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T-2127-12

2015 CF 46

Helmut Oberlander (demandeur)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Oberlander c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Russell—Toronto, 18 février 2014; Ottawa, 13 janvier 2015.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Citoyens Contrôle judiciaire relativement au décret C.P. 2012-1137, aux termes duquel la citoyenneté canadienne du demandeur a été révoquée en application de l’art. 10 de la Loi sur la citoyenneté Le demandeur, ukrainien, a obtenu sa citoyenneté canadienne en 1960 Il a été avisé de l’intention du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de faire un rapport au gouverneur en conseil (le GC) recommandant la révocation de sa citoyenneté canadienne Le ministre a allégué que le demandeur n’avait pas divulgué aux fonctionnaires canadiens de l’immigration et de la citoyenneté les activités auxquelles il s’était livré pendant la Deuxième Guerre mondiale L’affaire a été renvoyée à la Cour fédérale afin que celle-ci décide si le demandeur avait acquis sa citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels La Cour fédérale a conclu que le demandeur avait acquis sa citoyenneté au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, au sens de l’art. 18(1) de la Loi La citoyenneté du demandeur a été révoquée La Cour d’appel fédérale a annulé cette décision et l’affaire a été renvoyée au GC pour qu’il prenne une nouvelle décision Le GC a révoqué à nouveau la citoyenneté du demandeur La demande de contrôle judiciaire de la seconde décision du GC a été rejetée En appel, le demandeur a soutenu qu’il avait été enrôlé de force dans l’Einsatzkommando 10a (l’unité Ek 10a), une unité impliquée dans des crimes de guerre, et qu’il avait agi sous l’effet de la contrainte pendant tout son service au sein de cette unité La Cour d’appel a statué que la décision du GC était raisonnable en ce qui concernait la complicité, mais elle a renvoyé l’affaire pour que la question de la contrainte soit réexaminée Le rapport du ministre présenté au GC appliquait le critère élaboré dans l’arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), et concluait qu’il n’y avait aucune preuve que la vie du demandeur était menacée de façon imminente, réelle et inévitable Le rapport recommandait que le demandeur soit privé de sa citoyenneté canadienne en vertu de l’art. 10 de la Loi Il s’agissait de savoir si les questions qui ont été tranchées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration) étaient pertinentes en l’espèce et pouvaient être soulevées à cette étape-ci des procédures; si le principe de l’autorité de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée) s’appliquait en l’espèce; si le GC a manqué aux principes d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de formuler des remarques sur les réfutations figurant dans le rapport final qui lui était destiné; si le GC a manqué aux principes d’équité procédurale, à la Déclaration canadienne des droits et à la Charte canadienne des droits et libertés en tirant une conclusion relative à la crédibilité sans effectuer une entrevue avec le demandeur; si le GC a commis une erreur de droit en appliquant la mauvaise norme lorsqu’il a apprécié le moyen de défense fondé sur la contrainte et en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve et en ne les décrivant pas correctement; et si le GC a commis une erreur de droit en rendant une décision déraisonnable La préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquait en l’espèce En l’espèce, la Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire du GC au regard de la question de la contrainte, mais cela n’empêchait sa décision d’être définitive dans la mesure où elle concernait la complicité L’arrêt Ezokola n’a pas modifié le droit régissant la contrainte Le demandeur n’a pas fait la preuve de motifs qui auraient permis à la Cour d’exercer le pouvoir discrétionnaire de passer outre au principe de l’autorité de la chose jugée et de renvoyer l’affaire pour qu’elle fasse l’objet d’un nouvel examen pour ce qui est de la question de la complicité La prétention du demandeur selon laquelle il y a eu manquement à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas été autorisé à répondre à la recommandation finale formulée par le ministre à l’intention du GC a été rejetée Il n’y avait rien de fondamentalement inéquitable dans le processus qui a été suivi en l’espèce Le demandeur a eu une possibilité juste et significative de faire valoir son point de vue sur la contrainte, et c’est exactement ce qu’il a fait Il appartenait au demandeur de produire une preuve suffisante pour établir qu’il pouvait invoquer le moyen de défense fondé sur la contrainte Il ressortait de la lecture de la décision que celle-ci n’était pas fondée sur la crédibilité En s’appuyant sur les faits, une entrevue n’était pas requise pour permettre au demandeur de traiter de la question de la crédibilité Une lecture du rapport complet a révélé qu’il était fondé sur le fait que le ministre n’était pas convaincu qu’il disposait d’une preuve suffisante concernant la contrainte Malgré le fait que le libellé du rapport était parfois confus, dans le contexte de la décision contestée dans son ensemble, les conclusions qu’il renferme étaient fondées sur l’insuffisance de la preuve et non sur la crédibilité du demandeur Par conséquent, le demandeur n’a pas établi qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce En ce qui a trait à la question de la contrainte, l’examen du dossier a permis de conclure que le GC a appliqué la norme appropriée à l’égard de la question de la contrainte Le traitement réservé à la preuve suscitait certains problèmes qu’il fallait reconnaître et régler afin de décider si la décision était raisonnable Quant à la raisonnabilité, le rapport mentionnait le critère élaboré dans l’arrêt Ramirez et reconnaissait que l’affaire devrait être examinée du point de vue d’une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur Par conséquent, le demandeur n’a pas réussi en l’espèce à démontrer qu’il était sous l’effet de la contrainte Malgré un examen soigné du dossier et la prise en compte de chacune des observations du demandeur, aucune erreur pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire n’a été relevée Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire relativement au décret C.P. 2012-1137, aux termes duquel la citoyenneté canadienne du demandeur a été révoquée en application de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté. Le demandeur est né en Ukraine et a obtenu sa citoyenneté canadienne en 1960. En 1995, le demandeur a été avisé de l’intention du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de faire un rapport au gouverneur en conseil (le GC) recommandant la révocation de sa citoyenneté canadienne. Ce processus était fondé sur l’allégation du ministre selon laquelle le demandeur n’avait pas divulgué aux fonctionnaires canadiens de l’immigration et de la citoyenneté les activités auxquelles il s’était livré pendant la Deuxième Guerre mondiale. À la demande du demandeur, le ministre a renvoyé l’affaire à la Cour fédérale afin que celle-ci décide s’il avait acquis sa citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. En 2000, la Cour fédérale a conclu que le demandeur avait obtenu sa citoyenneté au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels au sens du paragraphe 18(1) de la Loi. Plus particulièrement, il avait conclu que le demandeur avait agi comme interprète pour l’Einsatzkommando 10a (l’unité Ek 10a), une unité impliquée dans des crimes de guerre. Par suite de la décision de la Cour fédérale, le ministre a présenté un rapport au GC dans lequel il recommandait la révocation de la citoyenneté canadienne du demandeur et la citoyenneté du demandeur a été révoquée en juillet 2001. Le demandeur a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire visant la décision du GC, mais sa demande a été rejetée. En appel, la Cour d’appel fédérale a annulé la décision du GC au motif que celui-ci n’avait pas examiné la question de savoir si les activités du demandeur étaient visées par la politique d’« absence de havre » du Canada et n’avait pas mis en balance les intérêts personnels du demandeur et l’intérêt public. L’affaire a été renvoyée au GC pour qu’il prenne une nouvelle décision. Le GC a révoqué à nouveau la citoyenneté du demandeur en mai 2007. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire visant cette seconde décision, mais sa demande a été rejetée. En appel, le demandeur a soutenu qu’il avait été enrôlé de force dans l’unité Ek 10a et qu’il avait agi sous l’effet de la contrainte pendant tout son service au sein de cette unité. La Cour d’appel fédérale a statué que la décision du GC était raisonnable en ce qui concernait la complicité, mais elle a renvoyé l’affaire pour que la question de la contrainte soit réexaminée parce que le demandeur soutenait qu’il avait agi sous l’effet de la contrainte pendant son service dans l’unité Ek 10a.

La décision relative au réexamen qui a fait l’objet du contrôle était constituée du décret et du rapport présenté au gouverneur général en conseil par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration au sujet de la citoyenneté d’Helmut Oberlander, rapport complémentaire et réponse aux observations. Le rapport appliquait le critère élaboré par la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, plus particulièrement dans l’arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), afin de déterminer si le demandeur avait établi le moyen de défense fondé sur la contrainte. Selon le rapport, rien ne permettait de croire que la vie du demandeur avait été menacée de façon imminente, réelle et inévitable et le fait que le demandeur n’avait pas déserté pendant qu’il était en permission a jeté un doute sur la crédibilité de son affirmation selon laquelle il était exposé à la menace d’un danger réel et imminent. De plus, le rapport a conclu également que le demandeur avait eu maintes occasions de déserter, vu ses nombreuses permissions, et révélait que la preuve n’établissait pas que le demandeur avait servi sous la contrainte au sein de l’unité Ek 10a; par conséquent, la conclusion antérieure relative à sa complicité a été maintenue. Le rapport final recommandait que le demandeur soit privé de sa citoyenneté canadienne en vertu de l’article 10 de la Loi.

Il s’agissait principalement de savoir si les questions qui ont été tranchées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration) étaient pertinentes en l’espèce et pouvaient être soulevées à cette étape-ci des procédures; si le principe de l’autorité de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée) s’appliquait en l’espèce; si le GC a manqué aux principes d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de formuler des remarques sur les réfutations figurant dans le rapport final qui lui était destiné; si le GC a manqué aux principes d’équité procédurale, à la Déclaration canadienne des droits et à la Charte canadienne des droits et libertés en tirant une conclusion relative à la crédibilité sans effectuer une entrevue avec le demandeur; si le GC a commis une erreur de droit en appliquant la mauvaise norme lorsqu’il a apprécié le moyen de défense fondé sur la contrainte et en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve et en ne les décrivant pas correctement, de sorte qu’il a tiré des conclusions de fait erronées de façon abusive et arbitraire; et si le GC a commis une erreur de droit en rendant une décision déraisonnable.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La présente demande a soulevé des questions concernant principalement l’autorité de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée), l’équité procédurale et le caractère déraisonnable de la décision.

Le demandeur a fait valoir que la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt dans Ezokola, après le dépôt des prétentions et avant la mise au rôle de la présente demande. Cet arrêt a modifié en profondeur les règles de droit régissant la complicité dans la commission de crimes internationaux dans le contexte de l’immigration. À première vue, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquait en l’espèce. Dans une décision antérieure, la Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion du GC selon laquelle le demandeur était complice, ce qui signifiait que, en ce qui concerne la question de la complicité, les trois critères relatifs à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée étaient remplis : la question de la complicité a été décidée dans une instance précédente, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale sur la question de la complicité était définitif et les parties aux instances étaient les mêmes. En l’espèce, la Cour d’appel fédérale a renvoyé la décision antérieure du GC sur la question de la contrainte, mais cela n’a pas empêché sa décision d’être définitive dans la mesure où elle concerne la complicité. La complicité n’était pas une question pendante qui devait être tranchée par le GC. En conséquence, rien ne permettait au demandeur de prétendre qu’il devrait pouvoir bénéficier de la modification du droit établie dans l’arrêt Ezokola parce que la question de la complicité était toujours en cours. La Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire au regard seulement de la question de la contrainte; l’arrêt Ezokola n’a pas modifié le droit régissant la contrainte. Par conséquent, le principe de l’autorité de la chose jugée s’appliquait en l’espèce.

Néanmoins, il fallait déterminer si la Cour devait conserver le pouvoir discrétionnaire résiduel de déterminer que le principe de l’autorité de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer lorsque, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il pourrait en résulter une injustice. La société a grand intérêt à ce qu’une décision définitive soit rendue sur le fond et cet intérêt ne peut être supplanté que dans de rares cas où l’intérêt de la justice exige que l’affaire soit débattue à nouveau. Ce n’était pas le cas en l’espèce. Il en est ainsi parce que le demandeur n’a rien démontré de plus qu’une modification du droit. Sa prétention selon laquelle il n’avait pas été complice a fait l’objet d’une décision complète sur le fond qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale. Le demandeur était libre de demander l’autorisation d’interjeter appel de la décision relative à la complicité à la Cour suprême du Canada, mais il a cependant choisi de ne pas interjeter appel sur cette question. En outre, il n’a pas non plus établi que la décision selon laquelle il avait été complice était « manifestement erronée ». La décision précédente du GC sur la complicité, à laquelle avait souscrit la Cour d’appel fédérale, était manifestement correcte sur le fond et, même si le caractère erroné doit maintenant être évalué en fonction de l’arrêt Ezokola, le demandeur n’a pas démontré que la décision en question était « manifestement erronée ». Par conséquent, le demandeur n’a pas fait la preuve de motifs qui permettraient à la Cour d’exercer le pouvoir discrétionnaire de passer outre au principe de l’autorité de la chose jugée et de renvoyer l’affaire pour qu’elle fasse l’objet d’un nouvel examen pour ce qui est de la question de la complicité.

Le demandeur a allégué que l’équité procédurale a été enfreinte principalement de deux façons. Premièrement, il a prétendu qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale parce qu’il n’avait pas été autorisé à répondre à la recommandation finale formulée par le ministre à l’intention du GC. Il n’y avait rien de fondamentalement inéquitable dans le processus qui a été suivi en l’espèce et qui est suivi dans d’autres affaires semblables où la révocation de la citoyenneté est envisagée. Le demandeur a eu une possibilité juste et significative de faire valoir son point de vue sur la contrainte, d’alléguer des faits au soutien de celui-ci et de faire des commentaires à ce sujet. C’est exactement ce qu’il a fait. En l’espèce, les recommandations du ministre constituaient les motifs de la décision contestée et l’équité procédurale n’exigeait pas que la version finale des motifs soit présentée afin d’être éventuellement réfutée. Si ces motifs renfermaient une erreur susceptible de contrôle, le demandeur avait le droit d’en demander le contrôle à la Cour. Le demandeur connaissait tous les faits et éléments de preuve qu’il devait réfuter et il a eu une possibilité juste et significative de le faire avant qu’une décision définitive ne soit prise. Il n’y avait aucun nouveau fait ou prétention ni aucune description ou caractérisation erronée de la preuve dont le demandeur n’a pas traité ou n’a pas été en mesure de traiter dans ses observations et réponse.

Le deuxième motif invoqué par le demandeur pour démontrer qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale était qu’une entrevue aurait dû avoir lieu parce que le rapport du ministre et, par conséquent, la décision du GC, sont fondés, à tout le moins en partie, sur une évaluation défavorable de la crédibilité du demandeur. Il appartenait au demandeur de produire une preuve suffisante pour établir qu’il pouvait invoquer le moyen de défense fondé sur la contrainte. Le demandeur savait parfaitement ce que ce moyen de défense exigeait et la démarche à suivre pour produire cette preuve. De toute évidence, le demandeur ne pensait pas qu’il avait besoin d’une entrevue pour faire valoir ses arguments puisqu’il n’en a pas demandé une, et rien ne permettait de croire qu’il ne pouvait pas faire la preuve de la contrainte au moyen des témoignages, preuve par affidavits et documentation déjà produits. Il ressortait de la lecture de la décision que celle-ci n’était pas fondée sur la crédibilité de façon appréciable. Le ministre a simplement soupesé la preuve dont il disposait avec les observations du demandeur et a décidé que ce dernier n’avait pas démontré qu’il existait des motifs suffisants étayant le moyen de défense fondé sur la contrainte. En s’appuyant sur ces faits, une entrevue n’était pas requise pour permettre au demandeur de traiter de la question de la crédibilité. Il s’agissait d’un désaccord au sujet du processus d’appréciation et non d’une question d’équité procédurale. Il est vrai que le libellé employé dans le rapport laissait parfois croire que la crédibilité du demandeur était en cause, mais la jurisprudence est claire : le libellé employé n’est pas déterminant pour ce qui est de la question de savoir si une décision est fondée sur le poids ou la crédibilité de la preuve, et les remarques du décideur doivent être lues en tenant compte du contexte de la décision dans son ensemble. La décision en l’espèce était fondée sur le fait que les affirmations du demandeur n’étaient pas suffisantes pour établir le moyen de défense fondé sur la contrainte, compte tenu du fait qu’il a produit une preuve insuffisante à cet égard et de la preuve au dossier qui semble permettre des conclusions contraires à celles qu’il invoquait. Une lecture du rapport complet a révélé qu’il était fondé sur le fait que le ministre n’était pas convaincu qu’il disposait d’une preuve suffisante concernant la contrainte. Malgré le fait que le libellé du rapport était parfois confus, dans le contexte de la décision contestée dans son ensemble, les conclusions qu’il renfermait étaient fondées sur l’insuffisance de la preuve, et non sur la crédibilité du demandeur. Par conséquent, le demandeur n’a pas établi qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

En ce qui a trait à la question de la contrainte, un examen du dossier a permis de conclure que le GC a appliqué la norme appropriée à l’égard de la question de la contrainte. Cependant, le traitement réservé à la preuve a suscité certains problèmes qu’il fallait reconnaître et régler afin de décider si la décision était raisonnable ou si l’affaire devait être renvoyée pour nouvel examen. Le rapport a mentionné à plusieurs reprises les permissions accordées au demandeur, tandis que la Cour fédérale n’a tiré aucune conclusion concernant la question de savoir si le demandeur avait bénéficié de permissions ou s’il avait eu la possibilité de déserter. Malgré les erreurs commises par le ministre relativement aux conclusions de la Cour fédérale, il y avait encore une preuve démontrant que, comme le ministre le prétendait, le demandeur avait bénéficié de permissions, était retourné à l’unité Ek 10a de son plein gré et avait eu des occasions de déserter dont il n’avait pas profité. Même si la Cour fédérale n’a tiré aucune conclusion claire sur des questions comme celle de savoir si le demandeur avait fait l’objet d’un enrôlement forcé inévitable ou au sujet de sa perception de la menace, le GC pouvait soupeser tous les autres éléments de preuve. Ceux-ci démontraient que, même si le demandeur a été recruté de force, rien ne permettait de penser qu’il a agi contre son gré en demeurant au sein de l’unité ou en commettant des actes pour le compte de celle-ci. Par ailleurs, rien ne permettait de conclure que le demandeur avait été maltraité, qu’il estimait que les activités et les objectifs de l’unité Ek 10a étaient odieux, qu’il avait déjà demandé à être dispensé de ses tâches et qu’il avait déjà envisagé de déserter ou essayé de le faire.

Quant à la raisonnabilité, il ressortait de la lecture du rapport que celui-ci mentionnait le critère élaboré dans l’arrêt Ramirez et reconnaissait que l’affaire devrait être examinée du point de vue d’une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur. Le rapport examinait la preuve et ce qu’elle nous apprenait au sujet du point de vue du demandeur. Il incombait au demandeur d’établir la contrainte. Au bout du compte, il n’a pas fait la preuve d’une crainte raisonnable de danger physique imminent et n’a pas démontré que la situation dans laquelle il se trouvait n’était pas de sa faute ou ne découlait pas de sa volonté ou qu’il satisfaisait à l’exigence de proportionnalité. Chacune des prétentions du demandeur afin de déterminer si la décision comportait des erreurs susceptibles de contrôle a été examinée. Bien que le ministre ait commis certaines erreurs, la décision contestée ne comportait aucune erreur importante. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits. Ils doivent tout simplement être suffisants pour permettre à l’intéressé de comprendre la décision et à la cour de révision d’apprécier le bien-fondé de celle-ci. Malgré un examen soigné du dossier et la prise en compte de chacune des observations du demandeur, aucune erreur pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire n’a été relevée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 618.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).

Décret C.P. 2012-1137.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 10, 18.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Valle Lopes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 403, conf. par 2012 CAF 25; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; R. c. Ryan, 2013 CSC 3, [2013] 1 R.C.S. 14; Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Gao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59; Bicuku c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 339; Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Asghedom, 2001 CFPI 972; R. c. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 246; Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd., 2013 CSC 46, [2013] 3 R.C.S. 125.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Oberlander, 2000 CanLII 14968 (C.F. 1re inst.); Oberlander c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 213, [2005] 1 R.C.F. 3, infirmant 2003 CF 944; Oberlander c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 330, [2010] 4 R.C.F. 395; R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701; Caballero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 CanLII 3893 (C.F. 1re inst.); R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687; Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Copeland, [1998] 2 C.F. 493 (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Oberlander, 1997 CanLII 5898 (C.F. 1re inst.); R. v. Weir, 1999 ABCA 275, 250 A.R. 73; R. c. Sarson, [1996] 2 R.C.S. 223; R. c. Thomas, [1990] 1 R.C.S. 713; Metro Can Construction Ltd. c. Canada, 2001 CAF 227; Apotex Inc. c. Merck & Co., 2002 CAF 210, [2003] 1 C.F. 242; Pehtereva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1491 (1re inst.) (QL); Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 494; Myle c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1073; Bermudez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 681; Agastra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 548; General Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983] 1 R.C.S. 72; Prosecutor c. KAING Guek Eav alias Duch, Dossier no 001/18-07-2007/ECCC/TC, Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens; Vandifar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 433; Nnabuike Ozomma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1167, [2014] 1 R.C.F. 732.

DÉCISIONS CITÉES :

Equizabal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 514 (C.A.); Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, [2009] 2 R.C.F. 52; R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Oberlander c. Canada (Procureur général), 2003 CF 944; Oberlander c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1200, [2009] 3 R.C.F. 358; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; Exeter c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 251; Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c. Canada, 2010 CAF 307, [2012] 2 R.C.F. 312; R. c. Arsenault, 2009 NBCP 44, 354 R.N.-B. (2e) 200; Nagamany c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1554; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, [2001] 3 C.F. 3; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Belalcazar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1013; Jimenez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1231; Arica c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 907; Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Lupsa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 311; Ventura c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 871; I.I. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 892; Giles v. Westminster Savings and Credit Union, 2010 BCCA 282, 5 B.C.L.R. (5th) 252; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Pharmascience Inc., 2007 CF 1057, conf. par 2008 CAF 213; Smith Estate v. National Money Mart Co., 2008 ONCA 746, 92 O.R. (3e) 641; Minott v. O’Shanter Development Co. (1999), 42 O.R. (3e) 321, 168 D.L.R. (4th) 270 (C.A.); Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 R.C.F. 3; Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.); R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520; Liban c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252; Zokai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103; Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636.

DOCTRINE CITÉE

Citoyenneté et Immigration Canada. Exécution de la loi (ENF), chapitre ENF 18 : Crimes de guerre et crimes contre l’humanité, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/enf/enf18-fra.pdf>.

Hawley, Charles. « Overturning Hitler’s Military Tribunals: Germany Considers Rehabilitating Soldiers Executed for “Treason” », Spiegel (29 juin 2007), en ligne : <http://www.spiegel.de/international/germany/overturning-hitler-s-military-tribunals-germany-considers-rehabilitating-soldiers-executed-for-treason-a-491332.html>.

Marinero, Ximena. « Germany passes law to exonerate Nazi-era “war traitors” », Jurist (9 septembre 2009), en ligne : <http://jurist.org/paperchase/2009/09/germany-passes-law-to-exonerate-nazi.php>.

Moore, Tristana. « Nazi deserter hails long-awaited triumph », BBC News (8 septembre 2009), en ligne : <http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/8244186.stm>.

Trials of War Criminals before the Nuremberg Military Tribunals under Control Council Law No. 10, vol. IV, octobre 1946 à avril 1949, en ligne : <http://www.loc.gov/rr/frd/Military_Law/pdf/NT_war-criminals_Vol-IV.pdf>.

DEMANDE de contrôle judiciaire relativement au décret C.P. 2012-1137, aux termes duquel la citoyenneté canadienne du demandeur a été révoquée en application de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Ronald Poulton et Barbara Jackman pour le demandeur.

Catherine Vasilaros et Jeannine Plamondon pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Poulton Law Office Professional Corporation et Jackman, Nazami & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

            Le juge Russell :

I.          INTRODUCTION

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, relativement au décret C.P. 2012-1137 (le décret), daté du 27 septembre 2012, aux termes duquel la citoyenneté canadienne d’Helmut Oberlander (le demandeur ou M. Oberlander) a été révoquée en application de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi).

II.         LE CONTEXTE

[2]        M. Oberlander est né le 15 février 1924 à Halbstadt, en Ukraine. Il a obtenu sa citoyenneté canadienne le 19 avril 1960.

[3]        Dans une lettre datée du 27 janvier 1995, M. Oberlander a été avisé de l’intention du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) de faire un rapport au gouverneur en conseil (le GC) recommandant la révocation de sa citoyenneté canadienne. Ce processus était fondé sur l’allégation du ministre selon laquelle M. Oberlander n’avait pas divulgué aux fonctionnaires canadiens de l’immigration et de la citoyenneté les activités auxquelles il s’était livré pendant la Deuxième Guerre mondiale. À la demande de M. Oberlander, le ministre a renvoyé l’affaire à la Cour fédérale afin que celle-ci décide s’il avait acquis sa citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[4]        En février 2000, le juge MacKay a conclu que M. Oberlander avait acquis sa citoyenneté au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, au sens du paragraphe 18(1) de la Loi : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Oberlander, 2000 CanLII 14968 (C.F. 1re inst.) (Oberlander (2000)). Selon lui, M. Oberlander avait agi comme interprète pour l’Einsatzkommando 10a (l’unité Ek 10a), une unité impliquée dans des crimes de guerre. Cette décision est définitive et non susceptible de contrôle judiciaire : paragraphe 18(3) de la Loi.

[5]        Par suite de la décision du juge MacKay, le ministre a présenté un rapport au GC dans lequel il recommandait la révocation de la citoyenneté canadienne de M. Oberlander. Le GC a révoqué la citoyenneté de M. Oberlander le 21 juillet 2001.

[6]        M. Oberlander a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire visant la décision du GC. Sa demande a été rejetée. En appel, la Cour d’appel fédérale a annulé la décision du GC au motif que celui-ci n’avait pas examiné la question de savoir si les activités de M. Oberlander étaient visées par la politique d’« absence de havre » du Canada et n’avait pas mis en balance les intérêts personnels de M. Oberlander et l’intérêt public : Oberlander c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 213, [2005] 1 R.C.F. 3 (Oberlander (2004), aux paragraphes 58 à 60). L’affaire a été renvoyée au GC pour qu’il prenne une nouvelle décision.

[7]        Le GC a révoqué à nouveau la citoyenneté de M. Oberlander le 17 mai 2007.

[8]        M. Oberlander a demandé le contrôle judiciaire de la deuxième décision du GC. Encore une fois, sa demande a été rejetée. En appel, il a soutenu qu’il avait été enrôlé de force dans l’unité Ek 10a et qu’il avait agi sous l’effet de la contrainte pendant tout son service au sein de cette unité. La Cour d’appel [fédérale] a statué que la décision du GC était raisonnable en ce qui concernait la complicité, mais elle a renvoyé l’affaire pour que la question de la contrainte soit réexaminée parce que M. Oberlander soutenait qu’il avait agi sous l’effet de la contrainte pendant son service dans l’unité Ek 10a : Oberlander c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 330, [2010] 4 R.C.F. 395 (Oberlander (2009), aux paragraphes 22 et 41).

III.        LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]        La décision relative au réexamen qui fait l’objet du présent contrôle est constituée du décret et du [traduction] « rapport présenté au gouverneur général en conseil par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration au sujet de la citoyenneté d’Helmut Oberlander, rapport complémentaire et réponse aux observations » (le rapport) qui reflète les motifs du GC (la décision contestée).

[10]      Le rapport indique que son analyse de la question de savoir si M. Oberlander peut invoquer la contrainte pour ne pas être considéré comme complice des actes de l’unité Ek 10a s’applique à la définition de contrainte prévue par le droit de l’immigration, dans le Guide opérationnel de Citoyenneté et Immigration [Exécution de la loi (ENF)], chapitre ENF 18 : Crimes de guerre et crimes contre l’humanité, section 7.4 (les lignes directrices) et par le droit criminel. Le rapport décrit les exigences juridiques de chacun des critères et traite de la question de savoir si M. Oberlander a démontré qu’il y satisfaisait.

[11]      En ce qui concerne le droit de l’immigration, le rapport applique le critère élaboré par la Cour d’appel fédérale. Ce critère comporte trois éléments fondamentaux (Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.) (Ramirez)) :

i.          la crainte raisonnable d’un péril corporel imminent, privant le demandeur de sa liberté de choisir entre le bien et le mal;

ii.         la situation ne peut être occasionnée par les propres actes du demandeur ou découler de sa volonté;

iii.        les torts causés ne doivent pas excéder ceux que cette personne aurait subis (la règle de « proportionnalité »).

Le fait de ne pas établir un élément suffit pour que le moyen de défense fondé sur la contrainte soit rejeté.

[12]      La question du péril imminent a trait à la question de savoir si « la vie [de la personne] est menacée de façon imminente, réelle et inévitable » : R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701 (Finta), à la page 837. Selon le rapport, rien ne permet de croire que M. Oberlander a été exposé à ce type de menace. À cet égard, le rapport tient compte des conclusions suivantes du juge MacKay (rapport, au paragraphe 32) :

[traduction]

i. Le service de M. Oberlander a duré longtemps, de trois à quatre ans, sans interruption, et s’est terminé à la fin de la guerre seulement.

ii. Monsieur Oberlander a accepté de son plein gré la croix du service militaire, deuxième classe, pour son service au sein de l’unité Ek 10a.

iii. Monsieur Oberlander s’est joint volontairement à la demande de citoyenneté allemande de sa mère.

iv. Monsieur Oberlander a eu de nombreuses occasions de déserter, car il a obtenu un grand nombre de permissions, de plusieurs semaines chacune. [Notes de bas de page omises.]

[13]      Le rapport conclut que le fait que M. Oberlander n’a pas déserté pendant qu’il était en permission ou qu’il agissait à titre de garde solitaire jette un doute sur la crédibilité de son affirmation selon laquelle il était exposé à la menace d’un danger réel et imminent : Equizabal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 514 (C.A.) (Equizabal).

[14]      Le deuxième élément du critère établi dans l’arrêt Ramirez a trait à la question de savoir si la personne qui prétend avoir agi sous la contrainte est responsable de sa situation difficile. Le rapport indique que, contrairement aux observations de M. Oberlander, le juge MacKay n’a pas décidé si celui-ci avait été enrôlé de force. Même si le ministre avait accepté les observations de M. Oberlander, la seule conscription ne permet pas de conclure à la contrainte : Oberlander (2009), précité, aux paragraphes 32 et 33. M. Oberlander ayant été promu et ayant accepté une médaille en reconnaissance de son service, il a été conclu qu’il était responsable de ses actes pendant la durée de son service, peu importe qu’il ait été conscrit ou non : Caballero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 CanLII 3893 (C.F. 1re inst.) (Caballero).

[15]      Le rapport fait référence au volume IV (octobre 1946 à avril 1949) du rapport des Procès des criminels de guerre par les tribunaux militaires de Nuremberg, tenus conformément à la Loi no 10 du Conseil de contrôle (le rapport de Nuremberg) [Trials of War Criminals before the Nuremberg Military Tribunals under Control Council Law No. 10], selon lequel il était possible pour les membres des Einsatzgruppen de demander des transferts et d’être dispensés de leurs tâches. Le rapport conclut que l’absence de preuve démontrant que M. Oberlander avait sollicité un transfert ou une dispense confirme qu’il était responsable de sa situation.

[16]      Enfin, le rapport traite de la proportionnalité, laquelle exige que les torts qui auraient pu être causés au demandeur s’il avait désobéi à un ordre soient plus graves que ceux causés aux victimes par les actes du demandeur : Ramirez, précité, aux pages 327 et 328. Comme le juge MacKay a conclu que l’unité Ek 10a était une brigade d’exécution, M. Oberlander devait, pour justifier sa complicité, démontrer qu’il craignait d’être tué. Le rapport indique que le juge MacKay a estimé que le témoignage de M. Oberlander selon lequel il s’était joint à l’unité Ek 10a parce qu’il avait peur que l’on s’en prenne à lui ou que les peines les plus sévères lui soient infligées était incohérent. Le juge MacKay n’a pas conclu que M. Oberlander aurait été tué s’il ne s’était pas conformé aux ordres de l’unité Ek 10a.

[17]      Comme les lignes directrices sont fondées sur les facteurs définis dans l’arrêt Ramirez, le rapport conclut également que M. Oberlander n’a pas établi qu’il agissait sous l’effet de la contrainte selon les exigences des lignes directrices. Il souligne particulièrement que M. Oberlander a eu maintes occasions de déserter, vu ses nombreuses permissions, et l’absence de preuve démontrant, comme il l’affirmait, que les membres qui désobéissaient aux ordres ou qui essayaient de déserter l’unité Ek 10a étaient exécutés.

[18]      Le rapport traite ensuite des observations de M. Oberlander concernant le moyen de défense fondé sur la contrainte en droit criminel. Il recommande au GC de fonder sa décision sur le droit de l’immigration et sur des considérations de principe, mais il ajoute que le droit criminel peut être utilisé pour les interpréter s’il est appliqué avec circonspection : Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, [2009] 2 R.C.F. 52, au paragraphe 67.

[19]      Le moyen de défense fondé sur la contrainte existant en droit criminel repose sur les mêmes éléments qu’en droit de l’immigration : 1) l’existence d’un danger imminent et évident; 2) l’absence de solution raisonnable et légale autre que celle de contrevenir à la loi, par exemple un moyen de s’en sortir sans danger; 3) l’existence de proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité : R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687 (Ruzic), aux paragraphes 59 à 64; R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973 (Hibbert).

[20]      Il faut examiner la question de savoir si l’accusé disposait d’un moyen de s’en sortir sans danger, à l’aide d’une norme à la fois objective et subjective. Suivant cette norme, la situation doit être examinée du point de vue d’une personne raisonnable qui se trouve dans une situation similaire : Ruzic, précité, au paragraphe 61. Le rapport traite des observations de M. Oberlander concernant son âge et de sa conviction qu’il allait être tué s’il essayait de s’échapper (rapport, au paragraphe 65) :

[traduction] L’âge devrait être pris en compte le long d’un continuum. Monsieur Oberlander, qui était âgé de 18 ans ou qui allait les avoir quelques mois plus tard, se trouverait à l’extrémité des personnes les plus mûres. Selon son propre témoignage, il a fait montre de sa maturité en étant le seul homme dans le ménage, en travaillant pour subvenir aux besoins de sa famille et pour économiser pour ses études. De plus, le juge MacKay a estimé que M. Oberlander « était bien instruit pour l’époque » (ce qui lui avait permis de faire de l’interprétation). Monsieur Oberlander n’était donc pas un jeune garçon ou un enfant lorsqu’il s’était joint à l’unité Ek 10a. [Notes de bas de page omises.]

Le rapport conclut que, compte tenu de son degré de maturité, M. Oberlander aurait pu évaluer la situation et déserter ou demander un transfert.

[21]      Le droit criminel exige également la présence d’un lien temporel étroit entre les menaces et l’infliction éventuelle d’un préjudice : Ruzic, précité, au paragraphe 65. S’appuyant encore une fois sur le fait que M. Oberlander avait eu plusieurs permissions, le rapport conclut qu’il n’existait pas un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice éventuel (la mort pour cause de désertion) que M. Oberlander craignait.

[22]      Le rapport arrive à la conclusion que la preuve n’établit pas que M. Oberlander a servi sous la contrainte au sein de l’unité Ek 10a, et la conclusion antérieure relative à sa complicité est maintenue. Selon le rapport, l’analyse de la contrainte n’a aucune incidence sur la mise en balance des intérêts personnels de M. Oberlander et de l’intérêt public qui a été effectuée par le ministre.

[23]      M. Oberlander a reçu un projet de rapport et a été invité à présenter des observations. Le rapport final qualifie ces observations de [traduction] « tentative répétée de remettre en litige toutes les questions qui ont déjà été tranchées par le juge MacKay ou d’attaquer les décisions rendues par le gouverneur en conseil qui ont ensuite été confirmées par la Cour fédérale et par la Cour d’appel fédérale » : rapport, au paragraphe 79.

[24]      Au sujet de la question de la contrainte, M. Oberlander a prétendu que le rapport avait fait état de ses permissions et de ses absences de façon erronée. Le rapport final indique que, même si M. Oberlander avait raison à cet égard, cela ne change rien au fait qu’il s’était trouvé seul et armé pendant un mois, qu’il avait ainsi eu la possibilité de s’échapper et qu’il n’avait pas agi sous l’effet de la contrainte pendant toute la durée de son service au sein de l’unité Ek 10a. Il mentionne en outre que les observations de M. Oberlander concernant sa crainte d’être tué s’il désertait ne peuvent constituer une carte blanche et excuser sa complicité : Valle Lopes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 403 (Valle Lopes), au paragraphe 107, conf. par 2012 CAF 25.

[25]      Le rapport final indique que le ministre a soupesé les prétentions de M. Oberlander en tenant compte des conclusions du juge MacKay et qu’il a conclu que M. Oberlander n’avait pas démontré qu’il était sous l’effet de la contrainte pendant son service au sein de l’unité Ek 10a. Le rapport final recommande que M. Oberlander soit privé de sa citoyenneté canadienne en vertu de l’article 10 de la Loi.

IV.       LES QUESTIONS EN LITIGE

[26]      Le demandeur soulève les questions suivantes en l’espèce :

a.         Le GC a-t-il commis une erreur de droit en appliquant la mauvaise norme lorsqu’il a apprécié le moyen de défense fondé sur la contrainte?

b.         Le GC a-t-il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve et en ne les décrivant pas correctement, de sorte qu’il a tiré des conclusions de fait erronées de façon abusive et arbitraire?

c.         Le GC a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur ou à ses avocats la possibilité de formuler des remarques sur les réfutations figurant dans le rapport final qui lui était destiné?

d.         Le GC a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale, à la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III (la Déclaration des droits), et à la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), en tirant une conclusion relative à la crédibilité sans effectuer une entrevue avec le demandeur?

e.         Le GC a-t-il commis une erreur de droit en rendant une décision déraisonnable?

Dans une ordonnance datée du 30 septembre 2012, le protonotaire Aalto a fait droit à la requête présentée par le demandeur afin que les parties soient autorisées à déposer des mémoires complémentaires des faits et du droit traitant d’un changement du droit. Le demandeur a soulevé deux questions additionnelles dans ses observations :

f.          Les questions qui ont été tranchées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678 (Ezokola), sont-elles pertinentes en l’espèce et peuvent-elles être soulevées à cette étape-ci des procédures?

g.         La décision du GC devrait-elle être annulée au motif que la façon dont celui-ci a traité la question de la complicité n’est pas conforme aux exigences établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola?

V.        LA NORME DE CONTRÔLE

[27]      La Cour suprême du Canada a déclaré, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à une question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law concernant le contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 48.

[28]      Le demandeur n’aborde pas la question de la norme de contrôle applicable en l’espèce. Le défendeur soutient que la décision du GC devrait être assujettie à la norme de la raisonnabilité, car il s’agit d’une décision discrétionnaire reposant sur des considérations de politique générale qui a été rendue « par le plus haut organe politique du gouvernement canadien » : Oberlander c. Canada (Procureur général), 2003 CF 944, au paragraphe 18; Oberlander c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1200, [2009] 3 R.C.F. 358, au paragraphe 41.

[29]      La norme de la raisonnabilité s’applique aux questions a. et b., car l’application du droit aux faits en cause par le GC soulève une question à l’égard de laquelle « le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 51.

[30]      Les questions c. et d. ont trait à l’équité procédurale et seront assujetties à la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79; Exeter c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 251, au paragraphe 31.

[31]      La question e. exige l’examen d’une décision du GC. La Cour d’appel fédérale a décidé que c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique dans ce cas : Oberlander (2004), précité, au paragraphe 55; Oberlander (2009), précité, au paragraphe 12; Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c. Canada, 2010 CAF 307, [2012] 2 R.C.F. 312 ([ci-après appelé] Odynsky), aux paragraphes 83 à 91.

[32]      Les questions f. et g. soulèvent des questions de droit que la Cour doit trancher et aucune norme de contrôle ne s’applique.

[33]      Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse porte sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2012] 2 R.C.S. 339, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.       LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu’il est convaincu, sur rapport du ministre, que l’acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l’intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

a) soit perd sa citoyenneté;

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

Décret en cas de fraude

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l’a acquise à raison d’une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l’un de ces trois moyens.

Présomption

VII.      LES ARGUMENTS

A.        Le demandeur

1)         Le critère juridique relatif au moyen de défense fondé sur la contrainte

[34]      Le demandeur convient qu’il faut appliquer le critère établi dans l’arrêt Ramirez pour évaluer la contrainte en droit de l’immigration. Il affirme cependant que le ministre a commis une erreur dans son application en déterminant si le préjudice imminent que le demandeur craignait avait été établi avec une certaine certitude. Le ministre aurait dû examiner la question de savoir si une personne raisonnable se trouvant dans la situation du demandeur aurait perçu un préjudice imminent.

[35]      Le demandeur affirme que cette omission est attribuable en partie au fait que le ministre croyait que les lignes directrices reflétaient la jurisprudence sur la contrainte. Il fait valoir que les lignes directrices éliminent le critère de la personne raisonnable, ce qui a mené à une décision incorrecte.

[36]      Le demandeur affirme aussi que le moyen de défense fondé sur la contrainte qui existe en droit criminel devrait s’appliquer à la décision du GC parce qu’il repose sur le principe de la culpabilité morale à la fois selon le droit criminel et selon le droit de l’immigration. Le droit criminel prévoit que la contrainte est évaluée en fonction d’une norme objective modifiée, c’est-à-dire une norme qui tient compte d’une personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire : R. c. Ryan, 2013 CSC 3, [2013] 1 R.C.S. 14 (Ryan). Le demandeur affirme une nouvelle fois que le ministre s’est demandé si une menace existait ou n’existait pas, au lieu de ce qu’une personne raisonnable se trouvant dans sa situation aurait perçu.

[37]      Le demandeur avance que le ministre a aussi commis une erreur à l’égard de la question de savoir s’il avait un moyen de s’en sortir sans danger. À cet égard, il fallait déterminer si le demandeur aurait pu s’en sortir sans danger excessif : Hibbert, précité. La situation personnelle de l’accusé devrait être prise en considération à cette fin : Hibbert, précité, au paragraphe 62; Ruzic, précité, au paragraphe 40; R. c. Arsenault, 2009 NBPC 44, 354 R.N.-B. (2e) 200, au paragraphe 60. Un moyen raisonnable d’éviter un préjudice imminent n’exige pas un acte de bravoure : Ruzic, précité, au paragraphe 40.

[38]      Le rapport souligne à différents endroits que M. Oberlander aurait pu déserter pendant ses permissions. Le demandeur affirme que cette analyse ne tient pas compte de la preuve qu’il a présentée concernant le caractère raisonnable de sa conviction qu’il ne pouvait pas déserter ou s’échapper de l’unité Ek 10a, notamment les éléments suivants (dossier du demandeur, à la page 63) :

i. il était âgé de 17 ans et venait tout juste de terminer sa 10e année lorsqu’il a été enrôlé par les forces allemandes. Il travaillait dans une usine dans le but d’aider sa famille et d’économiser de l’argent pour faire des études de médecine. Son père était décédé;

ii. selon une interprétation récente des principes du droit international, l’enrôlement forcé à l’âge de 17 ans est considéré comme une violation des principes internationaux en matière de droits de la personne. L’OIT (Organisation internationale du travail) estime qu’il s’agit d’une forme d’esclavage d’enfants;

iii. des membres de sa famille avaient été enrôlés de force par le NKVD de Staline. La famille croyait qu’ils avaient été assassinés;

iv. il était le seul homme de sa famille immédiate encore vivant;

v.  les faits se sont passés au milieu de la Deuxième Guerre mondiale;

vi. il lui a été ordonné d’agir comme interprète pour les forces allemandes. Sa mère était atterrée et a presque perdu connaissance lorsqu’elle a appris qu’il devait partir. Selon lui, il a été [traduction] « enlevé » par les forces allemandes;

vii.  on lui a parlé d’un incident au cours duquel un déserteur allemand avait été exécuté. On lui a dit qu’il serait abattu s’il tentait de s’échapper;

viii. les partisans anti-allemands étaient connus pour exécuter les membres des forces allemandes qu’ils capturaient.

Le demandeur affirme que le fait que le ministre n’a pas pris ces éléments en considération montre qu’il ne comprend pas bien le critère juridique.

2)         Les permissions du demandeur de l'unité Ek 10a

[39]      Le demandeur soutient que le ministre s’est appuyé de manière inappropriée sur ses permissions pour conclure qu’il n’agissait pas toujours sous l’effet de la contrainte et ce, pour quatre raisons précises.

[40]      Premièrement, le demandeur indique que la seule période pertinente au regard de la question de la complicité — et aussi de la question de la contrainte — est celle pendant laquelle une personne a des liens avec une organisation ayant des fins brutales et limitées : Nagamany c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1554. Le ministre a commis une erreur en faisant référence à une permission qui aurait eu lieu un mois après que le demandeur a quitté l’unité Ek 10a, alors qu’il faisait partie d’une unité de combat régulière des forces allemandes. Cette période n’est pas pertinente au regard de la complicité du demandeur dans les crimes commis par l’unité Ek 10a et de la question de savoir s’il aurait pu déserter ou non.

[41]      Deuxièmement, le demandeur affirme que le ministre a commis une erreur en s’appuyant sur une permission qui, selon le juge MacKay, n’avait probablement pas eu lieu. Un témoin de la Couronne, M. Huebert, a affirmé dans son témoignage que lui et M. Oberlander s’étaient rendus en voiture à Halbstadt lors d’une permission en mai 1942. Le juge MacKay a conclu : « Il est donc peu probable [que M. Oberlander] se soit rendu à Halbstadt avec M. Huebert, à tout le moins au moment indiqué par ce dernier, soit en mai 1942, puisqu’à ce moment-là la mère et la famille de M. Oberlander avaient quitté la ville » : Oberlander (2000), précitée, au paragraphe 23. Le ministre a commis une erreur en concluant qu’il n’existait pas un préjudice imminent, réel et inévitable parce que le demandeur était retourné volontairement à son unité après cette présumée permission.

[42]      Troisièmement, le demandeur affirme que le ministre a commis une erreur en exposant la preuve de manière incorrecte. Le rapport souligne les conclusions tirées par le juge MacKay selon lesquelles M. Oberlander avait eu maintes occasions de déserter car il avait été en permission à de nombreuses reprises, parfois pendant plusieurs semaines. Selon le demandeur, il ressort clairement d’une lecture des paragraphes cités par le ministre que le juge MacKay n’a jamais conclu qu’il avait eu maintes occasions de déserter.

[43]      Quatrièmement, le demandeur soutient que l’affirmation du ministre voulant qu’il n’ait pas agi sous l’effet de la contrainte pendant toute la durée de son service au sein de l’unité Ek 10a vu qu’il avait passé du temps à garder seul un chaland est déraisonnable et révèle une mauvaise compréhension des règles de droit relatives à la contrainte. Le ministre a commis une erreur en laissant entendre que le préjudice craint par le demandeur devait être constant pour qu’il y ait contrainte. Dans le cas du demandeur, le préjudice aurait pris naissance s’il avait tenté de s’échapper ou de déserter.

[44]      Le demandeur prétend que le fait que la désertion est passible d’exécution satisfait à l’élément relatif au préjudice imminent, ainsi qu’à l’élément de proportionnalité concernant le préjudice causé et évité dans le cadre de l’analyse de la contrainte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Asghedom, 2001 CFPI 972 (Asghedom). Un préjudice futur peut satisfaire à l’élément relatif au préjudice imminent : Asghedom, précitée; Ryan, précité. Dans l’arrêt Ruzic, précité, la Cour suprême a conclu à l’existence d’une menace imminente de préjudice, en dépit du fait que Mme Ruzic avait déménagé loin de son agresseur et que des mois s’étaient écoulés entre la menace et son acte criminel.

[45]      Le demandeur affirme que le témoignage produit devant le juge MacKay démontrait que la désertion ou la désobéissance étaient passibles de la peine de mort. En outre, des reportages récents confirment qu’environ 20 000 soldats allemands ont été exécutés pour cause de désertion pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le fait que la désertion était passible de la peine de mort montre clairement le lien temporel étroit existant avec le préjudice craint par le demandeur.

[46]      M. Oberlander n’est jamais sorti du territoire occupé par l’Allemagne pendant son service au sein de l’unité Ek 10a. Le fait de quitter son unité après avoir obtenu une permission et le fait de demeurer à son poste en solitaire ne pouvaient pas entraîner une exécution pour désertion. Toutefois, si M. Oberlander n’était pas revenu à son unité ou avait déserté son poste, il se serait mis dans une position où il risquait d’être exécuté, de sorte qu’il y aurait eu un lien temporel étroit avec le préjudice appréhendé. Le droit n’exige pas des actes de bravoure, et le demandeur n’était pas tenu de démontrer qu’il avait risqué sa vie pour échapper aux forces allemandes : Ruzic, précité, au paragraphe 40; Ramirez, précité. Le demandeur affirme que le ministre a omis de prendre en considération les endroits où il aurait pu s’enfuir dans une Europe largement occupée par les forces allemandes.

[47]      Le demandeur prétend également que le ministre a tort de s’appuyer sur le rapport de Nuremberg. Ce document concerne des dirigeants, alors que la Cour suprême a indiqué que des normes différentes devaient être appliquées à des personnes occupant différents rangs : Finta, précité, au paragraphe 24. Rien n’indique qu’une personne du rang de M. Oberlander aurait pu solliciter un transfert ou une dispense. Le rapport de Nuremberg ne peut pas être utilisé pour démontrer le caractère raisonnable des perceptions de M. Oberlander et il n’a aucune valeur probante.

3)         Le défaut de communiquer le rapport final

[48]      Le demandeur soutient que le défaut du ministre de communiquer le rapport final et de lui donner la possibilité d’y répondre constitue un manquement à l’équité procédurale. Les exigences de l’équité procédurale varient en fonction d’un certain nombre de facteurs, dont l’importance de la décision pour la personne concernée. La révocation de la citoyenneté fait entrer en jeu des droits garantis par la Charte ainsi que d’autres facteurs très importants : Odynsky, précité, au paragraphe 80.

[49]      L’équité procédurale exige qu’une partie connaisse la preuve qu’elle devra réfuter et ait la possibilité d’y répondre : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker); Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350. La Cour d’appel fédérale a statué qu’il y a manquement à l’équité procédurale lorsque le rapport du ministre n’est pas communiqué à la personne qui en fait l’objet et que celle-ci n’a pas la possibilité d’y répondre : Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, [2001] 3 C.F. 3, au paragraphe 35.

[50]      Le demandeur affirme que le rapport final renferme de nouveaux arguments juridiques et de nouvelles décisions judiciaires auxquels il n’a pas eu la possibilité de répondre. En voici quelques-uns :

•           l’explication donnée par le ministre au sujet de son emploi du terme [traduction] « rumeurs » relativement au fait qu’une affirmation était fondée sur du ouï-dire et que peu de poids devait lui être accordé;

•           la prétention du ministre selon laquelle les reportages publiés dans les journaux qui étaient invoqués par le demandeur sont des sources de preuve moins fiables;

•           l’utilisation, par le ministre, de décisions judiciaires qui n’avaient pas été divulguées au demandeur concernant la proposition selon laquelle aucun précédent n’établit que le risque d’être tué en cas de désertion est une carte blanche et excuse la participation à la perpétration d’atrocités;

•           l’utilisation, par le ministre, d’une décision dans laquelle le moyen de défense fondé sur la contrainte a été rejeté parce que la perception de la menace résultait d’une politique de terreur à laquelle l’accusé avait volontairement et activement participé;

•           la prétention du ministre selon laquelle le demandeur avait changé sa position concernant l’âge auquel il avait été enrôlé par rapport à son témoignage devant le juge MacKay et aux prétentions qu’il avait présentées au ministre;

•           la prétention du ministre laissant entendre que la preuve présentée au GC ne se trouve pas dans le dossier et n’est pas admissible.

Le demandeur prétend que, compte tenu du fait qu’il n’a pas pu répondre à ces nouvelles observations, la décision du GC repose sur les observations erronées du ministre.

4)         L’obligation de tenir une entrevue

[51]      Le demandeur soutient que le rapport, de même que la décision du GC, sont fondés en partie sur une évaluation défavorable de sa crédibilité. Lorsque la crédibilité est en cause, l’équité procédurale, l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits et l’article 7 de la Charte exigent qu’une entrevue ait lieu : voir Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, aux pages 213 et 214; Baker, précité. Le demandeur soutient qu’il n’a pas eu droit à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas eu une entrevue.

5)         Le caractère déraisonnable de la décision

[52]      Le demandeur soutient que la décision du GC est déraisonnable pour différentes raisons (dossier du demandeur, aux pages 81 et 82) :

•  pour conclure à la complicité, elle se fonde en partie sur des faits qui sont survenus après que le demandeur a été un membre enrôlé de force dans l’unité Ek 10a;

•  elle applique la mauvaise norme à l’évaluation de la contrainte;

•  elle ne tient pas compte des dépositions des témoins du gouvernement;

•  elle semble laisser entendre que la preuve dont le juge MacKay ne disposait pas relativement au renvoi ne devrait pas être prise en considération;

•  elle traduit une mauvaise compréhension de la jurisprudence et décrit celle-ci de manière erronée;

•  elle fait état de l’exécution de déserteurs des forces allemandes comme d’une simple rumeur.

B.        Le défendeur

1)         Le critère juridique relatif au moyen de défense fondé sur la contrainte

[53]      Le défendeur convient que le critère juridique relatif au moyen de défense fondé sur la contrainte a été établi dans l’arrêt Ramirez et confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Oberlander (2009), précité. Le critère comporte trois éléments qui sont cumulatifs; le défaut de satisfaire à l’un d’eux est fatal quant à la preuve de la contrainte : Belalcazar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1013, au paragraphe 19. Il incombe au demandeur de faire la preuve de la contrainte : Jimenez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1231, aux paragraphes 16 et 18 à 21.

[54]      Le défendeur relève cinq erreurs dans les observations du demandeur concernant l’analyse de la contrainte effectuée par le ministre (dossier du demandeur, aux pages 33 à 35) :

•  le demandeur a mal interprété le critère en se préoccupant uniquement de l’élément de danger imminent du moyen de défense fondé sur la contrainte qui existe en droit de l’immigration et de l’existence d’un moyen de s’en sortir sans danger selon le droit criminel;

•  la Cour d’appel fédérale a déjà confirmé que les lignes directrices reflètent sa jurisprudence : Oberlander (2009), précité;

•  le rapport a tenu compte à juste titre du point de vue d’une personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire à celle de M. Oberlander;

•  le demandeur a prétendu devant la Cour que le point de vue d’une personne raisonnable était déterminant, mais il n’avait pas insisté sur ce point dans ses observations ou sa réponse précédentes;

•  le demandeur s’est appuyé de manière incorrecte sur des propos formulés dans Ruzic qu’il a sortis de leur contexte : « La loi est conçue pour s’appliquer aux personnes ordinaires et non à une collectivité de saints ou de héros » (précité, au paragraphe 40). Il n’a pas ainsi tenu compte des remarques formulées ensuite par la Cour suprême au sujet du courage et de la résistance qu’un accusé devrait démontrer.

Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, le défendeur soutient que le rapport analyse correctement la question de savoir si le demandeur a établi qu’il satisfaisait au critère relatif à la contrainte.

[55]      Le défendeur fait ressortir l’examen, contenu dans le rapport, de la question de savoir si M. Oberlander était exposé à une menace imminente de préjudice, en mettant l’accent sur la durée du service de M. Oberlander, sur le fait qu’il a repris son service après de nombreuses permissions, sur le fait qu’il a passé de trois à quatre semaines seul et sur l’absence de preuve démontrant qu’il avait déjà été maltraité.

[56]      Les permissions ont été établies par la preuve présentée au juge MacKay (Oberlander (2000), précitée, aux paragraphes 73 et 158) et le demandeur ne conteste pas le temps qu’il a passé à titre de garde solitaire. Le défendeur affirme aussi que la preuve montre que M. Oberlander a passé un certain temps au sein d’un groupe de combat régulier alors qu’il faisait encore partie de l’unité Ek 10a. En conséquence, le demandeur a tort lorsqu’il prétend que le rapport tient compte de ses permissions après qu’il a quitté l’unité Ek 10a. Il a tort également lorsqu’il affirme que le juge MacKay a conclu que la permission qui, selon M. Huebert, aurait eu lieu en mai 1942 n’a jamais eu lieu.

[57]      Le demandeur ne produit aucune preuve afin de contester la conclusion du rapport de Nuremberg selon laquelle les membres de l’unité Ek 10a pouvaient demander des transferts. Le défendeur soutient que l’affirmation du demandeur selon laquelle il croyait qu’il serait tué s’il désertait est insuffisante pour établir un danger imminent : Equizabal, précité. Le défaut de déserter pendant une permission indique l’absence de menace imminente : Equizabal, précité. Le défendeur s’appuie aussi sur la décision Valle Lopes, précitée, où la Cour a confirmé la conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas constamment sous surveillance et aurait pu prendre la fuite, même si cela l’avait exposé à un grave danger (au paragraphe 108).

[58]      Le demandeur ne devrait pas s’appuyer sur la décision Asghedom, précitée. Dans cette affaire, la preuve ne démontrait pas que le demandeur aurait pu quitter l’armée et la preuve documentaire établissait que la désertion était passible de la peine de mort. Or, il n’y a pas une preuve de ce genre qui étaye la thèse du demandeur relative à la contrainte.

[59]      Collectivement, la preuve invalide l’affirmation du demandeur selon laquelle il courait un danger imminent.

[60]      Le demandeur n’a pas non plus établi que son service au sein de l’unité Ek 10a ne découlait pas de sa volonté. Le défendeur fait ressortir les faits suivants, qui établissent que le service de M. Oberlander était conforme à ce qu’il voulait (dossier du défendeur, aux pages 41 et 42) :

•  il n’y a aucune conclusion ayant force de chose jugée selon laquelle le demandeur a été enrôlé;

•  le demandeur a obtenu une promotion et a reçu une médaille en reconnaissance de son service;

•  le rapport de Nuremberg indique que les personnes qui ne collaboraient pas ou qui refusaient d’exécuter des tâches pouvaient demander un transfert ou une dispense;

•  la preuve n’indique pas que le demandeur a déjà demandé une dispense ou un transfert ou qu’il a envisagé de déserter;

•  le demandeur est toujours retourné à ses fonctions après ses permissions;

•  la preuve n’indique pas que le demandeur trouvait odieuses les activités de l’unité Ek 10a;

•  le demandeur s’est joint à la demande de citoyenneté allemande de sa mère.

[61]      En outre, le demandeur n’a pas établi qu’il satisfaisait à l’élément de proportionnalité. Il n’a pas présenté de preuve démontrant que le préjudice causé aux victimes de l’unité Ek 10a était moins grave que celui auquel il aurait été exposé. L’affirmation du demandeur selon laquelle les membres de l’unité Ek 10a pouvaient être tués s’ils désobéissaient à un ordre ou essayaient de s’enfuir n’a aucun fondement factuel.

[62]      En ce qui concerne le recours, par le demandeur, au droit criminel relatif à la contrainte, le défendeur affirme que la jurisprudence a statué que « la procédure prévue à l’article 18 de la Loi sur la citoyenneté doit être analysée dans le contexte des principes et des politiques qui sous-tendent les règles de droit relatives à l’immigration et à la citoyenneté, et non dans le contexte du droit criminel » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Copeland, [1998] 2 C.F. 493 (1re inst.), cité dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Oberlander, 1997 CanLII 5898 (C.F. 1re inst), au paragraphe 26.

[63]      Nonobstant cette orientation de la Cour, le demandeur ne satisfait pas au critère du droit criminel établi dans l’arrêt Ryan, précité. Il s’appuie sur une preuve non fondée pour établir une menace. Or, la conviction subjective d’une personne n’est pas déterminante et le risque de mort en cas de désertion n’excuse pas la perpétration d’atrocités : Valle Lopes, précitée, au paragraphe 107. Il doit aussi exister un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice éventuel : Ryan, précité, aux paragraphes 66 et 67. Le demandeur avance que le préjudice peut être prospectif, mais, dans la décision Caballero, précitée, la Cour a rejeté l’argument selon lequel le préjudice imminent pouvait être continu et ne pas être limité dans le temps (aux paragraphes 30 et 31). Le demandeur ne peut satisfaire à l’élément de proportionnalité du critère établi dans l’arrêt Ryan parce que rien ne permet de penser qu’une menace a été proférée à son endroit : Arica c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 907, au paragraphe 25. Le défendeur conteste également l’affirmation du demandeur selon laquelle le rapport ne tient pas compte de sa situation personnelle. Or, le rapport a pris en compte l’âge de M. Oberlander, son degré de maturité et son niveau d’instruction.

2)         Aucun droit de répondre au rapport final

[64]      Le défendeur soutient qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale dans le cadre de la rédaction du rapport. Le demandeur a eu une véritable occasion de faire valoir son point de vue; il a obtenu un projet de rapport, qui exposait l’analyse de la question de la contrainte effectuée par le ministre; il a eu une véritable occasion de répondre à ce projet; le rapport final faisait seulement état des prétentions présentées à cette fin par le demandeur. Le défendeur soutient que le ministre n’est pas tenu de répondre à la réponse du demandeur. Le processus doit prendre fin à un moment donné et le demandeur n’a fait référence à aucune décision judiciaire établissant un droit de répondre à l’examen final fait par le ministre des observations qu’il a présentées en réponse.

[65]      Le défendeur prétend en outre que le demandeur n’a pas établi que la dernière partie du rapport renfermait de nouveaux faits ou arguments ou qu’une conclusion déraisonnable y était tirée.

3)         Le droit à une audience

[66]      Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas droit à une audience : voir Baker, précité, aux paragraphes 23 à 27; Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98, au paragraphe 15. Le demandeur a eu une audience devant la Cour fédérale, et la Loi permet un examen sur dossier fondé sur un rapport écrit produit à la suite de l’audience : paragraphe 10(1) de la Loi; Odynsky, précité. Le demandeur n’a pas droit à une audience devant le GC et il n’a jamais demandé la tenue d’une audience.

[67]      L’importance de la décision pour le demandeur ne lui donne pas droit à une audience. Un examen sur dossier a été considéré comme suffisant même lorsqu’un risque de torture est allégué : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 113 à 123; Lupsa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 311, aux paragraphes 32 à 36.

[68]      Par ailleurs, le défendeur n’est pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il dit que la présente affaire porte essentiellement sur la crédibilité. Il affirme que le GC n’a pas tiré une conclusion défavorable relative à la crédibilité à l’encontre du demandeur, mais qu’il a plutôt jugé non convaincante la preuve de ce dernier. Le demandeur avait le fardeau de démontrer que le moyen de défense fondé sur la contrainte s’appliquait. La preuve qu’il a produite à cette fin a été mise en balance avec la preuve indiquant qu’il n’agissait pas sous l’effet de la contrainte. Or, une valeur probante plus faible peut être accordée à la preuve qui est présentée par un témoin ayant un intérêt personnel dans l’affaire, qui n’est pas corroborée ou qui manque de précisions : Ventura c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 871, aux paragraphes 21 à 23; Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 (Ferguson), au paragraphe 27; I.I. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 892, aux paragraphes 20 et 21. On a jugé de manière raisonnable que la valeur probante de la preuve du demandeur n’était pas suffisante.

[69]      Enfin, le défendeur affirme que la Déclaration des droits n’est pas utile au demandeur, car il ressort de la jurisprudence que la justice fondamentale a la même signification que la justice naturelle. De plus, le demandeur n’a pas démontré comment la révocation de la citoyenneté canadienne pour fraude ou fausse déclaration fait entrer en jeu l’article 7 de la Charte, peu importe la façon dont elle porte atteinte aux droits garantis par cette disposition.

C.        Les observations écrites supplémentaires du demandeur

1)         La Cour a compétence pour entendre des observations portant sur une nouvelle question

[70]      Le demandeur soutient qu’une question qui n’a pas été soulevée précédemment peut être invoquée pour tirer profit d’une modification apportée au droit, dans la mesure où l’affaire est toujours en cours : R. v. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 246 (Wigman); R. c. Weir, 1999 ABCA 275, 250 A.R. 73 (Weir).

[71]      Le demandeur fait valoir que l’un des facteurs importants dont la Cour suprême a tenu compte dans l’arrêt Wigman était le fait que l’article 618 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, prévoyait qu’un appel pouvait être interjeté sur toute question de droit, et non sur toute question pour laquelle l’autorisation avait été accordée. Il affirme que ce libellé est semblable aux dispositions de la Loi sur les Cours fédérales qui confère à la Cour sa compétence. Le demandeur mentionne expressément les alinéas 18.1(3)a) et 18.1(4)c), qui permettent respectivement à la Cour d’ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir et d’accorder un redressement si elle est convaincue que l’office fédéral a commis une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier. La compétence de la Cour fédérale ne se limite pas aux questions mentionnées dans les observations initiales du demandeur.

[72]      Le demandeur soutient que la question de la révocation de sa citoyenneté canadienne est une question qui est toujours en cours et que la Cour a la compétence voulue pour examiner des prétentions sur la modification apportée au droit.

2)         La modification du droit

[73]      Dans l’arrêt Ramirez, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu que la complicité dans les crimes internationaux, comme les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, pouvait être établie sur la foi d’une participation personnelle et consciente. Une fois qu’il a été déterminé qu’un groupe a commis des crimes internationaux, il faut décider si la personne concernée en a été complice en raison de sa connaissance de ces crimes et de son consentement à leur perpétration. Si une organisation est considérée comme ayant seulement des fins brutales, l’appartenance à cette organisation est suffisante en soi pour prouver à première vue la participation personnelle et consciente. C’est la norme dont le GC s’est servi pour décider que M. Oberlander avait été complice des activités criminelles de l’unité Ek 10a : lignes directrices, au point 7.2.

[74]      La Cour suprême du Canada a récemment infirmé, dans l’arrêt Ezokola, précité, la décision rendue par la Cour d’appel fédérale. La norme de la connaissance personnelle et consciente a été rejetée dans cette affaire en raison de l’absence de lien avec le crime allégué ou le dessein criminel de l’organisation. Au lieu d’appliquer ce critère, il faut déterminer si « la personne a volontairement et consciemment contribué de manière significative à la perpétration d’un crime par un groupe ou à la réalisation du dessein criminel de ce groupe » : Ezokola, précité, au paragraphe 8.

[75]      Le juge MacKay a accepté la description que M. Oberlander a faite de son travail avec l’unité Ek 10a, sans décider s’il s’agissait d’une description complète de ses activités. M. Oberlander exécutait notamment les tâches suivantes : nettoyer les uniformes, travailler avec le personnel de cuisine, inscrire parfois les Allemands de souche, s’occuper des fournitures, servir d’interprète aux officiers allemands dans leurs contacts avec les autorités locales, chercher le lieu des sépultures des soldats allemands, organiser des divertissements locaux pour les troupes allemandes, promouvoir des mesures d’hygiène publique et, occasionnellement, agir comme interprète lors de séances d’interrogation (Oberlander (2000), précitée, aux paragraphes 44 à 48). Le juge MacKay a notamment conclu que M. Oberlander n’avait pas participé aux activités brutales ou criminelles de l’unité Ek 10a : Oberlander (2000), précitée, au paragraphe 12. Le demandeur soutient que sa participation laisse fortement croire que ses contributions à cette unité ont été mineures.

[76]      Le GC ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si les actes de M. Oberlander constituaient une contribution importante au dessein criminel de l’unité Ek 10a. En conséquence, la décision est erronée et doit être annulée.

D.        Les observations écrites supplémentaires du défendeur

[77]      Le défendeur soutient qu’il faut décider en l’espèce si une conclusion tirée par le GC en 2007, qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale en 2009, peut être rouverte pour infirmer la conclusion tirée par le GC en 2012 concernant la contrainte. Il fait valoir que le demandeur demande à la Cour d’infirmer une décision de la Cour d’appel fédérale. Cette décision a établi de manière définitive que le demandeur avait été complice de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par l’unité Ek 10a et qu’il y avait donc chose jugée.

[78]      Le principe de l’autorité de la chose jugée empêche une partie de remettre une question en litige, sauf si des circonstances spéciales existent. L’existence de circonstances spéciales peut être établie s’il est démontré que la décision était manifestement erronée ou qu’il serait dans l’intérêt de la justice de permettre que la question soit remise en litige. Le défendeur soutient qu’il n’existe pas, en l’espèce, de circonstances spéciales permettant à la Cour d’infirmer la décision définitive de la Cour d’appel fédérale. L’arrêt Ezokola ne permet pas de conclure que la décision du GC sur la complicité était manifestement erronée, et il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de réexaminer l’affaire.

[79]      La préclusion découlant d’une question déjà tranchée est un aspect du principe de l’autorité de la chose jugée qui empêche que des éléments constitutifs ou des faits substantiels soient remis en litige après avoir fait l’objet d’une décision : Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460 (Danyluk), au paragraphe 20. Cette préclusion s’applique lorsque trois conditions sont remplies (Danyluk, précité, au paragraphe 25) : la même question a été décidée dans une instance précédente; la décision judiciaire antérieure était finale; les parties aux deux instances sont les mêmes.

[80]      Le défendeur affirme que ces conditions sont remplies en l’espèce. La question de droit consistant à décider si le demandeur a été complice des actes de l’unité Ek 10a a été tranchée par la Cour d’appel fédérale : l’appel a été accueilli uniquement pour ce qui est de la question de la contrainte et la conclusion du GC sur la complicité a été maintenue. La décision de la Cour d’appel fédérale sur la complicité était définitive. Un jugement n’a pas à statuer sur le litige en entier pour être définitif. S’il statue sur toute question de fond interlocutoire, il acquerra l’autorité de la chose jugée : Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd., 2013 CSC 46, [2013] 3 R.C.S. 125 (Régie des rentes du Québec), au paragraphe 30. Il ne fait également aucun doute que les parties au litige sont les mêmes.

[81]      Le défendeur fait valoir que la présente affaire est différente de l’arrêt Wigman, précité. Dans cette dernière affaire, l’accusé interjetait appel d’une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre. Les règles de droit régissant la tentative de meurtre avaient changé, mais le tribunal devait toujours déterminer si l’accusé pouvait être coupable de tentative de meurtre. Il en est autrement en l’espèce, où la question de la complicité a été tranchée de façon définitive et concluante dans une autre instance concernant une décision différente du GC.

[82]      Pour qu’une affaire soit « en cours », il faut que l’un des trois critères suivants soit rempli (R. c. Sarson, [1996] 2 R.C.S. 223, au paragraphe 27; R. c. Thomas, [1990] 1 R.C.S. 713 (Thomas); Metro Can Construction Ltd. c. Canada, 2001 CAF 227 (Metro Can Construction), au paragraphe 5) : un pourvoi a été porté devant la Cour suprême; une requête en autorisation de pourvoi a été présentée dans le délai; une requête en prorogation de délai a été accordée selon des critères qui s’appliquent normalement dans ces cas. Selon le défendeur, la présente instance n’est visée par aucun de ces critères. La décision rendue par la Cour d’appel fédérale sur la question de la complicité était définitive, elle n’a pas fait l’objet d’un pourvoi à la Cour suprême et l’affaire n’est plus en cours.

[83]      La Cour peut instruire une affaire qui a acquis l’autorité de la chose jugée s’il existe des circonstances spéciales : Danyluk, précité, au paragraphe 63; Giles v. Westminster Savings and Credit Union, 2010 BCCA 282, 5 B.C.L.R. (5th) 252, au paragraphe 63. Toutefois, ni la Cour d’appel fédérale ni la Cour suprême du Canada n’ont déclaré qu’une modification de la jurisprudence justifie l’assouplissement de l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée : Apotex Inc. c. Merck & Co., 2002 CAF 210, [2003] 1 C.F. 242 (Apotex), au paragraphe 35; Régie des rentes du Québec, précité, aux paragraphes 24, 30, 31 et 40; Metro Can Construction, précité, au paragraphe 5.

[84]      Une modification du droit peut constituer une circonstance spéciale seulement lorsqu’elle rend la décision manifestement erronée (Apotex, précité, aux paragraphes 35 et 36; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Pharmascience Inc., 2007 CF 1057, au paragraphe 60, conf. par 2008 CAF 213) ou lorsqu’il est dans l’intérêt de la justice de remettre l’affaire en litige (Smith Estate v. National Money Mart Co., 2008 ONCA 746, 92 O.R. (3e) 641 (Smith Estate), au paragraphe 42).

[85]      Le défendeur soutient que la décision du GC n’est pas manifestement erronée et que le GC serait parvenu à la même décision s’il avait procédé à l’analyse décrite dans l’arrêt Ezokola. Il affirme que la contribution du demandeur à l’unité Ek 10a ne découlait pas d’une simple association et, de ce fait, il ne s’agissait pas du type de conclusion relative à la complicité que la Cour suprême voulait corriger avec l’arrêt Ezokola. Cet arrêt prévoit que la contribution d’un accusé peut viser un « dessein commun plus large, comme la réalisation de l’objectif d’une organisation » (précité, au paragraphe 87). L’aide fournie par le demandeur en interprétant les propos formulés lors de séances d’interrogatoire a contribué à l’identification des ennemis du Reich allemand et, ensuite, à leur exécution. Il s’agit d’une contribution significative au dessein criminel de l’unité Ek 10a.

[86]      Le défendeur soutient également qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de remettre en litige la question de la complicité du demandeur. L’intérêt de la justice exige plutôt que la présente instance fasse l’objet d’une décision définitive.

[87]      La seule question qui est toujours en cours est celle de savoir si le demandeur agissait sous l’effet de la contrainte pendant son service au sein de l’unité Ek 10a. L’arrêt Ezokola n’a pas modifié le droit relatif à la contrainte. Le rapport, qui reflète les motifs de la décision rendue par le GC en 2012, ne renferme aucune conclusion sur la complicité, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte de cette modification du droit.

E.        La réponse du demandeur aux observations écrites supplémentaires du défendeur

[88]      Le demandeur soutient que la présente affaire ne concerne pas le principe de l’autorité de la chose jugée, mais plutôt la question de savoir si elle est toujours en cours. Si c’est le cas, une modification du droit applicable en l’espèce doit être prise en compte.

[89]      Le demandeur affirme que la question de la contrainte est directement liée à la justesse d’une conclusion de complicité. L’élément de proportionnalité du moyen de défense n’est pas rempli, car M. Oberlander n’a été impliqué directement dans aucun crime, de sorte que ses actes n’ont causé aucun préjudice aux victimes de l’unité Ek 10a. Le demandeur affirme également que, contrairement à ce que le défendeur prétend, les séances au cours desquelles il a agi comme interprète n’ont pas mené à des exécutions. Il serait arbitraire d’examiner le moyen de défense fondé sur la contrainte en rapport avec une conclusion de complicité s’appuyant sur une interprétation du droit qui a été infirmée.

[90]      Dans les arrêts Wigman et Weir, précités, le facteur qui a été pris en considération pour décider s’il y avait lieu d’appliquer une modification du droit était le fait que le tribunal était toujours saisi de l’affaire. Dans les deux cas, les parties ont été autorisées, parce que le droit avait changé, à mettre en litige en appel les questions qui avaient été tranchées de manière définitive en première instance et qui n’avaient pas été portées en appel.

[91]      Le demandeur n’est pas tenu de démontrer qu’il existe des circonstances spéciales parce que l’autorité de la chose jugée n’est pas en cause en l’espèce. Le GC a appliqué une norme qui, selon la Cour suprême du Canada, était erronée. Il s’agit d’une erreur de droit.

[92]      Le demandeur soutient en outre que l’arrêt Ezokola ne portait pas seulement sur la complicité par association, mais aussi sur le niveau de contribution. Le juge MacKay a affirmé « qu’aucune preuve n’a été présentée à la Cour au sujet d’une implication personnelle du défendeur dans des activités criminelles ou dans des crimes de guerre » : Oberlander (2000), précitée, au paragraphe 12.

[93]      Le demandeur prétend qu’il n’appartient pas à la Cour de tirer une conclusion de fait au sujet de sa complicité. La preuve ne démontre pas cependant qu’il a joué un rôle important à l’égard du dessein criminel de l’unité Ek 10a. Aucune conclusion n’est tirée au sujet de la question de savoir si ses activités en tant qu’interprète ont contribué de façon significative au dessein de l’unité Ek 10a. L’affaire devrait être renvoyée au GC pour qu’elle fasse l’objet d’une nouvelle décision.

VIII.     ANALYSE

[94]      La présente demande soulève des questions concernant principalement l’autorité de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée), l’équité procédurale et le caractère déraisonnable de la décision. Si le demandeur a gain de cause relativement à l’une de ces questions, la décision contestée devra être réexaminée. J’analyserai donc chaque question successivement.

A.        L’autorité de la chose jugée — La préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[95]      Le demandeur fait valoir que la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt dans Ezokola, précité, après le dépôt des prétentions et avant la mise au rôle de la présente demande. Cet arrêt a modifié en profondeur les règles de droit régissant la complicité dans la commission de crimes internationaux dans le contexte de l’immigration. Le demandeur affirme en outre que l’arrêt Ezokola a un effet direct sur la conclusion du GC selon laquelle il a été complice de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. En conséquence, il soutient que la décision du GC doit être annulée parce qu’elle ne respecte pas les exigences relatives à la complicité qui ont été établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola. Le défendeur invoque à l’encontre de cette prétention le principe de l’autorité de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée).

[96]      À première vue, il me semble que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique en l’espèce. La Cour d’appel fédérale a confirmé précédemment la conclusion du GC selon laquelle le demandeur était complice. Par conséquent, en ce qui concerne la question de la complicité, les trois critères relatifs à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, qui sont décrits dans l’arrêt Danyluk, précité, sont remplis : la question de la complicité a été décidée dans une instance précédente, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale sur la question de la complicité était définitif et les parties aux instances sont les mêmes.

[97]      La Cour d’appel fédérale a renvoyé la décision antérieure du GC sur la question de la contrainte, mais cela n’empêche pas sa décision d’être définitive dans la mesure où elle concerne la complicité. La Cour suprême a confirmé dans l’arrêt Régie des rentes du Québec, précité, au paragraphe 30, qu’« [u]n jugement n’a pas à statuer sur le litige en entier pour être définitif. S’il statue sur toute question de fond interlocutoire, il acquerra l’autorité de la chose jugée » [souligné dans l’original].

[98]      Le demandeur tente de s’opposer à cette jurisprudence et de faire ressortir diverses différences entre celle-ci et la présente affaire. Tout d’abord, il dit que, comme la question de la contrainte est toujours en cours, il lui est loisible de remettre en litige la question de la complicité en raison des modifications du droit qu’il relève dans l’arrêt Ezokola.

[99]      Je ne vois pas comment cela est possible, car cela signifierait que, même si l’une ou plusieurs des questions en litige (la complicité en l’espèce) ont fait l’objet d’une décision définitive, celle-ci ne peut avoir l’autorité de la chose jugée si une autre question est toujours en cours afin d’être tranchée par la Cour. À mon avis, l’arrêt Régie des rentes du Québec, précité, dit plutôt le contraire. J’estime aussi que le demandeur n’a cité aucune décision judiciaire à l’appui de sa prétention. L’arrêt Wigman de la Cour suprême du Canada est différent et n’a aucune valeur analogue en l’espèce où la question de la complicité a fait l’objet d’une décision définitive de la Cour d’appel fédérale. Dans l’arrêt Wigman, le droit avait changé pendant que l’appel de l’appelant était en instance. La question de savoir si la tentative de meurtre avait été prouvée n’avait pas fait l’objet d’une décision définitive et devait être tranchée en appel. La Cour suprême a affirmé que la nouvelle interprétation de la loi s’appliquait au cas de l’appelant parce que « cette affaire s’est présentée alors que l’accusé disposait toujours de voies de recours — elle était toujours “en cours” » (précité, aux pages 260 et 261).

[100]   Dans des arrêts subséquents, la Cour suprême du Canada a statué qu’un appel n’était pas le seul moyen de faire en sorte qu’une affaire reste en cours. Dans l’arrêt Thomas, précité, elle a affirmé qu’une affaire pouvait aussi être en cours si « une requête en autorisation de pourvoi a été présentée dans le délai; [ou si] une requête en prorogation de délai a été accordée selon des critères qui s’appliquent normalement dans ces cas » (à la page 716). Plus récemment, dans l’arrêt Régie des rentes du Québec, précité, elle a indiqué, au paragraphe 38, que « les affaires renvoyées devant un tribunal d’instance inférieure sont aussi pendantes ».

[101]   En l’espèce, le demandeur n’a pas interjeté appel de la décision de la Cour d’appel fédérale. Il n’a pas non plus présenté une demande de prorogation du délai d’appel. Par conséquent, il faut donc, pour que son affaire soit pendante, qu’il puisse convaincre la Cour que la décision contestée est de la nature de celle qui a été renvoyée dans l’arrêt Régie des rentes du Québec.

[102]   À mon avis, l’affaire qui a été renvoyée en l’espèce peut être différenciée de celle qui a été renvoyée dans l’arrêt Régie des rentes du Québec. Dans l’arrêt Régie des rentes du Québec, l’affaire renvoyée concernait la détermination des obligations d’un employeur à la suite de la terminaison d’un régime de retraite. Le droit avait changé avant cette détermination et le tribunal était tenu d’appliquer le droit alors en vigueur, ce qui est différent de l’affaire que la Cour d’appel fédérale a renvoyée au GC en l’espèce. La Cour d’appel fédérale a explicitement maintenu la décision de la Cour fédérale selon laquelle la décision du GC relative à la question de la complicité était raisonnable (Oberlander (2009), précité, au paragraphe 22), et elle a renvoyé l’affaire au GC dans le seul but qu’il examine la question de la contrainte (au paragraphe 41). La décision de la Cour d’appel fédérale est une décision définitive en ce qui concerne les droits et les obligations fondamentaux des parties relativement à la complicité.

[103]   La complicité n’était pas une question pendante qui devait être tranchée par le GC. En conséquence, j’estime que rien ne permet au demandeur de prétendre qu’il devrait pouvoir bénéficier de la modification du droit établie dans l’arrêt Ezokola parce que la question de la complicité est toujours en cours. La Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire au regard seulement de la question de la contrainte. L’arrêt Ezokola n’a pas modifié le droit régissant la contrainte.

[104]   À mon avis, le principe de l’autorité de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée) s’applique en l’espèce. L’affaire ne s’arrête pas là cependant. Comme le défendeur le reconnaît, même lorsque les critères de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquent (comme c’est le cas ici), la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire résiduel de déterminer que le principe ne devrait pas s’appliquer lorsque, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il pourrait en résulter une injustice : voir Danyluk, précité, au paragraphe 63.

[105]   À mes yeux, il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire qui semble très difficile à exercer et qui, s’il n’est pas circonscrit, pourrait facilement mettre à mal le principe en entier et l’objet de l’autorité de la chose jugée. En conséquence, je pense que je dois tenir compte des éléments et des principes suivants lorsque j’examine l’exercice du pouvoir discrétionnaire en l’espèce :

a.         la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont affirmé clairement que le pouvoir discrétionnaire de la Cour de ne pas tenir compte du principe de l’autorité de la chose jugée doit être très limité dans son application : voir Apotex, précité, au paragraphe 48, citant General Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983] 1 R.C.S. 72 (Naken), à la page 101;

b.         il est établi clairement également dans ces arrêts que ce pouvoir discrétionnaire peut être exercé seulement dans les cas les plus exceptionnels et que « [l]a dureté des conséquences qui découlent de cette théorie n’a pas empêché les tribunaux d’en faire application » : voir Apotex, précité, au paragraphe 48, citant Naken, précité, à la page 101;

c.         le pouvoir discrétionnaire est encore plus limité lorsqu’il est exercé à l’égard d’une décision judiciaire définitive qu’à l’égard d’une décision administrative : voir Apotex, précité, aux paragraphes 45 et 46; Danyluk, précité, au paragraphe 66;

d.         il incombe à la partie qui cherche à éviter l’application du principe de démontrer qu’il existe des circonstances spéciales;

e.         bien qu’une modification du droit puisse constituer des circonstances spéciales, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que ni elle-même ni la Cour suprême du Canada n’avaient jamais considéré qu’une modification de la jurisprudence était suffisante : voir Apotex, précité, au paragraphe 35;

f.          dans l’arrêt Metro Can Construction, précité, la Cour d’appel fédérale semble dire au paragraphe 5 qu’une affaire ayant fait l’objet d’une décision définitive ne devrait pas être rouverte uniquement parce que le droit a changé;

g.         une modification du droit ne constituera pas des circonstances spéciales, sauf s’il est dans l’intérêt de la justice de débattre à nouveau de la question en litige : Smith Estate, précité, au paragraphe 42.

[106]   À mon avis, la Cour d’appel fédérale n’a pas dit, dans l’arrêt Apotex, précité, qu’une modification du droit constituerait des circonstances spéciales si la décision était manifestement erronée. En fait, Apotex prétendait plutôt qu’il s’agissait d’un principe de droit fondé sur un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (Minott v. O’Shanter Development Co. (1999), 42 O.R. (3e) 321 (Minott)). La Cour d’appel fédérale a indiqué qu’elle supposait, sans trancher la question, qu’Apotex pouvait s’appuyer sur ce principe, mais que ni elle-même ni la Cour suprême du Canada n’avaient jamais dit qu’une modification du droit constituait des circonstances spéciales (Apotex, précité, aux paragraphes 35 et 36). La Cour d’appel fédérale a effectué une brève analyse et a conclu que la modification du droit n’avait pas rendu la décision antérieure manifestement erronée.

[107]   Même si la Cour d’appel fédérale était disposée à examiner l’utilisation de l’arrêt Minott par Apotex, je ne pense pas que l’on puisse dire qu’elle a confirmé ce principe. En fait, les arrêts de la Cour suprême du Canada indiquent exactement le contraire. Dans l’arrêt Wigman, la Cour suprême du Canada a confirmé les arrêts qu’elle avait rendus dans le passé selon lesquels le principe de l’autorité de la chose jugée empêchait les tribunaux de rouvrir des affaires, même celles fondées sur des lois inconstitutionnelles (précité, aux pages 257 et 258) :

Il est de la plus haute importance qu’une instance criminelle ait un caractère définitif, mais l’application normale du principe de l’autorité de la chose jugée répond adéquatement à ce besoin. Une affaire jugée définitivement ne peut être soumise de nouveau aux tribunaux. Ainsi la personne reconnue coupable en vertu de l’arrêt Lajoie ne sera pas en mesure de rouvrir son dossier à moins, bien entendu, que la déclaration de culpabilité ne soit pas définitive. Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, à la p. 757, la Cour fait observer que le principe de l’autorité de la chose jugée empêcherait même de rouvrir les dossiers sur lesquels les tribunaux ont statué en fonction de lois inconstitutionnelles. Le principe de l’autorité de la chose jugée s’appliquerait au moins tout autant aux affaires jugées en fonction d’une jurisprudence subséquemment rejetée.

[108]   Compte tenu de l’importance accordée par la Cour suprême au caractère définitif des décisions judiciaires dans les arrêts Danyluk et Régie des rentes du Québec, précités, et de l’affirmation faite dans l’arrêt Danyluk selon laquelle le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer le principe de l’autorité de la chose jugée est très limité en ce qui concerne les décisions judiciaires, il semble peu probable qu’une simple modification du droit puisse, à elle seule, être suffisante pour que l’on puisse conclure à l’existence de circonstances spéciales, même si la décision antérieure était manifestement erronée.

[109]   En ce qui concerne l’arrêt Smith Estate, précité, les tribunaux provinciaux ont assoupli le principe de l’autorité de la chose jugée beaucoup plus facilement et plus largement que les Cours fédérales et la Cour suprême du Canada, comme la Cour d’appel fédérale l’a mentionné dans l’arrêt Apotex. À mon avis, la question primordiale qui se pose lorsqu’il faut décider s’il convient ou non d’exercer le pouvoir discrétionnaire est de savoir s’il est dans l’intérêt de la justice de le faire, et cette question ne se limite pas à savoir s’il y a eu un changement du droit : « Suivant ce dernier facteur, qui est aussi le plus important, notre Cour doit prendre un certain recul et, eu égard à l’ensemble des circonstances, se demander si, dans l’affaire dont elle est saisie, l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée entraînerait une injustice » (Danyluk, précité, au paragraphe 80).

[110]   À mon avis, ces lignes directrices ne constituent nullement un ensemble complet ou parfaitement cohérent de principes pouvant servir à rendre une décision en l’espèce. Il me semble cependant que la société a grand intérêt à ce qu’une décision définitive soit rendue sur le fond et que cet intérêt ne peut être supplanté que dans de rares cas où l’intérêt de la justice exige que l’affaire soit débattue à nouveau. À mon avis, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[111]   Je suis de cet avis parce que le demandeur n’a rien démontré de plus qu’une modification du droit. Sa prétention selon laquelle il n’avait pas été complice a fait l’objet d’une décision complète sur le fond qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale. Le système juridique offrait au demandeur le moyen de contester ce résultat. Le demandeur affirme maintenant que la conclusion de complicité n’était pas conforme aux normes et aux obligations internationales qui ont été reconnues par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola. Si cette prétention est vraisemblable maintenant, elle l’était tout autant lorsque la Cour d’appel fédérale a statué que la complicité avait été établie. Le demandeur était libre de demander l’autorisation d’interjeter appel de la décision relative à la complicité à la Cour suprême du Canada. Le système lui offrait le moyen de démontrer que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale ne respectait pas les normes internationales et de faire valoir ses arguments actuels devant la Cour suprême du Canada. Il a cependant choisi de ne pas interjeter appel sur cette question. Il faut donc considérer qu’il a accepté le résultat. Au lieu de soumettre ses arguments actuels de la manière dont le système lui aurait permis de le faire, le demandeur se présente maintenant devant la Cour et demande que l’application du principe de l’autorité de la chose jugée soit suspendue en sa faveur. Je ne pense pas que l’on puisse dire qu’il y a une injustice lorsque le demandeur a eu la possibilité de remettre en cause et d’essayer de faire annuler le droit relatif à la complicité, mais qu’il a choisi de ne pas se prévaloir de cette possibilité plus tôt.

[112]   En outre, le demandeur n’a pas non plus, à mon avis, établi que la décision selon laquelle il avait été complice était [traduction] « manifestement erronée ». La décision précédente du GC sur la complicité, à laquelle avait souscrit la Cour d’appel fédérale, était manifestement correcte sur le fond et, même si le caractère erroné doit maintenant être évalué en fonction de l’arrêt Ezokola, le demandeur n’a pas démontré que la décision en question était [traduction] « manifestement erronée ». L’arrêt Ezokola fait disparaître la notion de culpabilité par simple association. La Cour suprême du Canada a statué qu’il ne faudrait pas conclure à la complicité de « tout propriétaire, commerçant, prestataire de services (y compris publics), secrétaire, gardien ou même contribuable apportant une quelconque contribution » (au paragraphe 57). La complicité est plutôt liée « à la contribution intentionnelle ou consciente aux crimes ou au dessein criminel [d’un] groupe » (au paragraphe 61). Sa contribution ne fait pas du demandeur un membre d’une catégorie manifestement accessoire de personnes. La preuve permet de croire, par exemple, que le demandeur a joué un rôle à titre d’interprète lors d’interrogatoires qui ont pu entraîner la mort des personnes interrogées. Il est possible de débattre de l’importance de ce rôle (cette question se posera également au regard de la contrainte), mais je ne pense pas que l’on puisse affirmer que le demandeur ne peut clairement pas être considéré comme un complice si l’arrêt Ezokola est appliqué à sa situation. La preuve indique que le demandeur a agi comme interprète pendant l’interrogatoire — mené par des officiers allemands dans les locaux de la SD — d’une femme qui, si on avait jugé qu’elle était juive, aurait probablement été tuée (rapport, supplément C, onglet C, aux pages 893, 894, 908 et 909). Le demandeur n’était pas seulement chargé de garder un chaland. En agissant comme interprète de cette façon, il a joué un rôle crucial pour que l’unité Ek 10a atteigne ses fins parce qu’il a contribué à identifier les personnes qui devaient être éliminées. Nous ne savons pas exactement combien de fois le demandeur a agi à ce titre, mais les témoignages de M. Huebert, de M. Sidorenko et même du demandeur semblent indiquer que ce dernier a joué un rôle d’interprète au sein de l’unité Ek 10a.

[113]   En ce qui concerne cette question, je conclus que le principe de l’autorité de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée) s’applique en l’espèce et que le demandeur n’a pas fait la preuve de motifs qui me permettront d’exercer le pouvoir discrétionnaire de passer outre à ce principe et de renvoyer l’affaire pour qu’elle fasse l’objet d’un nouvel examen pour ce qui est de la question de la complicité.

B.        L’équité procédurale

[114]   Le demandeur allègue que l’équité procédurale a été enfreinte principalement de deux façons. J’examinerai chacune d’elles successivement.

1)         Le droit de faire des observations sur la recommandation finale du ministre

[115]   Le demandeur prétend qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas été autorisé à répondre à la recommandation finale formulée par le ministre à l’intention du GC.

[116]   Dans la présente affaire, la décision contestée et les motifs sont constitués du décret qui a révoqué la citoyenneté du demandeur et des motifs contenus dans le rapport du ministre. Il ressort du dossier que cette décision a été l’aboutissement du processus législatif habituel.

[117]   Après l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale en 2009, qui a confirmé les conclusions relatives à la complicité du GC, mais renvoyé l’affaire pour que la question de la contrainte fasse l’objet d’un nouvel examen, le demandeur a été invité à présenter des observations sur cette dernière question. En conséquence, il a déposé un affidavit ainsi que 45 pages d’observations le 21 avril 2010. Le ministre a ensuite rédigé un document de 18 pages intitulé [traduction] « projet de rapport complémentaire et réponse aux observations » et, le 21 juin 2010, il l’a fait parvenir au demandeur afin que celui-ci puisse y répondre avant qu’il transmette sa recommandation finale au GC. Le projet de rapport complémentaire indiquait clairement que le ministre allait recommander la révocation de la citoyenneté du demandeur, mais qu’aucune recommandation finale ne serait faite tant que le ministre n’aurait pas reçu et examiné la réponse du demandeur.

[118]   Le 7 juillet 2010, le demandeur a produit une réponse de 37 pages au projet de rapport complémentaire du ministre. Ce dernier a ensuite rédigé un document intitulé [traduction] « rapport complémentaire et réponse aux observations » qui tenait compte des observations contenues dans la réponse du demandeur. Le GC a examiné ce document puis, le 27 septembre 2012, il a accepté la recommandation du ministre et révoqué la citoyenneté canadienne du demandeur.

[119]   Le demandeur se plaint maintenant qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas eu la possibilité de faire des commentaires sur le rapport complémentaire et la réponse aux observations, qui portaient sur sa réponse au projet de rapport complémentaire.

[120]   Tout d’abord, je ne vois rien de fondamentalement inéquitable dans le processus qui a été suivi en l’espèce et qui est suivi dans d’autres affaires semblables où la révocation de la citoyenneté est envisagée. Il me semble que le demandeur a eu une possibilité juste et significative de faire valoir son point de vue sur la contrainte, d’alléguer des faits au soutien de celui-ci et de faire des commentaires à ce sujet. C’est exactement ce qu’il a fait. Il a été informé que la recommandation finale serait rédigée une fois que sa réponse aurait été examinée et prise en compte, et il a rédigé sa réponse en toute connaissance de cause. Il n’a pas demandé à voir la recommandation finale afin de pouvoir formuler d’autres observations. Le demandeur prétend que le rapport final est un « outil d’assistance judiciaire » et qu’il aurait dû être communiqué. Cette prétention a toutefois été rejetée par la Cour et par la Cour d’appel fédérale : Oberlander c. Canada (Procureur général), 2003 CF 944 [précitée], aux paragraphes 13 et 14, inf. pour d’autres motifs par 2004 CAF 213, [2005] 1 R.C.F. 3 [précité], aux paragraphes 34 à 36. En l’espèce, les recommandations du ministre constituent les motifs de la décision contestée et l’équité procédurale n’exige pas que la version finale des motifs soit présentée afin d’être éventuellement réfutée : voir Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 R.C.F. 3, au paragraphe 72; Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.), aux pages 219 à 221. Si ces motifs renferment une erreur susceptible de contrôle, le demandeur a le droit d’en demander le contrôle à la Cour.

[121]   L’examen du processus suivi dans la présente affaire m’amène à conclure que le demandeur connaissait tous les faits et éléments de preuve qu’il devait réfuter et qu’il a eu une possibilité juste et significative de le faire avant qu’une décision définitive ne soit prise.

[122]   Le demandeur a tenté de démontrer que la dernière partie du rapport du ministre, qui traitait de sa réponse, faisait état de nouveaux faits, de nouvelles prétentions et d’une [traduction] « interprétation favorable » dont il n’a pas pu traiter dans ses propres observations.

[123]   À mon avis, les motifs constituent un exposé, une interprétation et une appréciation des faits dans tous les cas. Je conviens qu’il peut y avoir manquement à l’équité procédurale si un élément important et extrinsèque est pris en considération par le ministre à la suite de la réponse du demandeur et que ce dernier n’a peut-être pas prévu en prenant connaissance du projet de rapport. Le demandeur a déployé des efforts considérables pour convaincre la Cour que cela était d’ailleurs survenu. J’ai examiné avec soin chacun des cas mentionnés par le demandeur à l’aide du dossier et j’estime que ses allégations de manquement à l’équité procédurale ne sont pas justifiées. À mon avis, il n’y a aucun nouveau fait ou prétention ni aucune description ou caractérisation erronée de la preuve dont le demandeur n’a pas traité ou n’a pas été en mesure de traiter dans ses observations et réponse. J’examinerai chacune des prétentions du demandeur successivement.

Le ouï-dire

[124]   Le demandeur affirme qu’il aurait aimé formuler des observations concernant l’explication donnée par le ministre selon laquelle il voulait dire « ouï-dire » lorsqu’il a employé le terme [traduction] « rumeurs » dans le rapport. Le demandeur veut faire valoir que les déclarations en question n’étaient pas du ouï-dire et il veut étoffer la définition du ouï-dire sur laquelle le ministre s’est appuyé.

[125]   Le rapport indique que le terme [traduction] « rumeurs » a été employé lorsqu’il a été souligné au paragraphe 80 :

[traduction] Les craintes d’être exécuté de M. Oberlander reposaient sur du ouï-dire. C’est ce qui ressort des propres observations de M. Oberlander aux paragraphes 23, 60, 67 vii, 75 et 81 et de son propre affidavit aux paragraphes 19, 22 et 23. Par conséquent, le ministre peut attribuer très peu de valeur aux prétentions formulées par M. Oberlander dans ces paragraphes.

Le rapport définit le ouï-dire dans les termes suivants, à la note de bas de page 76 :

[traduction] Une déclaration faite à l’extérieur du tribunal dans le but d’établir la véracité de son contenu est du ouï-dire – ce qu’on appelle plus familièrement une « rumeur » – et n’est généralement pas digne de foi, car la preuve d’un tiers ne peut pas être l’objet d’un contre-interrogatoire. En 1941, M. Oberlander ne disposait pas d’une preuve originale que les membres de l’unité Ek10a qui avaient tenté de déserter étaient tués. Il fonde plutôt ses prétentions actuelles concernant sa crainte d’être tué s’il déserte sur les déclarations relatées d’autres personnes.

[126]   Le demandeur dit qu’il aurait répondu en informant le GC de ce qui suit (dossier du demandeur, à la page 76) :

[traduction] [L]es témoins de la Couronne ont témoigné sous serment devant le juge MacKay au cours d’une audience. Ils ont relaté des expériences qu’ils avaient vécues et leurs témoignages ne constituaient pas du ouï-dire. En outre, le GC aurait pu être informé que la preuve par ouï-dire est admissible et est appréciée en fonction de la fiabilité et de la crédibilité de sa source. Il ne fait aucun doute que le ministre ne prétendrait pas que la preuve produite par ses propres témoins n’était pas fiable et digne de foi? Il ne s’agit vraiment pas de rumeurs.

[127]   Je pense que le rapport qualifie à juste titre de rumeurs ou de ouï-dire le fondement des affirmations de M. Oberlander selon lesquelles il serait exécuté s’il désertait. Il ressort de ma lecture des paragraphes mentionnés par le ministre que M. Oberlander n’a aucune connaissance directe ni aucune preuve originale étayant sa conviction qu’il serait exécuté s’il désertait. En fait, ses observations font référence à des propos que des gens lui ont adressés ou à des extraits de la transcription de l’audience s’étant déroulée devant le juge MacKay.

[128]   Ces déclarations ont été formulées à l’extérieur du tribunal dans le but d’établir la véracité de leur contenu. Au sous-alinéa 67(vii) des observations du demandeur par exemple, l’avocat soutient qu’[traduction] « on lui a parlé d’un incident au cours duquel un déserteur allemand avait été exécuté. On lui a dit qu’il serait abattu s’il tentait de s’échapper ». Cette déclaration vise à démontrer que M. Oberlander aurait été abattu s’il avait essayé de s’échapper. Or, on ne sait rien au sujet de la personne qui lui a dit cela ou du contexte dans lequel elle l’a fait. Il semble raisonnable que le ministre considère que très peu de valeur devrait être attribuée à une simple déclaration imprécise de ce genre.

[129]   Le demandeur s’appuie aussi sur des extraits de la transcription de l’audience tenue devant le juge MacKay. Au paragraphe 23 de ses observations par exemple, l’avocat cite un extrait du témoignage de M. Sidorenko :

[traduction] Q. Selon l’expérience que vous avez vécue au cours de ces nombreuses années, quelle conséquence auriez-vous encourue, à votre avis, si vous aviez désobéi à un ordre de votre commandant?

R. Ils m’auraient abattu, c’est tout.

[130]   Encore une fois, cet extrait est produit pour démontrer que M. Oberlander aurait été abattu s’il avait désobéi. À mon avis, le demandeur embrouille les choses en disant que le ministre ne peut pas affirmer que ces déclarations sont du ouï-dire parce qu’elles ont été faites devant le tribunal. Les déclarations n’ont pas été faites devant le tribunal aux fins auxquelles le demandeur veut maintenant les utiliser. Le juge MacKay a seulement estimé que le demandeur avait obtenu sa citoyenneté au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels au sens du paragraphe 18(1) de la Loi. La fiabilité de ces déclarations au regard de la contrainte n’a pas été vérifiée.

[131]   Le demandeur veut également informer le GC que [traduction] « la preuve par ouï-dire est admissible et est appréciée en fonction de la fiabilité et de la crédibilité de sa source » (dossier du demandeur, à la page 76). À mon avis, en plus de ne rien ajouter à la définition de ouï-dire du ministre ou à la manière dont celui-ci a traité les déclarations, cela énonce de façon inexacte le fait que les déclarations relatées sont présumées inadmissibles et qu’il faut démontrer qu’elles sont fiables et nécessaires : voir R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520, aux paragraphes 34 à 36. En outre, peu importe la définition du ouï-dire qu’il a utilisée, le ministre a nettement considéré que les déclarations relatées étaient admissibles et il leur a tout simplement accordé moins de poids parce qu’elles étaient fondées sur des propos que M. Oberlander prétend avoir entendus. Le poids à accorder à la preuve relève du pouvoir discrétionnaire du décideur et le ministre avait déjà statué que, comme le demandeur le prétendait, les déclarations devaient être [traduction] « appréciée[s] en fonction de la fiabilité et de la crédibilité de [leur] source ».

[132]   Enfin, le demandeur a formulé de multiples observations concernant l’emploi, par le ministre, du terme [traduction] « rumeurs » dans sa réponse au projet de rapport. Il a à nouveau fait référence aux témoignages de M. Sidorenko et de M. Huebert (voir rapport, réponse, onglet H, au paragraphe 30), a formulé des observations concernant la crédibilité de ses déclarations (voir rapport, réponse, onglet H, au paragraphe 63) et a joint trois articles de journal. Il me semble que le demandeur a déjà présenté des observations concernant la véracité et la fiabilité de cette preuve.

[133]   À mon avis, la prétention du demandeur selon laquelle les déclarations sur lesquelles il cherche à s’appuyer ne sont pas du ouï-dire n’est pas fondée. Le désir du demandeur d’informer le GC que les déclarations relatées peuvent être admissibles n’est pas pertinent puisque les déclarations ont été traitées comme si elles étaient admissibles. Le demandeur est tout simplement en désaccord avec le poids qui leur a été accordé.

Les articles de journal

[134]   Le demandeur dit qu’il aurait aimé formuler des observations concernant la manière dont le ministre a traité les articles qu’il a joints aux observations transmises au GC en réponse au rapport. Il dit que [traduction] « [l]e ministre a mal compris et mal interprété les journaux produits et les règles de droit citées » (dossier du demandeur, à la page 77).

[135]   Le demandeur a produit trois articles. Le premier, qui provient de BBC News [Moore, Tristana, « Nazi deserter hails long-awaited triumph » (8 septembre 2009)], indique que le parlement allemand a annulé les condamnations prononcées contre les personnes déclarées coupables de désertion par les tribunaux militaires nazis. Il souligne que, [traduction] « [s]elon des historiens, 30 000 personnes environ ont été condamnées à la peine de mort pour désertion ou trahison par les tribunaux militaires nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale et quelque 20 000 ont été exécutées ».

[136]   Le deuxième article est tiré de Jurist [Marinero, Ximena, « Germany passes law to exonerate Nazi-era “war traitors”» (9 septembre 2009)]. Jurist est un site Web offrant des nouvelles juridiques rédigées et publiées par des étudiants en droit qui travaillent sous la supervision d’un professeur de droit. L’article dit que [traduction] « [l]e droit a effacé les condamnations d’environ 30 000 citoyens allemands déclarés coupables, dont 20 000 ont été exécutés pendant la Deuxième Guerre mondiale ». L’article indique ensuite que [traduction] « le parlement allemand s’est appuyé sur une nouvelle recherche effectuée par deux historiens militaires révélant que la plupart des délinquants étaient des soldats subalternes ».

[137]   Le troisième article est tiré de Spiegel [Hawley, Charles, « Overturning Hitler’s Military Tribunals: Germany Considers Rehabilitating Soldiers Executed for “Treason ”» (29 juin 2007)]. Spiegel est un site Web allemand de nouvelles. L’article fait état d’un débat s’étant déroulé au parlement allemand au sujet de l’annulation des condamnations des personnes déclarées coupables de trahison en temps de guerre par le tribunal militaire nazi. La légende d’une photo est libellée ainsi : [traduction] « Les Nazis ont exécuté plus de 30 000 soldats de la Wehrmacht. Des milliers portent toutefois encore les stigmates de la condamnation — injustement dans de nombreux cas. » L’article rapporte également les propos d’un membre du parlement allemand selon lesquels [traduction] « Korte [un parlementaire du parti de gauche allemand] souligne que les tribunaux militaires allemands, qui ont infligé 30 000 fois la peine de mort au cours du Troisième Reich, constitueraient l’un des éléments les plus puissants de l’oppression nazie ».

[138]   Le ministre fait valoir au sujet de ces articles qu’il s’agit d’[traduction] « imprimés d’Internet faisant état du nombre de soldats des forces allemandes exécutés au cours de la Deuxième Guerre mondiale » (rapport, au paragraphe 81).

[139]   S’appuyant sur cinq décisions de la Cour, le rapport indique que la jurisprudence établit clairement que les articles de journal sont des éléments de preuve moins fiables. Les cinq décisions avaient trait à des contrôles judiciaires visant le rejet de demandes d’asile. Dans chacune d’elles, le demandeur d’asile avait invoqué un argument relatif à l’équité procédurale en faisant valoir que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) n’avait pas tenu compte des articles qu’il avait produits.

[140]   Dans la décision Pehtereva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1491 (1re inst.) (QL) (Pehtereva), la Cour a rejeté la prétention de la demanderesse selon laquelle le tribunal administratif n’avait pas tenu compte de sa preuve documentaire. La Commission a dit qu’elle avait accepté la preuve documentaire objective indépendante plutôt que les articles de journal anecdotiques. Le juge MacKay a dit (au paragraphe 12) : « Même si les articles soumis par la requérante donnaient des exemples qui étayaient indirectement sa revendication, il est établi que le poids à attribuer à des documents donnés ou à d’autres éléments de preuve relève de la compétence du tribunal en cause. »

[141]   Dans la décision Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 494, la Cour a dit au paragraphe 18 :

La Commission, en l’espèce, a tout simplement privilégié sa propre preuve, objective et plus fiable, celle du demandeur renfermant principalement des articles de journaux sur des incidents ponctuels, articles qui ne décrivent pas nécessairement la situation générale dans le Penjab quant à la disparition du militantisme sikh.

[142]   Dans la décision Myle c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1073 (Myle), la Commission n’avait pas tenu compte des articles produits par la demanderesse, mais d’autres articles provenant de la même source figuraient dans les documents de la Commission. Selon la Cour, la Commission avait eu tort de dire qu’une source n’était pas fiable alors qu’elle s’était elle-même appuyée sur celle-ci.

[143]   Dans la décision Bermudez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 681, la Cour a cité la décision Pehtereva, précitée, et a dit qu’elle était convaincue que le tribunal administratif avait bien évalué les aspects objectif et subjectif de la demande d’asile de la demanderesse.

[144]   Dans la décision Agastra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 548 (Agastra), la Cour a dit (au paragraphe 43) :

Le demandeur se réfère ici à des preuves qu’il a présentées, et qui consistent en plusieurs articles évoquant surtout les abus commis par le gouvernement à l’occasion de la manifestation du PD de 2004. La Commission a examiné les articles présentés par le demandeur, pour expliquer ensuite que les articles publiés dans les journaux albanais sont très politisés et sensationnalistes et ne sont pas en général dignes de foi. La Commission s’est par ailleurs référée en détail à des preuves documentaires du Département d’État des États-Unis et du Home Office du Royaume-Uni, qui généralement discréditaient les affirmations du demandeur. Il est bien établi en droit que la Commission, en tant que juge des faits, est fondée à préférer une preuve documentaire à une autre et, en l’espèce, la Commission a donné les raisons qu’elle avait d’agir ainsi.

[145]   En l’espèce, le rapport indique que [traduction] « la jurisprudence établit clairement que les articles de journal sont des éléments de preuve moins fiables. Aucune présomption de véracité ne s’applique et il ne s’agit assurément pas de témoignages sous serment » (au paragraphe 82, note de bas de page omise).

[146]   Le demandeur prétend que le ministre a mal compris et mal interprété les articles de journal et la jurisprudence. Il aimerait avoir informé le GC que les conclusions de la Cour sont propres à chaque cas parce que les articles [traduction] « ne sont pas traduits » ou qu’ils étaient [traduction] « anecdotiques » ou [traduction] « très politisés et sensationnalistes ». Par contre, il affirme que les articles qu’il invoque proviennent de [traduction] « journaux très réputés » et traitent [traduction] « du parlement allemand, des déclarations du ministre allemand de la Justice et d’un expert juridique du parlement allemand, Norbert Geis ».

[147]   Je ne pense pas que la plainte du demandeur selon laquelle le ministre a mal compris et mal interprété les articles soit fondée. Les articles sont des imprimés de sites Internet de nouvelles. En traitant des décisions et des débats du parlement allemand concernant la possibilité d’annuler des condamnations prononcées par le tribunal militaire nazi, les articles mentionnent que les Nazis ont exécuté un certain nombre de soldats allemands déclarés coupables. Les questions pour lesquelles le demandeur aimerait s’appuyer sur ces articles ont été soulevées en passant et ne s’appuient sur aucune analyse ni sur aucun renvoi à leurs sources. Je pense que le ministre a plutôt bien décrit les articles.

[148]   La meilleure façon de résumer les décisions est peut-être de dire que la Cour estime qu’il est raisonnable pour la Commission d’accorder un plus grand poids à une preuve documentaire indépendante et objective qu’à des articles de journal. La seule exception est la décision Myle, précitée, où la Cour a indiqué que la Commission ne pouvait pas considérer qu’une source n’était pas fiable si elle se fondait elle-même sur elle. On ignore pourquoi cette décision est mentionnée dans le rapport, car elle ne s’applique pas à la présente situation et ne concorde pas avec les autres décisions citées. Cependant, ce n’est pas ce que le demandeur dit qu’il aimerait corriger et cette décision ne lui est pas utile.

[149]   À mon avis, le demandeur a tort lorsqu’il affirme que la Cour a seulement dit que les articles de journal sont moins fiables lorsqu’ils [traduction] « ne sont pas traduits » ou qu’ils sont [traduction] « anecdotiques » ou [traduction] « très politisés et sensationnalistes ». Le demandeur n’invoque aucune décision judiciaire additionnelle, et aucune des affaires citées par le ministre n’établit de distinction sur ce point. Dans la décision Pehtereva, la Cour souligne que les articles ont été traduits en anglais. Il ne fait aucun doute cependant qu’un poids plus faible n’a pas été accordé aux articles parce qu’ils étaient traduits, mais plutôt parce qu’ils étaient anecdotiques. La Commission a préféré les textes objectifs et indépendants et la Cour a estimé que cela était raisonnable.

[150]   À mon avis, la Cour ne fait aucune différence entre les articles anecdotiques et les autres articles dans ces décisions. La prétention voulant qu’elle rejette seulement les articles de journal lorsqu’ils sont anecdotiques n’aide en rien le demandeur. Le reportage de la BBC que le demandeur produit est le récit anecdotique de l’expérience d’une personne qui a vu sa condamnation être annulée.

[151]   Dans la décision Agastra, précitée, la Cour a dit qu’il était raisonnable pour la Commission de considérer que les articles de journal étaient moins fiables parce qu’ils étaient très politisés et sensationnalistes. Je pense que c’est le seul point que le demandeur pouvait démontrer. Il aurait pu faire valoir auprès du GC que, dans l’une des affaires citées dans le rapport, la Cour avait considéré que les articles n’étaient pas fiables parce qu’ils étaient très politisés et sensationnalistes. Cet éclaircissement n’aurait cependant rien changé au principe selon lequel le poids accordé aux articles de journal est généralement moins grand que celui attribué à une preuve documentaire indépendante et objective. Il n’aurait pas non plus, à mon avis, eu une incidence sur le principe juridique voulant qu’un décideur soit habilité à soupeser la preuve. Je ne vois pas comment les droits du demandeur en matière d’équité procédurale ont été violés par son incapacité d’ajouter cette réserve à l’égard de l’une des décisions mentionnées dans le rapport. Celui-ci n’essaie pas de prétendre que les observations du demandeur sont très politisées et sensationnalistes; il s’appuie seulement sur les décisions pour établir un principe juridique relatif à la valeur probante habituellement attribuée aux articles de journal.

[152]   Même si la Cour était disposée à examiner le poids accordé aux articles, il semble raisonnable que le rapport indique qu’un faible poids devait leur être attribué. Comme le rapport le souligne, les articles parlent de soldats, et le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve établissant un lien entre leur situation et celle des membres de l’Einsatzkommando. De plus, les articles ne mentionnent aucune source; ils indiquent que le nombre de Nazis exécutés est établi [traduction] « selon les historiens ».

[153]   À mon avis, la prétention du demandeur selon laquelle le ministre a mal compris les articles ou la jurisprudence est dénuée de fondement. Le demandeur veut présenter des observations expliquant pourquoi les articles de journal dont il est question dans les décisions qu’il cite n’étaient pas fiables et pourquoi ses propres articles le sont, mais cela ne change rien au fait qu’il incombe toujours au ministre de déterminer le poids à leur accorder.

[154]   J’aimerais aussi mentionner que le ministre ne soulevait pas un nouvel argument. La présente analyse répond explicitement aux observations du demandeur concernant les articles de journal.

Le recours à la décision Valle Lopes

[155]   Le demandeur affirme également qu’il aurait formulé une réserve à l’égard du recours à la décision Valle Lopes, précitée, par le ministre dans le rapport final, et il aurait informé le GC que le ministre avait mal compris le contexte de cette décision.

[156]   Le ministre invoque la décision Valle Lopes pour répondre aux observations présentées en réponse par M. Oberlander au sujet de la question de savoir s’il disposait d’un moyen de s’en sortir sans danger (rapport, au paragraphe 89) :

[traduction] Dans ses observations, M. Oberlander prétend que le risque d’être abattu pour cause de désertion est une carte blanche qui excuse la complicité dans la perpétration des atrocités commises par les Nazis. La Cour fédérale a rejeté cette prétention et a déclaré que de telles allégations doivent être soupesées en tenant compte du poids et de la fiabilité de la preuve étayant les allégations qui lui ont été présentées. Dans une décision récente de la Cour fédérale, le juge O’Keefe a statué que « [l]e demandeur, semble-t-il, fait valoir que le risque de mort auquel l’exposait la désertion lui donnait carte blanche et excusait sa participation à la commission d’atrocités. À ma connaissance, aucune décision judiciaire n’appuie ce principe. La Commission est libre d’apprécier la preuve dont elle est saisie et d’arriver à sa propre conclusion sur le fait de savoir si la personne aurait dû tenter de partir ».

[157]   Le demandeur prétend qu’une [traduction] « lecture attentive de la décision Lopez [sic] révèle que la Cour a fait cette déclaration au sujet d’une preuve indiquant qu’il aurait pu s’échapper de l’armée — ce qu’il a d’ailleurs fait — s’il avait été exposé à un préjudice imminent » (dossier du demandeur, à la page 77).

[158]   La [traduction] « lecture attentive » à laquelle le demandeur fait référence est décrite dans le paragraphe suivant celui reproduit ci-dessus. Le juge O’Keefe affirme que la Commission est libre de soupeser la preuve comme elle l’entend (Valle Lopes, précitée, au paragraphe 108) :

Il se peut que le demandeur ne soit pas d’accord avec le résultat, mais j’estime qu’il était raisonnable pour la Commission de rendre cette décision. La Commission a supposé que si la désertion de l’organisation pouvait exposer le demandeur à un grave danger, lorsque ce danger était mis en balance avec les atrocités commises, la désertion était la seule option acceptable. La Commission a admis que le bataillon 3-16 chercherait vraisemblablement à traquer et tuer les déserteurs, mais elle avait le sentiment que le demandeur n’était pas exposé à un danger imminent quand il participait à des crimes contre l’humanité. Il n’était pas sous une surveillance constante et une fuite soigneusement planifiée aurait pu être mise en œuvre longtemps avant. La Commission a aussi tenu compte du fait qu’au moment où le demandeur s’est trouvé lui-même en présence d’un danger imminent, il a pu s’enfuir. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de prendre ces facteurs en considération. Le poids accordé à chacun n’est pas un élément que la Cour a le droit de modifier. Par conséquent, la conclusion de la Commission est maintenue.

[159]   À mon avis, ce paragraphe ne change pas ce que le juge O’Keefe a dit au sujet de l’absence de précédents permettant de conclure que l’exécution en cas de désertion n’est pas une carte blanche. Selon le juge O’Keefe, il était raisonnable que la Commission statue que le demandeur d’asile aurait dû essayer de s’enfuir même s’il risquait d’être traqué et tué. Le ministre n’a pas, à mon avis, mal compris le contexte dans lequel la décision Valle Lopes a été rendue en s’appuyant sur une citation isolée. La thèse du demandeur me laisse toutefois croire que celui-ci a peut-être mal compris le contexte de la décision.

[160]   Le rapport souligne déjà que le juge O’Keefe a dit que la Commission pouvait soupeser des facteurs concernant la question de savoir si un demandeur d’asile aurait dû essayer de s’enfuir, puis tirer sa propre conclusion à ce sujet. Il n’aurait servi à rien de présenter au GC des observations mettant en évidence l’un des facteurs qu’il était raisonnable de prendre en compte. Je pense que cela décrit de façon inexacte la décision. Le juge O’Keefe dit que c’est à la Commission qu’il incombe de déterminer le poids à accorder aux facteurs. Mettre en évidence l’un des facteurs que le juge O’Keefe a mentionnés pourrait laisser croire qu’il a dit qu’un poids plus important devait être accordé à ce facteur en particulier.

Le recours à la décision Duch

[161]   Le demandeur affirme en outre qu’il aurait dû être autorisé à formuler une réserve à l’égard de la décision Prosecutor c. KAING Guek Eav alias Duch, dossier no 001/18-07-2007/ECCC/TC, Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (Duch), qui a été invoquée par le ministre. Il prétend que sa situation personnelle était différente de celle du défendeur dans cette affaire.

[162]   Le ministre invoque cette décision après la décision Valle Lopes pour démontrer que la mort en cas de désertion n’est pas une carte blanche qui excuse la participation à la perpétration d’atrocités (rapport, au paragraphe 90) :

[traduction] De même, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (les CETC) ont décidé que la contrainte ne peut pas être utilisée comme une carte blanche et servir d’excuse. Dans les motifs de décision rendus récemment dans Duch, les CETC ont déclaré que « la Chambre reconnaît que, peu de temps avant la disparition du S-21, l’accusé avait pu craindre que lui ou ses proches parents soient tués si ses supérieurs jugeaient sa conduite insatisfaisante. La contrainte ne peut cependant pas être invoquée lorsque la menace perçue résulte de la mise en œuvre d’une politique de terreur à laquelle il a lui-même participé activement et volontairement. [Note de bas de page omise.]

[163]   Le demandeur affirme que sa situation est manifestement différente de celle de la décision Duch. Il fait valoir que Duch était un dirigeant qui avait participé à l’élaboration d’une politique ayant entraîné la torture et la mort de personnes. Il dit aussi que Duch n’avait pas été enrôlé de force et qu’il n’avait pas été menacé de mort s’il ne respectait pas ces politiques.

[164]   Le ministre s’appuie sur la décision Duch pour établir un point de droit. Le demandeur aimerait présenter des observations qui montrent que sa situation est différente de celle du défendeur dans la décision Duch, ce qui, à mon avis, n’aurait aucune incidence sur le point de droit pour lequel cette décision est invoquée. En outre, le demandeur a déjà formulé un grand nombre d’observations sur la question de savoir s’il avait été enrôlé de force et sur la question de savoir s’il avait été menacé de mort. Il n’invoque aucun élément dont ne disposait pas déjà le GC.

L’âge

[165]   Le demandeur se plaint du fait que [traduction] « le ministre prétend que ce n’est que maintenant [qu’il] fait valoir qu’il avait 17 ans lorsqu’il a été enrôlé de force à titre d’interprète, alors qu’il a prétendu devant le juge MacKay qu’il était âgé de 18 ans à l’époque » (dossier du demandeur, à la page 78).

[166]   Le demandeur renvoie au paragraphe 101 du rapport :

[traduction] L’âge réel de M. Oberlander lorsqu’il s’est joint aux forces est en litige depuis le premier jour. Selon la thèse du ministre, M. Oberlander avait 17 ans à ce moment-là, alors que ce dernier a affirmé qu’il en avait 18. Monsieur Oberlander prétend maintenant qu’il avait seulement 17 ans, contrairement à son propre témoignage selon lequel il s’est joint aux forces au cours du mois de son 18e anniversaire de naissance.

[167]   En outre, la note de bas de page 90 indique : [traduction] « Bien que, selon la preuve du ministre, M. Oberlander se soit joint à l’unité Ek 10a quelques mois avant son 18e anniversaire de naissance, la Cour n’a tiré aucune conclusion quant au moment où M. Oberlander a commencé à servir. Quoi qu’il en soit, ce dernier avait près de 18 ans ou avait atteint cet âge lorsqu’il s’est joint aux Nazis. »

[168]   Le demandeur soutient qu’il aurait dû être autorisé à faire remarquer au GC que le ministre avait agi de mauvaise foi lorsqu’il avait dit que le demandeur avait affirmé s’être joint aux Nazis à l’âge de 18 ans. Le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il s’était joint aux Nazis en février 1942. Il a eu 18 ans le 15 février 1942. Selon lui, il ne fait donc aucun doute qu’il a été enrôlé avant le 15 février 1942, à l’âge de 17 ans.

[169]   À mon avis, cette prétention n’est pas fondée. Le demandeur veut faire valoir qu’il était âgé de 17 ans seulement parce qu’il a été enrôlé entre le 1er et le 14 février 1942. Le rapport aurait pu être plus clair. Il mentionne cependant que le ministre et M. Oberlander ne s’entendaient pas sur la date à laquelle ce dernier avait été recruté. Il souligne que M. Oberlander a toujours dit que c’était au cours du mois de son 18e anniversaire de naissance et que [traduction] « [M. Oberlander] avait près de 18 ans ou avait atteint cet âge lorsqu’il s’est joint aux Nazis ».

[170]   À mon avis, la prétention du demandeur selon laquelle il a été enrôlé de force avant le 15 février 1942 n’ajoute rien aux débats. Le demandeur a déjà fait valoir devant le GC qu’il avait été enrôlé de force en février 1942. L’âge du demandeur a trait à son degré de maturité et à sa connaissance de ce qu’il faisait. Je ne vois pas comment le désaccord a changé quoi que ce soit aux conclusions du rapport sur le degré de maturité. Dans les premières observations qu’il a présentées au ministre, le demandeur s’est évertué à insister sur le fait qu’il avait 17 ans afin de donner davantage de poids à ses prétentions concernant son immaturité et de lui permettre de prétendre qu’il était un enfant-soldat. À mon avis, cette information est énoncée clairement dans le rapport.

Les observations ne figurant pas dans le dossier

[171]   Le demandeur affirme qu’il aurait dû être autorisé à présenter des observations après que le ministre a laissé entendre que ses observations ne figuraient pas dans le dossier et étaient inadmissibles.

[172]   Le demandeur renvoie au paragraphe 106 du rapport :

[traduction] La Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire pour qu’elle fasse l’objet d’un nouvel examen concernant uniquement la question de la contrainte. Elle a conclu que le dossier renfermait suffisamment de renseignements pour que le gouverneur en conseil puisse se pencher sur la question, même si cette prétention n’a jamais été ouvertement avancée par M. Oberlander. Il ne s’agissait pas d’une invitation à produire de nouveaux éléments de preuve ou à interjeter appel de la décision exécutoire et non susceptible de contrôle du juge MacKay.

[173]   Le demandeur souhaite faire valoir que la Cour d’appel fédérale n’a pas limité son réexamen au dossier existant et que de nouveaux éléments de preuve étaient admissibles.

[174]   La Cour d’appel fédérale a de fait affirmé que le dossier renfermait une preuve suffisante pour examiner la question (Oberlander (2009), précité, au paragraphe 34) :

Les motifs du GC ne disent mot sur l’allégation de M. Oberlander voulant qu’il aurait été exécuté s’il avait déserté. La question qui se pose dès lors est de savoir si le dossier comportait suffisamment d’éléments d’information pour obliger le GC à examiner cette allégation, ainsi que la preuve concernant la conscription et toute autre preuve pertinente, afin de décider si la justification de la contrainte est établie, même si l’argumentation de M. Oberlander n’était pas fondée sur la contrainte. J’estime que la preuve au dossier était suffisante pour obliger le GC à traiter de cette question.

La juge Layden-Stevenson s’est penchée ensuite sur les parties du dossier qui indiquaient que la contrainte aurait dû être examinée.

[175]   Il se peut qu’il ne soit pas clair si le réexamen a porté seulement sur le dossier existant. Cependant, le ministre a admis et examiné les nouvelles observations et les nouveaux éléments de preuve. À partir du paragraphe auquel le demandeur renvoie, le rapport indique (aux paragraphes 107 et 108) :

[traduction] Monsieur Oberlander a produit, dans son affidavit et ses prétentions, de nouveaux éléments de preuve qui ne se trouvaient pas dans le dossier (son affidavit et ses prétentions se fondaient largement sur des faits tirés de parties isolées des transcriptions de l’audience de la Cour fédérale tenue devant le juge MacKay).

Lorsque le ministre soupèse ces prétentions à l’aune des conclusions du juge MacKay, M. Oberlander ne réussit toujours pas à démontrer qu’il restait au sein de l’unité Ek10a sous l’effet de la contrainte. Le dossier montre de manière non équivoque que M. Oberlander a eu plusieurs permissions, qu’il s’est alors trouvé seul et armé et qu’il n’a rien fait pour s’échapper, demander un transfert ou démontré qu’il trouvait odieuse l’une ou l’autre des activités de l’unité Ek10a.

[176]   Peu importe que la Cour d’appel fédérale ait limité son réexamen au dossier existant ou non, il ne fait aucun doute que le ministre a examiné les nouveaux éléments de preuve, observations et prétentions du demandeur.

[177]   En outre, le rapport n’insinue rien au sujet des observations. À mon avis, il ne laisse rien sous-entendre concernant leur caractère inacceptable. Le rapport reconnaît que le dossier actuel existe et, lorsqu’il est pris en compte en combinaison avec les nouvelles observations de M. Oberlander, celui-ci n’a pas établi qu’il agissait sous l’effet de la contrainte. Toute autre prétention concernant ce que la Cour d’appel fédérale a dit ne changerait rien.

2)         L’entrevue

[178]   Le deuxième motif invoqué par le demandeur pour démontrer qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale est qu’une entrevue aurait dû avoir lieu parce que le [traduction] « rapport du ministre et, par conséquent, la décision du GC sont fondés, à tout le moins en partie, sur une évaluation défavorable de la crédibilité du demandeur » (dossier du demandeur, à la page 79). En conséquence, selon le demandeur, [traduction] « le ministre et le gouverneur en conseil en l’espèce n’ont pas respecté les exigences de l’équité procédurale, la Déclaration des droits et la Charte des droits et libertés en décidant que le demandeur n’était pas crédible sans procéder à une entrevue » (dossier du demandeur, à la page 81).

[179]   Il appartenait au demandeur de produire une preuve suffisante pour établir qu’il pouvait invoquer le moyen de défense fondé sur la contrainte. Le demandeur savait parfaitement ce que ce moyen de défense exigeait et la démarche à suivre pour produire cette preuve. Celle-ci était constituée de son propre témoignage ainsi que des témoignages de M. Sidorenko et de M. Huebert qui avaient été présentés au cours de l’audience devant le juge MacKay, ainsi que de l’affidavit supplémentaire du demandeur du 19 avril 2010 et de différents articles de journal portant sur les soldats allemands déclarés coupables de trahison et de désertion pendant la Deuxième Guerre mondiale. De toute évidence, le demandeur ne pensait pas qu’il avait besoin d’une entrevue pour faire valoir ses arguments puisqu’il n’en a pas demandé une, et rien ne permet de croire qu’il ne pouvait pas faire la preuve de la contrainte au moyen des témoignages, preuve par affidavits et documentation déjà produits. Le seul motif de plainte pouvant être invoqué par le demandeur est que la décision était fondée sur la crédibilité et que ce motif exige une entrevue.

[180]   Le juge MacKay avait un certain nombre de doutes concernant la crédibilité du témoignage du demandeur et il a tiré des conclusions en conséquence. Ces conclusions faisaient partie du dossier soumis au GC aux fins de la décision faisant l’objet de la présente demande et le GC avait l’obligation d’admettre ces conclusions et de les soupeser. Or, le juge MacKay a tiré ses conclusions relatives à la crédibilité à la suite d’une audience et le GC n’était pas tenu de les réexaminer au cours d’une autre audience. Le juge MacKay a conclu, de manière générale, que le demandeur a « démontr[é] […] une tendance à ne pas reconnaître pleinement son rôle durant la guerre, puisqu’on n’y trouve aucune mention de la SD » : Oberlander (2000), précitée, au paragraphe 172.

[181]   Il ressort de ma lecture de la décision dont je suis saisi que celle-ci n’est pas fondée sur la crédibilité de façon appréciable. Le ministre a simplement soupesé la preuve dont il disposait avec les observations du demandeur et a décidé que ce dernier n’avait pas démontré qu’il existait des motifs suffisants étayant le moyen de défense fondé sur la contrainte. En d’autres termes, il n’était pas nécessaire que le ministre vérifie la crédibilité du demandeur puisque les éléments que celui-ci avait produits n’étaient pas suffisants pour prouver la contrainte. J’indiquerai plus loin s’il s’agissait d’une conclusion raisonnable ou non, mais je ne peux pas dire, en m’appuyant sur ces faits, qu’une entrevue était requise pour permettre au demandeur de traiter de la question de la crédibilité. Il est bien évident que le demandeur était d’avis que sa preuve était suffisante pour établir la contrainte; selon moi, il s’agit d’un désaccord au sujet du processus d’appréciation et non d’une question d’équité procédurale.

[182]   Il est vrai que le libellé employé dans le rapport laisse parfois croire que la crédibilité du demandeur était en cause, mais la jurisprudence est claire : le libellé employé n’est pas déterminant pour ce qui est de la question de savoir si une décision est fondée sur le poids ou la crédibilité de la preuve, et les remarques du décideur doivent être lues en tenant compte du contexte de la décision dans son ensemble. Je vais faire ressortir les remarques figurant dans le rapport qui peuvent refléter des doutes concernant la crédibilité, mais je pense que, compte tenu du contexte des nombreuses déclarations figurant dans le rapport au sujet du manque de preuve sur des questions fondamentales, il est préférable de considérer que ces remarques traduisent des doutes concernant la valeur probante de la preuve. Je pense que le problème est attribuable en partie à l’imprécision des termes employés par le ministre (comme nous le voyons avec son emploi du terme [traduction] « rumeurs » et son explication voulant que celui-ci signifie « ouï-dire »). De même, les déclarations du ministre qui laissent entendre qu’il pourrait tirer des conclusions relatives à la crédibilité suivent généralement des déclarations dont il ressort clairement qu’il a estimé ne pas disposer d’une preuve suffisante étayant la thèse du demandeur. À certains endroits dans le rapport, le ministre dit que, même s’il ajoutait foi aux affirmations de M. Oberlander, la preuve ne serait toujours pas suffisante. Je pense que cette situation ressemble à celle en cause dans la décision Ferguson, précitée, au paragraphe 34, où la Cour a dit que le résultat était que « [l]’agent ni ne croit ni ne croit pas que la demanderesse est lesbienne — il n’est pas convaincu ».

[183]   À mon avis, la décision contestée est fondée sur le fait que les affirmations de M. Oberlander ne sont pas suffisantes pour établir le moyen de défense fondé sur la contrainte, compte tenu du fait qu’il a produit une preuve insuffisante à cet égard et de la preuve au dossier qui semble permettre des conclusions contraires à celles qu’il invoque. Je sais que les tribunaux exigent que je sois attentive aux décideurs qui essaient de masquer une conclusion relative à la crédibilité en parlant de l’insuffisance de la preuve (voir, par exemple, Liban c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252, au paragraphe 14; Zokai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103, au paragraphe 12), mais je ne pense pas que ce soit le cas ici, compte tenu en particulier du fait que M. Oberlander a produit seulement des extraits de transcriptions et des articles de journal pour corroborer son affidavit.

[184]   La décision Ferguson demeure la décision de principe en ce qui concerne la question de savoir si une décision est fondée sur la crédibilité ou sur le caractère suffisant de la preuve. La Cour d’appel fédérale ne s’est pas penchée sur la différence entre les deux depuis l’arrêt Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, sur lequel la décision Ferguson s’appuyait.

[185]   Dans le cadre de mon examen des décisions judiciaires, il importe de rappeler que « la Cour doit aller au-delà des termes expressément utilisés dans la décision de l’agent pour décider si en fait, la crédibilité de la demanderesse était en cause » (Ferguson, précitée, au paragraphe 16). Après avoir passé en revue la jurisprudence dans la décision Vandifar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 433, le juge Scott a conclu, au paragraphe 28, que « [l]es décisions précitées donnent à penser que le contexte et le libellé de la décision sont essentiels pour faire une distinction entre le caractère suffisant de la preuve et les questions de crédibilité ». Après avoir procédé à un examen de la jurisprudence dans la décision Nnabuike Ozomma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1167, [2014] 1 R.C.F. 732 (Nnabuike Ozomma), j’ai conclu, au paragraphe 52 :

Je suis convaincu qu’il est possible d’établir des distinctions entre chacune de ces affaires fondées sur des faits qui lui sont propres et qui étaient déterminants dans la décision finale. Or, ces affaires ont aussi des points en commun. Les agents peuvent uniquement éviter les conclusions fondées sur la crédibilité et statuer en fonction du caractère suffisant de la preuve si leurs décisions révèlent que, indépendamment de la question de la crédibilité, les déclarations du demandeur, suivant la norme de preuve applicable, ne permettent pas de démontrer qu’il est exposé à un risque aux termes de l’article 96 ou de l’article 97 […]

[186]   À mon avis, une lecture du rapport complet révèle qu’il était fondé sur le fait que le ministre n’était pas convaincu qu’il disposait d’une preuve suffisante concernant la contrainte. Malgré le fait que le libellé du rapport est parfois confus, je pense que, dans le contexte de la décision contestée dans son ensemble, les conclusions qu’il renferme sont fondées sur l’insuffisance de la preuve.

[187]   L’absence de preuve est signalée à maintes reprises tout au long du rapport. Par exemple, dans la partie portant sur la question de savoir si M. Oberlander était exposé à une menace de préjudice imminent, le rapport indique, au paragraphe 29, que [traduction] « rien ne permet de conclure à l’existence d’une menace imminente de préjudice au cours, à tout le moins, de la période d’un an et demi qu’il a passée au sein de l’unité Ek 10a et des années suivantes pendant lesquelles il est demeuré au service du régime nazi à différents titres ». Le rapport tient compte aussi de la preuve indiquant une absence de menace (les permissions de M. Oberlander et ses périodes de garde solitaire, aux paragraphes 30 et 31), et il conclut [traduction] « des actes commis par M. Oberlander dans cette situation qu’il n’existait, en ce qui le concerne, aucune menace imminente, réelle et inévitable pendant cette période et, en outre, qu’il avait eu la possibilité de déserter son poste ». Le rapport conclut son analyse en indiquant, au paragraphe 33, que [traduction] « rien ne permettait de conclure que M. Oberlander avait été maltraité après s’être joint à l’unité Ek 10a ou qu’il considérait que les activités du groupe étaient odieuses. Rien ne permettait de conclure non plus qu’il avait demandé à être dispensé de ses fonctions ou qu’il avait déjà tenté de déserter pendant une permission ».

[188]   Dans la décision Gao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59 (Gao), la juge Kane a dit [au paragraphe 41] que l’emploi, par l’agent, des expressions « “très peu d’éléments de preuve” et “le demandeur a soumis très peu d’autres éléments”» a mené à la conclusion que l’agent n’était pas convaincu qu’il disposait d’une preuve suffisante étayant la demande d’asile du demandeur. Les termes utilisés en l’espèce semblent même plus clairs que dans la décision Gao parce que le rapport conclut à plusieurs reprises que les affirmations du demandeur ne sont appuyées par aucune preuve.

[189]   Le rapport indique au paragraphe 36 qu’[traduction] « [u]ne preuve crédible est nécessaire pour établir le danger imminent ». M. Oberlander ayant produit son affidavit pour démontrer l’existence d’un danger imminent, il serait possible d’interpréter cette déclaration comme si elle remettait en question la crédibilité de cet affidavit. Je pense cependant, à la lumière des remarques formulées dans le rapport au sujet de l’absence totale de preuve à cet égard et de la conclusion énoncée au paragraphe 37 ([traduction] « Monsieur Oberlander n’a pas non plus étayé sa prétention selon laquelle il serait tué s’il désertait, ni les rumeurs qu’il a entendues à cet effet »), que le rapport dit que l’affirmation de M. Oberlander n’est pas appuyée par une preuve suffisante. C’est ce qui semble ressortir du paragraphe 37 du rapport, où il est écrit que [traduction] « le juge MacKay n’a tiré aucune conclusion de fait étayant sa prétention ». Je ne pense pas que cela laisse entendre que le ministre croit ou ne croit pas la prétention de M. Oberlander, mais plutôt qu’il estime que cette prétention n’est pas suffisante, compte tenu de l’absence de preuve corroborante et de la preuve contraire, pour satisfaire à la norme juridique.

[190]   En ce qui concerne la question de savoir si les actes de M. Oberlander découlaient de sa volonté, le ministre emploie les termes qui, selon les décisions Ferguson et Nnabuike Ozomma, indiquent ni qu’il croit ni qu’il ne croit pas M. Oberlander, mais plutôt qu’il n’est pas convaincu que les faits pertinents ont été établis (rapport, au paragraphe 43) : [traduction] « Même si M. Oberlander avait été enrôlé de force, il était responsable de sa situation pendant le reste de son service au sein de l’unité Ek 10a » (non souligné dans l’original). Compte tenu de la conclusion du juge MacKay selon laquelle la preuve relative à la question de savoir si M. Oberlander avait été enrôlé de force était incohérente, le rapport choisit ni de croire ni de ne pas croire l’affirmation de M. Oberlander et décide que, la crédibilité mise à part, les observations du demandeur ne sont pas suffisantes. Le rapport signale aussi l’absence de preuve démontrant que, comme M. Oberlander l’affirme, il accomplissait son service contre son gré (au paragraphe 43) : [traduction] « Rien ne permet de conclure que M. Oberlander a cherché des moyens légaux ou conventionnels d’être libéré de l’unité Ek 10a, par exemple en demandant des transferts ou, a fortiori, en désertant pour éviter toute complicité » (non souligné dans l’original).

[191]   Le ministre tire également des conclusions au sujet du manque de preuve dans le cadre de son analyse des lignes directrices :

[traduction] [L]’affirmation de M. Oberlander selon laquelle les membres de l’unité Ek10a étaient susceptibles d’être tués s’ils désobéissaient à l’ordre de se joindre aux forces nazies ou tentaient de s’échapper par la suite ne repose sur aucun fondement factuel crédible. Monsieur Oberlander fonde son affirmation sur des témoignages tirés de passages isolés des transcriptions de l’audience de la Cour fédérale et pris hors contexte. Encore une fois, ces déclarations isolées ne constituent pas des conclusions de fait. Par conséquent, M. Oberlander ne remplit pas la première condition de la politique énoncée ci-dessus. [Souligné dans l’original.]

Ces conclusions également pourraient, étant donné que le fondement factuel de la prétention de M. Oberlander est son affidavit, être interprétées comme si elles remettaient en question la crédibilité de M. Oberlander. Toutefois, compte tenu de l’absence de preuve dont le ministre a fait état précédemment, je pense qu’il s’agit en fait d’une conclusion voulant que la preuve n’étaye pas les affirmations de M. Oberlander, et ces affirmations ne satisfont pas en soi à la norme juridique à la lumière de la preuve contraire.

[192]   Le paragraphe 67 du rapport semble être une conclusion relative à la crédibilité : [traduction] « Les observations de M. Oberlander concernant son âge visant à expliquer pourquoi il croyait ne pas avoir un moyen de s’en sortir ne sont pas crédibles parce qu’il n’était pas un enfant lorsqu’il s’est joint au régime nazi et que son degré de maturité faisait en sorte qu’il était en mesure d’évaluer sa situation et de déserter ou de demander un transfert s’il le voulait » (non souligné dans l’original). Or, il ne s’agit pas, à mon avis, d’une conclusion relative à la crédibilité; le ministre refuse simplement de reconnaître que M. Oberlander était un enfant lorsqu’il est devenu membre du régime nazi. La jurisprudence selon laquelle les termes employés relativement à la crédibilité ou au caractère suffisant ne sont pas le facteur déterminant me convainc; ce sont plutôt le libellé et le contexte de la décision qui doivent être pris en compte. Je pense qu’en l’espèce le ministre dit réellement, encore une fois, que l’affirmation du demandeur ne le convainc pas étant donné que le juge MacKay a rendu des conclusions contraires concernant l’âge et le degré de maturité de M. Oberlander. De plus, je ne pense pas que les décisions judiciaires laissent entendre qu’une phrase isolée figurant dans une décision truffée de conclusions relatives à l’insuffisance de la preuve peut faire en sorte que cette décision est fondée sur la crédibilité et exige en conséquence qu’une audience ait lieu.

[193]   La conclusion préliminaire du rapport (c’est-à-dire la conclusion de la partie du rapport qui a été remis à M. Oberlander) indique clairement que la décision était fondée sur l’insuffisance de la preuve (aux paragraphes 73 et 74) :

[traduction] Le simple fait qu’une personne nie avoir participé volontairement aux activités d’une organisation ayant des fins brutales et limitées ne suffit pas à réfuter la complicité. Les agissements d’un demandeur peuvent être plus révélateurs que son témoignage et les circonstances peuvent être telles qu’on puisse en inférer qu’une personne partage les objectifs de ceux avec qui elle collabore. Dans le cas de M. Oberlander, le fait qu’il est toujours revenu volontairement de ses permissions, qu’il a demandé la citoyenneté allemande et qu’il a accepté une récompense militaire pour services supérieurs mène à la conclusion qu’il partageait les objectifs de l’unité Ek 10a, une brigade mobile chargée de tuer des civils pendant la Deuxième Guerre mondiale.

L’analyse du moyen de défense fondé sur la contrainte sous le régime du droit de l’immigration, de la politique et du droit criminel qui figure ci-dessus montre que M. Oberlander ne remplit pas les différentes exigences des trois régimes. Le moyen de défense fondé sur la contrainte n’étant pas suffisamment étayé, la conclusion antérieure relative à la complicité de M. Oberlander dans les atrocités commises par l’unité Ek 10a est maintenue.

[194]   Tout ce qui précède se trouvait dans le projet de rapport remis à M. Oberlander. Ce dernier était libre de présenter des observations au GC sur ces questions s’il pensait que sa crédibilité était remise en cause. M. Oberlander a effectivement présenté certaines observations concernant la présomption de véracité liée à ses affidavits (rapport, réponse, onglet H, aux pages 7 et 8) :

[traduction] Si le juge MacKay a tiré des conclusions selon lesquelles il ne fallait pas ajouter foi au témoignage de M. Oberlander sur des questions isolées et séparées comme sa présumée connaissance du nom de l’unité à laquelle il appartenait, il n’a pas conclu de manière générale que M. Oberlander n’était pas crédible. En fait, une grande partie – si ce n’est la plus grande partie – de sa preuve a été jugée crédible, notamment son témoignage concernant les activités auxquelles il s’était livré pour le compte de l’unité Ek 10a. En outre, il est particulièrement important dans le cas présent que le juge MacKay n’ait tiré aucune conclusion selon laquelle M. Oberlander mentait lorsqu’il disait qu’il avait été enrôlé de force, qu’il se sentait comme s’il avait été enlevé par les forces allemandes, ou que les témoins du gouvernement avaient menti lorsqu’ils avaient affirmé, au cours de leurs témoignages, que la désertion était passible de la peine de mort.

En fait, comme le juge MacKay n’a tiré aucune conclusion défavorable concernant la crédibilité à l’encontre de M. Oberlander sur ces questions importantes, le fait que ce dernier a exposé cette preuve dans le cadre de témoignages faits sous serment lors du renvoi sur la révocation de sa citoyenneté et dans l’affidavit remis au GC dans la présente instance crée une présomption que la preuve de son enrôlement forcé et sa crainte d’être exécuté sont véridiques. La jurisprudence de la Cour fédérale est claire sur ce point. Les témoignages sous serment sont présumés véridiques, à moins qu’ils ne soient réfutés ou jugés clairement invraisemblables, compte tenu des circonstances connues qui existaient à l’endroit et au moment pertinents. Le ministre n’a produit aucune preuve pour réfuter les déclarations faites sous serment par M. Oberlander selon lesquelles il avait été enrôlé de force pour travailler comme interprète pour l’unité Ek 10 [sic] ou craignait d’être exécuté s’il s’échappait. Et les témoignages des personnes appelées à témoigner par le ministre et la récente preuve de l’exécution de 20 000 personnes par l’Allemagne au cours de la guerre – la majorité pour désertion – ne contredisent pas, mais corroborent la vraisemblance des déclarations sous serment de M. Oberlander. En conséquence, le GC doit considérer que cette preuve est véridique et l’admettre. Le principe selon lequel les témoignages faits sous serment par un déposant ou un témoin sont présumés véridiques en l’absence d’une preuve contraire a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Maldonado c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.). Le GC est lié, en droit, par cette décision. [Souligné dans l’original.]

[195]   Je ne pense pas que le ministre ait tiré une conclusion quant à la question de savoir si les déclarations de M. Oberlander devaient être crues ou non, mais je crois que la jurisprudence laisse entendre que le ministre pouvait se fonder sur les conclusions tirées par le juge MacKay relativement à l’absence de crédibilité de M. Oberlander au regard de questions fondamentales (voir, par exemple, Oberlander (2000), précitée, aux paragraphes 151 et 152) pour conclure que ses déclarations avaient peu de poids et étaient insuffisantes en soi pour établir les faits pour lesquels elles avaient été produites. Le juge Annis s’est penché sur cette question récemment dans une affaire où le demandeur prétendait qu’un agent avait commis une erreur en s’appuyant sur la conclusion défavorable relative à la crédibilité à laquelle était parvenue la Commission dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi (l’ERAR). Il a écrit (Bicuku c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 339) [aux paragraphes 29 à 34] :

Pour ce qui est de la question des conséquences de retenir les conclusions de la SPR quant à la crédibilité, il ressort en l’espèce que le rejet par l’agent(e) de l’explication du demandeur selon laquelle il a tenté de vivre au Monténégro et en Bosnie était fondé sur une conclusion défavorable déjà tirée quant à la crédibilité. À cet égard, il(elle) a déclaré ce qui suit dans ses motifs :

[traduction] Je souligne également que le demandeur a quitté le pays à deux reprises en 2001, mais qu’il n’a pas demandé l’asile à l’une ou l’autre de ces occasions, car il a déclaré « qu’il n’existait aucune donnée à long terme quant à la possibilité d’obtenir l’asile ». Je souligne que la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro accordent tous les deux l’asile ou le statut de réfugié. Compte tenu de la décision rendue par la SPR en 2004 dans laquelle la crédibilité était une question déterminante, de l’absence de la possibilité d’obtenir la protection de l’État ou de la possibilité qu’il y ait réconciliation et du fait qu’il soit allé dans deux pays distincts en 2011, après que la famille Kola eut commencé à le pourchasser, et qu’il n’a demandé l’asile dans aucun de ces pays, j’accorde peu de poids à cette déclaration sur le risque. [Soulignement ajouté par le juge Annis.]

La preuve relative à la protection de l’État était manifestement insuffisante, mais l’argument voulant que le fait que l’agent(e) se soit fié(e) à l’évaluation défavorable faite par la SPR quant à la crédibilité devrait être considéré comme un critère permettant de conclure qu’une question importante quant à la crédibilité est soulevée me pose problème. Je conclus, au contraire, qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité déjà tirée devrait être un facteur étayant la conclusion selon laquelle les déclarations du demandeur avaient peu de poids et sont donc insuffisantes pour établir l’existence d’une question importante quant à la crédibilité.

Dans une certaine mesure, le fait de se fier à une conclusion défavorable quant à la crédibilité déjà tirée par la SPR soulève la question de savoir si le demandeur devrait continuer de jouir de la présomption de véracité de ses déclarations notamment décrite dans l’arrêt Maldonado c MEI, [1980] 2 CF 302 (CAF), au paragraphe 5 [Maldonado].

L’ERAR est essentiellement la suite de la décision de la SPR sur la question du risque. L’agent doit d’abord examiner soigneusement la décision de la SPR afin de déterminer quelles conclusions ont été tirées sur la foi de la preuve qui a été présentée. Cet exercice vise à déterminer, avant que la preuve ne soit examinée dans le cadre d’un ERAR, si le demandeur a satisfait à la condition préalable qui consiste à démontrer que la preuve soumise n’a pas déjà présentée à la SPR.

Compte tenu du présent contexte d’ERAR, j’estime qu’il est illogique d’accepter que la conclusion défavorable tirée sur la crédibilité du demandeur par la SPR, sur la foi d’une preuve de même nature (menace à la vie dans le cadre d’une querelle découlant d’un refus relatif à un mariage), quant à la même question du risque, peut ne pas être prise en compte, de sorte que le demandeur soit considéré comme étant, sur le plan de la crédibilité, sur le même pied que le nouveau demandeur d’asile qui témoigne dans une audience devant la SPR et qui jouit, à l’égard de ses déclarations, de la présomption de véracité.

Si la SPR a d’abord conclu que le demandeur n’était pas crédible, on peut prétendre que cette conclusion devrait s’appliquer quant à une preuve similaire portant sur les mêmes questions. [Souligné dans l’original.]

[196]   Je pense que les remarques du juge Annis s’appliquent tout autant à la situation de M. Oberlander. Le juge MacKay a estimé que M. Oberlander n’était pas crédible lorsqu’il a conclu que celui-ci était membre de l’unité Ek 10a et qu’il avait fait une présentation erronée sur son appartenance à cette unité. Dans une certaine mesure, les décisions du GC concernant la complicité et la contrainte font suite à la décision du juge MacKay. Il n’est pas nécessaire de décider si la présomption de véracité s’applique à l’affidavit de M. Oberlander, mais la jurisprudence laisse croire que les conclusions antérieures concernant la crédibilité appuient les conclusions du ministre selon lesquelles les affirmations de M. Oberlander sont insuffisantes pour satisfaire à la norme juridique.

[197]   Le ministre répond dans le rapport final aux observations de M. Oberlander concernant la présomption de véracité. La réponse se trouve dans la section intitulée [traduction] « Monsieur Oberlander n’est pas crédible en ce qui concerne sa présumée crainte d’exécution » (au paragraphe 92) :

[traduction] Au paragraphe 16 de sa réponse, M. Oberlander tente de tirer des conclusions fondées sur sa propre crédibilité et reproche au rapport de ne pas tenir compte des conclusions du juge MacKay. Au contraire, le rapport décrit une preuve réfutant la présomption de crédibilité de la crainte d’exécution de M. Oberlander : l’affaire du tribunal de Nuremberg. Cette preuve objective mettait en échec la crédibilité des déclarations de M. Oberlander, ainsi que ses propres affirmations contradictoires selon lesquelles il avait obtenu plus d’une permission.

[198]   Cette conclusion ressemble nettement à une conclusion concernant la crédibilité. Je pense cependant que la première partie du rapport renferme la conclusion concernant la contrainte et que la deuxième partie du rapport répond simplement aux observations de M. Oberlander. Je ne pense pas que ces remarques puissent effacer l’effet de la première partie du rapport dans laquelle toutes les conclusions tirées par le ministre sur la foi de la preuve et du dossier ont été analysées. J’estime que ces remarques constituent une réponse directe à la prétention de M. Oberlander selon laquelle ses affidavits doivent être considérés comme étant véridiques et comme s’ils établissaient les faits qui y sont allégués. Malgré le fait que le ministre affirme expressément que la présomption de crédibilité a été réfutée, je ne pense pas que le rapport dans l’ensemble est fondé sur une absence de crédibilité. Le rapport indique que les affirmations de M. Oberlander sont insuffisantes compte tenu de toute la preuve contraire. À mon avis, il s’agit seulement d’un autre mauvais choix de mots de la part du ministre. Après avoir affirmé que la crédibilité de l’affidavit a été réfutée, le ministre mentionne les éléments de preuve qui l’amènent à une telle conclusion. Je pense que ce que le ministre dit en fait, c’est que la preuve mène à la conclusion que les affirmations ne satisfont pas à la norme juridique de preuve. Il n’est pas nécessaire que les décisions soient parfaites.

[199]   Les remarques suivantes du ministre appuient cette interprétation (rapport, au paragraphe 96) :

[traduction] Monsieur Oberlander n’a pas produit une preuve documentaire comparable établissant sa présumée crainte d’être tué. Néanmoins, même si nous reconnaissions qu’il a été enrôlé de force ou qu’il agissait parfois sous l’effet de la contrainte, il ressort de la preuve au dossier que M. Oberlander avait les moyens et la possibilité de s’échapper et qu’il n’était pas exposé à un danger imminent quand il était en permission ou quand il gardait un chaland alors qu’il était armé et seul. [Non souligné dans l’original.]

[200]   Le ministre affirme à nouveau que ses conclusions ne reposent pas sur la question de savoir s’il croit M. Oberlander ou non, mais sur le fait que la preuve produite n’établit pas les faits pour lesquels elle est présentée. Le libellé va dans le même sens que la décision Ferguson : le ministre ni ne croit ni ne croit pas les affirmations de M. Oberlander, comme le montre sa conclusion finale (rapport, au paragraphe 108) :

[traduction] Lorsque le ministre soupèse ces prétentions à l’aune des conclusions du juge MacKay, M. Oberlander ne réussit toujours pas à démontrer qu’il restait au sein de l’unité Ek10a sous l’effet de la contrainte. Le dossier montre de manière non équivoque que M. Oberlander a eu plusieurs permissions, qu’il s’est alors trouvé seul et armé et qu’il n’a rien fait pour s’échapper, demander un transfert ou démontré qu’il trouvait odieuse l’une ou l’autre des activités de l’unité Ek 10a.

[201]   Même si j’ai tort à cet égard et que le ministre est parvenu à des conclusions concernant la crédibilité, il convient de mentionner que le critère relatif au moyen de défense fondé sur la contrainte est cumulatif. En effet, le moyen de défense ne peut pas être invoqué si l’un des trois éléments n’est pas établi. Par exemple, même si l’on pouvait considérer que le ministre a tiré une conclusion relative à la crédibilité relativement aux prétentions de M. Oberlander concernant sa crainte d’être exécuté (rapport, au paragraphe 92), il n’en reste pas moins que ce dernier ne peut pas invoquer le moyen de défense fondé sur la contrainte parce qu’il est aussi conclu que le service de M. Oberlander était conforme à sa volonté. Cette conclusion est basée sur le fait que M. Oberlander a servi au sein d’une unité de l’armée régulière après avoir fait partie de l’unité Ek 10a, sur le fait qu’il a accepté une récompense associée à son service et sur sa demande de citoyenneté. Ces conclusions ne sont pas fondées sur la crédibilité de M. Oberlander, mais plutôt sur la preuve au dossier.

[202]   Une lecture de la décision contestée dans son ensemble m’amène à conclure qu’elle est fondée sur l’insuffisance de la preuve. J’arrive à cette conclusion en dépit du fait que certaines phrases semblent indiquer qu’il pourrait y avoir des doutes au regard de la crédibilité. Compte tenu de la décision contestée dans son ensemble et du libellé entourant les phrases que j’ai isolées, il ne fait aucun doute que le ministre parlait de l’insuffisance de la preuve et non de la crédibilité de M. Oberlander. La plus grande partie de l’analyse contenue dans le rapport porte surtout sur le fait que les prétentions de M. Oberlander sont étayées seulement par son affidavit. Le ministre n’est pas convaincu que les déclarations de M. Oberlander établissent à elles seules les faits pour lesquelles elles sont présentées lorsqu’il tient compte du reste du dossier, lequel semble permettre une conclusion contraire aux affirmations de M. Oberlander.

[203]   Je ne pense pas que les déclarations que j’ai fait ressortir ci-dessus dissimulent ou cachent une conclusion relative à la crédibilité, étant donné qu’elles sont exposées après que le ministre a conclu qu’il ne disposait d’aucune preuve satisfaisant aux éléments du moyen de défense fondé sur la contrainte. Le ministre affirme très clairement que, même s’il les avait acceptées, les déclarations de M. Oberlander ne pourraient pas établir les faits pour lesquels elles ont été formulées, compte tenu de l’ensemble du dossier.

3)         La conclusion sur l’équité procédurale

[204]   J’arrive à la conclusion que le demandeur n’a pas établi qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

C.        La contrainte — Les erreurs de droit — Le caractère déraisonnable

[205]   Le demandeur soutient que le GC a commis une erreur de droit dans le cadre de son examen de la contrainte pour les raisons suivantes :

a)         il n’a pas appliqué le norme appropriée lorsqu’il a apprécié le moyen de défense fondé sur la contrainte;

b)         il n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve et il en a exposé d’autres de manière inexacte, de sorte qu’il a tiré des conclusions de fait erronées de façon abusive et arbitraire;

c)         il a rendu une décision déraisonnable.

[206]   De façon générale, mon examen du dossier m’amène à conclure que le GC a appliqué la norme appropriée à l’égard de la question de la contrainte. Je pense cependant que le traitement réservé à la preuve suscite certains problèmes qu’il faut reconnaître et régler afin de décider si la décision est raisonnable ou si l’affaire devrait être renvoyée pour nouvel examen.

1)         Les permissions

[207]   Le rapport mentionne à plusieurs reprises les permissions accordées à M. Oberlander [aux paragraphes 30, 32, 51 et 55] :

[traduction] Par exemple, un témoin appelé par la Couronne, M. Huebert, rappelle qu’au début de mai 1942 lui et M. Oberlander ont parcouru ensemble les quelque 400 km qui séparaient leur poste de leur domicile respective. Ils avaient obtenu une permission de 14 jours, après quoi ils sont retournés ensemble à leur poste. Le juge MacKay a estimé que le témoignage de M. Huebert était crédible. En conséquence, le ministre conclut que M. Oberlander est retourné à son poste de son plein gré à l’époque, ce qui indique qu’il n’existait pas une menace de préjudice imminente, réelle et inévitable.

[…]

iv. Monsieur Oberlander a eu de nombreuses occasions de déserter, car il a reçu un grand nombre de permissions de plusieurs semaines [renvoi à Oberlander (2000), aux paragraphes 22, 38, 73 et 158].

[…]

La décision du juge MacKay fait plutôt ressortir que M. Oberlander a obtenu plusieurs longues permissions sans escorte de la part de l’unité Ek10a […]

[…]

Le dossier montre que, contrairement à ce que M. Oberlander prétend aux paragraphes 83 à 86, il a eu de nombreuses occasions de s’échapper, car un grand nombre de permissions de plusieurs semaines lui ont été accordées [renvoi aussi à Oberlander (2000), aux paragraphes 22, 38, 73 et 158].

[208]   Comme le demandeur le fait remarquer, un examen des paragraphes de la décision du juge MacKay auxquels le ministre fait référence ne révèle aucune conclusion concernant les permissions dont M. Oberlander a bénéficié pendant son service au sein de l’unité Ek 10a :

•  le paragraphe 22 fait référence au compte rendu de M. Huebert concernant le voyage qu’il aurait fait avec M. Oberlander pendant une permission (il en est question au paragraphe 30 du rapport). Dans le paragraphe suivant cependant, le juge MacKay dit : « Il est donc peu probable qu’il [M. Oberlander] se soit rendu à Halbstadt avec M. Huebert, à tout le moins au moment indiqué par ce dernier, soit en mai 1942, puisqu’à ce moment-là la mère et la famille de M. Oberlander avaient quitté la ville. » Le ministre conclut que [traduction] « M. Oberlander est retourné à son poste de son plein gré à l’époque, ce qui indique qu’il n’existait pas une menace de préjudice imminente, réelle et inévitable » (rapport, au paragraphe 30). Comme le juge MacKay a dit qu’il était peu probable que M. Oberlander ait pris ce congé, je ne pense pas que le ministre puisse conclure quoi que ce soit du présumé retour de M. Oberlander après sa permission;

•  le paragraphe 38 fait référence à une permission au sujet de laquelle M. Oberlander a témoigné. La permission a été prise en avril 1944, alors que M. Oberlander servait dans une unité de l’armée régulière. Je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il dit qu’une permission survenue après son service au sein de l’unité Ek 10a ne peut pas permettre de décider s’il agissait sous l’effet de la contrainte au sein de l’unité Ek 10a;

•  il est question au paragraphe 73 d’une enquête s’étant déroulée dans les années 1970 au sujet du rôle du Dr Christmann au sein de l’unité Ek 10a. Monsieur Oberlander a signé une déclaration portant [traduction] « qu’il a reçu plusieurs permissions, y compris une lui permettant de visiter sa famille à Halbstadt ». Le juge MacKay a admis la déclaration en preuve parce qu’elle avait été faite et signée volontairement. Il a toutefois rejeté expressément les parties de la déclaration qui étaient pertinentes aux fins de sa décision, par exemple la prétention de M. Oberlander selon laquelle il ne connaissait pas le nom de son unité et ne savait pas que celle-ci avait été impliquée dans des exécutions (Oberlander (2000), précitée, aux paragraphes 153 à 155);

•  le paragraphe 158 se trouve après le résumé fait par le juge MacKay du témoignage de M. Oberlander et de certaines contradictions entre ce témoignage, d’une part, et la preuve documentaire et les autres témoignages, d’autre part. Le juge MacKay relève la contradiction entre le témoignage présenté par M. Oberlander à l’audience selon lequel il n’était jamais retourné à Halbstadt après avoir été enrôlé et sa déclaration de 1970 indiquant qu’il avait eu plusieurs permissions et avait rendu visite à sa famille à une occasion à Halbstadt.

[209]   À mon avis, je ne pense pas que l’on puisse dire que le juge MacKay a conclu que M. Oberlander avait bénéficié de permissions (sauf celle survenue pendant qu’il faisait partie d’une unité de l’armée régulière), et il n’a tiré aucune conclusion relativement au nombre de permissions dont M. Oberlander avait bénéficié ou à la durée de celles-ci. Il est question de la durée seulement dans le témoignage de M. Huebert selon lequel la durée de la permission qu’il avait prise avec M. Oberlander était de 14 jours. Le juge MacKay a dit qu’il était peu probable que cette permission ait eu lieu. En outre, il n’a tiré aucune conclusion concernant la question de savoir si M. Oberlander avait eu la possibilité de déserter.

[210]   Outre ce que le juge MacKay a dit au sujet des permissions de M. Oberlander, il ressort toutefois clairement du propre témoignage fait par le demandeur en 1970 qu’il était allé en permission à plusieurs reprises, notamment à une occasion pour rendre visite à sa famille à Halbstadt où il habitait au début de la guerre. M. Huebert a déclaré dans son témoignage que tous les membres de l’unité avaient des vacances et le demandeur lui-même reconnaît qu’il est retourné à l’unité Ek 10a après son séjour au Bélarus lorsque ce qui restait de son unité a été envoyé en Pologne.

[211]   Le rapport souligne également que, si le demandeur n’était pas allé en permission à de nombreuses reprises, il s’était quand même trouvé seul sur le chaland à Rostov pendant une période allant jusqu’à un mois.

[212]   Malgré les erreurs commises par le ministre relativement aux conclusions du juge MacKay, il y avait encore, à mon avis, une preuve démontrant que, comme le ministre le prétendait, le demandeur avait bénéficié de permissions, était retourné à l’unité Ek 10a de son plein gré et avait eu des occasions de déserter dont il n’avait pas profité.

2)         Les conclusions de fait du juge MacKay

[213]   Par ailleurs, le rapport mentionne à plusieurs reprises que le juge MacKay n’est pas parvenu à certaines conclusions de fait. La Cour d’appel fédérale a déjà examiné les limitations du travail du juge MacKay et ses conclusions de fait (Oberlander (2004), précité) [aux paragraphes 40 et 41] :

Ni le rapport ni les observations écrites ne sont destinés à mettre en question les conclusions de fait tirées par le juge à la fin du renvoi. Ces conclusions sont définitives et non susceptibles d’examen (voir le paragraphe 18(3) de la Loi). Dans la mesure où les observations écrites visaient, sous une forme déguisée, à contester d’une façon accessoire les conclusions tirées, elles n’étaient pas pertinentes et elles n’étaient pas utiles. En l’espèce, M. Oberlander, la ministre et le gouverneur en conseil doivent reconnaître que M. Oberlander avait incontestablement une expérience de guerre auprès de l’unité Ek 10a, qu’il a fait une fausse déclaration quant à ses antécédents ou qu’il a dissimulé intentionnellement des faits essentiels lors de son entrevue avec un agent de sécurité et qu’il a été admis au Canada à titre de résident permanent et qu’il a finalement acquis la citoyenneté par de fausses déclarations (voir les motifs du juge MacKay, au paragraphe 210). Il est entendu que le gouverneur en conseil possède le pouvoir voulu, en vertu de l’article 18 de la Loi sur la citoyenneté, pour annuler la citoyenneté de M. Oberlander, mais il s’agit de savoir s’il a exercé ce pouvoir d’une façon qui peut donner lieu à un examen eu égard aux circonstances de l’espèce.

Toutefois, les conclusions de fait doivent être considérées telles qu’elles sont formulées et non telles qu’elles auraient pu l’être. Le juge MacKay ne déterminait pas si la politique du gouvernement d’annuler la citoyenneté des criminels de guerre s’appliquait à M. Oberlander. Le juge MacKay ne déterminait pas si M. Oberlander était un criminel de guerre au sens du droit canadien ou du droit international. Le juge MacKay n’a pas conclu — comme il aurait pu le faire — que l’unité Ek 10a était une organisation dont la raison d’être était de perpétrer des actes de brutalité. Le juge MacKay a conclu qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté au sujet de la participation personnelle de M. Oberlander aux activités criminelles ou aux crimes de guerre.

[214]   Malgré cette mise en garde, le rapport tente d’attacher beaucoup d’importance à certaines conclusions de fait que le juge MacKay n’a pas tirées. Par exemple, le rapport indique, au paragraphe 51 : [traduction] « Contrairement à ce qui s’est passé dans Asghedom, le juge MacKay n’a tiré aucune conclusion relativement à M. Oberlander selon laquelle 1) il a fait l’objet d’un enrôlement forcé inévitable; 2) il n’a eu aucune possibilité de s’échapper avant d’être libéré; 3) toute tentative de désertion aurait entraîné la mort. » Je ne pense pas que le ministre peut accorder du poids au fait que le juge MacKay n’a tiré aucune conclusion de fait relativement à des questions dont il n’était pas saisi. Le juge MacKay a mentionné que la preuve relative à la question de savoir si M. Oberlander avait été conscrit ou non était incohérente (Oberlander (2000), précitée, au paragraphe 20), mais il n’est arrivé à aucune conclusion ni fait aucun commentaire sur les deuxième et troisième questions.

[215]   Le rapport reconnaît plus loin la portée et les limites des conclusions tirées par le juge MacKay en réponse aux prétentions de M. Oberlander concernant les observations du juge MacKay sur la conscription (au paragraphe 40) : [traduction] « Le juge MacKay n’a tiré aucune conclusion quant à la question de savoir s’il [M. Oberlander] avait été recruté de force pour faire partie de l’unité Ek 10a et n’a fait aucun commentaire sur la crédibilité de cette prétention, car elle ne concernait pas la question déterminante dont il était saisi. » Cette réponse s’applique également aux tentatives du rapport d’accorder de l’importance au défaut du juge MacKay de tirer certaines autres conclusions.

[216]   À nouveau, au paragraphe 69, le rapport dit : [traduction] « Il n’y a aucune conclusion de fait concernant l’état d’esprit, les expériences et les circonstances sous-tendant la présumée perception de menace de M. Oberlander. » Le juge MacKay n’était pas chargé de tirer une conclusion au sujet de la perception de la menace de M. Oberlander. Le GC avait l’obligation de décider si, à cause de cette perception, il était impossible de dire que M. Oberlander avait été complice des actes de l’unité Ek 10a.

[217]   Cependant, même si le juge MacKay n’a pas tiré de conclusions claires sur ces questions, le GC pouvait soupeser tous les autres éléments de preuve. Ceux-ci démontrent que, même si le demandeur a été recruté de force, rien ne permet de penser qu’il a agi contre son gré en demeurant au sein de l’unité ou en commettant des actes pour le compte de celle-ci. Lorsqu’il s’est joint à l’unité, il n’était pas armé. Une carabine puis une mitrailleuse lui ont ensuite été remises. Il a porté un uniforme de la SD à partir de l’été 1942. Il a sauvé la vie de deux soldats allemands. Il a reçu la croix du service militaire, deuxième classe (ce qu’il a nié au cours d’une entrevue en 1970). Il a obtenu ensuite la citoyenneté allemande en ajoutant son nom, dans la lettre transmise aux SS et à la police, aux noms d’autres personnes qui avaient démontré leur loyauté envers la cause allemande poursuivie au cours de la guerre. Cette lettre demandait instamment que la citoyenneté allemande lui soit attribuée conformément au décret du Führer.

[218]   Par ailleurs, rien ne permettait de conclure que le demandeur avait été maltraité, qu’il estimait que les activités et les objectifs de l’unité Ek 10a étaient odieux, qu’il avait déjà demandé à être dispensé de ses tâches et qu’il avait déjà envisagé de déserter ou essayé de le faire.

3)         Le rapport de Nuremberg

[219]   Le demandeur se plaint de l’utilisation du rapport de Nuremberg par le ministre parce qu’aucune distinction n’y est faite entre les dirigeants et les membres subalternes (dossier du demandeur, aux pages 71 et 72). Je partage son point de vue, mais le rapport de Nuremberg parle aussi des personnes qui participaient aux exécutions [aux pages 481 et 482] :

[traduction] On peut accuser la hiérarchie militaire nazie de cruauté, même de sadisme si on veut, mais on ne saurait l’accuser à la légère d’inefficacité. Si l’un de ces dirigeants des Kommandos avait affirmé que ceux-ci n’étaient pas en mesure, à cause de la constitution, de procéder à ce massacre d’êtres humains exécuté de sang-froid, il n’est pas déraisonnable de penser qu’ils auraient été assignés à d’autres tâches, non pas par compassion ou pour des motifs d’ordre humanitaire, mais simplement pour des raisons d’efficacité. En fait, Ohlendorf s’est lui-même prononcé sur ce sujet :

« En deux ans et demi, j’ai eu amplement la possibilité de constater combien de personnes de mon groupe n’approuvaient pas cet ordre en leur for intérieur. En conséquence, j’ai interdit à certains de ces hommes de participer à ces exécutions, et je les ai fait renvoyer en Allemagne. »

Ohlendorf lui-même aurait pu être libéré de ses fonctions en matière d’exécution en refusant de coopérer avec l’armée. Il a déclaré dans son témoignage que le chef d’état-major sur le terrain lui avait dit que s’il – Ohlendorf – ne coopérait pas, il demanderait son renvoi à Berlin.

Le témoin Hartel a affirmé au cours de son témoignage que Thomas, le chef de l’Einsatgruppe B, avait déclaré que tous ceux dont la conscience empêchait d’obéir à l’ordre du Fuehrer – selon ses termes, les personnes trop douces – seraient renvoyés en Allemagne ou assignés à d’autres tâches, et qu’il avait de fait renvoyé dans le Reich un certain nombre de personnes, y compris des commandants. [Non souligné dans l’original.]

[220]   Le ministre s’appuie sur ce passage pour affirmer que M. Oberlander aurait pu demander une dispense (rapport, au paragraphe 46). Je pense que le passage cité indique que les personnes incapables de s’occuper des exécutions pouvaient demander un transfert à une autre unité et que ce type de demande était généralement accordé. Le problème en l’espèce vient du fait que le juge MacKay a dit qu’il ne disposait d’aucune preuve démontrant que M. Oberlander avait été impliqué dans des exécutions ou des crimes de guerre, ou même avait aidé et encouragé à commettre des crimes de guerre. Je ne pense pas que le rapport de Nuremberg puisse établir que M. Oberlander aurait pu demander un transfert ou réfuter le témoignage de celui-ci selon lequel il ne pouvait pas demander un transfert, étant donné qu’il traite des transferts dans le contexte très limité des affectations à des postes exigeant des titulaires qu’ils procèdent à des exécutions. Rien ne permet de conclure que M. Oberlander occupait un tel poste et le juge MacKay a admis le témoignage de M. Oberlander selon lequel il n’avait pas participé à des exécutions. Je ne pense pas que le passage reproduit ci-dessus puisse établir que les personnes qui ont servi comme interprètes ou qui ont surveillé la nourriture, ou qui ont joué un autre rôle assigné à M. Oberlander, pouvaient demander un transfert.

[221]   Encore une fois cependant, je ne pense pas, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que cette erreur est suffisante pour rendre déraisonnable la décision contestée. Les erreurs relevées dans le rapport doivent être placées dans le contexte plus large de la preuve relative à la contrainte.

[222]   Le rapport mentionne et prend en considération l’âge du demandeur, son degré de maturité, son niveau d’instruction et son propre témoignage voulant qu’il ait entendu des rumeurs indiquant qu’il serait tué s’il tentait de quitter l’unité Ek 10a. Le rapport semble conclure que le demandeur était un jeune homme mature de 17 ou 18 ans, et la preuve ne démontrait pas suffisamment qu’il serait tué s’il tentait de s’échapper. Le rapport conclut au paragraphe 67 :

[traduction] Les observations de M. Oberlander concernant son âge visant à expliquer pourquoi il croyait ne pas avoir un moyen de s’en sortir ne sont pas crédibles parce qu’il n’était pas un enfant lorsqu’il s’est joint au régime nazi et que son degré de maturité faisait en sorte qu’il était en mesure d’évaluer sa situation et de déserter ou de demander un transfert s’il le voulait.

[223]   J’ai déjà abordé la question de la crédibilité soulevée dans ce passage et j’arrive à la conclusion que la préoccupation du ministre concernait réellement le fait que le demandeur n’avait pas produit une preuve suffisante pour établir qu’il aurait été exposé à un préjudice — immédiat ou à titre de conséquence — s’il avait demandé à être transféré ou s’il avait déserté. Le demandeur craignait manifestement d’être tué s’il désertait, et il reproche au ministre de ne pas avoir suffisamment examiné la question de savoir où il aurait pu aller en Europe à l’époque pour échapper à cette conséquence. Certes, des personnes ont réussi à s’échapper, mais je pense que l’important en ce qui concerne la preuve relative à cette question est qu’elle montre que le demandeur n’a rien fait pour se distancier des fins brutales de l’unité Ek 10a. Il semble qu’il n’ait jamais étudié la possibilité de s’échapper ou demandé à être transféré, à être dispensé de son travail d’interprète ou à être plutôt assigné à des fonctions administratives. Il aurait peut-être été dangereux pour le demandeur de tenter de se distancier, mais il n’a produit aucune preuve convaincante démontrant qu’il avait même voulu le faire. Il n’exprime même pas de remords. Ainsi, le ministre peut avoir commis des erreurs au sujet des conclusions du juge MacKay concernant les permissions et les occasions de déserter, mais je ne vois pas comment le demandeur pourrait faire la preuve de la contrainte alors qu’il n’a produit aucune preuve démontrant qu’il avait voulu quitter l’unité Ek 10a. Il est demeuré au sein de cette unité et rien ne permet de conclure qu’il ne voulait pas être là.

[224]   En fait, il n’y a aucune preuve établissant que le demandeur — un interprète — aurait été tué s’il avait tenté de déserter. Ni le demandeur, ni M. Sidorenko, ni M. Huebert n’ont produit une preuve directe attestant qu’ils avaient déjà vu quelqu’un subir un préjudice pour avoir désobéi aux ordres ou pour avoir tenté de déserter ou d’être transféré ailleurs, ou qu’ils avaient été menacés de mort s’ils commettaient l’un de ces actes. En outre, les articles de journal n’indiquent pas ce qui serait arrivé à une personne se trouvant dans la situation du demandeur. M. Sidorenko semble avoir réellement envisagé de quitter l’unité Ek 10a (rapport, supplément C, onglet C, à la page 900) :

[traduction]

Q. Est-ce que ce que vous avez vu vous a bouleversé?

R. Beaucoup.

Q. Avez-vous envisagé de quitter l’unité?

R. Oui. Une amie, Georgia, et moi étions dans un tel état que nous étions prêts à partir pour rejoindre les partisans.

De plus, M. Sidorenko a été interrogé au sujet de sa présumée participation à la tentative de désertion de deux de ses collègues. Il semble qu’aucun de ces hommes n’ait été puni ni même réprimandé d’une quelconque façon (rapport, supplément C, onglet C, aux pages 901 à 903, 905 et 906).

4)         Les conclusions sur la raisonnabilité

[225]   Il ressort de ma lecture du rapport que celui-ci mentionne le critère élaboré dans l’arrêt Ramirez qui doit servir à déterminer s’il y a eu contrainte et, contrairement à ce que le demandeur allègue, reconnaît que l’affaire devrait être examinée du point de vue d’une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur. Le rapport examine la preuve et ce qu’elle nous apprend au sujet du point de vue du demandeur.

[226]   Il incombait au demandeur d’établir la contrainte. Au bout du compte, il n’a pas fait la preuve d’une crainte raisonnable de danger physique imminent et n’a pas démontré que la situation dans laquelle il se trouvait n’était pas de sa faute ou ne découlait pas de sa volonté ou qu’il satisfaisait à l’exigence de proportionnalité.

[227]   Par exemple, le demandeur affirme que le ministre a omis d’examiner ce qui lui serait arrivé s’il avait déserté. Il prétend qu’il aurait été capturé et exécuté. Selon la preuve, il est vrai que les déserteurs pouvaient être abattus, mais, compte tenu des faits en l’espèce, le demandeur n’a pas établi qu’il avait tenté d’échapper à cette situation ou de se distancier du dessein criminel de l’unité Ek 10a. La preuve n’indiquait pas qu’il avait été maltraité et qu’il avait cherché à être relevé de ses fonctions. Il a servi la cause nazie pendant trois ou quatre ans, s’est rendu à la fin de la guerre, a accepté de son plein gré la croix du service militaire, deuxième classe et s’est volontairement joint à la demande de citoyenneté allemande de sa mère.

[228]   Comme le défendeur le souligne, le demandeur n’a jamais exprimé aucun remords pour avoir été un membre de l’unité Ek 10a ou indiqué qu’il trouvait odieuses les activités de l’organisation. Rien ne permet de penser que le travail qu’il a fait pour l’organisation allait à l’encontre de sa volonté. Il affirme maintenant qu’il n’aurait pas pu déserter sans être tué, mais cette affirmation (qui n’a pas été acceptée par le ministre) n’établit pas que, à l’époque pertinente, il n’a pas contribué de son plein gré aux fins brutales visées par l’unité Ek 10a. Comme le défendeur le mentionne, l’affirmation du demandeur selon laquelle les membres de l’unité Ek 10a étaient passibles de la peine de mort s’ils refusaient de se joindre à l’unité ou, même s’ils s’y joignaient de force, étaient passibles de la peine de mort pour désobéissance ou désertion n’avait pas un fondement factuel suffisant. Le demandeur n’a présenté aucune preuve permettant de penser qu’il n’aurait pas pu demander un transfert de l’unité Ek 10a, une brigade d’exécution, ce qui signifiait qu’il avait aussi omis de présenter une preuve démontrant que le préjudice causé aux victimes de l’organisation n’était pas plus grave que celui auquel il était exposé. À mon avis, le demandeur ne se rend pas compte que la Cour a refusé de reconnaître que « le risque de mort auquel l’exposait la désertion lui donnait carte blanche et excusait sa participation à la commission d’atrocités » (Valle Lopes, précitée, au paragraphe 107).

[229]   Il me semble également que le ministre a examiné de manière raisonnable les aspects de la contrainte relevant du droit criminel dans la mesure où ils s’appliquaient à la présente affaire. Le ministre n’a pas exigé du demandeur qu’il démontre le préjudice immédiat. Le demandeur n’a pas fait la preuve de l’existence du « lien temporel étroit » mis en évidence dans l’arrêt Ryan, précité, et, à nouveau, il n’a pas établi la proportionnalité qui doit exister selon l’arrêt Ryan.

[230]   J’ai examiné chacune des prétentions du demandeur afin de déterminer si la décision comportait des erreurs susceptibles de contrôle. Je constate que le ministre a commis certaines erreurs et qu’il peut y avoir désaccord sur le poids à accorder à certains des éléments de preuve (ou à l’absence d’éléments de preuve), mais je ne peux pas dire que la décision contestée comporte une erreur importante. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits. Ils doivent tout simplement être suffisants pour « permettre à l’intéressé de comprendre la décision et à la cour de révision d’apprécier le bien-fondé de celle-ci » (Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, au paragraphe 46). À mon avis, le rapport atteint ces deux objectifs.

[231]   Le rapport concerne une personne qui a été déclarée coupable de complicité et qui insiste maintenant sur l’importance de la contrainte exercée contre elle, mais qui n’a présenté aucune preuve démontrant que les activités de l’organisation lui étaient odieuses, qu’elle avait agi à l’encontre de sa volonté ou qu’elle avait satisfait à l’exigence de proportionnalité. Le demandeur n’a produit aucune preuve établissant de façon convaincante qu’il avait déjà réellement envisagé des façons de quitter l’organisation à laquelle il contribuait — sa contribution lui avait d’ailleurs valu après la guerre la croix du service militaire — ou de se distancier des fins brutales de cette organisation. J’ai examiné le dossier avec soin et j’ai pris en compte chacune des observations du demandeur, et je ne peux relever aucune erreur pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.         La demande est rejetée.

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