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[2016] 4 R.C.F. 418

A-437-14 (dossier principal), A-56-14, A-59-14,

A-63-14, A-64-14, A-67-14, A-439-14,

A-440-14, A-442-14, A-443-14, A-445-14,

A-446-14, A-447-14, A-448-14, A-514-14,

A-517-14, A-520-14, A-522-14

2016 CAF 187

Nation Gitxaala, Première Nation des Gitga’at, Nation des Haisla; Conseil de la Nation Haïda et Peter Lantin, en son nom et au nom de tous les citoyens de la Nation Haïda, Conseil de bande de Kitasoo Xai’xais, au nom de tous les membres de la Nation Kitasoo Xai’xais, Conseil tribal des Heiltsuk au nom de tous les membres de la Nation des Heiltsuk, Martin Louie, en son nom et au nom des Nadleh Whut’en et de la Bande des Nadleh Whut’en, Fred Sam, en son nom et au nom de tous les Nak’azdli Whut’en et de la Bande des Nak’azdli, Unifor, ForestEthics Advocacy Association, la Living Oceans Society, Raincoast Conservation Foundation, et Federation of British Columbia Naturalists, faisant affaire sous le nom de BC Nature (demandeurs et appelants)

c.

Sa Majesté la Reine, Procureur général du Canada, ministre de l’Environnement, Northern Gateway Pipelines Inc., Northern Gateway Pipelines Limited Partnership et l’Office national de l’énergie (intimés)

et

Procureur général de la Colombie-Britannique, Amnesty International et l’Association canadienne des producteurs pétroliers (intervenants)

Répertorié : Nation Gitxaala c. Canada

Cour d’appel fédérale, juges Dawson, Stratas et Ryer, J.C.A.,—Vancouver, 1-2 et 5-8 octobre 2015; Ottawa, 23 juin 2016.

Peuples autochtones — Obligation de consulter — Demandes de contrôle judiciaire à l’encontre du décret C.P. 2014-809, qui exigeait que l’Office national de l’énergie (l’Office) délivre deux certificats d’utilité publique (les certificats), à certaines conditions, concernant le projet Northern Gateway (le projet) — Ce projet, proposé par Northern Gateway Pipelines Inc. et Northern Gateway Pipelines Limited Partnership (Northern Gateway), consiste en deux pipelines pour le transport de pétrole et de condensats, et des installations connexes — La Cour était également saisie de cinq demandes de contrôle judiciaire à l’encontre d’un rapport rédigé par une commission d’examen, connue sous le nom de Commission d’examen conjoint, agissant au titre de l’art. 52 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (LCEE 2012) et de la Loi sur l’Office national de l’énergie (LONE), en plus de quatre appels relativement aux certificats délivrés par l’Office — Toutes ces instances ont été réunies — Le décret était la décision faisant l’objet du contrôle — Le projet a des répercussions importantes sur un certain nombre des Premières Nations qui étaient parties aux instances — Le projet a été renvoyé à une commission d’examen (la Commission d’examen conjoint) dont les travaux devaient se tenir conjointement sous le régime de la LONE et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE) — La Commission d’examen conjoint a conclu que le projet était dans l’intérêt public et a recommandé que les certificats demandés soient délivrés, sous réserve de conditions — Après la publication du rapport de la Commission d’examen conjoint, le processus de consultation avec les groupes autochtones est entré dans la phase IV du cadre de consultation — Lorsqu’il a pris le décret, le gouverneur en conseil a accepté les constatations, les recommandations et les conclusions environnementales contenues dans le rapport — Il s’agissait de déterminer si le Canada avait rempli son obligation de consulter les peuples autochtones — Les juges Dawson et Stratas, J.C.A. : La décision du gouverneur en conseil était raisonnable selon les principes du droit administratif — Bien que l’art. 54 de la LONE ne fasse pas mention de l’obligation de consulter, en 2012, lorsque le législateur a adopté l’art. 54 dans sa forme actuelle, l’obligation de consulter était bien établie — Il faudrait des termes très précis pour écarter l’obligation de consulter — Dans l’exécution de la phase IV de son processus de consultation, le Canada n’a pas déployé d’efforts raisonnables pour informer et consulter — L’exécution par le Canada de la phase IV du processus de consultation comportait des lacunes inacceptables et a raté la cible — Elle n’a pas permis de préserver l’honneur de la Couronne — En ce qui concerne l’échéancier du processus de consultation, tandis que le gouverneur en conseil était assujetti à un délai pour prendre sa décision, conformément à l’art. 54(3) de la LONE, cet article lui permet, par décret, de proroger ce délai — Rien n’indiquait en l’espèce que le Canada a pensé à demander au gouverneur en conseil de proroger le délai — De plus, les renseignements qui ont été soumis au gouverneur en conseil ne dressaient pas un portrait fidèle des préoccupations des Premières Nations concernées — Il était également très inquiétant de constater que la phase IV du processus de consultation n’a comporté aucun véritable dialogue — Compte tenu de l’ensemble de la preuve examinée, le Canada, en ce qui concerne la phase IV, n’a pas engagé de dialogue et ne s’est pas penché sur les préoccupations qui lui avaient été exprimées de bonne foi par l’ensemble des Premières Nations demanderesses/appelantes — Concernant le caractère suffisant des motifs du Canada, le Canada était tenu en droit et en vertu de l’obligation de consulter et de l’art. 54 de la LONE de motiver sa décision d’enjoindre à l’Office national de l’énergie de délivrer les certificats — Compte tenu des circonstances en l’espèce, de l’importance pour les groupes autochtones des droits revendiqués et de l’ampleur des atteintes possibles à ces droits, il s’agissait d’une situation où les consultations approfondies exigeaient des explications écrites, montrant que les préoccupations des groupes autochtones avaient été prises en compte et précisant quelle avait été l’incidence de ces préoccupations sur la décision du gouverneur en conseil — Demandes de contrôle judiciaire à l’encontre du décret C.P. 2014-809 accueillies; appels contre les certificats accueillis; et demandes de contrôle judiciaire du rapport de la Commission d’examen conjointe rejetées — Le juge Ryer, J.C.A. (dissident) : Le décret ne devrait pas être annulé du fait que la Couronne ne s’est pas acquittée de son obligation de consultation, parce qu’elle n’a pas conduit de manière adéquate la phase IV de la consultation –– Dans le contexte du processus global d’approbation du projet, l’exécution de la phase IV de la consultation était adéquate –– Les imperfections alléguées dans l’exécution de la phase IV des consultations qui sont énoncées dans les motifs des juges majoritaires étaient insuffisantes pour démontrer que les consultations de la Couronne étaient inadéquates –– Les motifs du gouverneur en conseil ne contenaient également aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle judiciaire — Contrôle judiciaire à l’encontre du décret C.P. 2014-809, qui exigeait que l’Office national de l’énergie (l’Office) délivre deux certificats d’utilité publique, à certaines conditions, concernant le projet Northern Gateway — Il s’agissait de savoir quelle norme de contrôle judiciaire s’appliquait à la décision du gouverneur en conseil — La norme de contrôle judiciaire de la décision du gouverneur en conseil en l’espèce était celle de la décision raisonnable puisqu’il s’agissait d’une décision discrétionnaire fondée sur les considérations d’ordre politique et d’intérêt public les plus larges possible.

Pratique — Décision préliminaire sur un point de droit — Instances réunies devant la Cour concernant le projet Northern Gateway, dans le cadre duquel le décret C.P. 2014-809 exigeait que l’Office national de l’énergie (l’Office) délivre deux certificats d’utilité publique (les certificats) — Ces instances réunies comprenaient cinq demandes de contrôle judiciaire du rapport publié par la Commission d’examen conjoint, agissant au titre de l’art. 52 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (LCEE 2012) et de la Loi sur l’Office national de l’énergie (LONE), en plus de quatre appels relativement aux certificats délivrés par l’Office national de l’énergie — La Commission d’examen conjoint a conclu que le projet était dans l’intérêt public — Lorsqu’il a pris le décret, le gouverneur en conseil a accepté les constatations, les recommandations et les conclusions environnementales contenues dans le rapport de la Commission d’examen conjoint — Il s’agissait de savoir si les demandes de contrôle judiciaire à l’encontre du rapport de la Commission d’examen conjoint étaient recevables et si les appels visant les certificats délivrés par l’Office étaient valides — Les demandes de contrôle judiciaire contre le rapport de la Commission d’examen conjoint n’étaient pas recevables — Aucune décision sur des intérêts juridiques ou pratiques n’avait été rendue — Toute lacune dans le rapport devait être examinée uniquement par le gouverneur en conseil et non par la Cour — Par conséquent, les demandes de contrôle judiciaire devraient être rejetées — Quant aux appels visant les certificats délivrés par l’Office, la contestation principale doit viser le décret du gouverneur en conseil, car il déclenche automatiquement la délivrance des certificats — Puisque le décret devrait être annulé, les certificats délivrés en vertu de ce décret doivent également être annulés.

Il s’agissait de neuf demandes de contrôle judiciaire à l’encontre du décret C.P. 2014-809. Ce décret exigeait que l’Office national de l’énergie (l’Office) délivre deux certificats d’utilité publique (les certificats), à certaines conditions, concernant le projet Northern Gateway (le projet). Ce projet, proposé par Northern Gateway Pipelines Inc. et Northern Gateway Pipelines Limited Partnership (Northern Gateway), consiste en deux pipelines pour le transport de pétrole et de condensats, et des installations connexes. La Cour était également saisie de cinq demandes de contrôle judiciaire à l’encontre d’un rapport rédigé par une commission d’examen, connue sous le nom de Commission d’examen conjoint, agissant au titre de l’article 52 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (LCEE 2012) et de la Loi sur l’Office national de l’énergie (LONE). Le gouverneur en conseil a tenu compte du rapport de la Commission d’examen conjoint lorsqu’il a pris son décret. De plus, la Cour était saisie de quatre appels relativement aux certificats délivrés par l’Office national de l’énergie. Toutes ces instances ont été réunies. Bien que trois actes administratifs — le décret, le rapport et les certificats — aient tous été sujets à contestation, le décret était la décision faisant l’objet du contrôle et le point de mire de l’analyse de la Cour.

Le projet Northern Gateway consiste en deux pipelines de 1 178 kilomètres et des installations connexes. L’un des pipelines est censé transporter du pétrole provenant de Bruderheim, en Alberta, à Kitimat, en Colombie-Britannique, où le pétrole serait chargé dans des navires-citernes pour être livré dans des marchés d’exportation. L’autre pipeline transporterait des condensats, retirés des navires-citernes à Kitimat, vers Bruderheim, pour leur distribution dans les marchés de l’Alberta. Les installations connexes comprennent tant des terminaux de stockage que des terminaux maritimes à Kitimat, lesquels consistent en un certain nombre de réservoirs de stockage de pétrole et de réservoirs de stockage de condensats, des postes à quai pour les navires-citernes ainsi qu’un poste à quai pour les navires utilitaires. Le projet a des répercussions importantes sur un certain nombre des Premières Nations qui étaient parties aux instances. D’autres parties devant la Cour ont allégué avoir un intérêt marqué pour le projet. Les défis posés par le processus d’approbation du projet étaient immenses.

En 2005, Northern Gateway a présenté une trousse d’information préliminaire à l’Office national de l’énergie et à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale. L’année suivante, le projet a été renvoyé à une commission d’examen dont les travaux devaient se tenir conjointement sous le régime de la LONE et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE). Cette commission d’examen était connue sous le nom de Commission d’examen conjoint, en raison du fait qu’elle devait exécuter deux tâches. Premièrement, elle devait préparer un rapport au titre de l’article 52 de la LONE pour étude par le gouverneur en conseil. Deuxièmement, elle devait effectuer une évaluation environnementale du projet et formuler des recommandations au gouverneur en conseil, au titre de l’article 30 de la LCEE. En 2010, Northern Gateway a déposé une demande en vue d’obtenir, entre autres, des certificats de l’Office pour le projet. Les audiences de la Commission d’examen conjoint ont commencé en 2012. Durant cette période, quelques changements législatifs ont été apportés à la LCEE, qui est devenue la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et la LONE a également été modifiée. Le processus d’examen conjoint du projet s’est poursuivi sous le régime de ces dispositions modifiées.

En décembre 2013, la Commission d’examen conjoint a publié un rapport en deux volumes. Elle a conclu que le projet était dans l’intérêt public et a recommandé que les certificats demandés soient délivrés, sous réserve de 209 conditions. De plus, la Commission a recommandé que le gouverneur en conseil conclût que les effets environnementaux négatifs potentiels découlant du projet seulement n’étaient pas susceptibles d’être importants. Après la publication du rapport de la Commission d’examen conjoint, le processus de consultation avec les groupes autochtones est entré dans la phase IV du cadre de consultation, et Northern Gateway a collaboré de près avec plus de 80 groupes autochtones différents dans diverses régions de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.

En 2014, le gouverneur en conseil a pris le décret en cause dans la présente affaire. Après avoir soupesé toutes les considérations concurrentes devant lui, le gouverneur en conseil a accepté la conclusion de la Commission d’examen conjoint selon laquelle le projet — s’il était construit et exploité dans le respect strict de certaines conditions — aurait un caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur. Il a accepté la recommandation de la Commission d’examen conjoint et est parvenu aux mêmes conclusions environnementales que celles énoncées dans le rapport. Exerçant le pouvoir qui lui était conféré par l’article 54 de la LONE, le gouverneur en conseil a donné à l’Office instruction de délivrer les certificats d’utilité publique à Northern Gateway à l’égard du projet, sous réserve des conditions énoncées dans le rapport de la Commission d’examen conjoint. Plus tard, l’Office a délivré à Northern Gateway deux certificats : un pour le pipeline de pétrole et les installations connexes, et un pour le pipeline de condensat et les installations connexes.

Les instances réunies, mises ensemble, sollicitaient une ordonnance annulant les décisions administratives en l’espèce au motif que, selon les principes de droit administratif, ces décisions sont déraisonnables ou incorrectes. Elles sollicitaient aussi une ordonnance annulant le décret et les certificats, du fait que le Canada ne s’était pas acquitté de son obligation de consulter les peuples autochtones au sujet du projet.

Il s’agissait principalement de déterminer : si les demandes de contrôle judiciaire à l’encontre du rapport de la Commission d’examen conjoint étaient recevables; si les appels visant les certificats délivrés par l’Office étaient valides; quelle norme de contrôle judiciaire s’appliquait à la décision du gouverneur en conseil; et si le Canada avait rempli son obligation de consulter les peuples autochtones.

Arrêt (le juge Ryer, J.C.A., dissident) : les demandes de contrôle judiciaire à l’encontre du décret C.P. 2014-809 doivent être accueillies; les appels à l’encontre des certificats doivent être accueillis; les demandes de contrôle judiciaire à l’encontre du rapport de la Commission d’examen conjoint doivent être rejetées.

Les juges Dawson et Stratas, J.C.A. : Plusieurs parties ont présenté des demandes de contrôle judiciaire à l’égard du rapport de la Commission d’examen conjoint. Dans le cadre du régime législatif applicable en l’espèce, ces demandes de contrôle judiciaire n’étaient pas recevables. Aucune décision sur des intérêts juridiques ou pratiques n’avait été rendue. Selon le régime législatif applicable en l’espèce, toute lacune dans le rapport de la Commission d’examen conjoint devait être examinée uniquement par le gouverneur en conseil et non par la Cour. Par conséquent, les demandes de contrôle judiciaire devaient être rejetées.

Quant aux avis d’appel visant les certificats délivrés par l’Office, selon le régime législatif applicable en l’espèce, la contestation principale doit viser le décret du gouverneur en conseil, car il déclenche automatiquement la délivrance des certificats. Si le décret du gouverneur en conseil est invalide, alors les certificats délivrés par l’Office sont automatiquement invalides. Puisque le décret devrait être annulé, les certificats délivrés en vertu de ce décret doivent également être annulés.

La décision du gouverneur en conseil, c’est-à-dire le décret, était le produit issu de son examen des recommandations qui lui ont été faites dans le rapport. La décision n’était pas simplement issue d’un examen d’une évaluation environnementale. Les recommandations faites au gouverneur en conseil visaient plus que les facteurs mentionnés dans l’évaluation environnementale. Elles comportaient plutôt un certain nombre de facteurs de nature polycentrique et de facteurs de nature diffuse. Lorsqu’il a procédé à son évaluation, le gouverneur en conseil devait soupeser un grand nombre de facteurs, dont la plupart relèvent davantage de la compétence de l’exécutif. En confiant le pouvoir décisionnel au gouverneur en conseil, le législateur a impliqué le pouvoir décisionnel du Cabinet, une entité au sein de laquelle la politique générale de l’État est débattue de multiples points de vue représentant les divers intérêts des groupes qui composent le gouvernement. Et en définissant de façon large ce qui peut être inséré dans le rapport sur lequel le gouverneur en conseil se fondera pour prendre sa décision, le législateur doit être présumé avoir voulu que la décision en cause en l’espèce repose sur le fondement le plus large possible. La norme de contrôle applicable aux décisions comme celle en cause en l’espèce (décisions discrétionnaires fondées sur les considérations d’ordre politique et d’intérêt public les plus larges possible), est la norme de la décision raisonnable.

La décision du gouverneur en conseil était raisonnable selon les principes du droit administratif. Le gouverneur en conseil avait le droit d’apprécier la suffisance des renseignements et des recommandations qu’il avait reçus, de soupeser l’ensemble des considérations économiques, culturelles, environnementales, et autres, et de conclure comme il l’a fait. Toutefois, cette conclusion n’a pas mis fin à l’analyse. Bien que l’article 54 de la LONE ne fasse pas mention de l’obligation de consulter, en 2012, lorsque le législateur a adopté l’article 54 dans sa forme actuelle, l’obligation de consulter était bien établie. Il faudrait des termes très précis pour écarter l’obligation de consulter. Conformément au régime législatif en place, le gouverneur en conseil, lorsqu’il étudie un projet au titre de la LONE, doit examiner la question de savoir si le Canada s’est acquitté de son obligation de consulter. De plus, afin d’accommoder les préoccupations autochtones dans le cadre de son devoir de consultation, le gouverneur en conseil doit nécessairement avoir le pouvoir d’imposer des conditions quant à tout certificat qu’il ordonne à l’Office national de l’énergie de délivrer. Au moment de déterminer si l’obligation de consulter a été respectée en l’espèce, la question de savoir si des efforts raisonnables pour informer et consulter ont été déployés a été examinée. Dans l’exécution de la phase IV de son processus de consultation, le Canada n’a pas déployé d’efforts raisonnables pour informer et consulter; ses efforts ont été nettement insuffisants.

Les Premières Nations demanderesses/appelantes ont fait valoir que le processus comportait de nombreuses lacunes qui l’ont rendu inadéquat. Bien que les déclarations faites par le ministre des Ressources naturelles de l’époque soient préoccupantes pour certaines Premières Nations demanderesses qui ont fait valoir qu’il y avait partialité, la décision du gouverneur en conseil n’était pas prédéterminée. En l’espèce, le décideur est le gouverneur en conseil, et la décision d’approuver ou non le projet, qui comporte une appréciation de nombreuses considérations stratégiques et d’intérêt public, parfois contradictoires, était une décision à caractère hautement politique. Il ne s’agissait pas d’une décision judiciaire ou quasi judiciaire. Les déclarations de membres du Cabinet individuels n’établissent l’existence de partialité que si la personne qui allègue la partialité démontre que les déclarations sont l’expression d’une opinion finale sur la question en litige. En ce qui concerne l’argument selon lequel le processus de consultation de la Couronne a été unilatéralement imposé aux Premières Nations, du point de vue du droit, la Couronne a toute latitude pour définir la structure du processus de consultation et pour s’acquitter de son obligation de consulter. Ce qui est requis, ce n’est pas un processus de consultation parfait, mais un processus raisonnable. La preuve en l’espèce établissait que le Canada avait reconnu depuis le début son obligation de tenir un processus de consultation approfondie auprès de toutes les Premières Nations concernées, et des consultations ont été menées sur le cadre de consultation du Canada, qui n’a pas été unilatéralement imposé et était raisonnable. En ce qui concerne le financement pour participer à la Commission d’examen conjoint et au processus de consultation, la preuve n’a pas permis d’établir que le financement dont disposaient les groupes autochtones était si insuffisant que le processus de consultation était devenu déraisonnable. En outre, il n’y a pas eu délégation excessive des pouvoirs pour le processus de consultation et il n’était pas déraisonnable pour le Canada d’intégrer le processus de la Commission d’examen conjoint au processus de consultation de la Couronne. Le Canada n’a pas indûment délégué son obligation de consulter à la Commission d’examen conjoint. Le processus de la Commission d’examen conjoint a permis aux groupes autochtones concernés de connaître toutes les particularités de la nature du projet et de ses répercussions possibles sur leurs intérêts, tout en leur donnant l’occasion d’exprimer leurs préoccupations. Par ailleurs, le Canada n’a pas omis d’apprécier la solidité des revendications des Premières Nations. Cet argument n’était pas supporté par la preuve et le Canada n’était pas tenu de communiquer son analyse juridique portant sur la solidité des revendications.

Quatre préoccupations additionnelles exprimées par les Premières Nations demanderesses/appelantes, lesquelles se chevauchaient et étaient interreliées, portaient essentiellement sur l’exécution par le Canada du processus de consultation dans le cadre de la phase IV et ont été examinées ensemble. L’exécution par le Canada de la phase IV du processus de consultation comportait des lacunes inacceptables et a raté la cible. Elle n’a pas permis de préserver l’honneur de la Couronne. La phase IV était une partie très importante du processus de consultation dans son ensemble. Le rapport de la Commission d’examen conjoint ne traitait que de certaines questions à l’égard desquelles des consultations étaient nécessaires. Son cadre de référence était plus étroit que la portée de l’obligation de consulter du Canada. De plus, le processus de la Commission d’examen conjoint comportait des lacunes relatives à des évaluations et à des décisions importantes. Quant à l’état du processus de consultation au début de la phase IV, il s’agissait de la première opportunité du Canada—et de sa dernière avant la décision du gouverneur en conseil—pour mener des consultations et un dialogue directs avec les Premières Nations concernées sur des questions de fond, et non de procédure, concernant le projet.

En ce qui concerne l’exécution par le Canada du processus de consultation dans le cadre de la phase IV, l’argument selon lequel les courts délais avaient été établis de façon arbitraire et étaient insuffisants pour permettre la tenue de véritables consultations a été abordé. Tandis que le gouverneur en conseil était assujetti à un délai pour prendre sa décision, conformément au paragraphe 54(3) de la LONE, ce paragraphe lui permet, par décret, de proroger ce délai. L’importance et la portée constitutionnelle de l’obligation de consulter donnent largement raison au gouverneur en conseil, dans les circonstances appropriées, de proroger le délai. Rien n’indiquait que le Canada a pensé à demander au gouverneur en conseil de proroger le délai. Cependant, même si le Canada ne souhaitait pas demander au gouverneur en conseil une prorogation, un processus de consultation planifié à l’avance et organisé dans le cadre de la phase IV aurait permis au Canada de recevoir à temps tous les points de vue pertinents, de les débattre et de les examiner, de fournir toutes les explications nécessaires et, le cas échéant, de formuler des recommandations appropriées au gouverneur en conseil, notamment l’ajout de toute autre condition aux fins de l’approbation du projet.

Un autre problème de la phase IV a été, au moins à trois reprises, que les renseignements qui ont été soumis au gouverneur en conseil ne dressaient pas un portait fidèle des préoccupations des Premières Nations concernées. Le Canada n’était pas prêt à entendre les Premières Nations à ce sujet et à les étudier et, si nécessaire, à corriger les renseignements.

Il était également très inquiétant de constater que la phase IV du processus de consultation n’a comporté aucun véritable dialogue. Compte tenu de l’ensemble de la preuve examinée, le Canada, en ce qui concerne la phase IV, n’a pas engagé de dialogue et ne s’est pas penché sur les préoccupations qui lui avaient été exprimées de bonne foi par l’ensemble des Premières Nations demanderesses/appelantes. Il manquait plus particulièrement une indication d’une intention de modifier ou de compléter les conditions imposées par la Commission d’examen conjoint, de corriger les erreurs ou les omissions dans son rapport ou de formuler des commentaires sérieux en réponse aux préoccupations importantes soulevées. Suivant la jurisprudence de la Cour suprême du Canada concernant l’obligation de consulter, durant le processus de la phase IV, les parties avaient droit de s’attendre à beaucoup plus de renseignements, de considérations et d’explications du Canada relativement aux préoccupations légitimes et spécifiques qu’elles ont adressées au Canada. Pour que la discussion pendant la phase IV soit fructueuse et le dialogue significatif, le Canada devait partager de l’information relative à la solidité des revendications autochtones de droits ou titres ancestraux des Premières Nations concernées, ce qui n’a jamais été fait. Il n’était pas compatible avec l’obligation de consultation et l’obligation de négociation honorable que le Canada se contente d’affirmer que les répercussions du projet seraient atténuées sans d’abord discuter de la nature et de la portée des droits qui seraient touchés. Même si le processus de consultation ne constituait pas un forum adéquat pour la négociation sur des questions de titre et de gouvernance, similaires à d’autres droits revendiqués, les Premières Nations concernées avaient droit à un dialogue significatif sur la solidité de leur revendication. Elles avaient droit de connaître les informations et positions du Canada concernant le contenu et la solidité de leur revendication afin de pouvoir et d’être en mesure de discuter avec le Canada des éléments en jeu dans les consultations, des sujets sur lesquels le Canada pouvait devoir accommoder et à quel point le Canada pouvait accommoder. Le défaut du Canada d’être honnête sur ce point était légalement inacceptable. Ce défaut a contrecarré le besoin de dialogue véritable que le devoir de consulter est censé favoriser.

Concernant le caractère suffisant des motifs du Canada, dans la présente affaire, le Canada était tenu en droit de motiver sa décision d’enjoindre à l’Office national de l’énergie de délivrer le certificat. La source de cette obligation comportait deux volets : lorsqu’une obligation de consultation approfondie existait, la Couronne était tenue de fournir des motifs. En outre, le paragraphe 54(2) de la LONE exige que le gouverneur en conseil donne à l’Office l’instruction de délivrer un certificat; le gouverneur en conseil « énonce, dans le décret, les motifs de celui-ci ». Compte tenu des circonstances en l’espèce, de l’importance pour les groupes autochtones des droits revendiqués et de l’ampleur des atteintes possibles à ces droits, il s’agissait d’une situation où les consultations approfondies exigeaient des explications écrites, montrant que les préoccupations des groupes autochtones avaient été prises en compte et précisant quelle avait été l’incidence de ces préoccupations sur la décision du gouverneur en conseil. Si la consultation de la phase IV avait été adéquate, si les motifs donnés par les fonctionnaires du Canada durant le processus de consultations avaient été adéquats et si le décret faisait référence et adoptait ce processus ainsi que les motifs donnés pendant sa tenue, même de façon générique, les exigences des motifs auraient pu être rencontrées, mais ce n’était pas le cas. Ici également, le Canada a échoué.

En conclusion, le Canada n’a offert qu’une occasion brève, précipitée et inadéquate dans le cadre de la phase IV—une partie essentielle du processus de consultation du Canada—pour échanger des renseignements et en discuter. Afin de se conformer à la loi, les fonctionnaires du Canada devaient être habilités à pouvoir discuter sur tous les sujets d’intérêt véritable pour les Premières Nations concernées, à échanger des informations librement et sincèrement, de donner des explications et d’accomplir leur tâche à un niveau de satisfaction raisonnable. En droit, le gouverneur en conseil devait recevoir et évaluer toute nouvelle information ou nouvelle recommandation résultant des préoccupations exprimées par les peuples autochtones durant la consultation et, si nécessaire ou approprié, réagir. Dans son décret, le gouverneur en conseil a décidé de reconnaître seulement l’existence de consultations par d’autres durant le processus, mais n’en a pas dit plus, malgré l’obligation de donner des motifs conformément à l’article 54 de la LONE et au devoir de consulter. Le Gouverneur en conseil devait donner des motifs afin de démontrer qu’il a respecté ses obligations légales, mais il ne l’a pas fait. Par conséquent, dans la phase IV du processus de consultation—incluant l’exécution par le gouverneur en conseil de son rôle à la fin de la phase IV—le Canada a échoué. Le décret devait ainsi être annulé, et comme le fondement des certificats était entaché de nullité, les certificats étaient aussi frappés de nullité et devaient être annulés. L’affaire a été renvoyée au gouverneur en conseil pour réexamen.

Le juge Ryer, J.C.A. (dissident) : Le décret ne devrait pas être annulé du fait que la Couronne ne s’est pas acquittée de son obligation de consultation, parce qu’elle n’a pas conduit de manière adéquate la phase IV de la consultation. Dans le contexte du processus global d’approbation du projet, l’exécution de la phase IV de la consultation était adéquate. Les imperfections alléguées dans l’exécution de la phase IV des consultations qui sont énoncées dans les motifs des juges majoritaires étaient insuffisantes pour démontrer que les consultations de la Couronne étaient inadéquates. Les motifs du gouverneur en conseil ne contenaient également aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour. La Couronne avait l’obligation, dans le cadre du processus d’approbation du projet, de s’acquitter de son obligation de consultation. En conséquence, c’est à cette dernière, et non au gouverneur en conseil, qu’il incombait d’expliquer en quoi elle s’était acquittée de cette obligation. Les motifs donnés par la Couronne pour conclure qu’elle s’est acquittée de son obligation de consultation étaient tout à fait clairs. La Couronne s’est acquittée de son obligation de consultation dans les circonstances et le gouverneur en conseil avait raison de reconnaître une telle chose. Par conséquent, le décret devait être considéré comme étant valide.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Décret C.P. 2014-809. Décret — Certificats d’utilité publique OC-060 et OC-061 à Northern Gateway Pipelines Inc. pour le projet d’oléoduc Northern Gateway, (2014) Gaz. C. I, 1645.

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (abrogé par L.C. 2012, ch. 19, art. 66), art. 2 « projet désigné », 30, 37.

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52, art. 2 « projet désigné », 5, 19, 29, 30, 31, 53.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 9, 10, 13.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35(1).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 31(2).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 39.

Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durables, L.C. 2012, ch. 19.

Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, art. 2 « ministre », 33 à 40, 52, 53, 54, partie IV (58.5-72), 75, 77, 84, 87 à 103.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 81.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Entente Gwaii Haanas, 1993.

Entente sur l’aire marine Gwaii Haanas, 2010.

Entente sur un plan d’utilisation stratégique des terres Haida Gwaii, 2007.

Protocole de réconciliation Kunst’aa Guu-Kunst’aayah, 2009.

Protocole d’entente avec le Canada sur la gestion et la planification concertées de la zone sGaan Kinghlas (mont sous-marin Bowie).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75; Conseil des Innus de Ekuanitshit c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 189.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c. Odynsky, 2010 CAF 307, sub nom. Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c. Canada, [2012] 2 R.C.F. 312; Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143; Paradis Honey Ltd. c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 89, [2016] 1 R.C.F. 446; FortisAlberta Inc. v. Alberta (Utilities Commission), 2015 ABCA 295, 389 D.L.R. (4th) 1; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650; Première Nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550; Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103; Cie pétrolière Impériale ltée c. Québec (Ministre de l’Environnement), 2003 CSC 58, [2003] 2 R.C.S. 624; Halalt First Nation v. British Columbia (Minister of Environment), 2012 BCCA 472, [2013] 1 W.W.R. 791.

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; Budlakoti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139; La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c. Le ministre du Revenu national, [1976] 2 C.F. 500 (C.A.); Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Trinity Western University v. Law Society of Upper Canada, 2015 ONSC 4250, 126 O.R. (3d) 1; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135; Public Mobile Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 194, [2011] 3 R.C.F. 344; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; R. c. Clarke, 2014 CSC 28, [2014] 1 R.C.S. 612; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031; Première Nation des Ahousaht c. Canada (Pêches et Océans), 2008 CAF 212; Canada c. Première Nation de Long Plain, 2015 CAF 177; Première nation Yellowknives Dene c. Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148; Hameau de Clyde River c. TGS-NOPEC Geophysical Company ASA (TGS), 2015 CAF 179, [2016] 3 R.C.F. 167; Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; Cold Lake First Nations v. Alberta (Tourism, Parks and Recreation), 2013 ABCA 443, 556 A.R. 259; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723.

DOCTRINE CITÉE

Agence canadienne d’évaluation environnementale. « Portée des éléments dans le cadre du projet d’oléoduc Northern Gateway − Guide d’évaluation des effets environnementaux du projet d’oléoduc Northern Gateway, tel qu’il est proposé par Northern Gateway Pipelines Limited Partnership », août 2009, en ligne : <https://www.ceaa-acee.gc.ca/050/documents/44033/44033F.pdf>.

Commission d’examen conjoint du projet Enbridge Northern Gateway. Connexions : Rapport de la commission d’examen conjoint sur le projet Enbridge Northern Gateway, Volume 1 et Considérations : Rapport de la commission d’examen conjoint sur le projet Enbridge Northern Gateway, Volume 2, en ligne : <http://gatewaypanel.review-examen.gc.ca/clf-nsi/dcmnt/rcmndtnsrprt/rcmndtnsrprt-fra.html>.

Commission d’examen conjoint du projet Enbridge Northern Gateway. « Décision rendue aux termes de l’article 54 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et de l’alinéa 104(4)b) de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable », en ligne : <http://gatewaypanel.review-examen.gc.ca/clf-nsi/dcmnt/dcsnsttmnt-fra.html>.

O’Brien, A. et M. Bosc. House of Commons Procedure and Practice, 2e éd. Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2009.

Vanderklippe, Nathan « Ottawa energy strategy targets diverse marketplace », The Globe and Mail (18 juillet 2011), en ligne : <http://www.theglobeandmail.com/report-on-business/industry-news/energy-and-resources/ottawa-energy-strategy-targets-diverse-marketplace/article590827/>.

DEMANDES de contrôle judiciaire à l’encontre du décret C.P. 2014-809 qui exigeait que l’Office national de l’énergie délivre deux certificats d’utilité publique concernant le projet Northern Gateway. APPELS contre les certificats d’utilité publique délivrés par l’Office national de l’énergie. DEMANDES de contrôle judiciaire à l’encontre du rapport publié par la Commission d’examen conjoint, agissant au titre de l’article 52 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et de la Loi sur l’Office national de l’énergie, et pris en considération par le gouverneur en conseil au moment de prendre le décret C.P. 2014-809. Demandes de contrôle judiciaire relativement au décret C.P. 2014-809 accueillies; appels contre les certificats accueillis; demandes de contrôle judiciaire à l’encontre du rapport de la Commission d’examen conjoint rejetées. Le juge Ryer, J.C.A., dissident.

ONT COMPARU

Robert J. M. Janes, c.r., Elin R. S. Sigurdson, Virginia V. Mathers et Christopher J. Evans pour la demanderesse/appelante la Nation Gitxaala.

Michael Lee Ross, Grace A. Jackson et Benjamin Ralston pour la demanderesse/appelante la Première Nation Gitga’at.

Jennifer Griffith, Allan Donovan et Mary Anne Vallianatos pour la demanderesse/appelante la Nation Haisla.

Terri-Lynn Williams-Davidson, Michael Jackson, David Paterson et Elizabeth Bulbrook (stagiaire en droit) pour les demandeurs/appelants Conseil de la Nation Haïda et Peter Lantin, en son nom et au nom de tous les citoyens de la Nation Haïda.

Lisa C. Fong et Julia Hincks pour les demandeurs/appelants Conseil de bande Kitasoo Xai’xais et Conseil tribal Heiltsuk.

Cheryl Sharvit et Gavin Smith pour les demandeurs/appelants Martin Louie, en son nom et au nom des Nadleh Whut’en et au nom de la bande Nadleh Whut’en, Fred Sam, en son nom et au nom de tous les Nak’azdli Whut’en et au nom de la bande des Nak’azdli.

Steven Shrybman pour la demanderesse/appelante Unifor.

Barry Robinson et Karen Campbell pour les demandeurs/appelants ForestEthics Advocacy Association, Living Oceans Society et Raincoast Conservation Foundation.

Chris D. Tollefson et Anthony Ho pour la demanderesse/appelante Federation of BC Naturalists faisant affaire sous le nom de BC Nature.

Jan Brongers, Ken Manning, Dayna S. Anderson, Liliane Bantourakis et Sarah Bird pour les défendeurs Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada et le ministre de l’Environnement.

E. David D. Tevender, c.r., Bernard J. Roth et Laura K. Estep pour les intimés Northern Gateway Pipelines Inc. et Northern Gateway Pipelines Limited Partnership.

Andrew R. Hudson pour l’intimé l’Office national de l’énergie.

Angela Cousins pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.

Colleen Bauman et Justin Safayeni pour l’intervenante Amnesty International.

Lewis L. Manning, Keith B. Bergner et Toby Kruger pour l’intervenante l’Association canadienne des producteurs pétroliers.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

JFK Law Corporation, Vancouver, pour la demanderesse/appelante la Nation Gitxaala.

Michael Lee Ross, Vancouver, pour la demanderesse/appelante la Première Nation Gitga’at.

Donovan & Company, Vancouver, pour la demanderesse/appelante la Nation Haisla.

White Raven Law Corporation, Surrey, Colombie-Britannique, pour les demandeurs/appelants Conseil de la Nation Haïda et Peter Lantin, en son nom et au nom de tous les citoyens de la Nation Haïda.

Ng Ariss Fong, Vancouver, pour les demandeurs/appelants Conseil de bande Kitasoo Xai’xais et Conseil tribal Heiltsuk.

Mandell Pinder LLP, Vancouver, pour les demandeurs/appelants Martin Louie, en son nom et au nom des Nadleh Whut’en et au nom de la bande Nadleh Whut’en, Fred Sam, en son nom et au nom de tous les Nak’azdli Whut’en et au nom de la bande des Nak’azdli.

Goldblatt Partners LLP, Toronto, pour la demanderesse/appelante Unifor.

Ecojustice, Calgary, pour les demandeurs/appelants ForestEthics Advocacy Association, Living Oceans Society et Raincoast Conservation Foundation.

Environmental Law Centre, University of Victoria, Victoria, pour la demanderesse/appelante Federation of BC Naturalists faisant affaire sous le nom de BC Nature.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada et le ministre de l’Environnement.

Dentons Canada, S.E.N.C.R.L., Calgary, pour les intimés Northern Gateway Pipelines Inc. et Northern Gateway Pipelines Limited Partnership.

L’Office national de l’énergie, Calgary, pour l’intimé l’Office national de l’énergie.

Ministère de la Justice, Victoria, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.

Goldblatt Partners LLP, Ottawa, et Stockwoods LLP, Toronto, pour l’intervenante Amnesty International.

Lawson Lundell LLP, Vancouver, pour l’intervenante l’Association canadienne des producteurs pétroliers.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]        Les juges Dawson et Stratas, J.C.A. : La Cour est saisie de neuf demandes de contrôle judiciaire à l’encontre du décret C.P. 2014-809 [Décret — Certificats d’utilité publique OC-060 et OC-061 à Northern Gateway Pipelines Inc. pour le projet d’oléoduc Northern Gateway, (2014) G. Can. I, 1645]. Ce décret exigeait que l’Office national de l’énergie délivre deux certificats d’utilité publique [le certificat], à certaines conditions, concernant le projet Northern Gateway [le projet]. Ce projet, proposé par Northern Gateway Pipelines Inc. et Northern Gateway Pipelines Limited Partnership, consiste en deux pipelines pour le transport de pétrole et de condensats, et des installations connexes.

[2]        La Cour est également saisie de cinq demandes de contrôle judiciaire à l’encontre d’un rapport rédigé par une commission d’examen, connue sous le nom de Commission d’examen conjoint, agissant au titre de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, article 52, et de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, dans sa version modifiée. Le gouverneur en conseil a tenu compte du rapport de la Commission d’examen conjoint [cité ci-dessous au paragraphe 50] lorsqu’il a pris son décret.

[3]        Enfin, la Cour est aussi saisie de quatre appels relativement aux certificats délivrés par l’Office national de l’énergie.

[4]        Toutes ces instances ont été réunies. Les présents motifs statuent sur les instances réunies. Conformément à l’ordonnance réunissant les instances, l’original des présents motifs sera déposé dans le dossier principal, A-437-14, et une copie sera déposée dans chacun des autres dossiers.

[5]        Comme il a déjà été mentionné, trois actes administratifs — le décret, le rapport et les certificats — sont tous sujets à contestation. Mais, comme il sera expliqué plus loin, de notre point de vue juridique, le décret est la décision faisant l’objet du contrôle et il est le point de mire de notre analyse.

[6]        En appliquant les principes de droit administratif, nous concluons que le décret appartient aux issues qui sont acceptables et justifiables au regard des faits et du droit, et il est raisonnable. Il était loisible au gouverneur en conseil de prendre le décret, parce que, comme nous l’expliquerons, il avait une large marge d’appréciation dans les circonstances.

[7]        Toutefois, le gouverneur en conseil ne pouvait pas prendre le décret, à moins que le Canada ne se soit acquitté de son obligation de consulter à l’égard des peuples autochtones.

[8]        Pour examiner le caractère adéquat de la consultation, nous n’insisterons pas sur une norme de perfection, mais plutôt sur une norme de satisfaction raisonnable. En gardant cela à l’esprit, nous concluons que le Canada ne s’est pas acquitté de son obligation de consulter. Bien que le Canada ait fait preuve de bonne foi et ait élaboré un bon cadre pour remplir son obligation de consulter, l’exécution de ce cadre — en particulier une partie essentielle de ce cadre connu comme la phase IV — fut nettement insuffisante. Un résumé des motifs au soutien de cette conclusion se trouve aux paragraphes 325 à 332 ci-bas.

[9]        En tirant cette conclusion, nous nous appuyons en grande partie sur les faits non contestés, y compris les appréciations des faits que le Canada a lui-même effectuées ainsi que les dires de ses propres fonctionnaires. En outre, en arrivant à cette conclusion, nous n’avons pas étendu quelque principe juridique existant que ce soit ni n’en avons défini de nouveaux. Notre conclusion découle de l’application des principes juridiques déjà établis par la Cour suprême du Canada aux faits non contestés de la présente affaire.

[10]      Ainsi, pour les motifs qui suivent, nous annulerions le décret et les certificats délivrés aux termes de celui-ci. Nous renverrions l’affaire au gouverneur en conseil pour qu’il rende une nouvelle décision rapidement.

[11]      Pour plus de commodité, voici un index des présents motifs :

A.        Le projet

12

B.        Les parties

17

C.        Le processus d’approbation du projet

19

1)         Introduction

19

2)         Le commencement

21

3)         Le lancement du processus

33

4)         La participation des parties au processus d’approbation

48

5)         Le rapport de la Commission d’examen conjoint

50

6)         Les consultations avec les groupes autochtones : phase IV

54

7)         Le décret et les certificats

59

8)         Les futurs processus réglementaires

67

D.        Les instances judiciaires

68

E.        L’examen des décisions administratives au regard des principes de droit administratif

74

1)         Introduction

74

2)         Les questions préliminaires

82

a)         La qualité pour agir de certaines parties

82

b)         L’admissibilité des affidavits

88

3)         Le régime législatif en détail

92

a)         L’étape du rapport : les exigences prévues à la Loi sur l’Office national de l’énergie

102

b)         L’étape du rapport : la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)

108

c)         Examen par le gouverneur en conseil

112

4)         Description du régime législatif

119

5)         La norme de contrôle

128

6)         La décision du gouverneur en conseil était raisonnable selon les principes du droit administratif

156

F.         L’obligation de consulter les peuples autochtones

170

1)         Les principes juridiques

170

2)         La norme à laquelle le Canada est tenu pour s’acquitter de l’obligation

182

3)         Le processus de consultation

187

4)         Les lacunes qui auraient été relevées dans le processus de consultation

191

a)         Le gouverneur en conseil a préjugé de l’approbation du projet.

192

b)         Le cadre du processus de consultation a été imposé unilatéralement aux Premières Nations

201

c)         Le financement fourni pour faciliter la participation au processus de la Commission d’examen conjoint et au processus de consultation était insuffisant

209

d)         Il y a eu délégation excessive des pouvoirs pour le processus de consultation

211

e)         Le Canada n’a pas apprécié la solidité juridique des revendications de droits ou de titres ancestraux des Premières Nations concernées, ou n’a pas communiqué à celles-ci les résultats de son appréciation

218

f)          Les consultations de la Couronne ne reflètent pas les conditions, l’esprit et l’objet des ententes avec les Haïda

226

g)         Dans le rapport de la Commission d’examen conjoint, trop de questions touchant les Premières Nations ont été laissées en suspens afin d’être décidées après l’approbation du projet

230

h)        Le processus de consultation était trop générique. Le Canada et la Commission d’examen conjoint ont examiné les Premières Nations dans leur ensemble, et n’ont pas répondu de façon appropriée aux préoccupations particulières soulevées par certaines Premières Nations

230

i)          Suivant l’achèvement du rapport de la Commission d’examen conjoint, le Canada n’a pas mené de consultations adéquates auprès des Premières Nations au sujet de leurs préoccupations ni n’a fourni suffisamment de motifs

230

j)          Le Canada n’a pas apprécié ni examiné les titres ancestraux ou les droits de gouvernance ainsi que les répercussions sur ceux-ci

230

5)         Conclusion

325

G.        La réparation

333

H.        Le dispositif proposé

342

A.        Le projet

[12]      Le projet Northern Gateway consiste en deux pipelines de 1 178 kilomètres et des installations connexes. L’un des pipelines est censé transporter du pétrole provenant de Bruderheim, en Alberta, à Kitimat, en Colombie-Britannique. À Kitimat, le pétrole serait chargé dans des navires-citernes pour être livré dans des marchés d’exportation. L’autre pipeline transporterait des condensats, retirés des navires-citernes à Kitimat, vers Bruderheim, pour leur distribution dans les marchés de l’Alberta.

[13]      Les installations connexes comprennent tant des terminaux de stockage que des terminaux maritimes à Kitimat, lesquels consistent en un certain nombre de réservoirs de stockage de pétrole et de réservoirs de stockage de condensats, des postes à quai pour les navires-citernes ainsi qu’un poste à quai pour les navires utilitaires. Kitimat serait un endroit beaucoup plus achalandé, qui accueillerait de 190 à 250 navires-citernes par année, certains de ceux-ci faisant jusqu’à 320 000 tonnes de port en lourd.

[14]      S’il est construit, le projet pourrait être en opération pendant 50 ans ou plus.

[15]      Derrière ce projet, il y a Northern Gateway Pipelines Limited Partnership et Northern Gateway Pipelines Inc. Pour les besoins des présents motifs, il n’est pas nécessaire de les distinguer, de sorte que le terme « Northern Gateway » sera employé tout au long des motifs pour l’un ou l’autre, ou les deux.

[16]      Northern Gateway n’est pas seule derrière le projet. Elle a 26 partenaires financiers autochtones représentant presque 60 p. 100 des collectivités autochtones situées le long de l’emprise du pipeline, représentant 60 p. 100 des populations des Premières Nations de la région et 80 p. 100 des populations combinées des Premières Nations et des Métis de la région. Northern Gateway continue à discuter d’un partenariat à long terme avec un certain nombre de groupes autochtones et s’attend à une augmentation du nombre de partenaires financiers.

B.        Les parties

[17]      Le projet a des répercussions importantes sur un certain nombre des Premières Nations qui sont parties aux présentes instances. Voici, sans aucun ordre particulier, les parties en question :

•           Nation Gitxaala. Des parties des routes de navigation des navires-citernes de pétrole et de condensats pour le projet sont situées à l’intérieur du territoire traditionnel revendiqué par la Nation Gitxaala. La Nation Gitxaala maintient que le trafic des navires-citernes qui résulterait du projet aurait des répercussions sur ses droits ancestraux, y compris son titre et ses droits de gouvernance autonome. Sa principale collectivité, Lach Klan, se trouve à environ 10 kilomètres des routes de navigation des navires-citernes. Aussi, près des routes de navigation des navires-citernes, il y a 15 de ses réserves, plusieurs zones de culture, des sites de villages traditionnels ainsi que des sites spirituels.

•           Nation des Haisla. Une partie des pipelines, le terminal de Kitimat en entier et une partie de la route de navigation des navires-citernes sont à l’intérieur du territoire revendiqué par la Nation des Haisla, territoire sur lequel elle revendique des droits de chasse, de pêche, de piégeage, de réunion, d’utilisation de la ressource ligneuse et de gouvernance. Il y a plusieurs décennies, le Canada a accepté de négocier sur la base de la revendication globale de la Nation des Haisla et, il y a 20 ans, le Canada a conclu une entente-cadre avec la Nation des Haisla pour les négociations en vue d’un traité.

•           Première Nation des Gitga’at. Tous les navires en direction ou en provenance du terminal de Kitimat doivent passer par le territoire revendiqué par la Première Nation des Gitga’at. Elle a 14 réserves le long de la route de navigation proposée; en fait, la route n’est qu’à deux kilomètres de la principale collectivité de la Première Nation des Gitga’at à Hartley Bay, en Colombie-Britannique.

•           Conseil de bande de Kitasoo Xai’Xais. Cette partie est l’organisme qui gouverne la Nation de Kitasoo Xai’Xais, une bande de peuples autochtones composée du peuple de Tsimshian Kitasoo et du peuple Xai’Xais parlant la langue heiltsuk. Elle revendiquait un territoire comprenant un certain nombre d’îles côtières et les eaux les entourant ainsi que le territoire continental près de passages et de fjords. Les navires-citernes traverseront son territoire.

•           Conseil tribal des Heiltsuk. Cette partie gouverne la Nation des Heiltsuk. La Nation des Heiltsuk est une bande de peuples autochtones résultant de la fusion de cinq groupes tribaux situés sur la côte centrale de la Colombie-Britannique. Elle revendique 16 658 kilomètres carrés de terres ainsi que d’eaux littorales et du large sur la côte centrale de la Colombie-Britannique. Sa principale collectivité est Bella Bella, sur l’île Campbell. Les navires-citernes approchant de Kitimat par le sud passeront à travers le territoire revendiqué par la Nation des Heiltsuk.

•           Nadleh Whut’en et les Nak’azdli Whut’en. Ils font partie du peuple des Yinka Dene ou de celui des Dakelh. Yinka Dene signifie « peuple de la terre » ou « peuple pour la terre ». Dakelh signifie « voyageurs sur l’eau ». Ces peuples ont un système de gouvernance qui repose sur les lois ancestrales, dont les éléments clés incluent l’affiliation du peuple des Dakelh avec des clans comprenant des chefs héréditaires, des territoires de gestion de terre et de ressources connus sous les noms de « keyoh » ou « keyah » ainsi qu’un système de gouvernance connu sous le nom de « bahlats » en tant qu’institution pour la gouvernance des keyoh/keyah et des clans. Les pipelines traverseraient approximativement 50 kilomètres du territoire revendiqué par les Nadleh ainsi que 86 cours d’eau sur leurs terres, 21 d’entre eux étant fréquentés par des poissons. Les pipelines traverseraient environ 110 kilomètres du territoire revendiqué par les Nak’azdli ainsi que 167 cours d’eau sur leurs terres, 60 d’entre eux étant fréquentés par des poissons. Une station de pompage serait située sur le territoire revendiqué par les Nak’azdli. Les Nadleh et les Nak’azdli sont membres du Carrier Sekani Tribal Council, dont la revendication globale a été acceptée par le Canada aux fins de négociation.

•           Nation haïda. La Nation haïda est le peuple autochtone de Haida Gwaii. Haida Gwaii signifie « îles du peuple », et est un archipel de plus de 150 îles, s’étendant sur plus ou moins 250 kilomètres, avec un littoral d’à peu près 4 700 kilomètres. Aucun lieu n’est distant de la mer de plus de 20 kilomètres. Toutes les routes de navigation des navires-citernes proposées passent à travers ou près de la partie marine du territoire revendiqué par la Nation haïda. Dans la partie sud de Haida Gwaii, il y a Gwaii Haanas, une zone protégée de Haida et une réserve de parc national où se trouve un site faisant partie du patrimoine mondial de l’UNESCO appelé « SGang Gwaay » ou « Nan Sdins ». Northern Gateway a identifié neuf écosections et douze zones océanographiques d’importance pour le projet et un certain nombre d’entre elles entourent Haida Gwaii.

[18]      D’autres parties devant la Cour allèguent avoir un intérêt marqué pour le projet :

•           ForestEthics Advocacy Association. Cette société à but non lucratif vouée à la protection de l’environnement a de nombreux antécédents en matière de préconisation de changements dans l’extraction des ressources naturelles, de protection des forêts et lieux sauvages menacés, d’éducation et d’information du public ainsi que de travail en collaboration avec les gouvernements et d’autres intervenants en vue d’atteindre ces objectifs.

•           Living Oceans Society. Cette société à but non lucratif formule des recommandations de politiques fondées sur la science pour assurer la conservation des océans et des collectivités qui en dépendent. Elle a participé à la recherche et à la proposition de politiques en matière de développement du pétrole et du gaz, puisque cela a une incidence sur l’environnement marin.

•           Raincoast Conservation Foundation. Il s’agit d’un groupe de défenseurs de l’environnement et de scientifiques dévoués à la protection des terres, des eaux et de la vie sauvage sur le littoral de la Colombie-Britannique au moyen de la science évaluée par les pairs, de la défense des masses ainsi que de l’utilisation d’un laboratoire universitaire à temps plein, d’une station de recherche et d’un navire de recherche.

•           B.C. Nature. Il s’agit d’une fédération de naturalistes et de clubs de naturalistes représentant plus de 5 000 personnes. Elle souhaite conserver l’intégrité des écosystèmes et de la riche biodiversité de la Colombie-Britannique. Pour ce faire, elle se livre à de l’éducation du public et coordonne un programme fondé sur la science qui identifie, protège et surveille un réseau d’habitats pour les populations d’oiseaux.

•           Unifor. Il s’agit d’une organisation syndicale qui représente de nombreux travailleurs dans les domaines de l’énergie et des pêches au Canada. Les travailleurs de l’énergie qu’elle représente sont employés dans l’exploration pétrolière et gazière, le transport, le raffinage ainsi que la conservation dans les industries de la pétrochimie et des plastiques. Un certain nombre de ses membres travaillent dans des installations de production et de raffinage en Alberta et en Colombie-Britannique qui seraient servies par le projet. Les travailleurs des pêches sont répartis dans tout le Canada. Sur la côte ouest, Unifor représente des pêcheurs commerciaux ainsi que des travailleurs d’usine de traitement du poisson qui comptent sur la santé des réserves de poissons et des habitats.

C.        Le processus d’approbation du projet

1)         Introduction

[19]      Les défis posés par le processus d’approbation du projet étaient immenses. D’une ampleur massive et ayant une incidence sur de si nombreux groupes et habitats géographiques divers, et de si nombreuses façons différentes, le projet devait être évalué d’une manière sensible, structurée, efficace et, pourtant, inclusive.

[20]      Dans l’ensemble — à l’exception de certains aspects de l’exécution, par le Canada, de l’obligation de consulter, sur laquelle nous reviendrons plus loin dans les présents motifs — le processus d’évaluation et d’approbation a été correctement établi et a bien fonctionné. Ce n’était pas un mince exploit, étant donné les défis que cela présentait.

2)         Le commencement

[21]      À la fin de 2005, Northern Gateway a présenté une trousse d’information préliminaire à l’Office national de l’énergie [l’Office] et à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale [l’Agence canadienne d’évaluation environnementale ou l’Agence].

[22]      Au début de l’année 2006, après avoir consulté diverses autorités fédérales, l’Office a recommandé que le ministre de l’Environnement renvoie le projet à une commission d’examen. À l’automne, le ministre de l’Environnement a renvoyé le projet à une commission d’examen dont les travaux devaient se tenir conjointement sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale [L.C. 1992, ch. 37]. Cette commission d’examen était connue sous le nom de Commission d’examen conjoint, en raison du fait qu’elle devait exécuter deux tâches. Premièrement, elle devait préparer un rapport au titre de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie pour étude par le gouverneur en conseil. Deuxièmement, du fait que le projet était un « projet désigné » au sens de l’article 2 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale [L.C. 1992, ch. 37], la Commission d’examen conjoint devait effectuer une évaluation environnementale du projet et formuler des recommandations au gouverneur en conseil, au titre de l’article 30 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale [L.C. 1992, ch. 37].

[23]      Il fallait établir le mandat de la Commission d’examen conjoint. Ce mandat devait être intégré à une entente entre l’Office national de l’énergie et le ministre de l’Environnement. En septembre 2006, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale a communiqué une ébauche de cette entente pour recevoir des commentaires. C’était, pour le public en général et les groupes autochtones en particulier, une occasion de donner leur point de vue.

[24]      Le processus d’évaluation a été suspendu à la fin de 2006 à la demande de Northern Gateway qui voulait avoir le temps de compléter des tâches commerciales variées et nécessaires. Ces tâches ont été complétées à la mi-2008 quand Northern Gateway a demandé la continuation du processus d’évaluation. Elle demandait plus particulièrement que l’ébauche d’entente établissant le mandant de la Commission d’examen conjoint soit finalisée.

[25]      Pendant ce temps, les groupes autochtones avaient toujours l’occasion de formuler des commentaires concernant l’ébauche d’entente. De plus, à la fin de l’année 2008 et au début de l’année 2009, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale a communiqué expressément avec des groupes autochtones pour leur donner avis du projet et les informer des possibilités qui s’offraient à eux pour participer aux travaux de la Commission d’examen conjoint ainsi qu’au processus connexe de consultation avec la Couronne. Nous approfondirons ce sujet plus loin.

[26]      En février 2009, l’Agence a communiqué le cadre du gouvernement du Canada en vue des consultations à venir avec les groupes autochtones au sujet du projet. Ce cadre de consultation, qui se trouvait dans un document intitulé « Approach to Crown Consultation for the Northern Gateway Project », exposait un processus de consultation complet en cinq phases :

•           Phase I : phase préliminaire. Durant cette phase, il y aurait des consultations au sujet de l’ébauche de l’entente relative à la Commission d’examen conjoint, et de l’information serait fournie aux groupes autochtones quant aux mandats de l’Office national de l’énergie et de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, ainsi que sur le processus de la Commission d’examen conjoint.

•           Phase II : phase préparatoire aux audiences. De l’information serait donnée aux groupes autochtones concernant le processus de la Commission d’examen conjoint, et on encouragerait les groupes à participer au processus.

•           Phase III : la phase des audiences. Pendant ce temps, la Commission d’examen conjoint tiendrait ses audiences. Les groupes autochtones seraient encouragés à participer ainsi qu’à donner de l’information afin d’aider la Commission d’examen conjoint dans son processus et ses délibérations. Au cours de cette phase, la Couronne devait participer et faciliter le processus en offrant des conseils spécialisés dans le domaine scientifique et en matière de réglementation.

•           Phase IV : la phase suivant la publication du rapport. Après la publication du rapport de la Commission d’examen conjoint, la Couronne devait procéder à des consultations concernant le rapport et toute préoccupation connexe qui ne relevait pas du mandat de la Commission d’examen conjoint. À cette fin, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale devait être le point de contact. Cela devait avoir lieu avant la décision du gouverneur en conseil quant à savoir si les certificats devraient être délivrés pour le projet en vertu de l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

•           Phase V : la phase de réglementation/de délivrance de permis. Au cours de cette phase, d’autres consultations étaient envisagées concernant les autorisations et les permis devant être accordés pour le projet, dans le cas d’une approbation.

[27]      En février 2009, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale a également communiqué une nouvelle ébauche de l’entente relative à la Commission d’examen conjoint, modifiée pour répondre aux préoccupations soulevées au cours de la période initiale de commentaires. Une période de commentaires du public concernant la nouvelle ébauche de l’entente a suivi. Bien que la période de commentaires du public se soit terminée à la mi-avril 2009, on a continué d’accepter des observations et des commentaires provenant des groupes autochtones, et ce, jusqu’en août 2009. Au cours de cette période, la Couronne a offert de rencontrer les groupes autochtones afin de discuter de l’ébauche de l’entente relative à la Commission d’examen conjoint et de la manière dont devraient se dérouler les consultations avec eux. Plus particulièrement, la Première Nation des Gitga’at, la Nation Gitxaala ainsi que la Nation des Haisla ont rencontré la Couronne.

[28]      Vers la fin de 2009, le mandat de la Commission d’examen conjoint et le processus d’évaluation du projet étaient sur le point d’être complétés. L’Office national de l’énergie et l’ensemble des « autorités responsables » fédérales, au sens de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, ont signé une entente intitulée « Entente de projet pour le projet de pipelines Northern Gateway en Alberta et en Colombie-Britannique ». L’Agence canadienne d’évaluation environnementale a publié un document intitulé « Portée des éléments dans le cadre du projet d’oléoduc Northern Gateway — Guide d’évaluation des effets environnementaux du projet d’oléoduc Northern Gateway ». Enfin, l’Agence a envoyé des lettres à certains groupes autochtones leur donnant l’ensemble de ces documents ainsi qu’un tableau énonçant la considération donnée aux commentaires formulés par les groupes autochtones.

[29]      Peu après, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale et l’Office national de l’énergie ont publié « l’Entente conclue entre l’Office national de l’énergie et le ministre de l’Environnement concernant l’examen conjoint du projet d’oléoduc Northern Gateway ». Dans cette entente, le Canada s’est engagé à une approche « pangouvernementale » à l’égard de la mobilisation et de la consultation des Autochtones, y compris le recours, dans la mesure du possible, aux efforts de consultation de Northern Gateway et de la Commission d’examen conjoint.

[30]      Aussi, joint à cette entente en tant qu’annexe, il y avait le mandat de la Commission d’examen conjoint. Ce mandat comprenait les exigences du processus que devait suivre la Commission d’examen conjoint pendant l’examen du projet. Ensuite, en janvier 2010, conformément à l’entente, le ministre de l’Environnement et le président de l’Office national de l’énergie ont nommé trois personnes pour siéger à la Commission d’examen conjoint.

[31]      L’Office national de l’énergie a également établi un Secrétariat de la Commission d’examen conjoint travaillant de concert avec l’Agence canadienne d’évaluation environnementale pour fournir un soutien à la Commission d’examen conjoint.

[32]      L’Agence canadienne d’évaluation environnementale a agi à titre de « coordonnatrice des consultations de la Couronne » du Canada pour le projet.

3)         Le lancement du processus

[33]      Ces questions préliminaires réglées, le processus d’approbation a officiellement commencé.

[34]      En mai 2010, Northern Gateway a déposé une demande en vue d’obtenir des certificats de l’Office national de l’énergie pour le projet, une ordonnance au titre de la partie IV [articles 58.5 à 72] de la Loi sur l’Office national de l’énergie approuvant les principes du péage pour se servir des pipelines, ainsi que d’autres mesures au besoin.

[35]      En juillet 2010, la Commission d’examen conjoint publiait sa première directive procédurale. Elle cherchait à obtenir des commentaires du public, y compris les groupes autochtones, concernant une ébauche de liste des questions en suspens, l’information que Northern Gateway devrait avoir l’obligation de déposer, en plus de ce qu’elle avait présenté avec sa demande, ainsi que les endroits où devaient avoir lieu les audiences de la Commission d’examen conjoint. À cette fin, la Commission d’examen conjoint a reçu des commentaires écrits et, lors d’audiences tenues à trois endroits, des commentaires verbaux.

[36]      La Commission d’examen conjoint a pris en considération ce qu’elle avait entendu et a rendu certaines décisions. Elle a exigé de Northern Gateway qu’elle dépose de l’information additionnelle pour répondre à certaines questions spécifiques au projet ainsi qu’à certains risques posés par celui-ci. La Commission d’examen conjoint a déclaré que cette information devait être fournie avant qu’elle puisse rendre une ordonnance d’audience. Elle a aussi révisé la liste des questions et a formulé des commentaires sur les endroits où se tiendraient ses audiences.

[37]      Le personnel de la Commission d’examen conjoint a dirigé des séances d’information pour le public entre 2010 et juillet 2011 ainsi que des ateliers en ligne de novembre 2011 à avril 2013. En date du 31 mars 2011, Northern Gateway avait soumis de l’information additionnelle en réponse à la décision de la Commission d’examen conjoint.

[38]      En mai 2011, la Commission d’examen conjoint a rendu une ordonnance d’audience. Dans cette ordonnance, elle a décrit la procédure à suivre dans le cadre du processus d’examen conjoint et a donné avis que les audiences commenceraient le 10 janvier 2012.

[39]      À peu près à la même époque, la Couronne a consulté les représentants de certains des groupes autochtones qui sont demandeurs/appelants à la présente instance, y compris la Première Nation des Gitga’at, la Nation Gitxaala, la Nation haïda, la Nation des Haisla et la Nation des Heiltsuk. Aussi, en 2011, un certain nombre de groupes autochtones, y compris la plupart des groupes autochtones qui sont parties à la présente instance, et un certain nombre de groupes de défense de l’intérêt public se sont inscrits en vue d’intervenir au cours des travaux de la Commission d’examen conjoint.

[40]      Un certain nombre d’organismes gouvernementaux — Ressources naturelles Canada, Affaires autochtones et du Nord Canada, Pêches et Océans Canada, la Garde côtière canadienne, Transports Canada ainsi qu’Environnement Canada — se sont également inscrits, dans le cadre des travaux, en tant que participants gouvernementaux. Tous les intervenants et organismes gouvernementaux devaient déposer une preuve écrite à la Commission d’examen conjoint, et ce, une semaine avant le commencement des audiences.

[41]      L’Agence canadienne d’évaluation environnementale a offert, au moyen de son Fonds d’aide financière aux participants, de l’aide financière à certains groupes publics et groupes autochtones afin de faciliter leur participation au processus de la Commission d’examen conjoint ainsi qu’aux activités de consultation de la Couronne.

[42]      Selon le calendrier arrêté, les audiences de la Commission d’examen conjoint ont commencé le 10 janvier 2012. Le premier ensemble d’audiences était connu comme les « audiences communautaires ». La Commission d’examen conjoint a voyagé dans plusieurs collectivités locales et a reçu des lettres de commentaires ainsi que des déclarations verbales, y compris des déclarations de représentants de groupes autochtones. À un certain moment, la Commission d’examen conjoint et d’autres intervenants ont accompagné des représentants de la Nation Gitxaala pour une tournée en bateau d’une partie de leur territoire traditionnel revendiqué.

[43]      Vers cette époque, la Commission d’examen conjoint a reçu un rapport faisant état d’un examen technique des aspects marins du projet. Mis en branle en 2004 à la demande de Northern Gateway, cet examen technique, connu comme le Processus d’examen technique des terminaux maritimes et des sites de transbordement ou « TERMPOL », a été effectué par un comité d’examen présidé par Transports Canada, doté en personnel de représentants d’autres ministères fédéraux et, entre autres choses, aidé d’un consultant technique agissant pour le compte de la Nation des Haisla et du Conseil du Village de Kitimat.

[44]      À peu près à cette époque également, il y a eu des changements législatifs. À l’origine, l’évaluation environnementale devait être effectuée conformément à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale [L.C. 1992, ch. 37] qui avait été promulguée en 1992. Au milieu de l’année 2012, cependant, fut adoptée la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19, qui abrogeait [par l’article 66] la version de 1992 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, édictait [par l’article 52] la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et modifiait [par la section 2 de la partie 3] la Loi sur l’Office national de l’énergie. Le processus d’examen conjoint du projet, qui était déjà en cours, s’est poursuivi sous le régime de ces dispositions modifiées. À partir de maintenant, dans les présents motifs, sauf indication contraire, les renvois à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et à la Loi sur l’Office national de l’énergie font référence aux versions de 2012 de ces textes législatifs.

[45]      Un mois après que ces modifications furent adoptées, et en conformité avec celles-ci, le ministre de l’Environnement et le président de l’Office national de l’énergie ont donné des directives pour que la Commission d’examen conjoint présente son évaluation environnementale comme faisant partie du rapport de recommandation au titre de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie au plus tard le 31 décembre 2013. Ils ont également finalisé des modifications à certaines des ententes déjà mentionnées et au mandat de la Commission d’examen conjoint.

[46]      Sous le régime de la législation de 2012, la Commission d’examen conjoint avait deux tâches principales. Premièrement, elle devait produire un rapport au titre de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Deuxièmement, dans ce rapport, elle devait aussi formuler des recommandations suite à l’évaluation environnementale effectuée au titre de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) : paragraphe 29(1). Dans l’ensemble, le rapport devait :

•           recommander la délivrance ou non des certificats demandés;

•           exposer les conditions qui devraient accompagner tout certificat délivré par l’Office pour le projet;

•           formuler des recommandations fondées sur l’évaluation environnementale.

[47]      En septembre 2012, la Commission d’examen conjoint a tenu ce qu’elle a appelé des [traduction] « audiences finales ». Cette dernière phase du processus d’audience s’est terminée en juin 2013. Au cours de cette étape, les parties ont posé des questions, déposé des arguments écrits et formulé des arguments oraux.

4)         La participation des parties au processus d’approbation

[48]      Dans l’ensemble, les parties ont amplement eu la possibilité de participer au processus de la Commission d’examen conjoint et, en général, en ont tiré profit :

•           Nation Gitxaala. La Nation Gitxaala a participé à toutes les phases du processus de la Commission d’examen conjoint, notamment en présentant des demandes d’information, en soumettant un rapport technique ainsi qu’une preuve autochtone, tant écrite qu’orale, et en étant présente lors des audiences tenues dans de nombreuses localités. Dans l’ensemble, elle a présenté 7 400 pages de documents écrits, le témoignage de 27 membres de la collectivité ainsi que 11 rapports d’expert sur divers sujets, y compris la méthodologie de l’évaluation de risque de Northern Gateway, la modélisation des déversements de pétrole et ce qu’il advient du bitume dilué qui est déversé. Entre autres choses, la Nation Gitxaala a exprimé sa profonde préoccupation quant aux effets précis que le projet pourrait avoir sur les droits et le titre qu’elle revendique.

•           Nation des Haisla. La Nation des Haisla a également participé à toutes les parties du processus de la Commission d’examen conjoint, notamment en soumettant une preuve technique ainsi qu’une preuve autochtone, une preuve traditionnelle orale, en étant présente aux audiences et en participant activement à la ronde finale des observations. Au cours du processus, elle a déposé une étude d’utilisation traditionnelle qui décrit sa culture, son système de droit de propriété et ses lois ainsi que la manière dont le projet contrecarrerait l’usage et l’occupation faits par la Nation des Haisla de ses terres, de son eau et de ses ressources. La Nation des Haisla a également présenté un rapport historique et ethnographique ainsi qu’un sommaire de site archéologique à l’appui de sa revendication quant à l’usage exclusif et à l’occupation de ses terres. La Nation des Haisla a aussi présenté des déclarations et le récit oral de chefs héréditaires et élus ainsi que d’aînés exposant l’histoire de la Nation des Haisla, l’usage et l’occupation des terres qu’elle revendique, et ses efforts pour protéger ses terres, ses eaux ainsi que ses ressources au profit des générations à venir. Elle a exprimé ses préoccupations au sujet du projet.

•           Conseil de bande de Kitasoo Xai’Xais. Il a présenté une brève preuve écrite ainsi qu’une preuve orale lors d’une audience communautaire et il a déposé une argumentation écrite finale.

•           Le Conseil tribal des Heiltsuk. Le Conseil a présenté une preuve écrite, a répondu à une demande d’information, a livré un témoignage oral lors d’une audience communautaire, a mené un contre-interrogatoire des témoins de Northern Gateway et du Canada, et a déposé une argumentation écrite finale.

•           Les Nadleh Whut’en et les Nak’azdli Whut’en. Ces parties ont fait des observations à la Couronne au sujet de l’ébauche d’entente relative à l’examen conjoint et de la manière avec laquelle le Canada s’était livré aux consultations au cours de la phase I du processus de consultation. L’Alliance Yinka Dene, dont font partie les Nadleh et les Nak’azdli, a choisi de ne pas intervenir devant la Commission d’examen conjoint, mais un keyoh au sein du système de gouvernance des Nak’azdli Whut’en est intervenu.

•           Nation haïda. La Nation haïda a participé à toutes les parties du processus de la Commission d’examen conjoint. Elle a formulé des demandes d’information, a présenté une preuve technique et une preuve autochtone écrites, a fourni une preuve autochtone orale, s’est présentée aux audiences pour interroger les témoins de Northern Gateway, a soumis une argumentation finale par écrit, accompagnée de commentaires sur les conditions proposées, et a fait une réplique orale. Elle a présenté une étude de 336 pages intitulée Marine Traditional Knowledge Study décrivant les activités traditionnelles de récoltes, tant historiquement qu’actuellement, les lieux de culture et le moment de l’année durant lequel elles le sont pour les diverses espèces partout à Haida Gwaii. La Nation haïda et le Canada ont collaboré aux rapports intitulés Living Marine Legacy pendant six ans jusqu’en 2006. Ces rapports, totalisant 1 247 pages, offrent des répertoires de base relatifs aux plantes marines, aux invertébrés, aux oiseaux et aux mammifères le long du littoral de Haida Gwaii.

•           ForestEthics Advocacy Association, Living Oceans Society et Raincoast Conservation Foundation (ci-après la « Coalition »). La Coalition a participé au processus de la Commission d’examen conjoint à titre d’intervenante, soumettant une preuve écrite ainsi que des réponses écrites aux demandes d’information concernant cette preuve, présentant des demandes d’information aux autres parties, offrant des témoins, interrogeant les témoins d’autres parties et formulant des observations.

•           B.C. Nature. B.C. Nature a participé au processus de la Commission d’examen conjoint à titre d’intervenante conjointe avec Nature Canada. Elle a présenté une preuve écrite, offert des réponses écrites aux demandes d’information concernant cette preuve, interrogé les témoins d’autres parties, présenté une preuve écrite tardive, offert des témoins relativement à cette preuve, déposé plusieurs requêtes et fait des observations.

•           Unifor. Les prédécesseures de cette organisation syndicale nationale ont participé au processus de la Commission d’examen conjoint à titre d’intervenantes. Elles ont produit une preuve d’expert, échangé des demandes d’information ainsi que des réponses, présenté des témoins en interrogatoire et présenté une argumentation finale.

[49]      Il va sans dire que la participation de Northern Gateway et du Canada tout au long du processus de la Commission d’examen conjoint fut énorme. Dans le cas du Canada, comme il a déjà été mentionné, un certain nombre de ministères et d’organismes s’étaient inscrits dans le cadre du processus de la Commission d’examen conjoint à titre de participants gouvernementaux. Ils ont déposé de la preuve écrite, des demandes d’information et des réponses aux demandes d’information. Ils ont également offert des témoins pour interrogatoire sur la preuve présentée.

5)         Le rapport de la Commission d’examen conjoint

[50]      Le 19 décembre 2013, la Commission d’examen conjoint a publié un rapport en deux volumes : Connexions : Rapport de la commission d’examen conjoint sur le projet Enbridge Northern Gateway, Volume 1, et Considérations : Rapport de la commission d’examen conjoint sur le projet Enbridge Northern Gateway, Volume 2.

[51]      La Commission d’examen conjoint a conclu que le projet était dans l’intérêt public. Elle a recommandé que les certificats demandés soient délivrés, sous réserve de 209 conditions. Les conditions exigent qu’un certain nombre de plans, d’études et d’évaluations soient examinés et évalués par l’Office national de l’énergie ainsi que d’autres organismes de réglementation dans l’avenir. Les 209 conditions comprennent des exigences pour que Northern Gateway offre aux groupes autochtones touchés des occasions continues et durables de participer à la planification en cours, à la construction et à l’exploitation du projet au moyen d’une variété de plans, de programmes et d’avantages. Northern Gateway a offert un certain nombre de ces conditions durant le processus. En plus de ces 209 conditions, Northern Gateway a volontairement pris plus de 450 engagements.

[52]      Les conditions traitent de sujets tels que la gestion et la surveillance environnementales; la protection civile et l’intervention; la réalisation d’avantages économiques. Northern Gateway indique que ces conditions représentent pour elle un investissement de 2 milliards de dollars. Les groupes autochtones, incluant les Premières Nations parties à la présente instance, continueront d’avoir l’occasion de formuler leurs commentaires et de participer à la réalisation de ces conditions.

[53]      La Commission d’examen conjoint a également recommandé que le gouverneur en conseil conclût que :

•           les effets environnementaux négatifs potentiels découlant du projet seulement ne sont pas susceptibles d’être importants;

•           les effets négatifs du projet, combinés à ceux des activités ou actions passées, présentes et raisonnablement prévisibles sont susceptibles d’être importants pour certains troupeaux de caribous des bois et les populations d’ours grizzlis;

•           les effets négatifs cumulatifs importants concernant les populations de caribous et de grizzlis sont justifiables dans les circonstances.

6)         Les consultations avec les groupes autochtones : phase IV

[54]      Après la publication du rapport de la Commission d’examen conjoint, le processus de consultation avec les groupes autochtones est entré dans la phase IV du cadre de consultation. Plus loin dans les présents motifs se trouve une description détaillée de ce qui s’est passé au cours de cette phase.

[55]      Pour les besoins de la présente partie, mentionnons que la phase IV a commencé par l’envoi, de la part de la Couronne, de lettres aux représentants de groupes autochtones en décembre 2013, afin d’obtenir des commentaires quant à la façon dont les recommandations et les conclusions de la Commission d’examen conjoint répondaient à leurs préoccupations. Les fonctionnaires de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale et d’autres ministères fédéraux ont tenu des rencontres avec des représentants de groupes autochtones pour discuter des préoccupations. Les représentants fédéraux ont rencontré un certain nombre de groupes autochtones, y compris la Première Nation des Gitga’at, la Nation Gitxaala, le Conseil de la Nation haïda, la Nation des Haisla, la Nation des Heiltsuk, la Nation de Kitasoo Xai’Xias et l’Alliance Yinka Dene (qui comprend les Nak’azdli Whut’en et les Nadleh Whut’en).

[56]      À la suite de ces rencontres et discussions, le 22 mai 2014, le Canada a publié un rapport concernant ses consultations : « Report on Aboriginal Consultation Associated with the Environmental Assessment ».

[57]      À ce stade-ci, il conviendrait peut-être de noter qu’il ne s’agit pas d’une affaire où le promoteur du projet, Northern Gateway, aurait refusé de travailler avec les groupes autochtones. Loin de là. Dès que le corridor du pipeline a été établi pour le projet, en 2005, Northern Gateway a collaboré de près avec tous les groupes autochtones, tant les Premières nations que les Métis, dont les collectivités étaient situées en deçà de 80 kilomètres du corridor du projet et du terminal maritime. Northern Gateway a collaboré étroitement avec d’autres groupes autochtones au-delà de cette zone, dans la mesure où ils s’étaient eux-mêmes identifiés comme ayant un intérêt en raison du fait que le corridor traversait leur territoire traditionnel.

[58]      En somme, Northern Gateway a collaboré de près avec plus de 80 groupes autochtones différents dans diverses régions de l’Alberta et de la Colombie-Britannique. Elle a utilisé de nombreuses méthodes d’engagement, donnant 10,8 millions de dollars en financement de capacité aux groupes autochtones intéressés. Elle a également mis en œuvre un programme relatif au savoir traditionnel autochtone et elle a dépensé 5 millions de dollars pour financer des études dans ce domaine.

7)         Le décret et les certificats

[59]      Le gouverneur en conseil disposait du rapport de la Commission d’examen conjoint. Il avait aussi à sa disposition d’autres documents qui n’ont pas été divulgués dans le cadre de la présente instance. Le Canada a invoqué un privilège en relation avec ces documents, au titre de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5.

[60]      Le 17 juin 2014, le gouverneur en conseil a pris le décret C.P. 2014-809. Le décret a été publié dans la Gazette du Canada [partie I] le 28 juin 2014.

[61]      Après avoir soupesé toutes les considérations concurrentes devant lui, le gouverneur en conseil a accepté [à la page 1645] « la conclusion de la Commission [d’examen conjoint] à l’effet que le projet — s’il est construit et exploité dans le respect strict des conditions figurant à l’annexe 1 du volume 2 du rapport de la Commission [d’examen conjoint] — aura un caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur ». Il a « accept[é] la recommandation de la Commission ». Il a ajouté que « le projet permettrait de diversifier le marché d’exportation d’énergie du Canada et contribuerait à la prospérité économique durable du Canada » [(2014) Gaz. C. I, à la page 1645].

[62]      Quant aux questions soulevées par l’évaluation environnementale, le gouverneur en conseil a conclu que, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation [décret, à la page 1646], « la réalisation du projet n’[était] pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux […] qui [seraient] négatifs et importants » au sens du paragraphe 5(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Toutefois le projet entraînerait des effets environnementaux négatifs et importants pour certaines populations de caribous des bois et d’ours grizzlis au sens du paragraphe 5(2) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), mais ces effets étaient « justifiables dans les circonstances ». Exerçant son pouvoir en vertu des paragraphes 53(1) et (2) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), le gouverneur en conseil a établi les conditions que devait respecter Northern Gateway, lesquelles ont été énoncées à l’annexe 1 de Considérations : Rapport de la commission d’examen conjoint sur le projet Enbridge Northern Gateway, Volume 2.

[63]      À la lumière de ce qui précède, exerçant le pouvoir qui lui était conféré par l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, le gouverneur en conseil a donné à l’Office national de l’énergie instruction de délivrer les certificats d’utilité publique à Northern Gateway à l’égard du projet, sous réserve des conditions énoncées dans le rapport de la Commission d’examen conjoint.

[64]      Le même jour, à la demande du gouverneur en conseil, l’Office national de l’énergie a fait une déclaration en application du paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie. La déclaration résumait ce que le gouverneur en conseil avait décidé quant aux recommandations que la Commission d’examen conjoint avait formulées à la suite de l’évaluation environnementale. La déclaration se lit ainsi [« Décision rendue aux termes de l’article 54 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et de l’alinéa 104(4)b) de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable »] :

Le gouverneur en conseil a décidé, après étude du rapport de la [Commission d’examen conjoint] et des conditions qui y sont proposées, que le projet […] n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants tels qu’ils sont évoqués au paragraphe 5(1) de la [Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)], mais qu’il est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants tels qu’ils sont évoqués au paragraphe 5(2) de cette même loi pour certaines populations de caribous des bois et de grizzlis décrites dans le rapport de la [Commission d’examen conjoint].

Le gouverneur en conseil a par ailleurs décidé qu’aux termes du paragraphe 52(4) de la [Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)], les effets environnementaux négatifs importants que le projet […] est susceptible d’entraîner pour certaines populations de caribous des bois et de grizzlis sont justifiés dans les circonstances.

Le gouverneur en conseil a établi que les 209 conditions incluses dans le rapport de la [Commission d’examen conjoint] sont celles que [Northern Gateway] doit respecter dans le contexte des effets environnementaux dont il est question aux paragraphes 53(1) et (2) de la [Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)].

[65]      Le lendemain, soit le 18 juin 2014, par suite des instructions du gouverneur en conseil, l’Office national de l’énergie a délivré à Northern Gateway deux certificats : le certificat OC-060 pour le pipeline de pétrole et les installations connexes ainsi que le certificat OC-061 pour le pipeline de condensat et les installations connexes.

[66]      En juillet 2014, soit un mois après que le gouverneur en conseil a pris son décret et que l’Office a délivré ses deux certificats, dans la phase IV du cadre de consultation, la Couronne a écrit à un certain nombre de groupes autochtones, y compris quelques-unes des parties à la présente instance, pour leur donner des explications concernant les commentaires qu’ils avaient formulés et le décret du gouverneur en conseil. Des propos semblables se trouvaient dans une lettre précédente, écrite en juin 2014, juste avant que le gouverneur en conseil prenne son décret approuvant le projet. Nous examinerons ces lettres, en plus d’autres faits au sujet de ce qui s’est passé au cours de la phase IV, plus en détails plus loin.

8)         Les futurs processus réglementaires

[67]      La délivrance des certificats par l’Office national de l’énergie ne constitue pas l’étape finale avant le début de la construction du projet. D’autres processus réglementaires devront être poursuivis. Northern Gateway doit obtenir ce qui suit :

•           Approbation de la route. Northern Gateway doit demander et recevoir l’approbation de l’Office national de l’énergie pour la route détaillée du projet. Les propriétaires des terres et ceux dont les intérêts peuvent être touchés de façon négative auront l’occasion de déposer des oppositions. Pour approuver une route, l’Office national de l’énergie doit tenir compte de toutes les observations qui lui ont été faites lors d’une audience publique et examiner les méthodes de construction les plus appropriées ainsi que le calendrier. L’Office national de l’énergie peut donner son approbation sous conditions. Voir, de manière générale, les articles 33 à 40 de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

•           Acquisition de droits sur les terres. Northern Gateway doit, pour le projet, acquérir des droits sur les terres, en Alberta et en Colombie-Britannique, de propriétaires privés ou des couronnes provinciales au moyen d’ententes volontaires, d’ordonnances d’accès aux terres ou du consentement du gouverneur en conseil. Dans certains cas, elle doit verser une compensation pour l’acquisition de la terre ou les dommages occasionnés. Voir, de manière générale, les articles 75, 77, 84 et 87 à 103 de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

•           Approbation pour commencer la construction. Northern Gateway doit demander et obtenir l’autorisation de l’Office national de l’énergie en vue de commencer la construction du projet. Dans le cadre de ce processus, Northern Gateway doit remplir toutes les conditions préalables à la construction qui se trouvent dans les certificats octroyés par l’Office national de l’énergie. En pratique, au cours de ce processus, la conception et l’exploitation détaillées du projet seront affinées. Des 209 conditions liées aux certificats, à peu près 120 impliquent, avant que puisse débuter la construction, la préparation et le dépôt à l’Office de documents d’information additionnels. Certaines des conditions exigent de Northern Gateway qu’elle fasse rapport de ses consultations auprès des groupes autochtones, dans le cadre de sa demande d’approbation présentée à l’Office national de l’énergie.

•           Approbation pour le commencement de l’exploitation. Avant que le projet puisse être exploité, Northern Gateway doit demander l’approbation de l’Office national de l’énergie. Entre autres choses, elle doit convaincre l’Office national de l’énergie que les pipelines peuvent être ouverts pour le transport de façon sécuritaire.

•           Autres approbations requises par les lois fédérales et provinciales. Northern Gateway devra aussi présenter des demandes pour ces approbations. Le processus de demande peut nécessiter d’autres consultations auprès des groupes autochtones. Une grande partie de cela peut avoir lieu pendant la phase V du cadre de consultation.

D.        Les instances judiciaires

[68]      Les avis de demande de contrôle judiciaire qui suivent contestent le rapport de la Commission d’examen conjoint :

•           Federation of British Columbia Naturalists s/n BC Nature c. Procureur général du Canada et al. (A-59-14);

•           ForestEthics Advocacy Association et al. c. Procureur général du Canada et al. (A-56-14);

•           Nation Gitxaała c. Ministre de l’Environnement et al. (A-64-14);

•           Nation des Haisla c. Canada (Ministre de l’Environnement) et al. (A-63-14) (modifié par la suite);

•           Première Nation des Gitga’at c. Procureur général du Canada et al. (A-67-14).

[69]      Les avis de demande de contrôle judiciaire qui suivent contestent la décision du gouverneur en conseil, à savoir le décret C.P. 2014-809 :

•           Nation Gitxaala c. Procureur général du Canada et al. (A-437-14);

•           Federation of British Columbia Naturalists s/n BC Nature c. Procureur général du Canada et al. (A-443-14);

•           ForestEthics Advocacy Association et al. c. Procureur général du Canada et al. (A-440-14);

•           Première Nation des Gitga’at c. Procureur général du Canada et al. (A-445-14);

•           Conseil de la Nation haïda et al. c. Procureur général du Canada et al. (A-446-14);

•           Nation des Haisla c. Procureur général du Canada et al. (A-447-14);

•           Conseil de bande de Kitasoo Xai’Xais et al. c. Sa Majesté la Reine et al. (A-448-14);

•           Bande des Nadleh Whut’en Band et al. c. Procureur général du Canada et al. (A-439-14);

•           Unifor c. Procureur général du Canada et al. (A-442-14).

[70]      Les avis d’appel qui suivent ont été déposés à l’encontre de la décision de l’Office national de l’énergie de délivrer les certificats (certificat OC-060 et certificat OC-061) :

•           ForestEthics Advocacy Association et al. c. Northern Gateway Pipelines et al. (A-514-14);

•           Nation Gitxaala c. Procureur général du Canada et al. (A-520-14);

•           Nation des Haisla c. Procureur général du Canada et al. (A-522-14);

•           Unifor c. Procureur général du Canada et al. (A-517-14).

[71]      Comme il a été mentionné ci-dessus, ces instances ont été réunies. La présente instance constitue l’une des plus imposantes entendues devant la Cour; environ 250 000 documents ont été présentés et de multiples parties ont comparu devant la Cour. Sept mois après la réunion des instances, et après plusieurs requêtes visant à régler des différends mineurs, les instances réunies étaient prêtes à être instruites. La Cour souhaite exprimer sa gratitude aux parties pour leur conduite exemplaire dans l’instruction rapide et efficace des instances ainsi réunies.

[72]      D’une manière générale, les instances réunies, mises ensemble, sollicitent une ordonnance annulant les décisions administratives en l’espèce au motif que, selon les principes de droit administratif, ces décisions sont déraisonnables ou incorrectes. Elles sollicitent aussi une ordonnance annulant le décret et les certificats, du fait que le Canada ne s’est pas acquitté de son obligation de consulter les peuples autochtones au sujet du projet.

[73]      Par conséquent, nous examinerons les décisions administratives sous l’angle des principes de droit administratif, et ensuite établir si le Canada s’est acquitté de son obligation de consulter les peuples autochtones.

E.        L’examen des décisions administratives au regard des principes de droit administratif

1)         Introduction

[74]      Il s’agit d’une affaire compliquée qui comporte des appels et des demandes de contrôle judiciaire concernant trois décisions administratives distinctes : le rapport de la Commission d’examen conjoint, le décret pris par le gouverneur en conseil et les certificats délivrés par l’Office national de l’énergie.

[75]      Dans des affaires compliquées comme celles en l’espèce, il est prudent de garder à l’esprit la méthodologie appropriée afin d’examiner les décisions administratives.

[76]      Certaines des décisions administratives ont été contestées au moyen d’un appel, d’autres au moyen d’une demande de contrôle judiciaire. Peu importe la manière par laquelle elles ont été contestées, nous devons les examiner de la même manière, soit la manière avec laquelle nous procédons lorsque nous examinons des demandes de contrôle judiciaire : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 [Khosa].

[77]      En gros, lors d’un contrôle judiciaire, nous tranchons toute question préliminaire, établissons la norme de contrôle applicable, appliquons cette norme de contrôle aux décisions administratives pour déterminer si la Cour devrait intervenir, et ensuite, si nous estimons que l’intervention est justifiée, nous décidons quelle réparation, le cas échéant, devrait être accordée. Voir, de manière générale, les arrêts Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150 [Boogaard], aux paragraphes 35 à 37; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 [Delios], au paragraphe 26; et Budlakoti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139, aux paragraphes 27 et 28.

[78]      Cependant, dans les affaires compliquées comportant de multiples éléments, comme celle en l’espèce, il est souvent utile de commencer au tout début. Qu’est-ce qui est examiné?

[79]      En l’espèce, nous devons nous pencher sur un régime législatif d’approbation de projets, comme le projet en l’espèce; ce régime qui prévoit la participation d’une Commission d’examen conjoint, du gouverneur en conseil et de l’Office national de l’énergie. Dans le cadre de leur participation, chacun d’entre eux rend, d’une manière ou d’une autre, une décision. Toutefois, ultimement, existe-t-il trois décisions pour les besoins de l’examen?

[80]      Avant d’aller de l’avant en ce qui concerne la méthodologie employée pour l’examen, il est souvent utile de décrire la ou les décisions en cause au regard du régime législatif sur lequel elles reposent. Après tout, le régime législatif est le droit applicable. En l’absence d’une opposition de nature constitutionnelle, le régime législatif doit toujours lier la Cour et orienter notre analyse.

[81]      Par conséquent, nous examinerons certaines des questions préliminaires soulevées par les parties. Nous analyserons ensuite le régime législatif en vue de comprendre la nature des décisions administratives prises en l’espèce. Ensuite, nous procéderons à l’examen à proprement parler, puis, au besoin, nous traiterons de la réparation.

2)         Les questions préliminaires

a)         La qualité pour agir de certaines parties

[82]      Northern Gateway conteste la qualité de la Coalition, de BC Nature et de Unifor à maintenir leurs instances.

[83]      Pour avoir la qualité pour agir directement dans une instance par laquelle une décision administrative est contestée, une partie doit démontrer que la décision a une incidence sur ses droits juridiques, qu’elle lui impose des obligations juridiques ou qu’elle lui occasionne un préjudice de quelque manière : Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c. Odynsky, 2010 CAF 307, sub nom. Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c. Canada, [2012] 2 R.C.F. 312 [ci-après appelé Odynsky]; La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Ltée c. Le ministre du Revenu national, [1976] 2 C.F. 500 (C.A.); et Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488.

[84]      Compte tenu de la preuve dont nous disposons, nous sommes convaincus que ces parties ont un intérêt juridique ou pratique suffisant pour maintenir les instances. Précédemment, au paragraphe 18, nous avons exposé les intérêts de ces parties. Nous relevons aussi que ces parties étaient toutes des intervenantes actives devant la Commission d’examen conjoint et qu’elles ont participé à la plus grande partie du processus de cette dernière. Selon nous, ces parties ont la qualité pour agir directement en ce qui a trait au maintien de leurs instances.

[85]      Northern Gateway s’est fondée sur la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75 [Forest Ethics] pour étayer son observation selon laquelle ces parties n’ont pas qualité pour agir.

[86]      Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a statué que Forest Ethics n’avait pas qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire de décisions interlocutoires rendues par l’Office national de l’énergie concernant la question de savoir qui pourrait participer à ces audiences, la pertinence de certaines questions ainsi que la participation d’une personne à l’audience. Dans les circonstances de cette affaire, les décisions de l’Office national de l’énergie n’avaient aucune incidence sur les droits de Forest Ethics, ne lui imposaient pas d’obligations juridiques ou ne lui occasionnaient aucun préjudice que ce soit, de sorte qu’elle n’avait pas qualité pour agir directement. Elle n’avait pas non plus qualité pour agir dans l’intérêt public selon les critères de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524. Il s’agissait plutôt d’un « trouble-fête » classique, au sens où l’entend la jurisprudence ([Forest Ethics], au paragraphe 33) :

[…] [Forest Ethics] demande à la Cour d’examiner une décision administrative qui ne la concerne en rien. Elle n’a demandé à l’Office aucune mesure de réparation ni réclamé une quelconque qualité pour agir. Elle n’a présenté aucune observation sur aucun sujet devant l’Office. En particulier, elle n’a présenté aucune observation à l’Office concernant les trois décisions interlocutoires.

[87]      Les circonstances sont complètement différentes dans l’affaire dont nous sommes saisis. Par conséquent, nous rejetons la contestation présentée par Northern Gateway relativement à la qualité pour agir de la Coalition, de BC Nature et Unifor en ce qui a trait au maintien des instances.

b)         L’admissibilité des affidavits

[88]      Dans leur mémoire, la Nation des Heiltsuk et la Nation de Kitasoo font valoir que les affidavits de Northern Gateway sont [traduction] « essentiellement des observations sous forme d’affidavit, et que la totalité de chaque affidavit […] ou, subsidiairement, les parties de chaque affidavit qui contreviennent aux règles devraient être radiées ». La Nation Gitxaala a repris à son compte ces observations.

[89]      Selon la règle 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, les affidavits présentés en appui à une instance « se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle ».

[90]      Nous convenons que certaines parties des affidavits déposés par Northern Gateway s’apparentent à des observations qui devraient être contenues dans un mémoire des faits et du droit et non dans un affidavit. Dans l’examen des instances réunies, nous avons fait abstraction des parties des affidavits de Northern Gateway qui posaient problème. Les affidavits de Northern Gateway contiennent des éléments de preuve admissibles dont nous avons tenu compte.

[91]      Northern Gateway a aussi fait valoir que d’autres affidavits déposés à la Cour, comme l’affidavit du conseiller en chef Ellis et la plupart des pièces jointes à l’affidavit du chef par intérim Clarence Innis, contenaient des parties contenant des arguments. Nous souscrivons à cette observation. Lorsque nous avons tranché la présente affaire, nous avons là aussi fait abstraction des parties de la preuve consistant en des arguments, et cela n’a pas eu d’incidence sur notre décision.

3)         Le régime législatif en détail

[92]      La présente affaire est la première dans le cadre de laquelle la Cour examine ce régime législatif, soit un régime qui intègre des éléments de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et dont le point d’orgue est un pouvoir décisionnel important accordé au gouverneur en conseil. Ce régime est unique; il n’existe pas de régime comparable dans le recueil des lois. Par conséquent, les affaires dans lesquelles la Cour se penchait sur d’autres régimes législatifs ne sont pas pertinentes pour les besoins de notre analyse.

[93]      Nous devons examiner ce régime législatif selon ses propres modalités, au regard du libellé du texte de loi, du contexte et de l’intention du législateur lors de la promulgation de textes de loi : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559. Lorsque le texte de loi est clair, comme c’est le cas en l’espèce, celui-ci prédominera dans l’analyse : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601.

[94]      Au sens large, d’après ce régime législatif, le proposant d’un projet présente une demande en vue d’obtenir un certificat d’approbation pour le projet.

[95]      En réponse à la demande, des renseignements seront recueillis, des évaluations sont réalisées, une évaluation environnementale est effectuée et des recommandations sont préparées puis présentées au gouverneur en conseil dans un rapport. Globalement, le gouverneur en conseil décide s’il délivre ou non le certificat en se fondant sur tous les éléments dont il dispose.

[96]      Si le gouverneur en conseil décide que le certificat peut être délivré, ce dernier peut aussi faire en sorte que l’Office rende un énoncé de décision dans lequel il expose les conditions se rapportant à l’atténuation des effets environnementaux et les mesures de suivi. L’énoncé de décision devient une partie du certificat, c.-à-d., que les mesures d’atténuation et de suivi doivent être respectées.

[97]      Dans les cas d’incertitude, le gouverneur en conseil peut renvoyer l’affaire pour que les recommandations fassent l’objet d’un nouvel examen. Après le nouvel examen, les recommandations sont retournées au gouverneur en conseil, pour que celui-ci prenne une décision.

[98]      Nous procédons maintenant à une analyse plus détaillée du régime législatif.

[99]      Dans la présente affaire, le processus décisionnel prévu dans la Loi sur l’Office national de l’énergie a été déclenché lorsque Northern Gateway a présenté une demande en vue d’obtenir des certificats pour le projet.

[100]   Deux étapes suivent la présentation d’une demande : l’étape du rapport et l’étape de la décision. Lors de la première, un rapport est préparé conformément à la Loi sur l’Office national de l’énergie. Dans les affaires comme celles en l’espèce, qui concernent un « projet désigné » au sens de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), le rapport doit aussi inclure le rapport de l’évaluation environnementale rédigé au titre de la Loi. En résumé, dans une affaire comme la présente, l’étape du rapport nécessite que les exigences prévues à la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) soient remplies.

[101]   Ce régime législatif accorde nombre de responsabilités à l’Office national de l’énergie, surtout à l’étape du rapport. En l’espèce, comme il a été mentionné, une Commission d’examen conjoint a été établie. Il s’agissait d’une « commission » pour les besoins de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et elle se substituait à l’Office national de l’énergie pour les besoins de l’étape du rapport, conformément à la Loi sur l’Office national de l’énergie. Donc, en l’espèce, les renvois à l’Office dans la législation devraient être considérés comme des renvois à la Commission d’examen conjoint pour les besoins de l’étape du rapport.

a)         L’étape du rapport : les exigences prévues à la Loi sur l’Office national de l’énergie

[102]   Tout d’abord, sous le régime du paragraphe 52(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, un rapport doit être établi et présenté à un ministre responsable de la coordination, pour transmission au gouverneur en conseil. Le paragraphe 52(1) prévoit que le rapport doit contenir une recommandation, à savoir si le certificat devrait être délivré et, dans l’affirmative, quelles conditions, le cas échéant, doivent figurer dans le certificat :

Rapport de l’Office

52 (1) S’il estime qu’une demande de certificat visant un pipeline est complète, l’Office établit et présente au ministre un rapport, qu’il doit rendre public, où figurent :

a) sa recommandation motivée à savoir si le certificat devrait être délivré ou non relativement à tout ou partie du pipeline, compte tenu du caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, du pipeline;

b) quelle que soit sa recommandation, toutes les conditions qu’il estime utiles, dans l’intérêt public, de rattacher au certificat si le gouverneur en conseil donne instruction à l’Office de le délivrer, notamment des conditions quant à la prise d’effet de tout ou partie du certificat.

[103]   Le paragraphe 52(2) prévoit que la recommandation de l’Office (en l’espèce, la Commission d’examen conjoint) contenue dans le rapport doit être fondée sur certains critères :

52 […]

Facteurs à considérer

(2) En faisant sa recommandation, l’Office tient compte de tous les facteurs qu’il estime directement liés au pipeline et pertinents, et peut tenir compte de ce qui suit :

a) l’approvisionnement du pipeline en pétrole, gaz ou autre produit;

b) l’existence de marchés, réels ou potentiels;

c) la faisabilité économique du pipeline;

d) la responsabilité et la structure financière du demandeur et les méthodes de financement du pipeline ainsi que la mesure dans laquelle les Canadiens auront la possibilité de participer au financement, à l’ingénierie ainsi qu’à la construction du pipeline;

e) les conséquences sur l’intérêt public que peut, à son avis, avoir la délivrance du certificat ou le rejet de la demande.

[104]   Les paragraphes 52(4) à 54(10) imposent à l’Office (en l’espèce la Commission d’examen conjoint) des échéanciers stricts pour ce qui est de la délivrance du rapport :

52 […]

Délai

(4) Le rapport est présenté dans le délai fixé par le président. Ce délai ne peut excéder quinze mois suivant la date où le demandeur a, de l’avis de l’Office, complété la demande. Le délai est rendu public par l’Office.

Période exclue du délai

(5) Si l’Office exige du demandeur, relativement au pipeline, la communication de renseignements ou la réalisation d’études et déclare publiquement, avec l’approbation du président, que le présent paragraphe s’applique, la période prise par le demandeur pour remplir l’exigence n’est pas comprise dans le calcul du délai.

Avis publics – période exclue

(6) L’Office rend publique, sans délai, la date où commence la période visée au paragraphe (5) et celle où elle se termine.

Prorogations

(7) Le ministre peut, par arrêté, proroger le délai pour un maximum de trois mois. Le gouverneur en conseil peut, par décret pris sur la recommandation du ministre, accorder une ou plusieurs prorogations supplémentaires.

Instructions du ministre

(8) Afin que le rapport soit établi et présenté en temps opportun, le ministre peut, par arrêté, donner au président instruction :

a) de fixer, en vertu du paragraphe (4), un délai identique à celui indiqué dans l’arrêté;

b) de donner, en vertu du paragraphe 6(2.1), les instructions qui figurent dans l’arrêté, ou de prendre, en vertu du paragraphe 6(2.2), les mesures qui figurent dans l’arrêté;

c) de donner, en vertu du paragraphe 6(2.1), des instructions portant sur une question précisée dans l’arrêté.

Caractère obligatoire

(9) Les décrets et arrêtés pris en vertu du paragraphe (7) lient l’Office et les arrêtés pris en vertu du paragraphe (8) lient le président.

Publication

(10) Une copie de l’arrêté pris en vertu du paragraphe (8) est publiée dans la Gazette du Canada dans les quinze jours de sa prise.

[105]   En l’espèce, comme il a été mentionné ci-dessus, la Commission d’examen conjoint était visée par une directive l’obligeant à terminer son rapport au plus tard le 31 décembre 2013.

[106]   Comme le prévoit clairement le paragraphe 52(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, le rapport est présenté au « ministre », que l’article 2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie définit comme étant « [l]e membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada chargé par le gouverneur en conseil de l’application de la présente loi ». Le rôle de ce ministre responsable de la coordination est de soumettre le rapport au gouverneur en conseil pour que ce dernier l’examine au titre des articles 53 et 54.

[107]   Une fois rédigé, le rapport est, « [s]ous réserve des articles 53 et 54 » de la Loi sur l’Office national de l’énergie, « définitif et sans appel ». Ces articles confèrent au gouverneur en conseil le pouvoir d’examiner le rapport et de décider ce qu’il faut en faire : paragraphe 52(11) de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

b)         L’étape du rapport : la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)

[108]   La deuxième chose qui s’est produite après que Northern Gateway eut demandé les certificats fut un processus d’évaluation environnementale. En l’espèce, cela était nécessaire. Le projet était un « projet désigné » au sens de l’article 2 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Par conséquent, selon le paragraphe 52(3) [de la Loi sur l’Office national de l’énergie], le rapport devait également contenir une évaluation environnementale établie sous le régime de cette loi :

52 […]

Évaluation environnementale

(3) Si la demande vise un projet désigné au sens de l’article 2 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), le rapport contient aussi l’évaluation environnementale de ce projet établi par l’Office sous le régime de cette loi.

[109]   Les évaluations environnementales doivent comprendre les évaluations des éléments énoncés aux articles 5 et 19 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Pour les besoins de l’espèce, il nous faut seulement faire un résumé général de ces éléments. Ils comprennent notamment les changements causés à l’air, au sol, à l’eau et aux organismes vivants qui habitent dans ces zones. Ils comprennent également l’examen des questions spécifiques au projet et de ses effets spécifiques sur l’environnement et sur les organismes vivants qui y habitent. Ils comprennent également les effets sur la santé et les conditions socioéconomiques des peuples autochtones, sur leur patrimoine naturel et culturel, sur l’usage courant des terres et des ressources à des fins traditionnelles, et sur les structures, sites ou choses qui ont une importance historique, archéologique, paléontologique ou architecturale.

[110]   L’évaluation environnementale n’est pas soumise dans son intégralité au gouverneur en conseil; ce n’est qu’un rapport sur celle-ci qui est soumis. Selon l’article 29 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), ce rapport doit comprendre des recommandations concernant le sujet dont il est question à l’alinéa 31(1)a) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), à savoir s’il existe des effets environnementaux négatifs et importants et, le cas échéant, s’ils sont justifiables.

[111]   L’article 29 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) est ainsi libellé :

Recommandations dans le rapport d’évaluation environnementale

29 (1) Si la réalisation d’un projet désigné requiert la délivrance d’un certificat au titre d’un décret pris en vertu de l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, l’autorité responsable à l’égard du projet veille à ce que figure dans le rapport d’évaluation environnementale relatif au projet :

a) sa recommandation quant à la décision pouvant être prise au titre de l’alinéa 31(1)a) relativement au projet, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation qu’elle précise dans le rapport;

b) sa recommandation quant au programme de suivi devant être mis en œuvre relativement au projet.

Présentation du rapport au ministre

(2) Elle présente son rapport au ministre au sens de l’article 2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie au même moment où elle lui présente le rapport visé au paragraphe 52(1) de cette loi.

Caractère définitif

(3) Sous réserve des articles 30 et 31, le rapport d’évaluation environnementale est définitif et sans appel.

c)       Examen par le gouverneur en conseil

[112]   À l’aide du rapport établi conformément aux dispositions susmentionnées de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), le gouverneur en conseil peut prendre sa décision concernant la demande de certificat présentée par le promoteur du projet, en l’espèce Northern Gateway.

[113]   Dans l’ensemble, le gouverneur en conseil dispose de trois choix :

1)         Il peut « donner à l’Office instruction de délivrer un certificat à l’égard du pipeline ou d’une partie de celui-ci et de l’assortir des conditions figurant dans le rapport » : alinéa 54(1)a) de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Si c’est ce choix qui est fait, l’Office n’a aucun pouvoir discrétionnaire. Il doit délivrer le certificat dans un délai de sept jours : paragraphe 54(5) de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

Dans le cadre de son examen, le gouverneur en conseil doit examiner si des effets environnementaux négatifs et importants seront causés et, le cas échéant, s’ils « sont justifiables dans les circonstances ». Dépendamment de sa décision, il se peut qu’il doive imposer des conditions qui doivent être respectées : article 53 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Il fait cela grâce à un mécanisme de « déclaration »; il donne à l’Office instruction de faire une déclaration : article 31 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). L’Office doit faire la déclaration dans un délai de sept jours et celle-ci fait partie du certificat : paragraphe 31(5) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).

2)         Il peut « donner à l’Office instruction de rejeter la demande de certificat » : alinéa 54(1)b) de la Loi sur l’Office national de l’énergie. S’il fait ce choix, l’Office n’a aucun pouvoir discrétionnaire. Il doit rejeter la demande de certificat dans un délai de sept jours : paragraphe 54(5) de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

3)         Il peut demander à l’Office de réexaminer les recommandations ou les conditions figurant dans son rapport, ou les deux : paragraphe 53(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie; paragraphe 30(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Il peut préciser la ou les questions qui doivent être réexaminées et le délai pour faire ce réexamen : paragraphe 53(2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie; paragraphe 30(2) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Une fois le réexamen achevé, l’Office soumet son rapport de réexamen. Le gouverneur en conseil examine ensuite le rapport de réexamen et fait de nouveau un choix entre ces trois options.

[114]   Selon la loi, le gouverneur en conseil doit choisir l’une de ces trois options dans un délai de trois mois et peut uniquement proroger ce délai par décret en ce sens : paragraphe 54(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

[115]   À titre indicatif, l’article 31 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), précité, prévoit ce qui suit :

Décisions du gouverneur en conseil

31 (1) Une fois que l’autorité responsable à l’égard d’un projet désigné a présenté son rapport d’évaluation environnementale ou son rapport de réexamen en application des articles 29 ou 30, le gouverneur en conseil peut, par décret pris en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie :

a) décider, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation précisées dans le rapport d’évaluation environnementale ou, s’il y en a un, le rapport de réexamen, que la réalisation du projet, selon le cas :

(i) n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants,

(ii) est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants qui sont justifiables dans les circonstances,

(iii) est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants qui ne sont pas justifiables dans les circonstances;

b) donner à l’autorité responsable instruction de faire une déclaration qu’elle remet au promoteur du projet dans laquelle :

(i) elle donne avis de la décision prise par le gouverneur en conseil en vertu de l’alinéa a) relativement au projet,

(ii) si cette décision est celle visée aux sous-alinéas a)(i) ou (ii), elle énonce les conditions que le promoteur est tenu de respecter relativement au projet, à savoir la mise en oeuvre des mesures d’atténuation et du programme de suivi précisés dans le rapport d’évaluation environnementale ou, s’il y en a un, le rapport de réexamen.

Certaines conditions subordonnées à l’exercice d’attributions

(2) Les conditions énoncées dans la déclaration qui sont relatives aux effets environnementaux visés au paragraphe 5(2) et qui sont directement liées ou nécessairement accessoires aux attributions qu’une autorité fédérale doit exercer pour permettre la réalisation en tout ou en partie du projet désigné sont subordonnées à l’exercice par l’autorité fédérale des attributions en cause.

Obligation de l’autorité responsable

(3) Dans les sept jours suivant la prise du décret, l’autorité responsable fait la déclaration exigée aux termes de celui-ci relativement au projet désigné et la remet au promoteur du projet.

Déclaration affichée sur le site Internet

(4) Elle veille à ce que la déclaration soit affichée sur le site Internet.

Présomption

(5) La déclaration faite au titre du paragraphe (3) relativement au projet désigné est réputée faire partie du certificat délivré au titre du décret pris en vertu de l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie relativement au projet.

[116]   À titre indicatif, l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, précité, prévoit ce qui suit :

Décret concernant la délivrance du certificat

54 (1) Une fois que l’Office a présenté son rapport en application des articles 52 ou 53, le gouverneur en conseil peut, par décret :

a) donner à l’Office instruction de délivrer un certificat à l’égard du pipeline ou d’une partie de celui-ci et de l’assortir des conditions figurant dans le rapport;

b) donner à l’Office instruction de rejeter la demande de certificat.

Motifs

(2) Le gouverneur en conseil énonce, dans le décret, les motifs de celui-ci.

Délais

(3) Le décret est pris dans les trois mois suivant la remise, au titre de l’article 52, du rapport au ministre. Le gouverneur en conseil peut, par décret pris sur la recommandation du ministre, proroger ce délai une ou plusieurs fois. Dans le cas où le gouverneur en conseil prend un décret en vertu des paragraphes 53(1) ou (9), la période que prend l’Office pour effectuer le réexamen et faire rapport n’est pas comprise dans le calcul du délai imposé pour prendre le décret.

Caractère définitif

(4) Les décrets pris en vertu des paragraphes (1) ou (3) sont définitifs et sans appel et lient l’Office.

Obligation de l’Office

(5) L’Office est tenu de se conformer au décret pris en vertu du paragraphe (1) dans les sept jours suivant sa prise.

Publication

(6) Une copie du décret pris en vertu du paragraphe (1) est publiée dans la Gazette du Canada dans les quinze jours de sa prise.

[117]   À titre indicatif, l’article 30 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), précité, qui prévoit un examen des recommandations environnementales, établies dans le rapport, est ainsi libellé :

Décret ordonnant un réexamen

30 (1) Une fois que l’autorité responsable à l’égard d’un projet désigné a présenté son rapport d’évaluation environnementale en vertu de l’article 29, le gouverneur en conseil peut, par décret pris en vertu de l’article 53 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, renvoyer toute recommandation figurant au rapport à l’autorité responsable pour réexamen.

Décret de renvoi

(2) Le décret peut préciser tout facteur dont l’autorité responsable doit tenir compte dans le cadre du réexamen ainsi que le délai pour l’effectuer.

Réexamen

(3) L’autorité responsable, dans le délai précisé — le cas échéant — dans le décret, réexamine toute recommandation visée par le décret, établit un rapport de réexamen et le présente au ministre au sens de l’article 2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

Rapport de réexamen

(4) Dans son rapport de réexamen, l’autorité responsable :

a) si le décret vise la recommandation prévue à l’alinéa 29(1)a) :

(i) d’une part, confirme celle-ci ou formule une autre recommandation quant à la décision pouvant être prise au titre de l’alinéa 31(1)a) relativement au projet,

(ii) d’autre part, confirme, modifie ou remplace les mesures d’atténuation précisées dans le rapport d’évaluation environnementale;

b) si le décret vise la recommandation prévue à l’alinéa 29(1)b), confirme celle-ci ou formule une autre recommandation quant au programme de suivi devant être mis en oeuvre relativement au projet.

Caractère définitif

(5) Sous réserve de l’article 31, le rapport de réexamen est définitif et sans appel.

Réexamen du rapport présenté en application du présent article

(6) Une fois que l’autorité responsable a présenté son rapport de réexamen en vertu du paragraphe (3), le gouverneur en conseil peut, par décret pris en vertu de l’article 53 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, renvoyer toute recommandation figurant au rapport à l’autorité responsable pour réexamen. Les paragraphes (2) à (5) s’appliquent alors mais, au sous-alinéa (4)a)(ii), la mention des mesures d’atténuation précisées dans le rapport d’évaluation environnementale vaut mention des mesures d’atténuation précisées dans le rapport de réexamen.

[118]   Et, enfin, à titre indicatif, le pouvoir de renvoi pour réexamen prévu à l’article 53 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, précité, est ainsi formulé :

Décret ordonnant un réexamen

53 (1) Une fois que l’Office a présenté son rapport en vertu de l’article 52, le gouverneur en conseil peut, par décret, renvoyer la recommandation ou toute condition figurant au rapport à l’Office pour réexamen.

Facteurs et délais

(2) Le décret peut préciser tout facteur dont l’Office doit tenir compte dans le cadre du réexamen ainsi que le délai pour l’effectuer.

Caractère obligatoire

(3) Le décret lie l’Office.

Publication

(4) Une copie du décret est publiée dans la Gazette du Canada dans les quinze jours de sa prise.

Obligation de l’Office

(5) L’Office, dans le délai précisé — le cas échéant — dans le décret, réexamine la recommandation ou toute condition visée par le décret, établit un rapport de réexamen et le présente au ministre.

Rapport de réexamen

(6) Dans son rapport de réexamen, l’Office :

a) si le décret vise la recommandation, confirme celle-ci ou en formule une autre;

b) si le décret vise une condition, confirme la condition visée par le décret, déclare qu’il ne la propose plus ou la remplace par une autre.

Conditions

(7) Peu importe ce qu’il mentionne dans le rapport de réexamen, l’Office y mentionne aussi toutes les conditions qu’il estime utiles, dans l’intérêt public, de rattacher au certificat si le gouverneur en conseil donne instruction à l’Office de délivrer le certificat.

Caractère définitif

(8) Sous réserve de l’article 54, le rapport de réexamen est définitif et sans appel.

Réexamen du rapport présenté en application du présent article

(9) Une fois que l’Office a présenté son rapport au titre du paragraphe (5), le gouverneur en conseil peut, par décret, renvoyer la recommandation ou toute condition figurant au rapport à l’Office pour réexamen. Les paragraphes (2) à (8) s’appliquent alors.

4)         Description du régime législatif

[119]   Ce régime législatif est un code complet en matière décisionnelle en ce qui concerne les demandes de délivrance de certificat. Les autres régimes législatifs ne sont applicables que s’ils sont expressément insérés dans ce code, et ce, uniquement dans la mesure où ils sont insérés dans le code.

[120]   Le régime législatif révèle que, en matière d’examen, c’est le gouverneur en conseil qui est le seul véritable décideur.

[121]   Avant que le gouverneur en conseil décide, d’autres personnes regroupent les renseignements, les analysent, les évaluent, les étudient et préparent un rapport qui énonce des recommandations que le gouverneur en conseil examine, puis décide ou non de les appliquer. Dans ce régime, seul le gouverneur en conseil décide.

[122]   Précisons que l’évaluation environnementale visée par la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) ne joue aucun rôle si ce n’est que faciliter l’élaboration des recommandations soumises au gouverneur en conseil afin qu’il prenne en considération le contenu de toute déclaration et s’il doit donner instruction qu’un certificat approuvant le projet soit délivré.

[123]   Il s’agit d’un rôle très mince, différent du rôle joué par les évaluations environnementales prévues dans d’autres régimes décisionnels fédéraux. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur le bien-fondé de la politique formulée et mise en œuvre dans ce régime législatif. Nous devons plutôt interpréter la loi telle qu’elle est rédigée.

[124]   En vertu de ce régime législatif, le gouverneur en conseil seul peut déterminer si le processus de regroupement, d’analyse, d’évaluation et d’étude est lacunaire au point que le rapport ne se qualifie pas comme un « rapport » au sens de la législation :

•           Dans le cas d’un rapport ou de parties de rapport concernant l’évaluation environnementale, le paragraphe 29(3) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) prévoit que celui-ci est « définitif et sans appel », mais ceci « [s]ous réserve des articles 30 et 31 ». Les articles 30 et 31 prévoient que le gouverneur en conseil examine le rapport et, s’il l’ordonne, un réexamen sera fait et un rapport de réexamen lui sera soumis.

•           Dans le cas d’un rapport établi au titre de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, le paragraphe 52(11) de la Loi sur l’Office national de l’énergie prévoit que celui-ci est également « définitif et sans appel », « [s]ous réserve des articles 53 et 54 » cependant. Ces articles habilitent le gouverneur en conseil à examiner le rapport et à décider ce qu’il faut en faire.

[125]   Dans le cas qui nous occupe, plusieurs parties ont présenté des demandes de contrôle judiciaire à l’égard du rapport de la Commission d’examen conjoint. Dans le cadre du régime législatif applicable en l’espèce, ces demandes de contrôle judiciaire n’étaient pas recevables. Aucune décision sur des intérêts juridiques ou pratiques n’avait été rendue. Selon le régime législatif applicable en l’espèce, comme il a déjà été mentionné, toute lacune dans le rapport de la Commission d’examen conjoint devait être examinée uniquement par le gouverneur en conseil et non par la Cour. Par conséquent, ces demandes de contrôle judiciaire doivent être rejetées.

[126]   Selon le régime législatif applicable en l’espèce, c’est l’Office national de l’énergie qui prend officiellement la décision, même si en fait il ne décide rien. Après que le gouverneur en conseil a décidé qu’un projet proposé devrait être approuvé, il ordonne à l’Office national de l’énergie de délivrer un certificat, avec ou sans déclaration. L’Office national de l’énergie n’a aucun pouvoir discrétionnaire indépendant à exercer ni aucune décision indépendante à prendre après que le gouverneur en conseil a tranché l’affaire. Il obéit tout simplement aux directives formulées par le gouverneur en conseil dans son décret.

[127]   Dans le cas qui nous occupe, un certain nombre de parties ont déposé des avis d’appel visant les certificats délivrés par l’Office national de l’énergie. Celles-ci, ainsi que d’autres parties, ont déposé des avis de demande à l’encontre du décret du gouverneur en conseil ordonnant à l’Office national de l’énergie de délivrer les certificats. Nous sommes d’avis que, selon le régime législatif applicable en l’espèce, la contestation principale doit viser le décret du gouverneur en conseil, car il déclenche automatiquement la délivrance des certificats. Si le décret du gouverneur en conseil est invalide, alors, selon nous, les certificats délivrés par l’Office national de l’énergie sont automatiquement invalides. Tel que mentionné au début de ces motifs, puisque nous annulerions le décret, les certificats délivrés en vertu de ce décret doivent également être annulés.

5)         La norme de contrôle

[128]   Après avoir examiné de façon exhaustive le régime législatif et après avoir conclu que le décret du gouverneur en conseil est la décision qui doit faire l’objet d’un contrôle, nous pouvons maintenant nous pencher sur la question de la norme de contrôle applicable.

[129]   Un certain nombre des parties à l’instance ont prétendu que la norme de contrôle applicable au décret pris en l’espèce par le gouverneur en conseil a déjà été établie par la Cour : Conseil des Innus de Ekuanitshit c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 189 [Innus de Ekuanitshit].

[130]   Dans l’affaire Innus de Ekuanitshit, le gouverneur en conseil avait pris un décret approuvant une réponse gouvernementale à une commission d’examen conjoint établie en vertu de la version de 1992 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale. La Cour a notamment conclu que le défaut de suivre correctement le processus prévu par la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale pouvait entraîner l’invalidité du décret qui avait été pris ultérieurement.

[131]   Bon nombre des demandeurs/appelants Premières Nations prétendent que les processus prévus en l’espèce par la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) n’ont pas été correctement suivis et que, par conséquent, selon l’arrêt Innus de Ekuanitshit, le décret dont il est question en l’espèce devrait être annulé.

[132]   À première vue, l’affaire Innus de Ekuanitshit semble analogue à l’affaire dont nous sommes saisis. Dans les deux cas, un décret a été pris après que le processus prévu par la loi fédérale sur l’évaluation environnementale a été suivi. Toutefois, un examen plus approfondi révèle que, en fait, dans l’affaire Innus de Ekuanitshit le cadre législatif applicable était fondamentalement différent. Pour comprendre les différences, nous devons examiner plus attentivement l’affaire Innus de Ekuanitshit.

[133]   Dans l’affaire Innus de Ekuanitshit, la Cour examinait une décision rendue par trois ministères fédéraux et un décret par lequel le gouverneur en conseil avait ultérieurement approuvé la décision. Le décret avait été pris et la décision avait été rendue après qu’un processus d’évaluation environnementale concernant un projet hydroélectrique eut été suivi.

[134]   Le décret du gouverneur en conseil approuvait la réponse du gouvernement fédéral à un rapport d’une commission d’examen conjoint établie en vertu de la version de 1992 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale. Le décret avait été pris en vertu de l’article 37 de cette loi.

[135]   En examinant le décret du gouverneur en conseil, la Cour s’est demandé si le gouverneur en conseil et les ministères « avaient respecté les exigences de la [Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 1992] avant de rendre leurs décisions » (au paragraphe 39). Elle a conclu (aux paragraphes 40 et 41) qu’elle ne pouvait intervenir dans le décret du gouverneur en conseil que si elle concluait que : le processus législatif n’a pas été correctement suivi avant que le gouverneur en conseil prenne sa décision, le gouverneur en conseil a pris sa décision sans égard à l’objet de la Loi ou sa décision est, dans les faits, dénuée de fondement.

[136]   Nous sommes bien entendu liés par la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Innus de Ekuanitshit. Toutefois, nous sommes d’avis que, dans le contexte du régime législatif différent et tout à fait particulier de l’espèce, cette décision n’établit pas une norme de contrôle qui doit être appliquée à la décision du gouverneur en conseil.

[137]   Lorsque l’on détermine la norme de contrôle qui s’applique, on ne peut pas adopter une approche universelle à l’égard d’un décideur particulier. Par contre, lorsque l’on détermine la norme de contrôle qui s’applique, il est nécessaire de comprendre, à la lumière de la disposition en vertu de laquelle la décision en cause a été rendue, de la structure de la loi et des objectifs généraux visés par la loi, la décision particulière qui a été rendue.

[138]   La norme de contrôle applicable à la décision du gouverneur en conseil établie dans l’arrêt Innus de Ekuanitshit peut avoir du sens si la Cour révise une décision du gouverneur en conseil d’approuver une décision rendue par d’autres en fonction d’une évaluation environnementale. La décision du gouverneur en conseil est fondée en grande partie sur l’évaluation environnementale. Les considérations d’ordre politique et les autres considérations de nature diffuse n’ont pas beaucoup d’influence sur la décision.

[139]   Toutefois, en l’espèce, la décision du gouverneur en conseil, c’est-à-dire le décret, est le produit issu de son examen des recommandations qui lui ont été faites dans le rapport. La décision n’est pas simplement issue d’un examen d’une évaluation environnementale. Et les recommandations faites au gouverneur en conseil visent plus que les facteurs mentionnés dans l’évaluation environnementale. Elles comportent plutôt un certain nombre de facteurs de nature polycentrique et de facteurs de nature diffuse.

[140]   Lorsqu’il procède à son évaluation, le gouverneur en conseil doit soupeser un grand nombre de facteurs, dont la plupart, comme les facteurs de nature économique, sociale, culturelle, environnementale et politique, relèvent davantage de la compétence de l’exécutif. Rappelons que selon le paragraphe 52(2), ces facteurs doivent être inclus dans le rapport qui est examiné par le gouverneur en conseil.

[141]   La nature imprécise et l’étendue du pouvoir discrétionnaire que le gouverneur en conseil doit exercer sont illustrées par le fait que le rapport établi selon l’article 52 que le gouverneur en conseil reçoit peut comprendre « les conséquences sur l’intérêt public que peut, à son avis, avoir la délivrance du certificat ou le rejet de la demande » : paragraphe 52(2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

[142]   Pour préciser la portée du pouvoir discrétionnaire d’un décideur administratif, il est parfois utile de se pencher sur la nature de l’entité à qui ce pouvoir discrétionnaire est reconnu : Odynsky, précité, au paragraphe 76. À l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie et à l’article 30 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), le législateur a désigné le gouverneur en conseil comme étant l’entité qui reçoit et examine le rapport selon l’article 52. Le gouverneur en conseil est le gouverneur général, agissant sur l’avis du Premier ministre et du Cabinet. (Pour cette raison, dans ces motifs, nous référons au gouverneur en conseil comme étant « il », en reconnaissance de son statut d’un ensemble de personnes.) Au Canada, le pouvoir exécutif est exercé par la Couronne, cette dernière étant alors assujettie au devoir de consulter les peuples autochtones — et le gouverneur en conseil est l’organe consultatif, certains pourraient dire le réel instigateur, pour l’exercice d’une grande partie de cette autorité exécutive. Voir de façon générale A. O’Brien et M. Bosc, House of Commons Procedure and Practice, 2e éd. (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2009), aux pages 18 à 23 et 28 à 32; Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], articles 9, 10 et 13.

[143]   Dans l’arrêt Odynsky, la Cour a décrit comme suit la nature pratique du gouverneur en conseil (au paragraphe 77) :

Selon le paragraphe 35(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, le « gouverneur en conseil » est le « gouverneur général du Canada agissant sur l’avis ou sur l’avis et avec le consentement du Conseil privé de la Reine pour le Canada ou conjointement avec celui-ci ». Voir également la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], articles 11 et 13. Tous les ministres fédéraux, et non seulement le ministre de la Citoyenneté sont membres en exercice du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Ils siègent au sein d’un organisme connu sous le nom de Cabinet. Le Cabinet est [traduction] « dans une mesure hors du commun, l’organe supérieur de coordination des intérêts provinciaux, régionaux, religieux, raciaux et autres propres à l’ensemble de la nation » et par convention, cet organisme tente d’assurer la représentation des divers groupes géographiques, linguistiques, religieux et ethniques : Norman Ward, Dawson’s The Government of Canada, 6e éd., Toronto, University of Toronto Press, 1987, pages 203 et 204; Richard French, « The Privy Council Office : Support for Cabinet Decision Making » dans Richard Schultz, Orest M. Kruhlak et John C. Terry, dir., The Canadian Political Process, 3e éd., Toronto : Holt, Rinehart [et] Winston of Canada, 1979, aux pages 363 et 394.

[144]   En l’espèce, en confiant le pouvoir décisionnel au gouverneur en conseil, le législateur a impliqué le pouvoir décisionnel du Cabinet, une entité au sein de laquelle la politique générale de l’État est débattue de multiples points de vue représentant les divers intérêts des groupes qui composent le gouvernement. Et en définissant de façon large ce qui peut être inséré dans le rapport sur lequel le gouverneur en conseil se fondera pour prendre sa décision, c’est-à-dire carrément tout ce qui a des conséquences sur l’intérêt public, le législateur est présumé avoir voulu que la décision en cause en l’espèce repose sur le fondement le plus large possible, un fondement qui peut comprendre les considérations d’intérêt public les plus larges possible.

[145]   La norme de contrôle applicable aux décisions comme celle en cause en l’espèce, c’est-à-dire les décisions discrétionnaires fondées sur les considérations d’ordre politique et d’intérêt public les plus larges possible, est la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir], au paragraphe 53.

[146]   La norme de la décision raisonnable procède du principe que pour être raisonnable une décision doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et que le tribunal dispose d’une marge de manœuvre dans l’appréciation du problème dont il est saisi : Dunsmuir, au paragraphe 47. La notion d’appartenance aux issues possibles acceptables donne à penser que différentes décisions, de par leur nature, pourront appartenir à un nombre plus ou moins grand d’issues possibles acceptables : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, aux paragraphes 17, 18 et 23; Khosa, au paragraphe 59; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, aux paragraphes 37 à 41. Par exemple, dans le cas d’une question d’interprétation législative où le libellé de la loi est précis, le nombre d’issues possibles acceptables sera moins grand que dans le cas où le libellé est plus large et plus vague et où les considérations de politique générale peuvent servir dans une large mesure à interpréter correctement la loi.

[147]   Dans le même ordre d’idées, certaines décisions rendues par des décideurs administratifs relèvent davantage de l’expertise et de l’expérience de l’exécutif que de celles des tribunaux. En ce qui concerne ces décisions, les tribunaux doivent accorder aux décideurs administratifs une plus grande marge d’appréciation : voir, par exemple, Delios, au paragraphe 21; Boogaard, au paragraphe 62; Forest Ethics, au paragraphe 82.

[148]   Récemment, la Cour a utilement comparé deux types de décisions administratives. Dans le premier cas, elle a invité les tribunaux à réviser les décisions intensément, et un peu moins dans le dernier cas (Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143, au paragraphe 25) :

[traduction] […] Aux fins du présent appel, on peut utilement comparer deux types de procédures administratives. D’une part, il y a les affaires où le décideur administratif apprécie le comportement d’une personne, ou d’un groupe connu de personnes, en fonction de critères concrets, et où les effets possibles sur les intérêts juridiques ou pratiques des personnes sont importants, et où les questions relèvent quelque peu de la compétence des juges. À titre d’exemple, signalons le cas de la personne qui, dans le cadre d’une procédure de discipline professionnelle, est accusée d’avoir violé un code disciplinaire et est exposée à de graves conséquences sur le plan juridique ou pratique, comme, par exemple, des restrictions, des interdictions ou des pénalités. D’autre part, il y a les affaires où le décideur administratif apprécie quelque chose de plus large et de plus diffus, en se servant de critères polycentriques, subjectifs ou vagues pour trancher l’affaire, des critères qui relèvent habituellement davantage de l’exécutif que des juges.

[149]   Dans la même veine, la Cour, à la majorité, a récemment déclaré ce qui suit (Paradis Honey Ltd. c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 89, [2016] 1 R.C.F. 446, au paragraphe 136) :

[…] lorsque la décision est claire ou visée par la jurisprudence ou par des normes législatives claires, la marge d’appréciation est étroite (voir, par exemple, McLean [c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895]; Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266; Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203; Da Huang c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 228, [2015] 4 R.C.F. 437) […] En revanche, si la décision est imbue d’éléments subjectifs, de considérations de politique et d’expériences de réglementation ou relève exclusivement de l’exécutif, la marge d’appréciation est plus large (voir, par exemple, [Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006]; Rotherham Metropolitan Borough Council & Ors, R (on the application of) v. Secretary of State for Business Innovation and Skills, 2015 UKSC 6 (BAILII)).

[150]   Bien que le régime législatif en cause en l’espèce soit particulier, certains décideurs administratifs, comme, en l’espèce, le gouverneur en conseil, sont autorisés à prendre des décisions en fonction de considérations d’intérêt public générales et de considérations d’ordre politique et d’ordre économique, dont ils apprécient les effets néfastes. À titre d’exemple, mentionnons la décision rendue par l’Alberta Utilities Commission dans FortisAlberta Inc. v. Alberta (Utilities Commission), 2015 ABCA 295, 389 D.L.R. (4th) 1. Dans des mots qui s’appliquent à l’espèce, la Cour d’appel de l’Alberta, accordant une très grande marge d’appréciation à la Commission, a confirmé la décision de la Commission (aux paragraphes 171 et 172) :

[traduction] Le législateur a confié à la Commission un rôle de nature politique qui comprend le mandat clair d’agir dans l’intérêt public : voir, par exemple, les paragraphes 16(1) et 17(1) de l’Alberta Utilities Commission Act. Son mandat comprend la création d’une application équilibrée et prévisible des principes à la relation entre les revenus, les dépenses et les éléments d’actif (amortissables et non amortissables) des services publics, d’une part, et les attentes raisonnables des contribuables qui reçoivent des services et payent pour ceux-ci, d’autre part. Le traitement d’actifs délaissés est, à la base, une question de politique guidée par des considérations d’intérêt public. Le choix de politique de la Commission, tel qu’exprimé dans la [décision], est légitime et défendable et relève tout à fait du pouvoir que lui confère la loi.

Il faut également se rappeler que les questions soulevées comportent des aspects politiques et économiques. Les tribunaux sont mal placés pour formuler des opinions sur de telles questions. Le contrôle judiciaire s’attache à la portée ou à l’étendue de la compétence, mais, selon la loi, c’est à la Commission qu’il incombe de choisir une politique parmi la gamme de choix qui lui sont offerts et celle-ci est habilitée et chargée de faire ce choix.

(Voir également Trinity Western University v. Law Society of Upper Canada, 2015 ONSC 4250, 126 O.R. (3d) 1, au paragraphe 37; Odynsky, précité, aux paragraphes 81, 82 et 86.)

[151]   La Cour suprême a elle-même reconnu que, « [e]n règle générale, il y a lieu à plus de déférence lorsque la loi vise à résoudre et à pondérer des objectifs de politique contradictoires ou les intérêts de groupes différents ». Selon elle, « [u]ne loi dont l’objet exige qu’un tribunal choisisse parmi diverses réparations ou mesures administratives, qui concerne la protection du public, qui fait intervenir des questions de politiques ou qui comporte la pondération d’intérêts ou de considérations multiples, exige une plus grande déférence de la part de la cour de révision » (voir Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, aux paragraphes 30 et 31).

[152]   Les propos de tous ces tribunaux sont pertinents en l’espèce; le gouverneur en conseil a droit à une très large marge d’appréciation lorsqu’il prend sa décision discrétionnaire en fonction des très larges considérations de politique et d’intérêt public prévues aux articles 53 et 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

[153]   Nous reconnaissons que, parfois, le gouverneur en conseil prend des décisions dont la teneur est quelque peu juridique. Dans ces cas, prévus par des dispositions législatives précises, la marge d’appréciation que les tribunaux accordent au gouverneur en conseil sera étroite : voir, par exemple, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135; Public Mobile Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 194, [2011] 3 R.C.F. 344.

[154]   Mais, en l’espèce, la décision discrétionnaire du gouverneur en conseil était fondée sur des considérations de politique et d’intérêt public très larges appréciés en fonction de critères polycentriques, subjectifs ou vagues et était influencée par ses opinions sur les considérations d’ordre économique, culturel et environnemental et par l’intérêt public général.

[155]   Les retombées économiques associées à la construction et à l’exploitation d’un système de transport qui permettra d’exploiter les ressources pétrolières de l’Alberta et de les rendre plus facilement accessibles partout dans le monde l’emportent-t-elles sur les effets néfastes, réels ou possibles, y compris les effets sur l’environnement et, plus particulièrement, sur les éléments mentionnés sous la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)? Dans quelle mesure les conditions auxquelles Northern Gateway doit satisfaire, dont plusieurs concernent des questions techniques qui ne peuvent être évaluées et soupesées que par des experts, allègent ces inquiétudes? Et compte tenu de l’ensemble de ces considérations, disposait-on de suffisamment de renseignements de haute qualité pour que le gouverneur en conseil puisse soupeser l’ensemble des considérations et évaluer correctement l’affaire? C’est le genre de questions que le régime législatif en cause en l’espèce envoie au gouverneur en conseil. Selon la jurisprudence susmentionnée qui nous lie, nous devons accorder au gouverneur en conseil, quant à ces questions, la marge d’appréciation la plus large possible.

6)         La décision du gouverneur en conseil était raisonnable selon les principes du droit administratif

[156]   Compte tenu des motifs qui précèdent et du dossier soumis au gouverneur en conseil, nous ne sommes pas convaincus que, selon les principes du droit administratif, la décision du gouverneur en conseil était déraisonnable.

[157]   Le gouverneur en conseil avait le droit d’apprécier la suffisance des renseignements et des recommandations qu’il avait reçus, de soupeser l’ensemble des considérations économiques, culturelles, environnementales, et autres, et de conclure comme il l’a fait. Décider autrement équivaudrait à remettre en question l’appréciation des faits du gouverneur en conseil, son choix de politique, son accès à de l’expertise scientifique, son évaluation et son appréciation des considérations d’intérêt public opposées, des questions qui ne relèvent aucunement de la compétence des tribunaux.

[158]   Toutefois, cette conclusion ne met pas fin à l’analyse.

[159]   Toutes les parties à l’instance ont reconnu que le Canada est tenu de consulter les peuples autochtones à propos du projet. Toutes les parties ont accepté que si cette obligation n’était pas remplie, le décret ne pouvait pas être maintenu. Selon nous, ces concessions sont opportunes.

[160]   L’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie ne fait pas mention de l’obligation de consulter. Toutefois, en 2012, lorsque le législateur a adopté l’article 54 dans sa forme actuelle, l’obligation de consulter était bien établie dans notre droit. Comme toutes les parties à l’instance l’ont reconnu, il est inconcevable que l’article 54 puisse s’appliquer d’une manière qui écarte l’obligation de consulter. Il faudrait des termes très précis pour obtenir cet effet. Et si ces termes précis figuraient dans l’article 54, il serait possible de prétendre que l’article 54 est incompatible avec la reconnaissance et la confirmation des droits ancestraux prévus au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et est, par conséquent, invalide. Un certain nombre des Premières Nations parties à l’instance étaient prêtes, au besoin, à faire valoir ces arguments et elles ont déposé des avis de questions constitutionnelles en ce sens.

[161]   En matière d’interprétation des lois, un principe bien établi veut que les dispositions législatives qui peuvent se voir attribuer plusieurs sens doivent être interprétées de façon à confirmer leur constitutionnalité : Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, au paragraphe 32; R. c. Clarke, 2014 CSC 28, [2014] 1 R.C.S. 612, aux paragraphes 14 et 15. Le législateur est censé vouloir que ses lois soient valides et exécutoires; il ne veut pas adopter des dispositions qui sont invalides et qui ne sont pas exécutoires.

[162]   De plus, en matière d’interprétation des lois, un principe bien établi veut que les interprétations qui mènent à des résultats absurdes ou inéquitables doivent être évitées : Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, au paragraphe 65.

[163]   L’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie et les articles connexes qui constituent le régime législatif que nous avons déjà décrit peut être interprété de façon à ce que l’obligation de consulter du Canada soit respectée et qu’il demeure valide. Nous interprétons ces articles de cette façon.

[164]   Selon l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, l’Office national de l’énergie, ou en l’espèce la Commission d’examen conjoint, soumet son rapport à un ministre coordonnateur qui soumet, au gouverneur en conseil, le rapport ainsi que tout autre mémoire ou renseignement. Rien n’empêche ce ministre coordonnateur, ou tout autre ministre qui est chargé de s’occuper de l’affaire, de soumettre au gouverneur en conseil les renseignements nécessaires pour le convaincre que l’obligation de consulter a été respectée, de recommander que d’autres conditions soient ajoutées à tout certificat d’approbation du projet délivré en vertu de l’article 54 afin d’accommoder les peuples autochtones ou de demander à l’Office national de l’énergie de réexaminer l’affaire et d’envisager d’ajouter d’autres conditions en vertu de l’article 53.

[165]   En l’espèce, le paragraphe 31(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 s’applique. Il prévoit que lorsqu’une loi accorde à un fonctionnaire de faire une chose, tous les pouvoirs dont celui-ci a besoin pour faire cette chose lui sont donnés :

31 […]

Pouvoirs complémentaires

(2) Le pouvoir donné à quiconque, notamment à un agent ou fonctionnaire, de prendre des mesures ou de les faire exécuter comporte les pouvoirs nécessaires à l’exercice de celui-ci.

[166]   La capacité du gouverneur en conseil d’examiner la question de savoir si le Canada s’est acquitté de son obligation de consulter et d’imposer des conditions est un pouvoir dont le gouverneur en conseil a essentiellement besoin pour pouvoir exercer le pouvoir qui lui est conféré par les articles 53 et 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Par ailleurs, les activités du ministre coordonnateur et des autres ministres concernant l’obligation de consulter sont des mesures essentielles que ceux-ci peuvent exécuter en conformité avec le paragraphe 31(2) de la Loi d’interprétation.

[167]   Cette conclusion est renforcée par la relation entre la Couronne et le gouverneur en conseil. Le devoir de consulter est imposé à la Couronne. Tel qu’expliqué au paragraphe 142 ci-haut, le gouverneur en conseil est fréquemment l’instigateur de l’exercice de l’autorité exécutive de la Couronne. Étant donné la relation entre le gouverneur en conseil et la Couronne, il va sans dire que le législateur a octroyé au gouverneur en conseil le pouvoir nécessaire d’examiner si la Couronne a rencontré son devoir de consulter et, si nécessaire, d’imposer des conditions conformément à l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

[168]   Par conséquent, nous sommes convaincus que, conformément à ce régime législatif, le gouverneur en conseil, lorsqu’il étudie un projet, conformément à la Loi sur l’Office national de l’énergie, peut examiner la question de savoir si le Canada s’est acquitté de son obligation de consulter. De plus, afin d’accommoder les préoccupations autochtones dans le cadre de son devoir de consultation, le gouverneur en conseil doit nécessairement avoir le pouvoir d’imposer des conditions quant à tout certificat qu’il ordonne à l’Office national de l’énergie de délivrer.

[169]   Bien que les parties n’aient pas sérieusement mis en doute la question de savoir si l’obligation de consulter pouvait coexister et être visée par la Loi sur l’Office national de l’énergie, elles mettent en doute, compte tenu des faits de l’espèce, la question de savoir si le Canada s’est en fait acquitté de son obligation de consulter. Nous examinons maintenant cette question.

F.         L’obligation de consulter les peuples autochtones

1)         Les principes juridiques

[170]   Il convient à ce stade-ci d’aborder brièvement la jurisprudence dans laquelle la portée et la teneur de l’obligation de consulter ont été examinées. Comme il a été mentionné au début des présents motifs, dans la mesure où cette jurisprudence s’applique à la présente instance, elle n’est pas contestée.

[171]   L’obligation de consulter découle du principe de l’honneur de la Couronne. L’obligation de consulter et, s’il y a lieu, celle d’accommoder font partie du processus de conciliation et de négociation honorable : Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511 [Nation haïda], au paragraphe 32.

[172]   L’obligation prend naissance lorsque la Couronne a connaissance concrètement ou par imputation de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur le droit ou le titre : Nation haïda, au paragraphe 35.

[173]   L’étendue ou la teneur de l’obligation de consulter est tributaire des faits. La consultation exigée est plus approfondie lorsque la revendication autochtone paraît de prime abord fondée et que l’effet sur le droit ou titre ancestral revendiqué est grave : Nation haïda, au paragraphe 39; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650 [Rio Tinto], au paragraphe 36.

[174]   Lorsque la revendication du titre est peu solide, le droit ancestral est limité ou le risque d’atteinte est faible, l’obligation de consulter se trouve à l’extrémité inférieure du continuum. En pareil cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés des mesures envisagées, de communiquer les renseignements pertinents et de discuter des questions soulevées par suite de l’avis : Nation haïda, au paragraphe 43. Lorsqu’une preuve à première vue solide de la revendication est établie, le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones, et le risque de préjudice non indemnisable est élevé, l’obligation de consulter se trouve à l’extrémité supérieure du continuum. Dans de tels cas, bien que les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la tenue d’un processus de consultation approfondie pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs écrits montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision : Nation haïda, au paragraphe 44.

[175]   Il est maintenant bien établi en droit que le législateur peut décider de déléguer à un tribunal administratif les aspects procéduraux de l’obligation de consulter. Les tribunaux administratifs appelés à examiner des questions ayant trait à une ressource et ayant une incidence sur des intérêts autochtones peuvent avoir l’obligation de consulter, avoir l’obligation de décider si une consultation adéquate a eu lieu, avoir les deux obligations, ou n’avoir ni l’une ni l’autre de ces obligations. Pour déterminer le mandat d’un tribunal administratif donné, il est pertinent de tenir compte des pouvoirs que lui confère sa loi habilitante, de la question de savoir s’il a le pouvoir d’examiner des questions de droit, et des pouvoirs de réparation dont il dispose : Rio Tinto, aux paragraphes 55 à 65.

[176]   Ainsi, par exemple, dans l’arrêt Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550 [Taku River], la Cour suprême du Canada a estimé qu’une évaluation environnementale était suffisante pour satisfaire aux exigences procédurales de l’obligation de consulter. Au paragraphe 40 des motifs de la Cour suprême, la juge en chef a écrit que la province n’était pas tenue de mettre sur pied, pour l’examen des préoccupations de la Première Nation, une procédure spéciale de consultation « différente de celle établie par [la loi environnementale de la C.-B.], qui requiert expressément la consultation des Autochtones concernés ». Par la suite, dans l’arrêt Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, au paragraphe 39, la Cour suprême a interprété l’arrêt Taku River de la manière suivante : la participation à un forum créé pour d’autres besoins peut tout de même satisfaire à l’obligation de consulter « si, pour l’essentiel, un niveau approprié de consultation a été rendu possible » [en italique dans l’original].

[177]   Dans l’arrêt Taku River, la Cour suprême a aussi reconnu que l’approbation du projet était « simplement l’étape du processus qui permet la mise en œuvre du projet » (au paragraphe 45). Ainsi, les préoccupations non résolues des Premières Nations pourraient être étudiées de façon plus efficace à des étapes ultérieures du processus d’élaboration. On s’attendait à ce que, à chacune des étapes (permis, licences et autres autorisations) ainsi que lors de l’élaboration d’une stratégie d’utilisation des terres, la Couronne continue de s’acquitter de son obligation de consulter, et, s’il y a lieu, d’accommoder.

[178]   Lorsque la Couronne se fonde sur un processus d’évaluation réglementaire ou environnemental pour s’acquitter de son obligation de consulter, cela ne veut pas dire que la Couronne délègue son obligation. C’est plutôt une façon pour la Couronne de s’assurer que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et, le cas échéant, que des accommodements ont été trouvés : Nation haïda, au paragraphe 53.

[179]   Le processus de consultation ne détermine pas un résultat concret particulier. Par conséquent, le processus de consultation ne donne pas aux groupes autochtones un droit de veto sur les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des terres en cause en attendant que la revendication soit établie de façon définitive. Il n’y a pas non plus d’obligation de parvenir à une entente; il y a plutôt obligation de procéder à de véritables consultations. Autrement dit, la perfection n’est pas requise. La question à laquelle il faut répondre est de savoir si, considéré dans son ensemble, le régime de réglementation respecte le droit ancestral en question : Nation haïda, aux paragraphes 42, 48 et 62.

[180]   Des consultations menées de bonne foi peuvent faire naître l’obligation d’accommoder. Lorsque la revendication est établie au moyen d’une preuve à première vue solide et que la mesure proposée risque de porter atteinte de manière appréciable aux droits visés par la revendication, l’honneur de la Couronne pourrait bien commander l’adoption de mesures pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences de l’atteinte : Nation haïda, au paragraphe 47.

[181]   Les deux parties sont tenues de faire preuve de bonne foi dans le processus de consultation : « Le fil conducteur du côté de la Couronne doit être “l’intention de tenir compte réellement des préoccupations [des Autochtones]” à mesure qu’elles sont exprimées […] dans le cadre d’un véritable processus de consultation » : Nation haïda, au paragraphe 42. Par ailleurs, les demandeurs autochtones ne doivent pas contrecarrer les efforts déployés de bonne foi par la Couronne et ne doivent pas non plus défendre des positions déraisonnables pour empêcher le gouvernement de prendre des décisions ou d’agir dans des cas où, malgré une véritable consultation, on ne parvient pas à s’entendre : Nation haïda, au paragraphe 42.

2)         La norme à laquelle le Canada est tenu pour s’acquitter de l’obligation

[182]   Le Canada n’est pas tenu à une norme de perfection lorsqu’il s’acquitte de son obligation de consulter. En l’espèce, les sujets à l’égard desquels des consultations étaient nécessaires étaient nombreux, complexes, dynamiques et mettaient en cause un bon nombre de parties. Parfois, en tentant de s’acquitter de cette obligation, il peut se produire des omissions, des malentendus, des accidents et des erreurs. En tentant de s’acquitter de cette même obligation, il y aura des questions de jugement difficiles sur lesquelles des personnes raisonnables ne s’entendront pas.

[183]   Pour déterminer si l’obligation de consulter a été satisfaite, « la perfection n’est pas requise », seulement des efforts raisonnables : Première Nation des Ahousaht c. Canada (Pêches et Océans), 2008 CAF 212, au paragraphe 54; Canada c. Première Nation de Long Plain, 2015 CAF 177, au paragraphe 133; Première nation Yellowknives Dene c. Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148, au paragraphe 56; Hameau de Clyde River c. TGS-NOPEC Geophysical Company ASA (TGS), 2015 CAF 179, [2016] 3 R.C.F. 167, au paragraphe 47.

[184]   La Cour suprême du Canada s’est ainsi exprimée (Nation haïda, au paragraphe 62) :

[…] La perfection n’est pas requise; il s’agit de se demander si, « considéré dans son ensemble, le régime de réglementation [ou la mesure gouvernementale] respecte le droit ancestral collectif en question » : [R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, au paragraphe 170]. Ce qui est requis, ce n’est pas une mesure parfaite mais une mesure raisonnable. Comme il est précisé dans [R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013, au paragraphe 110], « [l]e concept du caractère raisonnable doit […] entrer en jeu pour ce qui […] concern[e] l’information et la consultation. […] Dans la mesure où tous les efforts raisonnables ont été déployés pour informer et consulter, on a alors satisfait à l’obligation de justifier. » Le gouvernement doit déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter. Cela suffit pour satisfaire à l’obligation.

[185]   Par conséquent, la question est de savoir si des « efforts raisonnables pour informer et consulter » ont été déployés. En appliquant cette norme, nous avons pris soin de n’exiger, dans aucun cas, la perfection du Canada.

[186]   Cependant, en l’espèce, dans l’exécution de la phase IV de son processus de consultation, le Canada n’a pas déployé d’efforts raisonnables pour informer et consulter. Ses efforts ont été nettement insuffisants.

3)         Le processus de consultation

[187]   Comme nous l’avons expliqué précédemment, le Canada a reconnu dès le début du projet qu’il avait l’obligation de tenir un processus de consultation approfondie auprès des Premières Nations sur lesquelles le projet est susceptible d’avoir des répercussions en raison de la gravité des droits et des intérêts touchés. Le Canada soutient que, conformément à cette obligation, il a tenu un processus de consultation approfondie en cinq phases auprès de plus de 80 groupes autochtones, dont toutes les Premières Nations qui sont parties à la présente instance.

[188]   Les Premières Nations conviennent que le Canada avait l’obligation de tenir un processus de consultation approfondie. Cependant, elles font valoir que le processus comporte de nombreuses lacunes qui, selon elles, l’ont rendu inadéquat. Dans la présente section, nous examinerons la nature du processus de consultation, nous donnerons une brève description des préoccupations les plus importantes soulevées au sujet du processus, et nous examinerons la question de savoir si la Couronne a satisfait à son obligation de consulter.

[189]   Selon la description donnée par le Canada, le processus de consultation comporte ce qui suit :

•           Le Canada s’est engagé directement auprès des groupes autochtones concernés, tant avant qu’après le processus de la Commission d’examen conjoint. Ce processus de consultation comportait un examen du mandat de la Commission d’examen conjoint.

•           Le Canada a participé au processus de la Commission d’examen conjoint, et s’est fondé sur lui comme moyen efficace et utile pour :

i.          recueillir, distribuer et apprécier les renseignements relatifs aux effets préjudiciables que le projet pourrait avoir sur les droits et les intérêts ancestraux;

ii.         tenir compte des effets préjudiciables sur les droits et les intérêts ancestraux au moyen de l’évaluation des répercussions possibles sur l’environnement et de l’identification de mesures d’atténuation et d’évitement;

iii.        veiller à ce que, dans la mesure du possible, les préoccupations particulières des Autochtones soient entendues et, s’il y a lieu, accommodées.

•           Le Canada a remis environ 4 000 000 $ de financement à 46 groupes autochtones pour les aider à participer au processus de la Commission d’examen conjoint et aux consultations connexes de la Couronne.

•           Des motifs écrits ont été présentés aux groupes autochtones pour leur expliquer comment on avait répondu à leurs préoccupations.

[190]   Comme nous l’avons déjà souligné, et il convient de le rappeler, le processus de consultation du Canada comportait cinq phases distinctes :

1.         La phase I prévoyait l’engagement direct du Canada auprès des groupes autochtones avant le processus de la Commission d’examen conjoint, notamment au moyen de consultations sur l’ébauche de l’entente relative à la Commission d’examen conjoint et le mandat de la Commission d’examen conjoint.

2.         La phase II exigeait que le Canada fournisse des renseignements aux groupes autochtones au sujet du processus de la Commission d’examen conjoint en cours.

3.         La phase III prévoyait la participation du Canada et des groupes autochtones au processus de la Commission d’examen conjoint.

4.         La phase IV prévoyait la tenue de consultations directes supplémentaires entre le Canada et les groupes autochtones après le processus de la Commission d’examen conjoint, mais avant l’examen du projet par le gouverneur en conseil.

5.         La phase V prévoit la tenue de consultations supplémentaires sur les permis ou les autorisations que le Canada pourrait être appelé à accorder suivant la décision du gouverneur en conseil relativement au projet.

4)         Les lacunes qui auraient été relevées dans le processus de consultation

[191]   En bref, les préoccupations les plus importantes soulevées par les demandeurs/appelants Premières Nations au sujet de la nature du processus de consultation sont les suivantes :

a)         Le gouverneur en conseil a préjugé de l’approbation du projet.

b)         Le cadre de consultation a été imposé unilatéralement aux Premières Nations, étant donné qu’il n’y a pas eu de consultation sur celui-ci.

c)         Le Canada a fourni un financement inadéquat pour faciliter la participation des Premières Nations au processus de la Commission d’examen conjoint et aux autres processus de consultation.

d)         Il y a eu délégation excessive des pouvoirs pour le processus de consultation : la Commission d’examen conjoint n’était pas un forum de consultation légitime, et elle ne permettait pas la tenue de discussions entre le Canada et les Premières Nations concernées.

e)         Le Canada n’a pas apprécié la solidité des revendications de droits ou de titres ancestraux, ou n’a pas communiqué aux Premières Nations les résultats de son appréciation.

f)          Les consultations de la Couronne ne reflétaient pas les conditions, l’esprit et l’objet de certaines ententes entre le Canada et les Haïda.

g)         Dans le rapport de la Commission d’examen conjoint, trop de questions touchant les Premières Nations ont été laissées en suspens afin d’être décidées après l’approbation du projet.

h)        Le processus de consultation était trop générique. Le Canada et la Commission d’examen conjoint ont examiné les Premières Nations dans leur ensemble, et n’ont pas répondu de façon appropriée aux préoccupations particulières soulevées par les différentes Premières Nations.

i)          Suivant l’achèvement du rapport de la Commission d’examen conjoint, le Canada n’a pas mené de consultation adéquate auprès des Premières Nations au sujet de leurs préoccupations et n’a pas montré, au moyen de motifs, que ces préoccupations avaient été examinées et prises en compte dans la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet.

j)          Le Canada n’a pas apprécié ni examiné les titres ancestraux ou les droits de gouvernance des Premières Nations, et les répercussions sur ceux-ci n’ont pas non plus été prises en compte dans la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet.

Nous examinerons chacun de ces points.

a)         Le gouverneur en conseil a préjugé de l’approbation du projet

[192]   La Nation Gitxaala allègue que le Canada n’a pas mené des consultations de bonne foi et que cela a notamment donné lieu à une décision à l’avance de l’issue du processus d’approbation. À l’appui de cette observation, la Nation Gitxaala souligne ce qui suit :

•           Selon les déclarations faites par le ministre des Ressources naturelles de l’époque, qui ont été rapportées dans The Globe and Mail en juillet 2011, [traduction] « le projet est d’intérêt national » et les discussions entre les ministres porteront sur les façons [traduction] « [d’]améliorer le régime de réglementation afin qu’il soit moins redondant et plus équitable, transparent et indépendant, tout en tenant compte de la nécessité d’avoir un examen rapide ».

•           On a adopté un processus qui excluait tout examen véritable des titres ancestraux et des droits de gouvernance.

•           Le changement législatif apporté en 2012, une fois le processus d’examen amorcé, a modifié les pouvoirs de l’Office national de l’énergie, de façon à conférer au gouverneur en conseil le pouvoir de rendre des décisions définitives.

[193]   La Nation haïda souscrit à cette observation.

[194]   À notre avis, les deuxième et troisième préoccupations soulevées par la Nation Gitxaala n’appuient pas son argument selon lequel le Canada avait préjugé de l’issue, étant donné que de nombreuses raisons peuvent expliquer pourquoi le processus a été adopté et les pouvoirs de l’Office national de l’énergie ont été modifiés, et bon nombre de ces explications ne permettent pas de conclure que les résultats ont été décidés à l’avance. Des éléments de preuve équivoques ne peuvent pas étayer une allégation de partialité.

[195]   Les propos qu’aurait tenus le ministre des Ressources naturelles de l’époque sont plus préoccupants. Malgré cela, ces propos sont insuffisants pour établir qu’il y a eu partialité.

[196]   Dans l’arrêt Cie pétrolière Impériale ltée c. Québec (Ministre de l’Environnement), 2003 CSC 58, [2003] 2 R.C.S. 624, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que le contenu de l’obligation d’impartialité varie en fonction des activités du décideur et de la nature de la question à trancher.

[197]   En l’espèce, le décideur est le gouverneur en conseil, et la décision d’approuver le projet, qui comporte une appréciation de nombreuses considérations stratégiques et d’intérêt public, parfois contradictoires, est une décision à caractère hautement politique. Il ne s’agit pas d’une décision judiciaire ou quasi judiciaire.

[198]   En pareil cas, nous estimons que l’obligation d’impartialité du gouverneur en conseil n’a pas la même portée que celle qui incombe aux décideurs judiciaires ou quasi judiciaires.

[199]   Ainsi, les déclarations de membres du Cabinet individuels n’établissent l’existence de partialité que si la personne qui allègue la partialité démontre que les déclarations sont l’expression d’une opinion finale sur la question en litige. Autrement dit, il faut établir que le décideur s’était déjà fait une opinion, de sorte qu’il ne servait à rien de présenter des arguments la contredisant : (Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170).

[200]   Le fait qu’un ministre a formulé un commentaire des années avant la décision en litige n’est pas suffisant pour établir que l’issue de la décision du gouverneur en conseil avait été décidée à l’avance.

b)         Le cadre du processus de consultation a été imposé unilatéralement aux Premières Nations

[201]   La Nation des Haisla allègue que, bien qu’on lui ait donné la possibilité de formuler des commentaires sur l’ébauche de l’entente relative à la Commission d’examen conjoint, elle n’a pas été consultée dans le cadre du processus de consultation de la Couronne en tant que tel. Elle fait plutôt valoir que le Canada a choisi de façon unilatérale d’intégrer les consultations au processus de la Commission d’examen conjoint. Cet argument est adopté par la Nation haïda.

[202]   La Première Nation de Kitasoo Xai’Xais et la Nation des Heiltsuk font valoir que la Couronne ne les a pas consultées au sujet du processus d’examen en cinq phases, des répercussions de l’utilisation d’un processus d’audience pour la tenue des consultations et du choix du moment ou de la portée de ses consultations lors de la phase IV du processus de consultation.

[203]   Nous ne sommes pas d’accord que l’engagement initial envers les Premières Nations concernées et les consultations menées par la suite sur l’ébauche de l’entente relative à la Commission d’examen conjoint (c.-à-d., la phase I) comportaient des lacunes ou étaient déraisonnables. Du point de vue du droit, la Couronne a toute latitude pour définir la structure du processus de consultation et pour s’acquitter de son obligation de consulter (Cold Lake First Nation v. Alberta (Tourism, Parks & Recreation), 2013 ABCA 443, 556 A.R. 259, au paragraphe 39). Ce qui est requis, ce n’est pas un processus de consultation parfait, mais un processus raisonnable (Nation haïda, au paragraphe 62).

[204]   À la phase I, le processus de consultation comportait les étapes suivantes :

•           Suivant la réception d’une trousse d’information préliminaire remise par Northern Gateway, l’Office national de l’énergie, en collaboration avec les autres autorités fédérales responsables, a demandé que le ministre de l’Environnement de l’époque renvoie le projet à une commission d’examen. Le 29 septembre 2006, le ministre a renvoyé le projet à une commission d’examen et a publié l’ébauche de l’entente relative à la Commission d’examen conjoint pour une période de commentaires de 60 jours. Les groupes autochtones ont formulé de nombreux commentaires. Par la suite, le projet a été mis en suspens par Northern Gateway.

•           Northern Gateway a présenté le projet de nouveau et, le Canada, par l’entremise de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence), a par la suite communiqué avec plus de 80 groupes autochtones pour les informer du projet et des occasions de participer à la Commission d’examen conjoint et au processus de consultation connexe de la Couronne. L’Agence a donné des renseignements aux groupes que le Canada avait l’obligation de consulter. D’autres groupes autochtones ont par la suite communiqué avec l’Agence pour faire part de leur intérêt à l’égard du projet, et des renseignements leur ont été fournis. Certains des groupes autochtones avec qui l’Agence avait communiqué ont choisi de ne pas participer à la Commission d’examen conjoint ou au processus de consultation de la Couronne. L’Agence a communiqué avec les groupes autochtones tout au long du processus de consultation. Elle leur a demandé de fournir des commentaires sur l’ébauche de l’entente relative à la Commission d’examen conjoint, elle leur a fourni des renseignements sur les occasions de participation à la Commission d’examen conjoint et aux consultations subséquentes sur le rapport de la Commission d’examen conjoint, elle les a informés que des fonds pouvaient être fournis aux groupes pour qu’ils participent aux consultations, et elle a rencontré les groupes autochtones pour leur fournir d’autres précisions. La démarche suivie par le Canada pour les consultations a été décrite dans un document intitulé « Cadre de consultation auprès des Autochtones », qui a été mis à la disposition des groupes autochtones en novembre 2009.

•           Le Canada a apporté des modifications importantes au processus de la Commission d’examen conjoint en réponse aux préoccupations soulevées par les groupes autochtones concernés, notamment les modifications suivantes :

―        en réponse aux préoccupations soulevées par la Nation des Haisla et la Première Nation des Gitga’at, selon lesquelles les composantes marines du projet, dont la navigation maritime, ne relevaient pas du mandat de la Commission d’examen conjoint, le Canada a modifié la portée de l’examen du projet de façon à inclure le transport maritime de pétrole et de condensats;

―        en réponse aux préoccupations soulevées par la Nation des Haisla concernant la capacité de la Commission d’examen conjoint d’effectuer l’examen de l’évaluation environnementale et sa compétence pour le faire, le Canada a modifié le processus de sélection de la Commission d’examen conjoint pour veiller à ce que celle-ci puisse avoir recours aux services d’expert-conseils ou de conseillers spéciaux le cas échéant;

―        en réponse aux préoccupations soulevées par la Nation des Haisla, la Bande des Nak’azdli, la Première Nation des Gitga’at, la Nation Gitxaala et la Bande des Nadleh au sujet de la participation des Autochtones au processus de la Commission d’examen conjoint, le Canada a modifié l’entente relative à la Commission d’examen conjoint de façon à y inclure des dispositions exigeant que la Commission d’examen conjoint effectue son examen de façon à faciliter la participation des peuples autochtones et que Northern Gateway fournisse des éléments de preuve concernant les préoccupations des groupes autochtones.

[205]   Selon l’entente définitive relative à la Commission d’examen conjoint, cette dernière était tenue de faire ce qui suit :

•           examiner et aborder toutes les questions et les préoccupations des Autochtones se rapportant au projet et relevant de son mandat;

•           effectuer son examen de manière à faciliter la participation des peuples autochtones;

•           recevoir des éléments de preuve de Northern Gateway concernant les préoccupations des groupes autochtones;

•           recevoir de l’information des peuples autochtones concernant la nature ainsi que la portée des droits ancestraux et issus de traités susceptibles d’être touchés;

•           inclure dans son rapport des recommandations sur les mesures qu’il convient de prendre pour éviter ou atténuer les effets préjudiciables possibles sur les droits ainsi que les intérêts ancestraux et issus de traités ou les violations possibles de ceux-ci.

[206]   Enfin, le Canada a communiqué avec l’ensemble des demandeurs/appelants autochtones dans la présente instance, en novembre et en décembre 2009, pour veiller à ce qu’ils soient informés des modifications apportées au processus de la Commission d’examen conjoint, des activités de consultations en cours ainsi que de la disponibilité de fonds.

[207]   À notre avis, la preuve établit que le Canada reconnaît depuis le début son obligation de tenir un processus de consultation approfondie auprès de toutes les Premières Nations concernées. Lors de la phase I, il a fourni des renseignements sur le projet aux Premières Nations concernées, il a sollicité et obtenu des commentaires sur le processus de consultation proposé tel qu’il avait été initialement décrit dans l’ébauche de l’entente relative à la Commission d’examen conjoint et il a répondu de façon raisonnable aux préoccupations exprimées par les Premières Nations en apportant des modifications importantes à l’entente relative à la Commission d’examen conjoint.

[208]   Nous examinerons ci-dessous de façon plus détaillée l’argument selon lequel la Commission d’examen conjoint n’était pas un forum de consultation légitime. Nous sommes toutefois convaincus que des consultations ont été menées sur le cadre de consultation du Canada. Le cadre n’a pas été unilatéralement imposé et était raisonnable.

c)         Le financement fourni pour faciliter la participation au processus de la Commission d’examen conjoint et au processus de consultation était insuffisant

[209]   La Nation de Kitasoo et la Nation des Heiltsuk font valoir que le processus a nécessité le recours à des services juridiques considérables et occasionné des frais de déplacement importants, parce que les audiences de la Commission d’examen conjoint ont eu lieu à Prince Rupert et à Terrace, en Colombie-Britannique. Elles soulignent que, bien qu’environ 35 collectivités autochtones se soient inscrites en tant qu’intervenantes, seulement 12 Premières Nations ont contre-interrogé les groupes de témoins et seulement deux Premières Nations ont participé aux contre-interrogatoires tenus lors des audiences. Les Nations de Kitasoo et des Heiltsuk disent qu’elles n’avaient pas les moyens de présenter des rapports d’experts ou de retenir les services d’experts pour examiner les données exhaustives du promoteur. La Nation des Heiltsuk a sollicité 421 877 $ de financement pour toutes les phases, mais n’a reçu que 96 000 $. Pour la phase IV, la Nation de Kitasoo a sollicité 110 410 $ de financement, mais n’a reçu que 14 000 $.

[210]   Nous avons examiné attentivement les deuxièmes affidavits de Douglas Neasloss et de Marilyn Slett, qui comportent les éléments de preuve déposés à l’appui des arguments invoqués. Il ne fait aucun doute que le niveau de financement fourni a limité la participation au processus de la Commission d’examen conjoint. Cependant, les affidavits n’expliquent pas comment les montants ont été calculés et ne donnent aucun détail sur les ressources financières dont disposaient les Premières Nations en sus de celles fournies par le Canada. Par conséquent, la preuve ne permet pas d’établir que le financement dont disposaient les groupes autochtones était si insuffisant que le processus de consultation était devenu déraisonnable.

d)         Il y a eu délégation excessive des pouvoirs pour le processus de consultation

[211]   La Nation des Haisla souligne de nombreuses lacunes qui, selon elle, découlent du fait que la Couronne s’est fondée sur le processus de la Commission d’examen conjoint pour s’acquitter, du moins en partie, de son obligation de consulter. La Nation des Haisla fait valoir ce qui suit :

•           la tenue de consultations véritables nécessite un dialogue bilatéral, alors que le processus de la Commission d’examen conjoint était un processus quasi-judiciaire auquel la Couronne et la Nation des Haisla ne participaient pas directement;

•           la Commission d’examen conjoint n’a pas apprécié ni la nature ni la solidité de chacun des droits ancestraux revendiqués par la Première Nation et n’a pas apprécié la violation possible des droits ancestraux par le projet.

[212]   La Nation des Heiltsuk ajoute que les formalités du processus suivi par le tribunal quasi-judiciaire ont causé des frictions entre la Commission d’examen conjoint et elle, et elles ont restreint sa capacité de fournir tous les renseignements qu’elle voulait à des fins de consultation.

[213]   Nous ne sommes pas convaincus qu’il y a eu délégation excessive des pouvoirs pour le processus de consultation ou qu’il était déraisonnable pour le Canada d’intégrer le processus de la Commission d’examen conjoint au processus de consultation de la Couronne pour les motifs qui suivent.

[214]   Tout d’abord, dans l’arrêt Rio Tinto, au paragraphe 56, la Cour suprême du Canada a confirmé que la participation des Premières Nations concernées à un forum créé pour d’autres besoins, comme une évaluation environnementale, peut permettre à la Couronne de s’acquitter de son obligation de consulter. La question à trancher dans chaque affaire est de savoir si un niveau approprié de consultation a été rendu possible grâce à l’ensemble des mesures que la Couronne a prises pour s’acquitter de son obligation de consulter.

[215]   En l’espèce, nous sommes convaincus que le Canada n’a pas indûment délégué son obligation de consulter à la Commission d’examen conjoint, comme le démontre l’existence de la phase IV du processus de consultation, dans le cadre duquel il devait y avoir des consultations directes entre le Canada et les groupes autochtones concernés après le processus de la Commission d’examen conjoint et avant l’examen du projet par le gouverneur en conseil.

[216]   Le processus de la Commission d’examen conjoint a permis aux groupes autochtones concernés de connaître toutes les particularités de la nature du projet et de ses répercussions possibles sur leurs intérêts, tout en leur donnant l’occasion d’exprimer leurs préoccupations. Comme nous l’avons déjà souligné, l’entente relative à la Commission d’examen conjoint a donné à la Commission le mandat de recevoir de l’information sur les effets possibles du projet sur les droits et les titres ancestraux, d’envisager des mesures d’atténuation le cas échéant et de rendre compte des renseignements reçus directement des groupes autochtones au sujet des répercussions sur leurs droits.

[217]   De plus, nous retenons l’argument du procureur général selon lequel la loi donnait à la Commission d’examen conjoint le mandat d’examiner les questions d’atténuation, les questions d’évitement et les questions environnementales relatives au projet et la Commission d’examen conjoint avait l’expérience nécessaire pour le faire.

e)         Le Canada n’a pas apprécié la solidité juridique des revendications de droits ou de titres ancestraux des Premières Nations concernées, ou n’a pas communiqué à celles-ci les résultats de son appréciation

[218]   Dans cette section des motifs, nous considérons la prétention que le Canada n’a pas apprécié la solidité des revendications de droits ou de titres ancestraux des demandeurs/appelants Premières Nations. Nous considérons également la prétention que le Canada devait communiquer les résultats de son appréciation de la solidité de chaque revendication des Premières Nations.

[219]   Par exemple, la Nation Gitxaala affirme que, malgré des demandes répétées, les représentants du gouvernement chargés de la consultation n’ont pas apprécié la solidité de ses revendications en matière de droits de gouvernance et de titres ancestraux. De plus, elle n’a jamais reçu du Canada d’appréciation de la solidité de ses revendications. Elle fait valoir qu’il s’agit d’une erreur de droit qui minait totalement le processus de consultation. Cet argument est repris par la Première Nation des Gitga’at et la Nation des Haisla.

[220]   La Nation des Haisla ajoute que, par une lettre datée du 18 avril 2012, le ministre de l’Environnement de l’époque a avisé ses avocats de ce qui suit :

[traduction] Compte tenu des éléments de preuve considérables que la Nation des Haisla a déposés dans le cadre du processus de la Commission d’examen conjoint, le gouvernement fédéral est en train de mettre à jour son appréciation de la solidité de la revendication ainsi que de la portée des consultations et fournira une description de son analyse à la Nation des Haisla lorsque les travaux seront terminés et que les résultats seront prêts à être communiqués. Les résultats de cette nouvelle appréciation seront communiqués aux groupes susceptibles d’être concernés avant la tenue de consultations sur le rapport d’évaluation environnementale de la Commission (phase IV du processus de consultation). [Non souligné dans l’original.]

[221]   Le Canada n’a cependant jamais fourni à la Nation des Haisla une copie de la nouvelle appréciation ni l’analyse de la solidité de la revendication et de la portée des consultations.

[222]   Cependant, tel qu’il est mentionné dans la partie de la lettre dont l’extrait figure ci-dessus, le ministre ne s’est pas engagé à fournir l’analyse juridique effectuée à la Nation des Haisla. Il s’est engagé uniquement à fournir une description de l’analyse, que nous considérons comme étant un élément d’information. Lors de la phase IV, la Nation des Haisla a été avisée de façon générale d’élément d’information. Elle a été avisée que l’appréciation préliminaire de la solidité de la revendication [traduction] « étay[ait] le fait qu’à première vue, la Nation des Haisla a[vait] une revendication de droits et de titres ancestraux solide à l’égard de terres qui, selon elle, [faisaient] partie du territoire traditionnel des Haisla » : pièce H de l’affidavit d’Ellis Ross, à la page 152 du compendium de la Nation des Haisla.

[223]   Nous rejetons l’argument que le Canada n’a pas apprécié la solidité des revendications des Premières Nations. L’argument n’est pas supporté par la preuve.

[224]   Nous concluons également que le Canada n’était pas tenu de communiquer son analyse juridique portant sur la solidité des revendications. Au paragraphe 123 de l’arrêt Halalt First Nation v. British Columbia (Minister of Environment), 2012 BCCA 472, [2013] 1 W.W.R. 791, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a fait remarquer que, de façon inhérente, une appréciation juridique de la solidité d’une revendication est visée par le secret professionnel de l’avocat.

[225]   Nous devons rappeler que la solidité d’une revendication joue un rôle important dans la nature et le contenu du devoir de consulter. Le Canada doit communiquer les informations à cet égard et en discuter avec les Premières Nations concernées. Sur ce point, le Canada a échoué. Nous discutons de ce point plus bas mais pour les fins de la décision, nous n’estimons pas que le Canada devait communiquer son analyse juridique.

f)          Les consultations de la Couronne ne reflètent pas les conditions, l’esprit et l’objet des ententes avec les Haïda

[226]   Les Haïda ont conclu de nombreuses ententes avec le Canada et la Colombie-Britannique en vue de la gestion concertée de l’ensemble des zones terrestres et de certaines parties des zones marines de l’archipel Haida Gwaii, soit les ententes suivantes :

•           L’entente Gwaii Haanas de 1993;

•           L’entente sur l’aire marine Gwaii Haanas de 2010;

•           L’entente sur un plan d’utilisation stratégique des terres de 2007 [Entente sur un plan d’utilisation stratégique des terres Haida Gwaii];

•           Le protocole de réconciliation Kunst’aa Guu-Kunst’aayah de 2009;

•           Le protocole d’entente avec le Canada sur la gestion et la planification concertées de la zone sGaan Kinghlas (mont sous-marin Bowie).

[227]   Les Haïda font valoir que ces ententes renforcent et individualisent l’obligation du Canada de mener des consultations approfondies et particulières auprès d’eux, et de trouver des mesures d’accommodement. Ils allèguent que le Canada n’a mené qu’un processus de consultation « générique », et qu’il s’ensuit que la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet ne respectait pas les ententes avec les Haïda.

[228]   À notre avis, le Canada a reconnu à juste titre son obligation de tenir des consultations approfondies auprès des demandeurs/appelants Premières Nations, y compris les Haïda. Ce processus de consultation approfondie nécessitait le plus haut niveau de consultation possible, à moins qu’il y ait consentement. À notre avis, les ententes avec les Haïda ne modifient pas ni n’élargissent cette obligation.

[229]   Il y a quatre préoccupations additionnelles exprimées par les demandeurs/appelants Premières Nations. D’après nous, ces questions se chevauchent et sont interreliées. Chacune d’elles porte essentiellement sur l’exécution par le Canada du processus de consultation dans le cadre de la phase IV. C’est pourquoi il convient de les examiner ensemble.

g)         Dans le rapport de la Commission d’examen conjoint, trop de questions ont été laissées en suspens afin d’être décidées après l’approbation du projet

h)        Le processus de consultation était trop générique. Le Canada et la Commission d’examen conjoint ont examiné les Premières Nations dans leur ensemble, et n’ont pas répondu de façon appropriée aux préoccupations particulières soulevées par certaines Premières Nations

i)          Suivant l’achèvement du rapport de la Commission d’examen conjoint, le Canada n’a pas mené de consultations adéquates auprès des Premières Nations au sujet de leurs préoccupations ni n’a fourni suffisamment de motifs

j)          Le Canada n’a pas apprécié ni examiné les titres ancestraux ou les droits de gouvernance ainsi que les répercussions sur ceux-ci

[230]   Jusqu’à maintenant, nous avons rejeté les arguments avancés par les demandeurs/appelants Premières Nations selon lesquels l’exécution par le Canada du processus de consultation était inacceptable ou déraisonnable. Cependant, pour les motifs exposés ci-dessous, l’exécution par le Canada de la phase IV du processus de consultation comportait des lacunes inacceptables et a raté la cible. L’exécution de la phase IV du processus de consultation n’a pas permis de préserver l’honneur de la Couronne.

[231]   Nous commençons notre analyse de ce point en énonçant brièvement certains des principes juridiques applicables qui traitent de ce qui constitue un véritable processus de consultation.

[232]   Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, l’obligation de consulter est une obligation procédurale qui découle de l’honneur de la Couronne. Le « fil conducteur du côté de la Couronne doit être “l’intention de tenir compte réellement des préoccupations [des Autochtones]” à mesure qu’elles sont exprimées […] dans le cadre d’un véritable processus de consultation » : Nation haïda, au paragraphe 42. La « question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones » : Nation haïda, au paragraphe 45.

[233]   La consultation véritable ne vise pas simplement à donner aux peuples autochtones l’occasion de « se défouler » avant que la Couronne fasse ce qu’elle avait toujours l’intention de faire. La consultation qui exclurait dès le départ toute forme d’accommodement serait vide de sens : Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388 [Première nation crie Mikisew], au paragraphe 54.

[234]   Comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Nation haïda, au paragraphe 46, la véritable consultation n’est pas seulement un simple mécanisme d’échange de renseignements. Elle « comporte […] des mises à l’épreuve et la modification éventuelle des énoncés de politique compte tenu des renseignements obtenus ainsi que la rétroaction ». Comme la Nation de Kitasoo et la Nation des Heiltsuk l’ont soutenu, lorsque la tenue de consultations approfondies est nécessaire, il faut qu’il y ait un dialogue qui [traduction] « mène à une prise en compte sérieuse et manifeste des accommodements (tel qu’il ressort de l’obligation qu’a la Couronne de présenter des motifs écrits relativement aux consultations).» [Non souligné dans l’original.]

[235]   De plus, la Couronne est tenue de s’informer de l’effet qu’aura son projet sur une Première Nation concernée et de lui communiquer ses constatations : Première nation crie Mikisew, au paragraphe 55.

[236]   Il nous reste deux points à souligner. Tout d’abord, si la Couronne sait, ou aurait dû savoir, que sa façon de faire pouvait avoir un effet préjudiciable sur un droit ou un titre ancestral de plus d’une première nation, chacune des Premières Nations concernées a droit à des consultations tenant compte des faits et des circonstances propres à chacune d’elles.

[237]   Ensuite, si une obligation de consulter découle d’un projet semblable à celui dont il est question en l’espèce, l’obligation de consulter doit être acquittée avant que le gouverneur en conseil autorise la délivrance d’un certificat par l’Office national de l’énergie, étant donné que la décision du gouverneur en conseil est une décision stratégique de haut niveau qui entraîne des risques pour les droits ancestraux des demandeurs/appelants Premières Nations autochtones : Nation haïda, au paragraphe 76. En outre, selon ce qui est prévu dans les conditions de la Commission d’examen conjoint, la Couronne ne prendrait pas part aux consultations ultérieures, et les décisions ultérieures seraient prises par l’Office national de l’énergie. Le Canada a fait savoir, dans le cadre du processus de consultation, que l’Office national de l’énergie ne consultait pas les Premières Nations à l’étape de l’autorisation de mise en service.

[238]   En fonction de ce cadre juridique, nous examinerons maintenant l’exécution de la phase IV du processus de consultation. Nous commencerons par une observation générale sur l’importance de la consultation au début de la phase IV et l’état du processus de consultation à ce moment.

[239]   La phase IV était une partie très importante du processus de consultation dans son ensemble. Elle a commencé dès que la Commission d’examen conjoint a publié son rapport. Ce rapport présentait des appréciations particulières à l’égard de questions de grand intérêt et des effets sur les peuples autochtones, par exemple les questions concernant leur culture traditionnelle, leur environnement et, dans certains cas, leurs moyens de subsistance. Des appréciations particulières exigent des réponses particulières et un examen sérieux de ces réponses de la part du Canada. Une rétroaction propre à chacune des questions soulevée dans le rapport est probablement plus importante que les opinions fournies plus tôt dans le résumé.

[240]   En outre, le rapport de la Commission d’examen conjoint ne traite que de certaines questions à l’égard desquelles des consultations étaient nécessaires. Son cadre de référence était plus étroit que la portée de l’obligation de consulter du Canada. Citons en exemple les questions autochtones qui, en application de l’article 5 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), doivent être examinées dans un contexte environnemental, font partie d’un petit sous-ensemble des questions qui forment l’obligation de consulter du Canada.

[241]   Il a également été question de ce qui suit dans le cadre du processus de la Commission d’examen conjoint :

•           Le promoteur, Northern Gateway, n’a pas évalué les répercussions du projet sur les titres ancestraux : contre-interrogatoire du témoin d’Enbridge, compendium de la Nation des Haisla CR, aux pages 973, 975 et 976.

•           De même, la Commission d’examen conjoint n’a tiré aucune conclusion concernant les droits ancestraux ou la solidité du droit ou du titre ancestral revendiqué par un groupe autochtone : rapport de la Commission d’examen conjoint [Volume 2], à la page 47.

•           Dans son évaluation des répercussions du projet sur les droits ancestraux et issus de traités, Northern Gateway s’est contenté d’évaluer les effets possibles sur les droits de récolte ainsi que sur les droits d’utiliser les terres et les ressources : contre-interrogatoire du témoin d’Enbridge, transcription, volume 149, ligne 22890, rapport de la Commission d’examen conjoint [Volume 2], à la page 42.

•           Dans son appréciation des divers droits dont jouissent les peuples autochtones, notamment les droits de chasse, de pêche et de cueillette, Northern Gateway n’a pas examiné plus particulièrement les droits de chacune des collectivités. Il a plutôt examiné les droits [traduction] « de façon générale » : contre-interrogatoire du témoin d’Enbridge, transcription, volume 112, lignes 9990 à 9993.

•           La Commission d’examen conjoint a accepté cette démarche et s’est fondée sur celle-ci pour conclure que le projet ne porterait pas atteinte de façon considérable aux intérêts des groupes autochtones qui utilisaient les terres, les eaux ou les ressources dans le secteur visé par le projet : rapport de la Commission d’examen conjoint [Volume 2], aux pages 49 et 50.

[242]   Quant à l’état du processus de consultation au début de la phase IV, il s’agissait de la première opportunité du Canada—et de sa dernière avant la décision du gouverneur en conseil—pour mener des consultations et un dialogue directs avec les Premières Nations concernées sur des questions de fond, et non de procédure, concernant le projet : rapport de consultation de la Couronne, pièce A de l’affidavit de Jim Clarke (directeur général, Bureau de gestion des grands projets, Ressources naturelles Canada).

[243]   C’est dans ce contexte que le Canada a amorcé la phase IV du processus de consultation. Dans le cadre de consultation auprès des Autochtones du Canada, il est énoncé que les consultations avaient pour objectif :

[…] chercher à savoir si toutes les préoccupations au sujet des effets possibles du projet sur les droits ancestraux et issus de traités, potentiels ou établis, avaient bien été caractérisées. Le Canada tiendra aussi des consultations sur la façon dont les mesures d’atténuation recommandées pourraient permettre de répondre à ces préoccupations et sur l’ampleur que ces mesures pourraient avoir, et cherchera à savoir s’il y a encore des questions à régler.

[244]   Nous examinerons maintenant l’exécution par le Canada du processus de consultation dans le cadre de la phase IV, un processus qui, selon nous, est bien en deçà des normes minimales prescrites par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.

[245]   Le Canada a lancé la phase IV peu de temps avant la publication du rapport de la Commission d’examen conjoint. Dans une lettre datée du 5 décembre 2013, le Canada a fait savoir ce qui suit :

•           les rencontres de consultation commenceraient peu de temps après la publication du rapport de la Commission d’examen conjoint;

•           un délai de 45 jours était prévu pour rencontrer tous les groupes autochtones concernés;

•           le rapport de la Commission d’examen conjoint et un rapport de consultation de la Couronne seraient utilisés pour informer le gouverneur en conseil afin qu’il puisse savoir s’il convient d’ordonner à l’Office national de l’énergie de délivrer un certificat;

•           les Premières Nations concernées auraient 45 jours pour aviser le Canada par écrit de leurs préoccupations en répondant aux trois questions suivantes :

–          Dans le rapport de la Commission, les préoccupations que vous avez soulevées dans le cadre du processus de la Commission d’examen conjoint ont-elles bien été caractérisées?

–          Les recommandations formulées et les conditions dans le rapport de la Commission répondent-elles à certaines de vos préoccupations ou à l’ensemble de celles-ci?

–          Y a-t-il des préoccupations « non résolues » auxquelles le rapport de la Commission n’a pas permis de répondre? Dans l’affirmative, avez-vous des recommandations (c.-à-d., des mesures d’accommodement proposées) à formuler quant à la façon dont on pourrait y répondre?

•           Les réponses [traduction] « ne [devraient] pas dépasser 2 à 3 pages et [devraient] être reçues au plus tard le 16 avril 2014 ».

[246]   Les Premières Nations ont répondu que de courts délais avaient été établis de façon arbitraire et qu’ils étaient insuffisants pour permettre la tenue de véritables consultations : voir, par exemple, la lettre des Haisla datée du 12 décembre 2013, pièce H de l’affidavit du conseiller en chef Ellis Ross, à la page 787.

[247]   Lors des rencontres de consultation, les Premières Nations ont demandé que les délais prévus dans le calendrier de consultation soient prorogés. L’affidavit du conseiller en chef des Haisla, Ellis Ross, en est un exemple :

[traduction]

107. Au cours de la rencontre tenue en mars, la Nation des Haisla a demandé aux représentants de la Couronne de proroger les délais prévus pour les consultations. M. Clarke a répondu que les délais étaient dictés par les lois et que les représentants de la Couronne n’avaient pas l’autorisation de les proroger. Nous avons souligné que les lois applicables permettaient à la Couronne de proroger les délais. M. Clarke a concédé que c’était le cas. La Nation des Haisla a donc demandé aux représentants de la Couronne de demander au ministre de proroger les délais prévus pour la prise de la décision afin de permettre la tenue de véritables consultations. M. Clarke a accepté de le faire.

108. Au cours de la rencontre tenue en avril, M. Clarke nous a dit qu’il avait communiqué la demande de prorogation des délais de la Nation des Haisla au ministre des Ressources naturelles, mais que le ministre n’y avait pas répondu. Dans notre lettre du 7 mai 2014, nous avons de nouveau demandé que la décision relative au projet soit reportée pour permettre la tenue de véritables consultations. La Couronne a refusé. [Non souligné dans l’original.]

[248]   Les comptes rendus de réunion du 3 mars 2014 ainsi que des 8 et 9 avril 2014 relatifs aux consultations tenues avec les Haisla dans le cadre de la phase IV sont compatibles avec cet élément de preuve.

[249]   Comme les Haisla l’ont fait remarquer lors de leur rencontre de consultation, [traduction] « personne » n’a jamais expliqué pourquoi il y avait urgence, [traduction] « d’où le problème ».

[250]   Tout au long du processus de consultation, la Nation des Haisla a demandé au Canada de reporter l’examen du projet. Plus particulièrement, elle demandait que la décision soit reportée pour permettre la réalisation d’études scientifiques. Taylor Cross, conseiller en chef adjoint de la Nation des Haisla, a déclaré ce qui suit dans son témoignage :

[traduction]

15. Nous avons aussi mentionné que le manque de certitude quant à l’état de préparation de la Couronne en cas de déversement de bitume dilué faisait partie des raisons pour lesquelles l’approbation du projet devrait être reportée. Le représentant de la Garde côtière canadienne, M. Roger Girouard, n’a pas pu dire combien de temps il faudrait au Canada pour être prêt à intervenir efficacement en cas de déversement dans l’océan, même avec un budget illimité. M. Girouard a également déclaré qu’en cas de déversement dans l’océan, pour que l’intervention soit efficace, des renseignements supplémentaires étaient nécessaires concernant les eaux visées, la nature des produits à transporter ainsi que les exigences pertinentes en matière de gouvernance, de gestion et de matériel. Nous avons demandé un report de la décision pour permettre la réalisation d’études scientifiques en bonne et due forme. Les représentants du Canada nous ont dit qu’ils soumettraient la demande aux décideurs. S’ils l’ont fait, les décideurs n’en ont pas tenu compte.

16. Mme Maclean [d’Environnement Canada] a affirmé que la modélisation des déversements effectuée par Northern Gateway Pipelines Inc. et Northern Gateway Pipelines Limited Partnership (collectivement appelées « Northern Gateway ») n’était pas fondée sur le modèle stochastique, qui aurait donné une meilleure idée de l’incidence que les conditions environnementales pourraient avoir sur un déversement. Nous avons demandé un report de la décision jusqu’à ce que les résultats d’une telle modélisation soient fournis. Les représentants du Canada nous ont dit qu’ils soumettraient la demande aux décideurs. S’ils l’ont fait, les décideurs n’en ont pas tenu compte. [Non souligné dans l’original.]

[251]   Tandis que le gouverneur en conseil était assujetti à un délai pour prendre sa décision, conformément au paragraphe 54(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, ce paragraphe lui permet, par décret, de proroger ce délai. L’importance et la portée constitutionnelle de l’obligation de consulter donnent largement raison au gouverneur en conseil, dans les circonstances appropriées, de proroger le délai. Rien n’indique que le Canada a pensé à demander au gouverneur en conseil de proroger le délai.

[252]   Cependant, même si le Canada ne souhaitait pas demander au gouverneur en conseil une prorogation, nous somme d’avis qu’un processus de consultation planifié à l’avance et organisé dans le cadre de la phase IV aurait permis au Canada de recevoir à temps tous les points de vue pertinents, de les débattre et de les examiner, de fournir toutes les explications nécessaires et, le cas échéant, de formuler des recommandations appropriées au gouverneur en conseil, notamment l’ajout de toute autre condition aux fins de l’approbation du projet.

[253]   En général, bon nombre des préoccupations exprimées par les Premières Nations étaient précises, ciblées et succinctes; les mesures prises par le Canada en réponse à celles-ci auraient pu être tout aussi précises, ciblées et succinctes.

[254]   Jim Clarke, a participé à la phase IV et [traduction] « a agi à titre de représentant principal du Canada » pour les questions portant sur les mandats d’au moins deux ministères. Lorsqu’il a été contre-interrogé sur son affidavit par l’avocat de la Nation des Haisla, M. Clarke lui-même a reconnu que les consultations menées à l’égard de certaines questions étaient nettement insuffisantes :

[traduction]

323. Q. Vous avez mentionné hier que vous avez dû revoir les comptes rendus des réunions pour savoir si le Canada et la Nation des Haisla avaient pu aborder les points à l’ordre du jour.

De façon générale, avez-vous conclu que la Nation des Haisla et le Canada avaient discuté à fond des points figurant sur les deux ordres du jour?

R. Je me suis concentré sur le compte rendu relatif au deuxième ordre du jour, et je m’excuse si ce n’était pas ce dont nous avions convenu hier.

J’ai porté particulièrement attention à tous les points figurant à l’alinéa 7c) du deuxième ordre du jour, à toutes les questions, à la mesure dans laquelle les conditions de la Commission permettaient de répondre aux préoccupations soulevées concernant les répercussions possibles, ces 20 points-là.

324. Q. Et, de façon générale, avez-vous conclu que la Nation des Haisla et le Canada avaient discuté à fond de ces 20 points?

R. D’après moi, de façon générale, je conclurais que ces 20 points n’ont pas été analysés de façon approfondie. La plupart de ces points ont été abordés. D’après ce que j’ai pu constater hier soir, on a abordé 12 des 20 points à l’ordre du jour.

[…]

327. Q. D’après vous, les préoccupations des Haisla au sujet des répercussions possibles sur la chasse font-elles partie des points qui ont été analysés de façon approfondie?

R. À mon avis, non.

328. Q. Et celles relatives au piégeage?

R. À mon avis, non.

329. Q. Et celles relatives aux déversements en milieu marin? A-t-on discuté des effets néfastes que les déversements en milieu marin pourraient avoir sur ce milieu?

R. Oui, dans de nombreuses parties de la réunion.

330. Q. A-t-on discuté de la façon dont les Haisla dépendent des ressources marines dans le cadre de l’exercice de leurs droits ancestraux?

R. Je crois que oui.

331. Q. Pourriez-vous m’indiquer où exactement dans le compte rendu de la réunion?

R. J’ai de multiples renvois dans Adobe aux endroits où il était question des déversements en milieu marin, mais, à ce moment-ci, je ne peux pas vous dire où ce point précis a été abordé.

332. Q. A-t-on discuté de la façon dont les effets néfastes sur l’environnement pourraient avoir des répercussions sur les ressources marines dont dépendent les Haisla, d’une manière qui pourrait porter atteinte à leurs droits ancestraux?

R. Je ne me rappelle pas si ce point a été expressément abordé.

333. Q. Vous ne vous souvenez pas d’être ainsi entré dans les détails?

R. Je ne m’en souviens pas. [Non souligné dans l’original.]

[255]   Un autre problème dans de la phase IV a été, au moins à trois reprises, que les renseignements qui ont été soumis au gouverneur en conseil ne dressaient pas un portait fidèle des préoccupations des Premières Nations concernées. Le Canada n’était pas prêt à entendre les Premières Nations à ce sujet et à les étudier et, si nécessaire, à corriger les renseignements.

[256]   La première fois, il s’agissait de la Nation de Kitasoo. Le 9 juin 2014, M. Maracle (le coordonnateur des consultations de la Couronne) et M. Clarke ont écrit une lettre dans laquelle ils ont pris acte d’un certain nombre des préoccupations exprimées par la Nation de Kitasoo durant la phase IV, et ils ont joint la partie du rapport de consultation de la Couronne qui faisait état de son point de vue et résumait ses préoccupations.

[257]   L’avocat de la Nation de Kitasoo a répondu par lettre datée du 17 juin 2014. Dans cette lettre, il a relevé plusieurs inexactitudes dans la lettre de Messieurs Maracle et Clarke et le rapport de consultation. Les points suivants ont été soulevés :

•           La lettre de la Couronne a mal formulé le point de vue de la Nation de Kitasoo concernant l’atténuation.

•           Le rapport de consultation mentionne que [traduction] « [l]a voie d’expédition traverserait la partie nord-ouest de la Première Nation de Kitasoo Xai’xais sur une longueur d’environ 45 km. La zone d’évaluation des chenaux en eaux confinées est située à environ 56 km de la voie d’expédition envisagée ». Cela était inexact et incompatible avec la preuve de la Nation de Kitasoo selon laquelle son territoire s’étendait jusque dans la zone d’évaluation des chenaux en eaux confinées.

•           Les renseignements fournis dans le rapport de consultation de la Couronne étaient insuffisants. En formulant les préoccupations de la Nation de Kitasoo dans un exposé concis et général, le décideur ne disposait pas de suffisamment de renseignements pour pouvoir évaluer les préoccupations de la Nation de Kitasoo concernant le projet.

[258]   Comme les renseignements de l’avocat ont été transmis au Canada seulement le jour où la décision d’approuver le projet a été prise, le dossier dont nous sommes saisis ne démontre pas que ces erreurs ont été corrigées ou portées à l’attention du gouverneur en conseil.

[259]   Le 9 juin 2014, une lettre similaire a été envoyée à la Nation des Heiltsuk. Une fois de plus, son avocat a répondu par lettre, celle-ci datée du 17 juin 2014. L’avocat a notamment relevé les erreurs et les omissions suivantes :

•           Formulation erronée du point de vue de la Nation des Heiltsuk sur l’atténuation.

•           Mention erronée selon laquelle la [traduction] « voie d’expédition envisagée serait située entre 30 et 70 km au nord des limites nord et ouest des territoires traditionnels ». La preuve de la Nation des Heiltsuk indiquait que la partie sud de la voie d’expédition envisagée pénétrait dans une partie importante du territoire traditionnel des Heiltsuk.

•           Formulation erronée du point de vue de la Nation des Heiltsuk sur la participation.

•           Défaut de cerner la question principale soulevée par la Nation des Heiltsuk concernant l’absence de travaux de référence et l’absence de modélisation des déversements dans les zones d’eau libre.

[260]   Dans la lettre du 17 juin 2014, l’avocat a fait valoir que les renseignements qui avaient été fournis au décideur n’étaient pas suffisants pour lui permettre d’apprécier les préoccupations non résolues de la Nation des Heiltsuk. Les renseignements tels qu’ils figuraient dans la lettre envoyée par l’avocat pour le compte de la Nation de Kitasoo ont été reçus seulement le jour où la décision d’approuver le projet a été prise.

[261]   Comme dernier exemple, mentionnons la lettre du 9 juin 2014 comportant des extraits joints en annexe du rapport de consultation de la Couronne qui a été reçue par la Bande des Nadleh et la Bande des Nak’azdli. Dans une lettre datée du 16 juin 2014, le coordonnateur de l’Alliance Yinka Dene a soulevé les questions en litige et les inexactitudes suivantes :

•           La lettre mentionnait à tort que, à la rencontre tenue dans le cadre de la phase IV du processus de consultation, des fonctionnaires fédéraux avaient discuté des priorités du Canada concernant la prévention et les interventions en matière de déversements de pétrole et avaient discuté de la possibilité d’une participation éventuelle en matière de prévention et d’intervention en cas de déversement de pétrole, alors que de telles discussions n’avaient pas eu lieu.

•           La Couronne n’a pas répondu aux principales préoccupations et à la question des répercussions soulevées par la Bande des Nadleh et la Bande des Nak’azdli relativement aux risques d’un déversement de pétrole sur leur territoire.

[262]   Tout comme la Nation de Kitasoo et la Nation des Heiltsuk, la Bande des Nadleh et la Bande des Nak’azdli ont également répondu au Canada en prétendant que le gouverneur en conseil ne disposait pas de suffisamment de renseignements pour pouvoir prendre une décision. Le dossier ne démontre pas que le gouverneur en conseil détenait ces renseignements avant de prendre sa décision. Bien que le Canada ait effectivement répliqué en reconnaissant les erreurs qui s’étaient produites au cours des discussions tenues dans le cadre de la phase IV, il n’a fait mention d’aucune mesure qui aurait été prise afin de corriger ces erreurs et il n’a pas dit quel effet, le cas échéant, cela avait eu sur la décision du gouverneur en conseil (lettre du 14 juillet, recueil principal de documents, à la page 469).

[263]   Il est également très inquiétant de constater que la phase IV du processus de consultation n’a comporté aucun véritable dialogue.

[264]   Au cours des séances de consultation, les groupes autochtones se sont fait dire à plusieurs reprises que les représentants du Canada :

•           travaillaient en tenant pour acquis que le gouverneur en conseil devait prendre une décision au plus tard le 17 juin 2014;

•           étaient chargés de recueillir des renseignements, de sorte que leur objectif était de fournir les meilleurs renseignements possible aux décideurs;

•           n’étaient pas autorisés à prendre des décisions;

•           devaient produire le rapport de consultation de la Couronne au plus tard le 16 avril 2014.

[265]   Lorsque le rôle des représentants du Canada est vu sous cet angle, il n’est pas étonnant qu’un certain nombre des préoccupations soulevées par les groupes autochtones aient été laissées en plan et n’aient fait l’objet d’aucune discussion. À notre avis, des préoccupations fondamentales à leurs intérêts légitimes n’ont pas été examinées ni discutées. Ceci ne correspond pas à la conduite nécessaire pour rencontrer le devoir de consulter. On peut donner plusieurs exemples.

[266]   Lors de la séance de consultation du 22 avril 2014, la Nation de Kitasoo a formulé des arguments détaillés au sujet des raisons pour lesquelles les incidences du projet sur leurs droits ancestraux ne pouvaient pas être évaluées sans que l’on détienne ce qu’elle a appelé les [traduction] « renseignements manquants ». Les représentants de la Nation de Kitasoo ont expliqué qu’ils avaient besoin de renseignements concernant la modélisation et l’évaluation des déversements, le comportement (ou ce qu’il advient) du bitume dans l’eau, qu’ils avaient besoin d’un inventaire marin de base et de savoir à quoi ressemblerait la récupération après un déversement. Ensuite, le chef Clark Robinson a posé la question suivante aux représentants du Canada : [traduction] « Qui va tenir des consultations, est-ce que ce sera vous? » La réponse du Canada a été donnée par deux de ses représentants, Joseph Whiteside, analyste principal des politiques à Ressources naturelles, et Brett Maracle, le coordonnateur des consultations de la Couronne. Elle fait mention de peu de choses pour faciliter les consultations; en effet, elle démontre seulement à quel point la phase IV du processus de consultation a raté la cible :

[traduction]

Joseph Whiteside : pour faire suite à ce que je viens de dire – nous ne sommes pas des décideurs, notre travail consiste à recueillir des renseignements afin de s’assurer que, dans le cadre de nos domaines d’expertise particuliers, Environnement Canada, Transport Canada, mon ministère, à savoir Ressources naturelles, et d’autres ministères, nous comprenions parfaitement ce que vous tentez de nous dire, et, donc, la prise de décision se situe à un autre niveau. Particulièrement en ce qui concerne la question du financement. Nous n’avons pas encore reçu de pouvoir d’autorisation de financement – peut-être que nous en recevrons un. Mais, notre travail consiste à retenir les meilleures recommandations et à les soumettre. Nous aurons peut-être des questions à vous poser au cours de l’après-midi afin d’obtenir plus de détails en ce qui a trait aux renseignements figurant dans votre diaporama – je présume que nous avons une copie du diaporama. Cela facilitera également notre analyse.

Donc, notre tâche aujourd’hui ne consiste pas à prendre des décisions ou à vous dire que nous pouvons prendre certaines décisions. Notre tâche consiste à vous dire que nous ferons de notre mieux pour soumettre vos recommandations de telle sorte qu’elles soient bien comprises dans nos ministères respectifs.

Brett Maracle : et examinées.

Joseph Whiteside : et examinées.

Le chef Clark Robinson : allez-[vous] faire une recommandation en ce qui concerne les consultations?

Joseph Whiteside : eh bien, l’une des choses que l’on peut examiner, compte tenu de ce que votre collectivité et d’autres ont dit, est qu’ils veulent, je crois qu’il est juste de dire, compte tenu de ce que les chefs héréditaires ont dit ce matin, vous voulez qu’il y ait un autre niveau de consultation après ce qui a déjà été fait avant la Commission, par la Commission, sur laquelle, selon ce que le Canada continue d’affirmer, nous nous fions, dans la mesure du possible, pour satisfaire à l’obligation de consultation, puis de se servir de cette phase IV pour donner suite au travail de la Commission afin de nous assurer que nous avons parfaitement compris ce que disent les collectivités autochtones.

Pour cerner où vous estimez [qu’il] y a des lacunes, et je crois [qu’il est] juste de dire que l’exposé parle des lacunes que comporte le cadre analytique et qui, selon vous, doivent être absolument comblées, puis de voir ce qui peut être fait de plus. Il est peut-être même possible de prendre – de soumettre une recommandation, et je ne peux pas dire ce qui est dans la proposition du Cabinet parce je ne prends pas cette décision. En ce qui concerne la question de savoir si [le Cabinet] estime que des consultations doivent être tenues [peu importe] si la décision est favorable ou défavorable au projet en cause, il peut s’agir d’une question à l’égard de laquelle les ministres peuvent souhaiter soumettre plus de renseignements concernant les consultations, je ne peux pas dire que la porte est fermée, et je ne peux pas dire ce que sont les possibilités concernant les consultations, cette partie de l’analyse, nous, en tant que membres d’une équipe, aurons peut-être à faire un certain travail pour aider nos supérieurs.

Le chef Clark Robinson : nous ne sommes pas d’accord pour affirmer qu’il y a eu des consultations.

[Non soulignés dans l’original.] [Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

[267]   Selon nous, la Nation de Kitasoo n’a jamais reçu d’explications de la part du Canada quant à savoir pourquoi les renseignements manquants n’étaient pas nécessaires et pourquoi le Canada avait rejeté l’argument selon lequel la Nation de Kitasoo n’avait pas été adéquatement consultée.

[268]   La Nation des Heiltsuk a formulé des arguments semblables à ceux de la Nation de Kitasoo lors des séances de consultation qu’elle a eues avec le Canada, dans le cadre de la phase IV du processus de consultation, concernant la question d’exiger des renseignements additionnels afin d’évaluer les incidences sur ses droits ancestraux. La Nation des Heiltsuk était particulièrement préoccupée par le fait qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements concernant le risque d’un déversement de pétrole sur les œufs de hareng sur varech – une ressource sur laquelle la Nation des Heiltsuk détient un droit ancestral de pêche commerciale : voir les observations finales formulées par la Nation des Heiltsuk à la Commission d’examen conjoint, recueil des extraits, onglet 19.

[269]   Au cours de la séance de consultation, le dirigeant élu et conseiller en chef Cecil Reid a décrit l’importance de l’industrie du hareng pour la Nation des Heiltsuk ainsi que les [traduction] « horribles » conséquences qu’aurait un déversement de pétrole sur ses moyens de subsistance. Il a ensuite demandé ce qui suit au représentant du Canada : [traduction] « […] pourquoi vous êtes-vous présentés sans être autorisés à discuter de nos préoccupations et d’y répondre de façon concrète de telle sorte que nous puissions avoir confiance que cela soit pris au sérieux? […] Comment pouvez prendre une décision tant que vous ne disposez pas de tous les renseignements? »

[270]   Joseph Whiteside, analyste principal des politiques à Ressources naturelles, a répondu dans le même sens qu’à la rencontre avec la Nation de Kitasoo :

[traduction]

Notre tâche consiste à recueillir les renseignements dont nous disposons et d’être sensible aux questions et aux préoccupations que nous avons entendues depuis une journée et demie, et de veiller, dans le délai dont nous disposons, à fournir certains renseignements et de tenter de se comprendre quelque peu. Notre tâche principale consiste à pendre note de vos opinions et de les intégrer dans le rapport que nous devons rédiger, de telle sorte que nos gestionnaires supérieurs et tous les autres cadres, allant jusqu’aux ministres, soient parfaitement au courant du point de vue que la Nation des Heiltsuk apporte quant à la proposition qui sera soumise au Cabinet d’ici la mi-juin.

[271]   Lorsque la conseillère en chef Marilyn Slett a demandé aux représentants du Canada si le Canada serait prêt à participer à d’autres consultations sur ce sujet avec la Nation des Heiltsuk, le coordonnateur des consultations de la Couronne, Brett Maracle a répondu ce qui suit : [traduction] « Je ne sais pas parce que ce serait comme si le ministre consentait à retarder le processus ». La Nation des Heiltsuk n’a jamais reçu d’explication quant à la raison pour laquelle les renseignements manquants concernant une ressource essentielle à leur subsistance n’étaient pas nécessaires.

[272]   Le conseiller en chef adjoint Taylor Cross de la Nation des Haisla, dans son affidavit, a également fait mention des préoccupations suivantes qui n’avaient pas été examinées :

[traduction]

7. Malgré le fait qu’un représentant de Transports Canada ait assisté aux rencontres de mars et d’avril, nous n’avons pas eu le temps de discuter du rapport du Comité d’experts sur la sécurité des navires-citernes du Canada ou de nos préoccupations concernant ce rapport. Nous avons donc demandé que la Couronne réponde par écrit à nos préoccupations concernant ce rapport. Autant que je sache, Transports Canada n’a pas encore répondu, par écrit ou autrement, à nos préoccupations.

[273]   La Nation des Haisla ne s’en est pas mieux tirée lorsqu’elle a soulevé des préoccupations au sujet d’erreurs figurant dans le rapport de la Commission d’examen conjoint. Par exemple, au cours des séances de consultation, le représentant du Canada a convenu qu’il y avait des centaines d’arbres culturellement modifiés sur le site du terminal envisagé, alors que le rapport de la Commission d’examen conjoint mentionnait qu’il n’y en avait aucun. Il a convenu que plusieurs arbres culturellement modifiés seraient détruits par le projet et que cela aurait une incidence sur la Nation des Haisla. Le Canada n’a ensuite formulé aucune suggestion quant à un quelconque moyen d’éviter les répercussions sur les arbres culturellement modifiés de la Nation Haisla ou quant aux mesures d’accommodement qui pourraient être prises.

[274]   Le conseiller en chef adjoint, Taylor Cross, a aussi démontré que les représentants du Canada, incluant Jim Clarke, ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils devaient accepter les conclusions de la Commission d’examen conjoint telles que formulées dans son rapport. Mais ce n’était pas le cas. La phase IV, en partie, donnait l’occasion de corriger les erreurs et les omissions figurant dans le rapport sur des sujets d’importance vitale pour les peuples autochtones. La conséquence de la position du Canada a été de limiter de manière importante sa capacité de mener de véritables consultations sur les mesures d’accommodement.

[275]   La Nation Gitxaala a rencontré les mêmes problèmes avec le Canada durant la phase IV. Elle a également fait valoir que l’approbation du projet était prématurée et qu’il fallait faire d’autres études relativement aux éléments du rapport de la Commission d’examen conjoint. Les notes de la rencontre du 3 avril 2014 révèlent que le Canada s’est fait demander ce qui suit : [traduction] « Pouvons-nous obtenir une réponse, peut-on savoir pourquoi le travail additionnel que nous demandons ne peut pas être fait? Pouvons-nous discuter de ce qui peut et de ce qui ne peut pas être entrepris? Nous voulons engager des discussions. »

[276]   Jim Clarke, pour le Canada, a répondu ce qui suit : [traduction] « Je ne veux pas susciter d’attentes de votre part. Généralement, nous utilisons la Commission d’examen conjoint seulement comme source de renseignements en vue de la décision. On ne retarde normalement pas l’échéancier prévu par la loi pour une décision. Cela ne signifie pas que cela ne peut pas arriver, c’est tout simplement qu’on ne le fait pas normalement ».

[277]   Durant la consultation d’avril 2014, le Canada a reconnu à la Nation Gitxaala qu’un déversement de pétrole pourrait avoir un effet catastrophique pour les intérêts de cette nation. Les représentants de la Nation Gitxaala ont souligné qu’ils avaient déposés plusieurs rapports d’experts dans le processus de la Commission d’examen conjoint. Les représentants de la Nations Gitxaala ont demandé quelle était la position du Canada sur un rapport spécifique portant sur des questions de navigation et comment le Canada avait l’intention de prendre ce rapport en considération. Le représentant de Transports Canada a répondu [traduction] « Si nous pouvons avoir plus de réponses, nous essaierons ». Les réponses sur cette question critique n’ont jamais été fournies.

[278]   Un dernier exemple s’est produit durant la réunion de consultation du 3 mars 2014 avec la Nation Haisla. Les représentants de la Nation Haisla ont exprimé leurs préoccupations quant au fait que des lobbyistes rémunérés s’entretenaient avec des fonctionnaires du gouvernement et dans quelle mesure cela affectait la considération de leurs préoccupations. Ils ont demandé la divulgation des efforts de lobbyisme. M. Maracle a répondu qu’il était [traduction] « difficile pour nous d’obtenir [des informations] des ministres. [et il serait] préférable si vous [procédiez] par une [demande d’accès à l’information] ». Si une information est disponible par le biais d’une demande d’accès, il est difficile de concevoir pourquoi elle ne serait pas communiquée pendant le processus de consultation — particulièrement, à la lumière des délais imposés par le Canada.

[279]   Compte tenu de notre opinion quant à l’ensemble de la preuve, nous sommes convaincus que le Canada, en ce qui concerne la phase IV, n’a pas engagé de dialogue et ne s’est pas penché sur les préoccupations qui lui avaient été exprimées de bonne foi par l’ensemble des demandeurs/appelants Premières Nations. Il manquait une indication d’une intention de modifier ou de compléter les conditions imposées par la Commission d’examen conjoint, de corriger les erreurs ou les omissions dans son rapport ou de formuler des commentaires sérieux en réponse aux préoccupations importantes soulevées. Il n’y a pas eu d’effort réel et soutenu pour engager un véritable dialogue bilatéral. Aucun représentant du Canada n’était habilité à prendre plus que des notes, à répondre de façon satisfaisante éventuellement.

[280]   Le Canada accorde beaucoup d’importance à deux lettres qui ont été envoyées, le 9 juin et le 14 juillet 2014, à chacune des Premières Nations concernées, la première environ une semaine avant que le gouverneur en conseil approuve le projet et l’autre après. Selon nous, pour les motifs qui suivent, ces lettres n’étaient pas suffisantes pour que l’obligation du Canada d’engager un véritable dialogue soit satisfaite.

[281]   Mis à part les erreurs figurant dans la lettre du 9 juin 2014 qui a été envoyée à la Nation de Kitasoo, la Nation des Heiltsuk, la Bande des Nadleh et la Bande des Nak’azdli, le contenu des lettres peut au mieux être qualifié de résumé très général de la nature de certaines des préoccupations exprimées par la Première Nation concernée. Par conséquent, la lettre expliquait que, durant la phase IV, des fonctionnaires [traduction] « [avaient] pris note de [leurs] points de vue dans la mesure dans laquelle [vos] préoccupations pourraient être atténuées par diverses mesures » sans énoncer les mesures d’atténuation proposées par les Nations. Dans la faible mesure où la lettre du 9 juin 2014 répondait aux préoccupations, elle ne le faisait qu’en termes généraux. Essentiellement, aucune explication n’a été fournie quant à l’attention qui, le cas échéant, avait été accordée aux mesures d’atténuation proposées.

[282]   Par exemple, lorsqu’une Première Nation a soulevé des préoccupations concernant les conséquences d’un déversement de pétrole, le Canada a répondu qu’il [traduction] « accord[ait] une grande priorité aux mesures préventives afin, en premier lieu, d’éviter qu’il y ait des déversements, et à l’amélioration des mesures d’intervention et de rétablissement dans le cas peu probable où il y aurait déversement ». La lettre mentionnait ensuite que [traduction] « le gouvernement du Canada [avait] récemment annoncé de nouvelles mesures visant à améliorer davantage les systèmes de sécurité de calibre mondial du Canada relativement aux oléoducs et aux navires-citernes ».

[283]   Les lettres du 14 juillet 2014 étaient plus longues et visaient [traduction] « à répondre aux nombreuses questions importantes que vous avez soulevées et à décrire un certain nombre des prochaines étapes liées au projet ». Étant donné que la décision d’approuver le projet avait déjà été prise et que les consultations devaient être terminées avant que la décision en cause puisse être prise, il est difficile d’estimer que ces lettres ont satisfait à l’obligation de consultation du Canada.

[284]   De plus, nous qualifions une fois de plus le contenu des lettres de juillet comme étant de nature générale; les lettres mentionnent que la Commission d’examen conjoint a soumis la proposition de projet [traduction] « à un examen scientifique rigoureux effectué par un groupe d’experts indépendants ». Dans la mesure où la lettre traitait des préoccupations exprimées par la Première Nation, celles-ci ont été résumées d’une manière générale et on leur a répondu en renvoyant aux conditions imposées par la Commission d’examen conjoint, en invoquant le régime de sécurité maritime actuel, en invoquant la possibilité [traduction] « que l’on souhaite faire d’autres échantillonnages géologiques et géotechniques afin de recueillir des renseignements supplémentaires et de pouvoir mieux évaluer » les dangers posés par les géorisques, ainsi qu’en invoquant les recherches et les développements supplémentaires sur ce qu’il advient du bitume dilué et des recherches en cours.

[285]   Il est juste d’affirmer que les lettres étaient axées sur les mesures d’accommodement.

[286]   Toutefois, les lettres ne traitaient pas des préoccupations selon lesquelles la phase IV du processus de consultation s’était déroulée à la hâte et n’avait comporté aucun véritable dialogue. Les lettres ne traitaient pas non plus de la préoccupation exprimée à plusieurs reprises selon laquelle on ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour qu’il y ait un dialogue éclairé sur les incidences que pourrait avoir le projet sur les droits ancestraux et les droits issus de traités.

[287]   Suivant la jurisprudence de la Cour suprême du Canada concernant l’obligation de consulter, nous concluons que, durant le processus de la phase IV, les parties avaient droit de s’attendre à beaucoup plus de renseignements, de considérations et d’explications du Canada relativement aux préoccupations légitimes et spécifiques qu’elles ont adressées au Canada.

[288]   Le dialogue nécessaire afin de satisfaire le devoir de consulter a également été bafoué par le défaut du Canada de communiquer l’information nécessaire qu’il détenait sur la solidité des revendications de droits ou titres ancestraux des Premières Nations. Nous insistons sur l’information contrairement aux évaluations juridiques discutées ci-haut aux paragraphes 218 à 225. L’attitude du Canada quant au partage d’informations est troublante. La solidité des revendications était une question importante qui devait être considérée afin que la consultation dans la phase IV soit significative. Nous désirons expliquer pourquoi.

[289]   Le processus de consultation de la phase IV n’était pas censé être un forum pour la détermination et décision finale des revendications de droits ou titres ancestraux autochtones. Nous sommes d’accord, basé sur le raisonnement de la Cour suprême dans Nation haïda, que ceci est approprié : le devoir de consulter n’est pas un devoir de déterminer des revendications non résolues, Toutefois, la communication par le Canada d’informations relatives à la solidité des revendications de droits ou titres ancestraux des Premières Nations était nécessaire pour une autre raison.

[290]   En droit, la portée et la solidité des revendications de droits ou titres ancestraux des Premières Nations concernées affectent le niveau d’obligation du Canada de consulter et, si nécessaire, d’accommoder. Cela définit aussi les sujets sur lesquels le dialogue doit porter : une revendication solide et large de droits ou titres ancestraux sur un territoire signifie que des sujets larges pour ces territoires doivent être discutés et, peut-être, accommodés. Plus spécialement dans le cas devant nous, le Canada a accepté que l’obligation de consulter soit importante. Mais un dialogue devait être entrepris sur la signification de cette obligation. Quels sujets étaient sur la table? Jusqu’où le dialogue et, si nécessaire, les accommodements devaient aller?

[291]   La jurisprudence est claire que le Canada, conformément à son devoir de consulter, devait dialoguer relativement aux impacts que le projet proposé aurait sur les Premières Nations concernées et communiquer ses conclusions aux Premières Nations : Première Nation crie Mikisew, au paragraphe 55. Mais contrairement à la jurisprudence, le Canada a, de façon répétée, indiqué aux Premières Nations concernées qu’il ne partagerait pas une information fondamentale afin d’identifier les impacts pertinents — des informations relatives à la solidité des revendications autochtones de droits ou titres ancestraux des Premières Nations concernées.

[292]   Pour que la discussion pendant la phase IV soit fructueuse et le dialogue significatif, cela devait se produire. Et, tel que nous l’avons noté, dans une lettre datée du 18 avril 2012, le ministre de l’environnement de l’époque s’était engagé à faire exactement ceci — de donner une description de la solidité d’une revendication et de la portée du processus de consultation.

[293]   Mais le Canada n’a jamais communiqué à la Nation Haisla cette description. La preuve du chef Ross de la Nation Haisla démontre que durant la phase IV, le Canada est revenu sur cet engagement et a évité de définir exactement ce qui était en jeu durant les consultations :

[traduction]

99. Il n’y a eu aucune véritable discussion sur la solidité de la revendication de la Nation des Haisla aux rencontres de mars et d’avril. À la rencontre de mars, la Nation des Haisla a souligné l’importance de discuter ouvertement des droits et des titres ancestraux – un sujet que la Commission d’examen conjoint n’a aucunement abordé – et elle a demandé aux représentants de la Couronne de lui faire part des opinions de la Couronne sur la solidité de sa revendication. Dans sa lettre datée du 18 avril 2012, le ministre de l’Environnement s’était engagé à communiquer les résultats de l’analyse faite par la Couronne quant à la solidité de notre revendication avant le début de la phase IV de son cadre de consultation. Nous avions souligné que nous avions besoin de savoir s’il existait des divergences d’opinions concernant la solidité de la revendication pour que la consultation soit utile et pour que nous ne nous tenions pas des discours complètement opposés.

100. Les représentants d’Environnement Canada, M. Brett Maracle et Analise Saely, ont déclaré que, selon une appréciation préliminaire, ils estimaient que la revendication de la Nation des Haisla visant un titre ancestral à l’égard du site du terminal était solide, que la revendication visant un titre ancestral à l’égard de parties de l’emprise du pipeline sur le territoire Haisla était solide, et que la revendication visant des droits ancestraux de pêche et de récolte des ressources marines dans des parties de la rivière Kitamaat, dans l’estuaire de la rivière Kitamaat ainsi que dans le chenal marin de Douglas était solide. Nous avons demandé que la Couronne donne des précisions quant à savoir quelles parties du tracé du pipeline qu’elle avait concédées à la Nation des Haisla étaient visées par un titre ancestral solide et quelles zones d’eau que la Couronne avait concédées à la Nation des Haisla étaient visées par un titre ancestral solide. Les représentants de la Couronne nous ont dit qu’ils demanderaient l’autorisation de divulguer l’analyse faite par la Couronne quant à la solidité des revendications, y compris une autre analyse portant sur la solidité de la revendication visant le tracé du pipeline. Une copie de la lettre du 11 mars 2014 envoyée à la Couronne dans laquelle, à la page 4, il était fait état de ce que la Couronne avait reconnu concernant la solidité de la revendication de la Nation des Haisla figure aux pages 920 à 929 de la pièce H jointe à mon affidavit. Cette lettre, toutefois, contient une erreur. À la page 4, la lettre mentionne erronément que la Couronne a explicitement convenu que la revendication de la Nation des Haisla visant l’ensemble de son territoire traditionnel était très solide. En fait, les représentants de la Couronne ont uniquement reconnu explicitement que la revendication de la Nation des Haisla visant le titre à l’égard du site du terminal et de parties du tracé du pipeline était solide, et que la revendication visant les droits de pêche et de culture dans les eaux susmentionnées était solide.

101. Peu de temps après la rencontre de mars, la Couronne a envoyé une lettre à la Nation des Haisla, dans laquelle figurait une déclaration générale et délibérément vague à propos de la solidité de la revendication de notre nation qui n’avait rien à voir avec la zone du projet. La lettre mentionne ce qui suit à la page 2 :

[traduction]

Comme nous en avons discuté lors de nos rencontres des 4 et 5 mars, l’appréciation préliminaire faite par le Canada de la solidité de la revendication est fondée sur les renseignements que la Nation des Haisla a fournis au Comité et a fournis dans la correspondance avec les fonctionnaires du gouvernement. Nous ne voulons pas nous prononcer quant aux revendications de la Nation des Haisla visant des droits ou des titres ancestraux, mais nous pouvons affirmer, selon notre appréciation préliminaire de ces renseignements, laquelle appréciation a été faite exclusivement dans le cadre du processus de consultation concernant le projet envisagé, que, à première vue, la revendication de la Nation des Haisla visant des droits et des titres ancestraux à l’égard des terres revendiquées comme partie du territoire traditionnel Haisla est solide.

Une copie de la lettre de la Couronne datée du 24 mars 2014 comportant cette déclaration figure aux pages 931 à 1 052 de la pièce H jointe à mon affidavit.

102. Cette déclaration soigneusement formulée m’a étonné, étant donné que les représentants de la Couronne avaient déjà accepté le point de vue de la Couronne selon lequel la revendication de la Nation des Haisla visant un titre ancestral à l’égard du site du terminal et de parties du tracé du pipeline était solide. Notre demande de précisions et de divulgation de l’analyse faite par la Couronne quant à la solidité de la revendication s’est soldée par une déclaration qui, en fait, ne nous disait rien sur le point de vue de la Couronne au sujet de la solidité de notre revendication relative au projet.

103. À la rencontre d’avril, la question de la solidité de la revendication a encore une fois été soulevée, tout comme la question de la formule délibérément vague portant sur la solidité de la revendication qui figurait dans la lettre du 24 mars. Nous avons dit craindre que cette formule ne soit d’aucune utilité concernant le processus de consultation. M. Maracle et M. Jim Clarke, du Bureau de gestion des grands projets, nous ont dit qu’ils faisaient l’objet de restrictions quant aux renseignements qu’ils étaient autorisés à divulguer. Plus précisément, M. Maracle a déclaré qu’il souhaitait divulguer davantage de renseignements et qu’il avait rédigé une lettre qui, en fait, en disait davantage concernant la solidité de notre revendication, mais que ses superviseurs lui avaient donné comme directive de ne divulguer rien d’autre que ce qui figurait dans la lettre du 24 mars. M. Clarke nous a dit que le ministre des Ressources naturelles lui-même avait donné comme directive que l’équipe de consultation ne divulgue rien de plus que ce qui figurait dans la lettre dont des extraits sont reproduits plus haut. M. Clarke a déclaré qu’il avait fait de son mieux pour obtenir la divulgation de l’analyse faite par la Couronne quant à la solidité de la revendication. Il a explicitement confirmé que le ministre des Ressources naturelles avait rejeté cette demande de divulgation et avait ordonné qu’aucune autre divulgation ne soit faite. Nous avons demandé à M. Clarke s’il pouvait expliquer les motifs sous-tendant le refus de la Couronne de faire part de son analyse concernant la solidité de la revendication de la Nation des Haisla. Il a déclaré qu’il n’était pas en mesure de le faire. Nous avons déclaré que le refus du Canada de faire part de son analyse sur la solidité de la revendication avait pour effet que la promesse du ministre Kent ne serait pas tenue. Les représentants de la Couronne n’ont fourni aucune explication. Une copie de notre lettre du 7 mai 2014 exprimant notre mécontentement en ce qui concerne l’approche de la Couronne envers la phase IV du processus de consultation figure aux pages 1 054 à 1 066 de la pièce H jointe à mon affidavit. [Non souligné dans l’original.]

[294]   L’expérience vécue par la Nation Gitxaala était semblable. Dans une lettre datée du 28 mars 2014, elle a été informée que le Canada reconnaissait que, à première vue, sa revendication visant [traduction] « un droit ancestral de pêche et de récolte de mollusques et d’autres ressources marines à des fins alimentaires, sociales et culturelles dans la région revendiquée comme partie du territoire traditionnel de la Nation Gitxaala » était solide.

[295]   Ensuite, selon les notes de la séance de consultation tenue dans le cadre de la phase IV qui a eu lieu le 3 avril 2014, la Nation Gitxaala a demandé, non pas une décision sur leurs droits, mais la divulgation de l’appréciation faite par le Canada quant à la solidité de leur revendication, car elle avait revendiqué des droits de gouvernance et des titres ancestraux, c’est-à-dire beaucoup plus que des droits de récolte. Brett Maracle a répondu que le Canada avait déjà franchi plusieurs échelons ministériels afin d’obtenir l’approbation de la déclaration concernant la solidité de la revendication qui figurait dans la correspondance du Canada. Jim Clarke a également dit qu’ils avaient exercé de fortes pressions afin d’obtenir cette divulgation.

[296]   Lorsqu’on lui a demandé si le Canada convenait que la Nation Gitxaala avait droit à des consultations approfondies, M. Maracle a répondu qu’il n’était pas autorisé à le dire. Lorsqu’on lui a demandé une fois de plus, il a répété que le Canada avait tenté de donner le plus de renseignements possible concernant les droits de la Nation Gitxaala et que les représentants du Canada avaient divulgué tous les renseignements qu’ils étaient autorisés à divulguer.

[297]   Le chef Moody a ensuite affirmé que, quelque part, il avait été conclu que leurs droits portaient sur la récolte de subsistance. En réponse à la question de savoir si la discussion serait limitée à cette conclusion quant à leurs droits, on lui a répondu : [traduction] « Non, mais c’est tout ce que nous sommes autorisés à divulguer. »

[298]   Une fois de plus, lors de la séance de consultation du 22 avril 2014 avec la Nation de Kitasoo, M. Maracle a dit que le Canada ne divulguerait pas les renseignements figurant dans son appréciation de la solidité de leur revendication. Aynslie Saely, d’Environnement Canada, a ensuite dit qu’ils étaient toujours en train de recevoir des renseignements qui leur permettraient de terminer l’évaluation des consultations approfondies. Lorsqu’on lui a demandé si le Canada ferait part de sa conclusion définitive et des renseignements sur lesquels il s’est fié pour apprécier la solidité de la revendication, Mme Saely a répondu que cette conclusion serait visée par la confidentialité des documents du Cabinet et que, par conséquent, elle ne pourrait pas être communiquée.

[299]   Trois jours plus tard, la transcription de la séance de consultation du 25 avril 2014 avec la Nation des Heiltsuk mentionne que Mme Saely d’environnement Canada a dit que le Canada disposait d’une appréciation de la solidité de la revendication, mais que ce n’était pas quelque chose qui pouvait être communiqué. La raison invoquée était que, étant donné que l’appréciation avait été faite par le ministère de la Justice, elle était protégée par le secret professionnel de l’avocat. Lorsque l’avocat de la Nation des Heiltsuk a dit que les opinions juridiques ne pouvaient pas être divulguées, mais que le résultat de l’appréciation pouvait être divulgué, Mme Saely a répondu que [traduction] « selon les directives que nous [avions] reçues, elle [était] visée par la confidentialité des documents du Cabinet ».

[300]   Nous n’acceptons pas que les privilèges dans cette affaire aient empêchés le Canada de divulguer des informations factuelles pertinentes au processus de consultation.

[301]   À la séance de consultation avec la Nation Gitxaala qui a eu lieu les 2, 3 et 4 avril 2014, en réponse aux questions concernant les incidences de déversements de pétrole sur la gouvernance et d’autres questions, les représentants du Canada ont affirmé ce qui suit : [traduction] « Les consultations tenues dans le cadre de la phase IV du processus de consultation nous permettent d’examiner attentivement les préoccupations de la Nation Gitxaala concernant les incidences défavorables que pourrait avoir le projet envisagé ». On a alors demandé si c’était la seule réponse que la Nation Gitxaala allait obtenir. M. Maracle a répondu ce qui suit : [traduction] « C’est la réponse qui est donnée, et une certaine partie de celle-ci figurera dans notre appréciation des incidences, laquelle nous ne pouvons pas divulguer. »

[302]   En contre-interrogatoire, Jim Clarke a confirmé ce qui suit : [traduction] « Le Canada n’a transmis à la Nation Gitxaala aucune appréciation détaillée sur les incidences et le Canada estime que la divulgation de tels renseignements ne fait normalement pas partie d’un processus d’évaluation environnementale. » Peut-être que la divulgation de ces renseignements ne fait pas partie d’un processus d’évaluation environnementale, mais la Cour suprême du Canada a conclu qu’il s’agissait d’un élément essentiel d’une véritable consultation.

[303]   Une fois de plus, en ce qui concerne cette question, nous renvoyons à l’affidavit du chef Ross :

[traduction]

106. À la rencontre de mars, nous avons demandé aux représentants de la Couronne de nous donner une liste des atteintes aux droits et titres ancestraux de la Nation des Haisla qui, selon la Couronne, découlaient du projet. M. Maracle a déclaré qu’il s’agissait de travaux en cours, mais qu’il tenterait de nous fournir ces renseignements le plus tôt possible. Toutefois, à la rencontre d’avril, M. Maracle a déclaré que ses superviseurs avaient interdit que l’on discute de l’appréciation faite par la Couronne quant aux atteintes. En fait, M. Maracle nous a dit que le Canada détenait un document qui faisait part de la solidité de la revendication de la Nation des Haisla, de la gravité des incidences du projet et de la consultation approfondie exigée, mais que les représentants de la Couronne n’avaient pas été autorisés à transmettre ces renseignements. Nous avons demandé à M. Maracle s’il savait pour quels motifs ses superviseurs lui avaient ordonné de ne pas fournir ces renseignements. M. Maracle a déclaré qu’il ne le savait pas. [Soulignement ajouté.]

[304]   Ce témoignage concorde avec les notes de la séance de consultation qui a eu lieu les 8 et 9 avril 2014, sauf qu’à cette séance M. Maracle a déclaré que la directive interdisant la divulgation émanait du ministre.

[305]   Nous sommes convaincus que ni la Nation Gitxaala ni la Nation des Haisla n’ont été particulièrement visées. Le gouvernement, au plus haut échelon, a ordonné que des renseignements primordiaux concernant l’appréciation de la consultation approfondie exigée (l’interprétation du Canada de la solidité de la revendication visant les droits revendiqués et l’incidence potentielle de ce droit) ne soient transmis à aucune Première Nation.

[306]   Nous constatons que le Canada ne fait pas valoir qu’il n’était pas obligé de les consulter sur les questions liées au titre ancestral et aux droits de gouvernance. Il soutient plutôt qu’il a pris des mesures d’accommodement raisonnables à l’égard des répercussions possibles mentionnées dans les allégations figurant dans les revendications du titre ancestral et des droits de gouvernance jusqu’au stade de l’élaboration du projet.

[307]   Cette démarche est similaire à la stratégie adoptée par le Canada pour communiquer ses appréciations de la solidité des revendications lors des rencontres de consultation à la phase IV. Selon le Canada, un dialogue sur le contenu et la portée de la revendication d’un droit précis n’était pas nécessaire, et il a tenté d’axer les rencontres sur l’atténuation et la minimisation des répercussions. Par exemple, à la rencontre du 3 avril, la Nation Gitxaala a demandé au Canada : [traduction] « Lorsque le Canada affirme qu’il considère les droits à première vue, que veut-il dire? Qu’il reconnaît que la Nation Gitxaala possède ces droits? » Brett Maracle, pour le Canada, a répondu : [traduction] « Non, cela veut dire qu’il examine si des mesures pourraient réduire ces répercussions ».

[308]   À notre avis, il n’était pas compatible avec l’obligation de consultation et l’obligation de négociation honorable que le Canada se contente d’affirmer que les répercussions du projet seraient atténuées sans d’abord discuter de la nature et de la portée des droits qui seraient touchés. Pour que les demandeurs/appelants Premières Nations puissent se consulter et évaluer les répercussions du projet sur leurs droits, un dialogue respectueux sur les droits revendiqués doit d’abord avoir eu lieu. Une fois que l’obligation de consulter est reconnue, une omission de consulter ne peut être justifiée en passant directement à l’étape des accommodements. Le fait de procéder ainsi est incompatible avec le principe de négociation honorable et de réconciliation.

[309]   Nous convenons avec le Canada que le processus de consultation ne constituait pas un forum adéquat pour la négociation sur des questions de titre et de gouvernance, similaires à d’autres droits revendiqués, les Premières Nations concernées avaient droit à un dialogue significatif sur la solidité de leur revendication. Elles avaient droit de connaitre les informations et positions du Canada concernant le contenu et la solidité de leur revendication afin de pouvoir et d’être en mesure de discuter avec le Canada des éléments en jeu dans les consultations, des sujets sur lesquels le Canada pouvait devoir accommoder et à quel point le Canada pouvait accommoder. Le défaut du Canada d’être honnête sur ce point, particulièrement à la lumière des commentaires initiaux faits par le ministre de l’environnement datée du 18 avril 2012 (discutés aux paragraphes 220 et 292 ci-haut) était légalement inacceptables. Le défaut du Canada a contrecarré le besoin de dialogue véritable que le devoir de consulter est censé favoriser.

[310]   Nous passons maintenant à l’examen du caractère suffisant des motifs du Canada.

[311]   Dans la présente affaire, le Canada était tenu en droit de motiver sa décision d’enjoindre à l’Office national de l’énergie de délivrer les certificats. La source de cette obligation comportait deux volets. Comme nous l’expliquons en détail plus loin, dans les présentes circonstances, lorsqu’une obligation de consultation approfondie existait, la Couronne était tenue de fournir des motifs. En outre, le paragraphe 54(2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie exige que le gouverneur en conseil donne à l’Office l’instruction de délivrer un certificat; le gouverneur en conseil « énonce, dans le décret, les motifs de celui-ci ».

[312]   Le Canada allègue que l’obligation de fournir des motifs a été respectée pour les raisons suivantes :

•           Ni la Loi sur l’Office national de l’énergie ni la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) n’exigent que le gouverneur en conseil traite expressément du caractère adéquat des consultations dans le décret ou fournisse les motifs s’y rapportant;

•           Dans la mesure où le respect de l’obligation de consulter exigeait que des motifs soient fournis relativement à l’appréciation du Canada concernant les préoccupations exprimées par les Autochtones et les répercussions de celles-ci, les lettres de juin et de juillet traitaient des renseignements ainsi que des questions soulevées dans le cadre du processus de consultation jusqu’au stade de la décision du gouverneur en conseil;

•           [traduction] « Ajoutées aux autres aspects du dossier et au long processus de consultation en l’espèce qui s’est étendu sur plusieurs années, les lettres de juin et de juillet satisfont amplement à cet objectif »;

•           Lu conjointement avec les conclusions et les recommandations contenues dans le rapport de la Commission d’examen conjoint, le décret permet aux parties et à la Cour de comprendre la décision et d’établir si elle appartient aux issues possibles acceptables.

[313]   Nous souscrivons à l’observation du procureur général selon laquelle le décret nous permet de comprendre que le gouverneur en conseil a pris sa décision en se fondant sur le fait qu’il avait accepté la conclusion du rapport de la Commission d’examen conjoint portant que le projet sera requis, étant donné le caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, et que le projet permettra de diversifier les marchés d’exportation d’énergie du Canada et contribuera à la prospérité économique à long terme du pays. Cela était suffisant pour satisfaire à l’exigence prévue dans la loi de fournir des motifs, dans la mesure où les questions étaient visées par le processus de la Commission d’examen conjoint. Cependant, en ce qui concerne l’obligation indépendante de consulter, les motifs étaient nettement insuffisants.

[314]   Le Canada a choisi dans cette instance de ne pas contester, mais de déterminer à première vue, les revendications du titre ancestral et des droits autochtones. Dans certains cas, il a expressément reconnu l’existence d’une preuve solide à première vue à l’égard d’une revendication. Par exemple, il a reconnu que la Nation des Heiltsuk avait un droit de pêche commerciale des œufs de hareng sur varech, comme l’avait fait la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723. Compte tenu de ce qui précède, de l’importance pour les groupes autochtones des droits revendiqués et de l’ampleur des atteintes possibles à ces droits, il s’agit d’une situation où les consultations approfondies exigeaient des explications écrites, semblables à celles décrites plus bas, montrant que les préoccupations des groupes autochtones avaient été prises en compte et précisant quelle avait été l’incidence de ces préoccupations sur la décision du gouverneur en conseil : Nation haïda, au paragraphe 44.

[315]   Nous souscrivons aux arguments des avocats de la Nation de Kitasoo et de la Nation des Heiltsuk selon lesquelles, lorsque, comme en l’espèce, la Couronne doit s’assurer d’équilibrer de multiples intérêts, une garantie obligeant la Couronne à faire état des incidences liées aux préoccupations des Autochtones sur la prise de décisions gagne en importance. En l’absence de cette garantie, d’autres questions peuvent éclipser ou supplanter celle des incidences sur les droits autochtones.

[316]   L’obligation de fournir des motifs n’est pas non plus satisfaite au moyen du rapport de la Commission d’examen conjoint ou des lettres de juin et de juillet.

[317]   Dans son rapport, la Commission d’examen conjoint n’a pris aucune décision concernant le titre ancestral ou les droits autochtones et n’a donné aucune explication sur la façon dont ces droits non appréciés avaient influé, le cas échéant, sur sa décision voulant que le projet n’aurait pas d’incidence négative sur les intérêts des groupes autochtones qui font usage des terres, des eaux ou des ressources dans la région visée par le projet. Ainsi, le rapport de la Commission d’examen conjoint, qui constitue seulement un document d’orientation en vertu de ce régime législatif, n’a pas pu apporter d’éclaircissement sur l’évaluation du Canada concernant les incidences du projet sur le titre et les droits revendiqués.

[318]   De la même manière, comme le procureur général l’a bien reconnu, les lettres de juin et de juillet ne répondent aux questions que jusqu’au stade de la décision du gouverneur général. En outre, nous avons traité des lacunes de ces lettres lors du processus de consultation. Les contenus des lettres sont insuffisants pour montrer que le gouverneur en conseil a bien examiné les droits revendiqués et pour expliquer comment l’appréciation de ces droits a été prise en compte dans sa décision d’approuver le projet.

[319]   Le reste du dossier susceptible d’apporter des éclaircissements sur la question, c.-à-d. les recommandations du personnel découlant de la phase IV du processus de consultation, la recommandation ministérielle au gouverneur en conseil et les renseignements qu’il possédait au moment de prendre sa décision, sont tous assujettis au secret du Cabinet, selon le Canada, en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, et ne font donc pas partie du dossier. Le Canada n’était même pas prêt à fournir un sommaire général des types de recommandations et renseignements remis au gouverneur en conseil. Le Canada n’était pas prêt à communiquer même un résumé général des types de recommandations et informations communiqués au gouverneur en conseil.

[320]   Finalement et chose plus importante, nous constatons que le décret ne contient qu’un seul considérant sur le devoir de consulter. Il confirme uniquement que le processus de consultation a été mené, sans plus [à la page 1645] :

Attendu que la Couronne a entrepris un processus de consultation et d’accommodement auprès des groupes autochtones en se fondant sur les travaux de la Commission et sur des consultations supplémentaires auprès des groupes autochtones;

[321]   Le gouverneur en conseil ne mentionne pas dans le décret si le Canada a respecté son devoir de consultation. Ceci soulève une sérieuse question à savoir si le gouverneur en conseil a effectivement analysé cette question et s’il a effectivement conclut qu’il était satisfait que le Canada avait respecté son devoir de consulter. Toutes les parties ont reconnu que le gouverneur en conseil devait considérer et être satisfait sur cette question du devoir de consulter avant de prendre le décret.

[322]   De la même façon, le décret ne suggère pas que le gouverneur en conseil a reçu des informations relatives à la consultation et qu’il les a pris en considération.

[323]   Il n’y a rien dans la preuve devant nous pour nous aider sur ces questions. Il s’agit d’un écart troublant et inacceptable.

[324]   Si la consultation de la phase IV avait été adéquate, si les motifs donnés par les fonctionnaires du Canada durant le processus de consultations avaient été adéquate et si le décret faisait référence et adoptait ce processus ainsi que les motifs donnés pendant sa tenue, même de façon générique, les exigences des motifs auraient pu être rencontrées. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Ici également, le Canada a échoué.

5)         Conclusion

[325]   Nous avons appliqué la jurisprudence de la Cour suprême sur le devoir de consulter aux faits incontestés de cette affaire. Nous concluons que le Canada n’a offert qu’une occasion brève, précipitée et inadéquate dans le cadre de la phase IV — une partie essentielle du processus de consultation du Canada — pour échanger des renseignements et en discuter. Les faiblesses — plus qu’une simple poignée et plus que de simples imperfections — ont laisser des sujets entiers liés à des questions centrales aux Première Nations concernés, des sujets affectant leur moyens de subsistance et de bien-être parfois totalement ignorés. Plusieurs impacts du projet, quelques uns identifiés dans le rapport de la Commission d’examen conjoint, d’autres non, n’ont pas été divulgués, discutés et considérés. Il aurait suffi de peu de temps et de peu d’efforts d’organisation pour le Canada afin d’entamer un dialogue véritable sur ces sujets de première importance pour les peuples autochtones. Mais cela ne s’est pas produit.

[326]   Le projet est important et est en préparation depuis plusieurs années. Mais l’importance de ce projet signifie également que ses conséquences sont également importantes. Ici, louablement, plusieurs des conséquences potentiellement préjudiciables ont été éliminées ou mitigées à la suite de la conception du projet par Northern Gateway, les engagements volontaires qu’elle a faits et les 209 conditions imposées pour le projet. Mais, au moment de la phase IV des consultations, des préoccupations légitimes et sérieuses sur les conséquences du projet sur les intérêts des Premières Nations concernées demeuraient. Certaines de ces préoccupations ont été considérées par la Commission d’examen conjoint mais plusieurs ne le furent pas, considérant le mandat de cette commission. La phase IV de consultations après le rapport de la Commission d’examen conjoint devait donner une opportunité pour un dialogue sur le rapport et afin de combler les lacunes.

[327]   Cependant, la phase IV de consultations n’a pas suffisamment permis de discussions ni de combler les lacunes. Afin de se conformer à la loi, les fonctionnaires du Canada devaient être habilités à pouvoir discuter sur tous les sujets d’intérêt véritable pour les Premières Nations concernées, à échanger des informations librement et sincèrement, de donner des explications et de compléter leur tâche à un niveau de satisfaction raisonnable. Les recommandations, incluant toute nouvelle proposition de condition, devait être formulée et partagée avec Northern Gateway pour discussion. Et, finalement, ces recommandations et, toute information nécessaire devaient être soumises pour considération au gouverneur en conseil. Il n’a pas été démontré que ces étapes ont eu lieu.

[328]   Selon nous, ce problème aurait pu être réglé si le gouverneur en conseil avait octroyé une courte prolongation de délai afin de permettre à ces étapes d’être accomplies. Mais en réponse aux demandes des Premières Nations concernées, ce fut le silence. De ce que l’on peut constater selon le dossier est que ces demandes n’ont jamais été transmises au gouverneur en conseil, voire même prises en considération.

[329]   Basé sur le dossier, nous croyons qu’une prolongation de délai d’environ quatre mois — juste une fraction du temps passée depuis que le projet a initialement été proposé, aurait pu suffire. Une consultation à un niveau de satisfaction raisonnable aurait pu réduire davantage certaines des conséquences négatives du projet identifiées par la Commission d’examen conjoint. Ceci aurait également favorisé la promotion des buts d’une importance constitutionnelle que la Cour suprême a identifiée quant au devoir de consulter — le traitement honorable des peuples autochtones et la réconciliation du Canada avec eux.

[330]   À la fin de la phase IV du processus de consultation se trouve le gouverneur en conseil. Comme nous l’avons expliqué aux paragraphes 159 à 168 ci-haut, en vertu de ce régime législatif, la responsabilité ultime de déterminer si le devoir de consulter a été respecté et si des actions sont nécessaires en réponse à cette consultation appartient uniquement au gouverneur en conseil. En droit, le gouverneur en conseil devait recevoir et évaluer toute nouvelle information ou nouvelle recommandations résultant des préoccupations exprimées par les peuples autochtones durant la consultation et, si nécessaire ou approprié, réagir, par exemple en imposant des conditions additionnelles pour tout certificat qu’il était prêt à délivrer.

[331]   Est-ce que le gouverneur en conseil a respecté cette obligation légale? Dans son décret, le gouverneur en conseil a décidé de reconnaître seulement l’existence de consultations par d’autres durant le processus. Il n’a pas mentionné, malgré l’obligation de donner des motifs conformément à l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie et au devoir de consulter. Le Gouverneur en conseil devait donner des motifs afin de démontrer qu’il a respecté ses obligations légales. Il ne l’a pas fait.

[332]   Globalement, en gardant à l’esprit que seulement une exécution raisonnable du devoir de consulter est requise, nous concluons que dans la phase IV du processus de consultation — incluant l’exécution par le gouverneur en conseil de son rôle à la fin de la phase IV — le Canada a échoué.

G.        La réparation

[333]   Pour les motifs exposés ci-dessus, le décret doit être annulé. Le décret enjoignait à l’Office national de l’énergie de délivrer les certificats. Maintenant que le fondement des certificats est entaché de nullité, les certificats sont aussi frappés de nullité et doivent être annulés. L’affaire est renvoyée au gouverneur en conseil pour réexamen.

[334]   Lors de ce réexamen, le gouverneur en conseil peut rendre une nouvelle décision — l’une des trois options établies au paragraphe 113 ci-dessus, notamment l’élaboration de conditions additionnelles discutées aux paragraphes 159 à 168 ci-dessus — compte tenu des renseignements et des recommandations dont il a été saisi, en fonction de ses points de vue actuels à l’égard des politiques générales, des intérêts publics et d’autres considérations qui ont une incidence sur le dossier. Par exemple, si, lorsqu’il examine l’affaire à nouveau, le gouverneur en conseil est d’avis que les recommandations environnementales ne sont pas satisfaisantes parce que l’évaluation environnementale aurait dû être effectuée différemment, il peut exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui incombe en vertu de l’article 53 afin que l’Office national de l’énergie réexamine l’affaire.

[335]   Cependant, si le gouverneur en conseil décide lors de ce réexamen de délivrer des certificats pour le projet, il ne peut rendre cette décision qu’après que le Canada s’acquitte de son obligation de consulter les peuples autochtones, en particulier, au minimum, seulement une fois que le Canada a exécuté à nouveau la phase IV du processus de consultation, une étape qui, si elle est bien organisée et bien exécutée, ne devrait pas durer longtemps.

[336]   À la suite de cette consultation, le Canada pourrait obtenir de nouveaux renseignements ayant une incidence sur l’évaluation par le gouvernement en conseil de la question de savoir si le Canada s’est acquitté de son obligation de consulter. Cela pourrait mener le Canada à tenir compte des préoccupations des Autochtones en recommandant que des conditions additionnelles soient ajoutées au projet. Cela aurait aussi une incidence sur la pondération des facteurs en vertu de l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Ainsi, tout nouveau renseignement ainsi que les nouvelles recommandations doivent être présentés au gouverneur en conseil.

[337]   Il va sans dire que, par souci d’équité procédurale, toutes les parties visées doivent avoir l’occasion de formuler des commentaires à l’égard de toutes les nouvelles recommandations que le ministre coordonnateur propose de présenter au gouverneur en conseil.

[338]   De ce fait, le gouverneur en conseil se trouve dans la même situation où il se trouvait immédiatement avant d’avoir pris pour la première fois le décret. Il possède aujourd’hui tous les pouvoirs dont il disposait auparavant.

[339]   Cela signifie que lors du réexamen, le gouverneur en conseil disposera de trois options, résumées au paragraphe 113 ci-dessus, en plus du pouvoir discrétionnaire tel qu’expliqués aux paragraphes 159 à 168 ci-dessus d’imposer d’autres conditions relativement à tout certificat dont il ordonne la délivrance, reflétant le besoin de s’acquitter de l’obligation de consulter afin d’accommoder les préoccupations des peuples autochtones.

[340]   Cela signifie également que, sur réception de nouveaux renseignements ou de toute nouvelle recommandation, le gouverneur en conseil est assujetti à des délais de rigueur pour rendre sa décision conformément au paragraphe 54(3) de la Loi.

[341]   Enfin, nous notons que le gouverneur en conseil doit motiver sa décision afin de s’acquitter des obligations qui lui incombent conformément au paragraphe 54(2) ainsi que de l’obligation de consulter.

H.        Le dispositif proposé

[342]   Pour les motifs qui précèdent, nous rejetterions les demandes de contrôle judiciaire du rapport de la Commission d’examen conjoint dans les dossiers A-59-14, A-56-14, A-64-14, A-63-14 et A-67-14.

[343]   Nous sommes également d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire du décret, C.P. 2014-809 dans les dossiers A-437-14, A-443-14, A-440-14, A-445-14, A-446-14, A-447-14, A-448-14, A-439-14 et A-442-14 et d’invalider le décret. Nous sommes également d’avis d’accueillir les appels dans les dossiers A-514-14, A-520-14, A-522-14, et A-517-14 et d’invalider les certificats OC-060 et OC-061 de l’Office national de l’énergie.

[344]   Nous ordonnerions également que :

a)         L’affaire soit renvoyée au gouverneur en conseil pour nouvel examen;

b)         Le gouverneur en conseil peut, à son gré, recevoir de nouvelles observations au dossier actuel et, dans le délai prévu au paragraphe 54(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, qui est calculé à compter de la date de clôture des observations, examiner de nouveau l’affaire, la rejetant en vertu de l’alinéa 54(1)b) de la Loi sur l’Office national de l’énergie ;

c)         Si le gouverneur en conseil ne se prévaut pas de l’option énoncée à l’alinéa b), ou s’il s’en prévaut sans voir alors au rejet de l’affaire, ladite affaire restera en instance ; dans ce cas, la phase IV des consultations devra être recommencée promptement et être accompagnée de toute autre consultation nécessaire pour respecter l’obligation de consulter les peuples autochtones, conformément aux motifs rendus simultanément ;

d)         Lorsque le procureur général du Canada est d’avis que l’obligation mentionnée à l’alinéa c) et les obligations en matière d’équité procédurale sont respectées, il doit faire en sorte que l’affaire, de même que toute nouvelle recommandation et tout nouveau renseignement pertinent, soit soumise le plus tôt possible devant le gouverneur en conseil pour que ce dernier rende une nouvelle décision ;

e)         Le gouverneur en conseil doit alors statuer à nouveau sur l’affaire, conformément aux motifs rendus simultanément dans le délai prévu au paragraphe 54(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, à compter du moment où l’affaire lui a été soumise pour réexamen, de même que toute nouvelle recommandation et tout nouveau renseignement pertinent.

[345]   Si les parties ne peuvent s’entendre sur les dépens, nous les invitons à nous soumettre des observations d’au plus cinq pages.

[346]   Nous remercions les parties de l’aide précieuse qu’elles ont fourni à la Cour au fil de l’instance.

***

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[347]   Le juge Ryer, J.C.A. (dissident) : J’ai lu les motifs exhaustifs des juges majoritaires (les motifs des juges majoritaires) et j’y souscris en grande partie. En particulier, je conviens que le décret est inattaquable d’un point de vue du droit administratif. Cependant, avec égards, je ne souscris pas à la conclusion selon laquelle le décret devrait être annulé du fait que la Couronne ne s’est pas acquittée de son obligation de consultation, parce qu’elle n’a pas conduit de manière adéquate la phase IV de la consultation. Selon moi, dans le contexte du processus global d’approbation du projet, l’exécution de la phase IV de la consultation était adéquate, et je rejetterais l’appel avec dépens.

[348]   Dans la rédaction des présents motifs, j’ai repris tous les termes définis contenus dans les motifs des juges majoritaires, sauf lorsqu’il en est mentionné autrement.

[349]   À titre de point de départ, je suis d’avis que les seuls droits ancestraux que le projet met en jeu sont ceux revendiqués par chacune des Premières Nations relativement à l’usage des territoires et cours d’eau que le projet traversera et au droit d’en tirer un avantage. En outre, le projet peut mettre en jeu le droit établi de la Nation des Heiltsuk d’utiliser une partie des eaux extracôtières pour des activités commerciales de pêche d’œufs de hareng sur varech. Dans les présents motifs, je désigne chacun de ces droits ancestraux revendiqués ou établis qui sont en jeu comme étant un « droit d’usage ».

[350]   Je rejette toute affirmation selon laquelle la construction et l’exploitation du projet pourraient avoir une incidence sur les droits à l’autonomie gouvernementale ou sur les titres ancestraux revendiqués. Ces droits sont de nature purement juridique; ils ne pourraient pas être atteints ou éteints par des activités entreprises dans le contexte du projet. Une mesure qui a pour effet de stériliser les terres situées à proximité du tracé du projet occasionnerait, sans aucun doute, un préjudice à la capacité de la Première Nation de tirer profit de la flore et de la faune qui se seraient sinon autrement trouvés sur le territoire stérilisé. Cependant, les mesures de stérilisation n’auraient aucune incidence sur la capacité de la Première Nation d’établir, à une date ultérieure, son droit au titre autochtone à l’égard des territoires, ou tout droit à l’autonomie gouvernementale qui pourrait se rapporter aux territoires à l’égard desquels une Première Nation dispose d’un intérêt.

[351]   Les motifs des juges majoritaires contiennent une description détaillée de l’historique, de l’ampleur et de la portée du projet, et il est inutile de la répéter. Il suffit de mentionner que le projet est une entreprise colossale, dont le coût estimatif est supérieur à 7,9 milliards de dollars. Le projet recueille aussi l’appui de la majorité des Premières Nations concernées, et 26 d’entre elles ont accepté l’offre de la proposante du projet d’acquérir une participation dans celui-ci. Il est important, dans l’appréciation du caractère adéquat de l’exécution de la phase IV des consultations, de les replacer dans le contexte de la durée, de l’ampleur et de la portée du projet.

[352]   Les motifs des juges majoritaires décrivent un certain nombre d’imperfections alléguées dans l’exécution, par la Couronne, de la phase IV des consultations et les juges y concluent que ces imperfections établissent le défaut de la Couronne de s’acquitter de son obligation de consultation. Cependant, comme il a été reconnu dans les motifs des juges majoritaires, la norme à laquelle la Couronne devait satisfaire est celle du caractère adéquat, et non celle de la perfection (Nation haïda, aux paragraphes 60 à 63).

[353]   Les imperfections alléguées sont essentiellement les suivantes :

a)         les échéanciers de la phase IV des consultations étaient trop courts;

b)         le rapport de consultation de la Couronne contenait des inexactitudes dans sa description des préoccupations des Premières Nations, de sorte que le gouverneur en Conseil ne disposait pas de renseignements suffisants pour rendre sa décision;

c)         le dialogue qui a eu lieu lors de la phase IV des consultations n’était pas significatif;

d)         la Couronne n’a pas communiqué ses renseignements au sujet de la solidité de la revendication.

[354]   Avec égards, même si l’on tient pour acquis que ces imperfections ont été établies, je suis d’avis que, dans le contexte d’un projet aussi large et complexe qui a pris plus de 18 ans avant de se rendre au stade actuel, les imperfections dans leur ensemble ne suffisent pas à rendre inadéquate la phase IV des consultations.

[355]   Je souhaite traiter brièvement de chacune des quatre imperfections alléguées. Tout d’abord, les échéanciers relativement à la phase IV des consultations étaient imposés par la loi. Les motifs des juges majoritaires critiquent la Couronne parce qu’elle a omis de demander une prorogation au gouverneur en conseil, mais la Couronne n’avait pas l’obligation de présenter une telle demande. De plus, aucune demande de contrôle judiciaire n’a été présentée pour contester le défaut allégué de la Couronne de demander une prorogation des délais prévus par la loi. Les motifs des juges majoritaires présentent le point de vue qu’une courte prolongation de délai — d’environ quatre mois — aurait été suffisante afin de permettre qu’un dialogue adéquat puisse prendre place et afin de limiter les lacunes au niveau des informations. Avec respect, ce point de vue est spéculatif.

[356]   Deuxièmement, en raison de la demande de confidentialité des délibérations du Cabinet fondée sur l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, la Cour n’a pas connaissance de la totalité des documents dont disposait le gouverneur en conseil lorsque ce dernier a pris sa décision. Par conséquent, avec égards, la Cour est dans l’impossibilité d’effectuer une appréciation du caractère adéquat des documents dont disposait le gouverneur en conseil lorsque ce dernier a pris sa décision. Quoi qu’il en soit, il semble que les résumés de la Couronne contenus dans le Rapport de consultation de la Couronne, résumés qui contenaient les inexactitudes alléguées, n’étaient pas les seuls documents dont disposait le gouverneur en conseil. De telles inexactitudes auraient été évidentes suivant un examen du rapport ainsi que des lettres des Premières Nations qui étaient jointes au Rapport de consultation de la Couronne, qui sont tous deux présumés avoir été examinés par le gouverneur en conseil. Par conséquent, je suis d’avis que toute inexactitude dans le Rapport de consultation de la Couronne ne suffit pas à rendre inadéquate la phase IV des consultations tenues par la Couronne.

[357]   Troisièmement, les motifs des juges majoritaires semblent conclure que la Couronne ne s’est pas engagée dans un dialogue significatif, parce que certaines Premières Nations avaient énoncé qu’elles avaient besoin de renseignements supplémentaires au sujet des incidences du projet, et les lettres envoyées par la Couronne à la suite de la phase IV des consultations répondaient à la question des mesures d’accommodement, mais non aux préoccupations des Premières Nations au sujet de la consultation. Avec égards, je suis d’avis que les renseignements demandés se rapportaient en général à des questions qui avaient été examinées par la Commission d’examen conjoint ou, dans certains cas, à des questions qui n’avaient jamais été soumises à la Commission d’examen conjoint, mais qui auraient dû l’être. Le fait de soulever ces imperfections de la phase IV des consultations constituait une contestation du rapport devant une instance qui n’était ni conçue ni outillée pour trancher cette question sur le fond. Effectivement, ces Premières Nations ont contesté le caractère adéquat du rapport dans le présent appel, sans succès. En outre, je suis d’avis que mettre l’accent sur les mesures d’accommodement dans les lettres est conforme à l’objet de la phase IV, soit de se pencher sur l’efficacité des « mesures d’atténuation » mises de l’avant par la Commission d’examen conjoint (cadre de consultations des Autochtones, à la page 8). De plus, on peut remettre en question l’utilité pratique de s’engager dans un dialogue continu à l’égard d’une préoccupation ayant fait l’objet de mesures d’accommodement.

[358]   Ultimement, je suis d’avis que la Couronne n’a pas commis d’erreur en omettant de communiquer les résultats de ses analyses de la solidité de la revendication. Il m’apparaît incongru de stipuler que le processus de consultations « ne constituait pas un forum adéquat pour la négociation sur des questions de titre et de gouvernance » (motifs des juges majoritaires, au paragraphe 309) et de conclure ensuite que « [l]’attitude [de la Couronne] envers la communication de renseignements » concernant le résultat de son analyse de la solidité des revendications des Premières Nations à l’égard de tels droits revendiqués était « déconcertante » (motifs des juges majoritaires, au paragraphe 288). Cela est d’autant plus vrai à la lumière de la conclusion selon laquelle la Couronne n’était pas tenue en droit de communiquer le résultat de son analyse portant sur la solidité de la revendication de chaque Première Nation en ce qui a trait aux droits revendiqués (motifs des juges majoritaires, au paragraphe 224). Dans la mesure où les questions ayant trait aux droits à l’autonomie gouvernementale et au titre ancestral sont en litige entre la Couronne et l’une ou l’autre des Premières Nations demanderesses/appelantes, ces questions devraient être soulevées dans une autre instance, puisqu’elles ne sont pas, à mon avis, réellement mises en jeu par le processus d’approbation du projet. Je conviens que la Couronne n’avait pas l’obligation de communiquer le résultat de ses analyses portant sur la solidité de la revendication et que, par conséquent, je suis d’avis que ce défaut allégué n’établit pas le caractère inadéquat de la phase IV des consultations de la Couronne.

[359]   Selon moi, la participation de la Couronne à la phase IV des consultations était suffisante pour préserver l’honneur de la Couronne, surtout dans un processus rattaché à un projet de cette durée, de cette ampleur et de cette portée. Pour conclure, je suis d’avis que les imperfections alléguées dans l’exécution de la phase IV des consultations qui sont énoncées dans les motifs des juges majoritaires sont insuffisantes pour démontrer que les consultations de la Couronne étaient inadéquates.

[360]   Les motifs des juges majoritaires concluent aussi que les motifs du gouverneur en conseil étaient inadéquats. Je suis d’avis que les motifs du gouverneur en conseil ne contiennent aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour. La Couronne avait l’obligation, dans le cadre du processus d’approbation du projet, de s’acquitter de son obligation de consultation. Il s’ensuit que c’est à cette dernière, et non au gouverneur en conseil, qu’il incombe d’expliquer en quoi elle s’était acquittée de cette obligation. Les motifs des juges majoritaires (au paragraphe 331) semblent trouver discutable la référence du gouverneur en conseil dans le décret à des « consultations par d’autres ». Je ne considère pas cela comme une critique valide puisque, au moins implicitement, cela crée une obligation pour le gouverneur en conseil d’engager directement la Nation Haida dans des consultations quant au projet, plutôt que de simplement déterminé le caractère adéquat des consultations qui ont été menées par la Couronne.

[361]   Selon moi, les motifs donnés par la Couronne pour conclure qu’elle s’était acquittée de son obligation de consultation sont tout à fait clairs :

•           un vaste processus de consultation a été créé, documenté et mis en œuvre par l’intermédiaire du cadre de consultations des Autochtones, de la commission d’examen conjoint, du processus d’approbation du projet et de la phase IV des consultations;

•           toutes les Premières Nations demanderesses/appelantes étaient encouragées à participer au processus et elles ont reçu, ou avaient droit de recevoir, du financement à l’égard de leur participation;

•           la Couronne a reconnu les possibles répercussions du projet sur les droits d’usage;

•           les 209 conditions contenues dans le rapport accommodaient nombre des préoccupations des Premières Nations.

[362]   Selon moi, le rapport, les réunions de la phase IV des consultations, le rapport de consultation de la Couronne et les lettres que la Couronne a envoyées aux Premières Nations qui participaient à la phase IV des consultations démontraient de manière adéquate le raisonnement de la Couronne. La Couronne n’avait pas à donner une explication plus précise. En outre, je suis d’avis que le gouverneur en conseil n’avait pas l’obligation de répéter l’exercice de communication de motifs.

[363]   Selon moi, il semble, d’après le décret, que le gouverneur en conseil a conclu que la Couronne s’était acquittée de son obligation de consultation et qu’elle avait ainsi satisfait à la condition préalable à l’exercice de son pouvoir de prendre un décret. Avec égards, j’ai de la difficulté à souscrire à la thèse selon laquelle, malgré le caractère bref du renvoi aux consultations de la Couronne dans le décret, il existe quelque doute quant au fait que le gouverneur en conseil a tenu compte de la question importante de savoir si la Couronne s’était acquittée ou non de son obligation de consultation. Comme il a été discuté ci-dessus, le gouverneur en conseil disposait à tout le moins du rapport et du rapport de consultation de la Couronne, deux documents qui répondaient clairement à cette question et que le gouverneur en conseil est présumé avoir examiné. Pour les motifs que j’ai énoncés précédemment, je conclus que la Couronne s’était acquittée de son obligation de consultation dans les circonstances et que le gouverneur en conseil avait raison de reconnaître une telle chose. Puisqu’on n’a démontré l’existence d’aucun autre défaut, le décret devrait être considéré comme étant valide.

[364]   Pour les motifs susmentionnés, je rejetterais les demandes et les appels, avec dépens.

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