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[1996] 3 C.F. 493

T-2523-95

Fila Canada Inc. (demanderesse)

c.

Mme et M. Untel et les autres personnes, dont les noms sont inconnus, qui offrent en vente, vendent, importent, fabriquent, distribuent, annoncent ou font le commerce de marchandises Fila non autorisées ou contrefaites, ainsi que les personnes énumérées à l’annexe « A » de la déclaration (défendeurs)

Répertorié : Fila Canada Inc. c. Untel (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Toronto, 4, 19 décembre 1995 et 19 mars 1996; Ottawa, 29 mai 1996.

Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Ordonnances Anton Piller Requête ex parte en vue d’obtenir une ordonnance Anton Piller renouvelable contre des défendeurs inconnus portant censément atteinte aux droits de propriété intellectuelle de la demanderesseOrdonnance accordée moyennant certaines conditionsLes pièces à l’appui doivent être déposées deux jours francs avant l’auditionIl n’y a aucune raison que l’instance se déroule à huis clos lorsque l’identité des défendeurs est inconnueLes droits qu’invoque le requérant doivent être définis clairementUn avocat doit assister à l’exécution de l’ordonnance Anton PillerDirectives concernant les requêtes en révision d’une exécutionÉlaboration d’ordonnances types recommandée.

Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Requête visant l’obtention d’une ordonnance Anton Piller contre des défendeurs inconnus qui violeraient les droits de propriété intellectuelle de la demanderesseL’art. 8 de la Charte garantit le droit d’être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusivesOn peut soutenir qu’il vise aussi les perquisitions et les saisies civiles autorisées aux termes d’une ordonnance Anton PillerUne perquisition ou une saisie est abusive si elle a été faite en vertu d’une ordonnance invalide, d’une ordonnance rédigée en des termes trop larges ou encore d’une ordonnance exécutée déraisonnablementDirectives concernant la pratique en matière d’octroi et d’exécution des ordonnances Anton Piller.

Il s’agissait d’une requête ex parte en vue de la tenue d’une audience à huis clos afin d’obtenir une ordonnance Anton Piller renouvelable. Les parties défenderesses inconnues avaient censément porté atteinte aux droits de propriété intellectuelle de la demanderesse en des lieux différents, à des moments différents et dans des circonstances différentes.

Jugement : L’ordonnance doit être accordée à certaines conditions et sous réserve du droit de la Cour de la modifier ou de l’annuler en tout temps de son propre chef.

On peut soutenir que l’article 8 de la Charte (qui garantit le droit d’être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives) vise aussi les perquisitions et les saisies civiles autorisées aux termes d’une ordonnance Anton Piller. Une perquisition ou une saisie est abusive si elle a été faite en vertu d’une ordonnance invalide, d’une ordonnance rédigée en des termes trop larges ou encore d’une ordonnance exécutée déraisonnablement.

Il convient d’adopter la pratique ci-après exposée en ce qui concerne la présentation des requêtes en ordonnances Anton Piller et l’exécution de celles-ci. Les pièces à l’appui d’une requête visant l’obtention d’une telle ordonnance doivent être déposées au moins deux jours francs avant l’audition. Il n’y a aucune raison que l’instance se déroule à huis clos lorsque l’identité des défendeurs n’est pas même connue au moment de l’audience. Le tribunal doit être convaincu que le requérant a établi l’existence d’un commencement de preuve très solide avant d’accorder une ordonnance Anton Piller. Les droits d’auteur ou les droits afférents à des marques de commerce qui sont invoqués doivent être définis clairement, par exemple par la production des documents d’enregistrement pertinents ou de photocopies des dessins pertinents. Les droits du requérant à l’égard de la propriété intellectuelle que l’on veut protéger doivent aussi être démontrés clairement. Comme il s’agit d’une requête ex parte, l’avocat du requérant a envers la Cour le devoir d’attirer explicitement l’attention de celle-ci sur toute faiblesse de ces droits dont il pourrait avoir connaissance. Le juge doit être convaincu du bien-fondé de la crainte du requérant, savoir que si les marchandises contrefaites ne sont pas saisies, elles ne pourront être produites en preuve lors de l’instruction. Un avocat devrait assister à l’exécution de ces ordonnances et les superviser pour veiller à ce que les limites des ordonnances ne soient pas dépassées et être en mesure de donner à la Cour une description exacte et complète de ce qui s’est produit. La pratique, suivie au Royaume-Uni, d’avoir des agents Anton Piller autorisés, indépendants de la partie demanderesse, qui assistent à l’exécution de ces ordonnances et les supervisent, est peut-être digne d’être implantée.

L’ordonnance Anton Piller peut être annulée en tout temps pour cause d’exécution irrégulière ou autre vice. La requête en révision d’une exécution devrait conclure à ce que les défendeurs inconnus contre qui l’ordonnance a été exécutée le plus récemment soient ajoutés à la déclaration à titre de défendeurs désignés. La requête concernant les parties défenderesses nouvellement identifiées renfermera normalement une demande d’injonction interlocutoire contre eux, ainsi qu’une demande d’ordonnance relative à la rétention continue des marchandises et du matériel saisis jusqu’à l’instruction. Il ne convient pas de solliciter la remise des biens à la partie demanderesse avant l’obtention d’un jugement par défaut. Lorsque l’ordonnance est exécutée contre un défendeur désigné qui fait déjà l’objet d’une injonction interlocutoire, la requête devrait solliciter une ordonnance de se justifier alléguant l’outrage au tribunal. La requête en révision de l’exécution de l’ordonnance doit être appuyée par un rapport complet de l’avocat superviseur sur l’exécution, comprenant notamment une liste des cas où l’identité de la partie défenderesse n’a pas été établie, une description de l’ensemble des biens, du matériel et des registres saisis, une indication de la date à laquelle ils ont été saisis ainsi que la mention du nom de la personne de qui ils ont été saisis. Souvent, des photographies constitueront la façon la plus efficace et efficiente de fournir ces renseignements.

Des questions fondamentales demeurent sans réponse en matière d’ordonnances Anton Piller. L’éclairage de la Cour d’appel serait utile mais, de par leur nature, ces ordonnances donnent rarement lieu à des appels. L’élaboration d’ordonnances types servirait les intérêts des demandeurs et de la Cour.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 469(2), 470(2).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS CITÉES :

Société pour l’Avancement des droits en audiovisuel (SADA) Ltée c. Collège Édouard-Montpetit, [1981] 2 C.F. 307 (1980), 58 C.P.R. (2d) 119; 39 N.R. 508 (C.A.); Anton Piller KG v. Manufacturing Processes Ltd., [1976] Ch. 55 (C.A.); Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Nintendo of America, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189 (1982), 69 C.P.R. (2d) 122 (C.A.).

DOCTRINE

Rock, Allan M. « The « Anton Piller » Order : An Examination of its Nature, Development and Present Position in Canada » (1984-85), 5 Advocates’ Q. 191.

Takach, George. « Exploring the Outer Limits : The Anton Piller Order in Canada » (1985), 23 Alta. L. Rev. 310.

REQUÊTE en vue d’obtenir une injonction Anton Piller renouvelable. Ordonnance accordée à certaines conditions et sous réserve du droit de la Cour de la modifier ou de l’annuler en tout temps de son propre chef.

AVOCATS :

Lorne M. Lipkus pour la demanderesse.

Personne n’a comparu pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Kestenberg Siegal Lipkus, Toronto, pour la demanderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : Une décision au sujet de la présente requête est attendue depuis longtemps. Une explication s’impose.

Le 4 décembre dernier, la demanderesse a présenté une requête en vue de la tenue d’une audience ex parte à huis clos afin d’obtenir une ordonnance Anton Piller contre les parties défenderesses Mme et M. Untel, ce qui ne devait prendre que de 10 à 15 minutes du temps de la Cour. Lors de l’audience, un projet d’ordonnance m’a été soumis afin que je le signe. Selon la demanderesse, il s’agissait du type d’ordonnance que la présente Cour a l’habitude d’accorder. Or j’ai refusé de rendre l’ordonnance sous la forme où elle était présentée. Cette décision a mené à d’autres observations de l’avocat et à diverses demandes d’explication de ma part. Ce dialogue s’est poursuivi pendant un certain temps, jusqu’à ce que je reçoive des observations de l’avocat le 26 avril 1996 et des éclaircissements au sujet de celles-ci le 21 mai 1996.

Le type d’ordonnance sollicitée est ce que l’on appelle une ordonnance Anton Piller « renouvelable ». Comme le montre clairement l’intitulé de la cause, lorsque ces ordonnances sont obtenues de la Cour, ni l’identité ni l’adresse des personnes contre qui elles seront exécutées ne sont connues. Dans certains cas, il se peut qu’une ou deux personnes soient désignées parties défenderesses, mais celles-ci n’auront pas nécessairement de lien avec Mme et M. Untel contre qui l’ordonnance sera aussi exécutée. Les parties défenderesses inconnues portent censément atteinte aux droits de propriété intellectuelle de la partie demanderesse mais en des lieux différents, à des moments différents et dans des circonstances différentes. Ces ordonnances dites « renouvelables » se distinguent des ordonnances Anton Piller qui visent une partie défenderesse spécifique. Bien que ces dernières puissent également englober les parties défenderesses Mme et M. Untel, ces parties auront en général un lien avec les parties défenderesses désignées parce que, par exemple, elles sont à leur service ou leur fournissent les marchandises censément contrefaites.

Les ordonnances « renouvelables » sont exécutées contre des vendeurs ambulants et des vendeurs de passage dans des marchés aux puces, encore qu’elles soient rédigées en termes assez larges pour englober aussi une perquisition dans des locaux de vente au détail, des bureaux, des véhicules, des entrepôts ainsi que des résidences. Elles sont habituellement d’une durée d’un an sous réserve de leur renouvellement. Une rédaction soigneuse s’impose à cet égard, sinon elles risquent d’être invalidées par suite de l’application des paragraphes 469(2) et 470(2) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663]. Voir également Société pour l’Avancement des droits en audiovisuel (SADA) Ltée c. Collège Édouard-Montpetit, [1981] 2 C.F. 307(C.A.).

Les ordonnances Anton Piller constituent en réalité des ordonnances de perquisition et de saisie. La fiction juridique veut en effet que la partie défenderesse autorise la partie demanderesse à procéder à une perquisition et à une saisie[1]. La partie défenderesse le fait sous la menace d’être déclarée coupable d’outrage au tribunal si elle n’obtempère pas. La pénalité pour outrage au tribunal, en théorie du moins, peut être une peine d’emprisonnement. De plus, même si les biens sont théoriquement saisis pour être conservés en vue de servir de preuve lors de l’instruction, les saisies équivalent souvent en réalité à des exécutions avant ou parfois même sans jugement. Les parties demanderesses se servent de ces ordonnances comme mesures d’autoprotection dans des circonstances où, à une autre époque, la police aurait joué un rôle plus actif.

L’article 8 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] dispose qu’une personne a le droit d’être protégée contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Son application ne se limite pas aux perquisitions et aux saisies faites par des agents ou des enquêteurs de police en vertu de pouvoirs conférés par la loi. On peut à tout le moins soutenir qu’il vise aussi les perquisitions et les saisies civiles autorisées aux termes d’une ordonnance Anton Piller rendue par la Cour. Selon la jurisprudence, telle que je la comprends, une perquisition ou une saisie abusive comprend une perquisition ou une saisie faite en vertu d’une ordonnance invalide, ou d’une ordonnance rédigée en des termes trop larges ou encore d’une ordonnance exécutée déraisonnablement; voir Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. Lorsqu’une ordonnance Anton Piller est sollicitée et obtenue de cette Cour, il importe donc de la situer dans ce contexte.

Voici maintenant quelques commentaires sur la pratique entourant la présentation des requêtes visant l’obtention de ces ordonnances. En premier lieu, l’urgence est souvent invoquée. Les pièces à l’appui sont déposées tardivement, parfois quelques minutes seulement avant que la requête ne soit présentée au juge qui préside une journée d’audition chargée. Les pièces sont souvent volumineuses. Or il se peut qu’au moment du dépôt de la requête, les présumés contrefacteurs se livrent déjà depuis plusieurs mois à l’activité que l’on veut interdire. En pareilles circonstances, l’avocat est mal venu de se présenter à la Cour en prétendant que la question doit être traitée d’urgence. Comme c’est le cas pour les autres requêtes, les pièces doivent être déposées au moins deux jours francs avant l’audition de la requête afin de donner au juge saisi le temps de les examiner.

Deuxièmement, dans bien de ces cas, il n’est pas nécessaire que l’instance se déroule à huis clos. En l’espèce, l’ordonnance sollicitée vise Mme et M. Untel. L’identité des parties défenderesses n’était pas même connue au moment de l’audience. L’étude du dossier fait clairement ressortir qu’il n’y avait aucune raison de demander le huis clos.

Troisièmement, selon la jurisprudence (voir Nintendo of America, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189(C.A.), le tribunal doit, avant d’accorder une ordonnance Anton Piller, être convaincu que le requérant a établi l’existence d’un commencement de preuve très solide. Cela signifie, par exemple, que les droits d’auteur ou les droits afférents à des marques de commerce qui sont invoqués doivent être définis clairement (par exemple, par la production des documents d’enregistrement pertinents ou de photocopies des dessins pertinents). En l’espèce, la description des marques de commerce et des droits d’auteur que l’on cherche à protéger renvoie à des demandes de marques de commerce incomplètes et à des marques dont l’enregistrement n’a jamais été demandé. En fait, à bien des égards, la description était plutôt incompréhensible. Elle n’aurait pas donné à la personne exécutant l’ordonnance ou à celle contre qui elle était exécutée une idée précise de ce qu’il était permis de saisir. Cette lacune a par la suite été corrigée.

Les droits du requérant à l’égard de la propriété intellectuelle que l’on veut protéger doivent aussi être démontrés clairement. La requête est présentée ex parte. L’avocat du requérant est tenu d’attirer explicitement l’attention de la Cour sur toute faiblesse de ces droits dont il pourrait avoir connaissance. Il s’agit d’un devoir envers la Cour. Le juge doit être convaincu du bien-fondé de la crainte du requérant, savoir que si les marchandises contrefaites ne sont pas saisies, elles ne pourront être produites en preuve lors de l’instruction. Si, par exemple, un article représentatif peut être acheté par les enquêteurs de la partie demanderesse et une action intentée contre les vendeurs par la voie habituelle, on n’a pas alors fait la preuve de la nécessité d’une ordonnance Anton Piller, non plus que de son exécution contre une partie défenderesse donnée.

Je passe maintenant à la nécessité de la présence d’un avocat superviseur à toutes les exécutions de l’ordonnance. C’est sur ce point que l’avocat, pour le compte de sa cliente, a insisté le plus. Il a fait valoir qu’une telle exigence rendrait le recours à ces ordonnances trop coûteux pour ses clients, qu’elle est dangereuse dans certains cas à cause des risques de confrontations physiques violentes, qu’elle n’est pas pratique lorsqu’un certain nombre d’exécutions doivent avoir lieu simultanément en différents endroits et qu’elle n’est pas nécessaire parce que l’agence de détectives dont les services sont retenus connaît bien ces questions.

Je reconnais la force de ces arguments mais je tiens compte aussi du risque énorme d’abus que comporte la délivrance de telles ordonnances. La Cour remet entre les mains de la partie demanderesse le pouvoir de perquisitionner les locaux et de saisir les marchandises, le matériel et les registres d’autres personnes. Ces pouvoirs sont exercés dans chaque cas particulier où la partie demanderesse détermine que des marchandises particulières constituent une violation de ses droits de propriété intellectuelle ou s’y rapportent. Aucun agent public ne participe à l’exécution de l’ordonnance. Si la Cour doit aider une partie demanderesse à faire valoir ses droits en accordant des ordonnances aussi intrusives que les ordonnances Anton Piller, alors je ne crois pas que le coût que cela représente pour la partie demanderesse doive peser très lourd dans la balance en regard de la protection des parties défenderesses. Je souligne qu’en tout état de cause les coûts sont répartis. Il ressort clairement du type de requêtes en révision entendues par la Cour à Toronto, chaque jour d’audition des requêtes, que les activités exercées en vertu de ces ordonnances sont organisées de manière à ce que l’équipe chargée de l’exécution perquisitionne et saisisse des marchandises contrefaites en vertu d’un certain nombre d’ordonnances (c’est-à-dire pour le compte d’un certain nombre de parties demanderesses) en même temps. L’avocat qualifie ces activités de descentes.

En ce qui a trait à la préoccupation selon laquelle il ne convient pas qu’un avocat soit présent à l’occasion de ces descentes à cause du risque de violence physique, il s’agit plutôt d’une bonne raison pour laquelle un avocat devrait être présent. Je souligne que l’ordonnance Anton Piller exige que la personne contre qui elle est exécutée donne la permission de perquisitionner et de saisir. Il faut se demander si la permission est réellement donnée lorsqu’il y a violence. On a plutôt l’impression qu’il s’agit alors d’une perquisition et d’une saisie forcées. En ce qui concerne le fait qu’il soit peu pratique pour un avocat d’être présent lorsqu’ont lieu des exécutions multiples simultanées en des endroits différents—on a donné l’exemple de nombreux marchands ambulants apparaissant en un lieu particulier dans la demi-heure qui suit un concert rock—, je ne crois pas qu’il soit opportun de traiter de cette circonstance dans le contexte d’une ordonnance Anton Piller. Il se peut qu’il y ait des situations où une ordonnance Anton Piller individuelle, plutôt qu’une ordonnance dite « renouvelable », avec saisie en l’absence d’un avocat soit justifiée. L’avocat a donné en exemple la situation dans laquelle des policiers et les enquêteurs privés de la partie demanderesse se fraieraient un passage dans une foule. Je ne me prononce pas sur la question de savoir s’il existe des situations où des perquisitions et saisies en l’absence d’un avocat seraient justifiées. Qu’il suffise de dire, pour les fins des présentes, que je ne suis pas disposée à prévoir une telle mesure en l’espèce.

Il m’est demandé de remettre des pouvoirs de saisie et de perquisition entre les mains d’une agence de détectives. La Cour ne dispose d’aucun moyen de savoir en quoi elle devrait privilégier une agence en particulier plutôt qu’une autre. La demanderesse a choisi cette agence et la rémunère. Dans tous les gestes qu’elle posera par l’intermédiaire de ses employés, l’agence fera naturellement preuve de loyauté envers la demanderesse.

Un avocat assiste à l’exécution de ces ordonnances en deux qualités : à titre d’avocat de la partie demanderesse et à titre d’officier de la Cour. C’est l’avocat de la partie demanderesse qui est présent. Ce n’est peut-être pas là la situation idéale, j’en conviens. Au Royaume-Uni, la pratique est d’avoir des agents Anton Piller autorisés, indépendants de la partie demanderesse, qui assistent à l’exécution de ces ordonnances et les supervisent. Voilà peut-être une pratique digne d’être implantée. Pour l’heure, toutefois, nous n’en sommes pas là, et je préfère qu’un avocat soit présent lors de l’exécution de ces ordonnances, fût-ce celui de la partie demanderesse, plutôt qu’aucun avocat du tout.

À titre d’officier de la Cour, l’avocat a des devoirs envers la Cour et envers son client. Les avocats assistent à l’exécution de ces ordonnances et les supervisent pour veiller à ce que les limites des ordonnances ne sont pas dépassées et être en mesure de donner à la Cour une description exacte et complète de ce qui s’est produit. Les avocats possèdent les connaissances juridiques nécessaires et ils sont censés pouvoir expliquer aux personnes qui exécutent l’ordonnance ainsi qu’à celles contre qui elle est exécutée, ce qui est permis et ce qui ne l’est pas aux termes de la dite ordonnance. Cela permet de s’assurer dans une certaine mesure que les limites de l’ordonnance ne sont pas dépassées. L’avocat sait qu’un faux pas ou une caractérisation erronée d’une situation peut entraîner non seulement l’invalidité de l’exécution d’une ordonnance dans un cas particulier, mais également l’annulation de l’ordonnance Anton Piller elle-même.

On a fait valoir que les droits de la partie défenderesse sont protégés même en l’absence d’un avocat parce que s’il y a irrégularité dans le déroulement de la perquisition ou de la saisie, la partie défenderesse peut toujours se présenter en Cour pour se faire remettre ses biens. C’est là évidemment le moyen de contrôle ultime. Toutefois, son efficacité dépend dans une large mesure de l’explication donnée aux personnes contre qui l’ordonnance est exécutée au sujet de leurs droits, de la valeur des biens saisis de chaque partie défenderesse ainsi que de la volonté ou de la capacité des personnes d’obtenir des conseils juridiques indépendants. Je ne suis pas disposée à accorder une ordonnance Anton Piller dont l’exécution aurait lieu en l’absence d’un avocat.

Voyons maintenant ce que doit comporter la requête en révision de l’exécution de l’ordonnance. En premier lieu, il devrait être évident que la révision porte non seulement sur l’exécution la plus récente de l’ordonnance Anton Piller mais également sur sa continuation. L’ordonnance peut être annulée en tout temps pour cause d’exécution irrégulière ou autre vice, soit par un juge agissant de son propre chef ou sur requête d’une des parties.

Deuxièmement, la requête en révision d’une exécution devrait conclure à ce que M. et Mme Untel contre qui l’ordonnance a été exécutée le plus récemment soient ajoutés à la déclaration à titre de parties défenderesses désignées (leur identité n’étant plus inconnue). La requête concernant les parties défenderesses nouvellement identifiées renfermera normalement une demande d’injonction interlocutoire contre eux, ainsi qu’une demande d’ordonnance relative à la rétention continue des marchandises et du matériel saisis jusqu’à l’instruction. Il ne convient pas de solliciter la remise des biens à la partie demanderesse sans qu’un jugement par défaut ait été obtenu contre la partie défenderesse de qui les biens ont été saisis. (Je ne prononce pas aux fins des présentes sur la façon dont il convient de disposer des marchandises saisies des parties défenderesses dont l’identité n’a pas été établie parce qu’ils ont pris la fuite au cours de l’exécution de l’ordonnance.)

Lorsque l’ordonnance est exécutée contre une personne déjà désignée défenderesse et qui fait déjà l’objet d’une injonction interlocutoire, la requête devrait solliciter une ordonnance de se justifier alléguant l’outrage au tribunal, plutôt qu’une ordonnance visant l’ajout de cette personne, une deuxième fois, à titre de codéfenderesse, et l’obtention contre elle d’une deuxième injonction interlocutoire.

La requête en révision de l’exécution de l’ordonnance doit être appuyée en Cour par un rapport complet de l’avocat superviseur sur l’exécution ou les exécutions auxquelles ladite ordonnance se rapporte, y compris les cas où l’identité de la partie défenderesse n’a pas été établie. Ce rapport doit comprendre une description de l’ensemble des biens, du matériel et des registres saisis, une indication de la date à laquelle ils ont été saisis ainsi que la mention du nom de la personne de qui ils ont été saisis. Dans de nombreux cas, des photographies et un inventaire constituent la façon la plus efficace et efficiente de satisfaire à cette exigence.

L’octroi de ces ordonnances et l’utilisation qui en est faite constituent une évolution récente de la pratique de cette Cour concernant les ordonnances Anton Piller. Bien des questions demeurent sans réponse, dont certaines sont fondamentales. Il serait utile que la Cour d’appel apporte son éclairage jurisprudentiel sur la question. Toutefois, de par leur nature et les circonstances dans lesquelles elles sont obtenues et exécutées, ces ordonnances ne donnent pas lieu à des appels. L’avocat de la demanderesse n’est pas sans savoir que les juges de la présente Cour ont discuté de la possibilité de préparer une ordonnance type. Lorsqu’un juge rend une ordonnance Anton Piller, d’autres juges sont appelés, pendant la durée de l’ordonnance, à approuver des exécutions faites en vertu de celle-ci et à approuver sa continuation. L’élaboration d’ordonnances types servirait donc à la fois les intérêts des parties demanderesses et ceux de la Cour. Toutefois, en l’absence de telles ordonnances types, l’avocat de la demanderesse veut que je rende au moins une ordonnance « temporaire » afin que sa cliente soit dans une certaine mesure dans la même position que les autres « clients » Anton Piller de cette Cour.

En conséquence, j’ai décidé de délivrer à la demanderesse une ordonnance Anton Piller renouvelable et ce, en des termes qui tiennent compte de plusieurs des considérations analysées ci-haut. Cette ordonnance diffère beaucoup de celle qui était sollicitée au départ. Elle sera de nature temporaire parce qu’elle contiendra une disposition qui autorisera la Cour à la modifier ou à l’annuler de son propre chef.



[1] Voir Anton Piller KG v. Manufacturing Processes Ltd., [1976] Ch. 55 (C.A.); Allan M. Rock, « The “Anton Piller” Order : An Examination of its Nature, Development and Present Position in Canada » (1984-85), 5 Advocates’ Q. 191; Takach, George, « Exploring the Outer Limits : The Anton Piller Order in Canada » (1985), 23 Alta. L. Rev. 310, à la p. 311.

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