MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES MODIFIÉS ET CAVIARDÉS d’ordonnance clarifiant la portée et les limites des motifs très secrets de l’ordonnance émise le 4 mai 2009 autorisant la délivrance d’un mandat pour l’interception de communications étrangères à l’intérieur du Canada.

ONT COMPARU

Robert Frater, Isabelle Chartier, Jacques-Michel Cyr, Rémi Chapadeau pour le demandeur le sous-procureur général du Canada.

Gordon Cameron à titre d’amicus curiae.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Ce qui suit est la version française des motifs supplémentaires modifiés et caviardés de l’ordonnance rendus par

Le juge Mosley :

INTRODUCTION 

[1]        Le 4 mai 2009, la Cour a rendu des motifs justifiant la délivrance d’un mandat autorisant l’interception de communications étrangères et [***] à l’intérieur du Canada. Une version modifiée et caviardée de ces motifs a été publiée le 5 octobre 2009 [X (Re), 2009 CF 1058, [2010] 1 R.C.F. 460]. Le mandat a d’abord été décerné le 26 janvier 2009 pour une période de trois mois, puis, le 6 avril 2009 il a été décerné pour une période supplémentaire de neuf mois. Lorsqu’il a été autorisé à l’origine, le mandat constituait une dérogation à la doctrine adoptée antérieurement par la Cour selon laquelle elle n’avait pas compétence pour autoriser la collecte de renseignements confidentiels en matière de sécurité concernant une menace à la sécurité du Canada par le Service [Service canadien du renseignement de sécurité] d’un pays autre que le Canada. Dans les motifs que j’ai rendus à huis clos et dans les motifs que j’ai rendus publiquement, j’ai expliqué pourquoi j’estimais qu’il convenait d’autoriser la collecte de télécommunications étrangères et [***] tant que l’interception des télécommunications et les saisies de renseignements auraient lieu à l’intérieur du Canada.

[2]        En arrivant à cette décision, j’ai retenu la thèse du demandeur quant à savoir en quoi la méthode d’interception envisagée relevait de la compétence de la Cour et la description des faits concernant les méthodes d’interception et de saisie de renseignements, lesquelles sont différentes de celles qui ont été soumises à mon collègue M. le juge Edmond Blanchard dans le cadre d’une demande antérieure. Plus précisément, le demandeur a soutenu que la Cour avait compétence pour décerner des mandats afin de garantir une mesure de contrôle judiciaire sur les activités exercées par des représentants du gouvernement au Canada relativement à une enquête qui s’étend au-delà des frontières du Canada. L’avocat a soutenu que la Cour possédait cette compétence parce que les interventions qu’on demandait à la Cour d’autoriser auraient toutes lieu au Canada.

[3]        Depuis que j’ai rendu mes motifs en mai 2009, un certain nombre de mandats similaires ont été décernés, en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (la Loi sur le SCRS [ou la Loi]) à la suite de nouvelles demandes relativement à d’autres cibles d’enquête. À seule fin de ces motifs caviardés, je réfèrerai à ces mandats comme suit : « mandats SCRS-30-08 » ou encore « 30-08 ».

[4]        Les présents motifs supplémentaires d’ordonnance répondent à de récents développements et visent à clarifier la portée et les limites des motifs délivrés en 2009. Selon moi, cela s’imposait en raison des renseignements additionnels qui ont été fournis à la Cour à la suite de la publication du Rapport annuel 2012‒2013 du Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC), par l’honorable Robert Décary, c.r. [le rapport ou rapport public]. Les présents motifs additionnels portent sur des questions qui ont été soulevées quant à savoir si l’obligation d’exposer complètement les faits à la Cour à laquelle est tenu le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) a été respectée et sur des questions concernant les pratiques de collecte à l’étranger du Service et de la CSTC relativement à la délivrance de 30-08.

[5]        Avant de discuter de ces questions, je crois qu’il est important, à titre d’information, que j’expose ma compréhension de l’historique de ces événements.

HISTORIQUE

[6]        Le SCRS soutient depuis longtemps que sa loi ne lui interdit pas de mener des activités de collecte de renseignement de sécurité à l’extérieur du Canada. Cette opinion est étayée par l’absence de mention expresse d’une limite territoriale à l’article 12 de la Loi, par les déclarations faites dans le rapport de 1981 de la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (la Commission McDonald) qui a mené à la création du Service, et par des déclarations faites au Parlement au cours des débats qui ont eu lieu avant la promulgation de la loi habilitante. Le Service s’est livré à certaines activités d’enquête dans des pays étrangers, notamment [***] en concluant des ententes de partage de renseignements avec des agences étrangères.

[7]        Toutefois, la question qui est demeurée sans réponse était de savoir si la tenue d’activités intrusives à l’étranger pour lesquelles, au Canada, il faut obtenir une autorisation légale, comme un mandat ou une loi habilitante expresse, contreviendrait à la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] et au Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. À défaut d’un pouvoir exprès conféré par la loi, ou d’un mandat, le Service et ses conseillers juridiques ont estimé que les agents du SCRS pourraient faire l’objet de poursuites au Canada ainsi qu’à l’étranger. Bien que le législateur eût pu se pencher sur cette question, il n’a aucunement tenté de modifier la loi, probablement parce qu’il craignait qu’apporter une telle modification à la Loi deviendrait matière à controverse.

[8]        Ce n’est qu’en 2005 que le Service a commencé à demander des mandats l’autorisant à mener des activités intrusives à l’étranger. Cette année-là, dans la demande SCRS-18‑05, le Service a demandé l’émission d’un mandat, qui, s’il avait été décerné, aurait autorisé l’interception des communications d’un citoyen canadien qui résidait temporairement à l’extérieur du Canada. Le mandat demandé aurait également autorisé le Service à obtenir, relativement à la cible, [***].

[9]        Une question préliminaire a été soulevée quant à savoir si les questions de droit soulevées par la demande ne pourraient pas être débattues dans le cadre d’une audience publique. Un amicus curiae, M. Ron Atkey, c.r., a été chargé d’aider la Cour à examiner cette question. À la suite d’observations verbales et écrites, le juge Simon Noël a conclu que la demande devait être instruite à huis clos. Une version publique de ses motifs d’ordonnance et de l’ordonnance a été publiée en 2008 : Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), 2008 CF 300, [2008] 3 R.C.F. 477. Pour des raisons opérationnelles, un avis de désistement de la demande a été déposé le 23 août 2006 sans qu’on se fût prononcé sur son bien-fondé ou sur d’autres questions de droit.

[10]      Les questions ont alors été soulevées une autre fois à l’occasion d’une demande (SCRS-10-07) déposée en avril 2007 devant le juge Edmond Blanchard. Dans cette demande, le SCRS a demandé un mandat l’autorisant à mener des activités d’enquête visant 10 personnes au Canada et dans d’autres pays. Vu les déclarations de l’auteur de l’affidavit du SCRS (l’affiant), le juge Blanchard a été convaincu que les exigences des alinéas 21(2)a) et 21(2)b) de la Loi sur le SCRS relatives à l’émission de mandats devant être exécutés avaient été satisfaites. Toutefois, il n’était pas disposé à autoriser le Service à mener des activités d’enquête à l’extérieur du Canada, comme il était demandé, sans examiner davantage la question. M. Ron Atkey fut à nouveau nommé amicus curiae. Le juge Blanchard a demandé que le Service et l’amicus déposent des observations écrites afin de, premièrement, discuter de la question de savoir si le Service est chargé de s’occuper des menaces rattachées aux enquêtes menées à l’extérieur du Canada et, deuxièmement, de savoir si la Cour fédérale a compétence pour décerner le mandat demandé.

[11]      Dans la demande dont le juge Blanchard était saisi, le Service demandait un mandat l’autorisant à intercepter les télécommunications destinées aux personnes visées par l’enquête ou les télécommunications provenant des personnes visées par l’enquête, y compris les communications à l’étranger; à obtenir des renseignements ou des dossiers relatifs aux cibles [***]. Le Service demandait que le mandat prévoie qu’il pouvait être exécuté, outre les lieux situés au Canada, en tout lieu à l’extérieur du Canada, sous le contrôle du gouvernement du Canada ou d’un gouvernement étranger. [***] .

[12]      En plus du témoignage de l’affiant du SCRS exigé pour établir qu’étaient réunies les conditions prévues par la loi quant à l’émission de mandats, l’avocat du demandeur a déposé le témoignage par affidavit de M. James D. Abbott, qui était alors directeur par intérim d’exigences du renseignement d’origine électromagnétique (SIGINT) du CSTC.

[13]      Le mandat du CSTC est énoncé dans la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5 [paragraphe 273.64(1)], modifiée par la Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41 [article 102]. Selon l’alinéa 273.64(1)a) de cette loi, l’agence est autorisée à acquérir et utiliser l’information provenant de l’infrastructure mondiale (c’est-à-dire les systèmes de communication, les systèmes et les réseaux de technologie de l’information) dans le but de fournir des renseignements étrangers au gouvernement du Canada.

[14]      Avant l’adoption de la loi de 2001, le CSTC n’avait pas le droit d’intercepter les communications d’une cible étrangère en provenance du Canada ou destinées au Canada. En vertu du régime en vigueur à l’époque, le CSTC ne pouvait cibler que les communications qui provenaient de pays étrangers et les communications qui étaient destinées à des pays étrangers et qui comportaient des renseignements étrangers. La loi de 2001 a conféré le pouvoir au ministre de la Défense nationale d’autoriser le CSTC à cibler des entités étrangères physiquement situées à l’extérieur du pays qui peuvent émettre des communications à destination du Canada ou à partir du Canada, dans le seul but d’obtenir des renseignements étrangers. Un facteur important qui a incité le législateur à adopter la loi était que le CSTC avait besoin d’une autorisation légale pour fonctionner efficacement sans transgresser l’interdiction d’intercepter des « communications privées » prévue au Code criminel, comme j’en discuterai plus loin. La loi autorisait le CSTC à intercepter les communications à destination ou en provenance du Canada dans le but d’obtenir des renseignements étrangers sous réserve d’autorisation ministérielle et sous réserve du respect de dispositions précises énoncées au paragraphe 273.65(2) :

a)   l’interception vise des entités étrangères situées à l’extérieur du Canada;

b)   les renseignements à obtenir ne peuvent raisonnablement être obtenus d’une autre manière;

c)   la valeur des renseignements étrangers que l’on espère obtenir grâce à l’interception justifie l’interception envisagée;

d)   il existe des mesures satisfaisantes pour protéger la vie privée des Canadiens et pour faire en sorte que les communications privées ne seront utilisées ou conservées que si elles sont essentielles aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité.

[15]      L’alinéa 273.64(2)a) de la Loi sur la défense nationale interdit expressément au CSTC de viser, par ces activités, les citoyens canadiens et les résidents permanents (des Canadiens) peu importe où ils se trouvent ou toute personne au Canada sans tenir compte de la nationalité.

[16]      Les limites concernant les Canadiens et toute personne au Canada ne visent pas l’assistance technique et opérationnelle que le CSTC peut fournir aux organismes fédéraux chargés de l’application de la loi et de la sécurité dans l’exercice des fonctions prévues à l’alinéa 273.64(1)c) de la Loi sur la défense nationale. Le paragraphe 273.64(3) de cette loi prévoit que ces activités d’assistance sont assujetties aux limites que la loi impose à l’exercice des fonctions des organismes fédéraux.

[17]      Dans l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre de la demande SCRS-10-07, M. Abbott a expliqué de quelle manière le CSTC aiderait le Service si le mandat demandé était décerné. [***]. Bien qu’il existe depuis longtemps une entente voulant que chaque agence alliée traite les citoyens d’un autre pays allié comme ses propres citoyens aux fins de l’application des lois de son pays, M. Abbott a reconnu qu’il était loisible à ces agences d’agir conformément à leur intérêt national en ce qui concerne les renseignements recueillis.

[18]      M. Abbott a également expliqué comment le CSTC était capable, à partir du Canada, [***].

[19]      Avant que le juge Blanchard, en juin 2007, tire une conclusion quant aux questions étudiées, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, à propos de l’application de la Charte aux enquêtes criminelles menées dans d’autres pays par les autorités canadiennes.

[20]      Par l’arrêt Hape, la Cour suprême a déclaré que, sauf disposition contraire expresse dans les lois canadiennes, celles-ci sont présumées être conformes au droit international et que le droit international coutumier interdit l’ingérence dans les affaires internes des autres pays. La Cour a conclu qu’étendre la portée de la Charte aux actes d’agents canadiens à l’étranger contreviendrait à ces principes. Dans l’arrêt Hape, les juges majoritaires ont reconnu, au paragraphe 101, que la participation d’agents canadiens à des actes à l’étranger qui contreviendraient aux obligations internationales du Canada au chapitre des droits de la personne puisse donner lieu à une mesure suivant le paragraphe 24(1) de la Charte en raison de l’incidence de ces actes sur les droits de la personne au Canada.

[21]      En réponse aux questions formulées par le juge Blanchard après que l’arrêt Hape fut rendu, l’avocat du sous-procureur général du Canada (SPGC) a soutenu que la portée de la décision de la Cour suprême n’était pas claire. Il a soutenu, notamment, qu’on ne savait trop si l’enseignement de la Cour était censé viser, et s’il visait bel et bien, les enquêtes de sécurité menées à l’extérieur du Canada. Dans cette mesure, on a soutenu qu’il est possible que les enquêtes menées à l’extérieur du Canada soulèvent des questions relatives à la Charte lorsque celles-ci concernent des personnes ayant des liens réels et importants au Canada. De plus, on a affirmé que la question de savoir si les activités menées à l’extérieur du Canada peuvent contrevenir aux dispositions du Code criminel n’avait pas été réglée.

[22]      On a prétendu que le Service se devait de demander un mandat. Si on devait conclure que la Charte et le Code Criminel ne visent pas les enquêtes de sécurité menées à l’étranger, on a soutenu que le pire qu’il puisse arriver est qu’il n’était pas nécessaire de décerner un mandat. Le contraire, le cas échéant, serait indéfendable par le Service car ses agents pourraient toujours faire l’objet de poursuites en vertu de la Charte et du Code s’ils se livraient à des activités intrusives sans y être autorisés par mandat.

[23]      Comme je l’ai mentionné dans mes motifs d’ordonnance de mai 2009, l’interception de télécommunications pour laquelle une autorisation a été sollicitée dans les demandes qui ont été soumises au juge Blanchard en 2008 et qui m’ont été soumises en 2009 serait visée par la signification au sens large du terme « intercepter » tel que défini à l’article 2 de la Loi par renvoi à la définition qui en est donnée au Code criminel. Le Service a cherché à écouter, à enregistrer ou à acquérir des communications. Selon la jurisprudence, ces activités constituent une « interception » au sens de la définition du Code criminel : R. v. McQueen, [1975] 6 W.W.R. 604 (C.A. Alb.); R. v. Giles, 2007 BCSC 1147.

[24]      L’article 26 de la Loi sur le SCRS dispose que la partie VI du Code criminel ne vise pas l’interception de communication autorisée par un mandat décerné en vertu de l’article 21 de la Loi. Sans cette protection, la partie VI viserait l’interception de toute « communication privée » comme cette expression est définie à l’article 183 du Code criminel; c’est-à-dire toute communication privée dont l’auteur ou le destinataire se trouvait au Canada. Le lieu de l’« interception » selon le Code a été interprété comme étant le lieu où l’appel a été acquis et enregistré : R. v. Taylor, 1997 CanLII 3797, 42 C.R.R. (2d) 371 (C.A. C.-B.), confirmé par [1998] 1 R.C.S. 26; R. c. Taillefer, 1995 CanLII 4592, 100 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Qué.). Par conséquent, la crainte de faire l’objet de poursuites en l’absence d’un mandat ou d’une autorisation législative expresse qui a été discuté par le SPGC dans ses observations supplémentaires à la Cour à l’été 2008 n’était pas irréaliste.

[25]      Le juge Blanchard a rendu des motifs supplémentaires classifiés d’ordonnance et une ordonnance le 22 octobre 2007. Une version publique, caviardée, a été publiée en février 2008 (Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), 2008 CF 301, [2008] 4 R.C.F. 230). Au paragraphe 12 de ses motifs, le juge Blanchard a formulé comme suit les questions dont il était saisi :

A)      La Cour fédérale a-t-elle compétence pour décerner le mandat demandé?

B)      Le Service a-t-il comme mission d’entreprendre des enquêtes sur les activités susceptibles de constituer des menaces dans un autre pays que le Canada?

C)     Le Code criminel […] et la Charte canadienne des droits et libertés […] s’appliquent-ils aux activités du Service et à ses agents lorsqu’ils entreprennent des enquêtes sur les activités menaçantes dans un autre pays que le Canada?

D)     Le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (le CSTC) peut-il aider à l’exécution du mandat demandé par le Service?

[26]      Le raisonnement du Service à l’appui de son opinion voulant que la Cour ait compétence pour décerner le mandat a été formulé aux paragraphes 22 et 23 de la décision du juge Blanchard :

      Le Service prétend que les autorisations demandées ont pour but de lui permettre de remplir sa mission aux termes de l’article 12 de la Loi. Cet article diffère de l’article 16, lequel restreint la collecte par le Service de « renseignements » étrangers, et ce, « dans les limites du Canada ». Le Service soutient que le législateur, en n’imposant pas la même limite territoriale dans l’article 12 que celle de l’article 16, doit avoir eu l’intention de donner à la mission de l’article 12 une portée extraterritoriale.

      Le Service prétend en outre que le mandat est nécessaire pour s’assurer que les agents canadiens s’occupant de l’exécution du mandat à l’étranger le font en conformité avec le droit canadien. Le Service maintient que le mandat est nécessaire pour que des activités, qui, sans le mandat, peuvent violer la Charte et contrevenir au Code soient autorisées par les tribunaux. Il en est ainsi parce que les pouvoirs conférés par mandat dont on demande l’autorisation visent des Canadiens et on peut soutenir qu’ils pourraient avoir une incidence sur leurs attentes en matière de vie privée. Le Service fait valoir que le mandat lui permettrait d’exercer ses fonctions en supprimant les entraves d’ordre juridique à la conduite d’une partie de ses enquêtes de sécurité à l’extérieur du Canada, qu’il respecterait la règle de droit et qu’il serait compatible avec le régime de contrôle judiciaire prescrit par la partie II de la Loi.

[27]      Après examen des principes d’interprétation législative, de l’historique législatif de la Loi et des principes de droit international coutumier qui ont été discutés par l’arrêt Hape, il été conclu que la réponse à la première question était négative. À défaut de consentement de la part des pays étrangers concernés à l’application du droit canadien à l’intérieur de leurs frontières, les activités d’enquête envisagées violeraient leur souveraineté territoriale. Cette violation du droit international ne pourrait être autorisée par le législateur que par une loi expresse. Le juge Blanchard a conclu ce qui suit au paragraphe 55 : « en l’absence d’un texte législatif autorisant la Cour à décerner un mandat extraterritorial, celle-ci n’a pas compétence pour décerner le mandat demandé » [non souligné dans l’original].

[28]      En conséquence de cette conclusion, laquelle a été déterminante quant à l’issue de la demande, le juge Blanchard a estimé qu’il n’était pas nécessaire de discuter des autres questions. Toutefois, il a estimé qu’il convenait qu’il fasse part de son opinion quant à la troisième question car elle avait été l’élément central des observations formulées par le Service devant la Cour.

[29]      Le juge Blanchard a estimé que les principes consacrés par la jurisprudence Hape relativement aux enquêtes criminelles étaient également pertinents en ce qui concerne la collecte de renseignements à l’étranger dans le cadre d’une enquête de sécurité. Il a conclu que la Charte ne jouait pas dans ce contexte et que les dispositions du Code criminel ayant une portée extraterritoriale ne visaient pas les activités des agents de renseignement qui collectent des renseignements à l’étranger. Dans les circonstances, il n’a pas été capable de voir pourquoi le mandat demandé serait requis dans le but déclaré de protéger le Service ou ses agents à l’égard de poursuites aux termes du Code pour le nombre limité d’infractions pour lesquelles le législateur a prévu une portée extraterritoriale (paragraphe 63). Il ne semble pas que le lien entre la partie VI du Code criminel et la protection accordée par l’article 26 de la Loi sur le SCRS quant à l’interception de communications ayant au moins une extrémité au Canada, souligné plus haut, ait été soulevé devant le juge Blanchard.

[30]      De toute façon, rien dans les motifs du juge Blanchard ne me semble enseigner que les agents du SCRS n’ont pas besoin de mandat ou d’autres autorisations légales, y compris celles d’un pays étranger, pour se livrer à l’étranger à des activités intrusives de collecte de renseignements. Il a plutôt conclu que la Loi ne prévoyait pas l’émission d’un tel mandat et que la Charte ne visait pas de telles activités.

[31]      Dans la présente instance, la Cour a été saisie de renseignements concernant ce qui s’est ensuite passé. À la suite de la décision du juge Blanchard, le directeur du SCRS a demandé d’autres avis juridiques au SPGC à propos des questions suivantes :

€€€€€€€€ l’interception de communications de Canadiens ou de résidents permanents qui se trouvent à l’étranger où, selon le Service, ils se livrent à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada;

€€€€€€€€ le Service peut-il légalement faire, à l’étranger [***] de renseignements [***] dans les cas où il estime que les renseignements ont trait à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada et où un mandat autorisant [***] la saisie de renseignement semblables au Canada a été décerné en vertu de la Loi sur le SCRS? [Non souligné dans l’original.]

[32]      Dans une lettre datée du 2 octobre 2008 adressée au directeur, le SPGC a énoncé ses opinions sur les incidences de la décision rendue dans le cade de la demande SCRS-10-07 [2008 CF 301, précitée] relativement à sept scénarios. Plusieurs de ces scénarios n’avaient pas été soulevés devant le juge Blanchard et n’ont pas été discutés dans sa décision. Bien que ces scénarios impliquent l’interception de communications de cibles se trouvant à l’étranger, les interceptions auraient toutes lieu à l’intérieur du Canada. [***]. On a dit au SCRS que les interceptions, [***] et les saisies effectuées à partir du Canada ne mettaient pas en cause les questions territoriales soulevées par le juge Blanchard et pouvaient très bien faire l’objet d’un mandat au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS si les faits le justifiaient.

[33]      La question des demandes d’intervention d’agences étrangères alliées qui a été discutée par M. Abbott dans l’affidavit qu’il a souscrit dans le cadre de la demande SCRS-10-07 a été brièvement discutée dans l’opinion. Cela a été qualifié d’interception des communications d’une cible à l’étranger par une agence étrangère à la demande du Service. On n’a pas parlé de l’assistance du CSTC. Le SPGC a déclaré que cela ne mettaient pas en cause les questions territoriales soulevées par le juge Blanchard et a affirmé que, selon lui, il n’était pas nécessaire de décerner un mandat autorisant de telles demandes. Selon l’avocat du SPGC, cela était fondé sur une nouvelle interprétation de la portée de l’article 12 de la Loi sur le SCRS découlant de la jurisprudence Hape et de la décision du juge Blanchard.

[34]      L’opinion concernant la portée de l’article 12 qui figurait dans la lettre du 2 octobre 2008 du SPGC ne consiste qu’en une simple assertion de légitimité. La lettre ne contient aucune analyse ni aucune discussion quant à l’historique législatif de l’article 12 et de son rapport avec l’article 21 ou avec d’autres dispositions de la Loi dans son ensemble. Elle ne comportait également aucune discussion quant aux contraintes imposées au CSTC ou quant aux limites de l’assistance qu’elle peut fournir aux organismes fédéraux de renseignement et de police. Le Service a été prévenu qu’il devait s’assurer que l’intervenant étranger qui interceptait les communications agissait en conformité avec les lois de son pays et que les actions de celui-ci ne comportaient pas de graves violations des droits de la personne. On n’a pas discuté de la manière selon laquelle on procèderait.

[35]      Dans le but de discuter la question des réserves du Directeur du SCRS à propos de la capacité du Service à enquêter sur des menaces envers la sécurité du Canada de la part de cibles situées à l’étranger, le SPGC a proposé que leurs représentants respectifs demandent ensemble, par une nouvelle demande de mandat, une interprétation judiciaire faisant autorité des articles 12 et 21 de la Loi relativement aux scénarios qui n’étaient pas visés par la décision du juge Blanchard. Les avocats du ministère de la Justice ont reçu comme directive de relever, en collaboration avec les représentants du SCRS, les demandes pour lesquelles on solliciterait une telle autorisation.

[36]      Cette occasion s’est présentée en janvier 2009 avec le dossier SCRS-30-08. La demande avait d’abord été présentée le 27 novembre 2008. À cette date, la Cour a décerné des mandats relativement à des activités suspectes de deux citoyens canadiens. Les mandats autorisaient, pour une période d’un an, l’utilisation de techniques d’enquête intrusives et la collecte de renseignements dans des lieux situés au Canada. Le 24 janvier 2009, le Service a demandé un mandat additionnel car les cibles s’apprêtaient à quitter le Canada et il y avait raison de croire qu’elles continueraient à se livrer à des activités constituant une menace envers la sécurité du Canada pendant qu’elles se trouveraient à l’étranger.

[37]      La demande m’a été soumise de toute urgence le samedi, 26 janvier 2009. Des observations écrites et la jurisprudence ont été déposées. On m’a demandé de revoir la question de la compétence et d’opérer une distinction d’avec le raisonnement retenu par le juge Blanchard dans la décision qu’il a rendue en 2007, et ce, en fonction d’une exposition différente des faits se rapportant aux activités nécessaires à l’interception de communications et de procédures devant être utilisées pour obtenir les renseignements recherchés et d’un argument juridique différent concernant la question de savoir en quoi les méthodes d’interception envisagées étaient pertinentes quant à la compétence de la Cour.

[38]      En plus du témoignage de l’affiant du SCRS, le Service s’est fié à l’affidavit souscrit par un employé du CSTC, à savoir M. Abbott. Celui-ci a témoigné de vive voix à l’audience et je l’ai interrogé de près quant à savoir en quoi les méthodes d’interception et de fouille envisagées différaient de celles exposées au juge Blanchard.

[39]      Dans la demande qui a été soumise au juge Blanchard, M. Abbott, dans son affidavit, a exposé en détail comment les ressources des agences étrangères alliées, en plus des propres [***] de collecte du CSTC, seraient mises à contribution afin d’intercepter les communications du Canadien se déplaçant à l’étranger. Dans le témoignage qu’il a rendu devant moi, M. Abbott a déclaré que le [***] seraient interceptés [***] uniquement par le matériel du gouvernement canadien [***]. Il n’a pas été question de mettre à contribution les agences étrangères alliées. Nul n’a signalé que les représentants du SCRS ou du CSTC avaient l’intention de demander à des services d’agences étrangères alliées de participer à la collecte. Dans son témoignage, M. Abbott a souligné que l’assistance fournie au SCRS se limiterait à l’autorisation accordée par le mandat (affidavit de James D. Abbott, 23 janvier 2009, paragraphe 15) :

[traduction] Les méthodes et les techniques exposées dans le présent affidavit pourraient être utilisées, si la présente demande de mandat est accueillie, dans le cadre de l’assistance fournie au Service dans la mesure permise par le mandat.

[40]      Après avoir lu les documents qui ont été soumis à la Cour et après avoir entendu les témoignages des témoins et les observations des avocats, j’ai conclu qu’il y avait suffisamment de motifs factuels et juridiques pour que je puisse distinguer la demande dont j’étais saisi de celle qui a été examinée par M. le juge Blanchard et j’ai accordé le mandat. Il a d’abord été décerné pour une période de trois mois uniquement de telle sorte que je puisse examiner davantage l’affaire. Le 6 avril 2009, j’ai entendu les observations additionnelles de la part des avocats, et le 16 avril 2009 j’ai prorogé de neuf mois la durée du mandat. Comme je l’ai déjà souligné, j’ai rendu des motifs très secrets le 4 mai 2009 afin d’expliquer pourquoi j’estimais que la Cour avait compétence pour décerner le mandat et en quoi la demande différait de celle qui avait été examinée par le juge Blanchard.

[41]      Bien que le dossier ne soit pas tout à fait clair sur ce point, il ressort des renseignements dont je suis saisi qu’aucune tentative n’a été faite en vue de charger des agences étrangères d’intercepter des télécommunications relativement aux cibles visées par les mandats décernés le 24 janvier 2009. Toutefois, il est manifeste que de telles actions ont commencé peu de temps après que j’eus rendu mes motifs d’ordonnance le 4 mai 2009. [***]. Ils ont recommandé que les demandes d’assistance aux agences étrangères alliées soient faites en même temps que les demandes d’assistance faites par le Service au CSTC en vertu des mandats 30-08 . La direction principale du SCRS a accepté.

[42]      La première demande d’assistance comportant un partenaire étranger en plus de la portée d’un mandat 30-08 a été faite le 7 mai 2009, selon le témoignage rendu par M. Abbott dans la présente instance. Le 27 mai 2009, un avocat principal au Service juridique du ministère de la Justice au CSTC a avisé son client que, [traduction] « lorsqu’un mandat 30-08 a été décerné et vise un citoyen canadien ou un résident permanent qui se trouve à l’étranger », il semble que demander à des pays alliés d’intercepter les communications de la personne visée par ce mandat ne contreviendrait pas à la Loi sur le SCRS ou à la Charte. En outre, l’opinion ajoute :

[traduction] Il est entendu que le mandat ne comporte aucun pouvoir autorisant le SCRS à s’occuper de demandes à d’autres pays et que le SCRS ne fera de telles demandes que lorsqu’un mandat est vigueur. [Non souligné dans l’original.]

[43]      On ne sait trop si l’interdépendance entre les mandats 30-08 et les demandes d’assistance étrangère a été conçue à la demande des représentants du CSTC qui était préoccupé par la question de la portée de leur mandat d’assistance. Toutefois, elle est mentionnée dans une note de service émise par le bureau du directeur adjoint des opérations du SCRS le 11 septembre 2009 à l’attention de tous les bureaux régionaux et toutes les sections du SCRS. La note de service signalait que, à la suite de la décision rendue par la Cour le 4 mai 2009, le Service pouvait désormais demander à la Cour d’autoriser les interceptions de communications étrangères avec l’assistance du CSTC. Elle signalait de plus que l’utilisation des [traduction] « ressources appartenant aux secondes parties », c’est-à-dire à leurs systèmes de collecte de télécommunications, « sera la norme ». La note de service ne signale pas que la Cour n’avait pas autorisé le recours aux systèmes étrangers.

[44]      Bien que l’on n’ait pas spécifié aux deuxièmes parties que les personnes visées étaient des cibles du Service, la note de service reconnaît que les deuxièmes parties pourraient inférer que la collecte est faite pour le compte du Service car il serait inusité de la part du CSTC [***]. Le Service n’a aucun contrôle sur ce qu’elles pourraient faire par la suite avec ces renseignements.

[45]      Depuis mai 2009, la Cour a décerné plus de [***] mandats 30-08 à la suite de nouvelles demandes ou de renouvellements de demande. Il semble que dans la majorité de ces cas, sinon dans tous, le SCRS a demandé au CSTC de fournir à leurs partenaires étrangers [***]. L’avocat du Service reconnaît que le fait qu’une telle chose sera faite n’a été divulgué dans aucune des demandes visant à obtenir un mandat 30-08.

            Rapport annuel 2012‒2013 du Commissaire du CSTC

[46]      Le Rapport annuel 2012‒2013 du commissaire Décary a été transmis au ministre de la Défense nationale en juin 2013. Une version publique caviardée a été publiée en août 2013. Le rapport public signalait que « l’alinéa 273.64(1)c) de la Loi sur la défense nationale autorise le Centre à fournir une assistance technique et opérationnelle aux organismes fédéraux chargés de l’application de la loi et de la sécurité dans l’exercice des fonctions que la loi leur confère » [à la page 22]. Il a en outre été souligné que cela comprend « l’interception de communications de Canadiens si le SCRS dispose d’un mandat décerné par un juge en vertu du paragraphe 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité ».

[47]      Le rapport soulignait, selon le paragraphe 273.64(3) de la Loi sur la défense nationale, que « le Centre doit respecter les limites que la loi impose à l’organisme auxquels il donne son assistance » [à la page 22]. Dans le cadre de l’exécution de ses autres mandats, de la collecte de renseignements étrangers et de la protection de l’infrastructure électronique du Canada, il est expressément interdit au CSTC d’exercer ses activités sur des Canadiens, peu importe où ils se trouvent, ou sur quiconque au Canada et doit prendre des mesures visant à protéger la vie privée des Canadiens dans la cadre de l’utilisation et de la rétention de renseignements interceptés. Par conséquent, ce n’est que dans le cadre de son mandat d’assistance que le CSTC peut cibler des Canadiens, et uniquement s’il porte assistance à un autre organisme fédéral intervenant en vertu d’une autorisation légale.

[48]      Le rapport annuel du commissaire du CSTC [aux pages 21 à 23] contenait une discussion de l’examen fait par le commissaire quant à l’assistance fournie par le « [CSTC] au SCRS en vertu de la partie c) [alinéa 273.64(1)c) de la Loi sur la défense nationale] du mandat du [CSTC] et des articles 12 et 21 de la [Loi sur le SCRS] ». Cette discussion renvoyait aux décisions rendues dans les demandes SCRS-10-07 [2008 CF 301, précitée] et SCRS-30-08 [2009 CF 1058, précitée].

[49]      Les objectifs de cet examen ont été énoncés comme suit à la page 23 du rapport public :

[…] de bien connaître et de documenter l’aide apportée par le Centre au SCRS et d’évaluer si les activités du Centre étaient conformes à la loi, y compris aux conditions des mandats délivrés au SCRS, et à toutes les protections de la vie privée qui étaient stipulées. L’assistance que le Centre porte au SCRS en vertu des mandats peut inclure de l’information sur l’identité d’un Canadien et l’interception de communications de Canadiens. La collecte du Centre, circonscrite par le mandat, peut avoir une incidence sur la vie privée de Canadiens.

[50]      Le rapport public [à la page 23] signale de plus que le commissaire s’est penché sur « l’aide qu’a apportée le Centre au SCRS dans l’exécution d’un certain nombre des premiers mandats de ce genre décernés en rapport avec la lutte antiterroriste ». Le rapport énonce les renseignements qui ont été notamment vérifiés par le commissaire dans le cadre de l’évaluation de la conformité à la loi et de la protection de la vie privée, en vertu des mandats examinés. Le commissaire a vérifié que :

€€€€€€€€ le Centre avait une copie du mandat et qu’il avait des renseignements clairs et suffisants concernant l’aide demandée par le SCRS;

€€€€€€€€ les communications ciblées par le Centre pour le SCRS étaient uniquement celles mentionnées dans les mandats;

€€€€€€€€ les communications n’avaient pas été ciblées avant l’entrée en vigueur des mandats et ont cessé de l’être à l’expiration des mandats;

€€€€€€€€ le Centre a ciblé les individus visés par les mandats uniquement lorsqu’ils étaient censés être à l’extérieur du pays;

€€€€€€€€ le Centre a ciblé uniquement les types de communications et d’information que les mandats l’autorisaient à intercepter ou à recueillir; et

€€€€€€€€ le Centre a respecté toutes les autres limites imposées par la loi au SCRS, par exemple toutes les conditions stipulées dans les mandats.

[51]      En conclusion de cette discussion, le commissaire Décary a souligné qu’il avait consulté sa conseillère juridique indépendante relativement à des questions générales de droit se rapportant à ce sujet et il a formulé deux recommandations à l’intention du ministre pour aider à faire en sorte que l’assistance fournie par le CSTC au SCRS soit conforme aux autorisations et respecte les limites des mandats, et pour renforcer les mesures en place en vue de protéger la vie privée des Canadiens. Les recommandations figurant dans le rapport public [à la page 25] étaient que :

1.         le Centre discute avec le SCRS l’application à d’autres situations d’une pratique existante pour protéger la vie privée; et

2.         le Centre conseille au SCRS de fournir à la Cour fédérale du Canada certaines preuves supplémentaires quant à la nature et à l’ampleur de l’aide qu’il peut apporter au SCRS.

[52]      Le commissaire Décary a conclu en mentionnant que, malgré ces recommandations, « le Centre a conduit ses activités en accord avec la loi et les directives ministérielles et d’une manière qui intègre des mesures pour protéger la vie privée des Canadiens » [à la page 25]. Il a relevé que le ministre a souscrit aux recommandations et que le CSTC les a évoquées avec le SCRS. Le commissaire Décary a également déclaré qu’il avait envoyé au président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) certaines observations générales se rapportant au SCRS, découlant de deux recommandations qu’il avait formulées au président du CSARS.

[53]      Après avoir lu le rapport annuel du commissaire du CSTC, j’ai rendu, le 26 août 2013, une ordonnance exigeant que les avocats du CSTC et du SCRS comparaissent devant la Cour et soient prêts à discuter la question. Plus précisément, j’ai émis la directive suivante :

[traduction] […] les avocats doivent être prêts à dire si l’application de la recommandation du commissaire du CSTC que « le Centre conseille au SCRS de fournir à la Cour fédérale du Canada certains éléments de preuve supplémentaires quant à la nature et à l’ampleur de l’aide qu’il peut apporter au SCRS » a trait à la preuve présentée à la Cour dans le cadre de la demande d’acquisition SCRS-[30-08 ] et à toutes les autres demandes similaires, et, dans l’affirmative, si la preuve aurait été importante quant à la décision d’autoriser l’émission du (des) mandat(s) dans la demande SCRS-30-08 ou dans toute demande ultérieur.

[54]      Les avocats du SCRS et du CSTC ont comparu devant moi le 4 septembre 2013. En préparation de cette audience, ils ont déposé un recueil de documents qui comprenait, notamment, les motifs d’ordonnance et l’ordonnance rendus dans la demande SCRS-10-07, les motifs d’ordonnance rendus dans la demande SCRS-30-08, les affidavits très secrets de James D. Abbott déposés dans les deux demandes et la version ultrasecrète de la partie du rapport annuel du commissaire du CSTC qui a trait à l’examen fait par le commissaire de l’assistance fournie par le [CSTC] au SCRS en vertu de la partie c) [alinéa 273.64(1)c) de la Loi sur la défense nationale] du mandat du [CSTC] et des articles 12 et 21 de la [Loi sur SCRS].

[55]      Après avoir examiné ces renseignements, il m’a paru évident que le commissaire était principalement préoccupé par les renseignements qui avaient été soumis au juge Blanchard dans le cadre de la demande SCRS-10-07 et qui n’avaient pas été soumis dans le cadre de la demande SCRS-30-08 ou dans une demande ultérieure d’émission d’un 30-08. Selon le témoignage rendu par M. Abbott devant le juge Blanchard, si le mandat était décerné, le CSTC fournirait une assistance au SCRS, notamment en demandant à ses partenaires membres du « Groupe des cinq » (États-Unis, Royaume-Uni, Australie et la Nouvelle-Zélande) de surveiller les cibles des mandats. Bien que, comme je l’ai déjà souligné, cette pratique n’ait pas été discutée dans la preuve soumise à l’appui de la demande SCRS-30-08, elle a été appliquée par défaut par le SCRS et le CSTC lors de la délivrance du 30-08.

[56]      Dans son rapport très secret, le commissaire Décary a résumé, en se fondant sur les renseignements examinés, comment la pratique a évolué :

            [TRADUCTION]

[***]

[57]      Le commissaire Décary a signalé que l’affidavit souscrit par le CSTC pour le juge Blanchard précisait en détail que le CSTC se servirait des biens d’une seconde partie afin d’intercepter des communications en vertu des 30-08 et expliquait comment chaque seconde partie peut se servir des renseignements qui seraient partagés. Par contre, l’affidavit souscrit par CSTC et le témoignage qu’il a rendu dans le cadre de la demande dont je suis saisi ne contenaient aucun renseignement concernant la participation de secondes parties.

[58]      En réponse aux demandes de renseignement du commissaire Décary à propos des fondements d’ordre juridique relatifs aux interceptions effectuées en vertu de 30-08 et aux secondes parties, une lettre du directeur général, de la section Politiques et communications du CSTC, datée du 12 avril 2011, signale ce qui suit :

[traduction] […] Le CSTC est heureux de partager avec le bureau du commissaire les copies (jointes aux présentes) de six opinions juridiques qui ont été fournies au CSTC par sa Direction des services juridiques (DSJ) en rapport avec l’interception, en vertu d’un mandat 30-08 obtenu par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), de communications de Canadiens se trouvant à l’étranger.

[…]

En ce qui concerne l’opinion juridique du CSTC demandant l’assistance d’une seconde partie dans le cadre d’interception effectuée en vertu d’un mandat 30-08 le CSTC renvoie le bureau du commissaire à la décision rendue en octobre 2007 par le juge Blanchard dans laquelle il déclare qu’il ne serait pas nécessaire de décerner un mandat pour autoriser la tenue d’enquêtes à l’étranger. Pour ce motif, le CSTC estime que les demandes d’assistance de la part de pays étrangers ne relèvent pas de la portée du mandat 30-08 (dans les cas où il y assistance étrangère à l’étranger, le droit du pays étranger s’applique). [Non souligné dans l’original.]

[59]      Le passage souligné est l’interprétation faite par le conseiller juridique de la décision rendue par le juge Blanchard en octobre 2007. Comme je l’ai déjà mentionné, rien dans les motifs du juge Blanchard ne porte qu’il n’est pas nécessaire de décerner un mandat (ou une autorisation législative expresse) pour autoriser la tenue d’enquêtes à l’étranger. Le juge Blanchard a plutôt observé que la Cour n’était pas autorisée par la loi à accorder un tel mandat. Il n’a pas abordé la question de savoir si le législateur pouvait autoriser de telles activités; il s’est contenté de renvoyer à l’enseignement de la jurisprudence dans l’arrêt Hape, laquelle reconnaissait qu’il est loisible au législateur d’adopter une telle loi.

[60]      Le commissaire Décary a recherché si la divulgation [***] visés par le 30-08 [***] renseignements les concernant au secondes parties résultait en une perte de contrôle sur les renseignements qui pouvait causer une violation non autorisée des attentes raisonnables des personnes visées en matière de protection de la vie privée. Les agents du CSTC, en réponse, ont invoqué le raisonnement des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Schreiber c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 841. Dans l’arrêt Schreiber, les juges, ont conclu, à la majorité, que, l’exigence prévue en droit canadien selon laquelle, pour effectuer une fouille, il faut d’abord obtenir une autorisation judiciaire, ne joue pas lorsque l’on demande à un pays étranger de se livrer à des activités qui pourraient mettre en cause les droits garantis à toute personne par la Charte si l’activité controversée a été entreprise au Canada par le gouvernement du Canada. Par analogie, le CSTC a soutenu qu’il pourrait demander qu’une agence étrangère fasse dans son ressort ce que le SCRS et le CSTC ne peuvent pas faire au Canada sans être autorisés par mandat.

[61]      Par conséquent, le commissaire Décary a retenu l’opinion voulant que le droit canadien, y compris les protections de la vie privée contenues dans la Charte, ne joue pas en matière d’interception de communications de Canadiens par des secondes parties parce qu’elles interviennent conformément à leur propre cadre juridique. Il a renvoyé à cette conclusion dans les termes suivants :

[traduction] Dans l’ensemble, le commissaire retient les arguments du Ministère de la Justice et du CSTC voulant que la Loi permet qu’une seconde partie apporte son assistance dans le cadre de l’exécution d’un 30-08.

[62]      Le SPGC invoque cette conclusion, mais soutient que l’analyse du commissaire Décary, dans l’ensemble, est erronée en ce sens qu’elle semble rattacher les demandes d’assistance de secondes parties à l’autorisation accordée par un 30-08. Selon moi, malgré la juxtaposition malencontreuse des renvois à l’assistance d’une seconde partie et des 30-08, le commissaire Décary a compris la distinction entre le mandat d’assistance limitée autorisée par le mandat et le mandat exécuté par le Service et le CSTC. De toute façon, l’analyse du commissaire Décary, bien que digne d’intérêt, ne lie pas la Cour.

[63]      Le commissaire Décary craignait que les secondes parties décident de se servir des [***] associés à un Canadien si un des pays alliés s’intéresse, pour des raisons d’intérêt national à la personne visée. Il a signalé que chacune des secondes parties, à titre de pays souverain, peut, en fonction de son intérêt national, déroger aux ententes conclues avec le CSTC en vertu desquelles on doit respecter les lois de chacun.

[64]      Par conséquent, le commissaire Décary a estimé qu’il convenait de recommander que le CSTC discute avec le SCRS d’étendre sa pratique existante avec la [***], savoir une mise en garde de ne pas divulguer les renseignements canadiens en matière [***] figurant dans les [***] ou ayant trait au Canadiens visés par les 30-08 ou de faire quoi que ce soit avec ces renseignements, à l’assistance fournie relativement à l’exécution des 30-08 à laquelle participent les autres partenaires de seconde partie du CSTC au [***].

[65]      En outre, à des fins de clarté et afin d’éliminer toute ambiguïté entre les pratiques du CSTC et la décision rendue dans le cadre de la demande SCRS-30-08 et en raison des incidences sur la protection de la vie privée que comporte le partage entre le CSTC et les secondes parties des renseignements canadiens en matière [***] associés aux Canadiens visés par les 30-08, le commissaire Décary estimait que la Cour fédérale devrait être explicitement avisée dans chaque cas que le CSTC peut, à la demande du SCRS, partager avec les partenaires des secondes parties des renseignements concernant la cible canadienne visée par un 30-08. Cette discussion et cette recommandation semblent rattacher l’émission du 30-08 devant être exécuté au Canada aux demandes faites aux secondes parties.

[66]      Après avoir lu le rapport secret du commissaire Décary et après avoir entendu les observations des avocats du SCRS et du CSTC, à la conclusion de l’audience le 4 septembre 2013, j’ai estimé nécessaire d’ordonner que d’autres éléments de preuve et d’autres témoignages soient produits quant à deux questions découlant des renseignements dont je suis saisi et la tenue d’une audience a été fixée aux 23 et 24 octobre 2013.

[67]      Pour m’aider à examiner ces questions, j’ai nommé M. Gordon Cameron amicus curiae. Il est avocat chez Blake, Cassels et Graydon, un cabinet d’avocats d’Ottawa. M. Cameron est l’un des avocats spéciaux possédant une cote de sécurité très secrète et qui est inscrit sur la liste dressée par le procureur général du Canada.

[68]      Le 4 octobre 2013, l’avocat du SPGC a déposé un affidavit souscrit par M. Abbott (maintenant directeur général des programmes du SIGINT), des observations écrites et deux cahiers de jurisprudence. Ces documents ont également été remis à M. Cameron et il a préparé un résumé écrit des observations verbales qu’il se proposait de formuler à l’audience.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[69]      Les questions découlant du dossier que j’ai examiné sont les suivantes :

1.   Le SCRS a-t-il respecté son obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue et d’exposer les faits de manière complète, franche et impartiale lorsqu’il a demandé l’émission d’un 30-08 dans le cadre de la demande SCRS-30-08 et de toute demande ultérieure de délivrance d’un 30-08.

2.   Le pouvoir légal du SCRS de demander, par l’intermédiaire du CSTC, à des partenaires étrangers de l’aider à intercepter les télécommunications de Canadiens pendant que ceux-ci se trouvent à l’étranger.

Question préliminaire du secret professionnel

[70]      Le 22 octobre 2013, l’avocat du SPGC a soumis l’affidavit modifié et l’affidavit supplémentaire souscrits par M. Abbott ainsi que l’affidavit souscrit par un agent du SCRS, monsieur [***] et la chronologie des événements. L’affidavit supplémentaire et l’affidavit de [***] ont été soumis dans une enveloppe scellée accompagnée d’une demande que la Cour examine les observations verbales avant d’ouvrir et de lire les documents.

[71]      Des documents contenant des opinions juridiques fournies au SCRS et au CSTC par les avocats du ministère de la Justice étaient joints à l’affidavit supplémentaire de M. Abbott et à l’affidavit de [***]. Au début de l’audience, le 22 octobre 2013, j’ai entendu les observations verbales de l’avocat du SPGC et les observations formulées en réponse par M. Cameron quant à savoir si les documents étaient protégés par le professionnel de l’avocat. L’avocat du SPGC était d’avis que le témoignage des affiants, MM. Abbott et [***], serait que dans toute affaire ayant trait à des 30-08, les représentants du SCRS et du CSTC ont agi en se fiant aux conseils de leurs avocats. On m’a dit que les documents annexés démontreraient que tel était le cas. On a toutefois soutenu que le contenu de cette opinion était visé par le secret professionnel. L’amicus a répondu qu’on avait renoncé à tout secret professionnel rattaché aux documents en affirmant que les représentants du SCRS et du CSTC ont entrepris leurs actions en se fondant sur des opinions juridiques.

[72]      L’avocat du SPGC m’a invité à examiner les documents et à me prononcer à savoir si le contenu des documents était visé par le secret professionnel. Par conséquent, j’ai suspendu l’audience afin de lire les documents et d’examiner cette question. Après avoir repris l’audience, j’ai déclaré avoir conclu que ce contenu n’était pas visé par le secret professionnel.

[73]      Comme l’amicus l’a prétendu, la renonciation au privilège peut découler implicitement du fait qu’on ait invoqué dans un contentieux des communications visées par le secret professionnel : Robert W. Hubbard et al., The Law of Privilege in Canada (Toronto : Canada Law Book, 2014), à la page 11-64. Par conséquent, dans l’arrêt R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, au paragraphe 67, il a été conclu que lorsque le détenteur s’appuie sur un avis juridique pour plaider la légalité de ses actions, il « a renoncé au droit d’abriter derrière le secret professionnel de l’avocat le contenu de l’avis ainsi dévoilé et invoqué ».

[74]      J’ai toutefois estimé qu’il n’était pas nécessaire de partager avec l’amicus le contenu entier de l’un des documents joint à l’affidavit supplémentaire de M. Abbott; il s’agit là de l’opinion remise par le SPGC au directeur du SCRS en octobre 2008 dont j’ai déjà parlé. Bien que ce document contînt des renseignements utiles sur le contexte des questions en litige, il n’était pas nécessaire qu’il soit divulgué en entier à l’amicus pour que celui-ci m’aide à trancher les questions en litige. J’ai lu ce que j’estimais être la partie la plus pertinente de l’opinion figurant au dossier — celle qui avait trait à l’interprétation de l’article 12 de la Loi sur le SCRS. Les affidavits et les autres documents annexés ont alors été inscrits comme ayant été reçus à l’audience et, à l’exception de l’opinion d’octobre 2008, ont été communiqués à M. Cameron. MM. Abbott et [***] ont alors été appelés à témoigner et ont été interrogés sur ce qu’ils savaient quant aux circonstances qui ont donné lieu aux demandes SCRS-10-07 et SCRS-30-08 ainsi qu’aux demandes ultérieures d’émission de mandat.

ARGUMENT ET ANALYSE

            Le SCRS a-t-il respecté son obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue et d’exposer les faits de manière complète, franche et impartiale lorsqu’il a demandé la délivrance d’un 30-08 dans le cadre de la demande SCRS-30-08 et de toute demande subséquente de délivrance d’un 30-08?

[75]      Comme je l’ai déjà signalé, il ne ressort pas clairement du dossier dont je suis saisi qu’une demande d’aide étrangère a été faite dans le cadre de la demande SCRS-30-08 bien que, selon le témoignage de M. Abbott [***], on puisse conclure que tel fut le cas si on se fie au moment choisi pour présenter la première demande, à savoir quelques jours seulement après que j’eus rendu mes motifs d’ordonnance très secrets. Le SPGC a toutefois convenu que la question n’a pas à être réglée en prenant pour acquis qu’il n’y a pas vraiment eu de non-communication à l’occasion de la demande SCRS-30‑08. Le SPGC reconnaît qu’il n’y a pas eu communication des demandes d’aide étrangère à l’occasion des demandes qui ont suivi le raisonnement élaboré dans la demande SCRS-30-08. Le SPGC a retenu l’idée que la question soit discutée dans le cadre d’une seule instance plutôt que d’être discutée dans le cadre de chacun de ces dossiers.

[76]      Dans son témoignage, M. Abbott a déclaré avec franchise que le témoignage qu’il avait rendu dans le cadre de la demande SCRS-30-08 avait été « élaboré » avec les conseillers juridiques afin d’exclure toute mention du rôle joué par les secondes parties décrites dans l’affidavit présenté au juge Blanchard. [***].

[77]      Bien que des discussions eussent lieu entre le SCRS et le CSTC avant la demande de janvier 2009 à propos des incidences de la décision du juge Blanchard, M. Abbott a déclaré que ce n’est qu’au moment de la délivrance du premier 30-08 qu’il avait appris que des demandes d’assistance de la part de secondes parties avaient été faites (transcription, 23 octobre 2013, aux pages 42 et 43) :

[traduction] Oui, elles ont été faites dans le cadre des demandes de [30-08] en janvier 2009 lorsque nous avons reçu le premier mandat signé de la Cour fédérale. C’était la première fois où on nous demandait d’utiliser les biens des secondes parties pour cibler cette personne pendant qu’elle se trouvait à l’extérieur du Canada.

[78]      Dans son affidavit modifié daté du 22 octobre 2013, M. Abbott a révélé relativement aux personnes qui ont été visées par un 30-08 au cours des 12 mois précédents, [***].

[79]      Le SPGC soutient que le Service a respecté son obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue et d’exposer les faits de manière complète, franche et impartiale lorsqu’il a demandé l’émission d’un 30-08 dans le cadre de la demande SCRS-30-08 ainsi que dans le cadre de demandes ultérieures de délivrance d’un tel mandat. Il est soutenu que le Service a fourni tous les renseignements importants dans le cadre de ces demandes et le fait que le Service puisse demander l’assistance de la part de partenaires étrangers par l’intermédiaire du CSTC afin d’intercepter les télécommunications de Canadiens qui se trouvent à l’étranger n’est pas une question dont est dûment saisie la Cour dans le cadre de demandes d’émission de mandat.

[80]      L’amicus est d’avis qu’il y a eu une grave violation de l’obligation de franchise envers la Cour dans le cadre de la demande SCRS-30-08 ainsi que des demandes ultérieures fondées sur cette décision. Selon l’amicus, cette violation a été aggravée par le fait qu’on a omis de reconnaître qu’il y avait eu absence de franchise à l’occasion de la présente procédure parce que cela démontre que le Service ne comprend pas ce à quoi il est tenu lorsqu’il comparaît ex parte devant la Cour.

[81]      Selon l’amicus, les renseignements concernant les demandes d’assistance de la part d’agences étrangères étaient pertinents quant à la demande SCRS-30-08 et quant aux demandes ultérieures, parce que, si cela est juste, le Service dispose d’un autre moyen d’enquête qui, selon l’alinéa 21(2)b) de la Loi, doit être communiquée au juge qui entend la demande de mandat. L’amicus soutient que la demande SCRS-30-08 et les demandes de 30-08 ultérieures visaient à ce que la Cour comprenne le contraire de ce qui avait été présenté au juge Blanchard. Les demandes ont été conçues de manière à donner à la Cour l’impression que les interceptions des communications de la cible ne pourraient être faites que par [***] Canada et ce, en vertu de l’autorisation accordé par le mandat. C’est sur cet unique fondement que la Cour a conclu qu’elle avait compétence pour décerner le mandat. Si les renseignements avaient été divulgués, la Cour aurait pu tirer une autre conclusion.

[82]      La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 27, s’est penchée sur la question de l’obligation de divulgation complète et franche dans une instance ex parte :

      La partie qui plaide ex parte devant un tribunal a l’obligation de présenter ses arguments avec la bonne foi la plus absolue. Elle doit offrir une preuve complète et détaillée, et n’omettre aucune donnée pertinente qui soit défavorable à son intérêt : Royal Bank, précité, par. 11. Presque tous les codes de déontologie professionnelle applicables aux avocats leur font cette obligation. Voir, par exemple, l’Alberta Code of Professional Conduct, ch.10, règle 8.

[83]      Le SPGC reconnaît que cette obligation, également qualifiée d’obligation de bonne foi la plus absolue, joue dans toutes les instances dans lesquelles le Service plaide ex parte devant la Cour fédérale : Harkat (Re), 2010 CF 1243, au paragraphe 117, infirmée pour d’autres motifs 2012 CAF 122, [2012] 3 R.C.F. 635, jugement en délibéré devant la Cour suprême [la Cour suprême a depuis rendu sa décision. Voir 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33]; Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299, aux paragraphes 153 et 154; Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163, au paragraphe 498. Lorsqu’il présente une demande de mandat au titre des articles 12 et 21 de la Loi sur le SCRS, le Service doit faire état de tous les faits importants, favorables ou non.

[84]      Il est soutenu par le Service que :

[traduction] […] le fait que, en plus de demander des mandats à la Cour, le Service peut également demander de l’assistance, par l’intermédiaire du CSTC, de la part de partenaires étrangers afin d’intercepter, en vertu de leurs propres cadres juridiques, les télécommunications d’un Canadien visé par une enquête se trouvant à l’étranger, dans le cadre d’une enquête légale au Canada n’est pas un fait important qui aurait pu être considéré pertinent par le juge désigné lorsqu’il rend des décisions exigées pour les besoins de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans le contexte d’une demande de mandat présentée au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS.

[85]      Avançant cette thèse, le SPGC invoque les définitions de « faits importants » énoncées dans les décisions ayant trait à des instances pénales. En matière de procès pénal, l’élément de preuve est importante si ce qu’il vise à prouver ou à réfuter est un fait controversé vu les allégations figurant dans l’acte d’accusation et les règles de fond et procédurales régissant l’affaire : R. v. Luciano, 2011 ONCA 89, 267 C.C.C. (3d) 16, au paragraphe 207.

[86]      Le SPGC soutient que, en matière de demande de mandat, le caractère important fait référence aux éléments probants quant à la recherche sur le plan juridique ou factuelle que le juge sera appelé à faire pour décider d’accueillir ou de rejeter la demande de mandat : R. v. Lee, 2007 ABQB 767, 427 A.R. 76, aux paragraphes 132 à 136. Il soutient que l’absence de référence à des demandes d’assistance de la part de partenaires étrangers n’a pas été mentionnée dans les demandes de 30-08 parce qu’elle n’avait aucune pertinence sur le plan juridique et sur le plan factuel quant à la délivrance du mandat demandé. Le SPGC soutient que la compétence de la Cour, comme l’a établi le juge Blanchard, n’englobe pas la gestion de la relation entre le Service et les partenaires étrangers.

[87]      À l’occasion de l’affaire R. v. G.B. (application by Bogiatzis, Christodoulou, Cusato and Churchill), [2003] O.T.C. 785 (C.S.J. Ont.), où il était question d’une demande de sursis des procédures au motif qu’un agent de police avait menti dans des affidavits afin d’obtenir des autorisations d’écoute téléphonique, la Cour, aux paragraphes 11 et 12, a défini les faits importants de la manière suivante :

[traduction] Les faits importants sont ceux qui peuvent permettre au juge saisi d’une demande de vérifier si les critères applicables en matière d’autorisation d’écoute téléphonique ont été satisfaits. Pour que la communication soit franche, c’est-à-dire sincère, l’affiant doit se pencher sur les faits qui sont défavorables à sa demande et communiquer en entier les faits connus, y compris tous les faits à partir desquels des déductions peuvent être tirées. Par conséquent, l’obligation de communication complète et franche signifie que l’affiant doit communiquer dans l’affidavit les faits qui lui sont connus qui tendent à réfuter l’existence de motifs raisonnables et probables ou la nécessité de faire enquête en ce qui concerne l’une ou l’autre cible visée par l’autorisation envisagée.

      L’obligation de communication complète et franche signifie également que l’affiant ne doit jamais faire une déclaration trompeuse dans l’affidavit, que ce soit par la formulation utilisée ou par une omission stratégique de renseignements. [Non souligné dans l’original.]

[88]      Je retiens la thèse de l’avocat du SPGC portant que, en matière de demande de mandat au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, les faits importants sont ceux qui peuvent aider le juge désigné à décider si les critères énoncés aux alinéas 21(2)a) et 21(2)b) ont été satisfaits. Ces critères sont les suivants :

21.

(2) […]

a)   les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);

b)   le fait que d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l’urgence de l’affaire est telle qu’il serait très difficile de mener l’enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises.

Contenu de la demande

[89]      Toutefois, je ne retiens pas la conception étroite de la pertinence préconisée par le SPGC en cette matière car elle exclut les renseignements concernant le cadre élargi dans lequel les demandes de délivrance de mandat au titre de la Loi sur le SCRS sont présentées. Selon moi, cela revient à dire que la Cour ne doit pas être informée quant à des questions au sujet desquelles elle pourrait avoir des réserves si elle en était informée. Dans les circonstances de l’espèce, cela comprendrait les questions ayant trait à l’historique des tentatives qui ont été faites en vue d’obtenir de la Cour l’autorisation de recueillir des renseignements de sécurité à l’étranger et les incidences que peut comporter le partage de renseignements concernant des Canadiens avec des agences étrangères de sécurité et de renseignement.

[90]      Compte tenu des éléments de preuve documentaire dont je suis saisi et compte tenu du témoignage de M. Abbott, je conclus que les représentants du SCRS, après avoir consulté leurs conseillers juridiques, ont décidé d’omettre, dans les demandes de 30-08, les renseignements concernant leur intention de demander l’assistance de partenaires étrangers. Par conséquent, la Cour a été amenée à croire que les activités d’interception auraient toutes lieu au Canada ou seraient toutes contrôlées par les autorités canadiennes.

[91]      Mr. Abbott a certainement compris l’importance de fournir à la Cour les renseignements concernant le processus [traduction] « afin que la Cour puisse bien comprendre comment ces activités seraient entreprises ». En contre-interrogatoire, il a signalé ce qui suit (transcription, le 23 octobre 2013, à la page 59) :

[traduction] […] si nous demandons cette aide, la Cour doit savoir ce que la seconde partie verra et ce qu’elle peut décider de faire ou de ne pas faire avec ces renseignements.

[92]      Le Service a omis un renseignement important en n’expliquant pas à la Cour sa nouvelle et différente thèse selon laquelle, contrairement à ce qu’il a affirmé devant le juge Blanchard, il n’avait pas besoin d’être autorisé par mandat pour mettre à contribution les biens des pays alliés constituant des secondes parties afin d’effectuer des interceptions à l’étranger. Voilà qui m’amène à la deuxième question en litige.

            Le SCRS a-t-il le pouvoir légal de demander, par l’intermédiaire du CSTC, à des partenaires étrangers de l’aider à intercepter les télécommunications de Canadiens pendant que ceux-ci se trouvent à l’étranger?

[93]      Dans la demande SCRS-10-07 qui a été soumise au juge Blanchard, le Service soutenait principalement que le mandat demandé était nécessaire afin de garantir que les [***] que les agents canadiens mèneraient à l’étranger seraient conformes au droit canadien car les activités controversées peuvent, à défaut de mandat, être contraires à la Charte et au Code criminel. Le Service a soutenu à ce moment-là que le mandat pouvait être décerné au titre de l’article 21 de la Loi. Il a soutenu que cette approche permettrait de respecter le principe de la primauté du droit et serait conforme au régime de contrôle judiciaire prescrit par la partie II de la Loi.

[94]      Le Service soutient maintenant qu’il a accepté la décision du juge Blanchard et, notamment, sa conclusion selon laquelle la Cour n’avait pas compétence pour décerner le mandat en question. Compte tenu de cela, le Service soutient qu’il a porté son attention sur le pouvoir général d’enquêter sur les menaces posées à la sécurité du Canada énoncé à l’article 12 de la Loi. Il a conclu, grâce aux conseils de ses conseillers juridiques, qu’il n’avait pas besoin d’un mandat pour demander aux secondes parties, par l’intermédiaire du CSTC, de l’aider à intercepter les communications privées de Canadiens se trouvant à l’étranger. Le Service soutient que le CSTC ne viole pas l’interdiction de cibler les Canadiens qui est énoncée dans la Loi sur la défense nationale lorsqu’il lui fournit une assistance alors qu’il intervient en vertu du pouvoir général d’enquête qui lui est accordé par l’article 12.

[95]      Vu le dossier dont je suis saisi, il semble que ce n’est qu’au printemps 2009, après que la Cour eut décerné le premier 30-08, qu’on a tenté d’invoquer l’article 12 à titre de pouvoir légal exigé par le CSTC pour cibler des Canadiens dans le cadre de l’exercice de son mandat d’assistance de la partie c) [alinéa 273.64(1)c) de la Loi sur la défense nationale].

[96]      Selon l’amicus, vu l’interprétation du procureur général de la portée de l’article 12 de la Loi, le Service est autorisé [traduction] « à confier à un autre intervenant la mission qui consiste à intercepter les communications de Canadiens ou à accéder aux renseignements de Canadiens, et ce, sans mandat et sans surveillance de la Cour ». M. Cameron a qualifié cette interprétation de [traduction] « contournement de l’article 21 et suivants de la Loi ». Il a toutefois soutenu que je n’avais pas à trancher la question de la portée de l’article 12 de la Loi, ou la question de la compétence de la Cour de décerner un mandat au SCRS l’autorisant à solliciter, par l’intermédiaire du CSTC, l’assistance de pays de seconde partie, pour discuter la question de la violation de l’obligation de franchise.

[97]      Selon moi, il est nécessaire que la Cour se prononce sur la question en raison du rapport public du commissaire du CSTC et du lien qui est fait entre l’émission des 30-08 par la Cour et les demandes d’assistance de la part des secondes parties. Comme j’en discuterai ci-après, cette association déclarée a été davantage soulignée par la publication récente du rapport annuel du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS). La Cour se doit d’être préoccupée par le fait que le pouvoir qui lui est accordé par le législateur d’autoriser le Service à mener des activités d’enquête intrusives peut être perçu sur la scène publique comme étant une approbation de la surveillance et de l’interception des communications de Canadiens par des agences étrangères.

[98]      L’article 12 de la Loi sur le SCRS est ainsi libellé :

       12. Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.

Information et renseignements

[99]      L’article 12 accorde au Service le pouvoir de mener des enquêtes, de recueillir, d’analyser et de conserver des renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada et d’en faire rapport au gouvernement canadien. En ce qui concerne la portée du pouvoir accordé par l’article 12, ce texte doit être interprété au regard de l’économie de la Loi, des garanties et des protections énoncées dans la Charte et des limites imposées par le droit interne comme le Code criminel.

[100]   L’article 12 ne soustrait pas le Service à l’application de ces lois d’application générale. Lorsque cela est nécessaire, le Service peut demander un mandat, au titre de l’article 21, l’autorisant à utiliser des méthodes d’enquête qui constitueraient par ailleurs un crime ou une violation de la garantie prévue par la Charte contre les fouilles et les saisies abusives. Comme je l’ai déjà dit, selon l’article 26, la partie VI du Code criminel ne vise pas l’interception de communication autorisée par un mandat décerné en vertu de l’article 21 ni la communication elle‑même. En l’absence d’une telle protection, le personnel du Service personnel pourrait être poursuivi en vertu de la partie Part VI du Code relativement à l’interception d’une communication dont une extrémité se trouve au Canada.

[101]   Le SPGC souligne la conclusion du commissaire Décary selon laquelle les secondes parties peuvent intercepter les communications de Canadiens visés par un 30-08 parce qu’elles interviennent en vertu de leur propre cadre juridique. Le droit canadien ne peut pas permettre ou interdire aux secondes parties de mener une enquête qu’elles décident d’entreprendre relativement à des Canadiens qui se trouvent à l’étranger. Cela ne soustrait pas les représentants canadiens à de possibles poursuites en responsabilité pour avoir demandé l’interception de la communication et l’avoir reçue. Je reconnais qu’il est peu probable que cela puisse donner lieu à des accusations contre le personnel du SCRS ou du CSTC. Toutefois, la possibilité que la question se pose relativement à l’admissibilité en preuve d’une communication interceptée ou d’un élément de preuve dérivé à l’occasion d’une éventuelle poursuite contre les cibles ou comme fondement de l’octroi d’une réparation en vertu de la Charte est, selon moi, réaliste. Comme je l’ai déjà signalé, la Cour suprême n’a pas exclu, à l’occasion de l’affaire Hape, un recours en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte lorsque le résultat des actions commises par des représentants canadiens à l’étranger a une incidence sur l’exercice des droits garantis par la Charte au Canada.

[102]   L’article 12 n’autorise pas expressément le Service à faire appel aux capacités d’interception d’agences étrangères. Bien qu’une telle interception puisse être légale lorsqu’elle est faite en vertu des lois du pays dont l’assistance est demandée, comme la Foreign Intelligence Surveillance Act of 1978, 50 U.S.C. Ch. 36 (FISA), elle peut être illégale dans le territoire où l’interception est faite. La FISA, modifiée, avalise les fouilles sans mandat aux fins de la collecte de renseignements étrangers qui sont approuvées par le président et la surveillance d’étrangers en vertu d’une ordonnance de la cour. La FISA autorise donc la violation de la souveraineté de pays étrangers d’une manière qui, selon la Cour suprême du Canada par la jurisprudence dans l’arrêt Hape, contrevient aux principes du droit international coutumier, mais qui est acceptée en vertu du droit américain — un pouvoir législatif exprès.

[103]   À ma connaissance, il ne ressort nullement de la Loi sur le SCRS ou des travaux préparatoires que, en adoptant l’article 12, le législateur a accordé au SCRS le pouvoir légal explicite de violer le droit international et la souveraineté de pays étrangers, directement ou indirectement, par l’intermédiaire du CSTC et des secondes parties.

[104]   Le SPGC soutient que l’arrêt rendu par la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Schreiber, précité, est une réponse compète à la question de savoir si on peut demander à une agence étrangère de fournir des renseignements sur un Canadien. Mais, dans l’affaire Schreiber, on a demandé à l’agence étrangère de fournir des renseignements en conformité avec les lois de son pays et dans le cadre de l’exercice de sa souveraineté territoriale. La jurisprudence Schreiber n’enseigne pas qu’en intervenant en vertu d’une telle demande, le territoire étranger violerait la souveraineté d’un autre pays, alors que, en l’occurrence, tel me semble être le cas.

[105]   Comme la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Hape, aux paragraphes 51, 52 et 101, et dans l’arrêt Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125, au paragraphe 18, le principe de la courtoisie entre pays selon lequel le responsable canadien en mission à l’étranger se plie aux règles de droit et de procédure étrangères cesse dès que la participation du Canada aux activités d’un État étranger ou de ses représentants constitue une violation manifeste du droit international et des droits fondamentaux de la personne. En demandant aux autres membres du « Groupe des cinq » d’intercepter les communications de cibles canadiennes, les représentants du SCRS et du CSTC savaient, compte tenu de l’avis juridique qu’ils avaient reçu à propos de l’incidence de la jurisprudence Hape et de la décision du juge Blanchard, qu’en s’exécutant les secondes parties violeraient le droit international.

[106]   La loi adoptée par le législateur en 2001 interdit expressément au CSTC de cibler des Canadiens, sauf s’il le fait en vertu de sa mission qui consiste à aider les agences policières et de sécurité dans l’exécution de leurs obligations légales, sous réserve des limites qui leur sont imposées par la loi. Dans ce contexte, le CSTC ne dispose pas d’un pouvoir plus grand que celui qui est conféré au SCRS.

[107]   Il ressort du dossier dont je suis saisi que le CSTC a toujours interprété les termes « fonctions que la loi lui confère » et « limites que la loi impose » employés par le législateur dans les modifications apportées en 2001 à la Loi sur la défense nationale [L.C. 2001, ch. 41, article 102] comme exigeant l’émission d’un mandat. L’avis juridique donné au CSTC en mai 2009 mentionnait que le SCRS ne présenterait une demande d’assistance de la part d’une seconde partie que lorsqu’un mandat serait décerné. Selon M. Abbott, le Service n’a présenté des demandes de collecte de la part d’une seconde partie que s’il disposait d’une autorisation parallèle concrétisée par un mandat. D’après son souvenir, les deux agences n’ont jamais discuté du recours à l’article 12 comme seul fondement permettant d’autoriser légalement le CSTC à assister le SCRS dans ses enquêtes en mettant à contribution [***] des secondes parties (transcription, 23 octobre 2013, aux pages 80 et 81) :

[traduction] S’ils s’adressaient à nous et qu’il n’y avait pas un 30-08 parallèle en vigueur, nous aurions eu alors ce que j’appellerais une discussion sérieuse avec notre conseiller juridique et avec le Service comme si c’était la première fois que nous faisions cela, assurons-nous que tout le monde est clair et comprend, comme je l’ai déjà dit, compte tenu de l’avis juridique que nous avons reçu jusqu’à maintenant, que je comprends sur le plan juridique que ce qu’on nous a dit est que l’on pouvait faire cela.

[108]   [***], le témoin du SCRS chargé du processus concernant les mandats en 2009, a également reconnu que le SCRS a principalement confirmé l’existence de mandats décernés par la Cour afin d’être autorisé à demander au CSTC de demander aux secondes parties de l’aider à intercepter et à recueillir des communications de Canadiens. Aucune des deux agences ne semble avoir été disposée à procéder uniquement sur la foi de l’opinion d’octobre 2008 du SPGC. Les 30-08 ont donné aux représentants des deux agences l’assurance qu’ils agissaient conformément à la portée de leur autorisation légale.

[109]   Le SPGC reconnaît ceci et soutient que le pouvoir conféré par l’article 12 est plus large que celui que le SCRS et le CSTC avaient déjà décidé d’exercer. Il est soutenu qu’il convenait que les deux agences décident de ne procéder que lorsqu’un 30-08 aurait été décerné. Le processus d’établissement de l’autorité judiciaire pour les 30-08 révèle qu’ils se sont adressées au juge et ont démontré qu’il est raisonnable de croire que les activités de la ou des personnes visées constituent une menace envers la sécurité du Canada et que cette ou ces personnes allaient se déplacer à l’extérieur des frontières du Canada. Le SPGC soutient que cela reflète le respect du principe de la primauté du droit.

[110]   Bien que ce soit peut-être le cas, il est manifeste que l’exercice de l’autorisation accordée par le mandat décerné par la Cour a été utilisé comme couverture à l’égard d’activités qu’elle n’a pas autorisées.

[111]   L’interprétation du SPGC quant à la portée de l’article 12 de la Loi sur le SCRS qui a été communiquée au Service en octobre 2008 est, selon moi, très douteuse. Rien dans les documents que j’ai lus ou dans les observations verbales des avocats du SPGC me convainc que le législateur visait à donner au Service l’autorisation de mettre à contribution les moyens de collecte des secondes parties alliées afin d’intercepter, en vertu du pouvoir général d’enquête prévu à l’article 12, les communications privées de Canadiens. De plus, j’ai examiné l’historique législatif des modifications apportées à la Loi sur la défense nationale en 2001 et je n’ai rien vu dont on puisse déduire que le législateur avait envisagé que le CSTC pourrait assurer une telle assistance au SCRS sur le seul fondement de l’article 12.

[112]   Je conclus que le Service et le CSTC ont décidé de n’agir en fonction de la nouvelle interprétation élargie, non mise à l’épreuve, de la portée de l’article 12 que lorsqu’un 30-08 a été décerné. Mon opinion sur la question a été renforcée par la publication, le 31 octobre 2013, du Rapport annuel 2012–2013 du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Dans une section du rapport, il est fait mention de « Examen du nouveau pouvoir octroyé au moyen de mandat en vertu de l’article 21 » [non souligné dans l’original] du SCRS. Comme il avait été fait mention de ce rapport durant les audiences du 23 et 24 octobre 2013, une copie de la version secrète de l’étude a été remise à la Cour par les avocats du SPGC au moyen d’une lettre datée du 6 novembre 2013.

[113]   Le CSARS [à la page 18] a fait rapport sur ce qu’il a qualifié dans le rapport public de « nouveau pouvoir octroyé au moyen de mandat en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, qui a été à l’origine autorisé par la Cour fédérale en 2009 ». Les observations suivantes figurent dans la discussion portant sur l’examen de ce rapport public [à la page 18] :

Au cours de la période durant laquelle l’étude a été menée, 35 mandats (plus sept mandats supplémentaires) ont été décernés par voie du nouveau pouvoir. Le Comité a constaté que plusieurs défis s’étaient posés au SCRS, notamment l’efficacité de la collecte de renseignement, le contrôle sur l’information recueillie, et des attentes peut-être irréalistes pour l’avenir. En effet, il a été noté que s’appuyer sur des organismes partenaires canadiens et étrangers pour la collecte de renseignements se fait finalement au détriment d’une certaine efficacité. De grands progrès ont été faits depuis l’émission du premier mandat, mais le SCRS est encore dans une phase d’apprentissage et le Service devra gérer les attentes et les réalités, notamment les limites, des rapports sur des renseignements ainsi obtenus.

Dans presque tous les cas, le SCRS mise sur la communauté du Groupe des cinq (soit le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) pour tirer le meilleur parti de la collecte de renseignements dans le cadre du nouveau pouvoir octroyé au moyen de mandat. Le CSARS a noté que, même avec l’aide d’alliés, la collecte de renseignements ou les informations obtenues par voie de ce pouvoir avaient présenté des avantages et des défis que le Service n’avait initialement pas prévu.

[114]   La version secrète contient des déclarations additionnelles que j’estime pertinentes en l’espèce :

[traduction]

[***]

[115]   Vu ces extraits, le CSARS fonctionne en pensant à tort que les 30-08 décernés par la Cour autorisent la collecte, par des agences étrangères, d’interceptions concernant des Canadiens. Ce faisant, la Cour retient la préoccupation relevée par le CSARS voulant que le fait qu’un partenaire du Groupe des cinq puisse se servir de façon indépendante de renseignements provenant du SCRS comporte le risque qu’un Canadien soit emprisonné ou subisse d’autres préjudices en raison de ces renseignements. Le commissaire Décary et le CSARS ont fait part dans leurs rapports des dangers découlant de l’absence de contrôle sur les renseignements après qu’ils aient été partagés. Compte tenu que, au cours des 10 dernières années, le partage de renseignements avec des agences étrangères a souvent mal tourné et que les examens qui ont été effectués par de nombreuses Commissions royales, il ne fait aucun doute que les agences canadiennes sont conscientes de ces dangers. Il me semble qu’elles se servent des 30-08 à titre d’autorisation à assumer ces risques.

CONCLUSION

[116]   Le Service, sur les conseils du ministère de la Justice, a demandé à la Cour de l’autoriser à mener à l’étranger des activités de renseignements de sécurité, qui, si elles étaient menées au Canada, nécessiteraient l’émission d’un mandat. Le Service et ses avocats se sont fait dire par la Cour qu’elle n’avait pas compétence pour décerner un mandat aux fins de l’article 21 de la Loi sur le SCRS. Il est ensuite revenu devant la Cour pour lui présenter un nouveau raisonnement justifiant l’émission d’un mandat. Ce raisonnement reposait sur les motifs clairement énoncés selon lesquels les interceptions [***] envisagées seraient faites à partir du Canada et seraient contrôlées par le personnel du gouvernement canadien. Après avoir obtenu l’autorisation par mandat de faire ces interceptions [***] à partir et sous le contrôle du Canada, le Service a demandé à des alliés étrangers de seconde partie [***] et a omis d’aviser la Cour qu’il a fait la même chose dans le cadre des demandes ultérieures.

[117]   Selon moi, aussitôt qu’il fut conclu que le Service se fierait au pouvoir général d’enquête énoncé à l’article 12 de la Loi pour demander à une seconde partie de l’aider à intercepter les communications de Canadiens qui se trouvent à l’étranger, cette conclusion constituaient des faits connus par l’affiant qui pouvaient amener la Cour à conclure que l’enquête ne nécessitait pas le lancement d’un 30-08. Le défaut de communiquer ces renseignements est la conséquence de la décision délibérée de ne pas informer la Cour quant à la portée et l’ampleur des opérations de collecte étrangères qui découleraient du lancement du mandat par la Cour.

[118]   Il s’agissait d’une violation de l’obligation de franchise à laquelle le Service et ses conseillers juridiques sont tenus envers la Cour. Cette violation a donné lieu à des déclarations inexactes dans le dossier public à propos de la portée de l’autorisation accordée au Service par le lancement de 30-08.

[119]   La conclusion tirée dans le cadre de la demande SCRS-30-08 selon laquelle la Cour a compétence pour décerner un mandat en vertu de l’article 21 pour l’interception au Canada de télécommunications étrangères sous certaines conditions précises demeure selon moi valide. Cette compétence ne comprend pas l’autorisation de permettre au Service de demander que des agences étrangères interceptent, directement ou par l’entremise du CSTC en vertu de sa mission d’assistance, les communications de Canadiens qui voyagent à l’étranger.

[120]   Le législateur a accordé au ministre de la Défense nationale le pouvoir d’approuver les activités de collecte de renseignements étrangers relativement à certaines catégories d’activité. L’autorisation législative permettant au CSTC d’exercer ses fonctions prévues dans la Loi sur la défense nationale ne comprend pas précisément le ciblage de Canadiens. Le CSTC ne peut faire cela que dans le cadre de l’exercice de sa mission d’assistance lorsque l’agence fédérale d’application de la loi ou l’agence fédérale de sécurité qui reçoit l’assistance intervient aux termes d’un pouvoir conféré par la loi. Selon moi, en adoptant l’article 12, le législateur n’a pas envisagé que le SCRS et le CSTC s’en servirait pour mettre à contribution les capacités d’interception d’agences étrangères contre des Canadiens.

[121]   Il est loisible au législateur, comme je l’ai déjà dit, de modifier la loi afin de permettre à la Cour d’autoriser des interceptions étrangères. L’autorisation donné par un magistrat indépendant relativement à une demande de mandat précis garantit que les droits des personnes visées seraient respectés et protégerait les agents des agences concernées contre d’éventuelles poursuites tant qu’ils agissent dans le cadre de l’autorisation accordée. Toutefois, tant que la loi ne sera pas modifiée, la Cour n’a pas cette compétence.

[122]   L’interprétation de l’article 12 avancée par le Service et le SPGC n’est pas, selon moi, conforme à l’économie de la Loi dans son ensemble et n’est pas non plus conforme à la doctrine retenue par la Cour suprême par la jurisprudence Hape selon laquelle la violation du droit international ne peut être justifié que par une autorisation expresse de la part du législateur. Les agents du SCRS et du CSTC courent un grand risque en se fiant à cette interprétation et, comme l’ont dit le commissaire du CSTC et le CSARS, ils courent le risque que des cibles soient emprisonnées ou subissent d’autres préjudice en conséquence de l’utilisation des communications interceptées par les agences étrangères. Selon moi, l’article 12 n’autorise pas le Service et le CSTC à courir ce risque et ne les protège pas des poursuites.

[123]   Je ne formule aucune opinion quant au statut des renseignements qui ont déjà été recueillis par le Service en conséquence de l’interprétation de l’article 12 de la Loi et les demandes d’assistance qui ont été faites, par l’entremise du CSTC, aux agences des deuxièmes parties depuis 2009. Cette question peut devoir être discuté par notre Cour ou par une autre.

[124]   À l’avenir, lorsqu’une demande de 30-08 est faite à la Cour, celle-ci doit être informée quant à savoir si une demande d’assistance étrangère a été faite et, le cas échéant, elle doit être informée quant aux conséquences subies par les personnes visées par la demande. Dans de telles circonstances, la Cour doit rechercher s’il a été établi qu’il est nécessaire, aux fins de l’enquête, qu’un mandat soit décerné. Je souligne, à cet égard, que le rapport secret du CSARS met en doute l’efficacité des activités de collecte effectuées en vertu des 30-08. Ces renseignements doivent être communiqués à la Cour lors de chaque demande pour qu’elle décide s’il est nécessaire de décerner le mandat.

[125]   Il faut préciser que, dans tous les cas d’octroi d’un 30-08, le mandat n’autorise pas l’interception, directement ou indirectement, de communications d’un Canadien par une agence étrangère pour le compte du Service par l’intermédiaire du CSTC. À cette fin, une limite convenablement libellée doit être ajoutée au texte du mandat.

[126]   Le SCRS et le CSTC, ou leurs conseillers juridiques, ne doivent plus affirmer, lorsqu’ils évoquent l’utilisation d’équipements de seconde partie, que celle-ci est autorisée par un mandat décerné par la cour en vertu de l’article 21.

[127]   Une copie des présents motifs supplémentaires d’ordonnance sera remise au président du CSARS et au commissaire du CSTC. Le Service dispose de deux semaines pour formuler des observations quant à la publication des présents motifs supplémentaires d’ordonnance. Un résumé sera publié après qu’avis aura été donné au Service et au procureur général.

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