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[1996] 3 C.F. 182

T-2077-93

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (requérant)

c.

L’Alliance de la fonction publique du Canada (intimée)

et

La Commission canadienne des droits de la personne (intervenante)

Répertorié : Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Simpson— Edmonton, 6 février; Ottawa, 27 mai 1996

Droits de la personne Contrôle judiciaire d’une décision de la CCDP de transmettre à un conciliateur une plainte de l’AFPC alléguant que des distinctions ont été établies contre le personnel féminin de la fonction publique des T.N.-O. sur des questions de classification des emplois et d’équité salarialeL’art. 63 de la LCDP dispose qu’une plainte portant sur des actions survenues dans les Territoires du Nord-Ouest ne sont recevables que dans la mesure où elles le seraient dans les provincesLe G.T.N.-O. est un territoire fédéral, ne disposant que des pouvoirs qui lui sont conférés par le Parlement en vertu de la Loi sur les Territoires du Nord-OuestCes pouvoirs sont assujettis aux lois du Parlement fédéralL’art. 66 exempte le G.T.N.-O. de l’application de la Loi à une date fixée par proclamationIl n’y a pas eu de telle proclamationLe G.T.N.-O. n’a pas adopté de loi sur les droits de la personneLe Parlement n’avait pas l’intention que la Loi s’applique d’une façon qui prive les employés des T.N.-O. de la protection d’une loi sur les droits de la personneL’art. 63 ne prive pas la Commission de sa compétenceIl y a une crainte raisonnable de partialité de la part d’un enquêteur, dont la Commission a adopté les recommandations, qui a choisi d’être membre à part entière du syndicat qui a déposé plainte.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari La CCDP a adopté dans son rapport d’enquête les recommandations de transmettre à un conciliateur une plainte de l’AFPC alléguant que des distinctions ont été établies contre le personnel féminin de la fonction publique des T.N.-O. sur des questions de classification des emplois et d’équité salarialeUn enquêteur a choisi d’être membre de l’AFPCUne personne bien renseignée pourrait raisonnablement se demander si l’enquêteur avait une position prosyndicale et prédéterminée sur la question d’équité salariale, qui est une question d’intérêt national énergiquement défendue par l’AFPCLa représentation syndicale et le paiement des cotisations obligatoires ne soulèvent pas les mêmes doutesLe rapport d’enquête et, partant, la décision de la Commission sont viciés.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de transmettre à un conciliateur la plainte de l’AFPC. La plainte désignait le ministre du Personnel du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (G.T.N.-O.) comme employeur et alléguait qu’en cette qualité il avait violé les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en établissant des distinctions contre le personnel féminin de la fonction publique sur des questions de classification des emplois et d’équité salariale. Le G.T.N.-O. ne dispose que des pouvoirs qui lui sont conférés par le Parlement aux termes de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest et ces pouvoirs sont tous assujettis aux lois du Parlement fédéral. En pratique, pour ce qui concerne la fonction publique, le G.T.N.-O. jouit des pouvoirs exercés par les provinces mais, contrairement à ces dernières, il n’a aucun droit consacré dans la constitution pour affirmer ces pouvoirs. Les fonctionnaires du G.T.N.-O. étaient représentés par le Syndicat des travailleurs et travailleuses du nord (le STN), composante de l’AFPC qui détient également les droits de négociation pour un très grand nombre de fonctionnaires fédéraux. Peu après le dépôt de la plainte de l’AFPC, le G.T.N.-O. et le STN ont décidé de faire faire une étude mixte sur la parité salariale (l’étude sur la parité salariale) pour recueillir les renseignements nécessaires à l’évaluation de la plainte. En 1989, James Sadler, employé de la Commission, a été désigné comme enquêteur pour l’étude de la plainte. Sadler était tenu de payer ses cotisations syndicales à l’AFPC parce qu’il était membre d’une unité de négociation représentée par l’AFPC, mais il n’était pas tenu d’être syndiqué et il a choisi de ne pas joindre les rangs du syndicat. Après la publication du rapport sur la parité salariale, Lorraine Dallas a été désignée comme deuxième enquêteur. Elle était membre de l’AFPC. Pendant la préparation du rapport sur la parité salariale, Sadler a entrepris d’analyser les données de l’étude et a conclu qu’il y avait un écart salarial. Afin d’aider les parties à parvenir à un règlement sur la question de la parité salariale dans la plainte, Sadler a fait parvenir son analyse au STN. En 1993, la Commission a adopté les recommandations présentées par les enquêteurs dans leur rapport et décidé de nommer un conciliateur afin de régler la plainte de l’AFPC et de reporter sa décision sur la question relative à l’art. 10 soulevée dans la plainte.

L’article 63 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dispose qu’une plainte portant sur des actions survenues dans les Territoires du Nord-Ouest ne sont recevables que dans la mesure où elles le seraient dans une province. Le G.T.N.-O. fait valoir que les plaintes concernant les questions de classification et de parité salariale sont de compétence provinciale et par conséquent qu’elles ne sont pas visées par la LCDP.

Le G.T.N.-O. allègue également que le statut et la conduite des enquêteurs créent une crainte raisonnable de partialité parce que les enquêteurs sont représentés, dans leur unité de négociation collective, par l’AFPC qui est la plaignante en l’espèce. Il soutient également que la publication prématurée et non demandée de l’analyse de l’écart salarial au cours des négociations en vue de règlement soulève une crainte raisonnable de sa partialité en faveur des employés.

Les questions en litige sont les suivantes : (1) l’article 63 de la LCDP prive-t-il la Commission de sa compétence; et (2) la décision de la CCDP devrait-elle être annulée en raison d’une crainte raisonnable de partialité de la part des enquêteurs.

Jugement : la demande doit être accueillie.

(1) La Commission avait compétence pour traiter de la plainte de l’AFPC. Le législateur n’avait pas l’intention de faire en sorte que l’article 63 s’applique de façon à exempter le G.T.N.-O. de la LCDP concernant ses fonctionnaires. L’article 66 exclut le G.T.N.-O. de l’application de la Loi à une date fixée par proclamation mais, contrairement au territoire du Yukon, les T.N.-O. n’ont pas adopté de loi sur les droits de la personne et il n’y a pas eu de proclamation pour dispenser le G.T.N.-O. de l’application de la LCDP. Les T.N.-O. ne sont pas une province, mais un territoire fédéral et la Couronne est toujours assujettie à la LCDP. Le statut juridique des T.N.-O. ne peut être ignoré. En outre, le G.T.N.-O. n’a pas adopté de loi sur les droits de la personne et le Parlement n’avait pas l’intention que la LCDP s’applique d’une façon qui prive les employés du G.T.N.-O. de la protection d’une telle loi.

(2) Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique ». La parité salariale n’est pas une question qui s’applique uniquement dans les T.N.-O. C’est une question qui soulève un intérêt considérable à l’échelle nationale et l’AFPC est reconnue comme un défenseur énergique de ce principe. Une personne bien renseignée pourrait raisonnablement se demander si Dallas, qui a choisi d’être membre de l’AFPC, pouvait avoir une position prosyndicale et prédéterminée sur la question d’équité salariale. Une personne bien renseignée ne pourrait pas entretenir les mêmes doutes au sujet de Sadler, parce qu’il a choisi de ne pas appuyer l’AFPC. Le simple fait qu’il soit représenté par l’AFPC et qu’il paie les cotisations obligatoires ne crée pas une crainte raisonnable de partialité. Bien que la participation de Dallas à l’enquête ait été minimale, les deux enquêteurs ont signé le rapport. La décision de la Commission fondée sur l’article 46 doit s’appuyer sur un rapport d’enquête libre de tout parti pris. Le rapport d’enquête est vicié à cause de la crainte de partialité de la part de Dallas et, par conséquent, la décision de la Commission qui a adopté les recommandations des enquêteurs est également viciée.

Il n’incombait pas à Sadler de publier l’analyse de l’écart salarial, sauf dans le contexte du rapport d’enquête, mais le manque de données portait atteinte aux efforts de toutes les parties en vue du règlement de la plainte de l’AFPC. La publication de ces chiffres par Sadler ne constitue pas le fondement d’une crainte raisonnable de partialité. Il a simplement distribué les données qu’il jugeait nécessaires à toutes les parties à un moment où la qualité des données de l’étude sur l’équité salariale n’était pas contestée.

Le fait que les enquêteurs n’aient pas demandé si des facteurs justifiant l’écart salarial existaient aux termes du paragraphe 11(4) ne constitue pas le fondement d’une crainte raisonnable de partialité. Si le G.T.N.-O. n’a soulevé aucune de ces questions, il est raisonnable que les enquêteurs aient supposé qu’il n’y en avait pas.

Les allégations de partialité du G.T.N.-O. n’étaient pas prématurées. Une crainte raisonnable de partialité devrait être réglée le plus tôt possible au lieu de laisser des procédures coûteuses se poursuivre et de les annuler par la suite.

Aucune présomption légale n’exclut la possibilité qu’une crainte de partialité soit soulevée parce que des enquêteurs sont embauchés conformément à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui donne à chaque employé le droit d’être représenté par un syndicat. La LCDP permet de retenir par contrat les services d’enquêteurs indépendants.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Human Rights Act, S.Y. 1987, ch. 3.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 7, 10, 11, 32, 43(1), 47, 63.

Loi prohibant la discrimination, L.R.T.N.-O. 1988, ch. F-2.

Loi sur la fonction publique, L.R.T.N.-O. 1988, ch. P-16, art. 12, 13.

Loi sur le Syndicat des travailleurs et travailleuses du Nord, L.R.T.N.-O. 1988, ch. U-1.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 6.

Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.R.C. (1985), ch. N-27.

Ordonnance sur l’Association de la fonction publique des Territoires du Nord-Ouest, R.O. 1974, ch. N-2.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879; (1989), 62 D.L.R. (4th) 385; 100 N.R. 241.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Société Radio-Canada c. Commission canadienne des droits de la personne et autres (1993), 71 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115.

DÉCISIONS CITÉES :

Conseil canadien des relations du travail et autre c. Yellowknife, [1977] 2 R.C.S. 729; (1977), 76 D.L.R. (3d) 85; 77 CLLC 14,073; 14 N.R. 72; Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301; (1989), 57 D.L.R. (4th) 458; [1989] 3 W.W.R. 456; 93 N.R. 1.

DOCTRINE

Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des questions juridiques. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, fascicule no 115 (21 décembre 1982).

Canada. Représentant spécial pour l’Évolution constitutionnelle dans les Territoires du Nord-Ouest. L’Évolution constitutionnelle dans les Territoires du Nord-Ouest : Rapport du Représentant spécial. Hull (Québec) : Approvisionnements et Services Canada, 1980 (Représentant spécial : C. M. Drury).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la CCDP de transmettre à un conciliateur une plainte de l’AFPC concernant les questions de classification des emplois et de parité salariale. La demande est accueillie au motif qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité concernant un enquêteur de la Commission.

AVOCATS :

Russell G. Juriansz et Robert E. Kwinter, pour le requérant.

Andrew J. Raven, pour l’intimée.

René Duval, pour l’intervenante.

PROCUREURS :

Russell G. Juriansz, Toronto et Blake Cassels & Graydon, Toronto, pour le requérant.

Raven, Jewitt & Allen, Ottawa, pour l’intimée.

Service juridique, Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l’intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Simpson : La présente demande de contrôle judiciaire est présentée par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (G.T.N.-O.). Le gouvernement demande la révision d’une décision prise par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 10 juin 1993 (la décision). Dans sa décision, la Commission a examiné une plainte déposée par l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) à l’encontre du G.T.N.-O. (la plainte de l’AFPC) et a décidé de nommer un conciliateur pour régler deux des aspects de cette plainte. La Commission a également décidé de différer l’analyse d’un troisième aspect de la plainte.

LES PARTIES

Le G.T.N.-O.—Requérant

La plainte de l’AFPC désigne le ministre du Personnel du G.T.N.-O. comme l’employeur et allègue qu’il a violé la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la LCDP) concernant des questions de classification des emplois et d’équité salariale ayant trait à la fonction publique des Territoires. Le G.T.N.-O. est l’employeur le plus important dans les Territoires du Nord-Ouest (les T.N.-O.), puisqu’il compte environ 5 500 employés qui, en 1992, représentaient environ 30 % de l’ensemble de la population active des T.N.-O.

Le G.T.N.-O. a déposé un affidavit exhaustif qui a été établi sous serment par John Havelock Parker le 17 août 1993 (l’affidavit Parker). M. Parker a relaté l’histoire du G.T.N.-O. et a témoigné au sujet des rapports que le gouvernement entretient avec sa fonction publique. Ses compétences en cette matière sont indiscutables, notamment en raison de ses années de service comme commissaire adjoint et commissaire des T.N.-O. Comme toutes les parties ont accepté sa déposition, je propose d’en citer des passages pertinents.

Les paragraphes 5 et 6 de l’affidavit Parker résument sa déposition dans les termes suivants :

[traduction]

5.   Comme il sera expliqué plus en détail ci-dessous, l’histoire des Territoires du Nord-Ouest démontre qu’il y a eu un passage graduel depuis le régime de gouvernement hautement centralisé et quasi-colonial, qui caractérise la période de 1905 à 1950 à tout le moins, jusqu’au gouvernement largement responsable et indépendant des Territoires, fondé sur le modèle provincial, qui existe depuis le milieu des années 1980. De plus, la création et la mise en place d’une fonction publique territoriale, sur laquelle le G.T.N.O. exerce un contrôle législatif et administratif et dont il est politiquement et fiscalement responsable, ont été et sont toujours des éléments essentiels à l’établissement d’un gouvernement responsable dans les T.N.-O.

6.   L’histoire démontre abondamment qu’il y a eu une évolution constante dans les rapports entre le G.T.N.O. et la fonction publique des Territoires dont le point culminant, qui s’est produit vers 1986, a été la dévolution au G.T.N.-O. des mêmes droits, fonctions et pouvoirs relativement à la fonction publique que ceux qui existent entre les gouvernements provinciaux et leur fonction publique respective partout au Canada.

M. Parker décrit la fonction publique dans les termes suivants :

[traduction]

31. La première ordonnance sur la fonction publique a en fait été adoptée par le conseil des T.N.-O. en 1965. À cette époque, il n’y avait qu’une fonction publique territoriale restreinte, qui s’occupait principalement du système de gestion des boissons alcooliques dans les Territoires. En 1965-1966, le G.T.N.-O. avait un budget de fonctionnement inférieur à 10 millions de dollars. En moins de dix ans, le nombre de fonctionnaires est passé à près de 3 000 et le budget de fonctionnement de 1976-1977 s’établissait à environ 160 millions de dollars. En 1990, la fonction publique des T.N.-O. comptait environ 5 800 fonctionnaires et le budget de fonctionnement du G.T.N.-O. était d’environ 900 millions de dollars.

32. Dans les années 1980, le G.T.N.-O. était responsable de l’application et de l’administration de la plupart des programmes et services habituellement offerts par un gouvernement provincial. En 1969, la Loi sur la fonction publique des Territoires a été modifiée par l’ajout des dispositions relatives à la négociation collective et, par la suite, les relations de travail, du moins pour ce qui a trait à la fonction publique, sont passées sous la responsabilité du G.T.N.-O. Les fonctionnaires des Territoires ont continué d’être régis par la Loi sur la pension de la fonction publique fédérale, mais le maintien de la responsabilité fédérale dans ce domaine est raisonnable étant donné que bon nombre des fonctionnaires des Territoires sont d’anciens fonctionnaires fédéraux dont les pensions accumulées ont été acquises et garanties aux termes du régime fédéral.

33. Jusqu’en 1986, la Loi sur la fonction publique conférait expressément au commissaire la responsabilité de la gestion et de la direction de la fonction publique territoriale. Le commissaire était en fait l’« employeur » de la fonction publique et était ultimement chargé de déterminer les conditions d’emploi, les taux de rémunération, les conditions d’embauchage et de renvoi et d’autres questions ayant trait aux fonctionnaires. Par suite de modifications historiques apportées à la loi en 1986, toutefois, le ministre du Personnel, membre élu du conseil des T.N.-O., s’est vu confier la totalité des responsabilités du commissaire relativement à la fonction publique territoriale. Depuis, l’administration de la fonction publique est sous la responsabilité directe du G.T.N.-O.

Par souci d’exhaustivité, il convient de noter que ce sont les articles 12 et 13 de la Loi sur la fonction publique, L.R.T.N.-O. 1988, ch. P-16, qui confèrent au ministre du Personnel du G.T.N.-O. la responsabilité spécifique des questions de rémunération et de classification qui font l’objet de la plainte de l’AFPC. Cette loi a reçu la sanction royale le 16 juin 1986.

L’affidavit Parker se termine par les paragraphes suivants :

[traduction]

34. L’effet cumulatif des nombreux changements qui se sont produits à l’intérieur du gouvernement des T.N.-O., particulièrement depuis la publication du rapport de la Commission Carrothers en 1966, a entraîné la création d’un gouvernement territorial représentatif et responsable, situé dans les Territoires, doté des mêmes pouvoirs et responsabilités qu’un gouvernement provincial à l’égard de ses administrés. Les différences qui continuent d’exister entre les T.N.-O. et les provinces ont peu de choses à voir avec la manière de gouverner ou les niveaux relatifs d’autonomie gouvernementale au niveau local, qui sont des éléments communs à tous. Les différences qui restent portent beaucoup plus sur la nature du droit de propriété foncière et le contrôle des ressources naturelles; sur les questions découlant de la présence d’une population autochtone majoritaire dans les T.N.O.; et sur la nature et l’ampleur des arrangements financiers entre les gouvernements fédéral et territorial.

36. Les relations qui existent entre le G.T.N.-O. et le secteur de la fonction publique s’apparentent à la relation qui existe entre les gouvernements provinciaux et leur fonction publique respective. Comme dans les provinces, l’administration de la fonction publique est une question d’intérêt local. Le G.T.N.-O., comme les législatures provinciales, décide des services qui sont nécessaires pour répondre aux besoins du public; il décide de la meilleure façon d’utiliser les ressources de la fonction publique pour répondre à ces besoins; il détermine le mode de financement de ces services; il détermine les normes de travail et les conditions d’emploi des fonctionnaires; et il négocie les conventions collectives avec les associations d’employés, le tout sans ingérence ou participation du gouvernement fédéral.

Malgré la tendance à l’autonomie gouvernementale décrite dans l’affidavit Parker, toutes les parties reconnaissent que les T.N.-O. ne sont pas encore une province et qu’ils demeurent assujettis à « la portée universelle du pouvoir législatif du Parlement du Canada »[1]. Le G.T.N.-O. ne dispose que des pouvoirs qui lui sont conférés par le Parlement aux termes de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.R.C. (1985), ch. N-27, et ces pouvoirs sont tous assujettis aux lois du Parlement fédéral. En pratique, pour ce qui concerne la fonction publique, le G.T.N.-O. jouit des pouvoirs exercés par les provinces mais, contrairement à ces dernières, il n’a aucun droit consacré dans la constitution pour affirmer ces pouvoirs.

L’AFPC—Intimée

Les fonctionnaires du G.T.N.-O. sont représentés par le Syndicat des travailleurs et travailleuses du Nord (le STN). Initialement établi aux termes de l’Ordonnance sur l’Association de la fonction publique des Territoires du Nord-Ouest, R.O. 1974, ch. N-2, le STN a été prorogé en vertu de la Loi sur le Syndicat des travailleurs et travailleuses du Nord, L.R.T.N.-O. 1988, ch. U-1. Dans les T.N.-O., le STN est le seul agent négociateur pour les fonctionnaires. Le STN est décrit comme une « composante » de l’AFPC, et la qualité de l’AFPC pour déposer la plainte n’a pas été contestée. L’AFPC détient les droits de négociation pour un très grand nombre de fonctionnaires fédéraux qui ont été embauchés en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35. Toutefois, en Ontario et au Manitoba, l’AFPC représente également des employés qui ne travaillent pas pour le gouvernement fédéral.

La Commission—Intervenante

La Commission est un organisme multidisciplinaire. Elle joue un rôle en matière de politique, mène des enquêtes, prend des décisions administratives et assume un rôle qui s’apparente à celui des organismes d’arbitrage. Dans le traitement de la plainte de l’AFPC jusqu’à ce jour, la Commission est surtout intervenue dans sa fonction d’enquêteur.

LA PLAINTE DE L’AFPC

La plainte de l’AFPC, qui a été déposée le 28 mars 1989, allègue que le ministre du Personnel du G.T.N.-O., en sa qualité d’employeur des fonctionnaires des T.N.-O., a établi des distinctions contre le personnel féminin de la fonction publique sur des questions de classification des emplois et de rémunération, en violation des articles 7, 10 et 11 de la LCDP. La plainte de l’AFPC demande, comme redressement, l’élimination de tous les taux de rémunération discriminatoires, l’implantation d’un système d’évaluation des emplois non fondé sur le sexe et le paiement de la rémunération avec intérêts rétroactifs à mars 1988.

LE RAPPORT DE L’ÉTUDE MIXTE SUR LA PARITÉ SALARIALE

Peu après le dépôt de la plainte de l’AFPC, le G.T.N.-O. et le STN se sont rendu compte que les données objectives nécessaires pour évaluer le fondement de la plainte de l’AFPC n’existaient pas. Par conséquent, le G.T.N.-O. et le STN ont établi un programme conjoint pour recueillir les renseignements nécessaires à l’évaluation de la plainte de l’AFPC. Il s’agit de l’étude mixte sur la parité salariale (l’étude sur la parité salariale) qui a été décrite dans une lettre d’entente signée en avril 1989. Le rapport final de cette étude (le rapport sur la parité salariale) a été signé par les représentants des deux participants en juin 1992.

La Commission semble avoir joué un rôle de surveillance et de consultation dans les étapes de planification de l’étude sur la parité salariale pour veiller à ce que cette étude respecte les exigences de la Commission. Le respect de ces exigences était important pour la Commission aussi bien que pour les participants à l’étude parce que chacun voulait que les résultats fassent partie de l’enquête de la Commission et servent de fondement objectif pour le règlement de la plainte de l’AFPC.

L’étude sur la parité salariale a été une entreprise énorme. Le rapport décrit les objectifs de cette étude et l’ampleur de la tâche dans les termes suivants :

[traduction] L’étude mixte sur la parité salariale a pour objet de fournir aux parties des documents exacts et complets et des données d’évaluation des emplois afin de déterminer, après analyse, si le principe « à travail égal salaire égal » est respecté conformément à l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et s’il y a des injustices, de préciser où elles trouvent et quelle en est l’importance.

La logistique nécessaire pour recueillir des données exactes et actuelles sur les emplois auprès d’employés disséminés dans les collectivités éloignées du Nord qui ne savent ni lire, ni écrire ou parler l’anglais, qui n’ont probablement jamais vu la description de leur emploi dans aucune langue, et qui voient rarement leur supérieur immédiat, représentait un défi énorme au niveau de l’organisation.

L’étude mixte sur la parité salariale a été une entreprise majeure qui a exigé la participation de l’ensemble de la fonction publique territoriale dans chacune des collectivités des Territoires du Nord-Ouest. Il a fallu deux ans pour faire cette étude à compter de la nomination des membres du comité en août 1989 jusqu’à la présentation des résultats de l’étude au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et au Syndicat des travailleurs et travailleuses du Nord en juillet 1991.

L’étude sur la parité salariale était dirigée par un comité de trois personnes (le Comité), dont un représentant du STN, un représentant du G.T.N.-O. et un président choisi par les deux autres représentants. Le Comité a embauché Norman D. Willis comme consultant, a convenu d’un questionnaire approprié et d’une méthode de collecte des données. Sur ce sujet, le rapport de l’étude renferme les observations suivantes (à la page 9) :

[traduction] L’un des plus grands défis de l’étude a été de mettre au point une méthode de collecte des données praticable qui permettrait d’atteindre les 5 000 employés participant au programme. Ces employés ont été choisis dans 64 collectivités réparties dans une très vaste région géographique, dont la plupart ne sont accessibles que par avion. Quarante pour cent (40 %) des employés travaillent dans les principaux établissements des ministères situés à Yellowknife. Le deuxième groupe en importance se trouve dans cinq centres régionaux comptant un nombre variable d’employés, allant de 340 à Iqaluit à 125 à Cambridge Bay. Les autres employés sont disséminés dans les collectivités des Territoires; il y en a entre cent et deux cents à Fort Simpson et Hay River, mais un ou deux seulement dans les collectivités les plus éloignées comme Colville Lake ou Rae Lakes.

Le Comité a également convenu d’un nombre acceptable d’emplois à évaluer. Le statisticien des Territoires a recommandé un échantillon de 700 emplois et le rapport note, à la page 11, que le Comité a décidé que ce chiffre était « à peu près » acceptable. Au bout du compte, 654 emplois ont été analysés. La formation du personnel, la communication avec les employés, l’évaluation des emplois et les vérifications connexes de fiabilité ont été des tâches énormes à réaliser. En fait, les vérifications de fiabilité ont posé un problème. Les évaluations effectuées par différents comités ont été comparées en fonction de deux critères. Le premier critère comportait un vice de procédure et a été déclaré invalide. Le deuxième critère a produit une variance inacceptable, trois fois sur dix, et le rapport indique à la page 17 que [traduction] « quand le même taux de variation est appliqué à l’ensemble de l’analyse des 654 emplois, la fiabilité des résultats de l’étude semble compromise ». Toutefois, après avoir soulevé ce doute, le rapport le rejette au motif que des travaux plus poussés sur les techniques d’évaluation auraient réduit la variance à un niveau acceptable au moment où l’étude a été terminée. En fait, dans le texte du rapport, il est clair que le Comité ne se posait plus de questions à la fin de l’étude sur la parité salariale. Dans ses conclusions, le rapport indique ce qui suit (à la page 21) :

[traduction] … étant donné l’exactitude des données d’évaluation et l’exhaustivité des documents sur les emplois, les données produites par l’étude mixte sur la parité salariale permettront aux parties de déterminer si le principe « à travail égal, salaire égal » est appliqué.

Il est également intéressant de noter que 64 % des questionnaires ont été retournés et que le rapport ne mentionnait aucun problème au sujet de ce taux de retour. En fait, le taux de retour en provenance des régions a été jugé « raisonnablement élevé » à la page 7 du rapport et, à la page 11, il est fait mention d’un « taux de réponse satisfaisant ». Finalement, le rapport n’exprime aucune préoccupation au sujet de la qualité des données recueillies sur les emplois et déclare, de nouveau à la page 11, que ces données sont de « grande qualité ».

Les membres du comité représentant le G.T.N.-O. et le STN ont tous deux signé sans réserve le rapport sur la parité salariale le 26 juin 1992.

LES ENQUÊTEURS

Le 25 mai 1989, la Commission a désigné James Sadler (Sadler) comme enquêteur pour l’étude de la plainte de l’AFPC conformément au paragraphe 43(1) de la LCDP. M. Sadler est un employé de la Commission travaillant à Ottawa. Il n’a aucun lien personnel avec le G.T.N.-O. ou le STN. Sadler est tenu de payer ses cotisations syndicales à l’AFPC parce qu’il est membre d’une unité de négociation représentée par l’AFPC. Toutefois, Sadler n’était pas tenu d’être syndiqué et il a choisi de ne pas joindre les rangs de l’AFPC.

À une date ultérieure, qui, selon la preuve, se situe soit en septembre 1992, soit en février 1993, mais, dans un cas comme dans l’autre cas, après la publication du rapport sur la parité salariale en juin 1992, Lorraine Dallas (Dallas) a été désignée par la Commission comme deuxième enquêteur. Dallas avait choisi d’être membre votant à part entière de l’AFPC, mais elle n’a aucun lien personnel de quelque sorte avec le G.T.N.-O. ou le STN. Sadler et Dallas sont appelés collectivement « les enquêteurs ».

L’ANALYSE DE L’ÉCART SALARIAL ET LES DISCUSSIONS PRÉALABLES AU RÈGLEMENT

Pendant la préparation du rapport sur la parité salariale, Sadler, en sa qualité d’enquêteur de la Commission, a entrepris d’analyser les données de l’étude sur la parité salariale afin de déterminer si cette étude démontrait l’existence d’un écart salarial réel. Cette analyse est connue sous le nom d’analyse de l’écart salarial et elle a effectivement révélé l’existence d’un tel écart. Afin d’aider les parties dans leurs efforts pour parvenir à un règlement sur la question de la parité salariale dans la plainte de l’AFPC, Sadler a fait parvenir son analyse concernant l’écart salarial au STN avec une lettre d’accompagnement en date du 17 juin 1992.

Trois mois plus tard, dans une lettre datée du 1er octobre 1992, le G.T.N.-O. a écrit à la Commission pour exprimer ses doutes concernant l’analyse de l’écart salarial effectuée par Sadler. Il se préoccupait notamment de la validité des données tirées de l’étude sur la parité salariale. Il ressort du dossier dont je suis saisie qu’avant cette date le G.T.N.-O. n’avait jamais critiqué la qualité des données utilisées pour parvenir aux résultats de l’étude sur la parité salariale.

Les autres préoccupations du G.T.N.-O. portaient sur la méthode utilisée par Sadler dans la préparation de son analyse. En termes généraux, le G.T.N.-O. décrivait la méthode utilisée par Sadler comme une « méthode simpliste » et « imparfaite » et disait craindre que les résultats de cette analyse aient créé des attentes irréalistes de la part des employés parce que les journaux locaux affirmaient que le G.T.N.-O. devrait faire face à un règlement de 60 millions de dollars.

La lettre du G.T.N.-O. en date du 1er octobre 1992 se terminait en informant la Commission que les discussions au sujet de la plainte de l’AFPC se poursuivaient afin de parvenir à un règlement négocié. Cette affirmation constituait en fait une réponse à une observation que Sadler avait faite dans sa lettre du 17 juin 1992, indiquant que la Commission préférait en arriver à un règlement négocié. Les négociations se sont déroulées « sous réserve de tous droits », d’octobre 1992 à février 1993, sans que les parties parviennent à un règlement.

LE RAPPORT D’ENQUÊTE

Le 23 avril 1993, les enquêteurs ont terminé et signé un rapport d’enquête de quarante-cinq paragraphes (le rapport d’enquête) pour le compte de la Commission. Ils ont signé ce rapport comme coenquêteurs. Le rapport comportait trois annexes : la plainte de l’AFPC constituait l’annexe A, une lettre envoyée par la Commission aux coprésidents de l’étude mixte sur la parité salariale le 7 septembre 1990 au sujet du rôle assumé par la Commission dans cette étude figurait à l’annexe B, et l’analyse de l’écart salarial réalisée par Sadler était jointe à l’annexe C.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

Le 8 juin 1993, la Commission a décidé de nommer un conciliateur conformément à l’article 47 de la LCDP afin de régler la plainte de l’AFPC aux termes des articles 7 et 11 de la LCDP. La Commission a également décidé de reporter à une date plus propice sa décision sur la question relative à l’article 10 soulevée dans la plainte de l’AFPC. La décision adoptait les recommandations présentées par les enquêteurs dans leur rapport. Il n’est pas contesté que, quand la Commission a pris sa décision, elle était saisie du rapport d’enquête, d’une chronologie des événements qui s’étaient déroulés depuis le dépôt de la plainte et des mémoires relatifs au rapport d’enquête déposés par l’AFPC et le G.T.N.-O. Ces mémoires étaient tous deux datés du 2 juin 1993.

Le mémoire de l’AFPC soulevait des arguments de fond dans ce sens qu’il remettait en question des points soulevés dans le rapport d’enquête et demandait que des corrections et des précisions soient apportées. L’AFPC remettait également en question l’à-propos de la méthode utilisée pour calculer la valeur des emplois occupés par des femmes. Par contraste, le G.T.N.-O. n’a pas donné une critique de fond du rapport d’enquête. Dans ses arguments, le G.T.N.-O. a simplement informé la Commission qu’il intenterait une instance devant la Cour fédérale afin de lui soumettre des questions de compétence et de partialité.

LES QUESTIONS EN LITIGE

C’est dans ce contexte que le G.T.N.-O. soulève les questions suivantes :

1. La Commission a-t-elle compétence pour régler la plainte de l’AFPC du fait de l’article 63 de la LCDP?

2. La décision de la CCDP devrait-elle être annulée en raison d’une crainte raisonnable de partialité de la part des enquêteurs?

1.         COMPÉTENCE

L’article 63 de la LCDP (l’article) n’a pas été analysé par la Cour. Il est rédigé dans les termes suivants :

63. Les plaintes déposées sous le régime de la présente partie qui portent sur des actions ou des omissions survenues dans le territoire du Yukon ou dans les Territoires du Nord-Ouest ne sont recevables sous ce régime que dans la mesure où elles le seraient dans les provinces.

La question est de savoir si l’article a pour effet de priver la Commission de sa compétence lorsqu’une plainte en vertu de la LCDP est déposée à l’encontre du G.T.N.-O. relativement à sa fonction publique.

LA POSITION DU G.T.N.-O.

Le G.T.N.-O. fait valoir que je devrais considérer que l’article s’applique au cas par cas. En outre, il prétend que l’article met l’accent sur l’action ou l’omission décrite dans la plainte et non sur le statut constitutionnel de l’entité qui fait l’objet de la plainte.

À partir de ces principes directeurs, le G.T.N.-O. soutient qu’en l’espèce l’article devrait être interprété comme s’il exigeait que l’on se demande si une plainte, portant sur des questions de classification et de rémunération, déposée à l’encontre d’un représentant élu d’un gouvernement responsable qui contrôle tous les aspects de sa fonction publique, constituerait une question de compétence fédérale ou provinciale si elle avait été déposée dans une province? Le G.T.N.-O. fait ensuite valoir que l’action ou l’omission décrite dans une plainte de ce genre serait manifestement de compétence provinciale et, partant, qu’elle serait hors du champ d’application de la LCDP dans les T.N.-O.

Il ne fait aucun doute que, dans une province, une plainte concernant la classification et la rémunération des fonctionnaires provinciaux ne serait pas régie par la LCDP. Le G.T.N.-O. affirme que, puisqu’il assume dans les faits le contrôle de sa fonction publique, il n’est pas logique que la Commission, que le conseil du G.T.N.-O. décrit comme [traduction] « un organisme extérieur établi dans le Sud », s’ingère dans l’administration de la fonction publique des T.N.-O. Cela est d’autant plus vrai, selon lui, lorsque le contrôle de la fonction publique est un attribut accessoire d’un gouvernement responsable et lorsque la mise sur pied d’un gouvernement responsable dans les T.N.-O. est un objectif poursuivi par le gouvernement fédéral.

Comme il a été indiqué ci-dessus, le G.T.N.-O. formulerait la question relative à l’application de l’article sans mentionner que le G.T.N.-O. est, d’un point de vue constitutionnel, une entité fédérale. Le G.T.N.-O. fait observer que si, en appliquant l’article, son statut constitutionnel devait être un facteur à prendre en considération, la question consisterait alors à déterminer si la plainte concernant une action ou une omission de la part d’une entité fédérale serait une question de compétence fédérale ou provinciale dans une province donnée. La réponse à une question ainsi formulée indiquerait toujours qu’il s’agit d’une question de compétence fédérale. Par conséquent, l’article n’aurait aucun sens parce qu’il ne priverait jamais la Commission de sa compétence. Le G.T.N.-O. prétend donc que son statut constitutionnel ne peut être pertinent à l’application de cet article parce que, si cette méthode était retenue, l’article en question n’aurait aucun sens.

La position de l’AFPC et de la Commission

Par ailleurs, l’AFPC et la Commission font valoir que, si j’accepte la position du G.T.N.-O. et que le statut constitutionnel de ce dernier est mis de côté de façon que les Territoires soient considérés comme une province pour l’application de l’article, la LCDP ne s’appliquera jamais à des plaintes déposées à l’encontre du G.T.N.-O. au sujet de sa fonction publique. Selon l’AFPC et la Commission, ce résultat est manifestement contraire à l’intention du législateur. L’AFPC et la Commission font également valoir qu’il est tout à fait irréaliste de prétendre que les T.N.-O. ont le statut d’une province et qu’une telle fiction ne devrait pas servir à étayer cet exercice d’interprétation de la loi.

Analyse

Si l’on tient compte du statut constitutionnel des T.N.-O., il se peut fort bien que l’article n’ait aucun sens comme le fait valoir le G.T.N.-O. Par exemple, si le propriétaire d’un motel situé dans les T.N.-O. refuse d’accueillir des clients pour des motifs raciaux, l’article 63 laisse entendre que la LCDP ne s’appliquerait pas à une plainte déposée dans les T.N.-O. parce que, dans une province, l’exploitation d’un motel n’est pas de compétence fédérale. Toutefois, dans les T.N.-O., l’exploitation des motels est une question de compétence fédérale d’un point de vue constitutionnel et, s’il faut prendre cet élément en considération, une province n’aurait jamais compétence dans le cas d’un motel fédéral et l’article autoriserait l’application de la LCDP dans les T.N.-O. De la même manière, des plaintes concernant l’application de règlements municipaux seraient normalement des questions de compétence provinciale, mais dans les T.N.-O. ces règlements municipaux sont de compétence fédérale. Si cette affirmation était vraie, l’article ferait en sorte que la CCDP serait autorisée à faire enquête sur les plaintes relatives à des règlements adoptés dans les T.N.-O.

À cette étape, abstraction faite de toute autre considération, j’accepterais ordinairement l’interprétation que le G.T.N.-O. donne de l’article parce que c’est la position qui permet à l’article d’avoir un certain champ d’application. Toutefois, la difficulté vient de ce que, pour deux raisons, je ne suis pas convaincu que le législateur avait l’intention de faire en sorte que l’article s’applique de façon à exempter complètement le G.T.N.-O. de l’application de la LCDP concernant ses fonctionnaires.

Mon opinion se fonde principalement sur le fait que l’article 66 a été ajouté à la LCDP en 1983 [auparavant l’article 63, mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 143, art. 24]. Il est libellé de la manière suivante :

66. (1) La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada sauf en ce qui concerne les gouvernements du territoire du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest.

(2) L’exception prévue au paragraphe (1) entre en vigueur à l’égard du gouvernement du territoire du Yukon à la date fixée par proclamation.

(3) L’exception prévue au paragraphe (1) entre en vigueur à l’égard du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest à la date fixée par proclamation.

Le 10 décembre 1987, le gouvernement du territoire du Yukon a adopté la Human Rights Act, S.Y. 1987, ch. 3. Trois semaines plus tard, soit le 1er janvier 1988, le gouvernement fédéral émettait une proclamation qui dispensait le gouvernement du territoire du Yukon de l’application de la LCDP.

Par contraste, le G.T.N.-O. n’a pas adopté de loi sur les droits de la personne et il n’y a pas eu de proclamation pour dispenser le G.T.N.-O. de l’application de la LCDP. Je note en passant que le G.T.N.-O. a adopté une Loi prohibant la discrimination, L.R.T.N.-O. 1988, ch. F-2, mais il n’a pas été suggéré dans les arguments qui m’ont été présentés que cette loi remplace une loi sur les droits de la personne. En fait, toutes les parties conviennent que la Loi prohibant la discrimination n’est pas pertinente à ma décision en l’espèce.

Au moment où le législateur a envisagé d’adopter l’article 66, celui-ci a été analysé par le Comité permanent de la justice et des questions juridiques[2]. À cette époque, M. Mark MacGuigan, ministre de la Justice et procureur général du Canada faisait les observations suivantes : [traduction] « Nous ne voulons pas vraiment proclamer cette disposition tant qu’il n’existera pas de codes des droits de la personne dans les Territoires ».

Deuxièmement, bien que l’article figure dans la LCDP depuis l’adoption de celle-ci en 1978, il y a toujours eu une certaine confusion quant à savoir si la LCDP s’appliquait aux employés du G.T.N.-O. En janvier 1980, C. M. Drury a publié un rapport intitulé L’évolution constitutionnelle dans les Territoires du Nord-Ouest : Rapport du Représentant spécial. Ce rapport a été préparé à l’intention du Premier Ministre du Canada, le très honorable C. J. Clark. Dans son rapport, aux pages 75 et 97, M. Drury note cette confusion et recommande que la LCDP soit modifiée. Il recommandait que la responsabilité de la protection des droits de la personne relativement aux employés du G.T.N.-O. soit confiée au gouvernement des Territoires. Sa recommandation a été suivie en partie par l’adoption de la version actuelle de l’article 66 en 1983. Comme nous l’avons vu, cet article dispense le G.T.N.-O. de l’application de la LCDP, mais uniquement à une date non précisée dans l’avenir qui ne s’est pas encore concrétisée.

Pour conclure sur ce point, je ne suis pas disposée à interpréter l’article d’une façon qui aurait pour effet de dispenser le G.T.N.-O. de l’application de la LCDP relativement à ses fonctionnaires. Même si, en pratique, le G.T.N.-O. gère la fonction publique à tous égards comme s’il s’agissait d’une province, le fait demeure qu’il n’est pas une province. Il demeure un territoire fédéral et la Couronne est toujours assujettie à la LCDP. Je ne suis pas disposée à accepter une interprétation de la loi qui fasse abstraction du statut juridique du G.T.N.-O. En outre, le G.T.N.-O. n’a pas adopté de loi sur les droits de la personne et je suis convaincue que le législateur n’avait pas l’intention que la LCDP s’applique d’une façon qui prive les employés du G.T.N.-O. de la protection d’une loi sur les droits de la personne.

Compte tenu de toutes ces circonstances, je conclus que la Commission a compétence pour traiter de la plainte de l’AFPC.

2.         PARTIALITÉ

Le G.T.N.-O. allègue que le statut et la conduite des enquêteurs ne révèlent pas une véritable partialité, mais créent plutôt une crainte raisonnable de partialité. Il allègue également que cette présumée partialité est aggravée par la conduite de la Commission. Ces arguments se fondent sur les plaintes précises indiquées ci-dessous (collectivement les « plaintes ») :

a) Le fait que les enquêteurs sont représentés, dans leur unité de négociation collective, par l’AFPC qui est la plaignante en l’espèce;

b) Le fait que la Commission n’a pas répondu d’une façon directe et complète au G.T.N.-O. quand celui-ci a soulevé pour la première fois la question de la partialité;

c) Le fait que le G.T.N.-O. n’a jamais reçu la documentation à l’appui qui accompagnait la plainte de l’AFPC;

d) Le fait que la Commission n’a pas joué dans l’étude mixte sur la parité salariale le rôle qu’elle s’était engagée à tenir;

e) Le fait que Sadler a utilisé les résultats de l’étude sur la parité salariale pour préparer son analyse de l’écart salarial;

f) Le fait que Sadler a outrepassé son mandat d’établissement des faits en vertu de l’article 43 de la LCDP en remettant son analyse de l’écart salarial à l’AFPC et au G.T.N.-O. pour les aider à négocier un règlement;

g) Le fait que l’analyse de l’écart salarial a utilisé une méthode qui entraîne un effet de cliquet (ratcheting) contrairement à la décision de la Cour suprême du Canada dans Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)[3];

h) Le fait que les enquêteurs ne se sont jamais informés auprès du G.T.N.-O. de l’existence de facteurs qui pouvaient être pertinents au sens du paragraphe 11(4) de la LCDP;

i) Le fait que le rapport d’enquête affirmait que la plainte de l’AFPC n’avait pas été contestée par le G.T.N.-O.;

j) Le fait que le rapport d’enquête mentionnait que, dans le cours des discussions préalables au règlement, le G.T.N.-O. « a présenté une proposition de règlement »;

k) Le fait que l’étude mixte sur la parité salariale n’était pas jointe au rapport d’enquête.

Avant de traiter à tour de rôle de chacune de ces plaintes, j’aborderai plusieurs questions de nature générale.

Tout d’abord, on fait valoir que, parce que les enquêteurs n’ont pas pris la décision, toute crainte de partialité de leur part n’a aucune pertinence. Toutefois, dans SEPQA, le juge Sopinka a statué que les enquêteurs nommés en vertu de la LCDP sont le « prolongement » de la Commission et que toutes les irrégularités notées dans les rapports des enquêteurs peuvent être attribuées à la Commission. Cela dit, il me semble clair que, si elle est prouvée, la crainte de partialité de la part des enquêteurs entachera le rapport d’enquête et, partant, la décision de la Commission parce que celle-ci a adopté les recommandations des enquêteurs.

On fait également valoir que le G.T.N.-O. a agi prématurément en soulevant la question de la partialité à l’étape de la décision. On prétend que la décision ne portait que sur une évaluation préliminaire de la plainte de l’AFPC et que la Commission a simplement joué un rôle de garde-barrière. Selon l’argument présenté, ce rôle comprenait une évaluation de la qualité et de la quantité des éléments de preuve, mais ne s’étendait pas à l’examen du fondement de la plainte de l’AFPC. Par conséquent, on prétend que les allégations de partialité sont prématurées.

À mon avis, il est vrai que la décision de la Commission était une décision administrative prise à un stade préliminaire de l’examen de la plainte de l’AFPC, mais il ne s’ensuit pas nécessairement que les arguments du G.T.N.-O. sur la question de la partialité sont prématurés. Si l’on peut prouver à l’étape de l’enquête qu’il existe une crainte raisonnable de partialité, il est logique de régler cette question le plus tôt possible au lieu de laisser des procédures coûteuses se poursuivre et de les annuler par la suite.

Les plaintes du G.T.N.-O.

J’utiliserai l’extrait suivant comme cadre de mon examen des plaintes. Dans son opinion dissidente dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, le juge de Grandpré déclare ce qui suit :

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

On a attiré mon attention sur une décision de mon collègue le juge Noël dans Société Radio-Canada c. Commission canadienne des droits de la personne et autres (1993), 71 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.), à la page 225, où il applique un critère plus rigoureux en examinant une allégation de partialité réelle dans le contexte d’une enquête où il a statué qu’une question avait en fait été préjugée par les enquêteurs. Il dit ceci :

Le critère ne repose donc pas sur le point de savoir si l’on peut raisonnablement discerner un parti pris, mais plutôt si l’on s’est tellement écarté de la norme de l’ouverture d’esprit qu’on pourrait avec raison affirmer qu’il y a eu préjugement de la question devant l’organisme d’enquête.

On me demande d’appliquer ce critère en l’espèce, mais je ne suis pas disposée à le faire. On n’a pas allégué qu’il y avait eu un véritable parti pris en l’espèce et, à mon avis, le critère adopté par le juge de Grandpré est celui qu’il convient d’appliquer ici.

a)         Les enquêteurs

Sadler a choisi de ne pas devenir membre de l’AFPC, contrairement à Dallas. Les deux enquêteurs sont des employés de la Commission qui sont représentés par l’AFPC et qui habitent Ottawa. Le G.T.N.-O. affirme que l’on ne peut faire confiance à un régime de protection des droits de la personne quand les membres d’un syndicat qui porte plainte ou des personnes qui sont représentées par un syndicat qui porte plainte sont nommés pour procéder en toute neutralité à l’établissement des faits. Le G.T.N.-O. ajoute qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait apparence de partialité, créée par la nomination d’enquêteurs dont les droits de négociation collective sont représentés par la plaignante, parce que la Commission a le pouvoir, qui lui est conféré par le paragraphe 32(2) de la LCDP, de retenir par contrat les services d’enquêteurs indépendants.

L’AFPC fait valoir que sa plainte a été déposée uniquement au nom des employés de la fonction publique du G.T.N.-O. et que le résultat ne peut avoir d’incidence sur des employés comme les enquêteurs qui sont membres d’une autre unité de négociation à Ottawa. Selon l’AFPC, la façon appropriée d’aborder cette question est de dire que les enquêteurs sont représentés à Ottawa par une plaignante qui a déposé une plainte au nom d’autres employés, avec lesquels ils n’ont aucun lien, qu’elle représente également dans les T.N.-O. L’AFPC prétend que, si l’on examine la nature réelle de la plaignante et de la plainte, il est impossible d’imaginer qu’il puisse y avoir partialité. Cela est d’autant plus vrai que nous en sommes à un stade préliminaire de la procédure et que la décision ne portait que sur une évaluation préliminaire de la plainte de l’AFPC et la nomination d’un conciliateur.

La Commission appuie la position de l’AFPC. Elle fait également valoir que, parce que les employés de la Commission, notamment les enquêteurs, doivent être embauchés conformément à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, et parce que l’article 6 de cette loi donne à chaque employé le droit d’être représenté par un syndicat, il est inévitable que les enquêteurs soient syndiqués. Par conséquent, la Commission fait valoir que la possibilité qu’une crainte de partialité puisse être soulevée est exclue par la loi. La Commission s’appuie, pour cet argument, sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301.

Analyse

Pour commencer, je dirai que je n’accepte pas l’argument de la Commission concernant le fait que la Loi exclut la possibilité qu’il y ait partialité. À mon avis, dans une situation comme celle qui nous occupe, lorsque la Loi prévoit que les services d’enquêteurs peuvent être retenus par contrat, il n’y a pas de présomption légale que les enquêteurs seront représentés par les syndicats qui portent plainte.

Pour ce qui a trait à la question de la crainte raisonnable de partialité, il est bien établi que l’AFPC a fait des questions de parité salariale son cheval de bataille. En fait, pendant l’argumentation, on m’a rappelé que l’AFPC défend depuis longtemps le principe de la parité salariale devant la Commission au nom des fonctionnaires fédéraux. L’objet de la plainte de l’AFPC n’est pas, comme celle-ci le prétend, une question qui ne s’applique que dans les T.N.-O. La parité salariale est une question d’intérêt considérable à l’échelle nationale et l’AFPC est reconnue comme un défenseur énergique de ce principe.

À mon avis, une personne bien renseignée pourrait raisonnablement se demander si Dallas, qui a choisi d’être membre de l’AFPC, pouvait avoir une position prosyndicale et prédéterminée sur les questions d’équité salariale. Par ailleurs, je ne crois pas qu’une personne bien renseignée pourrait entretenir les mêmes doutes au sujet de Sadler, parce qu’il a choisi de ne pas appuyer l’AFPC. Le simple fait qu’il soit représenté par l’AFPC et qu’il paie les cotisations obligatoires ne crée pas une crainte raisonnable de partialité.

Bien que j’aie accepté l’argument du G.T.N.-O. au sujet de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part de Dallas, je dois faire observer que, d’après la preuve dont je suis saisie, sa participation à l’enquête a été minimale. Elle semble n’avoir joué aucun rôle dans l’étude mixte sur la parité salariale ou dans l’analyse de l’écart salarial et sa position ne peut avoir influé sur ces travaux. À partir du moment où Dallas a participé à l’étude, il n’est pas clairement établi si elle a remplacé Sadler ou si elle a travaillé avec lui à la préparation du rapport d’enquête. Toutefois, les deux enquêteurs ont signé le rapport. La décision de la Commission fondée sur l’article 46 doit s’appuyer sur un rapport d’enquête libre de tout parti pris. Pourtant, à cause de cette crainte de partialité de la part de Dallas, le rapport d’enquête est vicié.

À mon avis, les problèmes causés par la perception de partialité dans le cas de Dallas peuvent être résolus si les services d’un nouvel enquêteur sont retenus pour préparer avec Sadler un nouveau rapport d’enquête. Cet enquêteur pourrait être une personne qui travaille à la Commission, mais qui n’a jamais fait partie de l’AFPC ou il pourrait s’agir d’un enquêteur de l’extérieur engagé à contrat.

b)         La réponse de la Commission à la question de la partialité

La réponse de la Commission à la question de la partialité (la réponse) se trouve dans une lettre datée du 16 mai 1993. Dans cette réponse, la Commission indiquait clairement que Sadler n’était pas membre de l’AFPC. Toutefois, elle ne mentionnait pas le nom de Dallas, qui avait été nommée à la date de la réponse, et, par conséquent, n’indiquait pas que l’un des enquêteurs était membre de l’AFPC. Quand il a appris par la suite la nomination de Dallas, le G.T.N.-O. a demandé directement à la Commission si Dallas était membre de l’AFPC dans une lettre adressée à la Commission le 8 mars 1993 et la Commission lui a fait parvenir une autre lettre en date du 25 mars 1993, sans répondre de façon directe. Le G.T.N.-O. allègue que cette conduite a aggravé la crainte de partialité.

D’une part, un tiers raisonnable et bien renseigné pourrait se poser des questions sur l’hésitation de la Commission à déclarer de façon franche et directe l’existence de Dallas et son adhésion à l’AFPC. Par ailleurs, ce tiers pourrait conclure qu’il n’y a rien d’autre à ajouter au vu de la déclaration claire de la Commission, à la page 2 de la réponse, selon laquelle elle ne considère pas l’appartenance syndicale comme un motif susceptible de donner naissance à une crainte raisonnable de partialité.

Dans l’ensemble, je conclus que, même si la réponse de la Commission était condescendante et pas tout à fait honnête sur ce point, elle a quand même fait connaître sa position. Par conséquent, je ne considère pas que cette question a aggravé la crainte raisonnable de partialité relativement à Dallas.

c)         La documentation à l’appui

Il s’agit d’une question qui, prétend-on, aurait aggravé la perception d’une crainte raisonnable de partialité de la part des deux enquêteurs. Le rapport d’enquête indique ce qui suit au paragraphe 9 de la page 4 :

[traduction] La plainte (Annexe A) donne des motifs raisonnables de croire que l’allégation selon laquelle les taux de rémunération, déterminés par la convention collective établie par famille d’emplois, pourraient être plus élevés pour les groupes majoritairement composés d’hommes.

Le problème se pose parce que le G.T.N.-O. n’a jamais reçu la documentation qui accompagnait la plainte de l’AFPC (les documents non produits). Toutefois, le rapport d’enquête note au paragraphe 18 de la page 5 que certains des documents non produits n’ont pas été fournis au G.T.N.-O. parce que les enquêteurs ne les ont pas utilisés comme éléments de preuve. En outre, et ce qui est compatible avec cette position, les documents non produits n’ont pas été inclus dans l’annexe A jointe au rapport d’enquête. De même, comme la citation précitée l’indique, les documents non produits ne faisaient pas partie des motifs raisonnables à l’appui de la plainte de l’AFPC. Dans les circonstances, je ne vois pas comment l’omission de certains de ces documents du rapport d’enquête pourrait créer un problème.

d)         Le rôle de la Commission dans l’étude mixte sur la parité salariale

Le rôle que se proposait de jouer la Commission dans l’étude mixte sur la parité salariale a été décrit dans un document en date du 7 septembre 1990 qui figure à l’annexe B du rapport d’enquête. La Commission a notamment entrepris « de revoir l’évaluation des emplois, les calculs relatifs à l’écart salarial et les mesures de correction et de stabilisation ». Le G.T.N.-O. prétend maintenant que la Commission était obligée d’appliquer un critère indépendant pour déterminer la valeur des résultats de l’étude sur la parité salariale. D’après la preuve limitée dont je suis saisie, je n’accepte pas que la Commission ait entrepris de jouer un rôle aussi vaste et essentiellement répétitif. Par conséquent, je suis incapable de conclure que la conduite de la Commission relativement à l’étude mixte sur la parité salariale ait un effet quelconque sur la question de la partialité.

e)         Les résultats de l’étude sur la parité salariale et l’analyse de l’écart salarial

Comme il a déjà été noté, l’étude mixte sur la parité salariale avait pour but de produire des données pour faire enquête sur la plainte de l’AFPC. De même, au moment où le rapport sur la parité salariale a été publié et pendant la préparation de l’analyse relative à l’écart salarial, toutes les parties ont semblé accepter les données de l’étude sur la parité salariale. Par conséquent, je ne vois rien d’inapproprié dans l’utilisation que Sadler a faite des données de l’étude sur la parité salariale pour préparer son analyse de l’écart salarial.

f)          L’analyse de l’écart salarial remise aux parties

Le paragraphe 47(1) de la LCDP prévoit qu’un règlement peut intervenir en cours d’enquête, mais ne donne pas aux enquêteurs un rôle à jouer dans les négociations préalables au règlement. Sadler a envoyé son analyse de l’écart salarial aux parties accompagnée d’une lettre en date du 17 juin 1992 dans laquelle il indiquait ceci :

[traduction] Comme il s’est agi, jusqu’à ce jour, d’un programme conjoint avec une participation minimale de la part de cet organisme, nous estimons qu’il est approprié que les parties négocient ensemble un règlement qu’elles soumettront à notre approbation. Si vous avez des problèmes à effectuer les calculs de régression linéaire/d’écart salarial pour les années antérieures à 1992, n’hésitez pas à communiquer avec nous.

J’ai conclu que la préparation de l’analyse de l’écart salarial faisait partie du mandat d’établissement des faits confié à Sadler et qu’il était approprié qu’elle soit jointe au rapport d’enquête. Il est également clair que Sadler l’a fait parvenir aux parties en vue de leurs négociations. Essentiellement, l’analyse de l’écart salarial informait les parties en juin 1992 que le rapport d’enquête d’avril 1993 indiquerait les sommes dues aux employés.

Le G.T.N.-O. prétend que la publication prématurée et non demandée de l’analyse de l’écart salarial a porté préjudice à sa position au cours des négociations parce que l’opinion de Sadler sur les sommes dues a été publiée et a créé des attentes qui ont rendu plus difficile la négociation d’un règlement. Le G.T.N.-O. soutient que ce résultat était tout à fait prévisible et que la publication prématurée et non justifiée de son analyse par Sadler pendant les négociations ou avant celles-ci, soulève une crainte raisonnable de sa partialité en faveur des employés.

Dans d’autres circonstances, j’aurais trouvé cet argument convaincant parce que je ne pense pas qu’il incombait à Sadler de publier l’analyse de l’écart salarial, sauf dans le contexte du rapport d’enquête. Toutefois, en l’espèce, il est clair que le manque de données portait atteinte aux efforts de toutes les parties en vue du règlement de la plainte de l’AFPC. L’étude sur la parité salariale a été entreprise conjointement afin de résoudre ce problème de données. Plus particulièrement, le problème était que personne ne pouvait déterminer s’il y avait un écart salarial et si, dans l’affirmative, cet écart était important, tant que les données de l’étude sur la parité salariale n’auraient pas été recueillies et analysées. Il est important de noter qu’en juin 1992 quand Sadler a publié son analyse de l’écart salarial, le G.T.N.-O. n’avait pas encore remis en question les résultats de l’étude sur la parité salariale. Il ne s’est plaint de ces résultats qu’en octobre 1992. Par conséquent, je n’accepte pas qu’une personne raisonnable et bien renseignée conclurait que la publication de ces chiffres par Sadler constitue le fondement d’une crainte raisonnable de partialité. Sadler a simplement distribué les données qu’il jugeait nécessaires à toutes les parties à un moment où la qualité des données de l’étude sur la parité salariale n’était pas contestée.

g)         L’effet de cliquet

Le G.T.N.-O. prétend que Sadler a employé une méthode créant un effet de « cliquet » (ratcheting) dans son analyse de l’écart salarial, ce qui est contraire à l’arrêt SEPQA et mène nécessairement à un rajustement salarial plus important en faveur des employés visés par la plainte de l’AFPC. Il prétend que cela crée une crainte raisonnable de sa partialité en faveur des employés.

D’après les maigres éléments de preuve dont je suis saisie sur ce point, je ne suis pas convaincue que l’analyse de Sadler utilise une méthode créant un effet de cliquet ou que cette analyse avantage nécessairement les personnes au profit desquelles la plainte a été déposée. J’ai des doutes au sujet du premier point parce que l’arrêt SEPQA indique clairement à la page 888 que la politique de la Commission n’admet pas l’effet de cliquet. Cela dit, en l’absence d’une preuve convaincante, je ne suis pas disposée à conclure que Sadler a utilisé une méthode qui est contraire à la pratique de la Commission. Quant au deuxième point, d’après la discussion dans l’arrêt SEPQA aux pages 888 et 903, il semble que cet effet de cliquet mène à une situation où tous les employés touchent un salaire égal pour des fonctions équivalentes indépendamment du sexe des employés. Ce résultat, il me semble, pourrait profiter à des employés autres que ceux qui sont visés par la plainte de l’AFPC.

Tout bien réfléchi, je conclus que je n’ai pas suffisamment d’information au sujet de l’effet de cliquet pour me prononcer sur ce point.

h)        Le paragraphe 11(4) de la LCDP

Le paragraphe 11(4) de la LCDP est rédigé dans les termes suivants :

11.

(4) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) la disparité salariale entre hommes et femmes fondée sur un facteur reconnu comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du paragraphe 27(2).

Le G.T.N.-O. prétend que les enquêteurs n’étaient pas favorables à sa position parce qu’ils ne lui ont jamais demandé si des facteurs existaient aux termes du paragraphe 11(4) de la LCDP. Cet argument n’est pas convaincant. Si le G.T.N.-O. avait des dérogations à faire valoir en se fondant sur les directives de la Commission, il est raisonnable de supposer qu’il aurait soulevé ces questions avec vigueur à la première occasion. Si aucune de ces questions n’a été soulevée, il est raisonnable que les enquêteurs aient supposé qu’il n’y en avait pas. Malgré tout, des enquêteurs prudents auraient pu s’informer, mais je ne peux conclure à une crainte raisonnable de partialité en m’appuyant sur l’absence d’une telle demande d’information.

i)          La plainte non contestée de l’AFPC

Le paragraphe 2 du rapport d’enquête indique en partie ce qui suit :

[traduction] L’intimée n’a pas contesté les allégations et a négocié une étude mixte avec la plaignante pour examiner l’aspect relatif à la parité salariale dans la plainte et fournir des renseignements pour la négociation des mesures correctives; l’intimée indique également qu’elle était disposée à se convertir à un système unique d’évaluation des emplois et à négocier des changements à la structure salariale. [Non souligné dans l’original.]

Le G.T.N.-O. conteste l’utilisation des six premiers mots de ce paragraphe au motif que les enquêteurs ne lui ont jamais demandé d’exprimer son opinion. Ma conclusion sur ce point est la même que celle à laquelle j’en suis arrivée à la question h) ci-dessus. Si le G.T.N.-O. a contesté les allégations, il aurait dû le dire en termes clairs. Bien qu’une demande formelle de renseignements eût pu être appropriée, à mon avis, une crainte raisonnable de partialité n’est pas créée parce que les enquêteurs n’ont pas demandé de renseignements au cours d’une enquête largement publicisée.

j)          Le règlement

Le paragraphe 19 du rapport d’enquête refait l’historique des négociations préalables au règlement et, ce faisant, déclare ce qui suit : [traduction] « Les négociations ont repris en février 1993 quand l’intimée a présenté une proposition de règlement ». Les détails de l’offre n’ont pas été exposés, mais le G.T.N.-O. prétend que les enquêteurs n’avaient pas besoin de préciser que le G.T.N.-O. avait fait une offre. Le G.T.N.-O. soutient que les possibilités de règlement auraient pu être débattues si les enquêteurs s’étaient contentés de dire que les parties étaient ouvertes au règlement. Il prétend également que cette divulgation des enquêteurs a violé le principe des discussions « sous réserve de tous droits » qui régissait les discussions relatives au règlement et, ce qui est le plus important, il prétend que le fait d’avoir dévoilé que le G.T.N.-O. avait fait une offre a affaibli sa position de négociation et que ce fait soulève une crainte raisonnable de partialité de la part des enquêteurs en faveur de l’AFPC.

Encore une fois, je ne peux accepter cette position. Il n’y a rien dans le dossier qui indique que la Commission a participé aux discussions distinctes faites « sous réserve de tous droits ». De même, rien n’indique que la Commission a reçu des renseignements confidentiels au sujet d’une offre de règlement présentée par le G.T.N.-O.. Bien qu’il eut été préférable d’éviter de mentionner l’existence d’une telle offre, je ne suis pas disposée à conclure que la conduite des enquêteurs sur cette question appuie la crainte raisonnable de partialité.

k)         L’étude sur la parité salariale n’est pas annexée au rapport d’enquête

Le fait que l’étude sur la parité salariale n’a pas été jointe au rapport d’enquête pourrait également, selon l’argument soulevé, créer une crainte raisonnable de partialité. Cet argument n’est pas convaincant. L’étude sur la parité salariale est un document public et il y est fréquemment fait mention dans le rapport d’enquête. Dans les circonstances, je ne peux conclure que l’omission de joindre l’étude sur la parité salariale au rapport d’enquête constitue le fondement d’une crainte de partialité.

Pour conclure sur ce point, j’ai décidé que les plaintes n’établissent pas une crainte raisonnable de partialité de la part de Sadler. Toutefois, je suis convaincue qu’une personne bien renseignée pourrait raisonnablement conclure que, dans le cas de Dallas, celle-ci avait perdu son objectivité au point que l’on peut considérer ses opinions comme préjugées du fait de son adhésion volontaire à l’AFPC.

Conclusion

La décision est annulée.



[1] Conseil canadien des relations du travail et autre c. Yellowknife, [1977] 2 R.C.S. 729, à la p. 731, le juge en chef Laskin.

[2] Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, nº 115 (21 décembre 1982), à la p. 109.

[3] [1989] 2 R.C.S. 879 (ci-après SEPQA).

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