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[1997] 3 C.F. 40

A-55-97

Angelo Del Zotto et Herbert B. Noble (appelants) (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le ministre du Revenu national, John Edward Thompson et D. Reilly Watson (intimés) (défendeurs)

Répertorié : Del Zotto c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Strayer et MacGuigan, J.C.A., et juge suppléant Henry—Toronto, 12, 13 et 14 mai; Ottawa, 10 juin 1997.

Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Appel contre le rejet d’actions en vue d’obtenir des jugements déclaratoires portant que l’art. 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu porte atteinte à l’art. 8 de la CharteL’art. 231.4 permet au ministre d’autoriser l’ouverture d’une enquête sur quoi que ce soit qui se rapporte à l’application et à l’exécution de la LoiAprès avoir indiqué son intention de poursuivre Del Zotto en justice pour évasion fiscale sous le régime de l’art. 239(1)a) et d), Revenu Canada a ouvert une enquête autorisée par l’art. 231.4Seul Noble a été assignéAppel accueilliLe droit garanti à l’art. 8 s’est transformé en un droit à la protection raisonnable de la vie privéeLa nature envahissante d’une perquisition et le rassemblement d’éléments de preuve dans le but de poursuivre un contribuable déterminent si les conditions préalables à une perquisition établies dans l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. s’appliquentL’art. 231.4 est fondamentalement axé sur l’introduction d’une poursuite criminelleLe juge de première instance n’a pas accordé assez d’importance au fait que l’enquête était une enquête criminelleLa perquisition qui consiste en un ordre de comparaître pour être interrogé sous serment et d’apporter des documents est suffisante pour porter atteinte à l’art. 8Une menace de saisie fait intervenir l’art. 8Comme l’art. 8 protège les droits à la vie privée de personnes, et non des lieux, Del Zotto avait une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard des documents et des renseignements détenus par d’autres personnes à différents endroitsLe droit à la vie privée est protégé avant toute fouille ou perquisition physique, c’est-à-dire dès que les mesures gouvernementales menacent la protection du droit d’une personne à la vie privéeL’art. 231.4 est inopérant puisqu’il porte atteinte à l’art. 8 de la Charte.

Impôt sur le revenu Saisies Appel d’un jugement de première instance rejetant des actions en vue d’obtenir des jugements déclaratoires portant que l’art. 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu porte atteinte aux art. 7 et 8 de la CharteL’art. 231.4 permet au ministre d’autoriser l’ouverture d’une enquête sur quoi que ce soit qui se rapporte à l’application et à l’exécution de la LoiRevenu Canada avait l’intention de poursuivre Del Zotto en justice sous le régime de l’art. 239(1)a) et d)Une enquête autorisée par l’art. 231.4 a été ouverteSeul Noble a été assigné comme témoinAppel accueilliL’enquête prévue à l’art. 231.4 est fondamentalement axée sur l’introduction d’une poursuite criminelleLe juge de première instance n’a pas accordé assez d’importance au fait que l’enquête est une enquête criminelleIl était possible que Del Zotto soit assignéSon droit de s’attendre raisonnablement à la protection de la vie privée était menacé depuis le début de l’enquêteVu l’orientation fondamentale de l’art. 231.4, une menace de saisie est suffisante pour faire intervenir l’art. 8Une enquête illimitée sur les affaires financières d’un contribuable pendant six ans révèle de nombreux aspects de la vie privéeRevenu Canada doit avoir des motifs raisonnables et probables d’ouvrir une enquête criminelle sur les affaires financières d’un contribuableL’art. 231.4 est inopérant puisqu’il porte atteinte à l’art. 8.

Il s’agit de l’appel du jugement par lequel la Section de première instance a rejeté des actions en vue d’obtenir des jugements déclaratoires portant que l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu porte atteinte aux articles 7 et 8 de la Charte. L’article 231.4 permet au ministre d’autoriser l’ouverture d’une enquête sur quoi que ce soit qui se rapporte à l’application ou à l’exécution de la Loi. Un président d’enquête a tous les pouvoirs conférés à un commissaire par les articles 4 et 5 de la Loi sur les enquêtes, c’est-à-dire le pouvoir d’assigner des témoins, y compris le même pouvoir qu’une cour d’archives pour contraindre les témoins à comparaître et à déposer. L’appelant Del Zotto a été soupçonné d’évasion fiscale. En 1986, Revenu Canada a commencé à scruter ses affaires financières et, en 1991, des fonctionnaires du Ministère l’ont avisé qu’ils avaient l’intention de le poursuivre en justice pour évasion fiscale sous le régime des alinéas 239(1)a) et d). Vers la fin de 1992, le ministère du Revenu national a nommé un enquêteur et a obtenu la nomination d’un président d’enquête. Del Zotto a été avisé que ses affaires financières pour les années 1979 à 1985 inclusivement feraient l’objet d’une enquête. Une enquête a été ouverte mais Del Zotto n’a pas été assigné comme témoin, bien qu’on ait reconnu qu’il pourrait l’être. L’appelant Noble a été cité à comparaître et à apporter avec lui tous les documents en sa possession ou sous sa garde portant sur les affaires financières de Del Zotto pour les années d’imposition en question.

L’article 7 de la Charte garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. L’article 8 garantit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Arrêt (le juge Strayer, J.C.A. est dissident) : l’appel doit être accueilli.

Le juge MacGuigan, J.C.A. (le juge suppléant Henry souscrit à son opinion) : Une enquête autorisée par l’article 231.4 est fondamentalement axée sur l’introduction d’une poursuite criminelle, basée non pas sur les étiquettes employées mais sur ce qui est réellement en cause dans une procédure semblable, c’est-à-dire sur les valeurs de criminalité ou d’innocence en jeu.

Le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti à l’article 8 de la Charte s’est transformé en un droit à la protection raisonnable de la vie privée. Le locus classicus concernant l’article 8 est l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. dans lequel il a été statué que l’article 8 doit recevoir une interprétation large et libérale qui permet d’en réaliser l’objet, qui est de garantir le droit d’une personne d’être protégée contre les atteintes gouvernementales aux attentes raisonnables en matière de vie privée. En l’absence d’une situation d’urgence, l’article 8 exige l’obtention de l’autorisation préalable d’un officier de justice comme condition préalable à une saisie ressortissant au droit criminel, suivant la norme des motifs raisonnables et probables en ce qui concerne la perpétration d’une infraction et les éléments de preuve que la perquisition vise à recueillir.

Ce qui détermine si les principes et les lignes directrices énoncés dans l’arrêt Hunter s’appliquent, c’est la nature envahissante de la perquisition en question et le rassemblement d’éléments de preuve dans le but de poursuivre le contribuable. Le juge de première instance a conclu à bon droit qu’« il [fallait] mettre dans la balance toutes les circonstances de la cause », mais il n’a pas accordé l’importance voulue à l’enquête criminelle en l’espèce, et a été indûment influencé par l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce) pour ce qui est de la forme d’ingérence moindre et des attentes moins grandes en matière de vie privée qui existaient, selon son analyse, à l’égard des affaires commerciales. Pour qu’il y ait atteinte à l’article 8, il était suffisant que la perquisition proposée consiste en un ordre de comparaître pour être interrogé sous serment et d’apporter des documents (subpoena duces tecum), suivant le principe que l’article 8 confère le droit de s’attendre raisonnablement à la protection de la vie privée. Il n’était pas nécessaire d’attendre que Del Zotto soit cité à comparaître. Son droit de s’attendre raisonnablement à la protection de la vie privée était menacé depuis le début de l’enquête. Il faut un déclencheur pour invoquer l’article 8 de la Charte, qui ne s’applique pas en l’absence d’une fouille, d’une perquisition ou d’une saisie. Vu l’orientation fondamentale de l’article 231.4, soit l’introduction d’une poursuite criminelle, une menace de saisie suffit à faire intervenir l’article 8.

Comme l’article 8 protège le droit à la vie privée de personnes, et non des lieux, l’appelant Del Zotto a une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard des documents et des renseignements détenus par d’autres personnes à différents endroits. Une enquête portant sur toutes les sommes reçues et toutes les sommes dépensées permet forcément de connaître, dans le monde moderne d’aujourd’hui, l’essentiel de la vie privée d’une personne. La combinaison d’une production forcée de documents et d’une déposition forcée peut avoir un effet particulièrement envahissant. Le droit à la vie privée est protégé avant toute fouille ou perquisition physique, c’est-à-dire dès que les mesures gouvernementales menacent la protection du droit d’une personne à la vie privée. Le ministère du Revenu national n’a pas le droit d’effectuer une enquête criminelle sur les affaires financières d’un contribuable simplement en mettant sur pied une enquête en vertu de l’article 231.4, procédure qui n’offre aucune garantie au contribuable. Ce qu’il faut pour garantir la validité, c’est une enquête judiciaire fondée sur l’existence de motifs raisonnables et probables, la norme ordinaire applicable à une enquête criminelle.

Comme aucune justification fondée sur l’article premier de la Charte n’a été invoquée, l’article 231.4 de la Loi portait atteinte à l’article 8 de la Charte et devait être déclaré inopérant.

Le juge Strayer, J.C.A. (dissident) : La qualification de l’enquête de processus criminel ne veut pas dire que les conditions préalables à l’exécution d’une perquisition que la Cour suprême a énoncées dans l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. devaient automatiquement être réunies pour qu’une enquête autorisée par l’article 231.4 puisse être ouverte. C’est uniquement quand les utilisations particulières du pouvoir d’assignation dans le cadre d’une telle enquête, ou les utilisations ultérieures particulières des éléments de preuve recueillis au moyen de telles citations, menacent de porter atteinte à des droits garantis par l’article 7 ou 8 que ces droits devraient être invoqués.

Une citation décernée à Noble ne porterait pas en soi atteinte au droit de Del Zotto de connaître « la preuve [de la Couronne] à laquelle il doit répondre ». En l’absence d’une preuve sur les liens qui existent entre Del Zotto et Noble, il n’y avait pas lieu pour la Couronne de présumer qu’une question posée à Noble ou qu’un document devant être produit par celui-ci dévoilerait la défense de Del Zotto relativement à une accusation qui n’avait même pas encore été portée. Il existe un moment pour protéger les droits indubitables d’un accusé de ne pas s’incriminer et une façon de le faire, mais ce n’était pas maintenant ni ainsi.

Les droits garantis à l’article 8 s’appliquent différemment selon l’attente raisonnable en matière de respect du droit à la vie privée concernant l’objet et la nature de l’atteinte à ce droit. De tels facteurs se rapportent au caractère raisonnable d’une saisie.

Il fallait examiner tout le contexte du processus pour déterminer si un régime législatif est une « mesure de réglementation » ou une « mesure pénale ». Le « contexte » dans lequel ces affaires doivent être jugées comprend plusieurs facteurs : la nature et l’objet du régime législatif dont l’application ou l’exécution est en cause; le mécanisme employé pour ordonner l’interrogatoire préalable ou la production obligatoire de documents et le degré d’empiétement possible de ce mécanisme; et l’existence d’une supervision judiciaire. Tous ces facteurs doivent être examinés pour déterminer si une saisie, réelle ou éventuelle, serait abusive au sens de l’article 8. L’objet prédominant de l’enquête était de recueillir des éléments de preuve afin d’intenter une poursuite éventuelle contre Del Zotto en vertu des alinéas 239(1)a) et d). Ces dispositions ont été conçues pour garantir le respect des exigences d’auto-déclaration de la Loi de l’impôt sur le revenu et ont été qualifiées d’élément de ce qui est, en réalité, un régime de réglementation.

Un subpoena duces tecum ne constitue pas une atteinte importante au droit à la vie privée comparativement à une perquisition. De plus, le seul subpoena duces tecum décerné en l’espèce visait Noble. Les documents que celui-ci pouvait posséder sur les affaires financières de Del Zotto n’étaient vraisemblablement plus des documents de caractère privé de Del Zotto; mais la question de savoir s’ils l’étaient à cause d’un lien entre Del Zotto et Noble devait être examinée en fonction des éléments de preuve soumis au président d’enquête. Par ailleurs, un subpoena duces tecum peut être contesté en général ou à l’égard d’un document particulier devant le président d’enquête ou, s’il y a lieu, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, s’il peut être démontré que, dans les circonstances particulières de l’affaire, une atteinte au droit constitutionnel d’une personne est sur le point de se produire. Des objections pourraient alors être soulevées sur la pertinence d’un document donné quant aux fins légitimes de l’enquête.

Il n’y avait pas de motif de déclarer que l’article 231.4 est inopérant. Des utilisations ou des conséquences de l’utilisation de l’article 231.4 qui sont théoriques et potentiellement nulles ne justifient pas le prononcé d’un jugement déclaratoire quant à la nullité totale de cette disposition. Il ne s’était encore rien passé dans l’enquête pour justifier le prononcé d’un jugement déclaratoire en ce sens. Le mandat des responsables de l’enquête était inutilement vaste, mais il était loisible à Noble ou à Del Zotto d’insister pour que ce mandat se limite à l’objet de l’article 231.4, de sorte que les documents personnels n’ayant rien à voir avec la perception de l’impôt sur le revenu n’aient pas à être produits. Le moment où un témoin peut soulever une objection est celui où la Couronne cherche à utiliser le propre témoignage de ce témoin contre lui-même. Par conséquent, le moment auquel l’objection pouvait être soulevée n’était pas à l’enquête, mais au cours du procès que pourrait ultérieurement subir Del Zotto. Si une personne est citée à comparaître à une enquête, elle peut refuser de témoigner si l’objet prédominant de la demande de témoignage est d’obtenir des éléments de preuve incriminants contre elle. En l’espèce, cet objet prédominant en ce qui concerne Del Zotto a été admis, mais Del Zotto n’a pas encore été assigné et pourrait ne jamais l’être.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 8, 11, 13.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52(1).

Loi de la taxe sur le tabac, L.R.O. 1990, ch. T.10.

Loi de l’Impôt de Guerre sur le Revenu, 1917, S.C. 1917, ch. 28, art 8(3).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, art. 115(4).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1), art. 231(3),(7),(8),(12),(13),(14),(15), 231.4 (édicté par S.C. 1986, ch. 6, art. 121), 239 (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 182; ch. 61, art. 25).

Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, art. 17, 34 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 76, art. 16).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28.

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art. 4, 5.

Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1980, ch. 411.

Securities Act, S.B.C. 1985, ch. 83.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416; (1993), 99 D.L.R. (4th) 350; 78 C.C.C. (3d) 510; 18 C.R. (4th) 374; 13 C.R.R. (2d) 65; [1993] 1 C.T.C. 111; 93 DTC 5018; 146 N.R. 270; conf. [1991] 1 C.F. 688 (1991), 91 DTC 5055; 122 N.R. 47 (C.A.); Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; (1990), 65 D.L.R. (4th) 161; 54 C.C.C. (3d) 417; 29 C.P.R. (3d) 97; 76 C.R. (3d) 129; 47 C.R.R. 1; 106 N.R. 161; 39 O.A.C. 161; Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366; (1990), 68 D.L.R. (4th) 641; 55 C.C.C. (3d) 472; 110 N.R. 81; 41 O.A.C. 161; Schreiber c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 176 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3; (1995), 123 D.L.R. (4th) 462; [1995] 5 W.W.R. 129; 4 B.C.L.R. (3d) 1; 60 B.C.A.C. 1; 97 C.C.C. (3d) 505; 7 C.C.L.S. 1; 38 C.R.R (4th) 133; 27 C.R.R. (2d) 189; 180 N.R. 241; 99 W.A.C. 1.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Yang v. R. (1996), 31 O.R. (3d) 66 (Div. gén.); Del Zotto c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1993] A.C.F. no 885 (C.A.) (QL); Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; (1990), 68 D.L.R. (4th) 568; 55 C.C.C. (3d) 530; 76 C.R. (3d) 283; 47 C.R.R. 151; [1990] 2 C.T.C. 103; 90 DTC 6243; 106 N.R. 385; 39 O.A.C. 385; R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451; (1995), 121 D.L.R. (4th) 589; 96 C.C.C. (3d) 1; 36 C.R. (4th) 1; 26 C.R.R. (2d) 1; 177 N.R. 81; 78 O.A.C. 161; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; (1988), 73 Nfld. & P.E.I.R. 13; 55 D.L.R. (4th) 503; 229 A.P.R. 13; 45 C.C.C. (3d) 244; 66 C.R. (3d) 348; 38 C.R.R. 301; 10 M.V.R. (2d) 1; 89 N.R. 249; R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281; (1993), 145 A.R. 104; [1993] 8 W.W.R. 287; 12 Alta. L.R. (3d) 305; 84 C.C.C. (3d) 203; 24 C.R. (4th) 47; 17 C.R.R. (2d) 297; 157 N.R. 321; 55 W.A.C. 104; Cock v. Attorney-General (1909), 28 N.Z.L.R. 405 (C.A.); R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20; (1994), 110 D.L.R. (4th) 297; 87 C.C.C. (3d) 193; 26 C.R. (4th) 289; 19 C.R.R. (2d) 193; 49 M.V.R. (2d) 161; 162 N.R. 321; 69 O.A.C. 81.

DÉCISIONS CITÉES :

R. v. Norway Insulation Inc. (1995), 28 O.R. (3d) 432; [1995] 2 C.T.C. 451; 29 C.R.R. (3d) 163; 95 DTC 5328 (Div. gén.); R. v. Harris, R. (1995), 95 DTC 5653 (C.S.C.-B.); R. v. Jarvis, [1997] A.J. no 214 (C. prov. Alb.) (QL); R. v. Soviak, [1997] O.J. no 1215 (Div. prov.) (QL); Guay c. Lafleur, [1965] R.C.S. 12; (1964), 47 D.L.R. (2d) 226; [1964] C.T.C. 350; 64 DTC 5218; Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; (1995), 124 D.L.R. (4th) 129; 31 Admin. L.R. (2d) 261; 39 C.R. (4th) 141; 180 N.R. 1; R. v. Kabbebe, [1997] A.Q. no 273 (C.A. Qué.) (QL).

APPEL du jugement (Del Zotto c. Canada, [1997] 2 C.F. 428 (1997), 143 D.L.R. (4th) 340 (1re inst.)) par lequel la Section de première instance a rejeté des actions en vue d’obtenir des jugements déclaratoires portant que l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu portait atteinte aux articles 7 ou 8 de la Charte. Appel accueilli.

AVOCATS :

Edward L. Greenspan, c.r., et David W. Stratas pour l’appelant Angelo Del Zotto.

Mahmud Jamal et Alan D. Gold pour l’appelant Herbert B. Noble.

Ivan S. Bloom, c.r., et Gordon S. Campbell pour l’intimée Sa Majesté la Reine du chef du Canada.

Graham F. Pinos, c.r., pour l’intimé D. Reilly Watson.

PROCUREURS :

Greenspan & Associates, Toronto, et Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour l’appelant Angelo Del Zotto.

Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto, et Gold & Fuerst, Toronto, pour l’appelant Herbert B. Noble.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée Sa Majesté la Reine du chef du Canada.

Graham F. Pinos, c.r., Toronto, pour l’intimé D. Reilly Watson.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Strayer, J.C.A. (dissident) : J’ai pu lire une ébauche des motifs de mon collègue le juge MacGuigan et je regrette de ne pas pouvoir être d’accord avec lui. Je suis plutôt d’avis de rejeter l’appel parce que je souscris au raisonnement du juge de première instance [[1997] 2 C.F. 428.

Le juge de première instance a rejeté l’action fondée sur les articles 7 et 8 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] que les appelants ont intentée afin d’obtenir des jugements déclaratoires. En ce qui concerne l’article 7, ses conclusions portent essentiellement que les droit garantis par cette disposition se rapportent à l’auto-incrimination et que, puisque Del Zotto, qui est la « cible » de l’enquête et la personne que la Couronne espère poursuivre, n’a pas été assigné, il est au mieux prématuré d’invoquer l’article 7. En ce qui concerne l’article 8, il a conclu que, eu égard au contexte dans lequel le subpoena duces tecum est utilisé, au contexte réglementaire de l’enquête et à la nature envahissante limitée d’une telle citation, aucune saisie abusive n’est en cause au stade de la délivrance de la citation. J’adopte son raisonnement, et les commentaires qui suivent visent simplement à approfondir certains aspects de son analyse.

En termes succincts, je suis peu disposé à accepter que, parce que certains pourraient qualifier l’enquête de processus criminel, les conditions préalables à l’exécution d’une perquisition que la Cour suprême a énoncées dans l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc.[1] doivent automatiquement être réunies pour qu’une enquête puisse être ouverte en vertu de l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (édicté par S.C. 1986, ch. 6, art. 121)]. Si les utilisations particulières du pouvoir d’assignation dans le cadre d’une telle enquête, ou les utilisations ultérieures particulières des éléments de preuve recueillis au moyen de telles citations, menacent de porter atteinte à des droits garantis par l’article 7 ou 8, c’est uniquement à ce moment-là que ces droits devraient être invoqués.

La preuve des appelants a le défaut d’être verbeuse : l’inflation verbale nuit à l’examen précis des points litigieux en l’espèce. Dans leur mémoire, les appelants affirment :

[traduction] De telles enquêtes sont la marque du pire des états policiers que le monde ait connus[2].

Beaucoup de choses ont été dites sur la Chambre étoilée, qui n’existe plus depuis 350 ans mais qui continue d’alimenter la rhétorique juridique. Revenu Canada aurait « franchi » le Rubicon[3]. L’avocat a soutenu que tout ce processus détruirait le « fil d’or » qui illumine la common law, métaphore bien connue[4] mais qui n’est guère utile pour appliquer des garanties constitutionnelles délicatement équilibrées. La poursuite dont Del Zotto pourrait faire l’objet a été assimilée à une poursuite criminelle ordinaire, et l’exigence qu’un témoin soit tenu de comparaître en privé devant le président d’enquête (auquel cas il serait représenté par un avocat) a été assimilée à l’obligation de subir un interrogatoire policier.

Si je comprends bien, la thèse des appelants est fondamentalement la suivante : Aucun processus dans le cadre duquel une personne (qu’elle soit ou non liée d’une quelconque façon à l’accusé potentiel) pourrait être contrainte à témoigner ou à produire des documents concernant cet accusé potentiel ne peut être commencé si la Couronne ne remplit pas d’abord les conditions énoncées dans l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc.[5] relativement à la délivrance d’un mandat de perquisition autorisant la perquisition de locaux commerciaux ou privés. Pour ces raisons, la nature du document recherché ou des questions posées importe peu; de plus, il importe peu que pareil témoignage soit fait en privé en présence de l’avocat du témoin et de l’accusé potentiel, et devant un président d’enquête nommé par un juge de la Cour de l’impôt. Il est également sans importance qu’une enquête de cette nature ait été qualifiée[6] de processus administratif ne comportant aucune conclusion quant à la culpabilité ou à la responsabilité, que les témoignages recueillis à ce moment-là ne puissent être utilisés directement dans un procès ultérieur et que diverses protections soient accordées par les articles 7 et 13 de la Charte en ce qui concerne l’utilisation d’éléments de preuve originaux ou dérivés ayant un effet auto-incriminant si pareille situation se présente.

Je suis incapable de souscrire à cette thèse, qui n’est pas compatible, selon moi, avec la jurisprudence de la Cour suprême qui se rapporte directement aux dispositions législatives litigieuses en l’espèce, savoir les articles 231.4 et 239 [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 182; ch. 61, art. 25] de la Loi de l’impôt sur le revenu.

L’article 7 de la Charte

Je souscris à l’analyse du juge de première instance sur ce point. Je tiens simplement à ajouter qu’il me paraît particulièrement difficile de comprendre comment les appelants peuvent prétendre à ce moment-ci qu’une citation décernée à Noble portera en soi atteinte au droit de l’accusé potentiel, Del Zotto, de connaître [traduction] « la preuve [de la Couronne] à laquelle il doit répondre ». Comme il a été expliqué, la signification véritable de cette exigence est que l’accusé ne devrait pas être obligé de dévoiler sa défense avant d’avoir été inculpé, avant d’avoir subi un procès et avant que la Couronne n’ait terminé sa preuve. Bien que je ne mette nullement en doute ce droit, je ne comprends pas pourquoi il fait automatiquement obstacle à la délivrance d’un subpoena duces tecum à une personne liée ou non d’une quelconque façon à l’accusé potentiel. Il est bien établi que le dossier ne renferme aucune preuve sur les liens, s’il en est, qui existent entre Noble et Del Zotto. Pourquoi donc la Cour devrait-elle présumer qu’une question posée à Noble ou qu’un document que celui-ci est tenu de produire dévoilera la défense de Del Zotto relativement à une accusation qui n’a même pas encore été portée? Cela voudrait dire que personne ne pourrait être cité même pour produire des documents publics concernant Del Zotto ou pour témoigner relativement à ses activités ou à ses déclarations publiques. En toute déférence, je pense que les appelants vont trop loin lorsqu’ils invoquent ce moyen. Comme je l’indique ci-après, il existe un moment pour protéger les droits indubitables d’un accusé de ne pas s’incriminer et une façon de le faire, mais ce n’est pas maintenant ni ainsi.

L’article 8 de la Charte

Selon moi, l’argument des appelants voulant que l’enquête vise simplement à recueillir des éléments de preuve en vue d’intenter une poursuite criminelle est trop simpliste et mène à la conclusion prématurée et inutile que toutes les règles applicables à une poursuite fondée sur le Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] s’appliquent, y compris les principes énoncés dans l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. Il n’y a pas de doute que de nombreuses garanties constitutionnelles, dont toutes celles qui sont prévues à l’article 11 (qui s’appliquent à tout « inculpé »), s’appliqueraient au moment voulu. Toutefois, les droits prévus à l’article 8 s’appliquent différemment selon l’attente raisonnable en matière de respect du droit à la vie privée concernant l’objet et la nature de l’atteinte à ce droit. De tels facteurs se rapportent au caractère raisonnable d’une saisie.

Par conséquent, bien que les appelants puissent évidemment invoquer la « pleine protection » offerte par des droits constitutionnels, il faut considérer, dans le contexte de l’espèce, quels sont les droits constitutionnels pertinents. Je partage l’opinion de mon collègue sur l’importance du droit à la vie privée, mais c’est un droit qui est assujetti de bien des façons à des droits collectifs antagonistes.

Je tiens d’abord à dire, dans le cadre de mon analyse des exigences de l’article 8 en l’espèce, que les décisions de la Cour suprême qui portent sur la production obligatoire de documents ne s’accompagnant d’aucune perquisition me paraissent beaucoup plus pertinentes que celles qui concernent les conditions de délivrance d’un mandat de perquisition. J’établis également une distinction entre la présente espèce et des affaires comme Starr c. Houlden[7] qui touchent à la nature criminelle d’éventuelles conclusions de nature publique quant aux faits et au droit. Une enquête semblable à celle qui nous intéresse en l’espèce ne débouche sur aucune conclusion et se déroule en privé.

À mon avis, les deux arrêts les plus pertinents sont les arrêts Thomson[8] et R. c. McKinlay Transport Ltd.[9], qui ont tous deux été rendus le 29 mars 1990. L’arrêt McKinlay est particulièrement pertinent puisqu’il se rapporte à une forme d’interrogatoire préalable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’arrêt Thomson concerne la production obligatoire d’éléments de preuve afin de déterminer si une infraction prévue à l’article 34 [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 76, art. 16] de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions avait été commise par les personnes auxquelles il avait été enjoint de témoigner et de produire des documents. Aucune de ces affaires ne concerne un mandat de perquisition. Dans ces deux affaires, il a été statué que les procédures ne portaient pas atteinte à des droits garantis par l’article 8. En revanche, des arrêts comme Hunter[10] et Baron c. Canada[11] se rapportent aux conditions préalables à la délivrance d’un mandat de perquisition.

Comme mon collègue le juge MacGuigan, je m’appuie sur ce qu’a dit le juge Sopinka dans les motifs unanimes de la Cour suprême dans l’arrêt Baron[12], c’est-à-dire que les étiquettes pour ce qui est de savoir si un régime législatif est une « mesure de réglementation » ou une « mesure pénale » ne sont pas décisives pour déterminer si une perquisition ou une saisie abusive est autorisée. Le juge Sopinka a plutôt affirmé qu’il faut examiner tout le contexte du processus particulier en question. Dans l’arrêt Baron, des mandats de perquisition avaient été décernés sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu sans que le juge chargé de décerner les mandats ne puisse exercer son pouvoir discrétionnaire une fois prouvée l’existence de motifs raisonnables. Tout en reconnaissant que la Cour avait statué que la Loi de l’impôt sur le revenu était une mesure de réglementation dans l’arrêt McKinlay, le juge Sopinka a conclu que, puisqu’une « entrée et [une] perquisition » seraient autorisées dans l’affaire dont il était saisi, il fallait que les conditions préalables définies dans l’arrêt Hunter soient réunies pour que les mandats de perquisition soient décernés. Il a toutefois ajouté :

La perquisition dans des locaux privés … constitue la plus grave atteinte à la vie privée, abstraction faite de l’atteinte à l’intégrité physique. Cela est tout à fait différent que d’obliger une personne à comparaître lors d’un interrogatoire sous serment et à apporter avec elle certains documents, en vertu d’un subpoena duces tecum (Thomson Newspapers, précité) ou à produire des documents sur demande (McKinlay Transport, précité). Les juges La Forest et L’Heureux-Dubé ont tous deux reconnu dans l’arrêt Thomson Newspapers, précité, aux pp. 520 et 594 respectivement, que le pouvoir d’effectuer une perquisition dans un endroit porte plus atteinte à la vie privée d’un particulier que le simple pouvoir d’ordonner la production de documents. [Non souligné dans l’original.]

À l’évidence, donc, le juge Sopinka n’était pas disposé à affirmer que l’article 8 empêche la production obligatoire de documents lorsqu’une poursuite est possible.

D’après la jurisprudence, il me semble que le « contexte » dans lequel ces affaires doivent être jugées comprend plusieurs facteurs : la nature et l’objet du régime législatif dont l’application ou l’exécution est en cause; le mécanisme employé pour ordonner l’interrogatoire préalable ou la production obligatoire de documents et le degré d’empiétement possible de ce mécanisme; et l’existence d’une supervision judiciaire. Il faut examiner tous ces facteurs pour déterminer si une saisie, réelle ou éventuelle, serait abusive au sens de l’article 8.

L’arrêt Thomson porte sur la validité d’ordonnances enjoignant de rendre témoignage et de produire des documents, rendues par un membre de la Commission des pratiques restrictives du commerce en application de l’article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions[13]. Le prononcé de ces ordonnances n’entraînait aucune intervention judiciaire, et il n’y avait aucune condition préalable à remplir à cet égard. En pratique, ces ordonnances ressemblaient à un subpoena duces tecum. Elles précisaient que l’objet de l’enquête était de déterminer si les personnes visées par les ordonnances avaient commis l’infraction de pratique de prix d’éviction prévue à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, laquelle est punissable par un emprisonnement. De même, en l’espèce, bien qu’il n’existe aucune ordonnance semblable dont l’objet déclaré est une poursuite, la Couronne reconnaît que l’objet prédominant de l’enquête est de recueillir des éléments de preuve afin d’intenter une poursuite éventuelle contre Del Zotto en vertu des alinéas 239(1)a) et d) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Dans l’arrêt Thomson, les cinq juges majoritaires de la Cour suprême ont statué que l’article 17 ne portait pas atteinte à l’article 8 de la Charte. Même si cinq jugements distincts ont été rendus, il semble que les trois juges qui ont confirmé la validité de l’article 17 au regard de l’article 8 de la Charte ont examiné plusieurs facteurs contextuels mentionnés plus haut. Le juge La Forest a déclaré que les attentes quant au respect du droit à la vie privée diffèrent selon qu’il s’agit d’affaires réglementaires ou pénales. Selon lui, le fait que l’emprisonnement était une sanction possible de l’infraction prévue à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne rendait pas forcément l’affaire criminelle du point de vue des attentes raisonnables en matière de vie privée. Il a ensuite analysé la nature et l’objet de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et a conclu qu’il s’agissait d’un système de réglementation économique concernant des questions importantes pour l’économie, mais ne visait pas le contrôle d’actes moralement ou socialement répréhensibles au sens où on l’entend normalement en droit criminel. Il a souligné qu’il était important que les entreprises respectent les conditions de la libre concurrence et observent la loi sans inspection régulière. Comme l’efficacité de la loi reposait grandement sur l’auto-réglementation dans des secteurs qui ne sont normalement pas soumis à une surveillance officielle, il était important qu’il existe un système efficace de pénalités en cas d’inobservation de la loi. Par conséquent, les pénalités se rapportaient à la nature réglementaire de la Loi. Le juge La Forest a déclaré que la conduite à l’égard de laquelle une pénalité avait été imposé

… est rendue criminelle pour des raisons strictement pratiques[14].

Il a ensuite fait des comparaisons avec la Loi de l’impôt sur le revenu à cet égard, en particulier l’article 239 qui est une des dispositions en cause en l’espèce. Il a fait remarquer :

Comme dernière remarque, je soulignerais que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions n’est pas différente de la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne les sanctions. En vertu de l’art. 239 de cette dernière loi, un contribuable peut être passible « d’un emprisonnement d’au plus 5 ans » si le procureur général du Canada choisit de le poursuivre par voie de mise en accusation. Les infractions qui font l’objet de cette peine sont définies au par. 239(1). Elles comprennent notamment le fait de faire « des déclarations fausses ou trompeuses (…) dans une déclaration, certificat, état ou réponse produits ou faits en vertu de la présente loi » (al. 239(1)a)), de détruire, altérer, mutiler, cacher les registres ou livres de compte « pour éluder le paiement d’un impôt établi par la présente loi » (al. 239(1)b)), de consentir ou d’acquiescer à l’omission d’inscrire « un détail important dans les registres ou livres de compte d’un contribuable » (al. 239(1)c)), d’éluder « volontairement, de quelque manière, (…) l’observation de la présente loi ou le paiement d’un impôt établi en vertu de cette loi » (al. 239(1)d)), et de conspirer « avec une personne pour commettre une infraction visée aux alinéas a) à d) » (al. 239(1)e)). Toutes ces infractions se rapportent à une conduite qui pourrait fort bien être découverte par l’exercice du pouvoir d’ordonner la production de documents que le par. 231(3) confère au ministre du Revenu national. Cela n’a pas empêché notre Cour de dire que le pouvoir d’enquête du par. 231(3) est de nature réglementaire ou administrative; voir l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., précité. Je ne vois pas pourquoi nous devrions considérer le risque d’emprisonnement comme ayant un effet différent dans le cas de l’art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions[15].

Bien qu’on puisse peut-être dire que les remarques qu’il a faites sur la Loi de l’impôt sur le revenu dans le contexte de l’arrêt Thomson étaient des remarques incidentes, il convient de mentionner que cet arrêt et l’arrêt McKinlay, qui concerne en réalité la Loi de l’impôt sur le revenu, ont été rendus le même jour, et le juge se réfère à l’arrêt McKinlay dans ce passage. De plus, dans les motifs concordants qu’il a exposés dans l’arrêt McKinlay, il adopte les motifs qu’il a exposés dans l’arrêt Thomson au soutien de la conclusion à laquelle il arrive dans l’arrêt McKinlay, savoir que la Loi de l’impôt sur le revenu, bien qu’assortie de sanctions pénales[16], est essentiellement de nature administrative. Les deux décisions sont donc reliées entre elles.

Le juge La Forest a ensuite conclu que dans ce genre de contexte réglementaire, les attentes quant au respect du droit à la vie privée sont beaucoup moins grandes s’agissant de l’exécution, pour l’application de l’article 8. Cela l’a amené à conclure que la procédure en question dans l’arrêt Thomson, qui ressemblait beaucoup à un subpoena duces tecum, ne comportait aucune saisie abusive au sens de l’article 8 de la Charte.

Le juge L’Heureux-Dubé a convenu dans l’arrêt Thomson que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et la Loi de l’impôt sur le revenu sont des lois de nature réglementaire, et elle a précisé que c’était là une raison importante pour laquelle les attentes en matière de vie privée étaient un peu moins grandes.

Le juge Sopinka a conclu dans l’arrêt Thomson que l’article 17 ne portait pas atteinte à l’article 8 de la Charte, mais il n’a pas fondé sa conclusion sur le fait que l’article 17 faisait partie d’un système de réglementation. Il a plutôt statué sur la question en s’appuyant sur la nature d’une ordonnance de production de documents rendue en vertu de l’article 17. Selon lui, il ne s’agissait pas d’une « saisie » au sens de l’article 8. Il n’a donc pas eu à examiner la question de savoir si la saisie était « raisonnable ». Sa décision est importante, toutefois, puisqu’elle met en évidence le degré modeste d’intervention qu’entraîne une ordonnance comme un subpoena duces tecum. Même si, comme cela semble actuellement être l’opinion prédominante, on traite de telles ordonnances comme des « saisies », le degré limité d’intervention en cause, comme le fait ressortir le raisonnement du juge Sopinka, est un facteur important pour déterminer le caractère raisonnable d’une « saisie ».

Mme le juge Wilson, aux motifs de laquelle le juge Lamer [alors juge puîné] a souscrit dans une opinion distincte qu’il a rédigée dans l’arrêt Thomson, a approuvé les principes généraux énoncés plus haut, mais a qualifié la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions de loi de nature criminelle et, partant, a estimé que des contrôles plus rigoureux étaient appropriés à l’égard des saisies. Cela ne touche guère notre analyse de la Loi de l’impôt sur le revenu, toutefois, parce que, comme il est mentionné ci-après, le juge Wilson dans l’arrêt McKinlay a qualifié la Loi de mesure de réglementation et a confirmé les dispositions pertinentes.

Dans l’arrêt McKinlay, les cinq mêmes juges ont confirmé le paragraphe 231(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu qui autorisait la tenue d’une vérification fiscale au moyen de la signification à des contribuables, au nom du ministre, de lettres exigeant des renseignements et la production de documents. Ce régime a une fois de plus été contesté en vertu de l’article 8 de la Charte parce qu’il ne comportait aucune des conditions préalables à la délivrance de ces lettres qui sont prévues dans l’arrêt Hunter. Mme le juge Wilson, aux motifs de laquelle les juges Lamer, La Forest et L’Heureux-Dubé ont souscrit, a analysé la nature et l’objet de la Loi de l’impôt sur le revenu. Elle a conclu que cette loi constitue [à la page 636] « l’une des principales sources de revenu du gouvernement fédéral ». (Il convient de faire remarquer en passant que c’est aussi l’une des principales sources de revenu de tous les gouvernements provinciaux sauf celui du Québec.) La Loi fonctionne sur le mode de l’auto-déclaration. Il est nécessaire que le ministre ait certains pouvoirs appropriés d’inspection parce qu’il y aura toujours des contribuables qui ne se conformeront pas aux exigences en matière de déclaration. Le juge Wilson a déclaré :

Le Ministre doit être capable d’exercer ces pouvoirs, qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un certain contribuable a violé la Loi[17].

Le juge Wilson a conclu que les demandes de production de renseignements en question ne portaient atteinte à aucune expectative raisonnable quant au respect du droit à la vie privée, vu la nature générale et l’objet de la Loi. Elle a en outre insisté sur le fait que cette forme de demande était la « méthode la moins envahissante » pour contrôler le respect de la Loi. Le juge Sopinka a souscrit au résultat, mais il l’a fait pour les mêmes motifs que ceux qu’il a adoptés dans l’arrêt Thomson, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas eu de saisie et, partant, que l’article 8 n’entrait pas en jeu. Ces motifs font au moins ressortir une fois de plus le fait qu’une simple demande de production de documents n’est pas envahissante.

L’arrêt McKinlay est très pertinent parce que, bien qu’il ne concerne pas une poursuite éventuelle (sauf en cas de refus de donner suite à la demande de production de renseignements), il traite d’une forme d’obligation qui ressemble à celle d’un subpoena duces tecum. De plus, dans un sens, cette forme d’obligation était plus envahissante parce que les renseignements étaient simplement fournis au ministre en dehors de tout processus administratif comme dans le cas d’une enquête en vertu de l’article 231.4 où la cible de l’enquête peut être représentée par un avocat et des objections peuvent être soulevées au sujet de la pertinence.

Sur la base de ces arrêts, qui sont très pertinents parce qu’ils appuient directement ou indirectement la nature réglementaire de la Loi de l’impôt sur le revenu et l’approche contextuelle d’une saisie raisonnable, je vais examiner quelques aspects importants de la présente affaire.

Premièrement, il convient de faire remarquer que l’article 8 de la Charte ne s’applique pas à l’obligation de témoigner. Comme l’a fait remarquer le juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Thomson :

Conclure qu’une ordonnance de témoigner constitue une « saisie », probablement une « saisie » de la pensée de quelqu’un, reviendrait à donner à ce terme un sens qu’il n’a absolument pas[18].

Deuxièmement, au lieu de s’appesantir sur des généralités concernant l’article 239 de la Loi de l’impôt sur le revenu, il est important de voir exactement ce qu’il dispose.

239. (1) Toute personne qui

a) a fait des déclarations fausses ou trompeuses, ou a participé, consenti ou acquiescé à leur énonciation dans une déclaration, certificat, état ou réponse produits ou faits en vertu de la présente loi ou d’un règlement,

b) a, pour éluder le paiement d’un impôt établi par la présente loi, détruit, altéré, mutilé, caché les registres ou livres de comptes d’un contribuable ou en a disposé autrement,

c) a fait des inscriptions fausses ou trompeuses, ou a consenti ou acquiescé à leur accomplissement, ou a omis, ou a consenti ou acquiescé à l’omission d’inscrire un détail important dans les registres ou livres de comptes d’un contribuable,

d) a, volontairement, de quelque manière, éludé ou tenté d’éluder l’observation de la présente loi ou le paiement d’un impôt établi en vertu de cette loi, ou

e) a conspiré avec une personne pour commettre une infraction visée aux alinéas a) à d),

est coupable d’une infraction et, en plus de toute autre peine prévue par ailleurs, est passible, sur déclaration sommaire de culpabilité,

f) d’une amende minimale de 50 % de l’impôt que cette personne a tenté d’éluder et maximale de 200 % de cet impôt, ou

g) à la fois de l’amende prévue à l’alinéa f) et d’un emprisonnement d’au plus 2 ans.

(2) Toute personne accusée d’une infraction visée au paragraphe (1) peut, au choix du procureur général du Canada, être poursuivie par voie de mise en accusation et, si elle est déclarée coupable, encourt, outre toute pénalité prévue par ailleurs :

a) une amende minimale de 100 % de l’impôt que cette personne a tenté d’éluder et maximale de 200 % de cet impôt; et

b) un emprisonnement maximal de cinq ans.

En l’espèce, Revenu Canada a avisé Del Zotto que des accusations peuvent être portées contre lui en vertu des alinéas 239(1)a) et d), qui font tous deux partie du même régime. Ce qui est frappant à propos des infractions prévues aux alinéas 239(1)a) à e), c’est qu’elles concernent toutes une éventuelle évasion fiscale au moyen de fausses déclarations, de documents falsifiés, d’échappatoires ou d’un complot en vue de commettre l’un de ces actes. Il ne s’agit pas d’une règle de droit criminel ordinaire, mais d’une règle de droit conçue pour garantir le respect des exigences d’auto-déclaration de la Loi de l’impôt sur le revenu, que le juge La Forest a qualifiée d’élément de ce qui est, en réalité, un régime de réglementation dans le passage de l’arrêt Thomson précité. Comme celui-ci l’a dit en parlant de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, pareille conduite

… est rendue criminelle pour des raisons strictement pratiques.

Les prétentions que les appelants font valoir quant au droit à la vie privée dans l’optique de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu sont exagérées. La Loi exige la divulgation de toutes sortes de renseignements. Le contribuable doit notamment divulguer son lieu de résidence, son âge, son numéro d’assurance sociale, son état civil ou s’il vit en union de fait, ses sources de revenu et les montants gagnés, les noms des personnes à sa charge, leur âge et leurs déficiences physiques possibles si elles sont handicapées, les montants et les usages de ses dons de bienfaisance ou de ses contributions politiques, s’il entend réclamer des crédits d’impôt, les noms de ses employés ou des personnes qu’il reçoit s’il veut déduire les frais engagés à titre de dépenses d’entreprise, et des précisions sur son mécanisme de pension. S’il a un employeur, il doit divulguer bon nombre de ces renseignements non seulement à Revenu Canada, mais aussi à son employeur afin que les retenues d’impôt obligatoires puissent être faites.

Un subpoena duces tecum ne constitue pas une atteinte importante au droit à la vie privée comparativement à une perquisition. Ce fait a été reconnu à plusieurs reprises[19]. Il convient en outre de souligner qu’en l’espèce le seul subpoena duces tecum qui ait jamais été décerné visait non pas Del Zotto, la « cible » présumée, mais Noble, qui est une personne dont la Cour ne connaît pas le statut. Il n’est pas sans intérêt que les documents que Noble peut posséder sur Del Zotto ne soient vraisemblablement plus des documents de caractère privé de Del Zotto; s’ils le sont à cause d’un lien entre Del Zotto et Noble, cette question devra être examinée en fonction des éléments de preuve soumis au président d’enquête.

Par ailleurs, un subpoena duces tecum peut être contesté en général ou à l’égard d’un document particulier devant le président d’enquête ou, s’il y a lieu, dans le cadre d’un contrôle judiciaire s’il peut être démontré que, dans les circonstances particulières de l’affaire, une atteinte au droit constitutionnel d’une personne est sur le point de se produire[20]. Des objections pourraient également être soulevées à ce moment-là sur la pertinence d’un document donné quant aux fins légitimes de l’enquête.

L’article 231.4 sous le régime duquel l’enquête visée par l’espèce est menée garantit à la fois au témoin et à la « cible » de l’enquête le droit d’être « représenté » par un avocat sauf dans des circonstances exceptionnelles. Malgré les suggestions de l’avocat des appelants, il n’y a, selon moi, aucune décision qui appuie l’affirmation selon laquelle l’avocat qui représente un témoin ou une cible ne serait pas autorisé à soulever des objections quant à la pertinence ou à la constitutionnalité d’une citation ou d’un document particulier. Le sens normal du mot « représenté » doit comprendre ce droit.

Tous ces facteurs, considérés conjointement, m’amènent à conclure, comme l’a fait le juge de première instance, que la tenue d’une enquête et la délivrance de subpoenas duces tecum sont des mesures qui ne sauraient en elles-mêmes être vues comme menant inévitablement à une saisie abusive au sens de l’article 8, de manière à justifier l’interruption de l’enquête à ce stade-ci.

Recours

Le juge de première instance a insisté sur le fait que la simple ouverture de l’enquête et la délivrance d’une citation à Noble n’ont pas porté atteinte à l’article 8. Dans le cadre de l’appel, les appelants, qui avaient demandé dans leurs conclusions initiales un jugement déclaratoire portant que l’article 231.4 est nul ou, à titre subsidiaire, que l’enquête en question est nulle, ont reproché au juge de première instance d’avoir uniquement statué sur la dernière question. Selon moi, il ressort clairement de son jugement qu’il a estimé qu’il n’y avait pas lieu de déclarer que toute la disposition était nulle. Je suis d’accord avec lui.

Il ne s’agit pas d’une affaire comme les affaires Hunter ou Baron dans lesquelles la disposition ne peut guère ou pas s’appliquer valablement en raison de l’absence d’un élément essentiel. Le fondement du reproche adressé par les appelants est que, dans certaines circonstances, une enquête ouverte en vertu de cette disposition, ou une citation particulière décernée dans le cadre d’une telle enquête, ou la production d’un document particulier, ou encore l’utilisation dans une poursuite ultérieure d’éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête, pourrait porter atteinte aux droits constitutionnels garantis à une personne par l’article 7 ou 8 de la Charte. On pourrait dire la même chose d’une enquête ouverte en vertu de la Loi sur les enquêtes fédérale[21] et des différentes lois provinciales équivalentes qui autorisent en des termes les plus larges possible la mise sur pied de commissions d’enquête qui sont notamment dotées de pouvoirs d’assignation. Il existe de nombreux cas dans lesquels on a contesté avec succès le mandat particulier de ces commissions d’enquête ou certains actes ou certaines conclusions de commissaires, dont certains se rapportent à des droits constitutionnels semblables à ceux qui sont litigieux en l’espèce. Toutefois, le simple fait que la Loi sur les enquêtes pourrait parfois être utilisée à des fins inconstitutionnelles ne justifierait pas le prononcé d’un jugement déclaratoire quant à sa nullité totale. J’estime en outre que des utilisations ou des conséquences de l’utilisation de l’article 231.4 qui sont théoriques et potentiellement nulles ne justifient pas le prononcé d’un jugement quant à la nullité de cette disposition.

Il ne s’est encore rien passé dans l’enquête en question pour justifier le prononcé d’un jugement déclaratoire portant nullité.

Il est vrai que le mandat des responsables de l’enquête est très vaste; selon moi, il est inutilement vaste. Est autorisée la tenue d’une enquête

[traduction] … sur les affaires financières d’Angelo Del Zotto pour les années d’imposition 1979 à 1985 inclusivement.

Toutefois, il est sûrement loisible à Noble ou à Del Zotto d’insister pour que ce mandat se limite à l’objet du paragraphe 231.4(1) qui autorise l’ouverture d’une enquête sur ce qui

231.4 (1) … se rapporte à l’application et l’exécution de la présente loi.

Par conséquent, les documents personnels qui n’ont rien à voir avec la perception de l’impôt sur le revenu n’ont pas à être produits. Comme je l’ai mentionné plus haut, des objections peuvent être soulevées devant le président d’enquête et, au besoin, un contrôle judiciaire peut être demandé, mais uniquement au moment où le problème se pose réellement. À la rigueur, une citation particulière pourrait être contestée au lieu d’attendre pour contester la production de documents précis. Les appelants n’ont toutefois pas exercé ce recours.

En ce qui concerne les craintes relatives à l’auto-incrimination, celles-ci devraient également être exprimées et examinées dans le cadre de l’enquête ou même plus tard si la Couronne cherche à utiliser des éléments de preuve ou des documents auto-incriminants dérivés de l’enquête au cours d’un procès ultérieur. Comme il a été statué dans l’arrêt R. c. S. (R.J.)[22], un témoin peut être contraint à témoigner au procès que subit une autre personne relativement à la perpétration d’un crime auquel le témoin peut avoir été mêlé, mais peut par la suite s’opposer à l’utilisation dans son propre procès d’un élément de preuve dérivé du témoignage qu’il a fait dans le cadre du premier procès. En d’autres termes, le moment où un témoin peut soulever une objection est celui où la Couronne cherche à utiliser le témoignage de ce témoin contre lui-même. Il en va peut-être de même lorsqu’on cherche à utiliser contre un accusé qui subit son procès une preuve dérivée obtenue au cours du témoignage que sa femme a été contrainte de rendre dans une instance antérieure[23]. C’est toutefois parce que cette dernière, comme l’accusé, ne serait pas un témoin contraignable au procès. Cela veut dire que, en l’espèce, le moment auquel l’objection peut être soulevée n’est pas à l’enquête, mais au cours du procès que pourrait ultérieurement subir Del Zotto. Une fois de plus, comme l’a statué la Cour suprême dans l’arrêt British Columbia Securities Commission c. Branch[24], si une personne est assignée à une enquête (la première étape), elle peut refuser de témoigner si l’objet prédominant de la demande de témoignage est d’obtenir des éléments de preuve incriminants contre elle. En l’espèce, cet objet prédominant en ce qui concerne Del Zotto a été admis. Del Zotto n’a toutefois pas encore été assigné et pourrait ne jamais l’être.

Bref, s’il existe des circonstances dans lesquelles l’utilisation de ce pouvoir d’enquête, ou l’utilisation ultérieure de la preuve dérivée de l’enquête, peut porter atteinte à des droits constitutionnels, il sera possible de faire valoir ces droits au moment où l’atteinte est imminente et peut être démontrée. Jusqu’à maintenant, la Cour a uniquement été saisie d’hypothèses.

Par ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel et de ne rendre aucun jugement déclaratoire à ce moment-ci quant à la nullité de la Loi ou de l’enquête.

***

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge MacGuigan, J.C.A. : La présente affaire se rapporte à la contestation de la constitutionnalité de la « disposition portant enquête », savoir l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, modifiée (la Loi), fondée sur les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

I

L’appelant Del Zotto a été soupçonné d’évasion fiscale à la suite d’une vérification effectuée en 1985 par la Direction de la vérification de Revenu Canada. En 1986, la Division des enquêtes spéciales de Revenu Canada a commencé à scruter les affaires financières de l’appelant, ce qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête sur ses affaires financières pour les années 1979 à 1985, comme l’autorise l’article 231.4, qui est ainsi libellé :

231.4 (1) Le ministre peut, pour l’application et l’exécution de la présente loi, autoriser une personne, qu’il s’agisse ou non d’un fonctionnaire du ministère du Revenu national, à faire toute enquête que celle-ci estime nécessaire sur quoi que ce soit qui se rapporte à l’application et l’exécution de la présente loi.

(2) Le ministre qui, conformément au paragraphe (1), autorise une personne à faire enquête doit immédiatement demander à la Cour canadienne de l’impôt une ordonnance où soit nommé un président d’enquête.

(3) Aux fins d’une enquête autorisée par le paragraphe (1), le président d’enquête nommé en vertu du paragraphe (2) a tous les pouvoirs conférés à un commissaire par les articles 4 et 5 de la Loi sur les enquêtes et ceux qui sont susceptibles de l’être par l’article 11 de cette loi.

(4) Le président d’enquête nommé en vertu du paragraphe (2) exerce les pouvoirs conférés à un commissaire par l’article 4 de la Loi sur les enquêtes à l’égard des personnes que la personne autorisée à faire enquête considère comme appropriées pour la conduite de celle-ci; toutefois, le président d’enquête ne peut exercer le pouvoir de punir une personne que si, à la requête de celui-ci, un juge d’une cour supérieure ou d’une cour de comté atteste que ce pouvoir peut être exercé dans l’affaire exposée dans la requête et que si le requérant donne à la personne à l’égard de laquelle il se propose d’exercer ce pouvoir avis de l’audition de la requête 24 heures avant ou dans le délai plus court que le juge estime raisonnable.

(5) Quiconque témoigne à une enquête autorisée par le paragraphe (1) a le droit d’être représenté par avocat et, sur demande faite au ministre, de recevoir transcription de sa déposition.

(6) Toute personne dont les affaires donnent lieu à une enquête autorisée par le paragraphe (1) a le droit d’être présente et d’être représentée par avocat tout au long de l’enquête, sauf si le président d’enquête nommé en vertu du paragraphe (2) en décide autrement, sur demande du ministre ou d’un témoin, pour tout ou partie de l’enquête, pour le motif que la présence de cette personne et de son avocat ou de l’un d’eux nuirait à la bonne conduite de l’enquête.

Aux termes du paragraphe 231.4(3) précité, le président d’enquête a tous les pouvoirs conférés à un commissaire par les articles 4 et 5 de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, qui dispose :

4. Les commissaires ont le pouvoir d’assigner devant eux des témoins et de leur enjoindre de :

a) déposer oralement ou par écrit sous la foi du serment, ou d’une affirmation solennelle si ceux-ci en ont le droit en matière civile;

b) produire les documents et autres pièces qu’ils jugent nécessaires en vue de procéder d’une manière approfondie à l’enquête dont ils sont chargés.

5. Les commissaires ont, pour contraindre les témoins à comparaître et à déposer, les pouvoirs d’une cour d’archives en matière civile.

La première disposition que l’article 231.4 a remplacée a été adoptée en 1917, mais autorisait les enquêtes uniquement sur le « revenu de tout contribuable » : Loi de l’Impôt de Guerre sur le Revenu, 1917, S.C. 1917, ch. 28, paragraphe 8(3). En 1948, ce libellé a été modifié pour autoriser les enquêtes « relevant de l’application ou de l’exécution de ladite loi » : Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, paragraphe 115(4). La disposition portant enquête a de nouveau été modifiée afin d’offrir certaines protections au contribuable sur le plan de la procédure, comme la nomination d’un président d’enquête indépendant : S.C. 1970-71-72, ch. 63, paragraphes 231(7), 231(8), 231(12), 231(13), 231(14), 231(15). L’article 239 de la Loi est également pertinent, puisqu’il est reconnu que la disposition portant enquête est invoquée pour enquêter sur les infractions en matière d’évasion fiscale prévues à cette disposition, dont voici le libellé :

239. (1) Toute personne qui

a) a fait des déclarations fausses ou trompeuses, ou a participé, consenti ou acquiescé à leur énonciation dans une déclaration, certificat, état ou réponse produits ou faits en vertu de la présente loi ou d’un règlement,

b) a, pour éluder le paiement d’un impôt établi par la présente loi, détruit, altéré, mutilé, caché les registres ou livres de comptes d’un contribuable ou en a disposé autrement,

c) a fait des inscriptions fausses ou trompeuses, ou a consenti ou acquiescé à leur accomplissement, ou a omis, ou a consenti ou acquiescé à l’omission d’inscrire un détail important dans les registres ou livres de comptes d’un contribuable,

d) a, volontairement, de quelque manière, éludé ou tenté d’éluder l’observation de la présente loi ou le paiement d’un impôt établi en vertu de cette loi, ou

e) a conspiré avec une personne pour commettre une infraction visée aux alinéas a) à d),

est coupable d’une infraction et, en plus de toute autre peine prévue par ailleurs, est passible, sur déclaration sommaire de culpabilité,

f) d’une amende minimale de 50 % de l’impôt que cette personne a tenté d’éluder et maximale de 200 % de cet impôt, ou

g) à la fois de l’amende prévue à l’alinéa f) et d’un emprisonnement d’au plus 2 ans.

(2) Toute personne accusée d’une infraction visée au paragraphe (1) peut, au choix du procureur général du Canada, être poursuivie par voie de mise en accusation et, si elle est déclarée coupable, encourt, outre toute pénalité prévue par ailleurs :

a) une amende minimale de 100 % de l’impôt que cette personne a tenté d’éluder et maximale de 200 % de cet impôt; et

b) un emprisonnement maximal de cinq ans.

Le 19 avril 1991, l’avocat de l’appelant Del Zotto a été informé au cours d’une rencontre avec des fonctionnaires de la Division des enquêtes spéciales que Revenu Canada avait l’intention de poursuivre Del Zotto en justice pour évasion fiscale sous le régime des alinéas 239(1)a) et d) de la Loi (Dossier d’appel, vol. XV, à la page 2495). Le montant de l’impôt fédéral que l’appelant aurait tenté d’éluder s’élèverait à 1 669 062 $ (Dossier d’appel, vol. VII, à la page 1058).

Les articles 7 et 8 de la Charte sont ainsi libellés :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Vers la fin de 1992, le ministère du Revenu national a nommé un enquêteur et a obtenu la nomination d’un président d’enquête par le juge en chef de la Cour de l’impôt. Le 21 avril 1993, l’appelant Del Zotto a été avisé que ses affaires financières feraient l’objet d’une enquête pour les années d’imposition 1979 à 1985 inclusivement et que la présentation de la preuve commencerait le 6 mai 1993 (Dossier d’appel, vol. VII, à la page 1089). L’appelant Del Zotto n’a pas lui-même été initialement assigné comme témoin, encore que le sous-ministre adjoint ait reconnu dans la lettre en date du 30 septembre 1992 qu’il a adressée au sous-ministre du Revenu national pour demander la mise sur pied de la commission d’enquête que [traduction] « il est possible qu’Angelo Del Zotto soit également cité à comparaître à l’enquête » (Dossier d’appel, vol. VII, à la page 1059). Le témoin cité à comparaître le 6 mai était l’appelant Noble, qui a été sommé d’apporter tous les documents en sa possession ou sous sa garde portant sur les affaires financières de l’appelant Del Zotto pour les années d’imposition 1979 à 1985 inclusivement, y compris les documents se rapportant à cinq personnes morales nommément désignées (Dossier d’appel, vol. VII, aux pages 1090 et 1091).

Le 6 mai, l’avocat des deux appelants a demandé un ajournement pour permettre à la Cour d’analyser les pouvoirs de l’enquête (Dossier d’appel, vol. VII, à la page 1044 et suiv.). Cet ajournement a été accordé le lendemain.

La demande fondée sur l’article 28 qui a été soumise à la Cour se rapportait à la nomination du président d’enquête. Invoquant l’arrêt Guay v. Lafleur, [1965] R.C.S. 12, la Cour a statué que l’enquête était de nature purement administrative et ne pouvait trancher ni décider quoi que ce soit, et qu’il fallait donc rejeter la demande de contrôle judiciaire : [Del Zotto c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1993] A.C.F. no 885 (C.A.) (QL)]. La Cour d’appel (le juge Hugessen) a toutefois ajouté (à la page 6 (QL)) :

Dans sa plaidoirie, l’avocat du requérant a expressément refusé de contester l’article 231.4 en se fondant sur la Charte. Compte tenu du traitement réservé aux articles voisins et connexes de la Loi de l’impôt sur le revenu [le juge Hugessen s’est référé à Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, et à Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535, une contestation semblable s’impose.

C’est cette contestation qui nous est soumise en l’espèce, à la suite du prononcé d’une décision au fond par la Section de première instance le 24 janvier 1997 [[1997] 2 C.F. 428.

II

Quelle est la nature de l’enquête ouverte par la Division des enquêtes spéciales?

Premièrement, il convient de faire remarquer que l’objectif des enquêtes spéciales est « de planifier et d’administrer des programmes d’enquêtes criminelles » : Manuel des opérations de l’impôt (M.O.I.) de Revenu Canada, paragraphe 1111(1), Dossier d’appel, vol. VIII, à la page 1252. De plus, « [s]euls les cas pouvant donner lieu à des poursuites seront retenus pour fins d’enquête exhaustive » : M.O.I., paragraphe 1112(3), Dossier d’appel, vol. VIII, à la page 1253.

En l’espèce, le 26 janvier 1986, la Direction de la vérification a fait un renvoi pour fraude à la Division des enquêtes spéciales concernant l’appelant Del Zotto au moyen du bordereau T-124. Le 24 avril, cette division a officiellement décidé de conserver l’affaire Del Zotto afin d’effectuer une enquête préliminaire et a ouvert un dossier. Elle s’est finalement décidée pour une enquête exhaustive en 1989.

J’ai déjà relaté la mise sur pied de l’enquête en 1992. Une enquête fondée sur l’article 231.4 est un outil d’enquête du processus pénal. Comme le précise le M.O.I. (Dossier d’appel, vol. VII, à la page 1172) :

11(12)01 ENQUÊTES EN VERTU DE

L’ARTICLE 231.4 DE LA LOI

DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

11(12)1.1 Quand l’emploi en est justifié

(1) Une enquête peut être menée comme moyen de renforcer notre cause dans l’un ou l’autre des deux domaines de l’enquête.

(2) En premier lieu, les témoins dont le témoignage est essentiel à notre cause dans des poursuites prévues sont interrogés sous serment afin de découvrir ce qu’ils diront en cour. Même là, le témoignage peut varier plus tard mais, si un témoin donne un témoignage contradictoire à celui qu’il a donné lors de l’enquête, le témoin peut être interrogé à ce sujet. À moins qu’il puisse justifier le changement dans son témoignage fait sous serment, il peut s’exposer à une accusation de parjure. En tout cas, cela diminue certainement la valeur de son témoignage, surtout en ce qui a trait à toute déclaration de sa part qui pourrait normalement porter atteinte à la cause de la Couronne. Le témoignage est recevable mais n’a qu’une faible valeur probante.

(3) En deuxième lieu, les genres suivants de témoin peuvent être interrogés sous serment afin de découvrir des faits qu’il est impossible d’obtenir autrement :

(A) Les témoins dont on sait qu’ils possèdent des renseignements relatifs à la cause, qui ne les ont pas divulgués et qui ne les divulgueront pas au cours d’une entrevue ou d’un interrogatoire volontaire, mais que l’on croit du genre à dire la vérité s’ils sont interrogés sous serment;

(B) Les témoins—qui ont peut-être des rapports amicaux avec le fraudeur de l’impôt—qui ne révéleront pas ce qu’ils savent au cours d’une entrevue, mais qui laissent voir ou admettent qu’ils diraient la vérité s’ils étaient assermentés;

(C) Les témoins qui sont impartiaux mais à qui il répugne beaucoup de se mêler à une telle affaire;

(D) Les témoins dont le témoignage est nécessaire pour combler des lacunes importantes dans la preuve documentaire dont on dispose.

(4) Les témoins qui comparaissent lors d’une enquête auront habituellement été interrogés plus tôt au cours de l’enquête, mais cela ne sert à rien d’interroger obstinément sous serment une personne qui a menti de façon persistante au cours de l’entrevue volontaire. Il ne fait aucun doute qu’elle ment parce qu’elle croit ainsi servir ses intérêts personnels et on peut s’attendre à ce qu’elle mente sous serment aussi volontiers qu’elle le ferait en d’autres circonstances.

11(12)1.2 Moment opportun

(1) Une enquête n’est pas ouverte habituellement avant que les méthodes classiques d’enquête n’aient été épuisées.

Il ressort clairement, de la lecture de la propre conception que se fait le Ministère d’une enquête, que celle-ci n’est pensable que dans le contexte d’une enquête criminelle : remarquer, par exemple, l’emploi des termes « des poursuites prévues », « parjure » et « le fraudeur de l’impôt ». Le témoin ministériel McCarney a admis que, en l’absence d’un règlement, une enquête est toujours suivie d’une poursuite (Dossier d’appel, vol. II, à la page 354). Qui plus est, le M.O.I. reconnaît que « [d]ans le cas d’une enquête, il n’y a pas de clôture irrévocable; ses travaux sont simplement ajournés indéfiniment » (Dossier d’appel, vol. VII, à la page 1176).

La propre interprétation que donne le ministère du Revenu national de son mandat ne peut évidemment pas être considérée comme une définition de l’objet de l’article 231.4. Elle révèle toutefois l’étendue de cet article et, fait plus important, ses effets sur un contribuable.

On ne s’étonnera guère que les tribunaux inférieurs aient immanquablement soutenu que lorsqu’une affaire est confiée à la Division des enquêtes spéciales, l’affaire devient alors une enquête criminelle même si la loi est par ailleurs de nature réglementaire : R. v. Norway Insulation Inc. (1995), 28 O.R. (3d) 432 (Div. gén.); R. v. Harris, R. (1995), 95 DTC 5653 (C.S.C.-B.); Yang v. R. (1996), 31 O.R. (3d) 66 (Div. gén.); R. v. Jarvis, [1997] A.J. no 214 (C. prov. Alb.) (QL), affaire décidée le 25 février 1997; R. v. Soviak, [1997] O.J. no 1215 (Div. prov.) (QL), affaire décidée le 24 mars 1997. La décision rendue par le juge LaForme dans l’affaire Yang, qui concerne la saisie de tabac en vertu de la Loi de la taxe sur le tabac [L.R.O. 1990, ch. T.10], est représentative. Après avoir déclaré que, selon lui, les dispositions de la Loi en question étaient de nature quasi criminelle, le juge LaForme a dit (à la page 76) :

[traduction] Même si je me trompe dans mes remarques générales sur la nature potentielle des dispositions, à savoir l’article 24 de la Loi de la taxe sur le tabac, la Division des enquêtes spéciales a transformé l’objet purement réglementaire des dispositions en un objet quasi criminel quand elle a invoqué cet article pour commencer une enquête exhaustive dans le but de porter des accusations contre des particuliers et des entreprises ciblés.

Dans une affaire comme celle qui nous occupe, la conclusion quant à l’existence d’une enquête criminelle s’impose à plus forte raison.

À mon avis, les remarques faites par le juge d’appel Hugessen au nom de la Cour au sujet d’une disposition voisine de la Loi dans l’arrêt Baron c. Canada, [1991] 1 C.F. 688 aux pages 693 et 694, que la Cour suprême n’a pas désapprouvées pour parvenir à la même conclusion, sont très convaincantes :

À titre de remarque préliminaire, il convient de préciser clairement au départ qu’à mon avis nous traitons ici de procédures qui sont de nature criminelle. Il n’est pas nécessaire à cette étape de caractériser, en termes constitutionnels, la source du pouvoir législatif du Parlement, une question à propos de laquelle la Cour suprême a récemment rendu une décision partagée et que la majorité n’a pas encore tranchée définitivement (voir Knox Contracting Ltd. c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338).

Il suffit de lire l’article contesté, où il est fait mention à plusieurs fois d’« infraction », pour se rendre compte que l’article vise la détection du crime et la poursuite des coupables, même s’il s’agit d’une catégorie restreinte de crimes, soit les infractions aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu . Cela a pour effet de rendre ces dispositions législatives différentes des mécanismes administratifs d’application qui figurent dans les articles adjacents de la Loi de l’impôt sur le revenu et qui ont été reconnus valides par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627.

L’obligation imposée par le régime fiscal de faire soi-même sa déclaration d’impôt et d’en établir le montant de la cotisation peut justifier une application moins rigoureuse des normes de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] lorsque l’objectif premier de la perquisition est simplement d’assurer que les impôts sont payés lorsqu’ils sont dûs. Toutefois, comme nous traitons en l’espèce de dispositions qui expressément font état de la découverte et de la conservation d’éléments de preuve « aux fins d’une procédure criminelle », rien de moins que la pleine protection offerte par la Charte serait convenable.

Il est vrai, comme le juge La Forest l’a signalé dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, aux pages 515 et 516, qu’on ne peut conclure sur le fondement des seules sanctions qu’une disposition particulière est de nature criminelle ou réglementaire[25], et que la Cour suprême a statué dans l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, qu’une disposition de la Loi était de nature réglementaire, bien qu’elle fût manifestement dans une disposition d’esprit différente lors de l’audition de l’appel interjeté contre la décision de cette Cour dans Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, arrêt dans lequel elle a statué que la même disposition portait atteinte à l’article 8 de la Charte.

Dans l’arrêt Baron, le juge Sopinka a statué dans des motifs unanimes que ce qui est important, en fin de compte, ce ne sont pas les étiquettes mais les valeurs en jeu dans un contexte donné. La Cour avait déclaré dans l’arrêt McKinlay Transport, précité, que, dans le contexte d’une simple vérification fiscale, la Loi de l’impôt sur le revenu était une mesure de réglementation, et que l’obligation de produire des renseignements et des documents ne soulevait aucune question fondée sur la Charte. Le juge Sopinka a considéré cet arrêt comme une espèce différente puisqu’elle portait simplement sur le contrôle efficace du respect de la Loi. Dans l’arrêt Baron, « [l]a perquisition a pour but de fournir des éléments de preuve qui seront utilisés dans les poursuites relatives à des infractions à la LIR » (à la page 444).

Le juge Sopinka a attribué le résultat dans l’arrêt Baron (l’annulation de la disposition législative en raison de son inconstitutionnalité) à deux facteurs (à la page 445) :

Compte tenu de la nature envahissante des perquisitions et de leur objet correspondant qui est de recueillir des éléments de preuve afin de poursuivre un contribuable, je ne vois aucune raison de s’écarter de façon radicale des lignes directrices et des principes exposés dans l’arrêt Hunter [c. Southam].

La nature envahissante du pouvoir de perquisition dans l’arrêt Baron ne trouve évidemment pas son pendant dans le subpoena duces tecum en l’espèce, mais il me semble que le facteur tout aussi important de la collecte de renseignements dans le but de poursuivre un contribuable est présent avec plus de force en l’espèce. Plus loin dans ses motifs, le juge Sopinka a désapprouvé les recherches à l’aveuglette faites par l’État et a ajouté (à la page 448) :

Notre Cour a établi dans l’arrêt Hunter que c’est la norme de la probabilité fondée sur la crédibilité plutôt que la norme du simple soupçon qui devrait être appliquée pour déterminer quand le droit d’un particulier à la protection de sa vie privée est subordonné aux besoins en matière d’application de la loi.

Au dire du Revenu national, une telle norme était destinées à être court-circuitée en l’espèce.

Selon le témoin McCarney cité par l’intimée, qui a rédigé la note de service adressée au sous-ministre dans laquelle il était recommandé d’ouvrir une enquête, [traduction] « [p]ersonnellement, vu ma position privilégiée au bureau principal, je ne pense pas que nous ayons des motifs d’obtenir un mandat de perquisition contre Del Zotto » (Dossier d’appel, vol. II, aux pages 224 et 225). En d’autres termes, le Ministère n’avait aucune raison valable d’ouvrir une enquête criminelle proprement dite, et a opté pour le moyen détourné que constitue une enquête, puisque cette façon de procéder ne l’obligeait pas à démontrer l’existence de motifs raisonnables et probables.

Force m’est de conclure qu’une enquête menée en vertu de l’article 231.4 est fondamentalement axée sur l’introduction d’une poursuite criminelle, basée non pas sur les étiquettes employées mais sur ce qui est réellement en cause dans une procédure semblable, en d’autres mots, sur les valeurs de criminalité ou d’innocence en jeu. Selon moi, une telle conclusion s’impose à plus forte raison en l’espèce.

III

Le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti à l’article 8 de la Charte s’est transformé en un droit à la protection raisonnable de la vie privée.

Le locus classicus concernant la règle de droit énoncée à l’article 8 est l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, dans lequel le juge Dickson (alors juge puîné) a statué au nom de la Cour que l’article 8 doit recevoir une interprétation large et libérale qui permet d’en réaliser l’objet, qui est de garantir le droit d’une personne d’être protégée contre les atteintes gouvernementales aux attentes raisonnables en matière de vie privée. En l’absence d’une situation d’urgence, l’article 8 exige l’obtention de l’autorisation préalable d’un fonctionnaire judiciaire comme condition préalable à une saisie ressortissant au droit criminel, suivant la norme des motifs raisonnables et probables en ce qui concerne la perpétration d’une infraction et les éléments de preuve que la perquisition vise à recueillir. Dans son analyse de l’article 8, le juge Dickson a dit au nom de la Cour (à la page 158), « [e]n outre, le texte de l’article ne le limite aucunement à la protection des biens ni ne l’associe au droit applicable en matière d’intrusion ».

Dans l’arrêt R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, le juge La Forest (aux motifs duquel le juge en chef Dickson a souscrit) a rédigé des motifs concordants qui mettent beaucoup l’accent sur le droit à la vie privée garanti par l’article 8 (aux pages 427 et 428) :

Le point de vue qui précède est tout à fait approprié dans le cas d’un document constitutionnel enchâssé à une époque où, selon ce que nous dit Westin, la société a fini par se rendre compte que la notion de vie privée est au cœur de celle de la liberté dans un État moderne; voir Alan F. Westin, Privacy and Freedom (1970), aux pp. 349 et 350. Fondée sur l’autonomie morale et physique de la personne, la notion de vie privée est essentielle à son bien-être. Ne serait-ce que pour cette raison, elle mériterait une protection constitutionnelle, mais elle revêt aussi une importance capitale sur le plan de l’ordre public. L’interdiction qui est faite au gouvernement de s’intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l’essence même de l’État démocratique.

Naturellement, un équilibre doit être établi entre les revendications en matière de vie privée et les autres exigences de la vie en société, et en particulier celles de l’application de la loi, et c’est justement ce que l’art. 8 vise à réaliser.

Le juge La Forest a ajouté [aux pages 429 et 430] :

Enfin il y a le droit à la vie privée en matière d’information. Cet aspect aussi est fondé sur la notion de dignité et d’intégrité de la personne. Comme l’affirme le groupe d’étude [dans son rapport intitulé L’ordinateur et la vie privée, Information Canada, 1972] (à la p. 13) : « Cette conception de la vie privée découle du postulat selon lequel l’information de caractère personnel est propre à l’intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l’entend. » Dans la société contemporaine tout spécialement, la conservation de renseignements à notre sujet revêt une importance accrue. Il peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que nous voulions divulguer ces renseignements ou que nous soyons forcés de le faire, mais les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l’individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu’ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués. Tous les paliers de gouvernement ont, ces dernières années, reconnu cela et ont conçu des règles et des règlements en vue de restreindre l’utilisation des données qu’ils recueillent à celle pour laquelle ils le font; voir, par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111.

Une dernière remarque d’ordre général s’impose, à savoir que si le droit à la vie privée de l’individu doit être protégé, nous ne pouvons nous permettre de ne faire valoir ce droit qu’après qu’il a été violé. Cela est inhérent à la notion de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Il faut empêcher les atteintes au droit à la vie privée et, lorsque d’autres exigences de la société l’emportent sur ce droit, il doit y avoir des règles claires qui énoncent les conditions dans lesquelles il peut être enfreint. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l’application de la loi, qui met en cause la liberté du sujet.

Dans l’arrêt R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, aux pages 292 et 293, le juge Sopinka (qui s’est exprimé au nom de six des sept juges) s’est également attaché à l’importance des aspects informationnels de la vie privée protégés par l’article 8 :

On peut dégager certains paramètres de la protection accordée par l’art. 8 à l’égard des aspects informationnels de la vie privée du passage suivant des motifs du juge La Forest dans l’arrêt Dyment, précité, aux pp. 429 et 430, où il commente le rapport du groupe d’étude sur l’ordinateur et la vie privée :

Dans la société contemporaine tout spécialement, la conservation de renseignements à notre sujet revêt une importance accrue. Il peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que nous voulions divulguer ces renseignements ou que nous soyons forcés de le faire, mais les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l’individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu’ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués.

L’examen de facteurs tels la nature des renseignements, celle des relations entre la partie divulguant les renseignements et la partie en réclamant la confidentialité, l’endroit où ils ont été recueillis, les conditions dans lesquelles ils ont été obtenus et la gravité du crime faisant l’objet de l’enquête, permet de pondérer les droits sociétaux à la protection de la dignité, de l’intégrité et de l’autonomie de la personne et l’application efficace de la loi. Il convient donc d’appliquer cette méthode contextuelle aux faits de l’espèce.

La Cour suprême des États-Unis a restreint l’application du Quatrième amendement de la Constitution américaine (le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives) aux situations dans lesquelles les renseignements que cherchent à recueillir les autorités étatiques sont de nature personnelle et confidentielle : United States c. Miller, 425 U.S. 435 (1976). Dans cette affaire, on a jugé que les chèques de l’accusé, obtenus par subpoena d’une banque commerciale, ne bénéficiaient pas de la protection du Quatrième amendement. Je ne voudrais pas être vu comme considérant qu’un chèque oblitéré ne jouit pas de la protection de l’art. 8, mais je ne suis pas d’accord avec cet aspect de l’arrêt Miller, qui donne à entendre que, pour que la protection constitutionnelle s’applique, les renseignements saisis doivent être de nature « personnelle et confidentielle ». Étant donné les valeurs sous-jacentes de dignité, d’intégrité et d’autonomie qu’il consacre, il est normal que l’art. 8 de la Charte protège un ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État. Il pourrait notamment s’agir de renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l’individu.

Dans l’arrêt Plant, l’action policière visait simplement à vérifier la consommation d’électricité à l’adresse en question, et il a été statué que cela dévoilait bien peu de choses sur le mode de vie ou les décisions de nature privée de l’occupant. Il est toutefois révélateur que le juge Sopinka ait expressément remis le prononcé d’une décision par la Cour quant aux chèques d’un accusé, obtenus par subpoena d’une banque commerciale. (Cette Cour a récemment été saisie de cette question dans l’affaire Schreiber c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 176à laquelle je reviendrai plus loin.)

Par la suite, dans l’arrêt R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, à la page 60, le juge La Forest, qui a rédigé les motifs des juges majoritaires, a dit :

Voilà en fait la raison d’être fondamentale de la protection qu’accorde l’art. 8; il faut donc se garder de trop insister sur les aspects purement physiques de la saisie. Tant dans l’arrêt Hunter que dans l’arrêt Dyment, notre Cour a souligné que la protection de l’art. 8 est accordée aux personnes et non pas à des lieux ou à des choses. L’article 8 protège d’abord et avant tout le droit à la vie privée des particuliers et doit en conséquence s’interpréter d’une manière qui permet d’atteindre cet objectif.

Il a ensuite cité le passage précité sur le droit à la vie privée en matière d’information.

La plus récente analyse de l’article 8 par cette Cour a été faite dans l’arrêt Schreiber, précité, dans lequel les juges majoritaires ont statué qu’il fallait respecter la norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition dans le cas d’une lettre de demande adressée à un autre pays en vue d’effectuer une perquisition et de saisir les documents et les dossiers bancaires d’un résident/citoyen. Le juge d’appel Linden a carrément fait reposer cette décision sur l’arrêt Hunter (à la page 235) :

D’après les faits de l’affaire Hunter, le juge Dickson a conclu que la disposition de la loi autorisant certaines fouilles et perquisitions très larges était incompatible avec l’article 8 de la Charte. Sa conclusion se fondait sur le fait que l’autorisation n’avait pas à être accordée par un arbitre judiciaire et impartial et ne dépendait pas de l’existence de motifs raisonnables et probables, établie sous serment, permettant de croire qu’une infraction avait été commise.

Il a mis l’accent sur la « protection » offerte par l’article 8. Le juge d’appel Stone, dissident, a adopté un point de vue différent sur ce point (aux pages 207 et 208) :

À mon avis, j’aurais tort de mettre l’accent sur le mot « protection » au détriment du reste du texte de l’article 8, lorsque cet article garantit le droit à la protection contre « les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives » par des autorités canadiennes. En l’espèce, selon mon interprétation des faits, les autorités canadiennes n’avaient pas la possibilité d’effectuer une fouille, une perquisition ou une saisie en Suisse, et elles n’ont pas demandé que les autorités suisses procèdent à cette fouille, cette perquisition ou cette saisie en tant que leur mandataire.

Cette divergence de vues est sans importance en l’espèce.

Comme je l’ai déjà dit, j’estime que le juge de première instance a été induit en erreur par l’utilisation qu’il a faite de l’arrêt Thomson. La Cour suprême n’a eu aucun mal à établir unanimement une distinction avec les arrêts Thomson et McKinlay dans l’arrêt Baron. Le fait de concevoir la Loi comme une loi de réglementation dont l’application n’est pas dans tous les cas régie par ce fait, ou, ce qui me semble préférable, comme une loi qui comporte un volet réglementation (vérification et paiement) et un volet enquête criminelle, ne change rien au réalisme de l’examen judiciaire approfondi sur ce qui est réellement en cours. De l’avis de la Cour suprême dans l’arrêt Baron, ce qui importait c’est la nature envahissante de la perquisition en question et le rassemblement d’éléments de preuve dans le but de poursuivre le contribuable.

Je suis conforté dans mon analyse par les conclusions formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366. Cette affaire concerne une commission d’enquête établie sous le régime de la Loi sur les enquêtes publiques [L.R.O. 1980, ch. 411] de l’Ontario (qui accorde des pouvoirs analogues à ceux que confèrent la Loi sur les enquêtes fédérale et l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu) pour faire enquête sur les faits entourant les rapports entre Patty Starr et d’autres personnes. La question sur laquelle la Cour suprême devait se prononcer était de savoir si une telle enquête provinciale outrepassait la compétence de la province parce qu’elle empiétait sur la compétence fédérale en matière de droit criminel.

Dans ses motifs de jugement, le juge Lamer (alors juge puîné) a écrit au nom de six des sept juges (aux pages 1407 à 1409) :

En second lieu, il n’est pas nécessaire que le commissaire arrive à des conclusions relativement à la culpabilité dans le sens véritable du terme pour que l’enquête soit ultra vires de la province. Il suffit que l’enquête soit de fait un substitut d’enquête de police et d’enquête préliminaire relativement à une allégation précise de perpétration d’infractions criminelles par des personnes nommément désignées. À mon avis, l’enquête dont le commissaire est chargé et les constatations de fait qu’il fera après son enquête le placent dans la situation d’un juge procédant à une enquête préliminaire en vertu de l’art. 535 du Code criminel.

Essentiellement, l’enquête entame les stades préliminaires du processus judiciaire en recueillant des preuves, en déterminant si elles sont suffisantes et enfin en décidant s’il existe une preuve prima facie

La description qui précède ressemble beaucoup à ce que proposent les intimés en l’espèce : un substitut d’enquête policière relativement à une allégation précise de perpétration d’une infraction criminelle, c’est-à-dire l’infraction prévue à l’alinéa 239(1)a) de la Loi qui consiste à faire des déclarations fausses ou trompeuses dans une déclaration de revenus, par une personne nommément désignée. Il ne semble pas être interdit que l’enquête aille même au-delà d’une enquête préliminaire, au cours de laquelle le président d’enquête déterminerait si les éléments de preuve sont suffisants, et décide finalement s’il existe une preuve prima facie, encore que le président d’enquête ne soit pas tenu, à ce que je sache, d’aller si loin.

Comme les circonstances de l’affaire Starr étaient différentes, la sanction qui a été imposée, savoir l’inconstitutionnalité des mesures provinciales au motif qu’elles empiétaient sur le droit criminel, est tout à fait différente de ce qui est requis en l’espèce. Mais d’après l’acceptation par le juge Lamer de la décision rendue par la Cour d’appel de la Nouvelle-Zélande dans Cock v. Attorney-General (1909), 28 N.Z.L.R. 405, à la page 425, dans laquelle il a été statué que l’enquête constituait [traduction] « en pratique, un procès au sujet d’une infraction sans la protection que la loi confère aux accusés », il est évident que le vice que représente un substitut d’enquête policière a une signification plus large pour lui. (En Nouvelle-Zélande, où la question du fédéralisme ne se pose pas, l’excès de compétence du gouvernement a donné lieu à la délivrance d’un bref de prohibition en common law.)

La décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, sur laquelle les intimés ont particulièrement insisté, a permis de contraindre les dirigeants d’une personne morale à témoigner et à produire des documents au motif que la Securities Act [S.B.C. 1985, ch. 83] de la Colombie-Britannique est une loi de nature réglementaire et s’inscrit effectivement dans un cadre beaucoup plus large qui réglemente le secteur des valeurs mobilières partout au Canada. Selon la Cour, l’objectif premier des dispositions législatives sur les valeurs mobilières est la protection des investisseurs, et les objectifs secondaires sont l’efficacité du marché financier et le maintien de la confiance du public dans le système. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la Cour suprême ait statué que les attentes en matière de vie privée étaient moins grandes. En particulier, les juges Sopinka et Iacobucci ont dit au nom de la Cour que les « documents constitués dans le cadre d’une entreprise réglementée sont assortis d’un droit à la vie privée moindre que les documents qui sont strictement personnels » (à la page 41, soulignement ajouté). Ces documents commerciaux, qui sont créés dans un but réglementé spécial, sont loin des dossiers généraux constitués par un contribuable dans le cadre de la gestion de ses affaires. Ces dossiers généraux ne peuvent pas être rangés dans le genre de catégorie étroite qui est approprié dans le contexte de la législation sur les valeurs mobilières.

Le juge de première instance a reconnu qu’« il est constant que le paragraphe 231.4(3) autorise la saisie sans mandat, contrairement aux critères Hunter » (à la page 462). C’est à bon droit, selon moi, qu’il a conclu qu’« [i]l faut mettre dans la balance toutes les circonstances de la cause » (à la page 463). Il n’a toutefois pas, à mon avis, accordé l’importance voulue à l’enquête criminelle à l’étude en l’espèce, et a été indûment influencé par l’arrêt Thomson pour ce qui est de la forme d’ingérence moindre et des attentes moins grandes en matière de vie privée qui existaient, selon son analyse, à l’égard des affaires commerciales.

Est-il suffisant pour qu’il y ait atteinte à l’article 8 que la perquisition proposée soit moins envahissante que celle visée dans les arrêts Hunter et Baron, et consiste plutôt en un ordre de comparaître pour être interrogé sous serment et d’apporter des documents (en vertu d’un subpoena duces tecum)? Je suis d’avis de répondre par l’affirmative, en vertu du principe énoncé par le juge Dickson dans l’arrêt Hunter selon lequel l’article 8 confère le droit de s’attendre raisonnablement à la protection de la vie privée (à la page 159). De plus, comme le juge Linden l’a dit en se référant à l’arrêt Hunter dans l’arrêt Schreiber (à la page 235), « le fait qu’une fouille ou une perquisition illégale avait réellement été effectuée en vertu de la loi n’avait apparemment aucune importance pour conclure à l’inconstitutionnalité de celle-ci ».

Toute l’enquête concerne les affaires financières de l’appelant Del Zotto pendant une période de six ans. Bien que ce dernier ne fasse pas actuellement l’objet d’une citation, il est possible qu’il soit assigné plus tard. Compte tenu des faits de l’espèce, cela ne suffit pas d’attendre que l’appelant Del Zotto soit cité à comparaître. Son droit de s’attendre raisonnablement à la protection de la vie privée est menacé depuis le début de l’enquête.

Si je comprends bien, le processus prévu à l’article 231.4 est fondamentalement axé sur l’introduction d’une poursuite criminelle; cette conclusion est particulièrement évidente en l’espèce puisque non seulement l’appelant Del Zotto est susceptible d’être assigné, mais il a même été mis au courant des alinéas du paragraphe 239(1) en vertu desquels il sera tôt ou tard poursuivi. En ce qui concerne son orientation fondamentale, l’article 231.4 s’apparente à l’enquête dans l’arrêt Starr, et ne ressemble pas du tout à l’enquête normale menée par des commissaires en vertu de la Loi sur les enquêtes, qui a un objet public général.

Il faut évidemment un déclencheur pour invoquer l’article 8 de la Charte. Cet article ne s’applique pas en l’absence d’une fouille, d’une perquisition ou d’une saisie. Selon moi, vu l’orientation fondamentale de l’article 231.4, une menace de saisie est suffisante pour faire intervenir l’article 8.

Comme l’article 8 protège le droit à la vie privée de personnes, et non des lieux, l’appelant Del Zotto a une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard des documents et des renseignements détenus par d’autres personnes à différents endroits. Tout ce qui touche à ses affaires financières pendant six ans peut comprendre de nombreux éléments de nature très personnelle ou privée comme des dépenses personnelles (p. ex. des cadeaux offerts à des amis et à des parents, des choses à lire), des dons (p. ex. à des églises, des œuvres de bienfaisance ou des partis politiques), des goûts personnels (p. ex. des aliments, des vêtements) et ses rapports avec les membres de sa famille (ce qu’il leur achète, ce qu’ils lui donnent) et ainsi de suite. Les documents et les renseignements concernant ses affaires personnelles pendant six ans, sans limites, pourraient révéler des détails incroyablement personnels et intimes sur ses préférences, ses habitudes, ses opinions, ses espoirs et ses activités. C’est aussi vrai pour les témoins qui connaissaient ses affaires financières de 1979 à 1985; leurs propres préférences personnelles peuvent devenir pertinentes quant aux paramètres de l’enquête. Pour parler simplement, comme les appelants l’ont souligné, une enquête portant sur toutes les sommes reçues et toutes les sommes dépensées permet forcément de connaître, dans le monde moderne d’aujourd’hui, l’essentiel de la vie privée d’une personne.

Même si, comme je l’ai mentionné, le juge Sopinka s’est abstenu de se prononcer dans l’arrêt Plant sur des chèques obtenus par subpoena comme éléments de preuve, la question a été réglée par cette Cour dans l’arrêt Schreiber dans lequel le juge Linden a déclaré (à la page 232) :

Par contraste, les dossiers bancaires réclamés dans la lettre de demande, contrairement aux dossiers de consommation d’électricité, révèlent des détails importants et personnels au sujet d’une personne. Le droit accru à la vie privée pour ce qui est des dossiers bancaires a été décrit par le juge Puddester dans R. v. Eddy (T.) de la façon suivante : [traduction] « une attente beaucoup plus grande quant au respect de la vie privée applicable aux dossiers concernant la situation financière personnelle et le mode d’opération du compte bancaire » ((1994), 119 Nfld. & P.E.I.R. 91 (C.S. 1re inst.), à la p. 126) d’une personne. Dans cette affaire, le juge Puddester a conclu que les recherches effectuées sans mandat par la police dans une banque en vue d’obtenir l’identité d’un titulaire de compte et au sujet d’une opération importante touchant ce compte portaient effectivement atteinte à une attente raisonnable en matière de vie privée.

La combinaison d’une production forcée de documents et d’une déposition forcée peut avoir un effet particulièrement envahissant, si une facture suscite des questions sur l’activité qui en est la cause et sur tout le contexte qui s’y rapporte. En conséquence, comme le juge Linden l’a dit dans l’arrêt Schreiber, « [l]e droit à la vie privée est protégé avant toute fouille ou perquisition physique, c’est-à-dire dès que les mesures gouvernementales menacent la protection du droit d’une personne à la vie privée » (à la page 218).

Cela ne veut pas dire que le ministère du Revenu national n’a pas le droit d’effectuer une enquête criminelle sur les affaires financières de Del Zotto ou de qui que ce soit d’autre. Cela veut plutôt dire que le Ministère n’a aucun droit spécial de le faire simplement en mettant sur pied une enquête en vertu de l’article 231.4, procédure qui n’offre aucune garantie au contribuable. Le président d’enquête n’est pas un officier de justice, et aucune règle ne régit l’enquête, sauf les directives (voir le M.O.I.) que la Couronne juge appropriées. Même si le contribuable a le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat « sauf si le président d’enquête … en décide autrement », on ne sait pas très bien si, dans pareille instance administrative, l’avocat serait autorisé à interroger les témoins. Comme la Cour suprême l’a dit dans l’arrêt Guay c. Lafleur, précité, et comme cette Cour l’a rappelé au cours de l’audition du contrôle judiciaire en l’espèce, pareille enquête est de nature purement administrative. À mon sens, ce qu’il faut plutôt pour garantir la validité, c’est une enquête judiciaire fondée sur l’existence de motifs raisonnables et probables, la norme ordinaire applicable à une enquête criminelle.

Comme l’intimée n’a invoqué aucune justification fondée sur l’article premier de la Charte, je suis d’avis que l’article 231.4 de la Loi porte atteinte à l’article 8 de la Charte et que le fait de déclarer cette disposition inopérante en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] est une réparation appropriée. Il aurait été beaucoup plus simple dans l’arrêt Baron qu’en l’espèce de donner une interprétation atténuée de la loi, mais la Cour n’était pas disposée à le faire. Je ne suis pas disposé à le faire non plus. Puisque le processus prévu à l’article 231.4 est, selon moi, entaché d’un vice depuis le début, vu la délivrance d’un subpoena duces tecum adressé à l’appelant Noble, il est inutile d’attendre que d’autres violations véritables soient commises.

IV

Puisque j’ai tranché la question en vertu de l’article 8 de la Charte, je ne vois pas l’utilité d’examiner les moyens fondés sur l’article 7.

Je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens dans les deux cours, d’infirmer la décision de la Section de première instance, et de déclarer que l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu et les citations à comparaître décernées sous le régime de cette disposition sont inopérants en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le juge suppléant Henry : Je suis du même avis.



[1] [1984] 2 R.C.S. 145.

[2] Par. 150 du mémoire des appelants.

[3] Id., aux par. 50.

[4] Voir, p. ex., Mortimer, J. Rumpole and the Golden Thread (N.Y. : Penguin, 1983), aux p. 55 à 96, passim.

[5] Précité, note 1.

[6] Guay c. Lafleur, [1965] R.C.S. 12. Voir aussi l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, à la p. 457, dans lequel le juge Wilson a déclaré qu’une audience tenue en vertu de l’art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, ch. C-23] dans le but précis de déterminer s’il existe des éléments de preuve selon lesquels certaines parties nommées ont commis une infraction « ne sert ni à déterminer des droits ni à imposer des responsabilités ».

[7] [1990] 1 R.C.S. 1366.

[8] Précité, note 6.

[9] [1990] 1 R.C.S. 627.

[10] Précité, note 1.

[11] [1993] 1 R.C.S. 416.

[12] Id., aux p. 444 et 445.

[13] S.R.C. 1970, ch. C-23.

[14] Précité, note 6, à la p. 510.

[15] Id., aux p. 515 et 516.

[16] McKinlay, précité, note 9, à la p. 650.

[17] Id., à la p. 648.

[18] Précité, note 6, à la p. 569.

[19] Voir, p. ex., McKinlay, précité, note 9, aux p. 649 et 650; Thomson, précité, note 6, aux p. 522 et 594.

[20] Voir, p. ex., Thomson, précité, aux p. 532, 534, 535, 594, 595 et 613.

[21] L.R.C. (1985), ch. I-11.

[22] [1995] 1 R.C.S. 451. Voir aussi Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, aux p. 152 et 153.

[23] R. c. Kabbebe, [1977] A.Q. no 273 (C.A. Qué.).

[24] [1995] 2 R.C.S. 3.

[25] En ce qui concerne la comparaison que fait le juge La Forest entre la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et la Loi de l’impôt sur le revenu quant aux sanctions, je crois respectueusement que le juge de première instance a poussé trop loin la comparaison lorsqu’il a dit [à la p. 467] que le « parallèle entre les sanctions … tend à renforcer l’application de cette jurisprudence en l’espèce ». À mon sens, cette comparaison est sans importance en dehors des sanctions.

Selon le juge La Forest, la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne portait pas sur des « crimes proprement dits » (à la p. 510), mais visait à « protéger les conditions de concurrence cruciales au fonctionnement d’une économie de libre marché » (à la p. 510), ce qui « s’écarte considérablement de ce qui constitue le domaine typique du système de droit criminel, c’est-à-dire la « (mise) en lumière (d)es valeurs sociales fondamentales » (je souligne) ou « (l)es comportements prohibés, par exemple, les actes de violence ou de malhonnêteté, sont des comportements qui violent des normes humanitaires imposées par le sens commun », et qui justifient qu’on les désapprouve et les sanctionne » (à la p. 509). Mais, évidemment, la disposition relative aux sanctions (savoir l’art. 239), qui se rapporte à l’art. 234.1, traite principalement de fraude et de malhonnêteté, ce qui constitue le cœur de la conduite criminelle pour le juge La Forest.

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