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[2016] 4 R.C.F. 268

A-481-15

2016 CAF 79

Nader Philipos (appelant)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Philipos c. Canada (Procureur général)

Cour d’appel fédérale, juge Stratas, J.C.A.—Ottawa, 9 mars 2016.

Pratique — Principes et critères régissant la délivrance d’une autorisation de faire revivre et de poursuivre une procédure ayant fait l’objet d’un désistement — Le ministre des Transports a annulé l’habilitation de sécurité en matière de transport de l’appelant — La Cour fédérale a conclu que la décision était raisonnable — L’appelant a interjeté appel, mais peu après, il s’est désisté — L’appelant a présenté par la suite une requête visant à faire revivre et à poursuivre son appel — Il s’agissait de savoir si la requête devrait être accordée — Seul un événement d’une importance fondamentale qui touche à l’essence de la décision de mettre fin à la procédure peut justifier qu’une procédure ayant fait l’objet d’un désistement revive et qu’elle suive son cours — La Cour doit être d’avis que la partie qui s’est désistée et qui cherche à faire revivre la procédure a des chances raisonnables d’avoir gain de cause — Il faut tenir compte du préjudice que pourrait causer la réouverture d’une affaire — L’appelant n’a pas établi qu’un événement d’une importance fondamentale a touché à l’essence de la décision de mettre fin à la procédure et qu’il avait des chances raisonnables d’avoir gain de cause en appel — L’appel était voué à l’échec — Requête rejetée.

Il s’agissait d’une requête de l’appelant en vue de solliciter une ordonnance l’autorisant à faire revivre et à poursuivre un appel dont il s’était désisté.

Après avoir appris que l’appelant avait tenté d’exporter des armes d’épaule lors d’un voyage au Soudan, le ministre des Transports a annulé l’habilitation de sécurité en matière de transport de l’appelant qui l’autorisait à avoir accès aux zones réglementées de l’aéroport international de Calgary. La Cour fédérale a conclu que la décision du ministre était raisonnable. L’appelant a interjeté appel de cette décision, mais s’est désisté peu après.

Il s’agissait de savoir si la requête devait être accordée. Plus précisément, il s’agissait de savoir quels sont les principes et les critères qui doivent régir la délivrance d’une autorisation de faire revivre et de poursuivre une procédure ayant fait l’objet d’un désistement.

Jugement : la requête doit être rejetée.

Seul un événement d’une importance fondamentale qui touche à l’essence de la décision de mettre fin à la procédure peut justifier qu’une procédure ayant fait l’objet d’un désistement revive et qu’elle suive son cours. Même lorsqu’un événement grave de cette nature s’est produit, la Cour doit être d’avis que la partie qui s’est désistée et qui cherche à faire revivre la procédure a des chances raisonnables d’avoir gain de cause. Faire revivre une procédure ayant fait l’objet d’un désistement lorsque celle-ci est vouée à l’échec n’aurait pas de sens et ce serait un gaspillage des ressources judiciaires. Il faut tenir compte du préjudice que pourrait causer la réouverture d’une affaire ayant fait l’objet d’un désistement. En l’espèce, l’appelant n’a pas invoqué quelque chose qui touche à l’essence de sa décision antérieure de se désister. Le fait qu’il ait pu commettre une erreur en n’appréciant pas correctement les conséquences d’un désistement ne justifie pas sa demande. L’appelant n’a pas non plus établi qu’il avait des chances raisonnables d’avoir gain de cause en appel. Même si la Cour devait admettre de nouveaux éléments de preuve de la part de l’appelant et apprécier le caractère raisonnable de la décision du ministre des Transports, l’appel serait voué à l’échec. L’appelant n’a fourni aucune raison à la Cour d’appel fédérale de ne pas souscrire à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la décision du ministre était raisonnable.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.4, 50.

Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur le Soudan, DORS/2004-197.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 4, 8, 165, 383, 384, 397, 398, 399.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Marleau c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1208; Warford v. Zyweck, 2002 BCCA 221, 1 B.C.L.R. (4th) 41.

DÉCISIONS CITÉES :

Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2007 CAF 1; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50; Canada (Revenu national) c. McNally, 2015 CAF 195; Mylan Pharmaceuticals ULC c. AstraZeneca Canada inc., 2011 CAF 312; Audet c. Canada, 2002 CAF 130; “Kronprinz” (1887), 12 A.C. 256, 56 L.T. 345 (H.L.); Del Zotto c. Canada (Ministre du Revenu national), [1996] A.C.F. no 294 (C.A.) (QL); Lifeview Emergency Services Ltd. c. Alberta Ambulance Operators’ Assn., [1995] A.C.F. no 1199 (1re inst.) (QL); Daniele v. Johnson, 1999 CanLII 19921, 45 O.R. (3d) 498 (C. div.); Singh v. Street et al., 1990 CanLII 7820, 84 Sask. R. 161 (C.A.); Neis v. Yancey, 1999 ABCA 272 (CanLII), 250 A.R. 19; Pacific Centre Ltd. v. Micro Base Development Corp. (1990), 49 B.C.L.R. (2d) 218, 43 C.P.C. (2d) 302 (C.A.); Teodorescu c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1993] A.C.F. no 1124 (C.A.) (QL); Ahmed c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] A.C.F. no 55 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Hennelly, 1999 CanLII 8190, [1999] A.C.F. no 846 (C.A.) (QL); Williams v. The Personal Insurance Co. of Canada, 2004 NSSC 73, 222 N.S.R. (2d) 270; Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204; Adam v. Ins. Corp. of B.C., 1985 CanLII 584, 66 B.C.L.R. 164 (C.A.); Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22; Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006.

requête de l’appelant en vue de solliciter une ordonnance l’autorisant à faire revivre et à poursuivre un appel dont il s’était désisté. Requête rejetée.

OBSERVATIONS ÉCRITES

Nader Philipos pour son propre compte.

James Elford pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Stratas, J.C.A. : L’appelant sollicite une ordonnance l’autorisant à faire revivre et à poursuivre un appel dont il s’est désisté. Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejette la requête.

A.        Contexte

[2]        L’appelant était un agent de piste à l’aéroport international de Calgary. Il était titulaire d’une habilitation de sécurité en matière de transport qui l’autorisait à avoir accès aux zones réglementées de l’aéroport.

[3]        Après avoir été mis au courant de certains faits, le ministre des Transports a annulé l’habilitation de sécurité de l’appelant. Ce dernier a contesté l’annulation par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Par jugement, daté du 6 novembre 2015, la Cour fédérale (le juge Fothergill) a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

[4]        L’appelant a interjeté appel du jugement de la Cour fédérale devant notre Cour en déposant un avis d’appel au greffe de la Cour. Toutefois, peu après avoir déposé son avis d’appel, l’appelant s’est désisté.

[5]        L’appelant souhaite maintenant faire revivre et poursuivre son appel. Il présente donc une demande d’autorisation à cette fin.

[6]        Les parties ont invoqué une seule décision rendue dans le cadre du système des Cours fédérales énonçant le critère régissant la présente requête : Marleau c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1208. Il ressort de la décision Marleau (au paragraphe 5) qu’il faut un motif valable pour faire revivre une procédure. Elle ne dit rien de plus, et cette décision ne lie pas la Cour.

[7]        J’ai repéré deux arrêts de notre Cour, auxquels je me réfère ci-dessous, qui rejettent des requêtes visant à faire revivre des procédures. Dans chaque cas, la requête a été rejetée parce que la procédure engagée par le requérant était vouée à l’échec. Ni l’un ni l’autre de ces arrêts n’énoncent les principes généraux régissant ce type de requête. Dans les présents motifs, je vais exposer certains d’entre eux.

B.        Observations préliminaires

[8]        Une partie peut se désister de tout ou partie d’une procédure devant les Cours fédérales, y compris un appel devant notre Cour, en déposant un avis de désistement : Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], règle 165. Il s’agit d’un acte unilatéral. Il n’est pas nécessaire d’obtenir le consentement des parties adverses ou l’autorisation de la Cour pour se désister d’une procédure, ni de fournir des explications à l’appui : Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2007 CAF 1. Une fois le désistement déposé, le dossier de la Cour est fermé.

[9]        Les Règles ne prévoient pas expressément la possibilité de faire revivre une procédure et qu’il y soit donné suite après le dépôt du désistement visé à la règle 165. Toutefois, un désistement se distingue d’un rejet dans la mesure où, en théorie, une partie peut faire revivre et poursuivre une procédure dont elle s’est désistée ou engager une nouvelle procédure. Le désistement prévu à la règle 165 suppose implicitement qu’une partie peut se prévaloir de l’une ou de l’autre de ces possibilités.

[10]      En l’espèce, l’appelant a présenté une requête visant à faire revivre et à poursuivre son appel. Il a eu raison de procéder de cette façon. Lorsque l’appelant s’est désisté de son appel, le dossier de la Cour a été fermé. Il est nécessaire que l’appelant obtienne l’autorisation de la Cour pour rouvrir son dossier. Les Cours fédérales ont plein pouvoir pour adopter des règles visant à préserver l’intégrité de leurs propres processus, y compris le processus de fermeture et d’ouverture de leurs dossiers : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, aux paragraphes 35 à 38; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, au paragraphe 92; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50, aux paragraphes 35 et 36; Canada (Revenu national) c. McNally, 2015 CAF 195, aux paragraphes 8 et 9.

[11]      Étant donné que les Règles des Cours fédérales ne traitent pas expressément de la possibilité de permettre qu’une procédure ayant fait l’objet d’un désistement revive et suive son cours, la question se pose de savoir quelle est la source des principes applicables en la matière.

[12]      La règle 4 des Règles — souvent appelé « règle des lacunes » — dispose qu’en cas de silence des Règles des Cours fédérales, la Cour peut déterminer la procédure applicable par analogie avec d’autres règles. Il est utile en l’espèce de procéder de cette façon. Le désistement n’est qu’une des cinq choses qui peuvent se produire dans le cadre d’une procédure régie par les Règles des Cours fédérales. Si l’on procède par comparaison ou par analogie entre le désistement et ces autres choses, on constate qu’il existe un éventail de possibilités. Cela jette de la lumière sur les principes qui devraient régir la délivrance d’une autorisation de faire revivre et de poursuivre une procédure ayant fait l’objet d’un désistement.

C.        Le désistement et les autres voies que peut emprunter une procédure

[13]      Une fois entamée, une procédure peut suivre cinq voies :

•           Autoréglementation. Les parties peuvent faire les démarches qui s’offrent à elles dans les délais prescrits par les Règles des Cours fédérales de façon à faire en sorte que leur dossier soit prêt pour audition. Les parties ont toutes les raisons de s’attendre à ce que la procédure fasse l’objet d’une décision.

•           Règles de la Cour. À la demande d’une partie, la Cour peut établir le calendrier des diverses étapes de la procédure ou de l’audition de l’affaire en tant que telle, de façon à accélérer ou à ralentir le processus : règle 8. La procédure peut aussi faire l’objet d’une gestion de l’instance : règles 383 et 384. Bien que la Cour intervienne dans l’établissement de l’échéancier ou dans la gestion de l’instance, là encore, les parties ont toutes les raisons de s’attendre à ce que la procédure fasse l’objet d’une décision.

•           Suspension. Une procédure peut être suspendue en vertu de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7; Mylan Pharmaceuticals ULC c. AstraZeneca Canada inc., 2011 CAF 312. Une suspension prend fin conformément aux modalités fixées par la Cour. À moins que la suspension soit renouvelée ou que la procédure soit rejetée, l’instance reprend son cours après l’expiration de la suspension. Pendant la suspension, la procédure continue d’exister, de sorte que les parties sont en droit de s’attendre à ce que la procédure fasse l’objet d’une décision.

•           Désistement. Le désistement est plus qu’une suspension. Il met fin à la procédure et entraîne la fermeture du dossier. Après le dépôt unilatéral d’un avis de désistement suivant la règle 165, les parties n’ont pas à prendre d’autres mesures. Le désistement n’est pas une décision sur le fond, de sorte qu’il n’emporte pas interdiction de la remise en cause découlant du principe de la chose jugée. En théorie, une partie peut engager une nouvelle procédure portant sur le même objet : Audet c. Canada, 2002 CAF 130; “Kronprinz” (1887), 12 A.C. 256 (H.L.). Et, en théorie, une partie peut faire revivre et poursuivre la procédure ayant fait l’objet d’un désistement, comme l’appelant cherche à le faire en l’espèce. Toutefois, par contraste avec la suspension, le dépôt unilatéral d’un avis de désistement envoie le message qu’il a été mis fin à la procédure.

•           Détermination. La Cour peut se prononcer sur une procédure dans le cadre de certaines requêtes interlocutoires ou après audition de la demande, de l’action ou de l’appel sur le fond, selon le cas. La décision de la Cour est définitive, sous réserve d’un appel devant un tribunal d’instance supérieure et du pouvoir limité, dont la Cour dispose pour une courte période de temps, de remédier à des oublis ou à des erreurs (règle 397), ou d’annuler ou de modifier une ordonnance ou un jugement lorsqu’il y a eu des changements importants dans les circonstances (règle 398 et, voir par ex., Del Zotto c. Canada (Ministre du Revenu national), [1996] A.C.F. no 294 (C.A.) (QL), au paragraphe 12). Une décision peut aussi être annulée lorsqu’une erreur fondamentale a été commise du fait qu’un principe de justice naturelle n’a pas été observé ou s’il y a eu fraude (règle 399). Après le prononcé de la décision, la procédure est terminée et le dossier de la Cour est fermé. Une fois le délai pour interjeter appel expiré, les procédures subséquentes visant le même objet seront radiées sur le fondement du principe de la chose jugée.

[14]      Cet éventail de possibilités montre qu’il n’y a guère de différences entre un désistement et une décision sur le fond. Tant le désistement que la décision sont censés mettre fin de façon définitive à la procédure. Les deux entraînent la fermeture du dossier. Dans les deux cas, on s’attend à ce que le dossier ait été réglé de façon définitive.

[15]      Une des différences relevées ci-dessus tient au fait qu’il est en théorie possible qu’après le désistement une nouvelle procédure portant sur le même objet soit engagée. Toutefois, ce scénario n’est guère réaliste. Une tentative en ce sens pourrait donner lieu, par exemple, à une requête en radiation, fondée sur l’expiration d’un délai de prescription prévue par la loi ou pour cause d’abus de procédure (voir par ex., Lifeview Emergency Services Ltd. c. Alberta Ambulance Operators’ Assn., [1995] A.C.F. no 1199 (1re inst.) (QL), au paragraphe 13), ou à un refus, lorsqu’une prolongation est nécessaire, de proroger un délai, notamment dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[16]      Mes observations mettent en relief le fait qu’un désistement n’est pas une suspension, mais plutôt une mesure mettant fin à une instance et portant à conséquence. Cela nous éclaire sur les principes devant être appliqués lorsqu’une partie cherche à faire revivre et à poursuivre une procédure ayant fait l’objet d’un désistement.

D.        Le critère à satisfaire pour justifier l’autorisation de faire revivre et de poursuivre une procédure

[17]      Questions relatives au caractère définitif. Le désistement est une procédure peu coûteuse permettant de mettre fin à une procédure qui ne fait plus l’objet d’un différend ou à laquelle il ne vaut pas la peine de donner suite. Si les attentes concernant le caractère définitif que suscite un désistement ne sont pas prises en compte de manière stricte et que les désistements peuvent être facilement annulés, aucune économie ne sera réalisée. Les parties adverses se verront obligées de continuer à engager des frais, à recueillir des éléments de preuve et à préparer des arguments en vue d’une éventuelle audition. Le désistement ne deviendrait rien de plus qu’une forme de procédure de sursis s’apparentant à la suspension.

[18]      Les décisions ne sont pas annulées à la légère; il devrait en être de même pour les désistements. Ceux qui décident de déposer un désistement unilatéral choisissent de ne pas suspendre leur procédure, mais plutôt d’y mettre fin. Ils devraient être liés par leur décision. Seules des circonstances qui touchent l’essence de la décision de se désister de la procédure peuvent justifier qu’on la fasse revivre et qu’elle se poursuive.

[19]      La jurisprudence d’autres ressorts appuie ces observations et selon celle-ci il est permis de faire revivre et de donner suite à une procédure ayant fait l’objet d’un désistement seulement dans des circonstances exceptionnelles : voir par ex. Daniele v. Johnson, 1999 CanLII 19921, 45 O.R. (3d) 498 (C. div.), au paragraphe 21; Singh v. Street et al., 1990 CanLII 7820, 84 Sask. R. 161 (C.A.), au paragraphe 14; Neis v. Yancey, 1999 ABCA 272 (CanLII), 250 A.R. 19, au paragraphe 23. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique, à l’instar des autres tribunaux canadiens, a indiqué qu’on ne peut pratiquement jamais faire revivre une procédure ayant fait l’objet d’un désistement (Warford v. Zyweck, 2002 BCCA 221, 1 B.C.L.R. (4th) 41, au paragraphe 3; voir également l’arrêt Pacific Centre Ltd. v. Micro Base Development Corp., 1990 CanLII 1985, 49 B.C.L.R. (2d) 218 (C.A.), au paragraphe 19) :

[traduction] […] Étant donné que le dépôt d’un désistement ou l’abandon d’une procédure devrait justifier qu’on y attache un caractère définitif, cette mesure est une mesure lourde de conséquences, et la cour ne permettra pas, en l’absence de circonstances exceptionnelles et pressantes, à l’appelant d’y échapper.

[20]      Seul un événement d’une importance fondamentale qui touche à l’essence de la décision de mettre fin à la procédure peut justifier qu’une procédure ayant fait l’objet d’un désistement revive et qu’elle suive son cours, notamment l’obtention d’un désistement par la fraude ou en raison de l’incapacité mentale de la partie concernée au moment du désistement, ou la répudiation d’un règlement amiable qui nécessitait qu’une procédure fasse l’objet d’un désistement.

[21]      Même lorsqu’un événement grave de cette nature s’est produit, la Cour doit être d’avis que la partie qui s’est désistée et qui cherche à faire revivre la procédure a des chances raisonnables d’avoir gain de cause. Faire revivre une procédure ayant fait l’objet d’un désistement lorsque celle-ci est vouée à l’échec n’aurait pas de sens et ce serait un gaspillage des ressources judiciaires. Notre Cour a refusé à deux occasions de permettre que des procédures ayant fait l’objet d’un désistement soient rouvertes parce qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient accueillies : Teodorescu c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1993] A.C.F. no 1124 (C.A.) (QL), au paragraphe 14; Ahmed c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] A.C.F. no 55 (C.A.) (QL), au paragraphe 2. Cette exigence s’apparente à l’insistance de la Cour pour que la partie qui demande une prorogation du délai pour former un appel établisse qu’elle a des chances raisonnables d’avoir gain de cause : Canada (Procureur général) c. Hennelly, 1999 CanLII 8190 (C.A.F.).

[22]      De plus, nous devons tenir compte du préjudice que pourrait causer la réouverture d’une affaire ayant fait l’objet d’un désistement. Ainsi, une partie pourrait avoir pris d’importantes mesures par suite d’un désistement, par exemple, exécuter des obligations découlant d’un jugement de première instance après désistement de l’appel interjeté à l’encontre de ce jugement : Warford v. Zyweck, 2002 BCCA 221, 1 B.C.L.R. (4th) 41 [précité], au paragraphe 7. Une partie pourrait aussi subir un préjudice en raison de la destruction de certains dossiers, du fait d’avoir cessé de recueillir des éléments de preuve ou en raison de la disparition de certains témoins : Williams v. The Personal Insurance Co. of Canada, 2004 NSSC 73, 222 N.S.R. (2d) 270, aux paragraphes 15 à 20. Dans le cas de demandes de contrôle judiciaire et d’appels en découlant, l’intérêt public exige qu’on assure la célérité de la poursuite et du jugement : Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, aux paragraphes 86 à 89; Loi sur les Cours fédérales, précitée, article 18.4. Les catégories de préjudice ne sont pas limitatives : d’autres types de préjudice peuvent conduire la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de faire renaître une procédure ayant fait l’objet d’un désistement.

[23]      Je n’exclus pas la possibilité que d’autres considérations puissent empêcher de faire renaître une procédure ayant fait l’objet d’un désistement. Les Cours fédérales ont plein pouvoir de gérer leurs pratiques et leurs procédures, de surveiller le déroulement des procédures et de prévenir les abus de procédure. Elles peuvent exercer ce pouvoir judiciairement chaque fois que les circonstances s’y prêtent.

E.        Application du critère à la présente espèce

[24]      La requête de l’appelant doit être rejetée. Il s’est désisté de son appel de son propre chef. Il devait donc invoquer quelque chose qui touche à l’essence de sa décision antérieure de se désister. Il ne l’a pas fait. Il semble plutôt avoir simplement changé d’idée.

[25]      L’appelant fait valoir qu’il s’est désisté de son appel sans avoir au préalable obtenu d’avis juridique. Le fait qu’il ait pu commettre une erreur en ne pas appréciant correctement les conséquences d’un désistement ne justifie pas sa demande : Adam v. Ins. Corp. of B.C., 1985 CanLII 584, 66 B.C.L.R. 164 (C.A.), aux paragraphes 24 à 26. L’intimé était en droit de se fier au désistement et de compter sur le principe du caractère définitif des jugements qu’il a fait entrer en jeu.

[26]      L’appelant n’a pas non plus établi qu’il avait des chances raisonnables d’avoir gain de cause en appel. Dans son avis d’appel, l’appelant a soulevé deux motifs d’appel :

1)         La Cour fédérale a commis une erreur en refusant d’admettre des éléments de preuve dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire dont ne disposait pas le ministre au moment où il a pris sa décision. Cet argument est voué à l’échec compte tenu de la jurisprudence bien établie de notre Cour : Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, aux paragraphes 41 à 46; Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 18 à 26.

2)         La Cour fédérale n’avait pas le pouvoir de [traduction] « renvoyer [l’affaire] à Transports Canada pour examen ». Cet argument est voué à l’échec parce que la Cour fédérale n’a pas rendu d’ordonnance en ce sens. Elle a simplement rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant.

[27]      Bien que l’avis d’appel ne soulève pas d’autres motifs d’appel, même si la Cour devait admettre de nouveaux éléments de preuve et apprécier le caractère raisonnable de la décision du ministre des Transports, l’appel serait voué à l’échec.

[28]      Le ministre des Transports a annulé l’habilitation de sécurité de l’appelant après avoir appris qu’il avait tenté d’exporter deux armes d’épaule lors d’un voyage au Soudan. L’appelant affirme qu’il avait l’intention d’aller à la chasse aux animaux sauvages pendant ses vacances au Soudan et qu’il avait obtenu l’assurance des autorités canadiennes qu’il allait obtenir un permis d’exportation pour les armes en question. Toutefois, les éléments de preuve documentaire montrent qu’il a présenté une demande de permis d’exportation seulement après avoir exporté les armes. De plus, sa demande n’avait aucune chance d’être accueillie étant donné qu’il est interdit d’exporter des armes au Soudan : Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur le Soudan, DORS/2004-197.

[29]      Le ministre des Transports a engagé une procédure en vue de faire annuler l’habilitation de sécurité de l’appelant, sur le fondement des faits susmentionnés — bien établis et non contestés suivant la preuve —, parce qu’il avait perdu confiance dans le jugement, la loyauté et la fiabilité de l’appelant. En réponse, l’appelant a présenté des éléments de preuve que le ministre a jugé insuffisants pour rétablir sa confiance : son passeport soudanais, son permis d’armes à feu soudanais, une lettre du service des douanes américaines (qui a saisi les armes) confirmant qu’une importante somme d’argent et une poignée-pistolet lui avaient été rendues, et une entente de mainlevée conclue entre l’appelant et les autorités américaines concernant la remise des biens saisis.

[30]      Après avoir fait remarquer que la décision de délivrer une habilitation de sécurité est de nature hautement discrétionnaire, la Cour fédérale a conclu que la décision du ministre était raisonnable. La norme de contrôle applicable est la norme déférente de la décision raisonnable et notre Cour a conclu que le ministre jouit d’une grande marge d’appréciation lorsqu’il accorde ou annule une habilitation de sécurité : Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006. Dans sa requête, l’appelant ne nous fournit aucune raison de ne pas souscrire à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la décision du ministre est raisonnable.

[31]      Les nouveaux éléments de preuve que la Cour fédérale a à juste titre refusé d’admettre en preuve consistent en une copie du permis d’arme à feu canadien de l’appelant, une demande incomplète visant à obtenir un permis d’exportation et un affidavit faisant état de l’origine des sommes d’argent saisies par les autorités américaines; il s’agit là d’éléments de preuve qui ne sont pas de nature à avoir une incidence sur l’issue d’un examen effectué selon la norme du caractère raisonnable.

[32]      Pour ces motifs, la requête sera rejetée. Compte tenu de la situation de l’appelant et du caractère inédit des questions soulevées dans la présente requête, l’intimé n’a pas, avec raison, demandé les dépens, de sorte qu’aucuns ne seront adjugés.

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