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[1997] 2 C.F. 719

T-1918-95

Groupe G. Tremblay Syndics Inc. et Louis Drolet, syndic (requérants)

c.

Le surintendant des faillites, Georges R. Redling et le surintendant associé, politiques, programmes et normes, Marc Mayrand (intimés)

et

Le Procureur général du Canada et François A. Gouin, syndic (mis-en-cause)

T-1952-95

Gilles M. Tremblay, syndic (requérant)

c.

Le surintendant des faillites, Georges R. Redling et le surintendant associé, politiques, programmes et normes, Marc Mayrand et Pierre Lecavalier, ès-qualité d’administrateur associé du bureau du surintendant des faillites et le Procureur général du Canada (intimés)

Répertorié : Groupe G. Tremblay Syndics Inc. c. Canada (Surintendant des faillites) (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer —Montréal, 20 janvier; Ottawa, 12 mars 1997.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le surintendant associé des faillites a décidé de prendre possession des dossiers qu’administraient les requérants pour les confier à un gardien, jusqu’à la fin de l’enquête et de l’audition disciplinaireIl s’agissait d’unedécisionselon le sens donné à cette expression à l’art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédéraleElle affectait les droits des requérants de façon définitive en ce que les dossiers saisis ne pouvaient vraisemblablement leur être remis qu’à la fin du processus disciplinaireL’administration des dossiers saisis sera probablement complétée au moment où se terminera ce processus.

Droit administratif Contrôle judiciaire Le surintendant associé des faillites a pris possession des dossiers qu’administraient les requérants pour les confier à un gardien, jusqu’à la fin de l’enquête et de l’audition disciplinaireIl n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire à des fins impropres, de mauvaise foi ou de façon arbitraire, injuste ou déraisonnableL’art. 14.03 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité autorise l’émission de mesures conservatoires dans le but de protéger l’intérêt publicObligation d’agir rapidement pour protéger les actifsLes requérants n’ont pas profité des nombreuses occasions qu’ils ont eues de fournir des explications sur les manquements reprochésL’art. 18.1(4) de la Loi de la Cour fédérale permet la révision des conclusions de faits lorsqu’elles ne sont pas supportées par la preuve ou lorsqu’une évaluation de la preuve dans son ensemble démontre que la conclusion est déraisonnableCompte tenu de la preuve établissant la gravité des manquements dans l’administration des dossiers, la décision de prendre des mesures conservatoires efficaces était raisonnable.

Faillite Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le surintendant associé des faillites a décidé, aux termes de l’art. 14.03 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, de prendre possession des dossiers qu’administraient les requérants pour les confier à un gardien, jusqu’à la fin de l’enquête et de l’audition disciplinaireRapport du vérificateur faisant état de manquements gravesLa GRC enquêtait également relativement à la conduite des requérantsCompte tenu de la gravité des irrégularités reprochées, la prise de possession visait à protéger les dossiers d’actifsUne fois le lien de confiance brisé, le surintendant associé n’avait d’autre choix que de prendre possession de l’ensemble des dossiers, vu le rapport fiduciaire entre les syndics et leurs clientsLe pouvoirde sauvegardedes actifs prévu à l’art. 14.03 n’a pas été utilisé commerécupérationde dossiers d’actifsMesures conservatoires prises pour prévenir la survenance de nouveaux manquements.

Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le surintendant associé des faillites a décidé, aux termes de l’art. 14.03 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, de prendre possession des dossiers qu’administraient les requérants pour les confier à un gardien, jusqu’à la fin de l’enquête et de l’audition disciplinaireLe droit à la liberté inclut le droit d’exercer une professionCette question ne se soulevait pas dans le présent dossier puisque les mesures conservatoires n’ont pas affecté l’existence et la validité de la licence de syndicL’art. 14.03 ne concerne pas le droit à l’exercice d’une professionLa théorie de l’imprécision ne pouvait trouver application, car les circonstances pouvant donner lieu à des mesures conservatoires y sont énumérées ainsi que le but poursuivi, et il constitue un guide suffisant pour donner lieu à un débat judiciaire.

Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le surintendant associé des faillites a décidé, aux termes de l’art. 14.03 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, de prendre possession des dossiers qu’administraient les requérants pour les confier à un gardien, jusqu’à la fin de l’enquête et de l’audition disciplinaireLa prise de possession constituait une saisieLe requérant n’ayant pas consenti librement et volontairement à la saisie, il n’a pas renoncé à la garantie énoncée à l’art. 8Les art. 14.01, 14.02 et 14.03 ont pour objet la supervision de la conduite administrative des syndicsLes documents administrés par des syndics sont publicsL’expectative de vie privée est moindre que celle qui se rattache à des documents de nature personnelle et privéeL’application rigoureuse des critères établis par la C.S.C. dans Hunter et autres c. Southam Inc. n’est pas nécessaire pour déterminer si une saisie est raisonnableIl s’agit d’établir un équilibre entre l’expectative raisonnable de vie privée et la gravité de l’intrusionPuisqu’il s’agissait d’une perquisition dans les locaux privés qui n’est pas exécutée dans le cadre d’une inspection réglementaire, le degré d’intrusion était plus grandIl doit exister des motifs raisonnables de croire que les mesures conservatoires impliquant une perquisition ou une saisie permettront la « sauvegarde » des dossiers d’actifsPour autant qu’il autorise des mesures conservatoires de la nature d’une saisie en l’absence de motifs raisonnables de croire que celles-ci permettront la sauvegarde des dossiers, l’art. 14.03(1)b) viole la garantie énoncée à l’art. 8 de la CharteEn l’espèce, il existait des motifs raisonnables de croire que les mesures conservatoires permettraient la sauvegarde des dossiers d’actifs.

Interprétation des lois L’art. 14.03(1)b) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité viole la garantie énoncée à l’art. 8 de la Charte dans la mesure où il autorise l’émission de mesures conservatoires de la nature d’une saisie en l’absence de motifs raisonnables de croire que ces mesures permettront la sauvegarde des dossiers d’actifs — « Interprétation atténuée » de l’art. 14.03(1)b) de façon à ne pas autoriser les mesures conservatoires de la nature d’une « saisie » lorsque le surintendant, ou son délégué, n’a pas de motifs raisonnables de croire qu’elles permettront la sauvegarde des dossiers d’actifs.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le surintendant associé des faillites a décidé de prendre possession des dossiers qu’administraient les requérants pour les confier à un gardien, jusqu’à la fin de l’enquête et de l’audition disciplinaire portant sur leur conduite et leur administration. Louis Drolet, un syndic de faillite, a fait l’objet de nombreuses plaintes de manquement professionnel déposées au Bureau du surintendant des faillites, à Québec. Pendant que l’enquête et l’audition disciplinaire avaient lieu, M. Drolet a proposé à M. Tremblay la création d’un nouveau syndic corporatif, Groupe G. Tremblay Syndics Inc. Il consentait à ce que sa licence de syndic de faillite soit suspendue pour une période d’un an. Sa proposition avait été acceptée, mais elle n’avait pas encore été approuvée par le surintendant lorsque les dossiers ont été transférés au Groupe G. Tremblay. Il est ressorti d’une vérification ultérieure que le traitement de certains des dossiers avait présenté des lacunes, mais celles-ci n’ont pas été rapportées à M. Daviault, le délégué du surintendant chargé de rendre une décision quant à la licence de syndic du requérant, M. Drolet, qui a par la suite entériné l’entente de 1994. Le 6 avril 1995, un comité disciplinaire a été formé pour enquêter quant à l’administration et aux activités du Groupe G. Tremblay. De même, la GRC avait débuté des enquêtes sur l’administration et les activités de MM. Drolet et Tremblay et du Groupe G. Tremblay. Le 31 août, des mandats de perquisition autorisant la saisie de 18 dossiers du Groupe G. Tremblay ont été délivrés. Les requérants ont reçu le même jour une lettre préparée par le surintendant associé les informant de la décision qu’il avait prise d’émettre des instructions visant à protéger tous les actifs administrés par le Groupe G. Tremblay et ce, jusqu’à ce que se termine l’enquête en cours et à confier les dossiers d’actifs à un gardien. Les instructions de mesures conservatoires furent émises en vertu des alinéas 14.03(1)b) et 14.03(2)b), lesquels disposent que, dans le cadre d’une enquête tenue en vertu de l’alinéa 5(3)e), le surintendant peut donner instruction à quiconque de prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde des dossiers d’actifs.

Les questions en litige étaient les suivantes : 1) la décision du surintendant associé constituait-elle une décision selon le sens donné à cette expression à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale?; 2) le surintendant associé a-t-il excédé sa juridiction en outrepassant les limites intrinsèques du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 14.03?; 3) a-t-il utilisé ce pouvoir discrétionnaire à des fins impropres, de mauvaise foi ou de façon arbitraire, injuste ou déraisonnable; 4) était-il tenu de respecter les règles de justice naturelle?; 5) la prise de possession contrevenait-elle à l’article 7 de la Charte en ce qu’elle portait atteinte à la liberté des requérants sans que ne soient respectés les principes de justice fondamentale?; 6) l’article 14.03 était-il contraire à l’article 7 de la Charte parce que trop vague et imprécis?; 7) la prise de possession constituait-elle une saisie ou une perquisition selon le sens donné à cette expression à l’article 8 de la Charte?; 8) l’article 14.03 était-il contraire à la garantie énoncée à l’article 8 de la Charte en matière de fouilles, perquisitions et saisies abusives et, dans l’affirmative, cette violation était-elle rachetée par le jeu de l’article premier?; 9) quelle était la réparation appropriée?

Jugement : les demandes doivent être accueillies en partie. L’alinéa 14.03(1)b) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité est inopérant dans la mesure où il autorise l’émission de mesures conservatoires de la nature d’une « saisie » en l’absence de motifs raisonnables de croire que ces mesures permettront la « sauvegarde » des dossiers d’actifs. Il existait, en l’espèce, des motifs raisonnables de croire que les mesures conservatoires permettraient d’assurer la « sauvegarde » des dossiers d’actifs.

1) La décision du surintendant associé constituait une décision selon le sens donné à cette expression à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Elle affectait les droits des requérants de façon définitive en ce que les dossiers saisis étaient administrés par un représentant du surintendant et ne pouvaient vraisemblablement leur être remis qu’à la fin du processus disciplinaire. D’ailleurs, dans la plupart des cas, il est probable que l’administration des dossiers saisis sera complétée au moment où se terminera le processus disciplinaire.

2) Le surintendant associé n’a pas excédé sa compétence en exerçant son pouvoir discrétionnaire. Compte tenu de la gravité des irrégularités reprochées, la prise de possession visait à assurer que les débiteurs et créanciers ne subissent aucun préjudice en attendant que l’enquête en cours soit complétée. Les mesures conservatoires n’avaient de fin autre que la sauvegarde des dossiers d’actifs. Étant donné leur rôle de fiduciaire, les syndics doivent faire preuve de la plus grande transparence dans l’administration des dossiers qui leur sont confiés. Ils gèrent le bien d’autrui pour le bénéfice de l’ensemble des créanciers. Une fois le lien de confiance brisé, le surintendant associé n’avait d’autre choix que de prendre possession de l’ensemble des dossiers. Il lui est apparu impossible de choisir certains dossiers dans lesquels les requérants auraient pu continuer à occuper sans pour autant mettre en péril l’administration des biens d’autrui. Une telle décision n’était pas déraisonnable.

Le pouvoir « de sauvegarde » des actifs prévu à l’article 14.03 n’a pas été utilisé en l’espèce comme « récupération » de dossiers d’actifs. Les gestes reprochés mettaient en péril les actifs sous l’administration et le contrôle des syndics et c’est pour prévenir la survenance de nouveaux manquements que les mesures conservatoires ont été prises.

Les instructions pour mesures conservatoires n’ont pas révoqué la décision de M. Daviault. Alors que la décision de M. Daviault avait pour objet la conduite de M. Drolet, la saisie avait été rendue nécessaire en raison des manquements de M. Tremblay et du syndic corporatif à la tête duquel il était. Les faits qui sont à la base de ces deux décisions sont survenus à deux époques différentes.

3) Les requérants auront l’occasion d’avoir une audition dans le cadre de la procédure disciplinaire au cours de laquelle ils pourront faire valoir tous leurs moyens de défense. En attendant, il était du devoir du surintendant d’agir rapidement afin d’assurer la sauvegarde des actifs. À maintes reprises, les requérants ont eu l’occasion de fournir des explications sur les divers manquements reprochés, mais ils ont négligé d’y répondre. Ils ne peuvent que se plaindre de leur propre incurie.

4) Le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale permet à la Cour de réviser les conclusions de faits lorsqu’elles ne sont pas supportées par la preuve ou lorsqu’une évaluation de la preuve dans son ensemble démontre que la conclusion est déraisonnable. La preuve a révélé que le surintendant associé avait la preuve de manquements graves dans leur administration. Compte tenu de cette preuve et de la gravité des manquements soulevés dans divers rapports, la décision du surintendant associé de prendre des mesures conservatoires efficaces pour sauvegarder les actifs sous l’administration des requérants était raisonnable.

5) L’article 7 de la Charte garantit aux sujets de droit qui peuvent en bénéficier qu’il ne sera porté atteinte à leur vie, à leur liberté et à leur sécurité qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. En l’espèce, il convenait de s’attarder seulement au droit à la liberté. Bien que le droit à la liberté inclue le droit d’exercer une profession, cette question ne se soulevait pas dans le présent dossier puisque les mesures conservatoires décrétées par le surintendant n’ont aucunement affecté l’existence et la validité de leur licence de syndic.

6) La théorie de l’imprécision trouve application à l’article 7 de la Charte que si la sanction prévue à cette disposition risque de porter atteinte à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Les mesures prévues à l’article 14.03 ne concernent pas le droit à l’exercice d’une profession. À tout événement, l’alinéa 5(3)e) et l’article 14.03 constituent « un guide suffisant pour donner lieu à un débat judiciaire ». Bien que le surintendant ait la discrétion de décider quelles mesures conservatoires seront nécessaires dans chaque situation, les circonstances pouvant donner lieu à de telles mesures y sont énumérées ainsi que le but poursuivi, soit la sauvegarde des dossiers d’actifs. La théorie de l’imprécision ne pouvait, dans ces circonstances, trouver application.

7) L’article 8 de la Charte énonce que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Il y a saisie selon le sens donné à cette expression à l’article 8 lorsque les autorités prennent une chose appartenant à une personne sans son consentement. La prise de possession du 1er septembre 1995 constituait une « saisie » au sens de l’article 8. Pour qu’une renonciation soit réelle, la personne qui est sensée avoir donné son consentement doit disposer de tous les renseignements requis. Le requérant Tremblay a estimé ne pas avoir de choix; il s’est tout simplement plié aux exigences des représentants du Bureau du surintendant qui se sont présentés à sa place d’affaires accompagnés de huissiers. Par ailleurs, les représentants du Bureau du surintendant furent précédés, ce jour là, d’agents de la GRC qui eux détenaient des mandats de perquisition délivrés par un juge de paix. Pour M. Tremblay, la perquisition menée par les représentants du Bureau du surintendant s’inscrivait dans le cadre de l’opération policière menée en matinée. Il n’a pas consenti librement et volontairement à la saisie renonçant ainsi à la garantie que l’article 8 conférait aux requérants.

8) Les articles 14.01, 14.02 et 14.03 font partie d’un ensemble de dispositions qui ont essentiellement pour objet la surveillance de l’administration et de la conduite des syndics. Le législateur cherche avant tout à protéger les tiers, qu’ils soient débiteurs ou créanciers. La nature du rôle qu’exercent les syndics rend nécessaire l’existence de telles règles. En effet ceux-ci agissent à titre de fiduciaires et, à ce titre, ils sont chargés de l’administration des biens appartenant à autrui. Les documents sous l’administration des syndics sont de par la loi des documents publics. L’expectative de vie privée qui se rattache à de tels documents, à savoir des documents produits dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise réglementée, est moindre que celle qui se rattache à des documents de nature strictement personnelle et privée. L’équilibre recherché entre les intérêts sociaux et l’expectative de vie privée des requérants, qui dans un tel contexte est faible, ne requérait pas l’application rigoureuse des critères établis par la Cour suprême du Canada dans Hunter et autres c. Southam Inc. pour déterminer si une perquisition et saisie était raisonnable. Il s’agit donc d’établir un équilibre entre l’expectative raisonnable de vie privée et la gravité de l’intrusion résultant de la saisie ou de la perquisition. L’exigence de motifs raisonnables sera inapplicable lorsqu’il s’agit de vérifications et inspections auxquelles une personne impliquée dans une activité réglementée doit raisonnablement s’attendre. De même, on se refusera à appliquer le critère lorsque son application serait injustifiée eu égard au faible degré d’intrusion. Puisqu’il s’agit, dans la présente affaire, d’une perquisition dans les locaux privés qui n’a pas été exécutée dans le cadre d’une inspection réglementaire, le degré d’intrusion était plus grand que par exemple dans le cas d’une demande de production de documents. Lorsque les mesures conservatoires impliquent une perquisition ou une saisie selon le sens donné à cette expression à l’article 8 de la Charte, elles ne peuvent avoir lieu sans des motifs raisonnables de croire qu’elles permettront la « sauvegarde » des dossiers d’actifs. Pour autant qu’il autorise des mesures conservatoires de la nature d’une « saisie » en l’absence de motifs raisonnables de croire que celles-ci permettront la « sauvegarde » des dossiers d’actifs, l’alinéa 14.03(1)b) viole la garantie énoncée à l’article 8 de la Charte. Cette violation n’est pas rachetée par le jeu de l’article premier, aucune preuve n’ayant été présentée à cet égard.

9) La réparation appropriée dans les circonstances était d’accorder une « interprétation atténuée » de l’alinéa 14.03(1)b) de façon à ne pas autoriser les mesures conservatoires de la nature d’une « saisie » lorsque le surintendant, ou son délégué, n’a pas de motifs raisonnables de croire qu’elles permettront la « sauvegarde » des dossiers d’actifs. L’interprétation atténuée rencontrait les préoccupations légitimes du législateur d’une application efficace de la loi sans pour autant empiéter sur l’exigence d’une saisie non abusive garantie à l’article 8 de la Charte. L’existence de motifs raisonnables pourra être vérifiée dans le cadre d’un contrôle judiciaire après le fait, ce qui offre une garantie suffisante contre tout abus possible du pouvoir conféré par la loi. En l’espèce, le surintendant associé avait des motifs raisonnables de croire que les mesures conservatoires permettraient d’assurer la « sauvegarde » des dossiers d’actifs. La preuve au dossier faisait état de manquements très graves, lesquels commandaient une mesure efficace et prompte pour assurer la sauvegarde des actifs appartenant aux tiers.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 8, 12.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2), art. 5(3)a) (mod., idem, art. 5), c),e), 10 (mod., idem, art. 7), 14.01 (édicté, idem, art. 9), 14.02 (édicté, idem), 14.03 (édicté, idem).

Tobacco Tax Act, R.S.O. 1980, ch. 502, art. 15.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 40 C.R.R. 100; 93 N.R. 183; Homex Realty and Development Co. Ltd. c. Corporation of the Village of Wyoming, [1980] 2 R.C.S. 1011; (1980), 116 D.L.R. (3d) 1; 13 M.P.L.R. 234; 33 N.R. 475; Bunn v. Law Society of Manitoba (1990), 63 Man.R. (2d) 210 (B.R.); Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; (1992), 114 N.S.R. (2d) 91; 93 D.L.R. (4th) 36; 313 A.P.R. 91; 74 C.C.C. (3d) 289; 43 C.P.R. (3d) 1; 15 C.R. (4th) 1; 10 C.R.R. (2d) 34; 139 N.R. 241; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031; (1995), 125 D.L.R. (4th) 385; 99 C.C.C. (3d) 97; 17 C.E.L.R. (N.S.) 129; 41 C.R. (4th) 147; 30 C.R.R. (2d) 252; 183 N.R. 325; 82 O.A.C. 243; R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145; (1994), 92 C.C.C. (3d) 404; 33 C.R. (4th) 147; 24 C.R.R. (2d) 51; 171 N.R. 1; R. v. Nielsen, [1988] 6 W.W.R. 1; (1988), 66 Sask. R. 293; 43 C.C.C. (3d) 548; 39 C.R.R. 147 (C.A.); R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154; (1995), 129 D.L.R. (4th) 129; 65 B.C.A.C. 1; 102 C.C.C. (3d) 144; 18 C.E.L.R. (N.S.) 237; 43 C.R. (4th) 343; 32 C.R.R. (2d) 234; 188 N.R. 248; 106 W.A.C. 1; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; (1992), 93 D.L.R. (4th) 1; 92 CLLC 14,036; 10 C.R.R. (2d) 1; 139 N.R. 1; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; (1988), 73 Nfld. & P.E.I.R. 13; 55 D.L.R. (4th) 503; 229 A.P.R. 13; 45 C.C.C. (3d) 244; 66 C.R. (3d) 348; 38 C.R.R. 301; 10 M.V.R. (2d) 1; 89 N.R. 249; Johnson v. Ontario (Minister of Revenue) (1990), 75 O.R. (2d) 558; 73 D.L.R. (4th) 661; 1 C.R.R. (2d) 293; 25 M.V.R. (2d) 78; 41 O.A.C. 129; 3 T.C.T. 5289 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 116 D.L.R. (4th) 333; 25 Imm. L.R. (2d) 70; 170 N.R. 58 (C.A.F.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988), 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d) 449; 62 C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. 1; 82 N.R. 1; 26 O.A.C. 1; Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123; [1990] 4 W.W.R. 481; (1990), 68 Man.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 65; 77 C.R. (3d) 1; 48 C.R.R. 1; 109 N.R. 81; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41; (1982), 132 D.L.R. (3d) 354; 65 C.C.C. (2d) 65; 26 C.R. (3d) 343; 44 N.R. 103; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; (1990), 65 D.L.R. (4th) 161; 54 C.C.C. (3d) 417; 29 C.P.R. (3d) 97; 76 C.R. (3d) 129; 47 C.R.R. 1; 106 N.R. 161; 39 O.A.C. 161.

DÉCISIONS CITÉES :

Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879; (1989), 62 D.L.R. (4th) 385; 11 C.H.R.R. D/1; 89 CLLC 17,022; 100 N.R. 241; Wilson v. British Columbia (Medical Services Commission) (1988), 53 D.L.R. (4th) 171; [1989] 2 W.W.R. 1; 30 B.C.L.R. (2d) 1; 34 Admin. L.R. 235; 41 C.R.R. 276 (C.A.C.-B.); Howard v. Architectural Inst. of B.C. (1989), 40 B.C.L.R. (2d) 315; 39 Admin. L.R. 277; 47 C.R.R. 328 (C.S.); Richardson v. Assn. of Prof. Engineers, [1990] 1 W.W.R. 709; (1989), 41 B.C.L.R. (2d) 130 (C.S.); Harvey v. Law Society of Newfoundland (1992), 93 Nfld. & P.E.I.R. 339; 88 D.L.R. (4th) 487; 2 Admin. L.R. (2d) 306; 292 A.P.R. 339 (C.S.); R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281; (1993), 145 A.R. 104; [1993] 8 W.W.R. 287; 12 Alta. L.R. (3d) 305; 84 C.C.C. (3d) 203; 24 C.R. (4th) 47; 17 C.R.R. (2d) 297; 157 N.R. 321; 55 W.A.C. 104; Belgoma Transportation Ltd. and Director of Employment Standards, Re (1985), 51 O.R. (2d) 509; 20 D.L.R. (4th) 156; 85 CLLC 14,033; 17 C.R.R. 78; 10 O.A.C. 11 (C.A.); R. v. Ezzeddine (M.) (1996), 183 A.R. 37; [1996] 6 W.W.R. 684; 38 Alta. L.R. (3d) 385 (B.R.); R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223; [1993] 8 W.W.R. 257; 35 B.C.A.C. 1; 84 C.C.C. (3d) 173; 24 C.R. (4th) 1; 17 C.R.R. (2d) 269; 159 N.R. 161; 57 W.A.C. 1; R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; (1990), 68 D.L.R. (4th) 568; 55 C.C.C. (3d) 530; 76 C.R. (3d) 283; 47 C.R.R. 151; [1990] 2 C.T.C. 103; 90 DTC 6243; 106 N.R. 385; 39 O.A.C. 385.

DOCTRINE

Garant, P. Droit administratif, vol. 1, 3e éd. Cowansville (Qué.) : Yvon Blais, 1991.

DEMANDES de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le surintendant associé des faillites a décidé de prendre possession des dossiers qu’administraient les requérants pour les confier à un gardien, jusqu’à la fin d’une enquête et d’une audition disciplinaire. Les demandes doivent être accueillies en partie seulement, l’alinéa 14.03(1)b) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité étant déclaré inopérant dans la mesure où il autorise l’émission de mesures conservatoires de la nature d’une « saisie » en l’absence de motifs raisonnables de croire que ces mesures permettront la « sauvegarde » des dossiers d’actifs.

AVOCATS :

Daniel Des Aulniers, Raymond Gagnon et Jean-Philippe Gervais pour les requérants.

Robert Monette et Alain Lafontaine pour les intimés et mis-en-cause.

PROCUREURS :

Jolin, Fournier, Morisset, Sainte-Foy (Québec) et Gervais& Associés, Montréal, pour les requérants.

DeBlois & Associés, Québec, et le sous-procureur général du Canada pour les intimés et mis-en-cause.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Tremblay-Lamer :

INTRODUCTION

Le présent litige soulève la question de la constitutionnalité de l’article 14.03 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[1] (ci-après LFI) qui, dans certaines circonstances expressément énumérées, permet au surintendant de prendre des mesures nécessaires pour la sauvegarde des dossiers d’actif.

C’est dans l’exercice de ce pouvoir que le surintendant associé prit possession, à l’automne 1995, des dossiers qu’administraient les requérants pour les confier à un gardien, jusqu’à la fin de l’enquête et de l’audition disciplinaire portant sur leur conduite et leur administration.

Cette prise de possession fait l’objet des présentes demandes de contrôle judiciaire.

LES FAITS

M. Louis Drolet est l’un des requérants dans la demande de contrôle judiciaire no T-1918-95. Il exerce la profession de syndic chez Gingsberg, Gingras & Associés, syndic corporatif, depuis le 2 février 1990. De 1991 à 1993, celui-ci fit l’objet de nombreuses plaintes lesquelles furent déposées principalement au Bureau du surintendant des faillites à Québec. On lui reproche des actes dérogatoires commis dans l’administration de dossiers d’actifs, ce qui cause la fin de son association avec la firme Gingsberg, Gingras & Associés.

Mme Ginette Trahan était, à cette époque, séquestre officielle et surintendante adjointe pour le district de Québec. Suite à la réception des plaintes afférentes aux activités de M. Drolet, elle en informe le surintendant associé (politiques, programmes et normes), Me Marc Mayrand. Compte tenu de la gravité des actes dérogatoires lui étant reprochés, le surintendant associé annonce la création d’un comité disciplinaire.

Alors que ce comité procédait à l’analyse de son dossier, M. Drolet communique avec le surintendant associé afin de lui faire part d’un projet de création d’un nouveau syndic corporatif. Il soumet cette proposition afin que se règle le différend qui entoure son dossier disciplinaire. MM. Drolet et Tremblay se proposaient d’œuvrer ensemble pour le compte du Groupe G. Tremblay Syndics Inc. (ci-après le Groupe G. Tremblay). M. Drolet convenait de transférer à ce syndic corporatif nouvellement constitué tous les dossiers dans lesquels il avait occupé alors qu’il était au service de Gingsberg, Gingras & Associés. M. Tremblay devait faire de même avec ses propres dossiers. En outre, M. Drolet consentait à ce que sa licence de syndic de faillite soit suspendue pour une période d’un an débutant le 1er septembre 1994 et se terminant le 1er septembre 1995.

C’est en septembre 1994 que la proposition est finalement acceptée. Elle fait l’objet d’une entente entre M. Drolet, M. Tremblay, le surintendant associé et la firme Gingsberg, Gingras & Associés. Bien qu’il ait fait l’objet d’une vérification en 1992, le surintendant associé se dit satisfait de la compétence de M. Tremblay. L’entente devait toutefois, pour devenir pleinement exécutoire, être approuvée par le surintendant des faillites, M. Georges Redling (ci-après le surintendant). À cette fin, le surintendant associé déposa, au bureau du surintendant, un rapport recommandant que soit entérinée ladite entente. Saisi de ce rapport et de cette recommandation, le surintendant, s’autorisant des articles 14.01 [édicté, idem] et 14.02 [édicté, idem] de la LFI, délégua ses fonctions et attributions relativement à cette question à Me François Daviault. Celui-ci devait entendre les parties et rendre une décision quant à la licence de syndic du requérant, M. Drolet.

Bien que, pour devenir exécutoire, elle devait être subséquemment entérinée par le surintendant, en l’espèce par son délégué, l’entente fut néanmoins appliquée dès sa conclusion. Ainsi, dès l’automne 1994, s’amorça un transfert de dossiers à la faveur du Groupe G. Tremblay. Dès lors, les dossiers administrés par le Groupe G. Tremblay sont les suivants : (1) les dossiers dans lesquels M. Drolet avait œuvré alors qu’il était au service de Gingsberg, Gingras & Associés; (2) les nouveaux dossiers du Groupe G. Tremblay; (3) les dossiers de Québec sous la licence personnelle de M. Tremblay; et (4) les dossiers de Montréal sous la licence personnelle de M. Tremblay.

En octobre 1994, la surintendante adjointe pour le district de Québec, Mme Trahan, décide de procéder à la vérification des dossiers de Québec sous la licence personnelle de M. Tremblay. La tâche est confiée au vérificateur Laurent Lachance. Malgré les lacunes rapportées par le vérificateur, la surintendante adjointe et le surintendant associé décident de ne pas intervenir auprès du délégué Me Daviault avant qu’il ne rende sa décision.

Déjà, à la mi-mars 1995, le nouveau surintendant adjoint pour le district de Québec, M. Denis Gilbert, informe le surintendant associé du dépôt de nombreuses plaintes à l’égard du syndic corporatif Groupe G. Tremblay. Les plaintes font état non seulement des déficiences de nature administrative, tels la lenteur à émettre des certificats de libération mais aussi de manquements beaucoup plus graves.

Le 27 mars 1995, Me Daviault rend sa décision au terme de laquelle il entérine l’entente de septembre 1994.

Le 6 avril 1995, le surintendant associé convoque une réunion extraordinaire. Lors de cette réunion, s’autorisant de l’alinéa 5(3)e) de la LFI, le surintendant associé annonce la formation d’un comité d’enquête, lequel aura pour mandat d’enquêter relativement à l’administration d’actifs de M. Tremblay. Le comité reçoit également le mandat plus général d’enquêter quant à l’administration et aux activités du Groupe G. Tremblay. C’est dans ce contexte que le bureau du surintendant communique pour la première fois avec François A. Gouin, syndic. Puis, en mai 1995, à l’occasion d’une conférence de l’Association canadienne de l’insolvabilité, le surintendant associé approche personnellement M. Gouin pour discuter de ce même mandat.

De même, dans les semaines qui suivent la décision du délégué, Me Daviault, la Gendarmerie royale du Canada (ci-après la GRC) débute plusieurs enquêtes sur l’administration et les activités de MM. Drolet et Tremblay et du Groupe G. Tremblay. Certaines de ces enquêtes sont amorcées suite à l’émission de mandats d’enquête par le bureau du surintendant[2]. Les autres le sont de l’initiative même de la GRC qui donne alors suite aux plaintes qu’elle a reçues de débiteurs et de créanciers impliqués dans les dossiers gérés par les requérants.

Tout au long du mois d’août 1995, le vérificateur, M. Lachance, procède à la vérification des dossiers du Groupe G. Tremblay. L’enquête corrobore l’information déjà recueillie à l’effet que des infractions graves ont été commises.

Le 28 août 1995, le vérificateur remet à ses supérieurs son rapport sur l’administration du Groupe G. Tremblay. Ce rapport relate la totalité des éléments inquiétants qu’il a constatés dans le cadre de sa vérification soit : des appropriations de fonds, des actifs non réalisés ou réalisés à vil prix, des fausses représentations aux tribunaux ainsi qu’au séquestre officiel et la préparation de faux documents statutaires.

Le 31 août 1995, des agents de la GRC soumettent différentes dénonciations au juge Choquette de la Cour du Québec, chambre pénale. Ceux-ci cherchent alors à obtenir l’émission de mandats de perquisition. Le juge Choquette délivre ces mandats le même jour. Il les autorise à saisir dix-huit (18) des dossiers du Groupe G. Tremblay[3]. La perquisition eut lieu en matinée le lendemain.

Les requérants reçoivent le même jour une lettre préparée par le surintendant associé les informant de la décision qu’il a prise, sur la foi d’un rapport intérimaire (celui du vérificateur, M. Lachance), d’émettre des instructions visant à protéger tous les actifs administrés par le Groupe G. Tremblay et ce, jusqu’à ce que se termine l’enquête en cours. Des avis d’instructions de mesures conservatoires sont envoyés la même journée, notamment aux syndics de faillite de la région de Québec, aux institutions financières avec lesquelles le Groupe G. Tremblay faisait affaires, à Bell Canada ainsi qu’à la Société canadienne des postes. Les destinataires de ces envois sont informés du fait que les dossiers d’actifs auparavant administrés par le Groupe G. Tremblay le seront dorénavant par François A. Gouin, syndic.

Les instructions de mesures conservatoires furent émises par le surintendant associé, Me Mayrand en vertu des alinéas 14.03(1)b) et 14.03(2)b) de la LFI, lesquels disposent que, dans le cadre d’une enquête tenue en vertu de l’alinéa 5(3)e) de la LFI, le surintendant peut donner instruction à quiconque de prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde des dossiers d’actifs.

Le surintendant associé admet avoir jugé que la LFI ne l’obligeait aucunement à obtenir une autorisation judiciaire avant de procéder à la prise de possession. Compte tenu de la gravité des manquements reprochés ainsi que de la perquisition menée en matinée par les agents de la GRC, la prise de possession de l’ensemble des dossiers du Groupe G. Tremblay lui paraissait raisonnable.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Les dispositions législatives pertinentes aux fins des présentes figurent toutes à la LFI. Elles sont les suivantes :

5.

(3) Le surintendant, sans que soit limitée l’autorité que lui confère le paragraphe (2) :

a) reçoit les demandes de licences autorisant l’exercice des fonctions de syndic dans le cadre de la présente loi et délivre les licences aux personnes dont les demandes ont été approuvées;

c) lorsqu’il n’y est pas autrement pourvu, exige le dépôt d’un ou de plusieurs cautionnements continus pour garantir qu’il sera dûment rendu compte de tous les biens reçus par les syndics et assurer l’exécution régulière et fidèle de leurs fonctions dans l’administration des actifs auxquels ils sont commis, au montant qu’il peut fixer et qui est susceptible de l’augmentation ou de la diminution qu’il peut juger opportune; le cautionnement doit être en une forme satisfaisante au surintendant qui peut l’exécuter au profit des créanciers;

e) effectue ou fait effectuer les investigations ou les enquêtes, au sujet des actifs, qu’il peut juger opportunes et, aux fins de celles-ci, le surintendant, ou toute personne qu’il nomme à cet effet, a accès à tous livres, registres, documents et papiers se rattachant ou se rapportant à un actif, et a droit de les examiner;

f) reçoit et note toutes les plaintes émanant d’un créancier ou d’une autre personne intéressée dans un actif, et effectue, au sujet de ces plaintes, les investigations précises qu’il peut déterminer;

g) examine les comptes de recettes et de débours et les états définitifs des syndics.

14.01 (1) Après avoir tenu ou fait tenir une enquête sur la conduite du syndic, le surintendant peut, lorsqu’il est dans l’intérêt public de le faire, prendre telle des mesures suivantes : suspendre ou annuler la licence d’un syndic ou encore la soumettre aux conditions ou restrictions qu’il juge nécessaires.

(2) Le surintendant peut, par écrit et aux conditions qu’il précise dans cet écrit, déléguer l’une ou l’autre ou l’ensemble des mesures et des attributions que lui confèrent respectivement le paragraphe (1) et les articles 14.02 et 14.03.

(3) En cas de délégation aux termes du paragraphe (2), le surintendant ou le délégué doit :

a) dans la mesure où la délégation vise les syndics en général, en aviser tous les syndics par écrit;

b) en tout état de cause, aviser par écrit, avant l’exercice du pouvoir qui fait l’objet de la délégation ou lors de son exercice, tout syndic qui pourrait être touché par l’exercice de ce pouvoir.

14.02 (1) Lorsqu’il se propose de prendre l’une des mesures visées au paragraphe 14.01(1), le surintendant envoie au syndic un avis écrit et motivé de la mesure qu’il entend prendre et lui donne la possibilité de se faire entendre.

(2) Lors de l’audition, le surintendant :

a) peut faire prêter serment;

b) n’est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve;

c) règle les questions exposées dans l’avis d’audition avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l’équité;

d) fait établir un résumé écrit de toute preuve orale.

(3) Le dossier de l’audition comprend l’avis visé au paragraphe (1), le résumé de la preuve orale visé à l’alinéa (2)d) et la preuve documentaire reçue par le surintendant.

(4) La décision du surintendant faisant suite à l’audition, assortie de ses motifs, est rendue par écrit et remise au syndic au plus tard quatre-vingt-dix jours après la clôture de l’audition. Le surintendant, s’il l’estime dans l’intérêt public, peut rendre publique la décision après sa remise au syndic.

(5) La décision du surintendant, rendue et remise conformément au paragraphe (4), est assimilée à celle d’un office fédéral et comme telle est soumise au pouvoir d’examen et d’annulation prévu à la Loi sur la Cour fédérale.

14.03 (1) Le surintendant peut, pour assurer la sauvegarde d’un actif dans les circonstances visées au paragraphe (2), donner instruction :

a) à quiconque de s’occuper des biens de cet actif, visés dans les instructions, conformément aux modalités qui y sont indiquées;

b) à quiconque de prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la sauvegarde des dossiers de l’actif;

c) à une banque ou autre dépositaire de ne faire aucun paiement sur les fonds déposés au crédit de cet actif, si ce n’est conformément à ces instructions.

(2) Le surintendant peut exercer les pouvoirs visés au paragraphe (1) dans les circonstances suivantes :

a) le décès, la destitution ou l’incapacité du syndic responsable de l’actif;

b) la tenue par lui de l’enquête prévue à l’alinéa 5(3)e);

c) l’exercice par lui des pouvoirs visés à l’article 14.01;

d) le défaut de paiement de droits prévus au paragraphe 13.2(2) à l’égard de la licence du syndic.

(3) Les instructions énoncent la disposition législative conformément à laquelle elles sont données, lient leur destinataire et font pleinement foi de leur contenu en faveur de leur destinataire.

(4) Quiconque obtempère aux instructions données en application du paragraphe (1) échappe à toute responsabilité pour les actes posés dans le seul but de s’y conformer.

LES QUESTIONS EN LITIGE

Les questions de droit administratif :

1. Le surintendant associé a-t-il excédé sa juridiction en outrepassant les limites intrinsèques du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 14.03 de la LFI?

2. A-t-il utilisé ce pouvoir discrétionnaire à des fins impropres, de mauvaise foi ou de façon arbitraire, injuste ou déraisonnable?

3. Était-il tenu de respecter les règles de justice naturelle?

Les questions de Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] :

1. La prise de possession du 1er septembre 1995 contrevient-elle à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés en ce qu’elle porte atteinte à la liberté des requérants Drolet et Tremblay sans que ne soient respectés les principes de justice fondamentale?

2. L’article 14.03 de la LFI est-il contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés parce que trop vague et imprécis?

3. La prise de possession du 1er septembre 1995 constitue-t-elle une saisie ou une perquisition au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?

4. La prise de possession du 1er septembre 1995 constitue-t-elle une saisie abusive constitutionnellement interdite par l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?

5. L’article 14.03 de la LFI est-il contraire à la garantie énoncée à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés? Dans l’affirmative, cette violation est-elle rachetée par le jeu de l’article premier?

ANALYSE

A.        QUESTION PRÉLIMINAIRE

Les intimés soumettent tout d’abord que les « instructions de mesures conservatoires » émises le 1er septembre 1995 par le surintendant associé ne constituent pas une décision selon le sens donné à cette expression à l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale[4]. Il ne s’agit pas, de l’avis des intimés, d’une mesure qui affecte les droits des requérants de façon définitive et qui lie les parties.

À cet égard, la règle invoquée est celle qui fut formulée par la Cour d’appel fédérale à l’occasion de l’arrêt Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[5]. Dans ce dernier arrêt, la Cour, sous la plume du juge Létourneau, décida que, sauf circonstances spéciales, il ne doit pas y avoir de révision judiciaire immédiate d’un jugement interlocutoire. Les décisions à l’égard desquelles il y a ouverture à contrôle judiciaire sont celles qui adjugent sur le mérite d’une cause de façon définitive.

La décision du surintendant associé n’est pas, à mon avis, une décision interlocutoire selon le sens donné à cette expression par la jurisprudence. Il ne s’agit pas d’une décision rendue en cours d’instance par un tribunal administratif. Il s’agit d’une décision qui affecte les droits des requérants de façon définitive en ce que les dossiers saisis furent administrés par un représentant du surintendant et ne pouvaient vraisemblablement leur être remis qu’à la fin du processus disciplinaire. D’ailleurs, dans la plupart des cas, probablement, l’administration des dossiers saisis sera complétée au moment où se terminera le processus disciplinaire. Pour ces motifs, il m’apparaît que la règle de l’arrêt Szczecka[6] ne peut trouver application dans la présente affaire.

B.        LES QUESTIONS DE DROIT ADMINISTRATIF

1.         Excès de compétence

Les requérants soumettent que la décision de commencer une enquête sur l’administration d’un syndic (alinéa 5(3)e) de la LFI) et celle d’émettre des instructions de mesures conservatoires (alinéas 14.03(1)b) et 14.03(2)b) de la LFI) sont des décisions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire du surintendant. Or, il est de jurisprudence constante qu’un pouvoir de nature discrétionnaire n’est jamais absolu. En l’espèce, la décision du surintendant associé d’émettre des instructions de mesures conservatoires était contraire aux trois limites légales que connaît tout pouvoir de nature discrétionnaire.

Le surintendant associé aurait usé de sa discrétion à des fins impropres en ce que sa décision visait non pas la sauvegarde de dossiers d’actifs mais plutôt à retirer de façon définitive et irrémédiable au requérant, M. Drolet, toute possibilité d’œuvrer comme syndic. Si l’objectif du surintendant était réellement la sauvegarde de dossiers d’actifs, alors pourquoi a-t-il pris possession de tous les dossiers administrés par le Groupe G. Tremblay sans distinction?

De plus, toujours selon les requérants, des instructions de mesures conservatoires ne peuvent être émises que pour la sauvegarde de dossiers d’actifs futurs. Le « pouvoir de sauvegarde » énoncé à l’article 14.03 de la LFI ne peut, par définition, s’exercer que pour prévenir une menace imminente et future à un actif. Dans la mesure où un acte a déjà été posé, il n’est plus question de « sauvegarde » des dossiers d’actifs, mais plutôt de « récupération » d’actifs en raison de gestes ou de manquements passés.

En outre, sa décision aurait été prise de mauvaise foi. Non seulement le surintendant associé a-t-il, sans raison, jugé opportun de prendre avantage des mesures exceptionnelles jusque-là jamais appliquées, mais il les a utilisées de façon démesurée.

Enfin, la décision du surintendant serait injuste, arbitraire et discriminatoire. Alors qu’il prétend avoir pris sa décision sur la base du rapport « intérimaire » préparé par le vérificateur Lachance, la preuve démontre qu’il s’agissait en fait d’un geste planifié depuis longtemps.

Quant aux intimés, ils soumettent que le surintendant associé, puisqu’il n’a fait qu’appliquer les principes qui ressortent de l’alinéa 5(3)e) et de l’article 14.03 de la LFI, n’a aucunement excédé sa compétence. Le surintendant associé a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée, c’est-à-dire à l’intérieur des limites prévues par la LFI.

Je suis d’accord avec les requérants que l’exercice par le surintendant du pouvoir discrétionnaire prévu par la loi n’est pas absolu. La jurisprudence a, en de maintes occasions, reconnu que tout pouvoir discrétionnaire est assujetti à certaines limites légales générales[7]. Ainsi, il est établi qu’un tel pouvoir ne peut être utilisé à des fins impropres non conformes à la loi. De même, ce pouvoir ne peut être exercé de mauvaise foi ou de façon arbitraire, injuste ou déraisonnable.

Comme l’affirme le juge Lamer (il était alors juge puîné) dans l’arrêt Slaight Communications[8] :

Le Parlement ne peut pas avoir eu l’intention d’autoriser un usage si déraisonnable de la discrétion qu’il a conférée. Une discrétion, indépendamment des termes par lesquels elle est conférée, n’est jamais absolue. Il s’agit d’un principe reconnu depuis fort longtemps. H. W. R. Wade, dans son traité intitulé Administrative Law (4e éd. 1977), s’exprime ainsi aux pp. 336 et 337 :

[traduction] Il est reconnu depuis plus de trois siècles que le pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités publiques n’est pas absolu, même à l’intérieur de ses limites bien définies, mais qu’il est assujetti à des limites légales générales. Ces limites sont exprimées de plusieurs façons différentes : on dit par exemple que le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière raisonnable et de bonne foi, qu’il ne faut tenir compte que des considérations pertinentes, qu’il ne doit y avoir absolument aucune malversation, ou que la décision ne doit pas être le fruit de l’arbitraire ou du caprice. (Je souligne.)

Qu’en est-il dans la présente affaire? Le surintendant associé a-t-il passé outre aux limites légales générales auxquelles il était assujetti dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire? Je ne le crois pas.

L’article 14.03 permet au surintendant de prendre des mesures conservatoires afin d’assurer la protection des actifs de faillite. Compte tenu de la gravité des irrégularités reprochées aux requérants, la prise de possession visait à assurer que les débiteurs et créanciers ne subissent aucun préjudice en attendant que l’enquête en cours soit complétée.

Dans ces circonstances, il m’est impossible de conclure que les mesures conservatoires décrétées par le surintendant associé avaient une fin autre que la sauvegarde des dossiers d’actifs.

Quant à l’argument qu’il n’aurait pas dû prendre possession de la totalité des dossiers, au moment où la situation est devenue impérieuse, il m’est difficile de voir comment celui-ci aurait pu faire un tri et décider quels dossiers il aurait pu laisser sous l’administration des requérants. Faut-il rappeler que c’est leur capacité de s’acquitter de leur responsabilité de syndic avec intégrité qui était en jeu. Étant donné leur rôle de fiduciaire, les syndics doivent faire preuve de la plus grande transparence dans l’administration des dossiers qui leur sont confiés. Ils gèrent le bien d’autrui pour le bénéfice de l’ensemble des créanciers et ce, dans chaque dossier de faillite. Une fois le lien de confiance brisé, le surintendant associé n’avait d’autre choix que de prendre possession de l’ensemble des dossiers. Étant donné la gravité des manquements reprochés, il lui est apparu impossible de choisir certains dossiers dans lesquels les requérants auraient pu continuer à occuper sans pour autant mettre en péril l’administration des biens d’autrui. Je ne peux conclure qu’une telle décision est déraisonnable.

Quant aux mesures conservatoires concernant Bell Canada et la Société des postes, celles-ci ayant été révoquées quelques jours après qu’elles aient été émises, il n’appartient plus à cette Cour d’en étudier la validité et donc de déterminer si leur émission était conforme au pouvoir conféré par la LFI.

De même, je n’accepte pas l’argument à l’effet que le pouvoir « de sauvegarde » des actifs prévu à l’article 14.03 a ici été utilisé comme « récupération » de dossiers d’actifs. Les gestes reprochés mettaient en péril les actifs sous l’administration et le contrôle des syndics et c’est précisément pour prévenir la survenance de nouveaux manquements que les mesures conservatoires ont été prises.

Les requérants soumettent également que les instructions pour mesures conservatoires du 1er septembre 1995 ont, à toutes fins utiles, révoqué la décision du délégué Daviault. En effet, en ordonnant la prise de possession de tous les dossiers du Groupe G. Tremblay, le surintendant associé aurait rendu impossible la mise en œuvre de la décision du délégué Daviault. En procédant à une telle prise de possession, le surintendant associé empêcha le requérant, M. Drolet, de reprendre, tel que prévu, ses activités de syndic de faillite. Faut-il rappeler que ce dernier devait retrouver sa licence en date du 1er septembre 1995. La décision du délégué Daviault liait le surintendant associé Mayrand. Le fait de passer outre à cette décision aurait rendu illégal l’exercice par le surintendant associé de son pouvoir d’émettre des instructions de mesures conservatoires.

Cet argument, à mon avis, n’a pas de poids. Il n’existe aucune similarité d’objet entre la décision du délégué Daviault et celle qui fut prise par le surintendant associé en date du 1er septembre 1995. En effet, alors que la décision du délégué Daviault avait pour objet la conduite du syndic Drolet alors qu’il œuvrait pour le compte de la firme Gingsberg, Gingras & Associés, la prise de possession du 1er septembre 1995 fut, quant à elle, rendue nécessaire en raison des manquements du syndic Tremblay et du syndic corporatif à la tête duquel il était, en l’occurrence le Groupe G. Tremblay. Les faits qui sont à la base de ces deux décisions sont survenus à deux époques différentes.

2.         Les principes de justice naturelle

Les requérants reprochent au surintendant associé de ne leur avoir fait parvenir aucun avis avant que ne soient décrétées les mesures conservatoires. Ceux-ci n’ont jamais pu prendre connaissance des manquements qui leur étaient reprochés par le vérificateur et, qui plus est, ils en ignoraient les conséquences possibles. Ils n’ont obtenu aucune occasion significative de répondre aux allégations du vérificateur.

Les intimés, pour leur part, soumettent que les principes de justice naturelle sont flexibles et qu’en l’espèce ils n’exigeaient pas que ceux-ci reçoivent un préavis les prévenant des conséquences possibles. Les requérants bénéficieront d’une audition lors de la procédure disciplinaire. Ils pourront alors faire valoir leurs moyens de défense.

Je tiens d’abord à souligner que le bureau du surintendant a offert à ces syndics plusieurs occasions où ils auraient pu expliquer les carences dans leur administration[9]. Ceux-ci ont négligé de répondre et ils ne doivent que s’en prendre à eux-mêmes s’ils estiment ne pas avoir été entendus.

La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que le contenu des règles de justice naturelle et l’obligation d’agir équitablement sont des normes variables. Leur contenu, affirme le juge Sopinka, dépend des circonstances de l’affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher[10].

En l’espèce, les dispositions législatives en jeu permettent de prendre des mesures provisoires dans le but de protéger l’intérêt public en cause. Il était impératif dans un tel cas pour le surintendant d’agir rapidement.

À cet égard, il m’apparaît opportun de référer au passage suivant de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Homex Realty and Development Co. Ltd. c. Corporation of the Village of Wyoming[11] :

Dans certains cas, les tribunaux ne remédieront pas à l’absence de préavis, par exemple lorsqu’on doit interpréter la loi en question, par sa nature même et dans le cadre législatif adopté par le législateur, de façon à écarter l’exigence d’un préavis. C’est ainsi par exemple que la Cour d’appel de l’Ontario a interprété l’art. 19 de The Securities Act, R.S.O. 1960, chap. 363, dans l’arrêt Bishop v. Ontario Securities Commission ([1964] 1 O.R. 17). Le juge Roach qui exprimait l’opinion de la Cour, a dit :

[traduction] On pourrait mettre en échec l’économie générale de la Loi si le président pouvait rendre une ordonnance ou une décision en vertu de cet article seulement après avoir donné un avis à la personne ou à la compagnie touchée et après audition. Plusieurs jours pourraient s’écouler entre la signification de l’avis aux personnes ou à la compagnie visées et la fin de l’audition et, pendant ce temps, les personnes ou la compagnie, si elles sont malhonnêtes et louches, pourraient continuer de s’attaquer au public, de voler et de dépouiller les gens. Pour cette raison, il est essentiel aux fins de la Loi que le président puisse agir promptement et sans devoir donner d’avis à la personne ou à la compagnie visée. Le président a au premier chef une obligation envers le public et, en lui permettant de s’en acquitter, le législateur a, par la même occasion au moyen d’une loi appropriée, protégé la personne ou la compagnie visée par l’ordonnance en lui permettant d’en appeler devant la Commission. (à la p. 23) [C’est moi qui souligne.]

De même, dans l’affaire Bunn[12], la Cour jugea que l’intérêt public en jeu était impérieux et qu’il exigeait que le Law Society agisse promptement. La Cour jugea que l’objet des dispositions en jeu serait frustré si l’on ne pouvait prendre ces mesures qu’après un avis préalable et une audience complète. Le juge Hanssen s’exprime ainsi[13] :

[traduction] La loi cherche à établir un équilibre entre les droits d’un membre du barreau pris individuellement et l’intérêt public. Cependant, quant à savoir s’il faut le suspendre ou non, elle reconnaît que l’intérêt de l’avocat pris individuellement doit être subordonné à l’intérêt public. L’alinéa 50(1)a) vise à protéger l’intérêt public. Dans bien des cas, cet objectif serait contrecarré si la mesure envisagée dans cet article ne pouvait être prise qu’après avis et audition.

En l’espèce, les requérants auront l’occasion d’avoir une audition dans le cadre de la procédure disciplinaire, audition au cours de laquelle ils pourront faire valoir tous leurs moyens de défense. En attendant, il était du devoir du surintendant d’agir rapidement afin d’assurer la sauvegarde des actifs.

Enfin, comme nous l’avons vu précédemment, la preuve démontre qu’à maintes reprises ceux-ci ont eu l’occasion de fournir des explications sur les divers manquements reprochés. Ils ont négligé d’y répondre. Ils ne peuvent aujourd’hui que se plaindre de leur propre incurie.

3.         Conclusion de faits erronée tirée de façon arbitraire ou abusive

Le paragraphe 18.1(4) de la Loi de la Cour fédérale[14] permet à la Cour de réviser les conclusions de faits lorsqu’elles ne sont pas supportées par la preuve ou lorsqu’une évaluation de la preuve dans son ensemble démontre que la conclusion est déraisonnable.

La preuve révèle que M. Mayrand avait la preuve de manquements graves dans leur administration. Cette preuve provenait de plusieurs sources et plus spécifiquement :

i) le 1er rapport du vérificateur Laurent Lachance daté du 13 mai 1995 quant aux dossiers administrés par le requérant Gilles M. Tremblay;

ii) le rapport de la séquestre officielle, Sylvie Laperrière daté du 14 juin 1995;

iii) le 2ième rapport du vérificateur Laurent Lachance daté du 28 août 1995;

iv) les comptes rendus des enquêtes de la GRC;

v) les jugements de la Cour supérieure—division faillite qui lui furent transmis par les juges et d’autres personnes intéressées;

vi) les dénonciations préparées par la GRC et qui ont mené à l’émission de mandats de perquisition le 31 août 1995;

vii) les nombreuses plaintes qui n’ont cessé d’être déposées aux bureaux du Surintendant à Québec, Montréal et Ottawa;

— notes sténographiques, interrogatoire de Marc Mayrand, 31 janvier 1996, p. 145 et s.

Les rapports soumis ont fait l’objet d’un processus de vérification interne rigoureux afin d’en vérifier l’exactitude. Les faits reprochés soulevaient des doutes sérieux quant à l’intégrité des syndics. Il ne s’agissait pas, comme le prétendent les requérants, d’une interprétation discrétionnaire et arbitraire des rapports soumis.

Compte tenu de cette preuve et de la gravité des manquements soulevés dans ces rapports, la décision de M. Mayrand de prendre des mesures conservatoires efficaces pour sauvegarder les actifs sous leur administration était raisonnable.

En conclusion, pour ce qui est des questions de droit administratif, je n’ai trouvé aucun motif justifiant mon intervention. Bien que je conçois que le surintendant associé aurait pu utiliser des mesures conservatoires moins drastiques, il est une règle bien établie qu’une cour supérieure ne doit pas intervenir quant à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par un organisme administratif pour la seule raison qu’elle n’aurait pas pris la même décision. Cette règle de retenue judiciaire a été rappelée maintes fois par la Cour suprême, notamment dans l’affaire Maple Lodge Farms Ltd.[15], où le juge McIntyre résume le principe comme suit :

Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

C’est le cas en l’espèce. Il n’est donc pas approprié de modifier la décision du surintendant associé.

C.        LES QUESTIONS DE LA CHARTE

1.         L’article 7 de la Charte

a)         Le droit à la liberté et les principes de justice fondamentale

L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés s’énonce en ces termes :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Il est acquis, depuis le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B.[16], que l’article 7 ne garantit pas per se le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. L’article 7 garantit aux sujets de droit qui peuvent en bénéficier qu’il ne sera porté atteinte à leur vie, à leur liberté et à leur sécurité qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Il faut donc, au moment de déterminer le domaine d’application de l’article 7, définir, d’une part, le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité et, d’autre part, les principes de justice fondamentale.

Aux fins des présentes procédures, il convient de s’attarder plus spécifiquement au droit à la liberté.

Les requérants soumettent que le droit à la liberté inclut le droit d’exercer une profession et qu’il faut considérer que la révocation d’une licence professionnelle porte atteinte au droit à la liberté. La jurisprudence canadienne semble présentement divisée sur le sujet. Plusieurs décisions ont reconnu que le droit à la liberté incluait le droit d’exercer une profession[17].

À mon avis, cette question ne se soulève pas dans le présent dossier puisque les mesures conservatoires décrétées par le surintendant n’ont aucunement affecté l’existence et la validité de leur licence de syndic. Le débat sera toujours possible lors du contrôle judiciaire d’une procédure disciplinaire qui révoquerait leur licence sans qu’ils puissent faire valoir leurs droits.

b)         La théorie de l’imprécision

C’est à l’occasion de l’arrêt R. c. Morgentaler[18] que la Cour suprême du Canada relie pour la première fois le vice d’imprécision aux principes de justice fondamentale[19]. Dans cet arrêt, le juge en chef Dickson juge que la disposition législative contestée viole les principes de justice fondamentale en ce qu’elle souffre de « l’absence de norme adéquate à laquelle les comités de l’avortement thérapeutique doivent se référer »[20]. Puis, dans le Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.)[21], le juge Lamer (il était alors juge puîné), avec l’appui des juges majoritaires, s’exprime en des termes similaires à ceux qu’avait employés le juge en chef Dickson dans l’arrêt Morgentaler[22].

Il est certain que la théorie de l’imprécision n’exige pas du Parlement et des législatures provinciales qu’ils adoptent des lois d’une certitude absolue. Il appartient en effet aux tribunaux d’interpréter les textes législatifs. Une disposition législative dont la sanction risque de porter atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité d’une personne ne doit pas être d’une imprécision inacceptable. C’est à l’occasion de l’arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society[23] que la Cour suprême du Canada établit le critère à appliquer. Une disposition législative atteint un degré d’imprécision inacceptable lorsqu’elle « ne constitue pas un fondement adéquat pour un débat judiciaire »[24].

Les requérants soutiennent que l’alinéa 5(3)e) et l’article 14.03 de la LFI seraient imprécis au point de contrevenir à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). La tenue d’une enquête aux termes de l’alinéa 5(3)e) suffit à elle seule pour donner ouverture à l’exercice du pouvoir de saisie prévu à l’article 14.03. Or, dans le contexte de ce dernier article, le surintendant peut ordonner à quiconque de prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la sauvegarde des dossiers d’actifs. Il s’agit là, soumettent-ils, de termes vagues et imprécis qui confèrent au surintendant un pouvoir discrétionnaire illimité. Le libellé de l’alinéa 5(3)e) et de l’article 14.03 est tellement vague et imprécis qu’il devient impossible pour un tribunal de l’interpréter comme limitant de quelque manière les pouvoirs discrétionnaires du surintendant. Ces articles ne fournissent d’ailleurs aux justiciables aucun avertissement raisonnable quant aux circonstances donnant ouverture à l’application de la loi et quant à la nature des conséquences de sa violation.

Pour leur part les intimés se contentent d’alléguer que, eu égard au contexte de l’article 14.03 de la LFI, la question de son imprécision ne se pose tout simplement pas puisqu’on sait très bien ce dont il est question. Il s’agit de confier au surintendant la tâche de surveiller l’administration des syndics. Le libellé de l’alinéa 5(3)e) et de l’article 14.03 n’est pas imprécis au point de me permettre d’affirmer que ces articles ne peuvent servir de guide dans un débat judiciaire.

Il est important de rappeler que la théorie de l’imprécision trouve application à l’article 7 que si la sanction prévue à cette disposition risque de porter atteinte à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.

Or, en l’espèce, comme je l’ai mentionné précédemment, les mesures prévues à l’article 14.03 ne concernent pas le droit à l’exercice d’une profession, sa profession, en l’occurrence celle de syndic, lequel, selon une certaine jurisprudence, pourrait donner lieu à l’application de l’article 7 de la Charte. À tout événement, je suis d’avis que l’alinéa 5(3)e) et l’article 14.03 constituent « un guide suffisant pour [donner lieu à] un débat judiciaire »[25]. Le critère applicable en est un très exigeant. Comme l’indiquait le juge Gonthier dans Ontario c. Canadien Pacifique Ltée[26], à la page 1071 :

Il faudrait en particulier faire preuve de retenue à l’égard de dispositions législatives qui cherchent à atteindre des objectifs de politique sociale légitime, afin de ne pas nuire à la capacité de l’État de viser et de promouvoir ces objectifs.

En l’espèce, bien que le surintendant ait la discrétion de décider quelles mesures conservatoires seront nécessaires dans chaque situation, il n’en reste pas moins que les circonstances pouvant donner lieu à de telles mesures y sont énumérées ainsi que le but poursuivi soit la sauvegarde des dossiers d’actifs. La théorie de l’imprécision ne peut, dans ces circonstances, trouver application.

2.         L’article 8 de la Charte

Les requérants soumettent essentiellement que les mesures conservatoires en l’espèce sont de la nature d’une saisie. Or, puisque cette saisie fut pratiquée sans l’autorisation préalable d’un arbitre neutre et impartial, elle est abusive au sens de l’article 8 de la Charte. Ceux-ci soulèvent de plus, la validité constitutionnelle de l’alinéa 5(3)e) et de l’article 14.03 de la LFI.

C’est à l’occasion de l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc.[27] que la Cour suprême du Canada se prononça pour la première fois quant au domaine d’application de l’article 8 de la Charte, lequel énonce :

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Traitant du fondement de cette garantie constitutionnelle, le juge Dickson (il était alors juge puîné) écrit[28] :

Cette limitation du droit garanti par l’art. 8, qu’elle soit exprimée sous la forme négative, c’est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies « abusives », ou sous la forme positive comme le droit de s’attendre « raisonnablement » à la protection de la vie privée, indique qu’il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi.

Au moment de définir les termes « saisie » et « perquisition » dont parle l’article 8, il faut s’en remettre à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Dyment[29]. Dans cet arrêt, la Cour affirme qu’il y a saisie au sens de l’article 8 lorsque les autorités prennent une chose appartenant à une personne sans son consentement.

En l’espèce, les intimés prétendent qu’il n’y a pas eu de saisie parce que les requérants ne sont pas propriétaires des dossiers d’actifs qui leur sont confiés. Dans l’alternative, ils soumettent que ceux-ci ont consenti à cette saisie.

Je ne suis pas de leur avis. Depuis l’arrêt Plant[30], il est établi que la propriété des objets saisis n’est pas une considération pertinente. En effet, puisque l’article 8 s’intéresse essentiellement à l’expectative de vie privée, il vise avant tout les personnes et non les biens. La prise de possession du 1er septembre 1995 constitue sans aucun doute une « saisie » selon le sens donné à cette expression à l’article 8 de la Charte.

Avant de s’attarder à la nature et à la portée de la garantie offerte par l’article 8 de la Charte, il convient de s’interroger quant à la possibilité que le bénéficiaire de cette garantie y renonce.

Dans les affaires criminelles, la Cour suprême du Canada avait, avant l’avènement de la Charte, retenu le critère de renonciation suivant :

… il faut qu’il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu’elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger et de l’effet de la renonciation sur ces droits au cours de la procédure[31].

C’est dans l’arrêt R. c. Borden[32] que la Cour suprême du Canada trancha définitivement la question des conditions de validité d’une renonciation à la garantie énoncée à l’article 8. Elle confirmait alors l’approche préconisée par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt R. v. Nielsen[33] à l’effet que la renonciation au droit garanti à l’article 8 devait être assujettie, de façon minimale, aux conditions de renonciation à un droit procédural statutaire de la nature de celui dont il était question dans l’arrêt Korponay[34].

Pour que la renonciation soit réelle, la personne qui est sensée avoir donné son consentement doit disposer de tous les renseignements requis. Dans l’arrêt Borden[35], le juge Iacobucci, rédigeant pour la majorité, écrit :

… la personne qui est censée donner son consentement doit disposer de tous les renseignements requis pour pouvoir renoncer réellement à ce droit. Le droit de choisir exige non seulement que la personne puisse exercer sa volonté de préférer une solution à une autre, mais aussi qu’elle possède suffisamment de renseignements pour faire un choix utile. Cela est également vrai lorsque la personne choisit de s’abstenir de consulter un avocat ou d’abandonner aux policiers quelque chose qu’ils n’auraient autrement pas le droit de prendre.

En l’espèce, plutôt que de s’exposer à l’usage de la force physique ou à des poursuites pour avoir entravé des représentants du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions, le requérant, M. Tremblay, a préféré agir avec prudence et a obtempéré à la sommation des représentants, en présumant que les « instructions de mesures conservatoires » en vertu desquelles ils agissaient étaient légales. Le requérant, M. Tremblay, a estimé ne pas avoir de choix; il s’est tout simplement plié aux exigences des représentants du Bureau du surintendant qui, faut-il le préciser, se sont présentés à sa place d’affaires accompagnés de huissiers.

Par ailleurs, il m’apparaît important de souligner que les représentants du Bureau du surintendant furent précédés, ce jour là, d’agents de la GRC qui eux détenaient des mandats de perquisition délivrés par un juge de paix, en l’occurrence le juge Choquette de la Cour du Québec, chambre pénale et criminelle. La perquisition menée par les représentants du Bureau du surintendant s’inscrivait pour celui-ci dans le cadre de l’opération policière menée en matinée. Je ne peux, dans ces circonstances, conclure qu’il a consenti librement et volontairement à la saisie renonçant ainsi à la garantie que leur confère l’article 8 de la Charte.

L’applicabilité des critères de l’arrêt Hunter dans un contexte réglementaire

Afin de déterminer le caractère abusif d’une loi qui autorise la fouille, la saisie ou la perquisition, il faut d’abord déterminer de l’applicabilité des critères formulés par le juge Dickson (il était alors juge puîné) dans l’arrêt Hunter. Ces critères furent résumés de la façon suivante par le juge Wilson dans l’arrêt Thomson Newspaper Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce)[36] :

a) une procédure d’autorisation préalable par un arbitre tout à fait neutre et impartial qui est en mesure d’agir de façon judiciaire en conciliant les intérêts de l’État et ceux de l’individu;

b) une exigence que l’arbitre impartial s’assure que la personne qui demande l’autorisation a des motifs raisonnables, établis sous serment, de croire qu’une infraction a été commise;

c) une exigence que l’arbitre impartial s’assure que la personne qui demande l’autorisation a des motifs raisonnables de croire que l’on découvrira quelque chose qui fournira une preuve que l’infraction précise faisant l’objet de l’enquête a été commise; et

d) une exigence que les seuls documents dont la saisie est autorisée soient ceux se rapportant strictement à l’infraction faisant l’objet de l’enquête.

Cependant, dans les affaires Thomson Newspapers Ltd.[37] et R. c. McKinlay Transport Ltd.[38], la Cour suprême affirme que l’élaboration de critères moins sévères applicables aux perquisitions et saisies administratives ou réglementaires peut être conforme avec l’esprit de l’article 8.

La norme d’examen doit être raisonnable et tenir compte de la nature réglementaire du texte législatif et de son intention générale[39]. Par exemple, une fouille, perquisition ou saisie qui ne vise pas à mettre à jour des activités criminelles mais plutôt le respect de dispositions de réglementation édictées dans l’intérêt public ne requiert pas une autorisation préalable[40]. Il s’agit donc, de soupeser un ensemble de facteurs.

Quel est le but de la législation? Quel est le degré d’intrusion? Quelle devrait être l’expectative de vie privée compte tenu du but de la législation? Quelle est la nature des documents saisis? Ce sont là quelques-unes des questions qu’il faut se poser[41].

Les articles 14.01, 14.02 et 14.03 de la LFI font partie d’un ensemble de dispositions qui ont essentiellement pour objet la surveillance de l’administration et de la conduite des syndics. En autorisant une telle surveillance de la part du surintendant, le législateur cherche avant tout à protéger les tiers, qu’ils soient débiteurs ou créanciers. La nature du rôle qu’exercent les syndics rend nécessaire l’existence de telles règles. En effet ceux-ci agissent à titre de fiduciaires et, à ce titre, comme nous l’avons vu, ils sont chargés de l’administration des biens appartenant à autrui. Pour cette raison, les devoirs et obligations des syndics de faillite constituent un domaine largement réglementé. Ils sont sujets à de constantes vérifications, au moyen desquelles le surintendant s’assure de leur intégrité.

De plus, les documents sous l’administration des syndics sont de par la loi des documents publics. Il a été reconnu que l’expectative de vie privée qui se rattache à de tels documents, à savoir des documents produits dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise réglementée, est moindre que celle qui se rattache à des documents de nature strictement personnelle et privée.

Comme le rappelait le juge La Forest dans l’affaire R. c. Fitzpatrick[42] :

À mon avis, une norme semblable devrait s’appliquer à l’utilisation, dans des poursuites pour infraction à la réglementation, de dossiers requis par la loi comme condition de participation au domaine d’activité réglementé. Une faible attente en matière de vie privée peut se rattacher à ces documents, étant donné qu’ils sont préparés précisément pour être lus et utilisés par les fonctionnaires de l’État. [C’est moi qui souligne.]

Compte tenu de ces divers éléments, je ne crois pas que l’équilibre recherché entre les intérêts sociaux et l’expectative de vie privée des requérants, qui dans un tel contexte est faible, requiert l’application rigoureuse des critères de l’arrêt Hunter.

Nos tribunaux ont récemment développé des critères moins sévères lorsque les critères de l’arrêt Hunter sont inapplicables. À cet égard, la décision de la Cour d’appel d’Ontario dans l’affaire Johnson v. Ontario (Minister of Revenue)[43] me paraît pertinente. La Cour devait, dans cette affaire, décider de la constitutionnalité des paragraphes 15(3) et (4) de la Tobacco Tax Act[44]. Ces paragraphes autorisaient la saisie de véhicules automobiles utilisés pour le commerce du tabac ainsi que de leur contenu.

Étant donné la nature administrative ou réglementaire des mesures autorisées par les paragraphes 15(3) et (4) de la Tobacco Tax Act, les parties reconnaissèrent que les critères sévères de l’arrêt Hunter ne pouvaient trouver application. C’est dans ce contexte que le juge d’appel Arbour écrit[45] :

[traduction] Cependant, le fait que le texte législatif soit simplement de nature réglementaire plutôt que pénale ne détermine pas en soi quelle norme sera requise en ce qui a trait au caractère raisonnable. Cela dépend grandement de la deuxième étape de l’analyse qui consiste à identifier le droit à la vie privée qui est en jeu en vertu de la disposition relative aux fouilles, aux perquisitions et aux saisies et la gravité de l’empiètement sur ce droit à la vie privée.

Il s’agit donc d’établir un équilibre entre l’expectative raisonnable de vie privée et la gravité de l’intrusion résultant de la saisie ou de la perquisition. Elle conclut[46] :

[traduction] Par comparaison à ce droit limité à la vie privée, l’intrusion permise par l’art. 15 est grave … L’article ne contient aucune exigence quant à l’existence de motifs raisonnables et probables ou même de soupçons raisonnables. Il permet à une personne autorisée par le ministre du Revenu d’arrêter et de détenir à toute fin liée à l’administration ou à l’application de la Tobacco Tax Act tout véhicule commercial, d’en fouiller et perquisitionner le contenu, de saisir des documents qui peuvent fournir la preuve d’une contravention à la Loi et de saisir le chargement s’il comprend plus de 10 000 cigarettes.

Elle rappelle cependant que les personnes engagées dans une activité réglementée, telle le commerce du tabac, doivent s’attendre à ce que les autorités procèdent à certaines inspections et vérifications. En d’autres termes, les personnes impliquées dans une activité réglementée doivent s’attendre à un certain degré d’intrusion de la part des autorités administratives. Les mesures autorisées par les paragraphes 15(3) et (4) vont toutefois beaucoup plus loin que ce à quoi le justiciable doit s’attendre. Une mesure du type de celle dont il est question ne sera conforme à la garantie énoncée à l’article 8 que si le critère des motifs raisonnables est respecté. Elle affirme[47] :

[traduction] Le fait d’exiger l’existence de motifs raisonnables et probables de croire qu’un véhicule commercial contient la preuve qu’il y a eu contravention à la Tobacco Tax Act réduira, à mon avis, la portée de la fouille ou perquisition suffisamment pour reconnaître le droit à la vie privée qui est en jeu. Sans nuire indûment à l’application de la Loi, une telle exigence satisferait également à la norme requise par l’art. 8 de la Charte pour les fouilles et perquisitions du genre de celles prévues par des textes de nature réglementaire.

Le critère formulé dans l’arrêt Johnson[48] ne doit toutefois être appliqué que dans les seuls cas où l’importance et la sévérité de l’intrusion le commandent. L’exigence de motifs raisonnables sera inapplicable lorsqu’il s’agit de mesures de contrôle du type de celles dont traite la juge Arbour, c’est-à-dire les vérifications et inspections auxquelles une personne impliquée dans une activité réglementée doit raisonnablement s’attendre. De même, on se refusera à appliquer le critère lorsque son application serait injustifiée eu égard au faible degré d’« intrusion ».

À mon avis, puisqu’il s’agit, dans la présente affaire, d’une perquisition dans les locaux privés qui n’est pas exécutée dans le cadre d’une inspection réglementaire, le degré d’intrusion est plus grand que par exemple dans le cas d’une demande de production de documents. Pour cette raison, je crois que lorsque les mesures conservatoires impliquent une perquisition ou une saisie selon le sens donné à cette expression à l’article 8 de la Charte, elles ne peuvent avoir lieu sans des motifs raisonnables de croire qu’elles permettront la « sauvegarde » des dossiers d’actifs.

Ainsi, pour autant qu’il autorise des mesures conservatoires de la nature d’une « saisie » en l’absence de motifs raisonnables de croire que celles-ci permettront la « sauvegarde » des dossiers de l’actif, l’alinéa 14.03(1)b) de la LFI viole la garantie énoncée à l’article 8 de la Charte. Cette violation n’est pas rachetée par le jeu de l’article premier, aucune preuve n’ayant été présentée à cet égard par le procureur général du Canada.

Dans la mesure où il viole l’article 8 de la Charte, l’alinéa 14.03(1)b) de la LFI est inopérant. Il me faut donc examiner quelle devrait être la réparation appropriée. Dans l’arrêt Schachter c. Canada[49], le juge en chef Lamer a formulé l’éventail des réparations et les principes applicables au moment de choisir celle qui s’impose :

Un tribunal jouit d’une certaine latitude dans le choix de la mesure à prendre dans le cas d’une violation de la Charte qui ne résiste pas à un examen fondé sur l’article premier. L’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit l’annulation des « dispositions incompatibles » de toute règle de droit. Selon les circonstances, un tribunal peut simplement annuler une disposition, il peut l’annuler et suspendre temporairement l’effet de la déclaration d’invalidité ou il peut appliquer les techniques d’interprétation atténuée ou d’interprétation large … Lorsqu’il choisit la façon dont il appliquera l’art. 52 … , un tribunal doit déterminer les mesures qu’il prendra eu égard à la nature de la violation et au contexte de la loi visée[50].

Pour les raisons qui suivent, je suis convaincue que la réparation appropriée dans les circonstances est d’accorder une « interprétation atténuée » de l’alinéa 14.03(1)b) de la LFI de façon à ne pas autoriser les mesures conservatoires de la nature d’une « saisie » lorsque le surintendant, ou son délégué, n’a pas de motifs raisonnables de croire qu’elles permettront la « sauvegarde » des dossiers d’actifs. C’est d’ailleurs le type de réparation choisi par la Cour suprême du Canada dans un contexte similaire, dans l’arrêt R. c. Grant[51].

Un tel remède a l’avantage de permettre le maintien d’un mécanisme impérativement requis pour la protection des tiers. L’interprétation atténuée en question rencontre, à mon avis, les préoccupations légitimes du législateur d’une application efficace de la loi sans pour autant empiéter sur l’exigence d’une saisie non abusive garantie à l’article 8 de la Charte.

L’existence de motifs raisonnables pourra être vérifiée par cette Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire après le fait. Le juge La Forest rappelle, dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd.[52], l’importance du contrôle judiciaire après le fait lorsque l’exigence d’autorisation judiciaire préalable est jugée inapplicable :

La possibilité de contester par voie de contrôle judiciaire la pertinence de tout recours particulier à l’art. 17 quant à l’objet des enquêtes que peuvent tenir le directeur ou la Commission offre une garantie suffisante contre tout abus possible du pouvoir conféré par l’art. 17. Il n’y a preuve d’aucun abus semblable dans le présent pourvoi.

Je passe maintenant à la question de savoir si, en l’espèce, le surintendant associé avait des motifs raisonnables de croire que les mesures conservatoires permettraient d’assurer la « sauvegarde » des dossiers d’actifs. À mon avis, il faut répondre affirmativement à cette question. Comme je l’ai dit précédemment, la preuve au dossier fait état de manquements très graves, lesquels commandaient une mesure efficace et prompte pour assurer la sauvegarde des actifs appartenant aux tiers.

Quant à l’argumentation des requérants concernant l’article 12 de la Charte, qu’il me suffise de dire que les mesures conservatoires prises en l’espèce ne constituent pas un « traitement cruel et inusité ». L’article 12 ne peut donc recevoir aucune application.

De la même façon, je rejette les arguments fondés sur la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III] comme n’ayant aucun mérite.

CONCLUSION

Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies en partie. L’alinéa 14.03(1)b) de la LFI est inopérant dans la mesure où il autorise l’émission de mesures conservatoires de la nature d’une « saisie » en l’absence de motifs raisonnables de croire que ces mesures permettront la « sauvegarde » des dossiers d’actifs.

Je rejette les conclusions des requérants demandant de réserver leurs recours en dommages.



[1] L.R.C. (1985), ch. B-3 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2).

[2] C’est l’art. 10(1) [mod., idem, art. 7] de la LFI qui confère au surintendant le pouvoir d’émettre des mandats d’enquête.

[3] Voir le dossier des intimés, vol. I, aux p. 268 et s.

[4] L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

[5] (1993), 116 D.L.R. (4th) 333 (C.A.F.).

[6] Ibid.

[7] Voir à cet égard, l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038.

[8] Id., à la p. 1076.

[9] Rapport intérimaire de vérification, mai 1995, lettre du 11 mai 1995; lettre du surintendant adjoint datée du 19 juin 1995; lettre du 22 juin 1995.

[10] Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 896.

[11] [1980] 2 S.C.R. 1011, aux p. 1024 et 1025.

[12] Bunn v. Law Society of Manitoba (1990), 63 Man.R. (2d) 210 (B.R.), à la p. 213.

[13] Id., à la p. 213.

[14] Supra, note 4.

[15] Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux p. 7 et 8.

[16] [1985] 2 R.C.S. 486.

[17] Wilson v. British Columbia (Medical Services Commission) (1988), 53 D.L.R. (4th) 171 (C.A.C.-B.), à la p. 195; Howard v. Architectural Inst. of B.C. (1989), 40 B.C.L.R. (2d) 315 (C.S.), aux p. 320 à 323; Richardson v. Assn. of Prof. Engineers, [1990] 1 W.W.R. 709 (C.S.C.B.), aux p. 716-717; et Harvey v. Law Society of Newfoundland (1992), 93 Nfld. & P.E.I.R. 339 (C.S.), aux p. 349 à 351 et 353.

[18] [1988] 1 R.C.S. 30.

[19] Garant, Patrice. Droit administratif, 3e éd., Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1991, vol. III, aux p. 416 et 417.

[20] R. c. Morgentaler, supra, note 18, à la p. 68. Il a, sur ce point, l’assentiment des majoritaires.

[21] [1990] 1 R.C.S. 1123.

[22] Supra, note 18.

[23] [1992] 2 R.C.S. 606.

[24] Id., à la p. 639.

[25] Id., à la p. 643.

[26] [1995] 2 R.C.S. 1031.

[27] [1984] 2 R.C.S. 145.

[28] Id., aux p. 159 et 160.

[29] [1988] 2 R.S.C. 417.

[30] R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281.

[31] Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41, à la p. 49.

[32] [1994] 3 R.C.S. 145.

[33] [1988] 6 W.W.R. 1 (C.A. Sask.).

[34] Supra, note 31.

[35] Supra, note 32, à la p. 162.

[36] [1990] 1 R.C.S. 425, à la p. 449.

[37] Ibid.

[38] [1990] 1 R.C.S. 627.

[39] Ibid.

[40] Belgoma Transportation Ltd. and Director of Employment Standards, Re (1985), 51 O.R. (2d) 509 (C.A.).

[41] R. v. Ezzeddine (M.), (1996), 183 A.R. 37 (B.R.).

[42] [1995] 4 R.C.S. 154, aux p. 181 et 182.

[43] (1990), 75 O.R. (2d) 558 (C.A.).

[44] R.S.O. 1980, ch. 502, art. 15.

[45] Supra, note 43, à la p. 567.

[46] Supra, note 43, aux p. 568 et 569.

[47] Supra, note 43, à la p. 574.

[48] Supra, note 43.

[49] [1992] 2 R.C.S. 679.

[50] Id., aux p. 695 et 696.

[51] [1993] 3 R.C.S. 223.

[52] Supra, note 36, à la p. 535.

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