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A-312-13

2015 CAF 17

Joseph Wilson (appelant)

c.

Énergie atomique du Canada Limitée (intimée)

Répertorié : Wilson c. Énergie atomique du Canada Limitée

Cour d’appel fédérale, juges Stratas, Webb et Near, J.C.A.—Toronto, 13 mai 2014; Ottawa, 22 janvier 2015.

Relations du travail — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale par laquelle elle a rejeté l’objection relative au caractère prématuré de l’appelant et a conclu que la décision rendue par l’arbitre au sujet de l’interprétation des lois était déraisonnable — La Cour fédérale a annulé la décision de l’arbitre et renvoyé l’affaire à celui-ci pour qu’il rende une nouvelle décision — L’appelant a travaillé pour l’intimée, mais celle-ci a mis fin à son emploi sans motif — L’appelant a porté plainte en vertu de la partie III du Code canadien du travail, alléguant qu’il avait été « congédié injustement » au sens de l’art. 240(1) du Code — L’arbitre a retenu la thèse de l’appelant et a conclu qu’il avait établi le bien-fondé de sa plainte de congédiement injuste au sens du Code — L’intimée a introduit une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre; l’audience relative aux réparations a été par la suite ajournée — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a, à bon droit, rejeté l’objection soulevée par l’appelant au sujet du caractère prématuré; quelle était la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre; si la Cour fédérale avait le droit de tirer ses conclusions sur le bien-fondé de la question de l’interprétation législative — En rejetant l’objection soulevée au sujet du caractère prématuré, la Cour fédérale a tenu dûment compte des principes applicables; elle n’a commis aucune erreur manifeste et dominante — Compte tenu des circonstances inusitées de la présente affaire, les décisions de l’arbitre de suspendre l’audience et de ne plus intervenir tant que le contrôle judiciaire était en cours constituaient un choix procédural qui méritait le respect — Il n’y avait aucune raison d’annuler la décision de la Cour fédérale de rejeter l’objection fondée sur le caractère prématuré — La Cour fédérale avait le droit d’examiner le bien-fondé du contrôle judiciaire et la question centrale qu’il posait — Quant à la norme de contrôle, c’est la norme de la décision correcte qui s’appliquait à la question d’interprétation des lois — La Cour fédérale est arrivée à la bonne conclusion lorsqu’elle a statué que le Code permet les congédiements sans motif — Un congédiement non motivé ne constitue pas automatiquement un congédiement « injuste » au sens de la partie III du Code — La common law en matière d’emploi et la partie III du Code ont été toutes deux examinées — Si le législateur avait l’intention de restreindre le droit de l’employeur de mettre fin à la relation d’emploi aux seules situations où il existe un motif valable, il aurait pu le dire de façon tout à fait explicite — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale par laquelle elle a rejeté l’objection relative au caractère prématuré de l’appelant et a conclu que la décision rendue par l’arbitre au sujet de l’interprétation des lois était déraisonnable. La Cour fédérale a annulé la décision de l’arbitre et renvoyé l’affaire à celui-ci pour qu’il rende une nouvelle décision. Devant la Cour fédérale, l’appelant soutenait que la demande de contrôle judiciaire était prématurée et que la décision rendue par l’arbitre sur le fond était raisonnable, tandis que l’intimée alléguait que la décision de l’arbitre était déraisonnable.

L’appelant a travaillé pour l’intimée durant quatre ans et demi, jusqu’à ce que l’intimée mette fin à son emploi sans motif. L’intimée a offert à l’appelant une indemnité de départ équivalant en gros à six mois de salaire en contrepartie d’une quittance totale et définitive. L’appelant n’a pas signé la quittance, mais a plutôt porté plainte en vertu de la partie III du Code canadien du travail, alléguant qu’il avait été « congédié injustement » au sens du paragraphe 240(1) du Code. Un arbitre du travail a été nommé en vertu du Code. L’appelant soutenait qu’un employé qui, comme lui, est congédié sans motif est de ce seul fait congédié injustement au sens du Code, et qu’il a par conséquent droit à une réparation. L’intimée a affirmé qu’un congédiement sans motif n’est pas automatiquement un congédiement injuste au sens du Code. En l’espèce, l’arbitre a retenu la thèse de l’appelant et a conclu que l’appelant avait établi le bien-fondé de sa plainte de congédiement injuste au sens du Code. L’intimée a introduit devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision selon laquelle le congédiement de l’appelant était injuste. L’arbitre a alors décidé d’ajourner l’audience relative aux réparations jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été rendue sur le contrôle judiciaire.

Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a, à bon droit, rejeté l’objection soulevée au sujet du caractère prématuré, quelle était la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre, et si la Cour fédérale avait le droit de tirer ses conclusions sur le bien-fondé de la question de l’interprétation législative en l’espèce.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Il y a plusieurs aspects du jugement de la Cour fédérale par laquelle elle a rejeté l’objection fondée sur le caractère prématuré qui méritaient d’être salués. En l’espèce, la Cour fédérale a tenu dûment compte des principes applicables et a reconnu que le demandeur devait satisfaire à un critère très exigeant. Elle a ensuite appliqué ces principes de droit aux circonstances particulières portées à sa connaissance. Dans ce processus qui se caractérise par une appréciation des faits et par l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire axé sur les faits, aucune erreur manifeste et dominante n’a été commise. Il arrive parfois que les décideurs administratifs, à l’instar des tribunaux judiciaires, dissocient l’examen du fond de l’affaire de celui de la réparation. Compte tenu des circonstances inusitées de la présente affaire, les décisions de l’arbitre de suspendre l’audience et de ne plus intervenir tant que le contrôle judiciaire était en cours constituaient un choix procédural qui reposait sur une analyse des faits et des principes applicables et qui méritait le respect. Il ne s’agissait pas d’un choix dont l’exercice était encadré par des principes juridiques fondamentaux bien établis. L’arbitre était bien conscient de la question juridique en litige. Les raisons qui sous-tendent le principe général interdisant le contrôle judiciaire prématuré ne ressortaient pas clairement en l’espèce, mais militaient plutôt en faveur du contrôle judiciaire. Il n’y avait donc aucune raison d’annuler la décision de la Cour fédérale de rejeter l’objection fondée sur le caractère prématuré. La Cour fédérale avait le droit d’examiner le bien-fondé du contrôle judiciaire et la question centrale qu’il posait.

Depuis longtemps, les arbitres nommés en vertu du Code ne s’entendent pas sur la question de savoir si la partie III du Code permet ou non de congédier un employé sans motif. En l’espèce, l’expertise spéciale des arbitres n’a pas permis d’obtenir une réponse ayant recueilli l’adhésion générale en ce qui concerne cette question d’interprétation législative. De plus, en raison de la divergence qui persistait, ce furent les préoccupations exprimées au sujet du respect de la règle de la primauté du droit qui ont prédominé en l’espèce et justifié l’intervention de la Cour pour mettre fin à la controverse et pour régler ce point de droit une fois pour toutes. Par conséquent, la norme de contrôle qui s’appliquait à cette question d’interprétation des lois était celle de la décision correcte.

La Cour fédérale a conclu que le Code permettait effectivement les congédiements sans motif et est arrivée à la bonne conclusion. Un congédiement non motivé ne constitue pas automatiquement un congédiement « injuste » au sens de la partie III du Code. L’arbitre doit examiner les circonstances de chaque cas pour déterminer si le congédiement était « injuste ». La common law en matière d’emploi et la partie III du Code ont été toutes deux examinées. À certains égards, le Code semble laisser intacts certains aspects de la common law en matière d’emploi. On ne trouve toutefois rien dans le Code ou dans l’esprit du Code qui permette de penser que le législateur reconnaît aux employés non syndiqués le droit à un poste ou qu’il cherche à mettre les employés syndiqués et les employés non syndiqués sur le même pied, c’est-à-dire à les protéger d’un congédiement sans motif. Si le législateur avait l’intention de restreindre le droit de l’employeur de mettre fin à la relation d’emploi aux seules situations où il existe un motif valable, il aurait pu le dire de façon tout à fait explicite. On a conclu que les pouvoirs conférés aux arbitres par l’alinéa 242(4)b) du Code, qui leur permettent, en particulier, de réintégrer dans son poste l’employé congédié peut coexister avec la common law. Selon l’analyse du texte et du contexte de la partie III du Code, il était évident que le législateur visait largement à ce que la partie III du Code offre aux employés un plus grand nombre de réparations que celles qui existent en common law. Ces dispositions ne représentent pas une modification radicale des règles de droit régissant le congédiement, mais améliorent plutôt les réparations qui peuvent être accordées, le cas échéant, en cas de congédiement. Enfin, l’argument de l’appelant voulant que les employeurs soient en mesure, entre autres, de congédier des employés sans motif, laissant ainsi les employés sans véritable droit de recours en vertu de l’article 240 du Code a été rejeté. Il revient toujours à l’arbitre d’évaluer les circonstances et de décider si le congédiement, qu’il soit motivé ou non, était injuste.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

An Act to Amend Chapter 10 of the Acts of 1972, the Labour Standards Code, S.N.S. 1975, ch. 50, art. 4.

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 167(3), 168, 230, 235, 240, 242, 246.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.3.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Knopp v. Western Bulk Transport Ltd., [1994] C.L.A.D. no 172 (QL); Klein v. Royal Canadian Mint, [2012] C.L.A.D. no 358 (QL).

décisions différenciées :

C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298.

décisions examinées :

Re Roberts and Bank of Nova Scotia (1979), 1 L.A.C. (3d) 259; Goodyear Tire and Rubber Company of Canada Limited v. The T. Eaton Company Limited and Others, [1956] R.C.S. 610; Énergie atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami, [1998] 3 C.F. 349 (C.A.); Banque de Commerce Canadienne Impériale c. Boisvert, [1986] 2 C.F. 431 (C.A.).

décisions citées :

D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95; Comité de la bande indienne d’Adams Lake c. Bande indienne d’Adams Lake, 2011 CAF 37; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75; Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54, [2004] 3 R.C.S. 152; Redlon Agencies Ltd. c. Norgren, 2005 CF 804; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Champagne v. Atomic Energy of Canada Limited, 2012 CanLII 97650 (L.A.); Iron v. Kanaweyimik Child and Family Services Inc., [2002] C.L.A.D. no 517 (QL); Lockwood v. B & D Walter Trucking Ltd., [2010] C.L.A.D. no 172 (QL); Stack Valley Freight Ltd. v. Moore, [2007] C.L.A.D. no 191 (QL); Morriston v. Gitanmaax Band, [2011] C.L.A.D. no 23 (QL); Chalifoux v. Driftpile First Nation – Driftpile River Band No. 450, [2000] C.L.A.D. no 368 (QL), conf. pour d’autres motifs par 2001 CFPI 785, conf. par 2002 CAF 521; Jalbert and Westcan Bulk Transport Ltd., [1996] C.L.A.D. no 631 (QL); Prosper v. PADC Management Co., [2010] C.L.A.D. no 430 (QL); Halkowich and Fairford First Nation, [1998] C.L.A.D. no 486 (QL); Daniels v. Whitecap Dakota First Nation, [2008] C.L.A.D. no 135 (QL); Paul v. The National Centre For First Nations Governance, 2012 CanLII 85154 (S.A.); Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Taub v. Investment Dealers Assn. of Canada, 2009 ONCA 628, 98 R.J.O. (3e) 169; CITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282; Da Huang c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 228, [2015] 4 R.C.F. 438; Abraham c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 266; Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, [2008] 2 R.C.S. 362; Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701; Rawluk c. Rawluk, [1990] 1 R.C.S. 70; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Parlement. Chambre des Communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent du travail, de la main-d'œuvre et de l’immigration, 30e lég., 3e sess., fascicule no 1 (9 février 1978).

Cane, Peter. « Theory and Values in Public Law » dans Paul Craig et Richard Rawlings, dir. Law and Administration in Europe : Essays for Carol Harlow, Oxford : Oxford University Press, 2003.

Christie, Innis et al. Employment Law in Canada, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1993.

Daly, Paul. « Administrative Law : A Values-Based Approach » dans Mark Elliot et Jason Varuhas, dir. Process and Substance in Public Law Adjudication, Hart : Oxford, 2015, en ligne : <http ://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2460264>.

Harris, David. Wrongful Dismissal, feuilles mobiles. Toronto : Carswell, 1990.

Organisation internationale du Travail. Recommandation sur la cessation de la relation de travail, 1963 (Recommendation no 119), Genève, 47e session CIT (26 juin 1963), en ligne : <http://ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=1000:12100:0::NO::P12100_INSTRUMENT_ID,P12100_LANG_CODE:312457,fr:NO>.

Simmons, Gordon. « Unjust Dismissal of the Unorganized Workers in Canada » (1984), 20 Stan. J. Int’l Law 473.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2013 CF 733) par laquelle elle a rejeté l’objection relative au caractère prématuré de l’appelant et a conclu que la décision rendue par l’arbitre au sujet de l’interprétation des lois ([2012] C.L.A.D. no 234 (QL)) était déraisonnable. Appel rejeté.

ONT COMPARU

James A. LeNoury pour l’appelant.

Ronald M. Snyder pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

LeNoury Law, Toronto, pour l’appelant.

Fogler, Rubinoff LLP, Ottawa, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Stratas, J.C.A. : L’appelant, M. Wilson, interjette appel du jugement rendu le 2 juillet 2013 par la Cour fédérale (le juge O’Reilly) (2013 CF 733).

[2]        L’intimée, Énergie atomique du Canada limitée [EACL], a congédié l’appelant sans motif et lui a versé six mois de salaire à titre d’indemnité de départ.

[3]        L’appelant a porté plainte pour « congédiement injuste » en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 [le Code].

[4]        Un arbitre du travail a été nommé en vertu du Code. Devant l’arbitre, l’appelant soutenait qu’un employé qui, comme lui, est congédié sans motif est de ce seul fait congédié injustement au sens du Code, et qu’il a par conséquent droit à une réparation en vertu de ce paragraphe. En d’autres termes, l’appelant affirme que le Code interdit à un employeur de renvoyer un employé à moins qu’il n’existe un motif valable de congédiement. EACL affirme qu’un congédiement sans motif n’est pas automatiquement un congédiement injuste au sens du Code. Certains arbitres nommés en vertu du Code se sont rangés à l’opinion de l’appelant sur la question tandis que d’autres souscrivent à celle d’EACL. Ces deux écoles de pensée concernant l’interprétation qu’il convient de donner du Code coexistent depuis des dizaines d’années.

[5]        Dans le cas qui nous occupe, l’arbitre a retenu la thèse de l’appelant. Il a donc conclu que l’appelant, qui avait été congédié sans motif, avait établi le bien-fondé de sa plainte de congédiement injuste au sens du Code [Wilson v. Atomic Energy of Canada Ltd., [2012] C.L.A.D. no 234 (QL)].

[6]        Ayant rendu cette décision, l’arbitre a ajourné l’audience et a demandé aux parties de discuter de la réparation appropriée dans l’espoir qu’elles réussissent à s’entendre, à défaut de quoi il tiendrait une audience pour décider s’il y avait lieu d’accorder une réparation et, dans l’affirmative, pour déterminer cette réparation.

[7]        EACL a introduit devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’arbitre avait conclu que le congédiement de l’appelant était injuste. Après avoir analysé attentivement la situation, l’arbitre a alors décidé d’ajourner l’audience relative aux réparations jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été rendue sur le contrôle judiciaire.

[8]        Devant la Cour fédérale, l’appelant soutenait que la demande de contrôle judiciaire était prématurée. Il alléguait également que la décision rendue par l’arbitre sur le fond — en l’occurrence que, selon les principes d’interprétation des lois, le Code ne permet que les congédiements justifiés — était raisonnable.

[9]        La Cour fédérale a rejeté l’objection relative au caractère prématuré de la demande. Sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale a conclu que la décision rendue par l’arbitre au sujet de l’interprétation des lois était déraisonnable. La Cour fédérale a annulé la décision de l’arbitre et renvoyé l’affaire à l’arbitre pour qu’il rende une nouvelle décision.

[10]      Devant notre Cour, l’appelant interjette appel tant sur la question du caractère prématuré de la demande que sur celle du caractère raisonnable de la décision de l’arbitre.

[11]      Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

A.        Les faits essentiels

[12]      L’appelant a travaillé pour EACL durant quatre ans et demi, d’abord comme acheteur principal/administrateur des commandes, puis, à la suite de plusieurs promotions, comme surveillant des approvisionnements, outillage, le dernier poste qu’il a occupé, un poste qui n’était pas un poste de direction au sens du paragraphe 167(3) du Code. Le 16 novembre 2009, EACL a mis fin à son emploi sans motif.

[13]      EACL a offert à l’appelant une indemnité de départ équivalant en gros à six mois de salaire en contrepartie d’une quittance totale et définitive. Si son indemnité de départ avait été calculée conformément aux exigences légales minimales en matière de préavis ou d’indemnité de départ prévues aux articles 230 et 235 du Code, l’appelant n’aurait eu droit qu’à dix-huit jours de salaire.

[14]      L’appelant n’a pas signé la quittance. Il a plutôt porté plainte en vertu de la partie III [articles 166 à 267] du Code. Il alléguait qu’il avait été « congédié injustement » au sens du paragraphe 240(1) du Code. En particulier, il alléguait qu’il avait été congédié parce qu’il s’était plaint des mauvaises pratiques d’EACL en matière d’approvisionnements.

[15]      À la demande de son avocat, l’appelant est resté sur la liste de paye d’EACL pendant environ six mois et a continué à bénéficier des programmes d’avantages sociaux des employés d’EACL. Il a fini par obtenir le montant intégral de l’indemnité de départ qu’EACL lui avait d’abord offert.

[16]      Un arbitre a été nommé pour entendre la plainte de l’appelant en vertu du Code. Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, une initiative dont on ne peut que les féliciter.

[17]      Dans leur exposé conjoint des faits, les parties ont soulevé deux « questions préliminaires » : tout d’abord celle de savoir si, selon les principes d’interprétation des lois, EACL pouvait légalement mettre fin à l’emploi de l’appelant « sans motif » et, dans l’affirmative, si l’indemnité de départ versée faisait de son congédiement un « congédiement justifié ». Les parties ont donné pour instructions à l’arbitre de ne trancher ces questions qu’à la lumière des faits contenus dans leur exposé conjoint. Elles avaient convenu que ce n’était qu’après que l’arbitre aurait tranché ces « questions préliminaires » qu’il pourrait aborder l’allégation de l’appelant selon laquelle il avait été victime de mesures de représailles.

[18]      Devant l’arbitre, l’appelant a soutenu que, selon les principes d’interprétation des lois, EACL ne pouvait le congédier sans motif, lui verser une indemnité de départ et faire rejeter la plainte. L’arbitre a donné raison à l’appelant dans de brefs motifs que nous exposerons en détail plus loin.

[19]      Après avoir tranché le premier volet de l’affaire, l’arbitre a estimé que la seule question qu’il lui restait à examiner était celle de la réparation et il a décidé d’ajourner l’affaire avant de tenir une audience sur cette question [dans [2012] C.L.A.D. no 234 (QL), au paragraphe 6] :

[traduction] Les parties ne m’ont pas demandé de statuer sur la plainte pour le cas où je répondrais comme je l’ai fait, mais il est clair que, vu ma réponse, la plainte devrait être admise : M. Wilson s’est plaint d’un congédiement injuste, et E.A.C.L. a dit n’invoquer aucune raison pour justifier le renvoi. Les parties feraient donc sans doute bien de se concerter sur les recours qui s’offrent maintenant à M. Wilson. À défaut, elles pourront communiquer avec moi pour une audience et une décision sur la question.

[20]      Face à une décision sur la question de la responsabilité et à une longue pause avant que ne soit tranchée la question de la réparation, EACL a décidé de saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire dans laquelle elle alléguait que la décision de l’arbitre, qui portait sur l’interprétation des lois, était déraisonnable. En réponse, l’appelant a soutenu que la demande de contrôle judiciaire d’EACL devait être rejetée en raison de son caractère prématuré et qu’en tout état de cause, l’arbitre avait correctement interprété le Code en estimant qu’il empêchait EACL de congédier l’appelant sans motif.

[21]      Il n’était pas interdit à l’arbitre d’agir pendant le contrôle judiciaire. Il aurait pu examiner la question de la réparation pendant le contrôle judiciaire, mais, après avoir consulté les parties, il a choisi de s’en abstenir.

[22]      La Cour fédérale a rejeté l’objection soulevée par l’appelant au sujet du caractère prématuré. Sur le fond de la demande de contrôle judiciaire, la Cour s’est dite en désaccord avec l’arbitre sur la question de l’interprétation des lois et elle a annulé la décision de l’arbitre au motif qu’elle était déraisonnable. M. Wilson interjette appel sur les deux questions.

[23]      Je débuterai mon analyse par l’examen de l’objection fondée sur le caractère prématuré.

B.        Caractère prématuré

[24]      La Cour fédérale a appliqué les principes énoncés par notre Cour dans l’arrêt C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332, qu’elle a appliqués aux faits de la demande de contrôle judiciaire dont elle était saisie, et elle a rejeté l’objection fondée sur le caractère prématuré. L’appelant interjette appel de ce rejet.

[25]      À ce propos, il convient de signaler que nous sommes chargés d’examiner une décision qui a été rendue, non pas par l’arbitre, mais par la Cour fédérale et qui a trait à la question de savoir si une objection préliminaire portant sur le caractère prématuré s’applique à une demande de contrôle judiciaire introduite devant la Cour fédérale. Par conséquent, sur cette question, la norme de contrôle applicable est la norme de contrôle en matière d’appel et non celle qui s’applique en cas de contrôle judiciaire de décisions administratives. C’est l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 qui s’applique, et non l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47.

[26]      Selon la norme de contrôle en matière d’appel énoncée dans l’arrêt Housen, précité, nous devons examiner les questions juridiques isolables selon la norme de la décision correcte. Pour toutes les autres questions, la Cour n’intervient que si une erreur manifeste et dominante a été commise.

[27]      Appliquant la norme de contrôle en matière d’appel, je conclus qu’il n’y a pas lieu de modifier la façon dont la Cour fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire pour déterminer la norme de contrôle applicable.

[28]      En premier lieu, la Cour fédérale a estimé à bon droit que l’arrêt C.B. Powell, précité, était l’arrêt de principe applicable. Elle a ensuite résumé avec exactitude les principes énoncés dans cet arrêt.

[29]      Dans l’arrêt C.B. Powell, précité, notre Cour a confirmé le principe général suivant lequel une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif. Ce principe général est désigné sous diverses appellations : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, le principe interdisant le fractionnement des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire prématuré. Voici le raisonnement à la base de ce principe général (C.P. Powell, précité, au paragraphe 32) :

[Grâce à ce principe général], [o]n évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l’auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d’obtenir gain de cause au terme du processus administratif […] De plus, ce n’est qu’à la fin du processus administratif que la cour de révision aura en mains toutes les conclusions du décideur administratif. Or, ces conclusions se caractérisent souvent par le recours à des connaissances spécialisées, par des décisions de principe légitimes et par une précieuse expérience en matière réglementaire […] Enfin, cette façon de voir s’accorde avec le concept du respect des tribunaux judiciaires envers les décideurs administratifs qui, au même titre que les juges, doivent s’acquitter de certaines responsabilités décisionnelles […] [Références omises.]

[30]      Ce raisonnement s’appuie sur ce qu’un auteur appelle [traduction] « les valeurs du droit public », des principes qui sont immanents dans le droit administratif et qui ressortent constamment de la jurisprudence, surtout lorsque les juridictions de révision expliquent comment elles ont exercé leur pouvoir discrétionnaire (professeur Paul Daly, « Administrative Law : A Values-Based Approach » dans Mark Elliott et Jason Varuhas, dir., Process and Substance in Public Law Adjudication (à venir, Hart : Oxford, 2015), consultable en ligne : http ://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2460264, voir également Peter Cane, « Theory and Values in Public Law » dans Paul Craig et Richard Rawlings, dir., Law and Administration in Europe : Essays for Carol Harlow (Oxford : Oxford University Press, 2003)). Parmi ces valeurs, mentionnons le principe de la primauté du droit, les principes de la saine administration (y compris la réglementation et la prise de décisions appropriées, équitables, pragmatiques, efficaces et efficientes en matière administrative), le principe démocratique (et notamment la suprématie du Parlement) et la séparation des pouvoirs. Pour des exemples de pouvoirs discrétionnaires façonnés par des valeurs du droit public comme celles que nous venons d’évoquer, voir les arrêts D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, aux paragraphes 16 à 21; Comité de la bande indienne d’Adams Lake c. Bande indienne d’Adams Lake, 2011 CAF 37, aux paragraphes 33 à 37; et Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 52.

[31]      Le principe général interdisant les contrôles judiciaires prématurés incarne au moins deux valeurs du droit public. La première est celle de la saine administration : elle vise à encourager les économies de coûts, l’efficacité et la célérité et à permettre que les compétences et les connaissances spécialisées des tribunaux administratifs soient pleinement mises à profit pour résoudre un problème avant que les juridictions de révision n’interviennent. La seconde est la démocratie : les législateurs élus ont confié à des arbitres et non à des juges la responsabilité première de rendre des décisions.

[32]      L’importance de ces valeurs du droit public explique la puissance et l’omniprésence du principe général interdisant les contrôles judiciaires prématurés. D’ailleurs, lorsque les conditions appropriées sont réunies, ce principe général peut servir de fondement à une requête préliminaire en radiation (JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, au paragraphe 66 (ouverture à une requête en radiation), aux paragraphes 51 à 53 (principe général d’inadmissibilité en preuve des affidavits à l’appui), et aux paragraphes 82 à 89 (analyse du caractère prématuré dans le cadre des requêtes en radiation). Ces requêtes servent à tuer dans l’œuf les demandes de contrôle judiciaire prématurées qui portent atteinte à ces valeurs.

[33]      En raison de la puissance et l’omniprésence du principe général interdisant les demandes de contrôle judiciaire prématurées et de la nécessité de décourager les incursions prématurées devant juridictions de révision, les exceptions à ce principe général sont rares et les tribunaux admettent volontiers les requêtes préliminaires en radiation. Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt C.B. Powell, précité, les exceptions reconnues à ce principe tiennent compte des faits particuliers constatés dans les décisions d’espèce. Il arrive, dans de rares cas, que les valeurs issues du droit public ne ressortent pas clairement des circonstances particulières d’une affaire ou que ces valeurs soient neutralisées par des valeurs concurrentes, ou les deux. Par exemple, dans de rares situations, les conséquences d’une décision interlocutoire pour le demandeur sont à ce point immédiates et radicales que le tribunal est amené à s’interroger sur le respect du principe de la primauté du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 27 à 30). En pareil cas — où il y a souvent ouverture à un bref de prohibition —, les valeurs sous-jacentes au principe général interdisant le contrôle judiciaire prématuré perdent de leur importance.

[34]      En l’espèce, la Cour fédérale a tenu dûment compte des principes applicables et a reconnu que le demandeur devait satisfaire à un critère très exigeant. Elle a ensuite appliqué ces principes de droit aux circonstances particulières portées à sa connaissance. Il s’agit d’un processus qui se caractérise par une appréciation des faits et par l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire axé sur les faits, de sorte que notre Cour ne peut intervenir qu’en cas d’erreur manifeste et dominante (Housen, précité, aux paragraphes 26 à 37). Or, en l’espèce, aucune erreur manifeste et dominante n’a été commise.

[35]      En réalité, à la lumière de l’analyse susmentionnée des principes à la base de l’arrêt C.B. Powell, précité, il y a plusieurs aspects du jugement de la Cour fédérale qui méritent d’être salués.

[36]      Il arrive parfois que les décideurs administratifs, à l’instar des tribunaux judiciaires, dissocient l’examen du fond de l’affaire de celui de la réparation. Ce type de fractionnement, qui survient naturellement à un moment d’arrêt entre deux phases distinctes de l’instance, engendre peu fréquemment le type de difficultés signalées dans l’affaire C.B. Powell, précitée, contrairement à ce qui se produit lorsque ce fractionnement se produit au beau milieu de l’audience sur le fond. Ainsi qu’il ressort à l’évidence des courriels de l’arbitre versés au dossier qui nous a été présenté, l’arbitre a considéré que ce fractionnement était naturel et pratique. Il est également significatif que l’appelant ne se soit pas opposé à cette mesure et qu’il n’ait pas formulé d’observations contraires devant l’arbitre.

[37]      Ainsi que la Cour fédérale l’a fait observer à juste titre, la présente espèce est fort différente de l’affaire C.B. Powell, précitée, dans laquelle le décideur administratif avait suspendu l’audience en plein milieu de la phase de l’instance consacrée à l’examen du fond pour en détacher une soi-disant question de compétence en vue d’un contrôle judiciaire, alors qu’il s’agissait en réalité d’une question d’interprétation des lois qu’il aurait dû trancher lui-même. Sa décision allait à l’encontre de la raison d’être de la règle interdisant le caractère prématuré et sa décision avait forcé les parties à faire un détour par les tribunaux, ce qui leur avait nui. Il s’agissait d’un choix procédural qui ne pouvait être respecté.

[38]      Compte tenu des circonstances inusitées de la présente affaire, les décisions de l’arbitre de suspendre l’audience et de ne plus intervenir tant que le contrôle judiciaire était en cours constituait un choix procédural qui reposait sur une analyse des faits et des principes applicables et qui mérite le respect. Il ne s’agit pas d’un choix dont l’exercice serait encadré par des principes juridiques fondamentaux bien établis (voir, de façon générale, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 27; Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75, aux paragraphes 70 à 73). Il ne s’agit pas d’un cas comme l’affaire C.B. Powell, précitée, dans laquelle le choix procédural était intrinsèquement erroné ou était circonscrit par des principes de droit. L’arbitre avait de nombreuses raisons défendables tant en fait qu’en principe d’agir comme il l’a fait.

[39]      Comme le laissent voir les motifs de l’arbitre, celui-ci était bien conscient de la question juridique qui nous est soumise, une question qui perdure depuis de nombreuses années et qui a divisé les arbitres en deux écoles de pensée. Il se peut qu’en ajournant l’audience et en s’abstenant d’intervenir, l’arbitre, un participant compétent et expérimenté de ce secteur réglementé, ait estimé que, même s’il risquait de retarder le dénouement de la présente affaire, le contrôle judiciaire aurait le mérite de régler une fois pour toutes cette persistante question de droit. Compte tenu des circonstances inusitées de la présente affaire, le présent contrôle judiciaire n’est pas très différent du renvoi d’une question de droit à la Cour fédérale en vertu de l’article 18.3 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[40]      La discussion qui précède le démontre que les raisons qui sous-tendent le principe général interdisant le contrôle judiciaire prématuré ne ressortent pas clairement en l’espèce. En fait, ces raisons militent en faveur du contrôle judiciaire dans le cas qui nous occupe.

[41]      J’estime donc qu’il n’y a aucune raison d’annuler la décision de la Cour fédérale de rejeter l’objection fondée sur le caractère prématuré. La Cour fédérale avait le droit d’examiner le bien-fondé du contrôle judiciaire et la question centrale qu’il posait, en l’occurrence celle de savoir si la partie III du Code canadien du travail permet les congédiements sans motif.

C.        Norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre

[42]      S’agissant de ce volet de l’appel, nous sommes appelés à examiner le contrôle, par la Cour fédérale, de la décision de l’arbitre et non le contrôle, par la Cour fédérale, de sa propre décision initiale. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle qui est énoncée dans l’arrêt Agraira, précité, au paragraphe 47. Nous devons déterminer si la Cour fédérale a arrêté la bonne norme de contrôle, pour ensuite nous assurer qu’elle a bien appliqué cette norme.

[43]      Les parties sont d’accord pour dire que la Cour fédérale a retenu à bon droit la norme de contrôle de la décision raisonnable, en se demandant donc si la décision de l’arbitre appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Toutefois, le choix de la norme de contrôle est une question de droit, de sorte que nous ne sommes pas liés par le choix consensuel des parties à ce propos (Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54, [2004] 3 R.C.S. 152).

[44]      La question juridique centrale soumise à l’arbitre, à la Cour fédérale et à notre Cour est une question d’interprétation des lois. Il s’agit de savoir si la partie III du Code canadien du travail permet les congédiements sans motif.

[45]      L’arbitre a répondu par la négative à cette question. Il a jugé que, selon les principes d’interprétation des lois, le Code ne permet que les congédiements motivés. Il s’est estimé lié par la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Redlon Agencies Ltd. c. Norgren, 2005 CF 804.

[46]      Normalement, l’interprétation qu’un arbitre fait d’une disposition d’une loi du travail est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654). La présente affaire est toutefois inusitée. Depuis longtemps, les arbitres nommés en vertu du Code ne s’entendent pas sur la question de savoir si la partie III du Code canadien du travail permet ou non de congédier un employé sans motif.

[47]      Certains estiment, comme l’arbitre et l’appelant en l’espèce, que le Code ne permet pas de congédier un employé sans motif (voir, par ex., Re Roberts and the Bank of Nova Scotia (1979), 1 L.A.C. (3d) 259; Champagne v. Atomic Energy of Canada Limited, 2012 CanLII 97650 (L.A.); Iron v. Kanaweyimik Child and Family Services Inc., [2002] C.L.A.D. no 517 (QL); Lockwood v. B & D Walter Trucking Ltd., [2010] C.L.A.D. no 172 (QL); Stack Valley Freight Ltd. v. Moore, [2007] C.L.A.D. no 191 (QL); Morriston v. Gitanmaax Band, [2011] C.L.A.D. no 23 (QL); Innis Christie, et al. Employment Law in Canada, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1993), à la page 669; David Harris, Wrongful Dismissal, édition à feuilles mobiles (Toronto : Carswell, 1990), aux pages 6.7 à 6.9).

[48]      D’autres estiment au contraire que le Code permet les congédiements sans motif (voir, par ex., Knopp v. Western Bulk Transport Ltd., [1994] C.L.A.D. no 172 (QL); Chalifoux v. Driftpile First Nation – Driftpile River Band No. 450, [2000] C.L.A.D. no 368 (QL), conf. pour d’autres motifs par 2001 CFPI 785, conf. par 2002 CAF 521; Jalbert and Westcan Bulk Transport Ltd., [1996] C.L.A.D. no 631 (QL); Prosper v. PADC Management Co., [2010] C.L.A.D. no 430 (QL); Halkowich and Fairford First Nation, [1998] C.L.A.D. no 486 (QL); Daniels v. Whitecap Dakota First Nation, [2008] C.L.A.D. no 135 (QL); Klein v. Royal Canadian Mint, [2012] C.L.A.D. no 358 (QL); Paul v. The National Centre For First Nations Governance, 2012 CanLII 85154 (S.A.); Gordon Simmons, « Unjust Dismissal of the Unorganized Workers in Canada » (1984), 20 Stan J. Int’l Law 473, aux pages 496 et 497).

[49]      Dans ces conditions, quelle est la norme de contrôle applicable?

[50]      L’arrêt Dunsmuir, précité, répond à cette question de deux manières : la première par un concept, la seconde par une présomption.

[51]      Au niveau conceptuel, la Cour suprême a relevé, dans l’arrêt Dunsmuir, deux principes qui sous-tendent les règles de notre droit en matière de contrôle judiciaire, des principes qui sont en tension l’un avec l’autre (aux paragraphes 27 à 31). Il y a tout d’abord le principe constitutionnel de la suprématie du Parlement. À défaut de contestation constitutionnelle, les tribunaux sont liés par les lois fédérales, y compris celles qui confèrent des pouvoirs exclusifs sur un certain type de décision à des décideurs administratifs. En second lieu, il y a le principe constitutionnel de la primauté du droit. Dans certaines circonstances, les tribunaux judiciaires doivent intervenir même s’il existe une disposition législative leur interdisant de le faire (Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220).

[52]      Dans le cas qui nous occupe, il est vrai que le législateur a, en vertu du Code, conféré aux arbitres le pouvoir de trancher des questions d’interprétation législative comme celle qui nous occupe. Toutefois, s’agissant de la question d’interprétation législative qui nous a été soumise, l’état actuel de la jurisprudence arbitral se caractérise par un désaccord persistant. Les arbitres de la première école de pensée ne s’estiment pas liés par les décisions de leurs collègues de l’autre école de pensée. Par conséquent, depuis un certain temps, la réponse à la question de savoir si le Code permet les congédiements sans motif dépend de l’identité de l’arbitre. Si l’affaire est jugée par un arbitre, une interprétation sera appliquée; si elle est confiée à un autre, c’est l’interprétation contraire qui prévaudra. Or, selon le principe de la primauté du droit, le sens d’une loi ne devrait pas varier selon l’identité du décideur (Taub v. Investment Dealers Assn. of Canada, 2009 ONCA 628, 98 R.J.O. (3e) 169, au paragraphe 67).

[53]      Dans le cas de certains tribunaux administratifs siégeant en formations collégiales, une formation peut légitimement être en désaccord avec une autre sur une question d’interprétation législative. Avec le temps, on peut s’attendre à ce que les formations collégiales qui divergent d’opinions règlent leur désaccord au fur et à mesure que la jurisprudence sera élaborée ou par le biais du type de discussions internes qui a été approuvé dans l’arrêt CITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282. Il se peut qu’à tout le moins aux étapes initiales de la controverse, dès lors qu’aucune autre considération n’entre en ligne de compte, les préoccupations relatives à la primauté du droit ne prédominent pas, de sorte que les juridictions de révision devraient s’abstenir d’intervenir et permettre aux tribunaux administratifs d’élaborer leur propre jurisprudence, conformément à la volonté du législateur.

[54]      Toutefois, en l’espèce, il ne s’agit pas d’une controverse initiale portant sur une question d’interprétation législative au niveau administratif. Il s’agit plutôt d’une mésentente qui persiste depuis de nombreuses années. De plus, parce qu’aucun arbitre n’est lié par les décisions d’un autre arbitre et que les arbitres exercent leurs fonctions de façon indépendante et non dans le cadre d’une institution comme un tribunal administratif, rien ne laisse présager que la divergence jurisprudentielle disparaîtra un jour. Tout porte à croire que, comme ils agissent individuellement, les arbitres continueront à être en désaccord sur ce point, peut-être pour toujours.

[55]      Par conséquent, au niveau conceptuel, les préoccupations relatives au respect de la primauté du droit l’emportent en l’espèce et justifient l’intervention de notre Cour pour mettre fin à la controverse et pour régler ce point de droit une fois pour toutes. Il nous faut intervenir pour trancher la question.

[56]      L’arrêt Dunsmuir envisageait précisément cette situation et prévoyait l’application d’une présomption en pareil cas. Ainsi, lorsqu’une question de droit « revêt “une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise” » du décideur administratif, il y a lieu de présumer que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (au paragraphe 55). Les questions qui revêtent une importance capitale pour le système juridique sont celles qui ont des « répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble » et qui, pour cette raison, doivent être « tranchées de manière uniforme et cohérente » (au paragraphe 60). En d’autres termes, pour certaines questions et pour certaines questions dans des circonstances inusitées, les préoccupations exprimées au sujet du respect de la règle de la primauté du droit l’emportent. En pareil cas, le tribunal doit trancher la question en proposant ce qu’il estime être la bonne réponse.

[57]      Dans le cas qui nous occupe, l’expertise spéciale des arbitres n’a pas permis d’obtenir une réponse ayant recueilli l’adhésion générale en ce qui concerne la question d’interprétation législative qui nous est soumise. De plus, en raison de la divergence qui persiste — et que les arbitres n’arrivent pas à résoudre entre eux —, il s’ensuit que, dans le cas qui nous occupe, ce sont les préoccupations exprimées au sujet du respect de la règle de la primauté du droit qui prédominent. J’estime donc que la norme de contrôle qui s’applique à cette question d’interprétation des lois est celle de la décision correcte.

[58]      Même si la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable, comme nous le verrons, la question d’interprétation législative qui nous est soumise suppose relativement peu de connaissances spécialisées dans le domaine du travail au-delà des connaissances habituelles dont disposent les tribunaux judiciaires lorsqu’ils interprètent une disposition législative. Par conséquent, si nous devions procéder à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable en l’espèce, nous considérerions que la capacité de l’arbitre d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions est limitée (voir, par ex., Da Huang c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 228, [2015] 4 R.C.F. 438, et Abraham c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 266). En dernière analyse, l’issue du présent appel serait la même, peu importe que nous procédions au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable ou selon celle de la décision correcte.

D.        Le bien-fondé de la question de l’interprétation législative

[59]      Procédant au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable et estimant selon toute vraisemblance que l’arbitre n’avait qu’une capacité limitée d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions, la Cour fédérale a conclu que l’arbitre avait mal interprété la décision Redlon, précitée, de la Cour fédérale. Examinant la décision Redlon et d’autres précédents et retraçant l’origine des dispositions du Code régissant les congédiements, et plus précisément les articles 230, 235, 240 et 242, la Cour fédérale a conclu que le Code permettait effectivement les congédiements sans motif.

[60]      Dans ces conditions, la Cour fédérale a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un autre arbitre. Elle a plutôt renvoyé l’affaire à l’arbitre pour qu’il détermine si les conditions du congédiement de l’appelant étaient justes (paragraphes 28 à 41 des motifs de la Cour fédérale).

[61]      Je souscris au résultat auquel la Cour fédérale est parvenue et, à une réserve près, sur laquelle je reviendrai plus loin, je souscris également à son raisonnement. Toutefois, compte tenu des divergences qui persistent dans la jurisprudence arbitrale, je tiens à offrir une analyse complémentaire.

[62]      À l’instar de la Cour fédérale et des décisions arbitrales mentionnées au paragraphe 48, je conclus qu’un congédiement non motivé ne constitue pas automatiquement un congédiement « injuste » au sens de la partie III du Code. L’arbitre doit examiner les circonstances de chaque cas pour déterminer si le congédiement était « injuste ».

[63]      Pour tirer cette conclusion, il est essentiel de tenir compte des rapports entre les éléments suivants :

•      La common law en matière d’emploi. En common law, un employeur peut congédier un employé non syndiqué sans motif, mais il est tenu de lui donner un préavis raisonnable ou de lui verser une indemnité en tenant lieu. En d’autres termes, l’employé congédié sans motif qui a reçu un préavis raisonnable n’est pas congédié injustement. Suivant une jurisprudence plus récente, selon la nature du congédiement, l’employé peut également avoir droit à d’autres dommages-intérêts (Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, [2008] 2 R.C.S. 362; Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701).

•      La partie III du Code. Le législateur a prévu, dans cette partie du Code, un mécanisme de traitement des plaintes, ainsi que des réparations pour les congédiements « injustes ». Le paragraphe 242(3) du Code permet à un arbitre de « décide[r] si le congédiement était injuste ». Le Code ne définit pas le terme « injuste ».

[64]      La partie III du Code a-t-elle pour effet d’écarter les règles de common law en matière d’emploi susmentionnées? Ou tient-elle pour acquis cet aspect de la common law en le complétant et en le développant?

[65]      Le législateur est présumé ne pas s’écarter de la common law existante (Rawluk c. Rawluk, [1990] 1 R.C.S. 70). La common law ne peut être écartée que par un libellé clair explicite ou par déduction nécessaire. Il y déduction nécessaire lorsque, par exemple, le législateur a prévu une disposition qui entre en conflit avec une règle de common law, de sorte que toute coexistence entre les deux est impossible. La common law n’est écartée que si le législateur a exprimé [traduction] « de façon incontestablement claire son intention de le faire » (Goodyear Tire and Rubber Company of Canada Limited v. The T. Eaton Company Limited and Others, [1956] R.C.S. 610, à la page 614).

[66]      La Cour suprême a appliqué les arrêts Rawluk et Goodyear Tire dans l’arrêt Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298, une affaire qui concernait le devoir de juste représentation prévu par le Code. La Cour a conclu que, même si la Loi n’écartait pas expressément le devoir de juste représentation en common law, elle le faisait par déduction nécessaire ou, selon les mots de l’arrêt Goodyear Tire (cités par le juge Cory dans l’arrêt Rawluk) « de façon incontestablement claire ».

[67]      L’affaire qui nous est soumise est très différente de l’affaire Gendron. Dans le cas qui nous occupe, on ne peut invoquer un texte législatif ou une déduction nécessaire — une « expression incontestablement claire » — pour écarter les aspects susmentionnés des règles de la common law en matière d’emploi. Par exemple, le Code ne contient pas de libellé explicite qui empêcherait un employeur de congédier un employé à défaut d’inconduite. Le Code a été adopté en tenant compte de la common law et il ne l’écarte pas explicitement.

[68]      D’ailleurs, à certains égards, le Code semble laisser intacts certains aspects de la common law en matière d’emploi. À l’article 246, le Code reconnaît l’existence des réparations reconnues en common law en cas de congédiement injuste, encourageant les arbitres à s’inspirer de la jurisprudence générale du travail pour résoudre les litiges qui leur sont soumis, à moins qu’ils ne soient expressément exclus par le Code. De plus, l’article 168 protège les dispositions contractuelles plus favorables dont jouit l’employé indépendamment du Code.

[69]      L’appelant affirme, citant l’auteur Innis Christie et al., précité, aux pages 669 et 712, que [traduction] « les employés non syndiqués de compétence fédérale ne peuvent être congédiés sans motif valable », tout comme les employés syndiqués, et que le Code [traduction] « confère le droit à un poste et non simplement le droit à un préavis raisonnable comme celui que reconnaît la common law ».

[70]      Mais on ne trouve toutefois rien dans le Code ou dans l’esprit du Code qui permette de penser que le législateur reconnaît aux employés non syndiqués le « droit à un poste » ou qu’il cherche à mettre les employés syndiqués et les employés non syndiqués sur le même pied, c’est-à-dire à les protéger d’un congédiement sans motif. Au contraire, les paragraphes 230(1) et 235(1) permettent expressément à l’employeur de mettre fin à la relation d’emploi, même sans motif, obligeant alors l’employeur à donner un préavis ou une indemnité.

[71]      Si le législateur avait l’intention de restreindre le droit de l’employeur de mettre fin à la relation d’emploi aux seules situations où il existe un motif valable, il aurait pu le dire de façon tout à fait explicite. Après tout, avant que le législateur n’adopte les dispositions qui nous intéressent, c’est précisément ce qu’a fait l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse. Elle a modifié sa législation du travail pour prévoir qu’un [traduction] « employeur ne peut congédier un employé sans motif valable » (An Act to Amend Chapter 10 of the Acts of 1972, the Labour Standards Code, S.N.S. 1975, ch. 50, article 4). De plus, nous disposons d’éléments de preuve tendant à démontrer que le législateur fédéral était au courant de la mesure législative prise par la Nouvelle-Écosse lorsqu’il a examiné la possibilité d’adopter les dispositions législatives qui nous intéressent (Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent du Travail, de la Main-d’œuvre et de l’Immigration (concernant le projet de loi C-8, Loi modifiant le Code canadien du travail) (Chambre des communes, 30e lég., 3e sess., fascicule no 1 (9 février 1978), à la page 1 :18). Le législateur fédéral a toutefois renoncé à adopter la formulation « incontestablement claire » retenue par l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse.

[72]      À l’appui de sa thèse, l’appelant signale également les pouvoirs conférés aux arbitres par les alinéas 242(4)b) et 242(4)c) du Code, qui leur permettent de réintégrer dans son poste l’employé congédié et d’enjoindre à l’employeur « de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier ». Aucune de ces réparations n’existe en common law. Toutefois, ces réparations sont considérées, non pas comme une preuve d’un changement radical apporté à la définition du concept de congédiement injuste, mais bien plus comme de nouvelles réparations offertes par la Loi en sus des réparations traditionnelles de la common law, des réparations que le législateur a jugé bon d’accorder.

[73]      Comme nous l’avons déjà expliqué, à défaut de libellé écartant explicitement la common law, la question qui se pose est celle de savoir si la disposition prévue à l’alinéa 242(4)b) peut coexister avec la common law. En l’espèce, cette coexistence est possible.

[74]      Il découle de ce qui précède que je suis d’accord pour l’essentiel avec les propos tenus par l’arbitre Wakeling dans la décision Knopp, précitée, au paragraphe 77 :

[traduction] En conclusion, les sections X, XI et XIV de la partie III du Code canadien du travail n’écartent pas les principes de common law régissant la cessation de la relation d’emploi. Si le législateur avait eu l’intention d’instaurer un ordre juridique radicalement différent dans lequel les principes de common law n’auraient joué aucun rôle, il l’aurait dit de façon explicite. En édictant la section XIV de la partie III du Code, le législateur a créé une autre enceinte que les tribunaux pour connaître des plaintes de congédiement injuste et il a accordé aux arbitres nommés en vertu du Code des pouvoirs de réparation que la common law ne confère pas aux juges.

[75]      Abstraction faite de l’analyse précédente du texte et du contexte de la partie III du Code, je dois tenir compte de l’objet de ces dispositions du Code (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559). L’appelant exhorte à juste titre notre Cour à le faire.

[76]      Il ressort à l’évidence de l’analyse qui précède que le législateur visait largement à ce que la partie III du Code offre aux employés un plus grand nombre de réparations que celles qui existent en common law.

[77]      Dans son ouvrage, le professeur Christie exprime son désaccord. Il affirme que [traduction] « cet article a pour objet d’offrir aux employés non syndiqués essentiellement les mêmes protections contre le congédiement injuste que celles dont bénéficient les employés syndiqués en vertu d’une convention collective » (Innis Christie et al., précité, à la page 669).

[78]      Il avance deux raisons pour expliquer cette situation. En premier lieu, il fait observer que la disposition en question [traduction] « vise à définir des normes en matière de “motif” qui sont davantage conformes aux pratiques actuelles des relations industrielles qu’avec la jurisprudence désuète de la common law » (aux pages 669 et 670). En second lieu, il signale les vastes réparations prévues aux alinéas 242(4)b) et 242(4)c) (à la page 670). Ces deux raisons sont peut-être vraies, mais, logiquement, elles ne nous permettent pas de conclure que le législateur souhaitait placer les employés non syndiqués dans la même situation que les employés syndiqués.

[79]      Bon nombre des auteurs et des arbitres qui ont abordé la question qui nous est soumise affirment à juste titre que cette partie du Code vise un objectif réformateur. Il est par ailleurs bien connu en droit que, pour interpréter des dispositions législatives, il faut tenir compte de l’objectif visé par le législateur. Le fait d’avoir découvert un objectif réformateur ne met pas un terme à notre analyse; il ne fait qu’amorcer cette analyse. Quelle réforme le législateur entendait-il précisément faire? Pour analyser cette question, il ne nous est pas loisible de faire intervenir nos vues personnelles sur ce qui aurait été souhaitable ou de proposer un objectif réformateur comme justification pour retenir l’interprétation la plus large possible. Comme toujours, notre travail consiste plutôt à analyser, à discerner et à appliquer le sens réel du texte effectivement adopté par le législateur, et rien d’autre.

[80]      L’appelant invoque la jurisprudence arbitrale citée au paragraphe 47 à l’appui de sa thèse. Cette jurisprudence mérite une analyse attentive, étant donné qu’elle représente l’opinion réfléchie d’arbitres dans ce domaine spécialisé où ils sont appelés à interpréter leur loi habilitante, une jurisprudence à l’égard de laquelle notre Cour n’intervient normalement qu’en appliquant une norme de contrôle qui appelle la déférence. Toutefois, ainsi que je vais le démontrer, une grande partie de la jurisprudence qui appuie la thèse de l’appelant souffre de certaines lacunes. Le raisonnement suivi dans la jurisprudence des arbitres (citée au paragraphe 48, précitée), à l’appui de la position d’EACL constitue une bonne réponse.

[81]      Une grande partie de la jurisprudence qui appuie la thèse défendue par l’appelant s’appuie directement ou indirectement sur l’extrait du texte du professeur Christie reproduit au paragraphe 77, un extrait qui, comme je l’ai expliqué au paragraphe 78, précité, ne repose ni sur des précédents ni sur la logique.

[82]      Une grande partie de la jurisprudence arbitrale citée par l’appelant préconise également une position favorable à la thèse de l’appelant sans toutefois fournir d’explications, une tendance par ailleurs constatée par l’arbitre dans la décision Chalifoux, précitée, au paragraphe 16. Les opinions des décideurs administratifs, même dans les domaines spécialisés comme celui-ci, ont peu de chances d’être respectées par les juridictions de révision si elles ne sont pas accompagnées d’explications raisonnées.

[83]      Une grande partie de la jurisprudence arbitrale citée par l’appelant découle d’une décision ancienne qui, à y regarder de près, ne renforce pas beaucoup le point de vue de l’appelant, en l’occurrence la décision Bank of Nova Scotia, précitée. Dans la décision Bank of Nova Scotia, l’arbitre a fait observer qu’en employant le mot « injuste » pour qualifier le terme « congédiement » dans ce qui correspond à l’actuel paragraphe 240(1), le législateur visait quelque chose de plus large que la norme de common law de [traduction] « motif » (à la page 264). Mais l’arbitre s’est empressé de conclure que le congédiement « injuste » au sens du Code évoquait le concept de congédiement « justifié » que l’on trouve dans les conventions collectives. « Injuste » est un terme générique que l’on retrouve dans une foule de lois. Il est tout à fait exagéré de présumer que parce qu’il employait le mot « injuste », le législateur entendait mettre les employés syndiqués et les employés non syndiqués sur un pied d’égalité en matière de congédiement. À y regarder de près, on constate que, même l’arbitre dans la décision Bank of Nova Scotia, a refusé de se compromettre sur la question, se contentant de concéder que le terme « injuste » pouvait également prendre son sens à partir [traduction] « d’une foule d’autres considérations importantes », au sujet desquelles [traduction] « la loi est muette » (à la page 265).

[84]      Une grande partie de la jurisprudence arbitrale citée par l’appelant adhère à l’opinion des auteurs de doctrine suivant laquelle les dispositions pertinentes du Code reprennent la Recommandation sur la cessation de la relation de travail, 1963, de l’Organisation internationale du Travail [OIT], une recommandation qui appuierait la thèse de l’appelant (OIT, Compte rendu des délibérations (47e session). Cette opinion est toutefois également entachée de lacunes. La recommandation de l’OIT n’obligeait pas le Canada à adopter des lois conformes et l’on peut s’interroger sérieusement sur la question de savoir si la recommandation de l’OIT appuie véritablement la position de l’appelant (Chalifoux, précité, aux paragraphes 21 à 56).

[85]      Enfin, une grande partie de la jurisprudence arbitrale citée par l’appelant invoque le principe d’interprétation suivant lequel les lois qui confèrent des avantages doivent être interprétées de façon libérale en faveur de la personne qui cherche à se prévaloir des avantages en question. J’accepte effectivement que la partie III du Code constitue une loi conférant des avantages. J’accepte également l’existence de ce principe d’interprétation, qui a été énoncé dans des décisions par lesquelles nous sommes liés telles que les arrêts Rizzo, précité, au paragraphe 36, et Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, à la page 10. Mais ce principe relatif aux lois conférant des avantages ne permet pas de pousser l’analyse plus loin.

[86]      Le principe relatif aux lois conférant des avantages ne répond pas à la question qui nous est soumise. Il ne nous éclaire pas sur la nature précise des avantages que le législateur a concrètement accordés aux employés sous le régime de la partie III du Code. Nous ne pouvons nous servir de ce principe pour donner au libellé du Code un sens plus large que celui qu’autorise une interprétation véritable de la partie III du Code — un examen de son texte, de son contexte et de son objet. Autrement dit, bien que son existence soit incontestable, le principe des avantages conférés par la loi ne saurait être utilisé comme une autorisation de modifier le texte de loi adopté par le législateur.

[87]      Dans un autre ordre d’idées, les parties suggèrent que deux décisions de notre Cour ont une certaine incidence sur la question qui nous intéresse. Je conviens avec EACL que, le cas échéant, ces décisions appuient l’analyse qui précède.

[88]      Tout d’abord, dans l’affaire Énergie atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami, [1998] 3 C.F. 349 (C.A.), notre Cour n’était pas confrontée à la question qui nous est soumise en l’espèce, en l’occurrence celle de savoir si la partie III du Code permet les congédiements sans motif. Elle était plutôt appelée à se prononcer sur la nouvelle réparation que constituait la réintégration dans son poste prévue à l’alinéa 242(4)b) du Code.

[89]      Toutefois, dans les motifs qu’il a rédigés au nom de la majorité, le juge Marceau a formulé certaines observations qui laissent entendre, comme je l’ai déjà expliqué, que ces dispositions ne représentaient pas une modification radicale des règles de droit régissant le congédiement, mais qu’elles amélioraient les réparations qui pouvaient être accordées, le cas échéant, en cas de congédiement (au paragraphe 12) :

Les dispositions du Code canadien du travail qui concernent le congédiement injuste des employés non syndiqués ont sans doute pour effet de modifier la règle traditionnelle selon laquelle l’exécution intégrale d’un contrat d’emploi ne peut en aucun cas être exigée. Cependant, elles ne créent certainement pas un droit en faveur de l’employé injustement congédié et ne pourraient d’ailleurs aller aussi loin. Ce droit irait à l’encontre du bon sens qui constitue précisément le fondement de la règle traditionnelle. Les dispositions en question énoncent simplement que la réintégration est une réparation pouvant être accordée dans les cas opportuns.

[90]      Puis, dans l’arrêt Banque de Commerce Canadienne Impériale c. Boisvert, [1986] 2 C.F. 431 (C.A.), notre Cour n’a pas non plus abordé la question qui nous est soumise en l’espèce. Elle s’est néanmoins penchée jusqu’à un certain point sur le sens de l’expression « congédiement injuste ». Cette analyse a permis de jeter un certain éclairage sur la question qui nous est soumise et, là encore, elle confirme mon analyse.

[91]      Dans l’affaire Boisvert, la majorité de notre Cour a entrepris d’interpréter l’expression « congédiement injuste » en examinant la jurisprudence de common law (voir, par ex., aux pages 458 et 459). Dans ses motifs concordants, le juge Marceau a tenté de définir l’expression « congédiement injuste » en examinant son contraire, le congédiement juste. Il a défini le congédiement juste comme « un licenciement qui se rattache à une cause objective, réelle et sérieuse [] et se présente comme une mesure prise exclusivement pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise ». Notre Cour ne disait pas que, si on la replaçait dans son contexte approprié, la « cause […] réelle et sérieuse » devait viser l’employé concerné. Le motif du congédiement devait plutôt supposer « une mesure prise exclusivement pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise », et ce, indépendamment « des incompatibilités d’humeur, des convenances ou des mésintelligences purement personnelles ».

[92]      Je ne vois rien dans l’arrêt Boisvert qui soit incompatible avec la portée de mon analyse. L’arrêt Boisvert n’appuie pas le principe qu’un employé a droit à un poste, en ce sens que tout congédiement sans motif de cet employé serait automatiquement injuste.

[93]      Enfin, je tiens à revenir sur un dernier argument formulé par l’appelant. L’appelant nous met en garde contre les conséquences graves que comporte la thèse d’EACL. Il évoque le risque que les employeurs soient en mesure de congédier des employés sans motif, de leur verser une somme d’argent qu’ils jugent adéquate, laissant ainsi les employés sans véritable droit de recours en vertu de l’article 240 du Code.

[94]      Cela est tout simplement inexact. Il revient toujours à l’arbitre d’évaluer les circonstances et de décider si le congédiement, qu’il soit motivé ou non, était injuste.

[95]      L’affaire Klein, précitée, illustre bien mon propos. Dans l’affaire Klein, l’employeur avait congédié l’employé conformément aux dispositions du contrat d’emploi, qui contenait des stipulations prévoyant la remise d’un préavis ou d’une indemnité de départ. L’employeur maintenait qu’il n’y avait pas eu de congédiement injuste parce que le congédiement avait été effectué conformément au contrat d’emploi. Suivant l’employeur, l’arbitre n’avait pas compétence pour examiner une plainte en vertu de l’article 240 du Code.

[96]      Se fondant sur plusieurs des décisions arbitrales mentionnées au paragraphe 48, précité, l’arbitre a, dans la décision Klein, rejeté l’argument que le congédiement sans motif d’un employé était automatiquement « injuste » et donnait ouverture aux réparations prévues à l’article 240.

[97]      L’arbitre n’a pas, pour autant, tenu pour acquis que le congédiement sans motif d’un employé à qui une indemnité avait été versée était automatiquement juste. Il a néanmoins estimé qu’il était compétent pour examiner la plainte en vertu de l’article 240 du Code. Toutefois, dans la décision Klein, l’arbitre a pu rejeter la plainte de façon sommaire.

[98]      Dans l’affaire Klein, l’arbitre a examiné les principes de common law régissant le congédiement, en se demandant si le contrat d’emploi avait été librement contracté et s’il n’était pas vicié par la contrainte (au paragraphe 44). L’arbitre a conclu que les faits ne permettaient pas de penser qu’il y avait eu contrainte. L’arbitre a également examiné l’indemnité offerte par l’employeur, la qualifiant de [traduction] « obligatoire [] et majorée pour faciliter un règlement rapide » (au paragraphe 45). Dans les circonstances de l’affaire Klein, il n’y avait aucune mesure nécessaire que l’employeur pouvait prendre qui aurait été « de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier » au sens de l’alinéa 242(4)c) du Code. À la lumière de ces considérations, l’arbitre a conclu que rien ne justifiait de tenir une audience en bonne et due forme sur le fond relativement au congédiement de l’employé : le congédiement n’était tout simplement pas injuste.

[99]      Je relève que la Cour fédérale a adopté essentiellement le même point de vue que celui retenu par l’arbitre dans la décision Klein. Elle a jugé que « [l]e fait qu’un employeur ait versé à l’employé une indemnité de départ n’empêche pas un arbitre d’accorder d’autres mesures de réparation lorsqu’il conclut que le congédiement était injuste » (au paragraphe 37 [de 2013 CF 733]). Comme il ressort à l’évidence de ce qui précède, je souscris à cet énoncé.

[100]   La Cour fédérale a également déclaré que les vastes pouvoirs de réparation prévus au paragraphe 242(2) entrent en jeu lorsque « l’arbitre […] conclut pour quelque raison que ce soit que le congédiement était injuste » (au paragraphe 36). À ce propos, il vaut la peine de signaler que l’arbitre nommé en vertu du Code n’a pas carte blanche pour conclure « pour quelque raison que ce soit » qu’un congédiement est « injuste ». Comme je l’ai déjà laissé entendre, l’adjectif « injuste » est un terme issu de la jurisprudence de common law et de la jurisprudence arbitrale bien établie en matière de congédiement et tire la plus grande partie, sinon la totalité, de son sens de cette jurisprudence. Il s’agit également d’un terme dont il convient de dégager le sens à l’aide des principes reconnus d’interprétation des lois (voir paragraphe 75). Je ne commenterai pas davantage le sens du mot « injuste ». C’est aux personnes à qui le législateur a confié le soin de rendre des décisions dans ce domaine spécialisé, en l’occurrence les arbitres, qu’il appartient d’élaborer la jurisprudence relative au sens du mot « injuste » d’une manière acceptable et défendable, et non « pour quelque raison que ce soit ». Notre rôle consiste à contrôler l’interprétation faite par les arbitres et à en vérifier l’acceptabilité et le caractère défendable de leurs décisions lorsque nous sommes appelés à nous prononcer sur l’interprétation qu’ils ont faite de ce terme.

E.        Conclusion

[101]   Pour les motifs proposés par la Cour fédérale et pour les autres motifs que je viens d’exposer, je rejette l’argument de l’appelant suivant lequel le Code ne permet pas les congédiements sans motif.

F.         Dispositif proposé

[102]   Je suis d’avis de rejeter l’appel. En première instance, la Cour fédérale a refusé d’adjuger des dépens parce que la demande avait permis de régler un point de droit important susceptible de s’appliquer bien au-delà du litige entre les parties. Je suis du même avis et je n’accorderais pas de dépens.

Le juge Webb, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.

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