Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2016] 4 R.C.F. 113

IMM-2227-15

2016 CF 315

Silvia Myrian Moya (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Moya c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Kane—Toronto, 18 janvier; Ottawa, 15 mars 2016.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse contre la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger — La demanderesse a déposé une première demande d’asile, mais elle n’a pas donné suite à sa demande de résidence permanente — Elle a déposé une seconde demande d’asile fondée sur des allégations d’abus et de violence — La SAR n’a pas partagé la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention par le passé; elle a examiné l’applicabilité des raisons impérieuses conformément à l’art. 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La SAR a conclu entre autres que la décision Suleiman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) n’élimine pas la nécessité d’évaluer le degré de persécution par le passé; la persécution subie par la demanderesse par le passé n’avait pas atteint le degré qualifié d’épouvantable et d’atroce et elle ne satisfaisait pas à la norme élevée requise pour appliquer l’exception relative aux raisons impérieuses — Il s’agissait de savoir si la SAR a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour les raisons impérieuses et si elle a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de raisons impérieuses — La SAR n’a pas commis d’erreur dans son interprétation des raisons impérieuses — La SAR n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire — La SAR n’a pas considéré le degré de persécution subie par le passé comme une condition préalable à l’analyse des raisons impérieuses — La décision Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj énonce que l’exception relative aux raisons impérieuses vise une catégorie particulière et limitée; les personnes qui ont été victimes de persécution épouvantable appartiendraient à cette catégorie et devraient se voir accorder l’asile — L’exception relative aux raisons impérieuses s’applique uniquement à une infime minorité de plaignants actuels — La décision Alfaka Alharazim c. Canada (Citoyenneté et Immigration) a reconnu l’interprétation faite dans la décision Suleiman, notant que les exigences de l’art. 108(4) peuvent être satisfaites lorsqu’il n’est pas prouvé que la persécution passée était épouvantable ou atroce, mais a souligné que ces situations doivent être de nature exceptionnelle par rapport à d’autres cas — Cela est cohérent avec le principe sous­-jacent voulant que l’exception s’applique à une petite minorité de demandeurs d’asile — Cette interprétation vise aussi à concilier les décisions Obstoj et Suleiman — La décision Suleiman n’a pas rejeté le principe selon lequel l’exception relative aux raisons impérieuses vise une petite minorité de demandeurs d’asile — L’analyse effectuée par la SAR a tenu compte du fait que la demanderesse doit établir les raisons impérieuses tenant à sa persécution passée qui justifient son refus de se prévaloir de la protection de l’État — La SAR n’a pas restreint l’examen des raisons impérieuses à la catégorie plus étroite des persécutions épouvantables et atroces — La SAR a également examiné si la persécution passée décrite par la demanderesse avait atteint le seuil élevé préalable à la dispense pour des raisons impérieuses — Le fait d’imposer un seuil élevé ne constitue pas une erreur de la part de la SAR — La SAR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé l’existence de raisons impérieuses — Si la SAR avait imposé le critère de la persécution atroce et épouvantable, elle n’aurait pas commis une erreur de droit — On ne peut pas reprocher à la SAR de s’être fondée sur la jurisprudence qui reflète le fait que le niveau d’atrocité de la persécution passée constitue le seuil élevé requis pour prouver l’existence des raisons impérieuses — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse contre la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

La demanderesse, une citoyenne de l’Argentine, a déposé une demande d’asile du fait de ses opinions politiques à son arrivée au Canada en 1988. La demanderesse n’a pas donné suite à sa demande de résidence permanente, laquelle a été considérée comme abandonnée en 2005. Elle a déposé une seconde demande d’asile en 2014 sur la base d’allégations voulant que son ex-mari ait été abusif et violent alors qu’ils étaient ensemble en Argentine et au Canada et qu’il continue de la menacer.

La SPR a admis qu’il était possible que la demanderesse ait subi de mauvais traitements, mais n’a pas trouvé que son récit et la preuve à l’appui des menaces de la part de son ex-mari étaient crédibles. La SPR a conclu que la demanderesse bénéficierait de la protection de l’État si elle devait retourner en Argentine et elle n’aurait pas été une réfugiée au sens de la Convention par le passé et, par conséquent, que les raisons impérieuses ne s’appliquaient pas. Toutefois, la SAR ne partageait pas la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger par le passé et a examiné l’applicabilité de l’exception relative aux « raisons impérieuses » conformément au paragraphe 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La SAR a conclu, entre autres, que bien que la décision Suleiman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) aborde la question de la crainte subjective, elle n’élimine pas la nécessité d’évaluer le degré de persécution par le passé. La SAR a fait remarquer que le degré d’atrocité devait être pris en compte et que l’expression « atroce et épouvantable » avait été utilisée dans plusieurs affaires, ajoutant que les persécutions subies par la demanderesse n’atteignaient pas ce degré. La SAR a conclu que les preuves convaincantes étaient insuffisantes pour conclure que la demanderesse avait satisfait au seuil élevé préalable à la dispense pour des raisons impérieuses.

Il s’agissait principalement de savoir si la SAR a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour les raisons impérieuses et si elle a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de raisons impérieuses.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La SAR n’a pas commis d’erreur dans son interprétation des raisons impérieuses et dans sa conclusion selon laquelle l’existence de raisons impérieuses n’avait pas été établie. La SAR a conclu que la demanderesse aurait été une réfugiée par le passé, mais que les motifs à l’origine de l’asile n’existaient plus puisque la protection de l’État était maintenant offerte et qu’il n’y avait aucune preuve crédible du risque que poserait toujours son ex-mari. La SAR n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Elle n’a pas considéré le degré de persécution subie par le passé ou la question de savoir si elle était épouvantable et atroce comme une condition préalable à l’analyse des raisons impérieuses. Ayant conclu que la demanderesse aurait été une réfugiée au sens de la Convention par le passé, la SAR s’est ensuite empressée de déterminer si les raisons impérieuses devaient s’appliquer. Deux principes ressortent de la décision Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj où la référence à la persécution « épouvantable » trouve son origine : premièrement, l’exception relative aux raisons impérieuses vise une catégorie particulière et limitée; et, deuxièmement, les personnes qui ont été victimes de persécution épouvantable appartiendraient à cette catégorie et devraient se voir accorder l’asile. L’exception relative aux raisons impérieuses s’applique uniquement à une infime minorité de plaignants actuels. Dans certaines décisions subséquentes, il a été conclu que la décision Obstoj n’exigeait pas que la persécution subie par le passé soit épouvantable, mais que la persécution épouvantable constituait une raison impérieuse et qu’il fallait examiner le degré d’atrocité. Dans d’autres décisions, la persécution épouvantable et atroce subie par le passé a été adoptée en tant que seuil de persécution qui doit être établi pour conclure à l’existence de raisons impérieuses. La SAR a fait référence à plusieurs cas antérieurs à la décision Suleiman, qui renvoient tous à la nature exceptionnelle de la disposition ou à la persécution épouvantable et atroce.

En ce qui concerne le seuil qui s’applique pour déterminer si, dans les faits, l’existence de raisons impérieuses a été établie, la Cour dans la décision Alfaka Alharazim c. Canada (Citoyenneté et Immigration) a reconnu l’interprétation faite dans la décision Suleiman, notant que les exigences du paragraphe 108(4) peuvent être satisfaites lorsqu’il n’est pas prouvé que la persécution passée était épouvantable ou atroce, mais a souligné que ces situations doivent être « véritablement exceptionnelles ou extraordinaires » par rapport à d’autres cas. Cela est cohérent avec le principe sous-jacent voulant que l’exception s’applique à une « petite minorité » de demandeurs d’asile. Cette interprétation vise aussi à concilier les décisions Obstoj et Suleiman. La décision Suleiman ne rejette pas le principe selon lequel l’exception relative aux raisons impérieuses vise une « catégorie spéciale et limitée » et une « petite minorité » de demandeurs d’asile. La disposition législative en litige exige que la demanderesse établisse les raisons impérieuses tenant à sa persécution passée qui justifient son refus de se prévaloir de la protection de l’État dans son pays d’origine. L’analyse effectuée par la SAR en a tenu compte. La SAR n’a pas restreint l’examen des raisons impérieuses à la catégorie plus étroite des persécutions épouvantables et atroces; elle a examiné si la persécution passée décrite par la demanderesse, par rapport à d’autres cas, avait atteint le seuil lorsque l’exception avait et n’avait pas été prouvée. Si plusieurs de ces cas renvoient au critère des persécutions effroyables, le fait d’imposer un seuil élevé ne constitue pas une erreur étant donné que l’ensemble de la jurisprudence souligne systématiquement cette exigence. La SAR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé l’existence de raisons impérieuses. Si la SAR avait imposé le critère de la persécution atroce et épouvantable, elle n’aurait pas commis une erreur de droit. On ne peut pas reprocher à la SAR de s’être fondée sur la jurisprudence qui reflète le fait que le niveau d’atrocité de la persécution passée doit être pris en compte et sur l’orientation de la jurisprudence qui reflète que la persécution épouvantable ou atroce par le passé est le seuil élevé requis pour prouver l’existence des raisons impérieuses.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 108.

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Alfaka Alharazim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1044; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Suleiman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1125, [2005] 2 R.C.F. 26; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1450; Karanja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574; Czesak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1149; Rokni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 182 (1re inst.) (QL); Danailov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (1re inst.) (QL); Saha c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 304; Molefe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 317; Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 188; Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 (C.A.); Kotorri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1195; Adjibi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 525; Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635; Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 251 (1re inst.) (QL); Isacko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 890; Lawani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15559 (C.F. 1re inst.); Nwaozor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 517; Shpati c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 237; Dini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 217; Lici c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1451; Kostrzewa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1449; Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15191 (C.A.F.); Sabaratnam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 844; Mwaura c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 874, [2016] 1 R.C.F. 542.

DÉCISIONS CITÉES :

Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, [2014] 4 R.C.F. 811; Nahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1208; Khachatourian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182; Balde c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 624; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Bledy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 210; Henguva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 483; Meza Varela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364; Sow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 646; Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.) (QL); Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004; Elemah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 77.

DOCTRINE CITÉE

Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration. Ottawa : Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 1996, en ligne : <http://www.irb-cisr.gc.ca/Fra/BoaCom/references/pol/GuiDir/Pages/GuideDir04.aspx>.

Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La jurisprudence sur la définition de réfugié au sens de la convention, 31 décembre 2010, en ligne : <http://www.irb-cisr.gc.ca/Fra/BoaCom/references/LegJur/Pages/RefDef.aspx>.

demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (X (Re), 2015 CanLII 52123) qui a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse contre la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Prasanna Balasundaram et Caitlin Maxwell pour la demanderesse.

Kareena R. Wilding pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Downtown Legal Services, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        La juge Kane : La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 27 avril 2015 [X (Re), 2015 CanLII 52123], qui rejetait l’appel interjeté par la demanderesse contre la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR). La SAR a confirmé que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Le SAR a estimé que la demanderesse aurait été une réfugiée au sens de la Convention par le passé et aurait pris en considération l’exception relative aux « raisons impérieuses » conformément au paragraphe 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), mais elle a conclu que l’exception ne s’appliquait pas dans les circonstances.

[2]        Lors du contrôle judiciaire, la demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur dans son examen de la décision de la SPR en ce qui concerne les éléments suivants : l’application des directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe (les directives); l’évaluation du rapport psychologique; l’évaluation de la crédibilité de la demanderesse; et, l’analyse de la protection de l’État. La demanderesse soutient également que la SAR a commis une erreur dans son approche à l’égard de l’appel et dans son appréciation de la preuve et qu’elle a appliqué le mauvais critère pour l’exception relative aux raisons impérieuses.

[3]        J’estime que la SPR a rempli son rôle en tant que tribunal d’appel et a procédé à une évaluation indépendante de la preuve, y compris les conclusions de la SPR en matière de crédibilité, et a raisonnablement conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur. La SAR a interprété le paragraphe 108(4) en se fondant sur la jurisprudence, a examiné tous les éléments de preuve et a raisonnablement constaté que la demanderesse n’avait pas établi les raisons impérieuses de son refus de se prévaloir de la protection de son pays d’origine. Il y a lieu de faire preuve de déférence envers la décision de la SAR et il n’incombe pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve.

I.          Contexte

[4]        La demanderesse est citoyenne de l’Argentine. Elle dit avoir déposé une demande d’asile du fait de ses opinions politiques à son arrivée au Canada en décembre 1988, mais ignore ce qu’il est advenu de cette demande. Le dossier indique que sa demande n’a pas été évaluée, mais qu’elle a fait l’objet d’une approbation de principe par le bureau d’Immigration Canada chargé de l’arriéré en 1996. Elle n’a pas donné suite à sa demande de résidence permanente, laquelle a été considérée comme abandonnée en 2005.

[5]        Elle a déposé une seconde demande d’asile en septembre 2014 sur la base d’allégations voulant que son ex-mari, Juan Francisco Gil (Juan), qu’elle avait rejoint au Canada en 1988, ait été abusif et violent alors qu’ils étaient ensemble en Argentine et au Canada et qu’il continue de la menacer. Avant l’audience devant la SPR, la demanderesse a présenté un formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) mis à jour dans lequel elle raconte de façon détaillée les graves sévices infligés par Juan.

[6]        La demanderesse a quitté Juan en 1989 et ils ont fini par divorcé en 2002. Juan a été reconnu coupable au Canada d’agression sexuelle envers une autre personne et a été incarcéré. Après sa libération, il a été déporté en Argentine en 1992. La demanderesse prétend avoir reçu des menaces téléphoniques de personnes agissant pour le compte de Juan. La demanderesse prétend également que la sœur de Juan avait informé le père de la demanderesse que Juan était mort en 2003 ou 2004, afin d’inciter la demanderesse à retourner en Argentine. Elle prétend également que les amis de Juan étaient à sa recherche et se sont rendus dans sa maison familiale en 2009. La demanderesse soutient que Juan est dangereux, que la police ne l’aidera pas et elle dit avoir peur de retourner en Argentine.

II.         Décision de la SPR

[7]        La SPR a conclu que la demanderesse n’a ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[8]        La SPR a admis qu’il était possible que la demanderesse ait subi de mauvais traitements, mais n’a pas trouvé que son récit et la preuve à l’appui des menaces de la part de Juan étaient crédibles. Les déclarations de la demanderesse concernant ses interactions avec la police en Argentine et son explication des efforts qu’elle a déployés pour obtenir le statut de résident permanent au Canada ont également été jugées non crédibles.

[9]        La question déterminante pour la SPR était la protection de l’État. La SPR a conclu que la demanderesse bénéficierait de la protection de l’État si elle devait retourner en Argentine et qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

[10]      La SPR a également conclu que la demanderesse n’aurait pas été une réfugiée au sens de la Convention par le passé et, par conséquent, que les raisons impérieuses ne s’appliquaient pas. La SPR a noté que la demanderesse avait embelli sa demande, ce qui a remis en cause l’ensemble de son témoignage, y compris la violence dont elle a été victime.

III.        Décision de la SAR

[11]      La SAR a confirmé la décision de la SPR et a conclu que la demanderesse n’a ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SAR a également conclu qu’il n’y avait aucune raison impérieuse d’exempter la demanderesse de cette conclusion.

[12]      La SAR a invoqué la décision dans la décision Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, [2014] 4 R.C.F. 811 (Huruglica) et a indiqué qu’elle instruirait un appel fondé sur les faits.

[13]      La SAR a noté que la crédibilité était un aspect important dans toute demande d’asile, bien que, comme l’a conclu la SPR, ce n’était pas la question déterminante. La SAR a évalué les conclusions en matière de crédibilité et s’en est remise à plusieurs, mais pas à la totalité, des conclusions de la SPR.

[14]      Le SAR est d’accord avec les conclusions de la SPR concernant la crédibilité de la preuve à l’appui fournie par les sœurs de la demanderesse, à savoir que certains aspects de son témoignage de ses interactions avec la police en Argentine n’étaient pas plausibles, et que son explication des efforts déployés pour obtenir le statut de résident permanent au Canada n’était pas crédible.

[15]      La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en offrant à la demanderesse la possibilité de présenter des documents supplémentaires, mais en ne reprenant pas l’audience après avoir reçu ces documents. Toutefois, étant donné que la question déterminante étant la protection de l’État, la SAR a conclu que cette erreur n’était pas fatale.

[16]      La SAR a conclu que la SPR avait appliqué les directives concernant la persécution fondée sur le sexe [Directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration] et qu’elle avait été sensible aux besoins de la demanderesse. Le SAR a également conclu que la SPR avait examiné le rapport de la psychologue. La SAR a noté que la SPR n’avait pas contesté le diagnostic de trouble de stress post­traumatique, mais que cela ne l’avait pas emporté sur les préoccupations au sujet de la crédibilité et n’avait pas permis d’établir que la dépression et le diagnostic de stress post­traumatique de la demanderesse avaient été causés par la persécution subie en Argentine. La SAR a ajouté [au paragraphe 40] ce qui suit : « [I]l n’y a pas d’éléments de preuve convaincants que le professionnel de la santé est en mesure d’affirmer catégoriquement que la demandeure d’asile est victime de violence conjugale ».

[17]      La SAR a évalué les documents décrivant la situation dans le pays en cause et, en s’appuyant sur une évaluation prospective, elle s’est dite d’accord avec la SPR et a conclu que la demanderesse bénéficierait maintenant d’une protection adéquate de l’État en Argentine si elle devait y retourner.

[18]      Toutefois, la SAR ne partageait pas la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger par le passé. La SAR a estimé que les conclusions de la SPR, à savoir que la demanderesse avait subi des violences et que des mesures de protection de l’État entre 1984 et 1988 auraient été moins efficaces qu’aujourd’hui, étaient incompatibles avec sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État par le passé.

[19]      Ayant conclu que la demanderesse aurait été une réfugiée au sens de la Convention par le passé, la SAR a examiné l’applicabilité des raisons impérieuses.

[20]      La SAR a admis l’argument de la demanderesse voulant que soit adoptée l’approche dans la décision Suleiman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1125, [2005] 2 R.C.F. 26 (Suleiman), qui prévoit que diverses circonstances peuvent mener à une conclusion sur les raisons impérieuses. La demanderesse a également fait valoir que la SAR devrait conclure que la SPR avait commis une erreur en ne constatant pas que les agressions violentes répétées avaient atteint un degré qui peut être qualifié d’« atroce » ou d’« épouvantable », si ce critère doit être satisfait, et en n’expliquant pas pourquoi elle avait conclu à l’absence de raisons impérieuses.

[21]      La SAR a fait référence à plusieurs décisions, dont certaines ont été rendues bien avant la décision Suleiman et d’autres plus récemment, et a constaté que, bien que la décision Suleiman aborde la question de la crainte subjective, elle n’élimine pas la nécessité d’évaluer le degré de persécution par le passé.

[22]      La SAR a constaté que la persécution, par définition, implique la mort, des dommages physiques ou d’autres peines et que l’exception relative aux raisons impérieuses s’applique à un groupe très restreint de demandeurs d’asile et à des cas de persécution hors du commun. La SAR a déterminé que sa tâche consistait à établir si les circonstances de la demanderesse pouvaient être distinguées des cas de persécution qui ne relèvent pas du paragraphe 108(4), ce qui constitue une question de fait. La SAR a fait remarquer que le degré d’atrocité devait être pris en compte et que l’expression « atroce et épouvantable » avait été utilisée dans plusieurs affaires, ajoutant que les persécutions subies par la demanderesse n’atteignaient pas ce degré.

[23]      La SAR a également pris note des arguments de la demanderesse voulant que la SPR ait commis une erreur dans son analyse des raisons impérieuses en ne tenant pas compte du rapport de la psychologue et des séquelles psychologiques résultant des abus qu’elle a subis.

[24]      La SAR a reconnu que la preuve de séquelles psychologiques permanentes était pertinente pour prendre une décision quant aux raisons impérieuses, mais elle a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un critère distinct devant être satisfait.

[25]      Même si la SAR était en désaccord avec la SPR et a accepté le fait que la demanderesse aurait été une réfugiée au sens de la Convention par le passé, la SAR a conclu, en se fondant sur son évaluation indépendante de toutes les preuves, y compris le rapport psychologique, les antécédents de la demanderesse, le passage du temps et les conclusions valables sur la crédibilité, que les preuves convaincantes étaient insuffisantes pour conclure qu’elle avait satisfait au seuil élevé préalable à la dispense pour des raisons impérieuses.

IV.       Questions en litige

[26]      Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, la demanderesse soulève les mêmes questions à l’égard de la décision de la SAR que celles qu’elle a soulevées devant la SAR à l’égard de la décision de la SPR :

1)         La SAR a commis une erreur en concluant que la SPR avait examiné et appliqué les directives concernant la persécution fondée sur le sexe;

2)         La SAR a commis une erreur dans son appréciation des conclusions de la SPR en matière de crédibilité et en confirmant les conclusions de la SPR en matière de crédibilité sans avoir procédé à une évaluation suffisamment indépendante;

3)         La SAR a commis une erreur dans son évaluation de la preuve d’expert, à savoir le rapport de la psychologue;

4)         La SAR a appliqué le mauvais critère pour la protection de l’État et a commis une erreur dans son évaluation de la protection de l’État;

5)         La SAR a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour les raisons impérieuses et a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de raisons impérieuses.

[27]      La demanderesse invoque également des arguments supplémentaires en lien avec ces questions, qui ont toutes été traitées, d’où une longue décision.

V.        Critère de contrôle

[28]      La SAR a instruit un appel de la décision de la SPR. La Cour procède à un contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[29]      En ce qui concerne l’approche que la SAR doit adopter à l’égard de la décision de la SPR, la jurisprudence a toujours établi que la SAR devait remplir sa fonction d’appel : Huruglica, au paragraphe 54. En ce qui a trait aux questions de crédibilité, bien qu’il y ait quelques nuances, la jurisprudence a établi que la SAR pouvait s’en remettre à la SPR dans le cas où la SPR avait entendu directement les témoins, avait eu la possibilité de les interroger sur leur témoignage ou avait bénéficié d’un avantage dont était privée la SAR (voir, par exemple, Huruglica, au paragraphe 55; Nahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1208, au paragraphe 25). Toutefois, la Cour a également fait remarquer que cette déférence devait découler d’une évaluation indépendante de la preuve, étant donné que la SAR remplit une fonction d’appel (voir, par exemple, Khachatourian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182 (Khachatourian), au paragraphe 31; Balde c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 624, au paragraphe 23).

[30]      En ce qui concerne l’examen par la Cour de la décision de la SAR, la demanderesse fait valoir que la SAR a appliqué le mauvais critère juridique pour la protection de l’État et les raisons impérieuses.

[31]      Il convient de faire la distinction entre la question de savoir si le critère juridique approprié a été appliqué, lequel est examiné selon la norme de la décision correcte, et qui n’appelle aucune retenue particulière, et la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère aux faits particuliers, ce qui constitue une question mixte de faits et de droit examinée selon la norme du caractère raisonnable, et qui appelle une retenue particulière.

[32]      L’analyse faite par la SAR de la protection de l’État et des raisons impérieuses, qui implique l’application de la loi aux faits, et la décision de la SAR en ce qui concerne les conclusions de la SPR en matière de crédibilité sont examinées selon la norme de la décision raisonnable.

[33]      La norme de la décision porte sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que sur « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47). La Cour ne réévaluera pas les preuves et ne changera pas la décision.

VI.       La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que la SPR avait examiné et appliqué les directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[34]      La demanderesse reconnaît que la SPR lui a offert des garanties procédurales conformément aux directives, mais fait valoir que la SAR n’est pas allée assez loin dans son évaluation indépendante de la preuve, y compris le rapport psychologique, pour déterminer si la SPR avait examiné la preuve de la demanderesse du point de vue d’une victime de violence familiale. Dans le même ordre d’idées, la demanderesse soutient que la SAR n’a pas appliqué correctement les directives pour évaluer le contenu de son témoignage.

[35]      Je ne suis pas de cet avis. Il est évident que la SAR a évalué la preuve, y compris l’examen de l’enregistrement audio de l’audience devant la SPR, pour parvenir à la conclusion que la SPR avait appliqué les directives et avait été sensible aux besoins de la demanderesse en tant que victime de violence familiale. La SAR n’a pas ignoré ou appliqué de façon erronée les directives dans son évaluation de la preuve de la demanderesse ou du rapport de la psychologue.

[36]      Les directives n’ont pas force de loi, mais comme le sous-entend leur nom, elles ont pour objet d’indiquer au décideur la direction à suivre. Dans la décision Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1450 (Diallo), aux paragraphes 32 et 33, la juge Mactavish a souligné que les lignes directrices sensibilisaient le décideur « à l’effet que peuvent avoir les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses sur le témoignage de ceux qui prétendent craindre d’être persécutés du fait de leur sexe ».

[37]      Dans la décision Karanja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574, aux paragraphes 5 à 7, le juge Pinard a évoqué les principes selon lesquels les directives ne sont pas conçues pour corriger toutes les lacunes que comportent la demande ou la preuve de la demanderesse; elles ne peuvent pas être traitées comme si elles corroboraient un quelconque élément de preuve étayant la thèse de la persécution fondée sur le sexe; ne créent pas de nouveaux motifs permettant de conclure qu’une personne est victime de persécution; et n’ont pas besoin d’être explicitement mentionnées lorsqu’elles sont prises en compte.

[38]      Les directives encouragent le décideur à examiner le témoignage de la demanderesse en tenant compte de sa situation en tant que victime de violence familiale dans une société qui diffère de celle du Canada. Elles ne corrigent pas les conclusions raisonnables en matière de crédibilité, qui comprennent les allégations de menaces récentes avancées par la demanderesse, et ne peuvent pas étayer l’analyse de la protection de l’État.

[39]      La SAR a procédé à son évaluation indépendante de la preuve en gardant les directives à l’esprit et a raisonnablement conclu que la SPR avait appliqué les directives.

VII.      La SAR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des conclusions de la SPR en matière de crédibilité

[40]      La demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur en ne procédant pas à une évaluation suffisamment indépendante de la preuve et en confirmant les conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

[41]      La demanderesse soutient également que ni la SPR ni la SAR n’ont tiré de conclusions claires en matière de crédibilité au sujet de son récit de persécution, qui était pourtant très pertinent pour l’établissement de raisons impérieuses.

[42]      J’estime que la SAR a suivi les lignes directrices de la décision Huruglica et a procédé à une évaluation indépendante de la preuve, y compris les éléments de preuve sur lesquels se fondaient les conclusions en matière de crédibilité. La SAR a le droit de s’en remettre à une partie ou à la totalité de ces conclusions et elle a clairement indiqué si ce droit a été exercé.

[43]      La SAR a reconnu que la SPR avait conclu que la protection de l’État était la question déterminante, bien que la SPR ait également constaté que la demanderesse n’était pas un témoin crédible. La SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas eu d’erreur étant donné que les conclusions sur la crédibilité avaient été tirées dans le cadre de l’analyse de la protection de l’État, à savoir les abus allégués par la demanderesse, les efforts déployés par celle­ci pour obtenir la protection de l’État et la preuve de menaces récentes. La SAR a souligné que la crédibilité était toujours un point litigieux et que cela avait été clairement indiqué au début de l’audience devant la SPR.

[44]      La SAR a examiné toutes les conclusions tirées par la SPR en matière de vraisemblance et de crédibilité. La SAR a raisonnablement conclu que la conclusion d’invraisemblance à propos de l’absence d’intervention policière en Argentine ne constituait pas une erreur et a relevé l’incohérence dans les déclarations de la demanderesse.

[45]      En ce qui concerne les efforts déployés par la demanderesse pour obtenir le statut de résident permanent au Canada, la SAR a fait remarquer qu’elle avait écouté l’enregistrement de l’audience, lequel avait confirmé que la demanderesse avait eu amplement l’occasion d’expliquer son retard et son inaction et que la SPR avait examiné ces explications. La SAR a raisonnablement conclu, en s’appuyant sur son évaluation, que ses explications n’avaient pas de sens.

[46]      Sur la base de sa propre évaluation de la preuve, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les événements relatés dans les lettres des sœurs de la demanderesse, faisant état de menaces récentes de la part de Juan, n’ont pas eu lieu, étant donné que les lettres étaient contradictoires et ne renfermaient pas de détails particuliers. L’argument de la demanderesse selon lequel ces conclusions en matière de crédibilité ne devraient pas lui être attribuées ne tient pas compte du fait que les lettres ont été présentées à l’appui de son affirmation voulant que Juan continue de la menacer. Les lettres n’ont pas permis d’étayer son affirmation. Les conclusions de la SAR sont raisonnables.

[47]      On ne saurait prétendre que la SAR s’est contentée d’accepter les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Par exemple, la SAR n’a pas fait preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR au sujet d’une lettre d’un ami qui suggérait que Juan prévoyait se venger. En outre, malgré la déférence de la SAR à l’égard des conclusions de la SPR à propos des tentatives de la demanderesse de faire intervenir la police en Argentine, la SAR a conclu que la demanderesse aurait été une réfugiée au sens de la Convention à cette époque compte tenu du fait que la protection de l’État était insuffisante.

VIII.     La SAR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation du rapport de la psychologue

[48]      La demanderesse soutient que la SAR n’a pas correctement examiné le rapport de la psychologue à l’appui de son récit au sujet des persécutions qu’elle a subies, y compris le traumatisme subjectif qu’elle subirait à son retour en Argentine, et qui, à son tour, est utile pour l’application de l’exception relative aux raisons impérieuses.

[49]      La demanderesse rappelle que la psychologue, la Dre Browne, a déclaré que le stress post­traumatique dont elle souffrait résultait des facteurs de stress liés à la violence familiale. Selon elle, étant donné que ni la SPR ni la SAR n’ont tiré explicitement de conclusions négatives quant à la crédibilité de son témoignage, il n’y a aucune raison de douter les conclusions de la Dre Browne. La demanderesse souligne également que la Dre Browne a précisé qu’elle n’avait pas exagéré et que, par conséquent, il n’y a aucune raison pour que la SAR accorde peu de poids à ce rapport.

[50]      La demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur en se fondant sur la décision Czesak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1149 (Czesak), que la demanderesse qualifie d’aberration dans la jurisprudence, en ce qui concerne la proposition selon laquelle la preuve d’expert devrait se voir accorder peu de poids par les tribunaux administratifs. Si la SAR avait des préoccupations au sujet du rapport, elle aurait pu exercer ses pouvoirs en vertu de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I­11, à savoir interroger la psychologue.

[51]      La demanderesse soutient également que la SAR a commis une erreur en s’en remettant à la conclusion de la SPR selon laquelle il aurait pu y avoir d’autres causes à sa dépression du fait que ce constat dépasse les connaissances de la SPR et que la SPR ne bénéficie d’aucun avantage particulier dans cette décision.

[52]      Je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR a commis une erreur dans sa façon de traiter le rapport de la psychologue.

[53]      Contrairement à l’argument de la demanderesse, la SPR et la SAR n’ont pas admis que les allégations de persécution de la demanderesse étaient complètement crédibles. La SAR a conclu que la SPR était libre de jeter le doute sur la crédibilité de la demanderesse. Cependant, contrairement à la SPR, la SAR a conclu que la demanderesse aurait été une réfugiée au sens de la Convention par le passé.

[54]      Le rapport de la Dre Browne affirme que la demanderesse avait été référée pour obtenir une évaluation psychologique en vue d’évaluer son fonctionnement psychologique et d’appuyer sa demande d’asile. La Dre Browne note clairement que les événements lui ont été relatés par la demanderesse. La Dre Browne décrit les résultats des quatre tests qu’elle a fait passer à la demanderesse en notant ce qui suit : les résultats de la demanderesse à ces tests étaient compatibles avec une anxiété sévère, une grave dépression et un niveau sévère de détresse post­traumatique; et les résultats ne révèlent aucun signe d’exagération des symptômes. La Dre Browne conclut en disant que la demanderesse [traduction] « présente un état de stress post­traumatique [...] résultant de facteurs de stress associés à des années de violence familiale et au manque de confiance en ce qui concerne ses perspectives d’avenir ».

[55]      La SAR a fait remarquer que la SPR n’avait pas contesté le diagnostic, mais qu’elle ne pouvait pas conclure que la dépression de la demanderesse avait été causée par la persécution subie en Argentine. Bien que la demanderesse conteste la retenue exercée par la SAR à l’égard de la SPR, les commentaires de la SAR doivent être interprétés dans le contexte de l’examen du rapport de la Dre Browne. De plus, la retenue exercée par la SAR à l’égard de la SPR ne constitue pas le fondement de la conclusion selon laquelle « il n’y a pas d’éléments de preuve convaincants que le [médecin] est en mesure d’affirmer catégoriquement que la demandeure d’asile est victime de violence conjugale » [au paragraphe 40]. Cette conclusion s’appuie sur l’évaluation de la preuve effectuée par la SAR, sur la déférence témoignée par cette dernière à l’égard des conclusions de la SPR en matière de crédibilité et sur sa compréhension de la jurisprudence.

[56]      Bien que la demanderesse soutienne que la SAR a commis une erreur en se fondant sur la décision Czesak pour conclure que le rapport de la psychologue ne constitue pas une preuve convaincante que la demanderesse est une victime de violence familiale, cela dénature les conclusions de la SAR et la décision Czesak.

[57]      D’autres décisions ont également averti que le récit d’événements qui est fait à un psychologue ou à un psychiatre ne rend pas ces événements plus crédibles et qu’un rapport d’expert ne peut pas confirmer les allégations de mauvais traitements. Ainsi, la SAR a évoqué la décision Rokni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 182 (1re inst.) (QL), et la décision Danailov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (1re inst.) (QL), qui font remarquer que le témoignage d’opinion n’est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. La même mise en garde a été formulée par le juge Phelan dans la décision Saha c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 304, au paragraphe 16 : « La SPR a le pouvoir discrétionnaire d’écarter la preuve psychologique lorsque le docteur ne fait que reprendre ce que le patient lui a dit quant aux motifs expliquant son stress, et qu’il en tire ensuite une conclusion médicale selon laquelle le patient souffre de stress en raison de ces motifs. »

[58]      Dans la décision Molefe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 317, le juge Mosley a examiné l’argument de la demanderesse selon lequel son rapport psychologique n’avait pas été pris en considération par la SPR dans l’évaluation de son témoignage. Le juge Mosley a approuvé les commentaires du juge Annis dans la décision Czesak en faisant remarquer ce qui suit (au paragraphe 31) :

Dans le cadre de procédures administratives, il ne faut pas accorder un statut supérieur aux rapports présentant l’avis d’experts uniquement parce qu’ils ont été préparés par un professionnel agréé. Cela est particulièrement vrai quand, comme c’est le cas en l’espèce, le rapport n’est pas pertinent en ce qui a trait aux conclusions principales de la Commission relatives à la crédibilité et à la protection de l’État. Dans la décision Czesak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1149, aux paragraphes 37 à 40, le juge Annis a formulé une mise en garde en ce qui concerne les dangers que posent les rapports d’experts présentés aux tribunaux administratifs.

De plus, j’estime que les décideurs ne devraient se fier qu’avec prudence aux éléments de preuve des experts judiciaires obtenus aux fins du litige, sauf s’ils font l’objet d’une certaine forme de validation. Cette remarque vise le rapport de la Dre Koczorowska, qui est allée jusqu’à intervenir en la faveur de la demanderesse en formulant un avis sur la question précisément débattue devant le tribunal.

Notre système juridique a une longue expérience des relations avec les experts judiciaires qui témoignent sur des questions relatives à des éléments de preuve techniques pour aider les tribunaux à rendre leurs décisions. Forts de cette expérience, les tribunaux ont, me semble-t-il, appris à jauger avec prudence et circonspection les conclusions des experts judiciaires qui n’ont pas fait l’objet d’un processus de validation rigoureux dans le cadre de procédures judiciaires.

[…]

Il ne s’ensuit pas que tout rapport d’expert rédigé aux fins du litige doive être rejeté au motif qu’il n’aurait pas beaucoup de poids, sinon aucun. Ce que la Cour a plutôt retenu de son expérience avec les experts judiciaires, relativement à la production de rapports devant des tribunaux administratifs en l’absence de procédure de validation définie, est la nécessité d’exercer une grande prudence avant d’accepter les rapports sans réserve, particulièrement lorsqu’ils seraient de nature à trancher des questions importantes en litige devant la Cour. Par conséquent, selon moi, à moins qu’il ne soit possible de garantir la neutralité ou l’absence d’intérêt personnel de l’expert dans le cadre du litige, il convient généralement de leur accorder peu de poids. [Soulignement ajouté par le juge Mosley.]

[59]      Comme précité, la demanderesse s’est appuyée sur des extraits de la décision Czesak, mais les passages pertinents révèlent que la préoccupation du juge Annis portait sur les rapports psychologiques qui interviennent en la faveur d’un demandeur en formulant un avis et « sont de nature à trancher des questions importantes en litige devant la Cour ». Le juge Annis a constaté que dans de tels cas, lorsqu’il n’était pas possible de sonder l’avis, peu de poids devait lui être accordé.

[60]      En l’espèce, la Dre Browne n’est pas allée jusqu’à recommander qu’on reconnaisse à la demanderesse le statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. La Dre Browne a procédé à une série de tests pour pouvoir établir le diagnostic de trouble de stress post­traumatique. Le diagnostic n’est pas contesté. Toutefois, la demanderesse tente de s’appuyer sur les événements rapportés à la Dre Browne et sur les « facteurs de stress causés par la violence familiale » mentionnés par la Dre Browne en tant qu’éléments de preuve de la nature des abus qu’elle a subis en Argentine ou en tant qu’éléments corroborant ses allégations.

[61]      La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant, en fonction de son appréciation de la preuve, que la SPR avait examiné le rapport de la Dre Browne, n’avait pas contesté le diagnostic de trouble de stress post­traumatique, mais qu’elle ne pouvait pas conclure que cela était dû à la persécution alléguée. En outre, le rapport de la Dre Browne n’a pas abordé et ne pouvait pas aborder les questions de crédibilité en ce qui concerne les menaces récentes ou la question de la protection de l’État, questions que la SPR a jugées déterminantes.

[62]      La SAR a également tiré ses propres conclusions. Contrairement à l’argument de la demanderesse, la SAR n’a pas indiqué avoir accordé peu de poids au rapport. Au contraire, la SAR a examiné le rapport et a conclu qu’il ne surmontait pas les problèmes de crédibilité soulignés par la SPR et qu’il ne soutenait pas non plus que les abus qu’aurait commis Juan étaient la cause du trouble de stress post­traumatique de la demanderesse.

[63]      En ce qui concerne l’argument de la demanderesse selon lequel la SAR avait supplanté le rôle de l’experte, il convient de rappeler que le rôle de la Dre Browne consistait à évaluer le fonctionnement psychologique de la demanderesse, évaluation que la SAR a acceptée.

[64]      La SAR n’a pas commis d’erreur en invoquant la décision Czesak, qui réitère et développe la mise en garde soulignée dans d’autres décisions. De plus, la SAR ne s’est pas appuyée sur la décision Czesak pour effectuer son évaluation du rapport de la Dre Browne. La SAR s’est penchée sur le poids à lui donner et le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve.

[65]      Bien que la demanderesse évoque les conclusions du test selon lesquelles elle n’avait pas exagéré, il était question de l’exagération de ses symptômes et non pas de son récit de persécution.

[66]      Le rapport de la Dre Browne a également été pris en compte par la SAR dans le cadre de l’examen de l’exception relative aux raisons impérieuses, mais comme il est indiqué ci-dessous, les séquelles psychologiques ne conduisent pas automatiquement à l’application de l’exception relative aux raisons impérieuses.

[67]      L’argument de la demanderesse selon lequel la SAR aurait pu exercer ses pouvoirs conférés par la Loi sur les enquêtes pour sonder le rapport de la Dre Browne ne répond pas à la question soulignée par la SAR et la jurisprudence, à savoir que le fait de relater des abus à un expert n’étaye pas le récit des abus. La Dre Browne, même si elle avait été citée à comparaître devant la SAR, n’aurait pu parler que des tests qu’elle a fait passer, des résultats et du diagnostic, aucun de ces éléments n’étant contesté.

IX.       La SAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse de la protection de l’État

[68]      La demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur dans ses conclusions relativement aux conclusions prospectives de la SPR en matière de protection de l’État. En outre, la demanderesse soutient que la SAR a appliqué le mauvais critère pour la protection de l’État en ne reconnaissant pas que la protection de l’État doit être suffisante au niveau opérationnel et en invoquant le fait que l’Argentine est une démocratie, ce qui ne signifie pas nécessairement que la protection de l’État est offerte.

[69]      La demanderesse ajoute que la SAR a commis une erreur en se fondant sur la décision Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 188 (Mudrak), qui, selon elle, va à l’encontre d’autres décisions, est contraire aux principes du HCR [Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés] et fait actuellement l’objet d’un appel. Dans la décision Mudrak, la Cour a estimé que les gouvernements ne devraient pas être tenus de démontrer l’efficacité concrète de ces mesures.

[70]      La demanderesse fait également valoir que les demandeurs d’asile ne devraient pas avoir le lourd fardeau d’établir un manque de protection de l’État, car cela met les demandeurs vulnérables, en particulier les victimes de violence sexiste, dans une situation désavantageuse.

[71]      Je ne suis pas de cet avis. La SPR et la SAR ont compris les principes qui régissent la protection de l’État, ont appliqué le bon critère, et raisonnablement constaté que la protection de l’État en Argentine est adéquate, y compris au niveau opérationnel, bien qu’elle ne soit pas parfaite, et que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de réfuter la présomption de protection adéquate de l’État.

[72]      Ces principes partent du postulat que la protection des réfugiés est considérée comme une protection de substitution ou de remplacement en cas de défaillance de la protection nationale (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 709). La présomption selon laquelle un État est capable de protéger ses citoyens est seulement réfutée par une preuve claire et convaincante que la protection de l’État est insuffisante ou inexistante; il faut produire une preuve « pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » (Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, au paragraphe 30).

[73]      Si la perfection n’est pas la norme, pour qu’elle soit adéquate, la protection de l’État doit présenter un certain niveau d’efficacité et l’État doit être à la fois disposé à offrir une protection et capable de le faire (Bledy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 210, au paragraphe 47). La protection de l’État doit être suffisante au niveau opérationnel (Henguva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 483, au paragraphe 18; Meza Varela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364, au paragraphe 16).

[74]      Comme l’a fait remarquer la demanderesse, la démocratie à elle seule n’est pas gage d’une protection efficace de l’État; il faut prendre en compte la qualité des institutions qui assurent la protection (Sow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 646 (Sow), au paragraphe 11).

[75]      Le fardeau qui incombe à un demandeur de demander la protection de l’État varie selon la nature de la démocratie et est proportionnel à la capacité et à la volonté de l’État d’assurer la protection (Sow, au paragraphe 10; Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.) (QL), au paragraphe 5). Toutefois, le demandeur ne peut pas simplement compter sur sa propre conviction que la protection de l’État ne sera pas offerte (Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 33).

[76]      Contrairement à l’argument de la demanderesse, la SAR et la SPR n’ont pas évoqué le fait que l’Argentine est une démocratie comme substitut à la notion de protection de l’État, mais ont bien examiné les documents sur les conditions dans le pays.

[77]      La demanderesse n’a pas fait d’efforts récents pour obtenir la protection en Argentine parce qu’elle est au Canada depuis près de 30 ans. La SPR et la SAR ne pouvaient examiner que les preuves objectives des conditions du pays pour déterminer si son refus ou son incapacité de demander la protection de l’État à son retour est justifié.

[78]      La SPR a longuement analysé la preuve documentaire faisant état de mesures de lutte contre la violence familiale aux niveaux législatif et opérationnel. La SPR a pris note des infractions pénales, y compris l’interdiction de la violence familiale et de la violence sexuelle, la loi contre le féminicide et les sanctions en cas de violence fondée sur le sexe. La SPR a également pris note de la création du bureau des violences familiales de la Cour suprême de l’Argentine, qui offre une approche interdisciplinaire, y compris la prestation de services, l’aiguillage vers des refuges, des évaluations des risques, des ordonnances de protection et de la formation pour la police, et a relevé l’existence d’autres services et d’organisations d’aide aux victimes. La SPR a reconnu que des problèmes subsistent dans la riposte à la violence familiale et à la violence fondée sur le sexe, y compris le manque de ressources financières pour les victimes et la nécessité d’un changement d’attitude.

[79]      Aucune nouvelle preuve n’a été présentée à la SAR. L’analyse de la protection de l’État reposait sur son appréciation de la même preuve que celle au dossier présenté à la SPR. La SAR a fait remarquer que l’évaluation était prospective et qu’elle n’avait pas commis d’erreur en concluant que la SPR avait procédé à une analyse en profondeur de la protection de l’État.

[80]      Bien que la SAR se soit appuyée sur la décision Mudrak, la conclusion de la SAR selon laquelle la protection de l’État aurait été offerte ne reposait pas sur l’argument de la décision Mudrak. La SAR a raisonnablement conclu, après avoir examiné les documents sur les conditions du pays et la jurisprudence bien établie, que la protection de l’État était suffisante au niveau opérationnel. La SAR a également confirmé la conclusion de la SPR, fondée sur l’analyse approfondie effectuée par la SPR, qui a mis en évidence plusieurs mesures opérationnelles spécifiques pour les victimes de violence familiale, et a conclu que la demanderesse bénéficierait d’une protection suffisante de l’État si elle devait retourner en Argentine, en reconnaissant que certains obstacles subsistent, mais que la perfection n’est pas la norme.

[81]      Bien que le fardeau qui incombe à la demanderesse de réfuter la présomption de protection de l’État varie avec le niveau de démocratie, y compris la qualité des institutions assurant la protection, la demanderesse n’a signalé aucune preuve des conditions du pays que la SAR ou la SPR a ignorée ou mal comprise ou qui contredisait leurs conclusions que la demanderesse bénéficierait d’une protection suffisante, mais pas parfaite, de l’État. Le fait que la demanderesse est victime de violence familiale ne réduit pas le fardeau de la preuve. La nature des allégations de la demanderesse et la question de savoir si une protection lui serait offerte en tant que victime de violence familiale ont été examinées dans le cadre de l’analyse de la protection de l’État.

[82]      La SAR a reconnu que la SPR n’avait pas dit pourquoi la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État avant 1988 tandis qu’elle se trouvait en Argentine, mais a conclu que cette déduction pourrait être tirée des conclusions sur la crédibilité. Contrairement aux arguments de la demanderesse, il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de révision ou d’une conclusion inadmissible de la part de la SAR. Comme il est indiqué plus haut, la SAR n’était même pas d’accord avec cette conclusion et a conclu que la demanderesse aurait été une réfugiée à cette époque.

[83]      La SAR était d’accord avec la SPR pour dire que selon l’évaluation prospective, la demanderesse bénéficierait d’une protection de l’État. Cette constatation n’a rien à voir avec les conclusions quant à la raison pour laquelle elle n’a pas réfuté la présomption par le passé.

X.        La SAR a­t­elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour les raisons impérieuses et en concluant qu’il n’y avait pas de raisons impérieuses?

Les arguments de la demanderesse

[84]      La demanderesse a fait valoir quatre arguments.

[85]      Premièrement, la demanderesse fait valoir que la SAR a restreint son pouvoir discrétionnaire en concluant que la persécution qu’elle avait subie en Argentine n’était pas épouvantable et atroce et qu’elle n’a pas déterminé si des raisons impérieuses justifiaient l’exception. En d’autres termes, la SAR a retenu l’approche selon laquelle les persécutions atroces et épouvantables constituaient une condition qui devait être remplie avant de déterminer si la demanderesse avait prouvé l’existence de raisons impérieuses.

[86]      Deuxièmement, ou à titre subsidiaire, la demanderesse soutient que la SAR n’a pas analysé la jurisprudence, qui révèle deux approches différentes pour la détermination de l’exception relative aux raisons impérieuses. La demanderesse affirme que la SAR a appliqué le « mauvais » critère; elle a commis une erreur de droit en exigeant que la persécution soit épouvantable et atroce pour pouvoir conclure que la demanderesse avait démontré des raisons impérieuses.

[87]      La demanderesse soutient que dans l’analyse du paragraphe 108(4), l’accent devrait être mis sur l’expression « raisons impérieuses », qui ne se limite pas à la persécution atroce et épouvantable. La demanderesse soutient que la SAR a expressément conclu qu’elle ne satisfaisait pas à la « norme élevée » requise pour appliquer l’exception relative aux raisons impérieuses, conclusion qui s’appuyait sur l’opinion erronée de la SAR voulant que cette norme élevée exige une persécution épouvantable et atroce par le passé.

[88]      La demanderesse soutient que la jurisprudence qui laisse entendre que la persécution doit être atroce et épouvantable, qui découle de la décision Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 (C.A.) (Obstoj), devrait être rejetée étant donné que cette interprétation va plus loin que les termes clairs du paragraphe 108(4) et qu’elle a été jugée erronée.

[89]      La demanderesse évoque la décision Suleiman, dans lequel la Cour a conclu que des raisons impérieuses ne se limitaient pas à la persécution épouvantable et atroce par le passé et devaient être interprétées en tenant compte de toutes les circonstances, y compris le traumatisme subjectif qui serait subi par le demandeur à son retour dans son pays. Dans la décision Kotorri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1195 (Kotorri), le juge Beaudry a adopté la décision Suleiman et a conclu que le fait d’élever le niveau de persécution à celui d’atroce et d’épouvantable constituait une erreur.

[90]      Troisièmement, la demanderesse affirme que la SAR n’a pas tenu compte de manière adéquate de la nature de la persécution qu’elle avait subie, que la demanderesse qualifie, en tout état de cause, d’atroce et d’épouvantable, et des répercussions psychologiques et du traumatisme qu’elle subirait si elle devait retourner en Argentine.

[91]      Quatrièmement, la demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur en omettant d’expliquer les facteurs qu’elle a pris en compte pour et contre l’application de l’exception relative aux raisons impérieuses, notant que dans la décision Adjibi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 525 (Adjibi), au paragraphe 33, la juge Dawson a conclu que cela était nécessaire.

Les arguments du défendeur

[92]      Le défendeur reconnaît qu’il y a deux courants jurisprudentiels : celui qui découle de la décision Obstoj et se concentre sur la persécution passée de nature atroce et épouvantable et celui qui découle de la décision Suleiman et constate que des raisons impérieuses comprennent d’autres circonstances, y compris les traumatismes subjectifs du demandeur à son retour dans son pays, mais exige quand même un seuil élevé.

[93]      Le défendeur soutient que la SAR a tenu compte de l’ensemble de la jurisprudence et n’a pas commis d’erreur en notant que l’exception relative aux raisons impérieuses s’applique à un nombre limité de demandeurs et que le degré de persécution constitue un facteur.

[94]      Dans sa plaidoirie écrite, le défendeur a soutenu que la SAR avait raisonnablement constaté que la persécution subie par la demanderesse par le passé n’avait pas atteint le degré qualifié d’épouvantable et d’atroce. Le défendeur a précisé cet argument dans sa plaidoirie et soutient que la SAR n’a pas conclu que seule la persécution épouvantable et atroce constituerait des raisons impérieuses, mais a raisonnablement conclu que le seuil élevé n’avait pas été atteint à la suite de l’examen de toutes les preuves.

[95]      Le défendeur mentionne également la jurisprudence qui confirme que le fait de ne pas tenir compte du paragraphe 108(4) constitue une erreur susceptible de révision uniquement lorsque la persécution passée est exceptionnellement sévère et atteint un degré qualifié d’épouvantable ou d’atroce (Alfaka Alharazim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1044 (Alharazim), aux paragraphes 49 et 52).

La SAR n’a pas commis d’erreur dans son interprétation des raisons impérieuses et dans sa conclusion selon laquelle l’existence de raisons impérieuses n’avait pas été établie

La SAR n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire

[96]      Dans la décision Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635 (Brovina), la juge Layden­Stevenson a conclu ce qui suit (au paragraphe 5) :

[…] Pour que la Commission entreprenne une analyse des raisons impérieuses, elle doit d’abord conclure qu’il existait une demande valide du statut de réfugié (ou de personne à protéger) et que les motifs de la demande ont cessé d’exister (en raison d’un changement de la situation dans le pays). C’est alors seulement que la Commission doit évaluer si la nature des expériences du demandeur dans l’ancien pays était à ce point épouvantable que l’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il ou elle rentre dans son pays et se réclame de la protection de l’État.

[97]      Au paragraphe 6, la juge Layden­Stevenson a souligné ce qui suit : « En l’absence d’une conclusion de persécution dans le passé, le paragraphe 108(4) ne s’applique pas. »

[98]      En l’espèce, la SAR a conclu que la demanderesse aurait été une réfugiée par le passé, mais que les motifs à l’origine de l’asile n’existaient plus puisque, entre autres choses, la protection de l’État était maintenant offerte et qu’il n’y avait aucune preuve crédible du risque que poserait toujours Juan. La SAR s’est ensuite penchée sur l’analyse des raisons impérieuses.

[99]      La SAR n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire. La SAR n’a pas considéré le degré de persécution subie par le passé ou la question de savoir si elle était épouvantable et atroce comme une condition préalable à l’analyse des raisons impérieuses. Ayant conclu que la demanderesse aurait été une réfugiée au sens de la Convention par le passé, la SAR s’est ensuite empressée de déterminer si les raisons impérieuses devaient s’appliquer.

[100]   La question en l’espèce est de savoir si la SAR a correctement interprété l’exception relative aux raisons impérieuses, a examiné tous les éléments de preuve et a pris une décision raisonnable, à savoir que l’existence de raisons impérieuses n’avait pas été établie.

L’interprétation et l’application du paragraphe 108(4)

[101]   Il y a une jurisprudence abondante en ce qui a trait à l’interprétation et à l’application du paragraphe 108(4) et de la disposition qu’il a remplacée. La disposition législative est définie à l’Annexe A.

[102]   Deux approches ont fait leur apparition dans la jurisprudence, ainsi que des distinctions et des nuances supplémentaires dans ces approches.

[103]   La référence à la persécution « épouvantable » trouve son origine dans la décision Obstoj, à la page 748, en ce qui concerne la disposition qui a précédé le paragraphe 108(4) :

[…] Il n’est donc guère surprenant que ce paragraphe doive être interprété comme exigeant des autorités canadiennes qu’elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d’ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c’est­à­dire ceux qui ont souffert d’une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu’ils n’auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution.

Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s’appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels. Je ne vois aucune raison de principe, et l’avocat n’en a pu proposer aucune, pour laquelle le succès ou l’échec des demandes de ces personnes devrait dépendre seulement du fait purement fortuit de savoir si elles ont obtenu la reconnaissance du statut de réfugié avant ou après le changement de la situation dans leur pays d’origine. [Non souligné dans l’original.]

[104]   Deux principes ressortent de la décision Obstoj : premièrement, l’exception relative aux raisons impérieuses vise une catégorie particulière et limitée; et, deuxièmement, les personnes qui ont été victimes de persécution épouvantable appartiendraient à cette catégorie et devraient se voir accorder l’asile. L’accent est clairement mis sur le fait que l’exception relative aux raisons impérieuses s’applique uniquement à une [traduction] « infime minorité de plaignants actuels ».

[105]   Dans certaines décisions subséquentes, il a été conclu que la décision Obstoj n’exigeait pas que la persécution subie par le passé soit épouvantable, mais que la persécution épouvantable constituait une raison impérieuse et qu’il fallait examiner le degré d’atrocité. Dans d’autres décisions, la persécution épouvantable et atroce subie par le passé a été adoptée en tant que seuil ou degré de persécution qui doit être établi pour conclure à l’existence de raisons impérieuses.

[106]   La SAR a fait référence à plusieurs cas antérieurs à la décision Suleiman, qui renvoient tous à la nature exceptionnelle de la disposition ou à la persécution épouvantable et atroce.

[107]   Par exemple, dans la décision Brovina, la Cour [au paragraphe 5] a évoqué la nécessité de déterminer si les expériences passées étaient « à ce point épouvantable[s] » que l’on ne devrait pas s’attendre à ce que la personne rentre dans son pays.

[108]   Dans la décision Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 251 (1re inst.) (QL) (Shahid), la Cour a souligné le devoir de prendre en considération le degré d’atrocité, ainsi que les répercussions sur l’état physique et mental du requérant pour déterminer si une expérience constituait des raisons impérieuses (au paragraphe 25) :

Il est clair, à la lumière des décisions Obstoj et Hassan, supra, que la Commission a commis une erreur en interprétant le paragraphe 2(3) comme ne s’appliquant qu’aux personnes qui craignent toujours d’être persécutées. Une fois qu’elle a entrepris d’examiner la demande du requérant au regard du paragraphe 2(3), la Commission est tenue de prendre en considération le degré d’atrocité des actes dont il a été la victime ainsi que les répercussions de ces actes sur son état physique et mental, puis de juger si ces facteurs constituent en soi une raison impérieuse de ne pas le renvoyer dans son pays d’origine. Ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce. Bien que je doute sérieusement que le demandeur puisse, en l’espèce, satisfaire à la norme élevée établie par la jurisprudence, c’est là une question à trancher par la Commission compte tenu des facteurs applicables. En conséquence, la décision entreprise sera annulée, et l’affaire renvoyée à un tribunal de composition différente pour nouvelle instruction. [Non souligné dans l’original.]

[109]   Dans la décision Isacko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 890, la Cour ordonne également au décideur d’examiner le degré d’atrocité.

[110]   Dans la décision Lawani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15559 (C.F. 1re inst.), la Cour a conclu que la décision selon laquelle la persécution subie par le passée n’avait pas atteint le niveau qualifié d’épouvantable et d’atroce n’était pas raisonnable et dans la décision Nwaozor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 517, la Cour a cité la décision Obstoj et a souligné la nécessité d’examiner le degré d’atrocité.

[111]   Dans la décision Suleiman, aux paragraphes 16 et 17, le juge Martineau a rejeté l’idée selon laquelle la persécution passée doit être atroce et épouvantable pour établir l’existence de raisons impérieuses, notant qu’un critère rigide basé sur le degré d’atrocité devrait être évité et que l’établissement des raisons impérieuses est une détermination factuelle fondée sur toutes les preuves :

Il ne faut pas oublier que le paragraphe 108(4) de la Loi renvoie seulement à « des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs ». Il ne requiert pas qu’il soit tranché qu’un tel acte ou une telle situation est « atroce » et « épouvantable ». En effet, diverses circonstances peuvent enclencher l’application de l’exception à l’égard des « raisons impérieuses ». La question est celle de savoir si en prenant en compte l’ensemble de la situation, c’est­à­dire les motifs d’ordre humanitaire et les circonstances inhabituelles ou exceptionnelles, il serait erroné de rejeter une demande ou de faire une déclaration selon laquelle les raisons pour demander l’asile n’existent plus par suite du changement de circonstances. Les « raisons impérieuses » sont examinées au cas par cas. Chaque cas est un « cas d’espèce ». En pratique, cela signifie que chaque cas doit être évalué et tranché selon son bien­fondé compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée par les demandeurs. Comme il a été statué dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 254 N.R. 388, au paragraphe 6, dans tous les cas dans lesquels la Commission conclut qu’un demandeur a subi de la persécution dans le passé, elle est tenue, lorsqu’il y a eu un changement dans la situation du pays dans une mesure suffisante pour éliminer la source de la crainte du demandeur, d’examiner la question de savoir si la preuve présentée prouve qu’il existe des « raisons impérieuses ». [Note en bas de page omise; souligné dans l’original.]

[112]   L’interprétation plus large de l’exception relative aux raisons impérieuses approuvée par le juge Martineau comprend également la prise en compte du traumatisme causé par le rapatriement en tant que raison impérieuse (aux paragraphes 18 à 20); cependant, la question déterminante était énoncée au paragraphe 21 :

[…] En l’espèce, il est évident que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le critère établi dans l’arrêt Obstoj requiert que la persécution soit d’un tel niveau qu’elle puisse être qualifiée d’« atroce » et d’« épouvantable » pour que l’exception à l’égard des « raisons impérieuses » s’applique. Cette erreur de droit vicie la décision rendue par la suite par la Commission selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[113]   Dans la décision Kotorri, au paragraphe 27, le juge Beaudry a adopté la décision Suleiman et a conclu que l’exigence de persécution épouvantable et atroce « élève incorrectement le niveau de persécution au-delà de ce qui est établi par la jurisprudence ». Toutefois, le juge Beaudry a évoqué seulement la décision Elemah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 779 et à la décision Suleiman. Il semble que les autres cas de jurisprudence qui continuaient d’interpréter la décision Obstoj comme faisant de la persécution épouvantable et atroce la norme n’aient pas été soulevés.

[114]   La SAR a également mentionné des décisions postérieures à la décision Suleiman. Dans la décision Shpati c. Canada (Citoyenneté Immigration), 2007 CF 237, la juge Snider a statué que le décideur avait raisonnablement conclu que l’expérience passée du demandeur n’avait pas atteint le degré qualifié d’épouvantable et d’atroce, en faisant remarquer qu’il n’y avait aucune raison de constater qu’un élément de preuve avait été ignoré et qu’il n’incombait pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve. La juge Snider a refusé de tenir compte du nouvel argument soulevé à l’audience selon lequel la norme de l’acte « épouvantable et atroce » est trop élevée pour le paragraphe 108(4). Toutefois, la juge Snider a fait remarquer que le critère énoncé dans la décision Obstoj [traduction] « a toujours été en usage depuis [Obstoj] » (au paragraphe 13) et a ajouté, qu’en dehors de la décision Dini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 217 et de la question certifiée dans ce cas, [traduction] « il n’y a pas de jurisprudence qui soulève un doute quant à l’exactitude de ce critère ». La SAR a pris note de cette conclusion. Bien que la juge Snider ait évoqué la décision Kotorri relativement à la norme de contrôle, il semblerait qu’il n’ait pas été avancé que la décision Kotorri, comme la décision Suleiman, avait adopté une approche différente.

[115]   La SAR a également cité la décision Lici c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1451, au paragraphe 21, dans lequel le juge Near a fait remarquer que les raisons impérieuses ne s’appliquent que dans des circonstances exceptionnelles et que le décideur est en droit de pondérer la preuve ayant trait aux persécutions subies par le demandeur et de déterminer si elles ont atteint « le seuil des souffrances “atroces et épouvantables” ». La SAR a également évoqué la décision Kostrzewa c. Canada (Citoyenneté Immigration), 2012 FC 1449, qui a souligné le critère de la persécution « épouvantable et atroce », bien que cela renvoyait à l’omission de la SPR de tenir compte de l’exception, pas à la question de savoir si l’existence de raisons impérieuses avait été établie.

[116]   Le défendeur a fait référence à la décision Alharazim et d’autres cas récents qui reflètent le point de vue selon lequel la persécution devrait atteindre un degré tel qu’on la qualifie d’épouvantable et d’atroce pour conclure à l’existence de raisons impérieuses.

[117]   Dans la décision Alharazim, le juge Crampton a examiné la jurisprudence antérieure et a abordé deux questions distinctes : premièrement, la question de savoir si le décideur doit tenir compte de l’exception relative aux raisons impérieuses et dans quelles circonstances il doit le faire; et, deuxièmement, une fois que le décideur a entrepris cette évaluation, ce qui doit être démontré pour conclure à l’existence de raisons impérieuses (aux paragraphes 49 à 53) :

Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que la catégorie de situations à l’égard de laquelle un décideur peut, en appliquant la LIPR, commettre une erreur susceptible de contrôle en omettant d’examiner l’applicabilité du paragraphe 108(4) doit être circonscrite étroitement, pour faire en sorte que cette catégorie inclue uniquement des situations véritablement exceptionnelles ou extraordinaires. Il s’agira de situations qui comportent une preuve prima facie de persécution passée qui est d’une gravité si exceptionnelle qu’elle atteint un degré tel qu’on la qualifie d’« épouvantable » ou d’« atroce ».

Je tiens compte des décisions Elemah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 779, au paragraphe 28, et Suleiman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1125, aux paragraphes 16 à 21, qui indiquent que le paragraphe 108(4) ne requiert pas qu’il soit tranché que la gravité de la persécution passée alléguée est « atroce » ou « épouvantable », avant qu’une conclusion favorable puisse être tirée en vertu de ce paragraphe. Ces deux affaires visaient des situations dans lesquelles la SPR a effectué des évaluations en vertu du paragraphe 108(4) ou de la disposition qui l’a précédé.

Je reconnais qu’il peut y avoir des situations dans lesquelles il peut être possible de répondre aux exigences du paragraphe 108(4), sans qu’il soit nécessaire de démontrer une persécution passée atteignant un degré qui peut être qualifié d’« atroce » ou d’« épouvantable ». Conformément à la jurisprudence établie dans l’arrêt Obstoj, précité, et aux décisions qui ont été rendues dans sa foulée, ces situations doivent être véritablement exceptionnelles ou extraordinaires par rapport à d’autres cas dans lesquels l’asile a été accordé.

Toutefois, aux fins de déterminer les cas dans lesquels peut constituer une erreur susceptible de contrôle l’omission d’un commissaire de la SPR, d’un agent d’immigration ou d’un autre décideur qui applique la LIPR d’effectuer une évaluation en vertu du paragraphe 108(4), il y a lieu de définir une catégorie étroite de situations à l’égard desquelles une telle évaluation est exigée. [Souligné dans l’original.]

Gardant à l’esprit les éclaircissements fournis par le paragraphe 136 du Guide des Nations Unies et la difficulté qui serait liée à la tentative d’identifier, au préalable, des situations exceptionnelles qui ne comportent pas une persécution passée grave, il convient de limiter cette catégorie de situations à celles dans lesquelles il y a une preuve prima facie de persécution passée « épouvantable » ou « atroce ». Dans ces cas, un décideur qui applique la LIPR est tenu d’effectuer une évaluation en vertu du paragraphe 108(4) de la LIPR. Dans tous les autres cas, un décideur peut exercer son pouvoir discrétionnaire concernant la question de savoir s’il doit ou non effectuer une telle évaluation. [Non souligné dans l’original.]

[118]   Le juge Crampton établit une distinction entre le devoir d’un décideur d’examiner de façon proactive l’exception relative aux raisons impérieuses et le pouvoir discrétionnaire dont il dispose pour tenir compte de l’exception.

[119]   Quant à la question de savoir si le décideur devrait même tenir compte de l’exception, le juge Crampton a conclu que la SPR ou la SAR devait déterminer si des raisons impérieuses ont été établies uniquement lorsqu’il y a une preuve prima facie de persécution épouvantable et atroce par le passé. Dans d’autres cas, la SPR ou la SAR peut déterminer si l’existence de raisons impérieuses a été établie.

[120]   Je constate que cette approche diffère de celle adoptée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15191, dans lequel la Cour a conclu que l’exception devrait être prise en compte chaque fois que l’on conclut qu’il y a eu persécution par le passé et que la situation du pays a changé. Le juge Rennie a noté cette « contradiction » dans la décision Sabaratnam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 844, au paragraphe 18, mais a conclu que cela n’avait aucune incidence sur cette demande. De la même manière, la question ne se pose pas en l’espèce; la SAR a déterminé si l’existence de raisons impérieuses avait été établie.

[121]   En ce qui concerne le seuil, le cas échéant, qui s’applique pour déterminer si, dans les faits, l’existence de raisons impérieuses a été établie, le juge Crampton a reconnu l’interprétation faite dans la décision Suleiman. Il a noté (au paragraphe 51 [de 2010 CF 1044]) que les exigences du paragraphe 108(4) peuvent être satisfaites lorsqu’il n’est pas prouvé que la persécution passée était épouvantable ou atroce, mais a souligné que ces situations doivent être « véritablement exceptionnelles ou extraordinaires » par rapport à d’autres cas.

[122]   Cela est cohérent avec le principe sous-jacent voulant que l’exception s’applique à une « petite minorité » de demandeurs d’asile. Cette interprétation vise aussi à concilier les décisions Obstoj et Suleiman.

[123]   Bien que la demanderesse puisse qualifier la décision Suleiman comme étant le bon critère, d’autres décisions ont plus étroitement interprété l’exception relative aux raisons impérieuses, soulignant qu’elle demeure très exceptionnelle et s’applique à une catégorie limitée de demandeurs et que le critère approprié est celui de la persécution épouvantable et atroce. Même la décision Suleiman [aux paragraphes 14 et 15] ne rejette pas le principe selon lequel l’exception relative aux raisons impérieuses vise une « catégorie spéciale et limitée » et une « petite minorité » de demandeurs d’asile.

[124]   La décision Suleiman a été cité dans d’autres cas de jurisprudence, y compris en ce qui a trait à la norme de contrôle et à la prise en compte des répercussions psychologiques, mais on n’a pas attiré mon attention sur d’autres cas et je n’ai pas non plus trouvé d’autres cas, hormis la décision Kotorri, qui rejettent spécifiquement le degré « épouvantable et atroce » de la persécution et concluent à une erreur de la part du décideur dans l’application de cette norme.

[125]   La demanderesse fait valoir que, au moins implicitement, la SAR a appliqué le critère de la persécution épouvantable et atroce compte tenu de ses mentions de la jurisprudence qui souligne cette norme et de sa conclusion selon laquelle le degré de persécution qu’elle avait subie n’était pas aussi élevé.

[126]   Je ne suis pas de cet avis. La disposition législative exige que la demanderesse établisse les raisons impérieuses tenant à sa persécution passée qui justifient son refus de se prévaloir de la protection de l’État dans son pays d’origine. L’analyse effectuée par la SAR en a tenu compte.

[127]   La SAR [au paragraphe 59] a d’abord déterminé que sa tâche consistait à « établir si le cas de la demandeure d’asile se distingue des cas de persécution qui ne sont pas visés par le paragraphe 108(4) », en soulignant que cela constituait une question de fait. La SAR a ensuite fait référence à l’orientation de la jurisprudence qui a établi que l’exception relative aux raisons impérieuses est applicable dans des circonstances exceptionnelles. Elle a également cité la jurisprudence qui fait référence à la persécution épouvantable et atroce. Cependant, la SAR n’a pas retreint l’examen des raisons impérieuses à la catégorie plus étroite des persécutions épouvantables et atroces; la SAR a examiné si la persécution passée décrite par la demanderesse, par rapport à d’autres cas, avait atteint le seuil lorsque l’exception avait et n’avait pas été prouvée. Si plusieurs de ces cas renvoient au critère des persécutions effroyables, le fait d’imposer un seuil élevé ne constitue pas une erreur étant donné que l’ensemble de la jurisprudence souligne systématiquement cette exigence.

[128]   La SAR a raisonnablement conclu, compte tenu du poids qu’elle a accordé à la preuve et comparativement à d’autres cas où l’existence de raisons impérieuses n’avait pas été établie, que la demanderesse n’avait pas prouvé l’existence de raisons impérieuses.

[129]   Toutefois, si la SAR avait imposé le critère de la persécution atroce et épouvantable, je n’aurais pas conclu à une erreur de droit. On ne peut pas reprocher à la SAR de s’être fondée sur la jurisprudence qui reflète le fait que le niveau d’atrocité de la persécution passée doit être pris en compte et sur l’orientation de la jurisprudence qui reflète que la persécution épouvantable ou atroce par le passé est le seuil élevé requis pour prouver l’existence des raisons impérieuses. La SAR a examiné la décision Suleiman; cependant, depuis que les décisions Suleiman et Kotorri ont été tranchés en 2004 et 2005, d’autres cas de jurisprudence ont continué de faire référence à la persécution épouvantable et atroce subie par le passé pour déterminer si un demandeur a prouvé l’existence de raisons impérieuses.

Le rapport de la psychologue

[130]   La demanderesse affirme également que la SAR n’a pas tenu compte de la pertinence du rapport de la psychologue dans son analyse des raisons impérieuses, en particulier le traumatisme qu’elle subirait si elle devait retourner en Argentine.

[131]   Je ne suis pas de cet avis. La SAR a fait mention du rapport et n’a pas contesté le diagnostic de trouble de stress post­traumatique. La SAR a reconnu que la décision Suleiman abordait la question des traumatismes subjectifs, mais a conclu que cela ne supprimait pas la nécessité de tenir compte du degré de la persécution passée dans l’évaluation des raisons impérieuses.

[132]   Bien que les répercussions psychologiques du retour dans le pays puissent être utiles pour déterminer si l’existence de raisons impérieuses a été établie, la décision Suleiman ne prévoit pas que les traumatismes subjectifs ou l’impact émotionnel pour le demandeur d’asile à son retour dans son pays constituent une raison impérieuse, mais seulement qu’il s’agit d’un facteur à prendre en considération.

[133]   Dans la décision Mwaura c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 874, [2016] 1 R.C.F. 542, le juge Brown a examiné le corollaire et a noté que le préjudice psychologique n’était pas une condition préalable à l’établissement de l’existence de raisons impérieuses, mais que, si ce point était soulevé, il n’était pas nécessaire de produire un rapport psychologique pour établir l’existence de raisons impérieuses. Il souligne alors ce qui suit au paragraphe 17 :

La Cour a rejeté la proposition suivant laquelle la condition préalable au succès d’une demande fondée sur des « raisons impérieuses » était le préjudice psychologique. Dans la décision Kotorri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1195 (Kotorri), au paragraphe 26, la Cour a affirmé :

Je conviens avec la Commission que la preuve de séquelles psychologiques permanentes est pertinente pour le règlement de la question, mais qu’il ne s’agit pas d’un critère distinct auquel il doit être satisfait (Jiminez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 87 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 32 à 34). Par conséquent, ce n’est pas parce que le revendicateur souffre du syndrome de stress post­traumatique que l’exception des « raisons impérieuses » s’applique automatiquement. La Commission doit trancher chaque cas en se fondant sur l’ensemble de la preuve. [Souligné dans l’original par le juge Brown.]

[134]   En l’espèce, la SAR a examiné le rapport de la psychologue et expressément cité le guide de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sur la définition de réfugié au sens de la Convention [La jurisprudence sur la définition de réfugié au sens de la convention, section 7.2.6. Séquelles psychologiques], qui précise que la preuve de séquelles psychologiques permanentes ou de l’absence de celles-ci est pertinente, mais qu’il ne s’agit pas d’un critère distinct devant être satisfait pour conclure à l’existence de raisons impérieuses. La SAR a pris en considération l’ensemble de la preuve. Il incombait à la SAR de déterminer le poids à accorder à la preuve de séquelles psychologiques.

Les motifs de la SAR

[135]   La demanderesse demande comment il se fait que sa persécution passée n’ait pas été qualifiée d’épouvantable et d’atroce si cela est la norme à respecter pour établir l’existence des raisons impérieuses. La Cour ne peut pas répondre à cette question. Cette décision revient à la SAR et la Cour ne peut pas réexaminer la preuve ou substituer un autre point de vue lorsque la décision de la SAR se situe dans la fourchette des résultats acceptables. La SAR a examiné la jurisprudence, a interprété la disposition, a examiné tous les éléments de preuve, y compris le formulaire Fondement de la demande d’asile de la demanderesse et le rapport de la Dre Browne, et elle n’a pas fait fi ou mal interprété ces éléments.

[136]   La SAR n’a pas contesté que la demanderesse avait subi des mauvais traitements. Malgré qu’elle s’en soit remise aux conclusions de la SPR quant à la crédibilité des allégations de violence de la demanderesse, la SAR a constaté que le récit des violences était suffisant pour conclure que la demanderesse aurait été une réfugiée par le passé, mais a conclu que les violences ne satisfaisaient pas au seuil élevé pour établir l’existence de raisons impérieuses.

[137]   L’argument de la demanderesse voulant que, sur la base de la décision Adjibi, la SAR ait commis une erreur en ne fixant les facteurs pour et contre la conclusion selon laquelle elle n’avait pas établi l’existence de raisons impérieuses équivaut à une demande faite à la SAR d’indiquer le poids accordé à la preuve examinée.

[138]   Dans la décision Adjibi, la juge Dawson a tenu compte des allégations de la demanderesse concernant les motifs insuffisants à l’appui de la conclusion d’absence de raisons impérieuses et a conclu au paragraphe 33 :

[…] Pour que les motifs soient valables, il faut qu’un revendicateur et une cour de révision reçoivent une explication suffisamment intelligible des raisons pour lesquelles des actes de persécution ne constituent pas des raisons impérieuses, ce qui suppose qu’on examine à fond le degré d’atrocité des actes dont le demandeur a été victime, les répercussions de ces actes sur son état physique et mental et la question de savoir si les expériences et leurs conséquences constituent une raison impérieuse de ne pas le renvoyer dans son pays d’origine. Voir Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 89 F.T.R. 106 (1re inst.).

[139]   Je ne suis pas d’accord pour dire que la décision Adjibi oblige la SPR ou la SAR à définir les facteurs pour et contre la conclusion selon laquelle il y a des raisons impérieuses. La décision Adjibi aborde la question du caractère approprié des motifs. Il n’oblige pas le décideur à comptabiliser les facteurs qui soutiennent une conclusion de raisons impérieuses et ceux qui ne la soutiennent pas. Cette décision repose sur l’ensemble de la preuve.

[140]   En outre, comme l’a admis la demanderesse, l’insuffisance des motifs ne constitue plus un motif indépendant de contrôle judiciaire, mais fait partie de la détermination du caractère raisonnable de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre­Neuve­et­Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (Newfoundland Nurses).

[141]   Conformément à l’arrêt Newfoundland Nurses, au paragraphe 16, « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ».

[142]   En l’espèce, la Cour est en mesure de déterminer si la conclusion de la SAR selon laquelle l’existence de raisons impérieuses n’avait pas été établie est raisonnable. La SAR a expliqué sa compréhension des principes de la jurisprudence, que la disposition était limitée à des circonstances exceptionnelles, qu’elle avait examiné tous les éléments de preuve et qu’elle avait comparé la persécution subie par la demanderesse à d’autres cas de persécution où l’existence de raisons impérieuses avait été établie ou n’avait pas été établie. La SAR a conclu, en fonction des faits qui lui ont été présentés, que l’existence de raisons impérieuses n’avait pas été établie. La décision de la SAR est intelligible, transparente et justifiable au regard des faits et du droit.

XI.       Question certifiée proposée

[143]   La demanderesse demande à ce que la question qui est proposée, mais non certifiée dans la décision Kotorri, soit certifiée en l’espèce afin de préciser si la persécution épouvantable et atroce subie par le passé représente le seuil pour établir l’existence de raisons impérieuses et comment ce seuil peut être objectivement mesuré.

[144]   Le critère utilisé pour certifier une question a été établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (QL), au paragraphe 4. La question doit transcender les intérêts des parties au litige, elle doit aborder des éléments qui sont de portée générale et elle doit être déterminante dans l’issue de l’appel.

[145]   Pour reprendre les termes plus simples utilisés dans d’autres instances, la question proposée aux fins de certification doit être une question sérieuse qui a une portée générale et qui sera déterminante dans l’issue de l’appel.

[146]   Bien que la question proposée transcende les intérêts des parties et que la clarté dans l’interprétation du paragraphe 108(4) soit bénéfique, la certification de la question proposée ne serait pas déterminante dans l’issue de l’appel. Comme je l’ai souligné plus haut, je ne considère pas que la SAR a imposé le seuil de persécution épouvantable et atroce et a constaté que ce critère n’avait pas été respecté. Au contraire, elle a imposé un seuil élevé, comme l’exige la jurisprudence, et a conclu, selon l’ensemble de la preuve, que la demanderesse n’avait pas établi des raisons impérieuses pour être exemptée de demander la protection de l’Argentine. Par conséquent, la question ne sera pas certifiée.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

ANNEXE A

Les dispositions législatives

Le passage pertinent de l’article 108 de la Loi prévoit ce qui suit :

Rejet

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

[…]

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

[…]

Exception

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.