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[2016] 3 R.C.F. 275

IMM-1544-15

2016 CF 51

Chunli Su (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Su c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Strickland—Toronto, 17 décembre 2015; Ottawa, 18 janvier 2016.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada a refusé de traiter la demande de résidence permanente de la demanderesse — Lorsqu’elle a présenté la demande de résidence permanente, la demanderesse devait remplir et retourner deux formulaires pour tout enfant à charge âgé de plus de 18 ans — À l’époque où la demanderesse a présenté sa demande, son fils était âgé de 19 ans, mais la demande n’était pas accompagnée des deux formulaires requis — Plus tard, des modifications ont été apportées au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, et l’une d’elles a changé la définition d’« enfant à charge » de manière à viser les enfants âgés de moins de 19 ans — Par la suite, l’agent a informé la demanderesse que sa demande ne répondait pas aux exigences de l’art. 10 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) parce qu’elle était incomplète et il lui a renvoyée — La demanderesse a présenté à nouveau sa demande, accompagnée des deux formulaires manquants — Les changements apportés au RIPR ont eu une incidence sur la demande de la demanderesse, car son fils, âgé de 19 ans, ne répondait plus à la définition d’enfant à charge; il serait donc exclu si l’on considérait sa seconde demande comme une nouvelle demande — L’agent a décidé que le fils de la demanderesse ne répondait pas à la définition d’enfant à charge qui figurait dans la version modifiée du RIPR — Il s’agissait de savoir si l’agent a interprété l’art. 10 du RIPR d’une manière raisonnable — L’art. 10 du RIPR énonce les exigences impératives, tant en matière de forme que de contenu, qui s’appliquent aux demandes de résidence permanente — L’art. 10 doit être lu de pair avec l’art. 12, qui indique explicitement que si les exigences de l’art. 10 (et de l’art. 11) ne sont pas remplies, la demande et tous les documents fournis à l’appui de celle-ci doivent être retournés au demandeur — Les art. 10 et 12 ne font aucunement référence à une demande qui demeure valide et pendante, après que cette demande et tous les documents qui s’y rapportent ont été retournés au demandeur — L’objet de réglementation que décrit le résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) milite en faveur de l’interprétation suivante : avant que l’on puisse examiner une demande de résidence permanente, celle-ci doit répondre aux exigences énoncées dans la LIPR et le RIPR — Si la demande ne respecte pas les exigences de l’art. 10, aucune obligation de traiter la demande ne prend naissance; la demande est plutôt retournée et on ne peut pas considérer qu’elle existe encore — Par conséquent, une demande incomplète n’est pas à l’abri de l’effet des changements dans la réglementation qui peuvent entrer en vigueur avant que la demande soit complète — L’agent a interprété l’art. 10 du RIPR d’une manière raisonnable, car, après lecture de l’art. 10, son interprétation faisait partie des interprétations possibles et acceptables qu’il lui était loisible de retenir — La question de savoir si une demande de résidence permanente existe lorsque la demande est incomplète parce qu’elle ne répond pas aux exigences de l’art. 10 du RIPR a été certifiée — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada a refusé de traiter la demande de résidence permanente de la demanderesse. Le 30 mai 2014, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des gens d’affaires, à titre de travailleuse autonome. Il fallait que deux formulaires soient remplis et signés par tout enfant à charge âgé de plus de 18 ans. À l’époque où la demanderesse a présenté sa demande, son fils était âgé de 19 ans, mais la demande n’était pas accompagnée des deux formulaires requis. Le 1er août 2014, des modifications au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR) sont entrées en vigueur, et l’une d’elles a changé la définition d’enfant à charge de manière à viser les enfants âgés de moins de 19 ans. Avant le 1er août, la définition visait les enfants âgés de moins de 22 ans. Le 7 août 2014, l’agent a informé la demanderesse par écrit que sa demande ne répondait pas aux exigences de l’article 10 du RIPR parce qu’elle était incomplète et qu’elle lui était renvoyée pour cette raison. De plus, la demanderesse a été informée que les droits de traitement de sa demande n’avaient pas été encaissés et lui avaient été également retournés; par conséquent, sa demande a été jugée non recevable. La demande retournée a été reçue le 17 novembre 2014. Le 2 décembre 2014, la demanderesse a présenté à nouveau sa demande, accompagnée des deux formulaires manquants. Les changements apportés au RIPR ont eu une incidence sur la demande de la demanderesse, car son fils, âgé de 19 ans, ne répondrait plus à la définition d’enfant à charge et serait exclu si l’on considérait sa seconde demande comme une nouvelle demande. La demanderesse a par conséquent demandé que sa seconde demande soit traitée comme un prolongement de la demande initiale, datée de mai 2014. Par lettre datée du 13 janvier 2015, l’agent a renvoyé la demande, après avoir décidé que le fils de la demanderesse ne répondait pas à la définition d’enfant à charge qui figurait dans la version modifiée du RIPR.

Il s’agissait de savoir si l’agent a interprété l’article 10 du RIPR d’une manière raisonnable.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Deux courants jurisprudentiels de la Cour, (Campana Campana c. Canada (Citoyenneté et Immigration) et Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration)) sont arrivés à des conclusions divergentes quant à l’interprétation de l’article 10 du RIPR. Pour cette raison, ces décisions en particulier ont été examinées avec soin. En l’espèce, la question en litige avait trait au caractère raisonnable de l’interprétation du RIPR par l’agent. L’article 10 du RIPR énonce les exigences impératives, tant en matière de forme que de contenu, qui s’appliquent aux demandes de résidence permanente, y compris tous les renseignements et documents ainsi que les autres éléments de preuve requis par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. L’article 10 doit être lu de pair avec l’article 12, qui indique explicitement que si les exigences de l’article 10 (et de l’article 11) ne sont pas remplies, la demande et tous les documents fournis à l’appui de celle-ci doivent être retournés au demandeur. Les articles 10 et 12 ne font aucunement référence à une demande qui demeure valide et pendante, c’est-à-dire qui continue d’exister, après que cette demande et tous les documents qui s’y rapportent ont été retournés. Ils n’autorisent pas non plus les agents des visas à conserver les demandes incomplètes ou à les traiter comme le prolongement des demandes initiales après qu’elles ont été présentées à nouveau. Par conséquent, l’objectif déclaré de la LIPR, à savoir « la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace » en vue d’atteindre les objectifs du gouvernement en matière d’immigration (alinéa 3(1)f) de la LIPR), étaye également la manière dont l’agent a interprété le RIPR.

En outre, l’objet de réglementation que décrit l’étude d’impact de la réglementation (REIR) milite en faveur de l’interprétation suivante : avant que l’on puisse examiner une demande de résidence permanente, celle-ci doit répondre aux exigences énoncées dans la LIPR et le RIPR, y compris en matière de forme et de contenu. Une demande doit répondre aux exigences de l’article 10 avant que l’on puisse la considérer comme déposée. Une demande n’« existe » que si elle est complète et peut donc être examinée et traitée. Les objectifs décrits dans le REIR concordent par conséquent avec l’interprétation des articles 10 et 12 du RIPR selon laquelle une demande antérieurement incomplète que l’on présente à nouveau est considérée comme une nouvelle demande.

L’article 10 du RIPR prescrit ce qu’il est nécessaire de fournir à l’appui d’une demande de résidence permanente, y compris un récépissé de paiement des droits applicables. Le fait de ne pas payer les droits prescrits est un exemple de non-respect des exigences de l’article 10. Peu importe l’élément manquant, le résultat est le même : la demande est incomplète. Dans une telle circonstance, aucune obligation de traiter la demande ne prend naissance, laquelle est ensuite retournée et on ne peut pas considérer qu’elle existe encore. Par conséquent, une demande incomplète n’est pas à l’abri de l’effet des changements dans la réglementation qui peuvent entrer en vigueur avant que la demande soit complète.

L’agent a interprété l’article 10 du RIPR en l’espèce d’une manière raisonnable, car, après lecture de l’article 10 dans le contexte de la LIPR et du RIPR, y compris l’article 12, et eu égard aux objectifs du régime législatif et à l’intention du gouvernement qui sont décrits dans le REIR, son interprétation faisait partie des interprétations possibles et acceptables qu’il lui était loisible de retenir. Par conséquent, l’agent a aussi appliqué d’une manière raisonnable la définition modifiée d’enfant à charge, qui est entrée en vigueur entre le moment où la demanderesse a présenté une demande incomplète et celui où elle a déposé une demande complète.

La question de savoir si une demande de résidence permanente existe toujours de manière à préserver le moment où le demandeur a présenté sa demande lorsque cette demande est incomplète parce qu’elle ne répond pas aux exigences de l’article 10 du RIPR et que cette demande est retournée au demandeur a été certifiée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)f), 29, 44(2), 63(1), 74d).

Règlement sur les prix à payer — Loi sur l’immigration, DORS/97-22 (abrogé par DORS/2002-227, art. 364c)).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 2 « enfant à charge », 10, 11, 12, 183.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Kinsel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 126, [2016] 1 R.C.F. 146; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3; Fernando c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 205; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290.

DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :

Campana Campana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 49.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 159; Maharaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1495 (1re inst.) (QL); Stanabady c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1380, [2016] 3 R.C.F. 3; Feng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8378 (C.F.).

DÉCISIONS CITÉES :

Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Tareen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1260; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Zaric, 2015 CF 837, [2016] 1 R.C.F. 407; De Silva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 790; Xiao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7897 (C.F. 1re inst.); Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; Balasundaram c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 38; Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 24, [2003] 3 C.F. 140; Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006; Chow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 861; Huynh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 748.

DOCTRINE CITÉE

Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/2002-227, Gaz. C. 2002.II.177.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada a refusé de traiter la demande de résidence permanente de la demanderesse aux motifs qu’elle ne répondait pas aux exigences de l’article 10 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Lihua Bao pour la demanderesse.

Leila Jawando pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lihua Bao, Oakville (Ontario), pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        La juge Strickland : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) a refusé de traiter la demande de résidence permanente de la demanderesse.

Le contexte et la décision faisant l’objet du présent contrôle

[2]        Le 30 mai 2014, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des gens d’affaires, à titre de travailleuse autonome. Parmi les exigences à respecter, il fallait que deux formulaires soient remplis et signés par tout enfant à charge âgé de plus de 18 ans. À l’époque où la demanderesse a présenté sa demande, son fils était âgé de 19 ans, mais la demande n’était pas accompagnée des deux formulaires requis.

[3]        Le 1er août 2014, des modifications au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR ou le Règlement) sont entrées en vigueur [DORS/2014-133], et l’une d’elles a changé la définition d’enfant à charge de manière à viser les enfants âgés de moins de 19 ans. Avant le 1er août, la définition visait les enfants âgés de moins de 22 ans. Les modifications ont également supprimé une exception applicable aux enfants âgés de plus de 22 ans qui n’avaient pas cessé d’être inscrits à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité.

[4]        Par une lettre datée du 7 août 2014, l’agent a informé la demanderesse que sa demande ne répondait pas aux exigences de l’article 10 du RIPR parce qu’elle était incomplète et qu’elle lui était renvoyée pour cette raison. La lettre indiquait également ceci :

[traduction] […] Les droits de traitement de votre demande n’ont pas été encaissés et vous sont également retournés. Votre demande n’est pas recevable et aucun document n’a été conservé.

Si vous présentez une demande, assurez-vous de fournir tous les éléments requis : formulaires, renseignements, documents, preuves, signatures et droits. Toute demande dans laquelle il manque l’un ou l’autre de ces éléments sera considérée comme incomplète et ne sera pas recevable. Elle vous sera retournée.

De plus, veuillez noter que les demandes sont évaluées selon les directives en vigueur au moment de leur réception.

[5]        La demanderesse a reçu la demande qui lui était renvoyée le 17 novembre 2014.

[6]        Le 2 décembre 2014, la demanderesse a présenté à nouveau sa demande, accompagnée des deux formulaires manquants. La lettre d’accompagnement écrite par son avocate signalait que des changements apportés au RIPR auraient une incidence sur sa demande car son fils, âgé de 19 ans, ne répondrait plus à la définition d’enfant à charge et serait exclu si l’on considérait sa seconde demande comme une nouvelle demande. Son avocate a fait valoir que l’agent devait traiter la seconde demande comme un prolongement de la demande initiale, datée de mai 2014 (Campana Campana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 49 (Campana)).

[7]        Par lettre datée du 13 janvier 2015, l’agent a renvoyé la demande, après avoir décidé que le fils de la demanderesse ne répondait pas à la définition d’enfant à charge qui figurait dans la version modifiée du RIPR.

La question en litige

[8]        À mon avis, l’unique question en l’espèce consiste à savoir si l’agent a interprété l’article 10 du RIPR d’une manière raisonnable.

La norme de contrôle applicable

[9]        La demanderesse soutient simplement que la norme de la décision correcte s’applique aux questions relatives à l’interprétation des lois, car il s’agit de questions de droit. Le défendeur ne présente aucune observation proprement dite sur la norme de contrôle applicable, mais il demande implicitement que la Cour contrôle la décision selon la norme de la raisonnabilité.

[10]      Il existe une présomption selon laquelle les questions de droit qui découlent de la loi constitutive d’un tribunal administratif doivent être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité (Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161, au paragraphe 35; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 30; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 54). À mon avis, en l’absence de toute indication qu’il existe en l’espèce une raison de réfuter cette présomption, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique (Tareen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1260, au paragraphe 16; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Zaric, 2015 CF 837, [2016] 1 R.C.F. 407, au paragraphe 15; De Silva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 790, aux paragraphes 17 à 23).

[11]      Je signale par ailleurs que, dans l’arrêt McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, aux paragraphes 31 à 33, la Cour suprême du Canada a conclu que le décideur administratif est peut-être mieux placé pour faire un choix entre plusieurs manières raisonnables et possibles d’interpréter une disposition législative qui manque de clarté.

Les dispositions législatives pertinentes

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Forme et contenu de la demande

10 (1) Sous réserve des alinéas 28b) à d) et 139(1)b), toute demande au titre du présent règlement :

a) est faite par écrit sur le formulaire fourni par le ministère, le cas échéant;

b) est signée par le demandeur;

c) comporte les renseignements et documents exigés par le présent règlement et est accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la Loi;

d) est accompagnée d’un récépissé de paiement des droits applicables prévus par le présent règlement;

e) dans le cas où le demandeur est accompagné d’un époux ou d’un conjoint de fait, indique celui d’entre eux qui agit à titre de demandeur principal et celui qui agit à titre d’époux ou de conjoint de fait accompagnant le demandeur principal.

Renseignements à fournir

(2) La demande comporte, sauf disposition contraire du présent règlement, les éléments suivants :

a) les nom, date de naissance, adresse, nationalité et statut d’immigration du demandeur et de chacun des membres de sa famille, que ceux-ci l’accompagnent ou non, ainsi que la mention du fait que le demandeur ou l’un ou l’autre des membres de sa famille est l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une autre personne;

b) la mention du visa, du permis ou de l’autorisation que sollicite le demandeur;

c) la mention de la catégorie réglementaire au titre de laquelle la demande est faite;

c.1) si le demandeur est représenté relativement à la demande, le nom, l’adresse postale, le numéro de téléphone et, le cas échéant, le numéro de télécopieur et l’adresse électronique de toute personne ou entité — ou de toute personne agissant en son nom — qui le représente;

c.2) si le demandeur est représenté, moyennant rétribution, relativement à la demande par une personne visée à l’un des alinéas 91(2)a) à c) de la Loi, le nom de l’organisme dont elle est membre et le numéro de membre de celle-ci;

c.3) si le demandeur a été conseillé, moyennant rétribution, relativement à la demande par une personne visée à l’un des alinéas 91(2)a) à c) de la Loi, les renseignements prévus aux alinéas c.1) et c.2) à l’égard de cette personne;

c.4) si le demandeur a été conseillé, moyennant rétribution, relativement à la demande par une entité visée au paragraphe 91(4) de la Loi — ou une personne agissant en son nom —, les renseignements prévus à l’alinéa c.1) à l’égard de cette entité ou personne;

d) une déclaration attestant que les renseignements fournis sont exacts et complets.

Demande du membre de la famille

(3) La demande vaut pour le demandeur principal et les membres de sa famille qui l’accompagnent.

Demande de parrainage

(4) La demande faite par l’étranger au titre de la catégorie du regroupement familial doit être précédée ou accompagnée de la demande de parrainage visée à l’alinéa 130(1)c).

Demandes multiples

(5) Le répondant qui a déposé une demande de parrainage à l’égard d’une personne ne peut déposer de nouvelle demande concernant celle-ci tant qu’il n’a pas été statué en dernier ressort sur la demande initiale.

Demande de parrainage non valide

(6) Pour l’application du paragraphe 63(1) de la Loi, la demande de parrainage qui n’est pas faite en conformité avec le paragraphe (1) est réputée non déposée.

[…]

Renvoi de la demande

12 Sous réserve de l’article 140.4, si les exigences prévues aux articles 10 et 11 ne sont pas remplies, la demande et tous les documents fournis à l’appui de celle-ci sont retournés au demandeur.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Objet en matière d’immigration

3 (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

[…]

f) d’atteindre, par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral après consultation des provinces;

[…]

Juridiction compétente

62 La Section d’appel de l’immigration est la section de la Commission qui connaît de l’appel visé à la présente section.

Droit d’appel : visa

63 (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

L’analyse

La thèse de la demanderesse

[12]      La demanderesse soutient que la Cour a déjà réglé la question de l’interprétation correcte qu’il convient de donner à l’article 10 du RIPR dans les décisions Campana et Xiao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7897 (C.F. 1re inst.) (Xiao). Elle ajoute que, dans la décision Campana, la Cour a conclu que rien dans le libellé de cet article n’accorde aux agents des visas le pouvoir de considérer qu’une demande incomplète est inexistante. Elle est d’avis que la décision Campana s’applique directement à sa situation.

La thèse du défendeur

[13]      Le défendeur fait valoir que, selon le RIPR, les instructions ministérielles, les résumés de l’étude d’impact de la règlementation (REIR) et la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 159 (Ma), une demande incomplète n’est pas une demande au sens du RIPR. Comme la demanderesse n’a pas déposé une demande complète avant les modifications apportées le 1er août 2014, elle n’est pas assujettie au régime qui était en vigueur avant ces modifications. La décision de l’agent de retourner la demande de la demanderesse parce qu’elle ne répondait pas aux exigences modifiées est donc raisonnable.

[14]      L’article 10 du RIPR emploie un libellé impératif pour ce qui est du contenu des demandes, ce qui en fait une condition préalable à une demande valide. Selon l’article 12 du RIPR, une demande est retournée si les exigences prévues aux articles 10 et 11 du RIPR ne sont pas remplies. Les REIR sont également utiles pour révéler l’intention du gouvernement (Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, aux paragraphes 155 et 156) et le REIR qui se rapporte à la partie 2 du RIPR indique qu’il a pour objet de préciser les exigences auxquelles il est nécessaire de satisfaire pour qu’une demande soit examinée. Les demandes incomplètes qui ne satisfont pas aux exigences de l’article 10 seront retournées sans être traitées.

[15]      Le défendeur soutient également qu’une demande incomplète n’est pas une demande au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et du RIPR. Cette interprétation permet de faire en sorte que les agents consacrent leur temps à l’examen de dossiers complets et que les demandeurs ne conservent pas leur priorité de rang au détriment de ceux qui déposent une demande complète à une date ultérieure (Ma, au paragraphe 13). De plus, selon une jurisprudence analogue au sujet du paiement des droits, une demande ne peut pas être traitée avant d’être « complétée, c’est-à-dire, jusqu’au paiement du droit prescrit » (Maharaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1495 (1re inst.) (QL) (Maharaj), aux paragraphes 27 à 30).

[16]      Quant à Campana, le défendeur soutient que la décision qui a été rendue dans cette affaire ne tenait pas compte de l’article 12 du RIPR, qui prévoit explicitement le pouvoir de retourner une demande incomplète et, ce faisant, de la considérer comme inexistante sous le régime de la LIPR et du RIPR. Dans sa plaidoirie, le défendeur a par ailleurs renvoyé la Cour à une décision récente du juge Harrington, Stanabady c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1380, [2016] 3 R.C.F. 3 (Stanabady), où ce dernier a examiné les décisions Ma et Campana et adopté une analyse qui se rapproche davantage de celle qui est exposée dans la décision Ma.

[17]      Enfin, le défendeur soutient subsidiairement que ce ne sont pas toutes les exigences qui doivent être énoncées dans une loi (Balasundaram c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 38 (Balasundaram), au paragraphe 27).

La réponse de la demanderesse

[18]      En réponse, la demanderesse soutient que le fait que la Cour n’ait pas pris en considération l’article 12 [du RIPR] dans la décision Campana n’est d’aucun secours pour le défendeur car le pouvoir de retourner une demande incomplète n’est pas en litige. La question en litige consiste à savoir si la demande qui a été retournée au motif qu’elle était incomplète est inexistante. De plus, soutient-elle, la conclusion que la Cour a tirée au sujet du paragraphe 10(1) [du RIPR] dans la décision Campana est étayée par la présomption d’absence de tautologie, c’est-à-dire que si le législateur avait voulu qu’une demande incomplète ne soit pas une demande, le paragraphe 10(6) [du RIPR] serait redondant. Elle fait également une distinction entre les affaires qui portent sur l’attribution d’une date déterminante aux demandes de parrainage et la présente espèce, qui concerne la question de savoir comment appliquer la loi à une demande que l’on présente à nouveau. Elle fait également sienne l’analyse du REIR faite par la Cour dans la décision Campana et fait valoir qu’on ne peut s’en servir pour ajouter des mots aux articles 10 et 12 si ces derniers ne disent rien sur la question.

[19]      Enfin, la demanderesse soutient que le défendeur n’a pas démontré qu’il existe une pratique générale bien établie quant à la manière de traiter les demandes incomplètes et que, de ce fait, la décision Balasundaram ne s’applique pas. Le défendeur n’est pas parvenu non plus à démontrer qu’il existe dans la loi des termes explicites et positifs qui étayent son point de vue selon lequel une demande incomplète n’existe pas.

Analyse

[20]      Deux courants jurisprudentiels de notre Cour, qui ont pour origine les décisions Ma et Campana respectivement, arrivent à des conclusions divergentes quant à l’interprétation de l’article 10 du RIPR. Il est de ce fait nécessaire d’examiner avec soin ces deux décisions, de même que la décision Stanabady, qui a été rendue plus tard.

[21]      Dans l’affaire Campana, le demandeur avait déposé une demande en vue de parrainer son épouse dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, sous le régime du RIPR. Après le dépôt de cette demande, le Règlement avait été modifié en vue d’exclure les demandes de parrainage des résidents permanents qui avaient été eux-mêmes parrainés moins de cinq ans avant le dépôt de leur demande. Le demandeur avait reçu plus tard une lettre d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), qui disait lui renvoyer sa demande parce qu’elle était incomplète — il y manquait des renseignements et les droits étaient insuffisants — et qui lui enjoignait de redéposer sa demande. Le demandeur avait obtempéré, mais sa demande avait été rejetée au motif qu’aux termes du Règlement récemment modifié, il n’était pas admissible au parrainage. Lors du contrôle judiciaire de la décision de l’agent, le demandeur a fait valoir que cet agent était tenu d’examiner sa nouvelle demande au regard de la version du Règlement qui était en vigueur avant la modification, tandis que le défendeur a soutenu que la demande était non seulement incomplète, mais aussi inexistante au moment de la modification du Règlement.

[22]      Le juge Roy a formulé la question en litige comme suit : « l’information manquante [était-elle] suffisante pour que la demande soit traitée comme si elle n’avait jamais existé » (au paragraphe 8). Il a rejeté l’argument selon lequel le mot « redéposer » comportait un élément de continuité, mais il a conclu que la manière dont l’agent avait traité la demande n’était pas étayée par le Règlement ou un autre texte. À l’instar des parties dont il est question en l’espèce, dans l’affaire Campana le défendeur a invoqué la décision Maharaj, et le demandeur la décision Xiao. Le juge Roy a conclu que la décision Maharaj n’était pas utile car « [l]a question n’est pas de savoir si la demande peut être traitée, mais plutôt si elle continue d’exister » (au paragraphe 13) et il s’est fondé sur la décision Xiao pour conclure que le « silence » du Règlement ainsi que les guides opérationnels ou les pratiques de longue date n’étaient pas suffisants pour autoriser l’interprétation que faisait le défendeur de l’article 10 du RIPR.

[23]      Dans la décision Campana, le juge Roy a également refusé de se fonder sur le REIR, vu le libellé de l’article 10 du RIPR, lequel ne contenait rien qui permettait d’affirmer que « […] le fait de ne pas s’y conformer parfaitement fait en sorte que la demande déposée n’existe pas » (au paragraphe 20). Il a également fait remarquer que le REIR ne traitait que de l’examen et du traitement des demandes ainsi que du rejet des demandes incomplètes. Il a estimé que cela n’était pas suffisant pour conclure qu’une telle demande était réputée n’avoir jamais existé. Il a par ailleurs souligné que le paragraphe 10(6) semblait beaucoup plus près du libellé qui serait nécessaire pour que le défendeur puisse faire valoir avec succès qu’une demande incomplète n’avait jamais existé.

[24]      Dans une affaire ultérieure, Ma, le demandeur avait déposé, depuis le Canada, une demande de résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait et, à la même date, il avait également présenté, depuis l’étranger, une demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial. Les deux demandes avaient été retournées parce qu’elles étaient incomplètes. Le demandeur avait ensuite présenté une nouvelle demande complète dans la catégorie du regroupement familial et, environ deux semaines plus tard, il avait fait de même pour la catégorie des époux ou conjoints de fait. Comme le paragraphe 10(5) du RIPR interdisait le dépôt de multiples demandes, une agente des visas avait annulé la seconde demande et l’avait retournée au demandeur.

[25]      En examinant quelle demande devait être annulée, le juge Rennie a vérifié si les demandes s’étaient vu attribuer une date déterminante [aux paragraphes 13 à 16] :

Les demandes présentées sous le régime de la LIPR doivent être complètes. La demande à laquelle il manque des éléments essentiels n’est pas une demande au sens de la LIPR et du Règlement. Si le terme est ainsi interprété, c’est pour que les agents se consacrent à l’examen de dossiers complets, ce qui permet une meilleure utilisation des ressources. Il importe de souligner que les demandeurs qui déposent une demande incomplète ne conserveront pas leur priorité de rang au détriment de ceux qui déposent leur demande à une date ultérieure, mais qui l’accompagnent d’un dossier complet.

En l’espèce, l’agent a rendu une décision raisonnable en concluant que le dossier présenté depuis le Canada était resté incomplet jusqu’au 31 décembre 2013.

L’article 10 du Règlement énonce les exigences minimales auxquelles doivent répondre les demandes. En particulier, l’alinéa 10(1)c) prévoit qu’une demande au titre du Règlement « comporte les renseignements et documents exigés par le présent règlement et est accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la Loi ». Étant donné que la demande initialement présentée depuis le Canada le 1er novembre 2013 était incomplète, on lui a attribué comme date déterminante le 31 décembre [2]013, puisque c’est à cette date qu’ont été reçus tous les renseignements nécessaires selon l’alinéa 10(1)c).

Pour en arriver à cette conclusion, l’agente s’est fondée à la fois sur la réglementation et sur une directive d’orientation. Le paragraphe 10(2) du Règlement fait état de certains renseignements de base qui doivent être fournis au sujet du demandeur et de son représentant. La directive d’orientation IP 2 – Traitement des demandes de parrainage – catégorie du regroupement familial énonce de manière plus détaillée certaines exigences minimales à respecter sur le plan de la documentation avant qu’une demande soit considérée comme suffisamment étoffée pour être acceptée et se voir attribuer une date déterminante. L’article 12 du Règlement vient compléter ce régime d’exigences opérationnelles en précisant que si les exigences minimales ne sont pas remplies, les documents fournis seront retournés au demandeur.

[26]      Le juge Rennie ne s’est pas reporté à la décision Campana; il a fondé sa décision sur les faits de l’affaire dont il était saisi ainsi que sur son interprétation contextuelle du RIPR.

[27]      Plus récemment, dans la décision Stanabady, le juge Harrington a traité d’une situation dans laquelle des permis de séjour temporaire avaient été délivrés aux demandeurs. L’article 29 de la LIPR et le paragraphe 183(1) du RIPR les obligeaient à quitter le Canada avant la date d’expiration de leurs permis, le 15 juillet 2014. Le paragraphe 183(5) du RIPR dispose toutefois que lorsqu’un résident temporaire présente une demande de prolongation avant la date d’expiration, la période de séjour autorisée au Canada est prolongée jusqu’à la date du rejet de la demande ou, si celle-ci est acceptée, jusqu’à l’expiration de la nouvelle période autorisée. Les demandeurs avaient présenté une demande de prolongation avant l’expiration de leurs permis, mais leurs demandes leur avaient été retournées parce qu’ils n’avaient ni payé le bon montant des droits ni fourni tous les documents exigés. Avant que les demandes leur soient retournées, leurs permis de séjour temporaire avaient expiré. Ils avaient présenté à nouveau leurs demandes mais, avant qu’une décision ne soit rendue, une mesure d’exclusion avait été prononcée en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR au motif qu’ils avaient enfreint le paragraphe 29(2) en n’ayant pas quitté le Canada avant l’expiration de leurs permis. Les demandeurs faisaient valoir que la mesure d’exclusion n’était pas valide parce qu’ils avaient présenté une demande de prolongation avant l’expiration de leurs permis et qu’ils conservaient donc leur statut jusqu’à ce que l’on rende une décision définitive sur le fond de leurs demandes.

[28]      Le juge Harrington a formulé la question dont il était saisi en ces termes : la présentation d’un formulaire de demande incomplet, dans lequel on demandait la prolongation d’un permis de séjour temporaire, prolongeait-elle la période durant laquelle les demandeurs étaient autorisés à séjourner au Canada jusqu’à ce que la demande soit accueillie ou rejetée sur le fond? Il a conclu que la décision de prendre la mesure d’exclusion était à la fois raisonnable et correcte. La demande visée à l’article 183 du RIPR doit permettre au décideur d’être en mesure d’accorder la prolongation, ou de la refuser, sur le fond. Si les formulaires étaient incomplets, les demandes de prolongation ne pouvaient pas être accueillies.

[29]      Le juge Harrington a déclaré que l’article 183 doit être lu de pair avec les articles 10 et 12 du RIPR. Le paragraphe 10(1) du RIPR prévoit que les demandes doivent notamment être présentées par écrit sur le formulaire prescrit, être signées, inclure tous les renseignements et documents exigés et être accompagnées d’un récépissé de paiement des droits applicables. L’article 12 ajoute que si les exigences que prévoit l’article 10 (et l’article 11) ne sont pas remplies, la demande et tous les documents fournis sont retournés au demandeur, et c’est ce qui s’était passé dans l’affaire Stanabady. De plus, le juge Harrington a déclaré [au paragraphe 13] :

Je ne considère pas que le fait que Citoyenneté et Immigration Canada ait envoyé aux Stanabady, après expiration de leurs permis de séjour temporaire, une lettre type indiquant que, s’ils voulaient présenter une nouvelle demande, ils devaient retourner une copie de cette lettre accompagnée d’un formulaire de demande dûment rempli leur faisait conserver leur statut jusqu’à ce que soit rendue à leur endroit une décision défavorable sur le fond.

[30]      Il est ensuite arrivé à la conclusion suivante [au paragraphe 20] :

La réalité toute simple, c’est que l’agent n’aurait pas pu rendre une décision favorable sur le fondement du formulaire de demande présenté avant l’expiration des permis de séjour temporaire des Stanabady parce qu’il s’agissait d’une demande incomplète. Par conséquent, les Stanabady devaient quitter le Canada en vertu du paragraphe 183(1) du Règlement et de l’article 29 de la Loi.

[31]      Quant aux décisions Campana et Ma, le juge Harrington les a passées toutes deux en revue et a reconnu le principe de la courtoisie judiciaire, mais il a conclu que son analyse était plus proche de celle du juge Rennie dans la décision Ma, notant que la décision Campana ne traitait pas expressément de l’article 12, qui exige que l’on retourne le formulaire de demande. Il a toutefois certifié une question de portée générale :

Lorsqu’un résident temporaire a demandé la prolongation de sa période de séjour autorisée, mais que sa demande lui est renvoyée conformément à l’article 12 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés parce qu’elle est incomplète, le demandeur dispose-t-il d’un statut implicite jusqu’à ce qu’il ait présenté une demande complète et qu’une décision soit prise à l’égard de cette demande?

[32]      Dans l’affaire dont je suis saisie, la question en litige a trait au caractère raisonnable de l’interprétation du RIPR par l’agent. À cet égard, je signale que dans l’arrêt Kinsel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 126, [2016] 1 R.C.F. 146, la Cour d’appel fédérale a fait un survol de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada en matière d’interprétation législative [aux paragraphes 37 à 39] :

La Cour suprême a formulé la méthode privilégiée pour interpréter la loi dans les termes suivants (voir : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21. Voir également : R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, au paragraphe 28) :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

La Cour suprême a reformulé ce principe à l’occasion de l’affaire Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, ajoutant au paragraphe 10 :

L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

La méthode privilégiée d’interprétation des lois suppose que le sens grammatical et ordinaire d’une disposition n’en détermine pas nécessairement le sens. Le juge doit tenir compte du contexte global de la disposition en cause « même si, à première vue, le sens de son libellé peut paraître évident » (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 48). À partir du texte et du contexte dans lequel il s’insère, le tribunal qui interprète une disposition cherche à déterminer l’intention du législateur, « [l]’élément le plus important de cette analyse » (R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, au paragraphe 26).

[33]      Ayant appliqué cette méthode, je remarque que l’article 10 du RIPR énonce les exigences impératives, tant en matière de forme que de contenu, qui s’appliquent aux demandes de résidence permanente. Ces exigences du RIPR incluent tous les renseignements et documents ainsi que les autres éléments de preuve requis par la LIPR. À mon avis, l’article 10 doit être lu de pair avec l’article 12, qui indique explicitement que si les exigences de l’article 10 (et de l’article 11) ne sont pas remplies, la demande et tous les documents fournis à l’appui de celle-ci doivent être retournés au demandeur. On peut donc établir une distinction avec la décision Campana pour la même raison : l’article 10 n’y a pas été examiné de pair avec l’article 12.

[34]      Les articles 10 et 12 ne font aucunement référence à une demande qui demeure valide et pendante, c’est-à-dire qui continue d’exister, après que cette demande et tous les documents qui s’y rapportent ont été retournés. Ils n’autorisent pas non plus les agents des visas à conserver les demandes incomplètes ou à les traiter comme le prolongement des demandes initiales après qu’elles ont été présentées à nouveau. Il serait peu logique, selon moi, que des demandes retournées intégralement continuent d’exister et conservent leur priorité de rang à perpétuité. Si la demande elle-même et tous les documents justificatifs sont retournés, que reste-t-il pour préserver le rang? Dans l’hypothèse où il serait quand même possible de préserver son rang, les demandeurs qui n’auraient aucune intention de redéposer une demande dûment remplie ou ceux qui seraient incapables de répondre aux exigences de la résidence permanente à l’époque du dépôt de leur demande initiale pourraient quand même conserver leur rang de priorité.

[35]      Pour ces raisons, je suis d’avis que l’objectif déclaré de la LIPR, à savoir « la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace » en vue d’atteindre les objectifs du gouvernement en matière d’immigration (alinéa 3(1)f) de la LIPR), étaye également la manière dont l’agent a interprété le RIPR.

[36]      Quant au REIR, la Cour suprême du Canada a fait remarquer ce qui suit dans l’arrêt Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 113, au sujet de l’utilisation des REIR comme moyen extrinsèque d’aider à déterminer l’intention du législateur :

[…] Bien qu’il ne soit pas déterminant ni exhaustif quant à l’objet ou à l’interprétation du règlement, l’analyse de l’étude d’impact de la réglementation représente un moyen utile pour comprendre son application (voir Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6, par. 33; RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, p. 352-353).

[37]      Notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont souvent recouru aux REIR pour déterminer les objectifs de dispositions réglementaires (voir Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 24, [2003] 3 C.F. 140, au paragraphe 33; Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006, aux paragraphes 110 et 111; Chow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 861, au paragraphe 26; Huynh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 748, au paragraphe 14).

[38]      En l’espèce, le REIR applicable indique ce qui suit [G. Can. 2002.II.177] :

Description

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés stipule que les étrangers sont tenus de présenter certains documents avant d’entrer au Canada. Ces dispositions réglementaires concernent les conditions à remplir relativement à ces documents.

But de ces dispositions réglementaires

Ces dispositions réglementaires ont pour but d’établir les documents nécessaires avant de chercher à entrer au Canada. Elles précisent également les exigences à remplir pour qu’une demande soit étudiée, tel que le type de formulaire à utiliser pour présenter une demande, les renseignements à fournir dans la demande, y compris les documents à présenter à l’appui, et le lieu où la demande doit être présentée.

Effet des dispositions réglementaires

Elles précisent :

[…]

—   le formulaire, les renseignements nécessaires et le lieu où la demande peut être présentée;

[…]

Nature des modifications

À l’exception de quelques modifications d’ordre terminologique, les dispositions législatives obligeant les étrangers à obtenir un visa avant d’entrer au pays sont essentiellement les mêmes.

[…]

Sous le régime de la Loi actuelle, les conditions relatives à la présentation des demandes ne sont pas prévues par règlement et donnent souvent lieu à des litiges. Ces nouvelles dispositions fournissent un fondement réglementaire pour la présentation d’une demande complète en établissant les exigences à remplir pour que les demandes soient considérées comme ayant été présentées.

Ces exigences concernent :

—   le formulaire, les renseignements et les documents à présenter;

[…]

Avantages et coûts

Avantages

Ces dispositions réglementaires définissent clairement les exigences que doivent remplir les demandeurs pour que leur demande soit étudiée.

Le traitement des demandes nécessitera moins de ressources, puisque celles qui ne remplissent pas les exigences réglementaires ne seront pas traitées.

On s’attend à ce que ces dispositions réglementaires permettent d’améliorer la qualité du service offert aux demandeurs qui communiquent les renseignements requis dès le départ.

[…]

Publication préalable

[…]

Les dispositions concernant le traitement des demandes ont été modifiées pour mieux tenir compte des exigences de la Loi sur l’administration des finances publiques et des pratiques actuelles de CIC. Les demandes non complètes seront retournées aux demandeurs qui pourront alors présenter de nouveau leur demande après l’avoir dûment remplie, ou demander un remboursement.

[…]

Respect et exécution

L’adoption de dispositions réglementaires précisant les exigences qu’une demande doit remplir aura pour effet d’accroître l’observation volontaire des règles. Les demandes qui ne répondront pas à ces exigences seront retournées au demandeur sans être traitées.

Les demandes qui ne seront pas accompagnées des documents voulus, présentés dans la forme requise, pourraient être refusées. [Soulignements ajoutés.]

[39]      À mon avis, l’objet de réglementation que décrit le REIR milite en faveur de l’interprétation suivante : avant que l’on puisse examiner une demande de résidence permanente, celle-ci doit répondre aux exigences énoncées dans la LIPR et le RIPR, y compris en matière de forme et de contenu. À cet égard, le Règlement vise à fournir une assise au principe de la « présentation d’une demande complète », lequel exige que les demandes soient retournées, sans être traitées, si les exigences mentionnées ne sont pas remplies. Cela montre aussi les efforts faits par le gouverneur en conseil pour que les demandes soient traitées d’une manière équitable et efficace.

[40]      Une demande doit répondre aux exigences de l’article 10 avant que l’on puisse la considérer comme déposée. Si l’on considère qu’une demande incomplète n’a pas été déposée, il s’ensuit que toute autre demande déposée par la suite est nouvelle. En d’autres termes, une demande n’« existe » que si elle est complète et peut donc être examinée et traitée. Les objectifs décrits dans le REIR concordent par conséquent avec l’interprétation des articles 10 et 12 du RIPR selon laquelle une demande antérieurement incomplète que l’on présente à nouveau est considérée comme une nouvelle demande.

[41]      Je prends acte de l’observation de la demanderesse que si le législateur avait voulu qu’[traduction] « une demande ne soit pas une demande si les exigences énoncées au paragraphe 10(1) ne sont pas remplies », le paragraphe 10(6) serait redondant, et qu’il a été dit dans la décision Campana que le libellé du paragraphe 10(6) est plus explicite et plus près du libellé qui serait nécessaire pour qu’on puisse conclure qu’une demande incomplète n’existe pas. Cependant, le paragraphe 10(6) indique : « [p]our l’application du paragraphe 63(1) de la Loi, la demande de parrainage qui n’est pas faite en conformité avec le paragraphe (1) est réputée non déposée ».

[42]      À mon avis, cette disposition n’aide pas particulièrement la cause de la demanderesse, car le paragraphe 63(1) de la LIPR a pour objet de donner aux demandeurs un droit d’appel. Ce paragraphe indique que quiconque « a déposé, conformément au règlement » une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration du refus de délivrer le visa de résident permanent. En conséquence, le paragraphe 10(6) du RIPR définit simplement ce que l’on veut dire par « déposé, conformément au règlement » qu’exige le paragraphe 63(1) de la LIPR pour conférer un droit d’appel. Selon moi, cela n’a aucune incidence sur l’interprétation de l’article 10 du RIPR en l’espèce.

[43]      Enfin, il est vrai que les décisions Maharaj; Fernando c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 205 (Fernando); et Feng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8378 (C.F.) (Feng), portent toutes sur des situations dans lesquelles des demandes de résidence permanente avaient été retournées parce qu’elles n’étaient pas accompagnées des droits de traitement qu’exige le paragraphe 3(2) du Règlement sur les prix à payer — Loi sur l’immigration, DORS/97-22 (abrogé par l’art. 364c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227), lequel indiquait que les droits prescrits devaient être acquittés au moment du dépôt de la demande. Par conséquent, les demandes ne se voyaient pas attribuer une date déterminante avant la réception des droits dus. Cependant, comme il a été écrit dans la décision Feng [au paragraphe 14] :

Dans Mou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 1997 CanLII 4788 (CF), 125 F.T.R. 203, page 208, le juge Lutfy était saisi du cas d’un citoyen de Chine qui demandait la résidence permanente pour lui-même en qualité de demandeur principal et pour sa femme et son fils à titre de personnes à charge, sans verser l’intégralité des droits requis. Sa Seigneurie s’est prononcée en ces termes :

Le Règlement sur les droits exigibles dispose que les droits de traitement et, plus récemment, le droit exigé pour l’établissement doivent être acquittés lors de la présentation de la demande. L’efficacité administrative pourrait aussi bien dicter que tous les droits exigibles pour le demandeur principal et les personnes à sa charge soient payés avant que les droits de l’un ou l’autre d’entre eux ne soient définitivement déterminés. Toutefois, je n’ai trouvé aucune disposition légale ou réglementaire qui autorise clairement cette façon de faire. Il n’est pas nécessaire de trancher définitivement cette question en l’espèce.

Cette question a été résolue par application du Règlement sur les droits exigibles, selon lequel tous les droits exigibles à l’égard des personnes à charge doivent être versés avec les droits exigibles du demandeur principal pour que la demande soit considérée comme en état. L’affaire en instance est soumise au même règlement mais, à même supposer qu’elle ne le soit pas, le ministre et ses collaborateurs sont fondés à parvenir à la même décision, qui relève du pouvoir administratif discrétionnaire.

[44]      Dans le même ordre d’idées, dans la décision Fernando [aux paragraphes 15 à 17] :

Le Règlement sur les prix à payer — Loi sur l’immigration, DORS/86-64 (le Règlement sur les prix) alors en vigueur exigeait que des droits de 500 $ soient payés au moment d’une demande d’établissement. Des droits additionnels de 500 $ pour un conjoint et de 100 $ pour une personne à charge (autre que le conjoint) de moins de 19 ans étaient aussi exigés. Toutefois, l’« entrepreneur, l’investisseur ou le travailleur autonome » qui présentait une demande d’établissement devait payer des droits de 825 $. Les droits supplémentaires relatifs aux conjoints et aux personnes à charge étaient identiques à ceux exigibles pour les autres demandes.

Je conclus donc, en m’appuyant sur le dossier du tribunal, que M. Fernando n’a pas payé les droits requis pour que sa demande soit traitée en fonction de la catégorie des travailleurs autonomes.

Quant aux conséquences de ce défaut, Monsieur le juge Teitelbaum a examiné, dans l’affaire Maharaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 103 F.T.R. 205 (1re inst.), les éléments qui forment une demande de résidence permanente. Il a conclu, du fait que le Règlement sur les prix exige que les droits soient payés au moment où la demande d’établissement est présentée, que la demande ne peut être traitée avant d’être en état et qu’elle ne l’est que lorsque les droits exigibles ont été payés. Je partage son opinion. L’agente n’avait donc pas l’obligation d’évaluer M. Fernando en qualité de travailleur autonome si les droits exigibles n’avaient pas été payés au moment de la présentation de la demande d’établissement.

(Voir aussi la décision Maharaj, aux paragraphes 28 à 30.)

[45]      En l’espèce, l’article 10 du RIPR prescrit ce qu’il est nécessaire de fournir à l’appui d’une demande de résidence permanente, notamment un récépissé de paiement des droits applicables. À mon avis, le fait de ne pas payer les droits prescrits est un exemple de non-respect des exigences de l’article 10. Que l’élément manquant soit le paiement des droits, un document requis ou un renseignement nécessaire, le résultat est le même : comme la Cour le dit dans la décision Fernando, la demande est incomplète. Dans une telle circonstance, aucune obligation de traiter la demande ne prend naissance. À défaut d’une telle obligation, lorsqu’une demande n’est pas traitée et qu’elle est plutôt retournée, on ne peut pas considérer qu’elle existe encore et, même si c’était le cas, elle ne servirait pas à attribuer une « date déterminante » et à conserver ainsi au demandeur son rang de priorité (Ma, au paragraphe 15). Par conséquent, une demande incomplète n’est pas à l’abri de l’effet des changements dans la réglementation qui peuvent entrer en vigueur avant que la demande soit complète.

[46]      L’agent a interprété l’article 10 du RIPR d’une manière raisonnable car, après lecture de l’article 10 dans le contexte de la LIPR et du RIPR, y compris l’article 12, et eu égard aux objectifs du régime législatif et à l’intention du gouvernement qui sont décrits dans le REIR, son interprétation faisait partie des interprétations possibles et acceptables qu’il lui était loisible de retenir. Par conséquent, l’agent a aussi appliqué d’une manière raisonnable la définition modifiée d’enfant à charge, qui est entrée en vigueur entre le moment où la demanderesse a présenté une demande incomplète, qui lui a été retournée sans être traitée, et celui où elle a déposé une demande complète.

[47]      Cette conclusion étant tirée, il est inutile de traiter de l’argument subsidiaire du défendeur selon lequel ce ne sont pas toutes les exigences, ou les conséquences d’un défaut de répondre à des exigences, qui doivent être énoncées dans une loi (Balasundaram).

La question certifiée

[48]      La demanderesse a soumis la question suivante à certifier :

[traduction] Une demande déposée en vertu du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) mais ensuite retournée au demandeur parce qu’elle est incomplète, conformément à l’article 12 du RIPR, est-elle quand même considérée comme une demande au sens du RIPR?

[49]      Aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR, un appel ne peut être interjeté devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et s’il énonce celle-ci. Le critère relatif à la certification d’une question est le suivant : « une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290 (Zhang), au paragraphe 9).

[50]      La question proposée, que j’ai reformulée ci-après, permettrait de régler la présente affaire. Si une demande incomplète et retournée sans avoir été traitée « existe » toujours et sert à attribuer la « date déterminante » qui s’applique à un demandeur, l’article 2 modifié du RIPR ne s’appliquerait pas en l’espèce et le fils de la demanderesse aurait satisfait à la définition antérieure d’un membre de la parenté à titre d’enfant à charge. Le second critère énoncé dans l’arrêt Zhang est également respecté en l’espèce dans ce cas car l’état d’une demande incomplète transcende les intérêts des parties au litige et porte sur une question ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale, tant pour les demandeurs de visa que pour le ministre qui doit administrer le processus de demande.

[51]      En conséquence, je certifie par les présentes la question suivante :

Lorsqu’une demande de résidence permanente est incomplète parce qu’elle ne répond pas aux exigences de l’article 10 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) et que cette demande et tous les documents justificatifs sont retournés au demandeur en application de l’article 12 du RIPR, peut-on dire que la demande « existe » toujours de manière à préserver le moment où le demandeur a présenté sa demande ou à attribuer une « date déterminante », de sorte qu’une demande complète que l’on dépose par la suite doit être évaluée en fonction du régime réglementaire qui était en vigueur à l’époque du dépôt de la première demande incomplète?

JUGEMENT

LA COUR :

1.         REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

2.         CERTIFIE la question de portée générale suivante en application de l’alinéa 74d) de la LIPR :

Lorsqu’une demande de résidence permanente est incomplète parce qu’elle ne répond pas aux exigences de l’article 10 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) et que cette demande et tous les documents justificatifs sont retournés au demandeur en application de l’article 12 du RIPR, peut-on dire que la demande « existe » toujours de manière à préserver le moment où le demandeur a présenté sa demande ou à attribuer une « date déterminante », de sorte qu’une demande complète que l’on dépose par la suite doit être évaluée en fonction du régime réglementaire qui était en vigueur à l’époque du dépôt de la première demande incomplète?

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