[1996] 3 C.F. 858
A-348-94
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Toronto College Park Limited (intimée)
Répertorié : Toronto College Park Ltd. c. Canada (C.A.)
Cour d’appel, juges Strayer et Robertson, J.C.A., et juge suppléant Chevalier—Toronto, 6 juin; Ottawa, 25 juin 1996.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions — Appel d’un jugement de la Section de première instance qui a conclu que certains « paiements incitatifs aux locataires » étaient des dépenses courantes (qu’on ne peut raisonnablement rattacher à une source de revenu), entièrement déductibles dans l’année de paiement — Peu de temps après le jugement de première instance, la Cour d’appel fédérale a jugé, dans Canada c. Canderel, que ces paiements ne constituent pas des dépenses courantes puisqu’ils se rapportent à une source de revenu précise et qu’ils peuvent et doivent, par conséquent, s’y raccorder — L’art. 18(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu oblige les contribuables à amortir certaines dépenses payées d’avance lorsqu’elles se rapportent à plus d’une année d’imposition, tout en énumérant les exceptions — L’art. 18(9) ne vise pas à codifier la prétendue règle de déductibilité totale, mais précise les dépenses payées d’avance qui sont soumises à la méthode de comptabilité d’amortissement dans le calcul des bénéfices — La décision Canderel ne fait qu’ajouter une exception à la liste prévue par la Loi — La publication d’une exception judiciaire à une règle n’a pas pour effet de rendre superflues les exceptions que prévoit la Loi — Que des dépenses puissent être amorties ne signifie pas qu’elles peuvent se raccorder à une source de revenu — L’art. 18(9) prévoit que certaines dépenses payées d’avance doivent être amorties peu importe qu’elles puissent être classifiées comme dépense courante — La décision Canderel ne vide pas de son sens l’art. 18(9) — Par ailleurs, il ne s’agit pas de savoir lequel des PCGR reflète plus fidèlement les bénéfices du contribuable, mais plutôt d’établir si la dépense en question peut se raccorder à une source de revenu déterminée — Dans l’affirmative, elle doit faire l’objet d’amortissement — Puisque la décision de reconduire relève du locataire seul, les paiements incitatifs aux locataires doivent se raccorder au revenu pour le terme initial du bail en vertu duquel le locataire est tenu de payer un loyer.
Appel d’un jugement de la Section de première instance accueillant l’appel portant sur une cotisation relative à l’année d’imposition 1983 du contribuable. Le juge de première instance a conclu que certains « paiements incitatifs aux locataires » étaient des « dépenses courantes » et, par conséquent, entièrement déductibles dans l’année de paiement. Une dépense est dite courante lorsqu’on ne peut raisonnablement la rattacher ou l’imputer directement à un poste de revenu correspondant. Deux ans après le jugement de première instance, la Cour d’appel fédérale a jugé, dans Canada c. Canderel, que ces paiements ne constituent pas des dépenses courantes puisqu’ils se rapportent à une source de revenu précise et qu’ils peuvent et doivent, par conséquent, « s’y raccorder » aux fins de l’impôt. L’intimée soutient que l’affaire Canderel a été incorrectement jugée en ce qu’elle a pour effet de rendre le paragraphe 18(9) superflu et sans objet. Qu’avant la décision Canderel, la pleine déductibilité dans l’année où la dépense est effectuée ou engagée était la règle générale, et que le paragraphe 18(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu qui oblige les contribuables à amortir certaines dépenses payées d’avance lorsqu’elles se rapportent à plus d’une année d’imposition, codifie la règle générale tout en énumérant les exceptions. Et que c’est à l’égard de ces seules exceptions précises que le paragraphe 18(9) interdit au contribuable de déduire la totalité de la dépense dans l’année où elle est effectuée ou engagée. La liste de ces exceptions ne comprend pas les paiements incitatifs aux locataires. L’intimée fait valoir par ailleurs que le ministre n’a pas réussi à prouver que l’amortissement des paiements incitatifs aux locataires sur la durée respective des baux reflète plus fidèlement le revenu du contribuable et, donc, que celui-ci a le droit de déduire la dépense totale conformément aux principes comptables généralement reconnus en vigueur au moment du versement de ces montants.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
Le paragraphe 18(9) ne vise pas à codifier la prétendue règle générale instituant la déductibilité totale de toutes les dépenses dans l’année même où elles sont effectuées ou engagées, mais à préciser qu’à l’égard de certaines dépenses payées d’avance, les contribuables seraient tenus d’appliquer la méthode de comptabilité d’amortissement pour calculer le bénéfice aux termes de l’article 9.
La publication d’une exception judiciaire à une règle n’est pas de nature à rendre superflues les exceptions que prévoit la Loi. Tout au plus, la décision Canderel a eu pour effet d’ajouter une exception à la liste des dépenses que la Loi assujettit à la méthode d’amortissement.
Les dépenses payées d’avance comme celles dont fait état le paragraphe 18(9) ne sont pas toujours des dépenses non courantes. Les dépenses payées d’avance peuvent être amorties sur un nombre d’années, mais il ne s’ensuit pas qu’elles peuvent se raccorder à une source de revenu déterminée. Par exemple, le paragraphe 18(9) prévoit que les loyers et les contrats de service payés d’avance doivent être reportés et amortis peu importe qu’ils puissent être classifiés comme dépense courante. La règle énoncée dans Canderel ne vide pas de son sens le paragraphe 18(9).
Pour ce qui est de l’argument subsidiaire, il ne s’agit pas de savoir laquelle des trois options relatives aux PCGR reflète plus fidèlement les bénéfices du contribuable, mais plutôt d’établir si la dépense en question peut se raccorder à une source de revenu déterminée. Dans l’affirmative, elle doit faire l’objet d’amortissement.
Puisque l’option de reconduction relève exclusivement de la volonté du locataire, et que l’exercice de cette option n’est que simple conjecture, les paiements incitatifs aux locataires doivent se raccorder au revenu pour le terme initial du bail en vertu duquel le locataire est tenu de payer un loyer.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 9, 18(9) (édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 9).
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 18(9) (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. VIII, art. 8; 1995, ch. 3, art. 6).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE :
Canada c. Canderel Ltd., [1995] 2 C.F. 232 [1995] 2 C.T.C. 22; (1995), 95 DTC 5101; 179 N.R. 134 (C.A.); demande d’autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée [1995] 3 R.C.S. v.
DÉCISION EXAMINÉE :
Cummings (J L) c La Reine, [1981] CTC 285; (1981), 81 DTC 5207; 37 N.R. 574 (C.A.F.).
DÉCISIONS CITÉES :
Le ministre du Revenu national c. Tower Investment Inc., [1972] C.F. 454; [1972] CTC 182; (1972), 72 DTC 6161 (1re inst.); Associated Investors of Canada Ltd. v. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C.É. 96; [1967] C.T.C. 138; (1967), 67 DTC 5096; Naval Colliery Company, Limited v. Commissioners of Inland Revenue (1928), 12 T.C. 1017 (K.B.); Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695; (1993), 110 D.L.R. (4th) 470; 19 C.R.R. (2d) 1; [1994] 1 C.T.C. 40; 94 DTC 6001; 161 N.R. 243; Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 2336; (1994), 94 DTC 1133 (C.C.I.).
DOCTRINE
Lewin, R. « Tax Treatment of Lease Inducements and At-Risk Rules and the New Limited Recourse Debt Rules » in Corporate Management Tax Conference, 1995. Real Estate Transactions : Tax Planning for the Second Half of the 1990s. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1995.
Revenu Canada, Impôt. Bulletin d’interprétation IT-417R. Ottawa : Revenu Canada, le 5 juillet 1982.
APPEL du jugement de la Section de première instance (Toronto College Park Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 194; (1993), 94 DTC 6172; 71 F.T.R. 30 (C.F. 1re inst.)) qui a conclu que certains « paiements incitatifs aux locataires » étaient des « dépenses courantes » et, par conséquent, entièrement déductibles dans l’année de paiement. Appel accueilli.
AVOCATS :
J. S. Gill et David E. Spiro pour l’appelante.
Michael E. Barrack et Thomas B. Akin pour l’intimée.
PROCUREURS :
Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.
McCarthy, Tétrault, Toronto, pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Robertson, J.C.A. : Il s’agit de l’appel d’un jugement de la Section de première instance accueillant l’appel du contribuable, partie intimée, portant sur une cotisation établie par le ministre du Revenu national relativement à l’année d’imposition 1983. Dans la décision du tribunal de première instance, maintenant publiée dans [1994] 1 C.T.C. 194, le juge du procès a conclu que certains « paiements incitatifs aux locataires » effectués par l’intimée étaient des « dépenses courantes » et, par conséquent, entièrement déductibles dans l’année de paiement. En droit, une dépense est dite courante lorsqu’on ne peut raisonnablement la rattacher ou l’imputer directement à un poste de revenu correspondant. En concluant que les paiements incitatifs constituaient des « dépenses courantes », le juge du procès s’est principalement appuyé sur une décision antérieure de la Cour dans l’affaire Cummings (J L) c La Reine , [1981] CTC 285 (C.A.F.), où la Cour a qualifié de dépense courante un paiement effectué par un contribuable pour indemniser un locataire éventuel à l’égard de sa responsabilité découlant de la résiliation d’un bail en vigueur—un paiement pour reprise de bail. Le jugement Cummings remonte à 1981 alors que la décision portée aujourd’hui en appel a été rendue en 1993. Deux ans plus tard, la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c. Canderel Ltd., [1995] 2 C.F. 232(autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée le 17 août 1995 [[1995] 3 R.C.S. v]), a été chargée d’étudier le traitement fiscal qu’il fallait accorder aux paiements incitatifs aux locataires.
Dans l’arrêt Canderel, la Cour d’appel a décidé que ces paiements ne constituent pas des dépenses courantes puisqu’ils se rapportent à une source de revenu précise et qu’ils peuvent et doivent, par conséquent, « s’y raccorder » aux fins de l’impôt (voir le juge Stone, à la page 239 avec l’appui du juge Robertson). En supposant que le loyer demeure constant pendant la durée du bail, le raccord peut se faire par voie d’amortissement (voir le juge Desjardins, à la page 270). La Cour a fait une distinction d’avec la décision Cummings en arguant que le fait de qualifier de dépense courante un paiement pour reprise de bail était une opinion incidente. Dans cette affaire, la Cour était saisie de la seule question de savoir si le paiement pour reprise de bail était fait au titre du capital ou à celui du revenu.
La position de l’appelante est claire et nette. Si l’on s’en tient à l’interprétation de la loi telle qu’énoncée dans Canderel, lorsqu’elle vient à calculer son bénéfice en application de l’article 9 de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] (la Loi), l’intimée n’est pas admise à déduire intégralement les deux paiements incitatifs aux locataires dans l’année d’imposition où elle les a effectués. Ces paiements doivent plutôt être reportés et amortis sur la durée respective de chaque bail. En l’espèce, l’un de ces baux s’étend sur 20 ans avec option de renouvellement pour cinq autres années, l’autre, sur 11 ans et cinq mois. (Voir ci-dessous, le traitement fiscal possible relatif à une période de reconduction.) Plus précisément, l’appelante maintient que les paiements incitatifs aux locataires doivent être [traduction] « contrebalancés » par des revenus ou [traduction] « s’y raccorder » pour la durée respective des baux au lieu d’être entièrement déduits dans l’année du paiement. Il est évident qu’il s’agit dans ce cas-ci d’une question de choix du moment et l’ironie veut qu’en raison de la décision de la Cour dans l’affaire Canderel , l’intimée a été obligée de jouer le rôle de protagoniste. Ainsi, le succès du présent appel dépend de la validité de ses arguments.
La position de celle-ci est également claire et nette. L’affaire Canderel a été [traduction] « incorrectement » jugée, la Cour ayant omis, en se prononçant sur la question, de tenir compte de l’effet du paragraphe 18(9) [édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 9] de la Loi. L’intimée fonde son argument sur l’économie de la Loi qui autorise la déduction des paiements incitatifs dans l’année où ils sont effectués ou engagés. À son avis, la décision Canderel a pour effet de porter atteinte à cette économie en rendant cette disposition [traduction] « superflue » et [traduction] « sans objet ». Assez curieusement, cet argument paraît avoir été soulevé devant la Cour de l’impôt dans l’affaire Canderel, mais le juge de ce tribunal n’en a pas tenu compte : voir Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 2336 (C.C.I.). Il est également évident que cet argument n’a pas été repris devant la Cour d’appel.
L’intimée fait valoir, par ailleurs, que dans les circonstances de l’espèce, le ministre n’a pas réussi à prouver que l’amortissement des paiements incitatifs aux locataires sur la durée respective des baux, reflète plus fidèlement le revenu du contribuable et, donc, que celui-ci a le droit de déduire la dépense totale conformément aux principes comptables généralement reconnus (PCGR) en vigueur au moment du versement de ces montants. J’aborderai, à tour de rôle, chacune de ces observations.
L’intimée a déclaré que la règle énoncée dans Canderel faisait du paragraphe 18(9) une disposition superflue ou sans objet et, par conséquent, que la décision rendue dans cette cause doit nécessairement, être tenue pour erronée. L’argument repose initialement sur l’interprétation que donne le contribuable de la loi telle qu’elle existait avant Canderel. Cette interprétation était la suivante : si une dépense est classifiée comme dépense courante, un contribuable doit la déduire entièrement dans l’année du versement. La seule exception, dit-on, survient lorsqu’un montant payé n’est pas défini comme dépense au moment où il a été engagé, mais qu’il le devient par la suite. Les cas de Le ministe du Revenu national c. Tower Investment Inc., [1972] C.F. 454 (1re inst.) et Associated Investors of Canada Ltd. v. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C.É. 96, respectivement, ont été cités à l’appui de ces propositions. En ce qui concerne toutes les autres dépenses, l’avocat de l’intimée maintient que le contribuable peut, au choix, soit déduire la dépense dans l’année où elle a lieu, soit la reporter et l’amortir. Dans sa plaidoirie, l’avocat a également fait valoir que la décision du contribuable quant à la déduction dans l’année où le paiement a lieu, n’est toujours pas affectée par les PCGR. Dans ses observations écrites, l’intimée a adopté la position selon laquelle les contribuables ont le droit de calculer leur revenu conformément aux principes généralement reconnus et, lorsque plus d’une méthode de calcul s’offre à eux, ils gardent l’option de retenir l’une d’elles quel que soit le genre de dépense dont il s’agit : voir l’exposé des faits et du droit présenté par l’intimé, au paragraphe 21. Toutefois, je ne crois pas qu’il faille, pour trancher cet appel et étudier l’argument de l’intimée sur le fond, résoudre cette apparente contradiction.
En résumé, l’intimée maintient qu’avant l’affaire Canderel, les contribuables n’étaient pas tenus, normalement, de reporter ou d’amortir les dépenses courantes, la pleine déductibilité dans l’année où la dépense est effectuée ou engagée étant la règle générale. En outre, celle-ci, a-t-on ajouté, est maintenant codifiée au paragraphe 18(9) de la Loi [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. VIII, art. 8; 1995, ch. 3, art. 6)] qui s’énonce ainsi :
18. …
(9) Malgré les autres dispositions de la présente loi :
a) dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition tiré d’une entreprise ou d’un bien (à l’exclusion du revenu tiré d’une entreprise calculé selon la méthode permise par le paragraphe 28(1)), il n’est accordé aucune déduction au titre d’une dépense dans la mesure où il est raisonnable de la considérer comme engagée ou effectuée, selon le cas :
(i) en contrepartie de services à rendre après la fin de l’année,
(ii) à titre ou en paiement intégral ou partiel d’intérêts, d’impôts ou de taxes (à l’exclusion des taxes imposées sur les primes d’assurance), de loyer ou de redevances visant une période postérieure à la fin de l’année,
(iii) en contrepartie d’assurance visant une période postérieure à la fin de l’année, mais non :
(A) en contrepartie de réassurance, dans le cas où le contribuable est un assureur,
(B) en contrepartie d’assurance sur la tête d’un particulier aux termes d’une police d’assurance-vie collective temporaire, dans le cas où tout ou partie de la contrepartie se rapporte à de l’assurance qui vise ou viserait, si le particulier survivait, une période qui prend fin plus de treize mois après le paiement de la contrepartie.
b) la fraction de chaque dépense engagée ou effectuée (sauf celle d’une société, d’une société de personnes ou d’une fiducie au titre ou en règlement total ou partiel d’intérêts) qui, sans l’alinéa a), serait déductible dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition est déductible dans le calcul de son revenu pour l’année postérieure à laquelle il est raisonnable de considérer qu’elle se rapporte; [Non souligné dans le texte original.]
On s’entend généralement pour dire que la disposition qui précède a pour effet juridique d’obliger les contribuables à amortir certaines dépenses payées d’avance lorsqu’elles se rapportent à plus d’une année d’imposition. L’avocat de l’intimée a souligné que le paragraphe 18(9) codifie la règle générale tout en énumérant les exceptions. C’est à l’égard de ces seules exceptions précises qu’il est interdit au contribuable de déduire la totalité de la dépense dans l’année où elle est effectuée ou engagée. La liste de ces exceptions ne comprend pas, bien sûr, les paiements incitatifs aux locataires. Sur cette toile de fond, l’intimée a fait valoir que si la règle énoncée dans Canderel impose l’amortissement automatique de ces paiements incitatifs, le paragraphe 18(9) devient superflu et les mots « sans l’alinéa a) » de cette disposition [traduction] « n’ont plus de sens ». Je ne peux, pour plusieurs raisons, souscrire à cette proposition.
La faille que présente initialement l’argument de l’intimée trouve sa source dans la croyance erronée que le paragraphe 18(9) visait à codifier la prétendue règle générale instituant la déductibilité totale de toutes les dépenses dans l’année même où elles sont effectuées ou engagées. L’explication plus plausible est que le Parlement a voulu nettement préciser qu’à l’égard de certaines dépenses payées d’avance, les contribuables seraient tenus d’appliquer la méthode de comptabilité d’exercice ou celle d’amortissement pour calculer le bénéfice aux termes de l’article 9 de la Loi. De fait, ils sont obligés de reporter et d’amortir les dépenses payées d’avance désignées au paragraphe 18(9) sur la période à quoi elles s’appliquent raisonnablement. Que l’objectif sous-jacent au paragraphe 18(9) vise à écarter toute ambiguïté est confirmé davantage par le Bulletin d’interprétation IT-417R du ministère du Revenu national qui porte notamment ce qui suit :
2. En règle générale, les contribuables sont tenus d’utiliser la méthode de comptabilité d’exercice pour calculer le revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien, comme il est stipulé à l’article 9. Pour le calcul du revenu aux fins de l’impôt, le Ministère exige que la comptabilisation des dépenses payées d’avance et des frais reportés soit conforme au principe de raccord, comme l’exigent les principes comptables généralement reconnus, sous réserve de toute autre disposition contraire de la Loi.
3. Pour éliminer toute incertitude, le paragraphe 18(9) de la Loi est entré en vigueur le 26 février 1981, avec effet rétroactif au 11 décembre 1979. Selon le paragraphe, un contribuable est tenu de raccorder certaines dépenses précises à l’année d’imposition à laquelle elles peuvent raisonnablement s’appliquer. Le Ministère est d’avis que le paragraphe 18(9) a été adopté par souci de précision et que, même si ce paragraphe ne traite pas des frais reportés ou de tous les genres de dépenses qui peuvent être payées d’avance, la Loi de l’impôt sur le revenu (même avant l’adoption du paragraphe 18(9)) a toujours stipulé et continue à stipuler que tous les coûts qui se rapportent de façon évidente à des périodes ultérieures soient imputés à ces périodes, si elles sont importantes et si le défaut de reporter la dépense affecte le profit net non seulement pour l’année au cours de laquelle les dépenses ont été engagées mais également au cours de l’année ou des années ultérieures auxquelles le bénéfice se rapporte.
L’argument selon lequel la décision Canderel a eu pour effet de rendre superflu le paragraphe 18(9), pêche aussi par au moins un autre aspect important. En supposant, sans en décider, que la règle générale est celle qu’énonce l’intimée, il ne s’ensuit pas que la publication d’une exception judiciaire à une règle soit de nature à rendre superflues les exceptions que prévoit la loi. On peut dire, tout au plus, que la décision prise dans ladite affaire a eu pour effet d’ajouter une exception à la liste des dépenses que la Loi assujettit à la méthode d’amortissement. En y réfléchissant davantage cependant, l’argument de superfluité part très probablement de l’hypothèse que les dépenses payées d’avance et les paiements incitatifs aux locataires tombent dans la même catégorie, c’est-à-dire, celle des dépenses non courantes. Il est probablement loisible de soutenir que Canderel appuie la proposition voulant que les dépenses susceptibles de raccord doivent être amorties et, partant, qu’il est inutile que le paragraphe 18(9) énumère d’autres genres de dépenses qui répondent à ce critère. La règle énoncée dans Canderel serait assez large pour englober les exceptions prévues par la Loi, les rendant ainsi superflues.
À mon avis, le vice qui entache cet argument trouve son origine dans l’hypothèse erronée que les dépenses payées d’avance comme celles dont fait état le paragraphe 18(9) sont, ou pourraient être, rangées parmi les dépenses non courantes à l’instar des paiements incitatifs aux locataires. Nul doute que les dépenses payées d’avance peuvent être amorties sur un nombre d’années, mais il ne s’ensuit pas qu’elles peuvent se raccorder à une source de revenu déterminée. En bref, le simple fait qu’une dépense soit amortissable ne signifie pas qu’elle peut se raccorder. Le paragraphe 18(9) donne deux exemples illustrant le bien-fondé de cette distinction.
Le sous-alinéa 18(9)a)(ii) exige que les loyers payés d’avance soient amortis sur la période à laquelle ils se rapportent. Il est difficile d’envisager une situation où le paiement de frais généraux, comme le loyer, pourrait raisonnablement ou directement être attribué à la production d’un revenu donné, c’est-à-dire se raccorder à un poste de revenu correspondant, contrairement aux dépenses d’ordre général engagées pour gagner un revenu futur et incertain. On peut soutenir qu’il est improbable qu’un loyer payé d’avance puisse tomber dans la catégorie des dépenses non courantes et, en conséquence, que son amortissement, bien que possible, ne soit pas exigé, n’eut été le paragraphe 18(9) de la Loi.
De même, le sous-alinéa 18(9)a)(i) a trait aux contrats de service payés d’avance, ce qui comprend, par exemple, un contrat de deux ans pour les réparations et l’entretien d’un immeuble. Voilà l’exemple classique d’une dépense fixe qui ne peut directement se rapporter à une source de revenu précise : voir Naval Colliery Company, Limited v. Commissioners of Inland Revenue (1928), 12 T.C. 1017 (K.B.), à la page 1027. C’est certainement vrai si le contribuable occupait lui-même l’immeuble en question et ce l’est également si l’immeuble est donné en location. Encore une fois, le paragraphe 18(9) a pour effet d’exiger que cette sorte de dépense payée d’avance soit reportée et amortie peu importe qu’elle puisse être classifiée comme dépense courante. Je suis donc d’avis que la règle énoncée dans Canderel ne vide pas de son sens le paragraphe 18(9) et, par conséquent, l’argument de l’intimé ne doit pas pour cette raison, être retenu, ce qui m’amène à l’autre argument.
L’intimée allègue finalement que le ministre n’a pas réussi à établir que le report et l’amortissement des paiements incitatifs aux locataires reflètent [traduction] « plus fidèlement » le revenu net du contribuable par comparaison avec les méthodes de passation par profits et pertes et de capitalisation. Elle table sur le fait qu’il a été convenu, durant l’instruction de l’affaire, que les PCGR permettaient le report, la passation par pertes et profits ou la capitalisation des paiements incitatifs aux locataires et qu’aucune des parties n’aurait à prouver laquelle de ces trois options était préférable. Que la preuve incombe au ministre d’établir que la méthode du report reflète plus fidèlement le revenu de l’intimée découlerait du fait qu’en établissant la nouvelle cotisation, le ministre a considéré les paiements incitatifs aux locataires comme des dépenses d’immobilisations admissibles, alors qu’à l’instance, il a soutenu que ces paiements devraient s’étaler sur la durée respective des baux, y compris toute période de reconduction. L’intimée déclare que, par ce changement d’attitude, le ministre a pris sur lui de fournir des preuves à l’appui de sa position. À mon sens, cet argument lui aussi ne tient pas.
D’après l’analyse faite dans Canderel, il ne s’agit pas de savoir laquelle des trois options relatives aux PCGR reflète plus fidèlement les bénéfices ou le revenu net du contribuable, mais plutôt d’établir si la dépense en question peut se raccorder à une source de revenu déterminée. Dans l’affirmative, elle doit faire l’objet d’amortissement. Dans l’affaire Canderel, la Cour a unanimement conclu que les paiements incitatifs aux locataires pouvaient effectivement se raccorder et, par conséquent, que « [l]a méthode de la prise en charge par amortissement est la seule méthode acceptable aux fins de l’impôt sur le revenu » (le juge Desjardins, J.C.A., à la page 270). Cette conclusion est tenue pour une règle de droit et ne peut être altérée par quelque témoignage autorisé qu’on aurait pu produire quant à l’à-propos ou à l’opportunité de l’une quelconque des options décrites dans les PCGR. Comme on le sait pertinemment, le calcul des « bénéfices », aux termes de l’article 9 de la Loi, est une question de droit : voir Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la page 723.
Je note, incidemment, que les documents déposés à la Cour signalent que depuis 1990, les PCGR prescrivent ce qui suit : [traduction] « Lorsque les coûts se rapportent à la négociation et à l’exécution d’un bail déterminé et que leur durée utile ne dépasse pas celle du bail auquel ils se rattachent, ils devraient être pris en charge par amortissement » : voir R. Lewin, « Tax Treatment of Lease Inducements and At-Risk Rules and the New Limited Recourse Debt Rules », dans Real Esate Transactions : Tax Planning for the Second Half of the 1990s, Corporate Management Tax Conference, 1995 (Association canadienne d’études fiscales, 1995), à la page 5 :4. Que la Cour ait abouti dans Canderel à la même conclusion, quoique par une voie différente, témoigne de ce que la législation fiscale et les principes comptables peuvent, à l’occasion, aller de compagnie.
Une autre question a été abordée succinctement au cours des plaidoiries, sans être reprise par les parties. Bien qu’elle puisse être pertinente ou ne pas l’être au regard de l’issue finale de la présente cause, une brève discussion se justifie à ce sujet. L’appelante veut obtenir un jugement déclarant que les paiements incitatifs aux locataires doivent être [traduction] « contrebalancés » par des revenus (ou « s’y raccorder ») pour les durées respectives des baux ». Même si l’appelante a le droit d’obtenir un tel jugement, conformément à la règle de loi énoncée dans Canderel, rien ne précise que la durée du bail comportant l’option de reconduction, devrait comprendre cette option. Si j’étais appelé à trancher la question, j’y répondrais par la négative. Du fait que l’option de reconduction relève exclusivement de la volonté du locataire et non de celle de l’intimée, et que l’exercice de cette option n’est que simple conjecture, il semble logique et pratique que les paiements incitatifs aux locataires se raccordent au revenu pour le terme initial du bail en vertu duquel le locataire est tenu de payer un loyer.
Il faut enfin signaler que, par ordonnance de la Cour, l’audition de cet appel a eu lieu conjointement avec les appels portant les nos de greffe A-349-94 et A-350-94. Une copie des présents motifs y sera déposée après quoi ils s’appliqueront aux susdits jugements.
Pour les motifs qui précèdent, les appels seront accueillis et assortis d’un mémoire de frais. Les jugements de la Section de première instance datés du 3 juin 1994 seront annulés et les cotisations renvoyées au ministre pour qu’il les examine de nouveau et établisse de nouvelles cotisations en conformité avec les présents motifs.
Le juge Strayer, J.C.A. : J’y souscris.
Le juge suppléant Chevalier : J’y souscris.