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[1997] 2 C.F. 306

T-825-94

Compagnie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie (demanderesse)

c.

Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada) et Basil Hargrove et Larry Wark (défendeurs)

Répertorié : Compagnie Générale des Établissements Michelin—Michelin & Cie c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada) (1re inst.)

Section de première instance, juge Teitelbaum— Montréal, 11, 12 juin et 12 juillet; Vancouver, 28, 29 août, 9 septembre et 19 décembre 1996.

Marques de commerce Contrefaçon La demanderesse est titulaire des marques de commerce et des droits d’auteur sur le mot « Michelin » et sur le dessin du « Bibendum » — Le syndicat a utilisé le logo de Michelin sur du matériel promotionnel au cours d’une campagne de recrutementIl s’agit de déterminer s’il y a eu contrefaçon des marques de commerce de la demanderesseJurisprudence sur le sens du mot « emploi » sous le régime des art. 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerceLa marque doit être employée pour identifier la source des marchandises et servicesEn vertu de l’art. 4, le contrefacteur doit avoir employé la marque « en liaison » avec ses propres marchandises ou servicesLes marques de commerce de la demanderesse n’ont pas été « employées » en liaison avec les marchandises ou services des défendeurs au sens de l’art. 4Distribuer des prospectus et des brochures afin de recruter des membres ne constitue pas, dans le cas d’un syndicat, une activité commerciale ou une « annonce » — Il n’y a pas eu de contrefaçon des marques de commerce sous le régime des art. 20 et 22 de la LoiIl n’y a pas eu de diminution de la valeur de l’achalandage ni d’atteinte à la réputation de la demanderesse.

Droit d’auteur Contrefaçon Le « Bibendum » figurant sur les prospectus et les affiches du syndicat défendeur a reproduit une partie importante de l’œuvre protégée par le droit d’auteur de la demanderesseLe critère de la contrefaçon consiste à se demander si l’acte reproché est un acte que seul le titulaire du droit d’auteur a la faculté d’exécuter en vertu de l’art. 27(1) de la Loi sur le droit d’auteurIl n’y avait pas suffisamment d’effort intellectuel et d’idée indépendante dans le « Bibendum » du syndicat pour constituer une œuvre entièrement nouvelleLa parodie n’est pas une forme de « critique » qui constitue une exception à la violation du droit d’auteur sous le régime de l’art. 27(2)a.1) de la LoiLes exceptions à la violation du droit d’auteur doivent être interprétées strictementLes défendeurs n’ont pas fait mention de la source et du nom de l’auteur de l’original sur leurs prospectus et leurs affiches montrant unBibendum— — Ils n’ont pas traité l’œuvre originale d’une manière équitableIl y a eu violation du droit d’auteur de la demanderesse.

Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fondamentales Liberté d’expressionLes prospectus et les affiches des défendeurs décrivant le logo et le « Bibendum » de la demanderesse constituent-ils des formes d’expression protégées par l’art. 2b) de la Charte?Il suffit que l’expression transmette une significationLes formes d’expression ne sont pas toutes protégéesLes défendeurs ne sont pas autorisés à s’approprier le bien privé de la demanderesse comme moyen de transmettre leur message anti-MichelinIl s’agit d’une forme d’expression interdite, non protégée sous le régime de l’art. 2b)L’expression est protégée par l’art. 2b) seulement si elle est compatible avec la fonction principale de la propriétéJeter le ridicule sur le « Bibendum » de la demanderesse en en faisant l’objet d’une parodie n’est pas compatible avec la fonction de l’œuvre faisant l’objet du droit d’auteurLes art. 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur constituent des limites raisonnables prescrites par une règle de droit, au sens de l’art. premier de la CharteL’« interprétation atténuée » de l’art. 27(2)a.1) ne constitue pas une réparation convenableLa liberté d’expression des défendeurs n’a pas été violée.

Il s’agit d’une action en contrefaçon de marques de commerce et en violation de droits d’auteur dont la demanderesse est titulaire à l’égard des services et produits de son entreprise. En février et mars 1994, le défendeur TCA a lancé une campagne de recrutement dans les usines de Michelin Canada situées en Nouvelle-Écosse, en distribuant des prospectus, en apposant des affiches et en publiant des fiches de renseignements qui reproduisaient le mot « Michelin ». Il a également inclus dans ses imprimés le logo de la demanderesse, le dessin du « Bibendum » de Michelin représentant un homme corpulent, au visage rayonnant, composé de pneus et ayant l’air d’être fait en guimauve et ce, sans la permission de la demanderesse. Celle-ci a demandé des dommages-intérêts en alléguant que les défendeurs ont violé ses droits de propriété intellectuelle. Trois principales questions ont été soulevées en l’espèce : 1) les défendeurs ont-ils contrefait les marques de commerce de la demanderesse à l’égard du mot « Michelin » et du dessin du « Bibendum »? 2) ont-ils violé le droit d’auteur de la demanderesse sur ce mot et ce dessin? et 3) les prospectus et les affiches des défendeurs décrivant le « Bibendum » constituent-ils des formes d’expression protégées par l’alinéa 2b) de la Charte?

Jugement : l’action doit être accueillie en partie.

1) L’interprétation classique du mot « emploi » a été donnée pour la première fois à propos des articles 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce dans la décision Clairol International Corp. et al. v. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al., et elle fait encore partie de notre droit. Pour remplir les conditions de l’« emploi comme marque de commerce », la marque doit être employée pour identifier la source des marchandises et services. En vertu de l’article 4 de la Loi, le premier élément de preuve a trait à la question de savoir si les défendeurs ont établi une liaison entre leurs services et les marques de commerce de la demanderesse. Le second élément, tiré de l’article 2, porte sur la question de savoir si les défendeurs ont employé la marque de commerce pour distinguer ou identifier leurs services en liaison avec les marchandises et services de la demanderesse. La présente affaire ne porte pas directement sur la question du statut général des défendeurs TCA sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, mais sur la question de savoir si les marques de commerce de la demanderesse ont été employées en liaison avec les marchandises ou services des défendeurs. Même si les activités de recrutement du syndicat ont pu rapporter un revenu, les marques de commerce n’ont pas été « employées » en liaison avec des marchandises ou services selon les critères de l’« emploi » énoncés à l’article 4 car la définition de marchandises au paragraphe 4(1) exige la liaison dans la pratique normale du commerce. Distribuer des prospectus et des brochures afin de recruter des membres ne satisfait pas, dans le cas d’un syndicat, au critère de l’activité commerciale ou de l’« annonce ». Puisque les défendeurs TCA n’ont pas employé les marques de commerce de la demanderesse en liaison avec leurs marchandises ou services, il n’y a pas eu contrefaçon sous le régime de l’article 20 ou de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce. Comme le « Bibendum » n’a pas été employé comme marque de commerce, il n’y a eu en effet aucun emploi du « Bibendum » selon les critères énoncés dans Clairol en ce qui a trait à l’article 20. Le mot « Michelin » contenu dans les brochures d’information des défendeurs TCA ne remplit pas non plus les conditions pour être un emploi de la marque de commerce « comme une marque de commerce », mais il était employé seulement comme forme abrégée de la raison sociale de l’entreprise. De plus, la demanderesse n’a pas prouvé les éléments secondaires de chacun des motifs propres à justifier l’accusation de contrefaçon sur le régime des articles 20 et 22. À l’article 20, la question secondaire est de savoir si la marque employée « créait de la confusion », et à l’article 22, la question secondaire est de savoir si l’emploi était susceptible de diminuer la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce. Le critère de la confusion consiste à se demander si le consommateur moyen, n’ayant qu’un souvenir vague ou imparfait de la marque de commerce déposée, conclurait de l’ensemble des circonstances énumérées au paragraphe 6(5) que la marque censée créer de la confusion est celle du propriétaire de la marque déposée. En l’espèce, en raison des facteurs additionnels comme l’aspect menaçant de la pose du « Bibendum » dans les prospectus et brochures, ainsi que la prédominance des logos des TCA dans les prospectus et les fiches d’information, l’emploi des marques de commerce n’est pas susceptible de causer de la confusion chez le consommateur moyen. La demanderesse n’a pas prouvé que la valeur de l’achalandage attaché à ses marques de commerce a été diminuée par les activités des défendeurs, ni que les prospectus et les affiches nuiront à sa réputation comme fabricant, soit son rôle précis sur le marché.

2) En vertu du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur, le droit d’auteur s’entend du droit de reproduire une œuvre, ou une partie importante de celle-ci. Le « Bibendum » reproduit dans les prospectus et sur les affiches des défendeurs constituait une reproduction d’une partie importante de l’œuvre protégée de la demanderesse et donc une violation de son droit. Le véritable critère de la contrefaçon consiste à se demander si l’acte reproché est un acte que seul le titulaire du droit d’auteur a la faculté d’exécuter en vertu du paragraphe 27(1), y compris la reproduction de l’original ou d’une partie importante de l’œuvre. Pour échapper à l’accusation de contrefaçon, le « Bibendum » des défendeurs doit représenter une œuvre entièrement nouvelle, un « résultat original ». Il n’y avait pas suffisamment d’effort intellectuel et d’idée indépendante dans le « Bibendum » du syndicat pour constituer une œuvre entièrement nouvelle. Comme la violation du droit d’auteur est une question d’impression, l’intention du contrefacteur est moins importante que le fait qu’une partie importante de l’œuvre originale a été reproduite. Les défendeurs ont soutenu que, sous le régime de l’alinéa 27(2)a.1) de la Loi, la parodie est une forme de « critique » qui est une exception à la violation du droit d’auteur. Dans une longue série de causes au Canada, il a toutefois été décidé que la parodie n’est pas une exception à la violation du droit d’auteur. Sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur, « critique » et parodie ne sont point synonymes. Dans la jurisprudence canadienne et celle du Commonwealth, la parodie n’a jamais été regardée comme une critique, bien que le terme critique n’y soit pas limité à la « critique littéraire ». Les exceptions à la violation du droit d’auteur doivent être interprétées strictement; il n’y a pas lieu de donner une interprétation large du mot « critique » pour y englober la parodie et créer ainsi une nouvelle exception à l’alinéa 27(2)a.1). Même si la Cour concluait que la parodie est, à titre d’utilisation équitable, une exception à la contrefaçon, les défendeurs auraient échoué quant aux deux éléments secondaires de l’alinéa 27(2)a.1). Premièrement, ils n’ont pas fait mention de la source et du nom de l’auteur de l’original dans leurs prospectus et sur leurs affiches montrant un « Bibendum ». La jurisprudence canadienne ne traite pas du sens du terme « mention », mais il va au delà d’une reconnaissance passive et implicite dans une parodie. Quand la demanderesse utilise le « Bibendum », elle précise que la source est Michelin. L’auteur ou le créateur n’est pas nommé, de sorte qu’à tout le moins, les défendeurs devaient citer explicitement la source et non le nom de l’auteur s’ils espéraient remplir les conditions pour se prévaloir de l’exception de l’utilisation équitable prévue à l’alinéa 27(2)a.1) quand ils utilisaient le dessin du « Bibendum », ce qu’ils n’ont pas fait. En deuxième lieu, les défendeurs n’ont pas traité l’œuvre originale d’une manière équitable, autre exigence de l’exception concernant l’« utilisation équitable ». La question de savoir si l’original a été traité de bonne foi est une question de degré et d’impression qui dépend de la qualité et de la quantité des passages de l’œuvre originale reproduits. La quantité substantielle de l’œuvre originale utilisée dans les prospectus et sur les affiches jette le doute sur le caractère équitable du traitement fait par les défendeurs. En reproduisant substantiellement le dessin du « Bibendum » dans leurs prospectus et sur leurs affiches de recrutement, les défendeurs ont violé les droits d’auteur de la demanderesse. Les défendeurs Wark et Hargrove ont autorisé la reproduction du dessin du « Bibendum » et, par conséquent, il sont également responsables à titre individuel sous le régime du paragraphe 3(1) de la Loi. Toutefois, les défendeurs ne sont pas responsables en application de l’alinéa 27(4)b) pour avoir mis en circulation une œuvre qui, à leur connaissance, violait le droit d’auteur et était de nature à porter préjudice à son titulaire. Les prospectus des TCA n’ont été distribués qu’aux employés de Michelin dans l’espoir de les recruter.

3) Les défendeurs ont soutenu que leurs affiches et prospectus montrant le « Bibendum » sont des formes d’expression protégées par l’alinéa 2b) de la Charte. L’activité est expressive si elle tente de transmettre une signification. Il s’agissait de déterminer si les prospectus et dépliants contenaient suffisamment de « la pensée, de la croyance, de l’opinion et de l’expression » des défendeurs pour constituer une expression. L’effort intellectuel exigé est peu important puisqu’il suffit que l’expression transmette une signification. Les défendeurs ont appliqué leur esprit à produire leurs prospectus et à modifier le « Bibendum », qui transmet un message entièrement différent de celui du « Bibendum » original. Quoique les prospectus des défendeurs représentent une reproduction substantielle du « Bibendum » protégé de la demanderesse et ne soient pas des « œuvres originales » pour l’application de l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur, ils n’en sont pas moins des exemples d’expression. Toutefois, les défendeurs ne sont pas autorisés à s’approprier le bien privé de la demanderesse—le « Bibendum » faisant l’objet du droit d’auteur—comme moyen de transmettre leur message anti-Michelin. En conséquence, l’expression des défendeurs est une forme interdite et n’est pas protégée sous le régime de l’alinéa 2b) de la Charte. On ne peut pas utiliser un bien privé comme lieu ou forum pour s’exprimer. Les défendeurs ont utilisé le bien privé de la demanderesse non comme forum mais comme moyen de transmettre un message. Il est raisonnable d’assimiler l’acte fait sur la propriété privée, utilisée comme forum pour l’expression, et l’utilisation d’un bien—une œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur—pour transmettre l’expression. Une personne utilisant le bien privé d’autrui, comme une œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur, doit démontrer que son utilisation du bien est compatible avec la fonction du bien avant que la Cour puisse statuer que l’utilisation est réputée être une forme protégée d’expression en vertu de la Charte. Jeter le ridicule sur le « Bibendum » de la demanderesse en en faisant l’objet d’une parodie n’est pas compatible avec la fonction de l’œuvre faisant l’objet du droit d’auteur. Les défendeurs ont exercé librement leur droit de critiquer Michelin et de la tourner en dérision dans des dépliants et des brochures qui ne montraient pas le bien de la demanderesse, le « Bibendum ».

En vertu de l’alinéa 2b) de la Charte, les défendeurs non seulement devaient prouver que leur expression était protégée, mais encore ils avaient la charge de prouver que l’objet ou l’effet de la Loi sur le droit d’auteur était de restreindre leur liberté d’expression. Ils ne se sont pas acquittés de la charge qui leur incombait à ce double titre. Les articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur constituent « des limites raisonnables prescrites par une règle de droit, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique », au sens de l’article premier de la Charte. La demanderesse a respecté le cadre d’analyse à deux étapes de l’article premier établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Oakes. Il lui fallait premièrement prouver que l’objectif de la loi attaquée est « suffisamment important » pour justifier la suppression d’un droit fondamental. L’objectif de la Loi sur le droit d’auteur est « urgent et réel », critère de l’objectif suffisamment important, puisque la protection des auteurs et la rémunération de leur énergie et de leurs œuvres créatrices sont une valeur importante dans une société démocratique. Deuxièmement, la demanderesse avait à démontrer que les moyens pris pour mettre en application les objectifs de la Loi sur le droit d’auteur étaient raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Les objectifs de la Loi sur le droit d’auteur ont un lien rationnel avec une action en violation de droit d’auteur et ils sont mis en œuvre de manière à porter atteinte le moins possible aux droits des défendeurs. L’examen des effets préjudiciables de la Loi sur le droit d’auteur, le dernier élément du critère de proportionnalité de Oakes, confirme qu’il s’agit bien d’une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dans une société libre et démocratique. Enfin, l’« interprétation atténuée » du paragraphe 27(2)a.1) ne constitue pas une réparation convenable. Pour faire une interprétation atténuée, le tribunal doit d’abord être en mesure de déterminer quelles parties de la loi attaquée sont inconstitutionnelles. Adopter l’« interprétation atténuée » seulement du mot « mention » employé à l’alinéa 27(2)a.1), gardant intact le reste de la Loi, serait créer une toute nouvelle exception strictement au bénéfice des défendeurs. L’interprétation atténuée est une méthode appropriée si elle sert son objet qui est d’empiéter le moins possible sur le domaine du législateur. La liberté d’expression des défendeurs, protégée par l’alinéa 2b) de la Charte, n’a pas été violée. 

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b).

Convention internationale pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne le 9 septembre 1886, révisée à Berlin le 13 novembre 1908, fut de nouveau révisée par la Convention du droit d’auteur signée à Rome le 2 juin 1928, L.R.C. (1985), ch. C-42, ann. III.

Copyright Act, 17 U.S.C. § 107 (1994).

Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44, art. 64.

Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, L.C. 1994, ch. 47, art. 196.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19).

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 3 (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62; 1993, ch. 23, art. 2; ch. 44, art. 55), 27 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, art. 13; (4e suppl.), ch. 10, art. 5; L.C. 1993, ch. 44, art. 64), 39, 71, ann. III.

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 2 « emploi ou usage », « marchandises », « marque de commerce », « personne », 4, 6, 7b), 19 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60), 20, 22.

Loi sur les marques de commerce, S.C. 1952-53, ch. 49, art. 19, 22.

Trade Union Act, R.S.N.S. 1989, ch. 475.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Clairol International Corp. et al. v. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al., [1968] 2 Ex. C.R. 552; (1968), 38 Fox Pat. C. 176; Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616; (1975), 53 D.L.R. (3d) 161; 20 C.C.C. (2d) 449; 30 C.R.N.S. 209; 4 N.R. 277; Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467; (1990), 72 D.L.R. (4th) 97; 31 C.P.R. (3d) 394; 111 N.R. 376; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; Harrison c. Carswell, [1976] 2 R.C.S. 200; (1975), 62 D.L.R. (3d) 68; [1975] 6 W.W.R. 673; 25 C.C.C. (2d) 186; 75 CLLC 14,286; 5 N.R. 523; MacMillan Bloedel Ltd. v. Simpson (1994), 113 D.L.R. (4th) 368; 90 B.C.L.R. (2d) 24; 47 A.C.W.S. (3d) 49; 43 B.C.A.C. 1; [1994] B.C.W.L.D. 1112; 89 C.C.C. (3d) 217; 21 C.R.R. (2d) 116; 69 W.A.C. 1; 23 W.C.B. 272 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139; (1991), 77 D.L.R. (4th) 385; 4 C.R.R. (2d) 60; 120 N.R. 241.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Eye Masters Ltd. c. Ross King Holdings Ltd., [1992] 3 C.F. 625 (1992), 44 C.P.R. (3d) 459; 56 F.T.R. 274; 3 W.D.C.P. (2d) 549 (1re inst.); Future Shop Ltd. v. A. & B. Sound Ltd., [1994] 8 W.W.R. 376; (1994), 93 B.C.L.R. (2d) 40; 55 C.P.R. (3d) 182 (C.S.); Rôtisseries St-Hubert Ltée c. Syndicat des travailleurs(euses) de la Rôtisserie St-Hubert de Drummondville (C.S.N.), [1987] R.J.Q. 443; (1986), 12 C.I.P.R. 89; 17 C.P.R. (3d) 461 (C.S.); U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 257; 97 F.T.R. 259 (C.F. 1re inst.); R. c. James Lorimer and Company Limited, [1984] 1 C.F. 1065; (1984), 77 C.P.R. (2d) 262; 180 N.R. 351 (C.A.); Canadian Tire Corporation, Ltd. c. Retail Clerks Union, Local 1528 of United Food & Commercial Workers Union et al. (1985), 7 C.P.R. (3d) 415 (C.F. 1re inst.); Joy Music Ltd. v. Sunday Pictorial Newspapers (1920), Ltd., [1960] 1 All E.R. 703; [1960] 2 Q.B. 60; Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd., [1982] 1 C.F. 638 (1981), 127 D.L.R. (3d) 267; 14 B.L.R. 241; 56 C.P.R. (2d) 44 (1re inst.); Schweppes Limited and Others v. Wellingtons Limited, [1984] 10 F.S.R. 210 (Ch.D.); Williamson Music Ltd. and Others v. The Pearson Partnership Ltd. and Another, [1987] 13 F.S.R. 97 (Ch.D.); Zamacois, Miguel c. Douville, Raymond et al., [1944] Ex. C.R. 208; [1943] 2 D.L.R. 257; (1943), 2 C.P.R. 270; 3 Fox. P.C. 44; Luther R. Campbell a.k.a. Luke Skywalker v. Acuff-Rose Music, Inc., 114 S. Ct. 1164 (1994); Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; Weisfeld c. Canada, [1995] 1 C.F. 68 (1994), 116 D.L.R. (4th) 232; 22 C.R.R. (2d) 1; 171 N.R. 28 (C.A.); New Brunswick Broadcasting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F. 410 (1984), 13 D.L.R. (4th) 77; 2 C.P.R. (3d) 433; 12 C.R.R. 249; 55 N.R. 143 (C.A.); Toronto (City) v. Quickfall (1994), 16 O.R. (3d) 665; 111 D.L.R. (4th) 687; 88 C.C.C. (3d) 333; 20 C.R.R. (2d) 312; 19 M.P.L.R. (2d) 161; 68 O.A.C. 190 (C.A.); Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69; (1991), 82 D.L.R. (4th) 321; 37 C.C.E.L. 135; 91 CLLC 14,026; 4 C.R.R. (2d) 30; 125 N.R. 241.

DÉCISIONS CITÉES :

Canadian Council of Blue Cross Plans c. Blue Cross Beauty Products Inc., [1971] C.F. 543; (1971), 3 C.P.R. (2d) 223 (1re inst.); Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (1987), 16 C.I.P.R. 282; 19 C.P.R. (3d) 3; 81 N.R. 257 (C.A.); Syntex Corp. c. Apotex Inc. (1984), 2 C.I.P.R. 73; 1 C.P.R. (3d) 145; 54 N.R. 309 (C.A.F.); Hartco Enterprises Inc. c. Becterm Inc. (1989), 23 C.I.P.R. 267; 24 C.P.R. (3d) 223; 24 F.T.R. 69 (C.F. 1re inst.); Ludlow Music Inc. v. Canint Music Corp. Ltd. et al., [1967] 2 R.C.É. 109; (1967), 62 D.L.R. (2d) 200; 51 C.P.R. 278; 35 Fox Pat. C. 114; MCA Canada Ltd.-MCA Canada Ltée et al. c. Gillberry & Hawke Advertising Agency Ltd. et al. (1976), 28 C.P.R. (2d) 52 (C.F. 1re inst.); ATV Music Publishing of Canada Ltd. v. Rogers Radio Broadcasting Ltd. et al. (1982), 35 O.R. (2d) 417; 134 D.L.R. (3d) 487; 65 C.P.R. (2d) 109 (H.C.); Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357; (1979), 105 D.L.R. (3d) 249; 45 C.P.R. (2d) 1; 29 N.R. 296; Hubbard v. Vosper, [1972] 2 Q.B. 84 (C.A.); Dictionnaires (Les) Robert Canada SCC et al. c. Librairie du Nomade Inc. et al. (1987), 16 C.P.R. (3d) 319; 11 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.); R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452; (1992), 89 D.L.R. (4th) 449; [1992] 2 W.W.R. 577; 78 Man. R. (2d) 1; 70 C.C.C. (3d) 129; 8 C.R.R. (2d) 1; 134 N.R. 81; 16 W.A.C. 1; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697; (1990), 114 A.R. 81; [1991] 2 W.W.R. 1; 77 Alta. L.R. (2d) 193; 61 C.C.C. (3d) 1; 3 C.P.R. (2d) 193; 1 C.R. (4th) 129; 117 N.R. 284; Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084; (1993), 106 D.L.R. (4th) 233; 23 C.R. (4th) 391; 16 C.R.R. (2d) 240; 16 M.P.L.R. (2d) 1; 156 N.R. 2; 66 O.A.C. 10; Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest (Commissaire), [1990] 2 R.C.S. 367; [1990] N.W.T.R. 289; (1990), 72 D.L.R. (4th) 1; [1990] 5 W.W.R. 385; 49 C.R.R. 193; 90 CLLC 14,031; 112 N.R. 269; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130; (1995), 126 D.L.R. (4th) 129; 25 C.C.L.T. (2d) 89; 30 C.R.R. (2d) 189; 84 O.A.C. 1; Ladbroke (Football) Ltd. v. William Hill (Football) Ltd., [1964] 1 W.L.R. 273 (H.L.); R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232; (1990), 71 D.L.R. (4th) 68; 47 C.R.R. 193; 111 N.R. 161; 40 O.A.C. 241.

DOCTRINE

Collins Dictionary of the English Language, 2nd ed. London : Collins, 1986. « fair », « parody ».

Concise Oxford Dictionary of Current English, 8th ed. Oxford : Clarendon Press, 1990. « mention ».

Harris, Lesley Ellen. Canadian Copyright Law, 2nd ed. Toronto : McGraw-Hill Ryerson, 1995.

Zegers, James. « Parody and Fair Use in Canada after Campbell v. Acuff-Rose » (1994), 11 Can. Intell. Prop. Rev. 205.

ACTION en contrefaçon de marques de commerce et en violation de droits d’auteur dont la demanderesse est titulaire, fondée sur le fait que, au cours d’une campagne de recrutement, le syndicat défendeur a distribué des prospectus, apposé des affiches et publié des fiches de renseignements qui reproduisaient le mot « Michelin » et le dessin du « Bibendum ». Action accueillie en partie.

AVOCATS :

Jacques A. Léger, c.r., et Diane Leduc-Campbell pour la demanderesse.

Ronald A. Pink, c.r. pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Léger Robic Richard, Montréal, pour la demanderesse.

Pink, Breen, Larkin, Halifax, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Teitelbaum :

LES FAITS

Il s’agit d’une action en contrefaçon de marques de commerce et en violation de droits d’auteur qui comporte des aspects constitutionnels fascinants. La demanderesse Compagnie Générale des Établissements Michelin—Michelin & Cie (ci-après appelée CGEM Michelin) est une société française d’envergure mondiale qui fabrique, distribue et vend des pneus et des accessoires automobiles. CGEM Michelin fournit aussi des services touristiques, dont des guides et des cartes touristiques.

En février et mars 1994, le défendeur, Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (ci-après appelé les TCA) a tenté de syndiquer les employés de Michelin Amérique du Nord (Canada) (ci-après appelée Michelin Canada), filiale en propriété exclusive de CGEM Michelin, aux trois usines de pneus de Michelin Canada situées à Granton, à Waterville et à Bridgewater en Nouvelle-Écosse. Le défendeur Larry Wark est le représentant local des TCA chargé de la campagne de recrutement en Nouvelle-Écosse. Le défendeur Basil Hargrove est le président national des TCA qui a approuvé le lancement de la campagne. Au cours de celle-ci, les TCA ont distribué des prospectus, apposé des affiches et publié des fiches de renseignements qui reproduisaient le mot « Michelin ». Les TCA ont également inclus dans leurs imprimés le logo de CGEM Michelin, le dessin du « Bibendum » de Michelin représentant un homme corpulent, au visage rayonnant, composé de pneus et ayant l’air d’être fait en guimauve.

La demanderesse CGEM Michelin est titulaire des marques de commerce et des droits d’auteur sur le mot « Michelin » et sur le dessin du « Bibendum ». Les défendeurs n’ont pas obtenu la permission de CGEM Michelin avant d’utiliser la propriété intellectuelle de la demanderesse. Celle-ci demande maintenant des dommages-intérêts parce que les défendeurs ont violé ses droits de propriété intellectuelle. Elle sollicite aussi une injonction permanente interdisant aux défendeurs d’employer ses marques de commerce et ses dessins protégés par des droits d’auteur dans le cadre de futures campagnes de recrutement. Ceux-ci rétorquent qu’ils n’ont pas violé les marques de commerce et les droits d’auteur de la demanderesse. En plus de nier les accusations de contrefaçon, ils invoquent un moyen de défense constitutionnel. D’après eux, si les articles 3 [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art 62; 1993, ch. 23, art. 2; ch. 44, art. 55] et 27 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, art. 13; (4e suppl.), ch. 10, art. 5; L.C. 1993, ch. 44, art. 64] de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (ci-après appelée la Loi sur le droit d’auteur) et les articles 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (ci-après appelée la Loi sur les marques de commerce) leur interdisent d’employer les marques de commerce et les dessins protégés par des droits d’auteur de la demanderesse dans une campagne de recrutement, ces articles de loi sont des restrictions inconstitutionnelles de leur liberté d’expression garantie à l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

Je me propose d’exposer d’abord brièvement les droits de propriété intellectuelle de la demanderesse et de décrire ensuite en détail les documents en cause utilisés par les défendeurs TCA pour le recrutement. Puis, je vais étudier les motifs invoqués à l’appui de l’accusation de contrefaçon sous le régime de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur le droit d’auteur, pour terminer par la question constitutionnelle.

Droits de propriété intellectuelle

Comme les défendeurs admettent, aux paragraphes 7 à 20 inclus des aveux judiciaires versés au dossier, la validité des diverses marques de commerce et droits d’auteur en cause, celle-ci n’est pas litigieuse. Les défendeurs reconnaissent aussi que CGEM Michelin a employé ses dessins du « Bibendum » au Canada et dans le monde entier comme marques de commerce en liaison avec les services et produits de son entreprise. Ils reconnaissent en outre que CGEM Michelin a autorisé sa filiale Michelin Canada à employer ses diverses marques de commerce et les œuvres faisant l’objet de ses droits d’auteur.

Marques de commerce et droits d’auteur

CGEM Michelin est le propriétaire inscrit de deux marques de commerce pour des variantes de son logo « Bibendum » ou bonhomme des pneus Michelin. Ces marques figurent à l’annexe I. Elles représentent un « Bibendum » courant, la main levée pour saluer[1]. De plus, CGEM Michelin possède une marque de commerce pour le mot « Michelin »[2]. Elle est également titulaire des droits d’auteur enregistrés en 1982 relativement à trois dessins du « Bibendum ». Ces dessins sont aussi reproduits à l’annexe I. Il s’agit d’un « Bibendum » droitier courant, main en l’air, d’un « Bibendum » tenant un pneu dans sa main gauche et, de façon plus détaillée, d’un « Bibendum » immobile, coiffé d’un haut-de-forme, tenant un pneu à deux mains, une guirlande d’étoiles à ses pieds. CGEM Michelin prétend aussi posséder un droit d’auteur non enregistré sur l’image d’un « Bibendum » portant de lourdes bottes, les bras croisés.

Comme le contenu et les buts des actes de contrefaçon allégués sont au cœur de la présente instance, je vais maintenant donner une description assez détaillée des documents en cause des défendeurs.

Les prospectus et l’affiche

Comme je l’ai exposé brièvement, les défendeurs TCA ont mené une campagne de recrutement aux usines de Michelin Canada en Nouvelle-Écosse en février et mars 1994. Les défendeurs TCA ont distribué 2 500 prospectus aux employés de Michelin à l’extérieur des barrières des trois usines de Michelin Canada en Nouvelle-Écosse. Le prospectus (pièce P-18) est joint à la présente décision comme annexe II. Dans le coin supérieur droit, on y voit le logo des TCA, soit une marque comportant les sigles « CAW » et « TCA » séparés par une feuille d’érable stratifiée et en-dessous desquels est tracée une ligne mince sous laquelle figure le mot « Canada ». La partie litigieuse du prospectus montre un « Bibendum » arborant un large sourire, les bras croisés, un pied en l’air, et apparemment prêt à écraser un employé de Michelin peu méfiant. On y voit aussi un autre employé hors de la portée du pied menaçant du « Bibendum » qui pointe celui-ci du doigt et prévient son collègue en ces termes : [traduction] « Bob, tu ferais mieux de bouger avant qu’il t’écrabouille. » Bob, l’employé dont l’écrasement est imminent, a semble-t-il résisté aux offres alléchantes du syndicat puisque la bulle à proximité de sa bouche contient les mots : [traduction] « Non, je vais attendre pour voir ce qui arrive. » Sous le dessin grossier des employés, on lit ce plaidoyer : [traduction] « N’attendez pas qu’il soit trop tard! Parce que l’emploi que vous préservez peut être le vôtre. Signez aujourd’hui pour un avenir meilleur. » Le prospectus donne aussi le numéro de téléphone du bureau des TCA à Granton. Le défendeur Wark, responsable du recrutement des défendeurs TCA en Nouvelle-Écosse, a admis avoir photocopié et préparé le prospectus contenant le dessin contrefait du « Bibendum » dans le bureau des TCA.

Le prospectus a également été reproduit sur une affiche qui a été apposée sur les fenêtres des bureaux des TCA à Granton, Waterville et Bridgewater. Après que l’avocat de Michelin Canada eut envoyé une lettre au défendeur Hargrove en mars 1994 pour faire valoir les droits de propriété intellectuelle sur le dessin du « Bibendum », l’affiche a été enlevée aux bureaux des défendeurs TCA à Waterville et Bridgewater. Toutefois, l’affiche au bureau des défendeurs TCA à Granton est restée à la vue des passants jusqu’en juin 1994.

Les bulletins d’information

Au cours de la même campagne de recrutement, les défendeurs TCA ont distribué un bulletin d’information intitulé [traduction] « Maladie, accident et indemnisation ». Le contenu de ce bulletin n’est pas en cause. Pour simplifier, je dirai qu’il tente de persuader les employés de Michelin qu’ils ont souffert, à court et à long terme, sur le plan financier, des politiques et de l’attitude de l’entreprise en matière d’accidents du travail. Fait plus important pour les besoins du présent litige, le bulletin utilise le mot « Michelin » en corrélation avec une partie du logo des TCA. Dans le coin supérieur gauche du bulletin, les sigles « CAW » et « TCA » sont séparés par une feuille d’érable. Toutefois, le mot « Michelin » y figure sous une ligne tracée sous le sigle CAW et le dessin de la feuille d’érable (pièce P-21).

Une deuxième brochure d’information met en contraste les politiques discrétionnaires de l’entreprise dans un milieu non syndiqué avec les droits à force obligatoire d’une main-d’œuvre syndiquée. Sur la couverture de la brochure, au haut de la page, on voit le mot « Michelin » séparé par une ligne mince des mots en caractères gras de grand format [traduction] « Quelques faits ». Au bas de la couverture figure le logo des TCA, composé des sigles « CAW » et « TCA » séparés par une feuille d’érable et en dessous desquels est tracée une ligne mince sous laquelle se trouve le mot « Canada » (pièce P-27).

La demanderesse a également versé en preuve une liasse de documents utilisés par les défendeurs dans leur campagne, auxquels elle ne s’oppose pas (pièce P-26). Ces documents « inoffensifs » du point de vue de la propriété intellectuelle ne contiennent pas de dessin du « Bibendum » mais le mot « Michelin » y est employé partout. Par exemple, certains des documents s’intitulent [traduction] « À tous les employés de Michelin à Granton », tandis que d’autres mentionnent les [traduction] « travailleurs de Michelin » en général ou montrent une réunion fictive des gestionnaires de Michelin auxquels le président de séance adresse cette exhortation : [traduction] « Mes chers micheliniens ». La liasse contient aussi des caricatures mettant en contraste les conditions des travailleurs syndiqués avec celles de leurs frères non syndiqués. L’un des travailleurs s’appelle Bob—peut-être le même Bob en danger d’être écrasé par la botte du « Bibendum » dans le prospectus décrit précédemment. Toutefois, le puissant « Bibendum » brille par son absence dans le cas présent.

Durant la première campagne de recrutement, un nombre suffisant de cartes de membres ont été signées pour que les défendeurs TCA demandent l’accréditation comme agent négociateur de l’unité des salariés en vertu de l’article 23 de la Trade Union Act de la Nouvelle-Écosse, R.S.N.S. 1989, ch. 475. En définitive, les défendeurs n’ont pas réussi à syndiquer les travailleurs des trois usines de Michelin Canada en Nouvelle-Écosse. La Commission des relations de travail de la Nouvelle-Écosse a en effet rejeté leur demande d’accréditation, les employés de l’unité de négociation ayant à la majorité voté contre le syndicat.

Les défendeurs TCA avaient déjà tenté sans succès en 1986 et 1991 de syndiquer les travailleurs des usines de Michelin Canada en Nouvelle-Écosse. Pendant ces campagnes antérieures, les défendeurs avaient aussi reproduit dans leur publicité les marques de commerce et les œuvres faisant l’objet de droits d’auteurs de CGEM Michelin. Michelin Canada avait également envoyé des lettres aux défendeurs TCA et à leur président d’alors pour faire valoir que ses droits de propriété intellectuelle sur le dessin du « Bibendum » avaient été violés. Toutefois, la demanderesse CGEM Michelin n’avait pas cherché à obtenir réparation en justice contre les défendeurs jusqu’au dépôt de la présente action.

QUESTIONS EN LITIGE

Les questions en litige forcent la Cour à aller au delà de la simple question de savoir si les défendeurs ont violé les marques de commerce et les droits d’auteur de la demanderesse. Même les motifs propres à justifier l’accusation de contrefaçon sous le régime de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur le droit d’auteur ne sont pas si nettement définis dans la présente espèce. Les deux parties ont prié la Cour d’examiner des interprétations innovatrices de la loi. Sur la question des marques de commerce, la demanderesse a soutenu qu’elle n’avait pas à prouver que les défendeurs TCA avaient « employé » ses marques de commerce suivant le sens et la définition qui ont généralement été donnés à ce mot dans la jurisprudence. Quant à la question du droit d’auteur, les défendeurs ont préconisé l’introduction d’une acception élargie et inédite du mot « parodie » dans la loi sur le droit d’auteur au Canada. Finalement, s’est posée la question importante de savoir si les dispositions des lois en cause constituaient des restrictions constitutionnellement valables ou injustifiées de la liberté de parole. Un dernier élément à ajouter à la complexité de l’affaire : tout le long des débats sur les questions touchant les marques de commerce, les droits d’auteur et les questions constitutionnelles, le fait singulier qu’à titre de syndicat, les défendeurs TCA aient employé des marques de commerce et des œuvres protégées par des droits d’auteur dans le cadre d’une campagne de recrutement a suscité bien des réflexions et des discussions. J’ai intégré, au besoin, lorsque je l’estimais utile, l’essentiel des arguments des parties et mes conclusions sur le sujet difficile du statut des défendeurs comme syndicat.

I. Questions touchant les marques de commerce

La question plus large soumise à la Cour était de savoir si les défendeurs TCA avaient contrefait les marques de commerce de la demanderesse en montrant le dessin du « Bibendum » et le mot « Michelin » dans leurs prospectus et leurs bulletins. La question plus étroite mais cruciale est devenue au cours des plaidoiries l’état actuel et la validité des conclusions de l’affaire Clairol International Corp. et al. v. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al., [1968] 2 R.C.É. 552 (ci-après appelée Clairol), décision faisant autorité sur le sens du mot « emploi » sous le régime de la Loi sur les marques de commerce. La demanderesse s’est d’abord appuyée sur les articles 19 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60], 20 et 22 et l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. Durant les plaidoiries orales, toutefois, la demanderesse a limité ses arguments aux articles 20 et 22.

En ce qui a trait aux articles 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce, je dis tout de suite que j’ai refusé l’invitation de la demanderesse d’écarter et de réécrire la décision Clairol. Je souscris à l’argument des défendeurs que l’interprétation classique du mot « emploi » donnée pour la première fois à propos des articles 20 et 22 dans Clairol fait encore partie de notre droit.

(i)         La décision Clairol

Dans l’affaire Clairol, la demanderesse Clairol possédait des marques de commerce pour des colorants capillaires et un procédé de teinture. Les défendeurs avaient reproduit les marques de commerce de Clairol dans un tableau de comparaison des couleurs sur les emballages de leurs propres solutions capillaires. Le même tableau de comparaison des couleurs était aussi imprimé sur des dépliants publicitaires séparés. Clairol a intenté une action en contrefaçon en application des articles 19 et 22 de la Loi sur les marques de commerce [S.C. 1952-53, ch. 49][3].

L’article 19 est ainsi conçu :

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

L’article 20 est ainsi conçu :

20. Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne :

a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce :

(i) soit le nom géographique de son siège d’affaires,

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce[4].

L’article 22 est ainsi conçu :

22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

(2) Dans toute action concernant un emploi contraire au paragraphe (1), le tribunal peut refuser d’ordonner le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et permettre au défendeur de continuer à vendre toutes marchandises revêtues de cette marque de commerce qui étaient en sa possession ou sous son contrôle lorsque avis lui a été donné que le propriétaire de la marque de commerce déposée se plaignait de cet emploi.

L’article 19 traite du droit exclusif du propriétaire à l’emploi d’une marque de commerce déposée. Le champ d’application de l’article 19 a été limité aux cas où le contrefacteur emploie une marque identique à la marque déposée, et ce, pour les mêmes marchandises ou services : voir Canadian Council of Blue Cross Plans c. Blue Cross Beauty Products Inc., [1971] C.F. 543 (1re inst.) (ci-après appelée Blue Cross), à la page 552. L’article 20, savoir le motif invoqué en l’espèce pour justifier l’accusation de contrefaçon, porte sur les cas où le droit exclusif établi à l’article 19 a été violé par l’emploi d’une marque créant de la confusion. L’article 20 étend donc le champ d’application de l’article 19 aux cas de contrefaçon où le contrefacteur n’a pas employé une marque identique à la marque déposée. L’article 20 n’a pas été invoqué explicitement dans Clairol, mais la décision du juge Thurlow sur le sens d’« emploi » sous le régime de l’article 19 vise aussi l’interprétation à donner au mot « emploi » en ce qui concerne l’article 20, puisque tant l’article 19 que l’article 20 concernent l’étendue des droits du propriétaire inscrit. L’article 22 traite également de la contrefaçon, mais sans mentionner explicitement le droit du propriétaire à l’emploi exclusif. Il met plutôt l’accent sur l’emploi que fait lui-même le contrefacteur de la marque et qui tend à diminuer la valeur de l’achalandage attaché à celle-ci.

(ii)        Les deux éléments de l’emploi sous le régime des articles 19 et 20

Dans l’affaire Clairol, supra, à la page 566, le juge Thurlow (plus tard juge en chef) a décidé que, sous le régime de l’article 19, le titulaire du droit exclusif à l’emploi qui allègue la violation de ce droit doit d’abord prouver que le contrefacteur a employé la marque de commerce au sens où les mots « marque de commerce » et « emploi » sont employés aux articles 2 et 4 de la Loi sur les marques de commerce :

[traduction] Par conséquent, lorsque l’article 19 dispose que l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services donne au propriétaire « le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services », ce qu’il confère, à mon sens, c’est le droit exclusif à l’emploi de cette marque en liaison avec ces marchandises ou services (au sens de l’alinéa 2v) et de l’article 4) pour les distinguer, ou de façon à les distinguer, des autres, aux fins de la marque de commerce ou d’une norme définie. L’emploi de la marque, en liaison avec des marchandises ou services, au sens de l’alinéa 2v) et de l’article 4, qui n’est pas fait « pour distinguer, ou de façon à distinguer » les marchandises ou services donnés des autres n’est cependant pas, à mon sens, visé par le droit exclusif conféré par l’article 19.

L’article 2 contient les définitions de certains termes employés dans la Loi sur les marques de commerce. Les plus importantes pour la présente instance sont celles des mots « marque de commerce » et « emploi » ou « usage ». Le but de l’emploi d’une marque de commerce est l’élément clef de la définition de celle-ci.

2.

« marque de commerce » Selon le cas :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

Pour remplir les conditions de l’« emploi comme marque de commerce », la marque doit donc être employée pour identifier avec précision la source des marchandises et services. Autrement dit, pour employer une marque comme marque de commerce, la personne qui a employé la marque sur les marchandises ou en liaison avec les services doit avoir voulu qu’elle indique l’origine des marchandises ou services.

Le mot « emploi » ou « usage » à l’article 2 est défini précisément comme désignant, à l’égard d’une marque de commerce, « tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services. »

L’article 4 est ainsi conçu :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

En effet, l’article 4 dit que, pour ce qui est d’ «employer » une marque de commerce tant à l’égard de marchandises que de services, il faut d’abord prouver que le contrefacteur a employé la marque « en liaison » avec ses propres marchandises ou services, ou relativement à ceux-ci. L’article 4 énonce différents critères pour déterminer la liaison avec des marchandises ou services. Le mot « services » n’est pas défini à l’article 2, mais la définition donnée au mot « marchandises » inclut les « publications imprimées ». Dans le cas des marchandises, aux termes du paragraphe 4(1), la preuve de l’« emploi en liaison » est apparemment plus rigoureuse. Elle comporte les éléments suivants : (1) le contrefacteur a transféré la propriété ou la possession des marchandises sur lesquelles figurent les marques du propriétaire, dans la pratique normale du commerce; (2) un avis de liaison a été donné à la personne qui reçoit les marchandises soit parce que la marque du demandeur est apposée sur les marchandises elles-mêmes, ou sur les colis, soit parce qu’elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises. Dans le cas des services, la liaison avec la marque du demandeur est apparemment démontrée d’une manière plus simple puisqu’il suffit, aux termes du paragraphe 4(2), pour prouver l’« emploi » de la marque de commerce, d’établir qu’elle est (1) employée ou montrée; (2) dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

Je suis convaincu que l’analyse classique faite dans Clairol de l’emploi sous le régime de l’article 20 fait encore partie de notre droit. Le critère de l’« emploi » de l’article 20 exige l’établissement de deux éléments distincts tirés de l’article 2 et de l’article 4. En effet, le premier élément provient de l’article 4 : (1) les défendeurs ont-ils établi une liaison entre leurs services et les marques de commerce de la demanderesse? Le second élément est tiré de l’article 2 : (2) les défendeurs ont-ils employé la marque de commerce pour distinguer ou identifier leurs services en liaison avec les marchandises et services de la demanderesse?

Le juge Thurlow a appliqué ce critère à deux volets aux faits de l’affaire Clairol, aux pages 564 à 568. Il a conclu, à la page 564, que la simple présence des marques de la demanderesse sur les emballages de colorants des défenderesses était suffisante pour constituer un « emploi » des marques de commerce en liaison avec les marchandises des défenderesses :

[traduction] Je vais m’arrêter ici un instant pour dire qu’il est manifeste, à mon sens, que la présence des marques des demanderesses sur les emballages des défenderesses est un emploi de ces marques « en liaison avec » les marchandises contenues dans les colis des défenderesses au sens du paragraphe 4(1) parce que, à mon sens, simplement parce qu’elles sont apposées sur les emballages.

Et pourtant, le juge Thurlow n’a pas conclu en fin de compte à la contrefaçon en ce qui concerne les emballages, sous le régime de l’article 19, puisqu’il a également déterminé, à la page 568, que les marques de commerce n’étaient pas employées en tant que marques de commerce pour identifier les marchandises du contrefacteur aux marques de commerce de la demanderesse :

[traduction] … il ressort tout à fait clairement, à mon avis, de l’examen des emballages que les marques, Miss Clairol et Hair Color Bath, ne visent pas à indiquer et n’indiquent à personne que sous l’emballage sont contenues les marchandises des défenderesses. En outre, il est peu probable, à mon avis, qu’un acheteur éventuel d’un emballage de ces marchandises risque d’être trompé par la présence des marques Miss Clairol et Hair Color Bath telles qu’imprimées sur l’emballage et d’en déduire qu’elles visaient à indiquer l’origine des marchandises contenues sous l’emballage.

Quant aux dépliants publicitaires sous le régime de l’article 19, le juge Thurlow a conclu à l’absence d’« emploi en liaison » avec les marques. Comme les dépliants n’étaient pas les marchandises des défenderesses elle-mêmes, il n’y avait pas moyen de donner avis de la liaison aux personnes recevant les marchandises : affaire Clairol, supra, à la page 565. Cette absence d’« emploi en liaison » a amené le juge Thurlow à conclure qu’il n’y avait eu aucun « emploi » quel qu’il soit des marques de commerce relativement aux dépliants publicitaires. Étant donné qu’il n’y avait pas eu d’« emploi en liaison », savoir le premier élément de l’« emploi » selon le critère de l’article 4, le juge Thurlow n’a pas analysé la question de savoir si les marques figurant sur les dépliants publicitaires avaient été « employées comme marques de commerce », soit le second élément de l’« emploi » sous le régime de l’article 19. Les demanderesses dans Clairol n’avaient donc pas satisfait aux critères de l’emploi d’une marque de commerce sous le régime de l’article 19 tant en ce qui a trait aux emballages qu’aux dépliants publicitaires.

La demanderesse a soutenu qu’il fallait écarter la décision Clairol, faisant ressortir le fait que l’article 20 ne fait pas mention explicitement de l’« emploi », par le contrefacteur, de la marque de commerce déposée. D’après elle, la clef de l’article 20 est la présomption que le droit exclusif du propriétaire inscrit est violé lorsqu’il y a vente, distribution ou annonce de marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion. La demanderesse a soutenu qu’en l’espèce, l’article 20 n’exige pas la preuve de l’emploi. En effet, elle a attaqué la validité de la conclusion du juge Thurlow que l’article 20 exige un autre élément implicite mais crucial, soit la preuve préalable de l’« emploi », par le contrefacteur, des marques de commerce de la demanderesse. Je ne saurais souscrire à l’argument de la demanderesse que son interprétation innovatrice devrait l’emporter sur la conclusion tirée dans Clairol, parce qu’elle écarte la nécessité de la mention de l’« emploi » et, par voie de conséquence, la preuve des deux éléments exigés sous le régime de l’article 20. Aussi désireux soyons-nous parfois de supprimer les aspects les plus compliqués du mot « emploi », ce mot apparemment simple a été défini et s’est vu attribuer une signification précise par les rédacteurs de la Loi sur les marques de commerce et par la jurisprudence. Dans Clairol, à la page 569, le juge Thurlow a tenu compte de la nécessité d’énoncer un critère relatif à l’emploi qui n’engloberait pas [traduction] « les exemples courants d’emploi des marques de commerce dans la pratique du commerce » tels que la publicité comparative représentée par les tableaux de comparaison des couleurs dans Clairol. Si l’on imagine un instant que les définitions données dans la Loi du mot « emploi » telles qu’interprétées dans Clairol sont un filet destiné à intercepter les actes de contrefaçon, le bien-fondé de la méthode du juge Thurlow est évident. Le filet ou le sens donné au mot « emploi » est conçu pour que tous ceux qui emploient des marques de commerce appartenant à autrui ne soient pas pris dans les mailles des dispositions relatives à la contrefaçon.

L’avocat de la demanderesse a également soulevé le spectre des redondances apparentes à l’intérieur de la Loi sur les marques de commerce pour étayer son argument qu’il n’est pas nécessaire de prouver l’« emploi » sous le régime de l’article 20. La demanderesse a soutenu que, puisque les articles 19 et 22 de la Loi sur les marques de commerce exigent déjà la preuve de l’« emploi » au sens de l’article 4, l’article 20 doit exister pour couvrir les cas où le contrefacteur n’« emploie » pas une marque de commerce, mais « annonce » simplement ses marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion. Toutefois, pour formuler cet argument, la demanderesse a dû avancer la thèse indéfendable que, lorsque les défendeurs ont apparemment « annoncé » leurs services en montrant les marques de commerce de CGEM Michelin, ils ont fait ces annonces illégales sans réellement s’abaisser jusqu’à « employer » les marques de commerce. Forcer ainsi le sens des mots pèche, à mon sens, contre la logique ou la raison car le paragraphe 4(2) explique par le menu de quelle manière une marque est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

(iii)       L’élément unique de l’emploi sous le régime de l’article 22

La demanderesse a soutenu subsidiairement que, si je rejetais son argument innovateur quant à l’interprétation correcte de l’article 20—ce que j’ai fait—, il convenait d’étendre la mention explicite de l’« emploi » contenue à l’article 22 au delà de la conclusion tirée par le juge Thurlow dans Clairol. Dans cette décision-là, le juge Thurlow a caractérisé d’une manière un peu différente les éléments à prouver pour établir l’emploi sous le régime de l’article 22. Il a décidé, aux pages 569 et 570, que par contraste avec l’article 19, l’article 22 exige seulement la preuve de l’« emploi en liaison avec des marchandises ou services » selon les critères précis de l’article 4.

[traduction] Je pense plutôt que le verbe « employer » à l’article 22 doit être interprété par référence à la définition du substantif « emploi » de l’alinéa 2v), ce qui a pour effet de limiter l’application et, par conséquent, l’interdiction de l’article 22 à l’emploi que toute personne peut faire, en liaison avec des marchandises ou services au sens des paragraphes de l’article 4, de la marque de commerce déposée d’une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

Il n’est pas nécessaire, sous le régime de l’article 22, de prouver l’élément supplémentaire de l’emploi de la marque comme marque de commerce destinée à distinguer des marchandises ou services. Les demanderesses dans Clairol ont eu gain de cause en citant l’article 22 comme moyen propre à justifier l’accusation de contrefaçon relativement à l’emploi de leurs marques de commerce sur les emballages des défenderesses parce que l’article 22 n’exige pas la preuve de l’emploi des marques de commerce comme marques de commerce visant à distinguer des marchandises et des services.

La demanderesse a soutenu que, pour que l’article 22 ait du sens dans le contexte des dispositions en matière de contrefaçon de la Loi sur les marques de commerce, il fallait qu’il vise des cas comme le présent. D’après elle, bien que les activités des défendeurs ne constituent pas strictement un « emploi » des marques de commerce en liaison avec des marchandises ou services, ces activités sont tout de même susceptibles d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux marques de la demanderesse. J’ai été exhorté à tempérer la mention explicite de l’« emploi » contenue à l’article 22 et à aller au delà des critères rigoureux de l’article 4 relativement à l’« emploi en liaison avec des marchandises ou services » afin que des activités susceptibles d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à une marque de commerce n’échappent pas à la censure. Je n’accepte pas l’argument de la demanderesse que, pour interpréter le mot « employer » contenu à l’article 22, il faut dévier de la définition de base de l’expression « emploi en liaison avec des marchandises ou services ». La demanderesse a soutenu également que les critères de l’article 4 ne devraient être appliqués que lorsque le mot « emploi » est utilisé dans sa forme verbale dans la Loi sur les marques de commerce. Je repousse aussi l’argument grammatical de la demanderesse selon lequel on est en présence, à l’article 22, de la forme nominale du mot « emploi ». Mais avant tout, la forme grammaticale du mot « emploi » dans quelque disposition que ce soit de la Loi sur les marques de commerce n’est pas pertinente quand il s’agit d’interpréter le sens et l’application de ce mot.

Il n’est pas nécessaire de recourir à l’interprétation innovatrice de l’article 22 proposée par la demanderesse pour corriger redondances ou lacunes des motifs propres à justifier l’accusation de contrefaçon d’une marque de commerce. L’« emploi » est la base des motifs propres à justifier l’accusation de contrefaçon qui sont énoncés aux articles 19, 20 et 22, mais les éléments secondaires de chaque motif, une fois prouvé l’« emploi » principal, sont tout à fait différents. L’article 19 exige l’emploi d’une marque identique pour des marchandises et des services identiques, tandis que l’article 20 dit qu’il suffit qu’il s’agisse d’une marque « créant de la confusion » et non d’une marque identique à la marque déposée. L’article 22 est encore moins limitatif, puisqu’il n’est même pas nécessaire que la marque crée de la confusion dans la mesure où son emploi est susceptible de diminuer la valeur de l’achalandage : voir Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91(C.A.), à la page 98. Les motifs propres à justifier l’accusation de contrefaçon vont du plus strict, à l’article 19, au plus large, à l’article 22, mais l’« emploi » demeure la composante de base ou le pivot de tous les motifs.

(iv)       La décision Clairol dans la jurisprudence

Je souscris à l’argument des défendeurs que les motifs du juge Thurlow dans l’affaire Clairol, supra, continuent de faire autorité quant à la nécessité et aux moyens de prouver l’« emploi » sous le régime des articles 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce. La demanderesse n’a pas convaincu la Cour que son analyse inédite des motifs propres à justifier l’accusation de contrefaçon était nécessaire à la correction des incohérences existantes de la loi. La demanderesse n’a pas non plus cité de jurisprudence pertinente qui mette sérieusement en doute le bien-fondé de la décision Clairol. Elle s’est référée en passant à la décision du juge Reed dans Eye Masters Ltd. c. Ross King Holdings Ltd., [1992] 3 C.F. 625 (1re inst.) (ci-après appelée Eye Masters). Toutefois, il ressort d’un examen plus approfondi de Eye Masters que celle-ci n’augmente que peu, voire pas du tout, la force de persuasion des arguments de la demanderesse. Dans la décision Eye Masters, supra, le juge Reed a, aux pages 629 et 630, fait un bref commentaire sur l’argument de la demanderesse dans cette affaire. Celle-ci avait soutenu que Clairol établissait le principe que la portée de la protection conférée aux marques de commerce qui sont liées à des services est plus grande que celle attribuée aux marques liées à des marchandises. À la page 630, le juge Reed a qualifié cette conclusion de « quelque peu bizarre ».

Cette référence à Clairol dans Eye Masters ne signifie aucunement que le juge Reed a écarté Clairol. Puisque Eye Masters découlait d’une demande d’injonction interlocutoire, le juge Reed n’a analysé l’argument de la demanderesse qu’à titre d’interprétation possible de Clairol afin de voir s’il soulevait une question sérieuse à trancher aux fins de l’injonction. Malheureusement, en analysant l’argument de la demanderesse, le juge Reed a, à la page 630, mal caractérisé la conclusion du juge Thurlow dans Clairol :

L’argument selon lequel la portée de la protection attribuée aux marques de commerce qui sont liées à des services est plus grande que celle accordée aux marques liées à des marchandises repose sur la décision Clairol International Corp. et al. v. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al., [1968] 2 R.C.É. 552. Il y a été décidé que les tableaux de comparaison des couleurs, qui mentionnaient la marque de commerce d’un concurrent, lorsqu’ils étaient apposés sur un colis de teinture pour les cheveux, constituaient une atteinte au droit à l’emploi exclusif conféré par l’article 19 de la Loi.

Le juge Thurlow avait en fait décidé que les colis ne violaient pas l’article 19 parce que les défenderesses dans cette affaire n’avaient pas employé les marques de la demanderesse [traduction] « comme marques de commerce » pour distinguer leurs marchandises en liaison avec les marques de la demanderesse. Je conteste en outre la valeur de l’argument de la demanderesse dans Eye Masters touchant la plus grande portée apparente de la protection attribuée aux marques de commerce employées en liaison avec des services. Dans la décision Future Shop Ltd. v. A. & B. Sound Ltd., [1994] 8 W.W.R. 376 (ci-après appelée Future Shop), le juge MacKenzie de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a, à la page 382, pareillement dit douter que Clairol étaye vraiment la décision Eye Masters :

[traduction] Je ne saurais souscrire à l’opinion que cette distinction entre les marchandises et les services est corroborée par les motifs du juge Thurlow dans Clairol. L’affiche de prix du comptoir de magasin qu’il a citée comportait une comparaison des prix analogue à celle de la publicité de Eye Masters ou des publicités de A. & B. Sound qui attirent l’attention sur les prix au détail et les comparaisons de prix lorsque celle-ci emploie la marque de commerce Future Shop. À mon avis, la décision Clairol étaye la thèse de A. & B. Sound que leurs publicités comparatives, loyales et exactes concernant les prix ne portent pas atteinte au par. 22(1) de la Loi sur les marques de commerce. Je ne saurais souscrire à l’opinion que Clairol étaye la décision Eye Masters.

De toute façon, si j’ai invoqué la décision Eye Masters, ce n’est pas pour faire une critique exhaustive de son bien-fondé. C’est plutôt pour démontrer que même le seul précédent cité par la demanderesse n’est guère décisif quant à la nécessité de l’interprétation innovatrice des articles 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce. En effet, la décision du juge Thurlow dans Clairol sur l’interprétation de ces articles a été citée et approuvée par de nombreux tribunaux, dont la Cour d’appel fédérale dans Syntex Corp. c. Apotex Inc. (1984), 2 C.I.P.R. 73. Toutefois, comme l’a fait remarquer le juge MacKenzie dans l’arrêt Future Shop, supra, à la page 382, la décision Clairol n’a pas encore été interprétée d’une manière définitive par une cour d’appel.

Pour revenir aux critères de l’« emploi » tels qu’expliqués dans la décision Clairol, il faut tout d’abord prouver la « liaison » de la marque de commerce tant sous le régime de l’article 20 que sous celui de l’article 22. Toutefois, l’« emploi » comme motif propre à justifier une accusation de contrefaçon sous le régime de l’article 20 comprend un élément supplémentaire. Pour prouver que le contrefacteur a « employé » la marque de commerce, le propriétaire inscrit doit aussi montrer que le contrefacteur a employé la marque de commerce « comme marque de commerce » pour distinguer ses marchandises ou services.

(v)        Application : le critère de l’« emploi en liaison » et le statut des défendeurs TCA

Quand on applique les critères de l’« emploi » énoncés dans Clairol aux faits de l’espèce, il devient évident que la demanderesse n’avait pas d’autre choix que d’arguer de nouvelles interprétations des motifs propres à justifier une accusation de contrefaçon de marque de commerce. Selon le critère de l’« emploi en liaison », l’élément commun dans la définition de l’« emploi » tant sous le régime de l’article 20 que sous celui de l’article 22, la nature des activités de recrutement des défendeurs et le statut apparemment non commercial des défendeurs TCA se sont avérés former un obstacle immédiat et infranchissable à la demande de réparation de la demanderesse fondée sur la Loi sur les marques de commerce . Le statut des défendeurs TCA a été vivement contesté durant les plaidoiries orales parce que le critère de l’emploi en liaison s’attache à la question de savoir si la liaison a été faite « dans la pratique normale du commerce » à l’égard de marchandises ou dans l’« annonce » de services. Dans la décision Clairol, supra, à la page 569, le juge Thurlow a reconnu que [traduction] « l’emploi dans la pratique du commerce est une restriction qui est manifestement présente, la loi ayant pour objet les marques de commerce et la concurrence déloyale ». Les défendeurs TCA ont mis en doute toute proposition voulant qu’ils puissent être qualifiés d’entreprise commerciale ou que les documents utilisés dans leur campagne montrant les marques de commerce de la demanderesse présentent les caractéristiques d’une « annonce » de services. Ce à quoi la demanderesse a répliqué que les activités des défendeurs présentaient suffisamment d’aspects commerciaux pour autoriser l’appellation « annonce » au sens de l’article 20 en ce qui concerne les prospectus et brochures du syndicat.

La Cour s’est vu offrir deux visions opposées, mais ni l’une ni l’autre tout à fait satisfaisantes, du statut des défendeurs TCA sous le régime de la Loi sur les marques de commerce. Les parties ont également débattu l’objet général de la Loi sur les marques de commerce consistant à protéger les emblèmes des sociétés et à accroître l’intérêt et la confiance du public dans l’origine des marchandises et des services sur le marché. Il ne fait aucun doute que les défendeurs TCA sont, en règle générale, assujettis à la Loi sur les marques de commerce malgré qu’ils soient, pour reprendre les propos du juge Lesyk, aux pages 447 et 448, dans Rôtisseries St-Hubert Ltée c. Syndicat des travailleurs(euses) de la Rôtisserie St-Hubert de Drummondville (C.S.N.), [1987] R.J.Q. 443 (C.S.) (ci-après appelée St-Hubert), un groupement à but non lucratif, soit une association « qui n’est pas en affaires pour réaliser des profits et généralement n’exerce aucune activité commerciale »[5]. J’ai cependant été frappé par l’aveu fait par le défendeur Wark durant l’interrogatoire préalable selon lequel le syndicat escomptait percevoir plus d’un million de dollars par année en cotisations s’il avait réussi à syndiquer les 3 000 employés des usines de Michelin Canada en Nouvelle-Écosse. Si le syndicat n’est pas strictement une entreprise commerciale, ses activités comportent néanmoins des dimensions certainement commerciales. De toute façon, aux termes de la définition du mot « personne » à l’article 2, les syndicats sont explicitement inclus dans la catégorie des personnes visées par la Loi sur les marques de commerce. De plus, il est de notoriété publique que les défendeurs TCA sont propriétaires de marques de commerce déposées à l’égard de marchandises et de services[6]. Les défendeurs sont assujettis à la Loi sur les marques de commerce parce qu’ils ne peuvent pas, comme dit le proverbe, « avoir le beurre et l’argent du beurre ». Autrement dit, les défendeurs TCA ne peuvent pas à la fois se prévaloir de la protection de la Loi sur les marques de commerce pour leurs propres marques de commerce et nier que leurs actions tombent sous le coup des dispositions en matière de contrefaçon de la même Loi sur les marques de commerce.

La solution à apporter à la présente affaire ne dépend pas directement de la question du statut général des défendeurs TCA sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, mais de la question de savoir si les marques de commerce de la demanderesse ont été employées en liaison avec les marchandises ou services des défendeurs. Les actions des défendeurs dans le cas présent ne sont pas visées par l’expression « emploi » de marques en liaison avec des marchandises ou services sous le régime des articles 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce. Le fait que les activités de recrutement du syndicat auraient pu rapporter un revenu n’influe pas sur ma conclusion cruciale que les marques de commerce n’ont pas été « employées » en liaison avec des marchandises ou services selon les critères de l’« emploi » énoncés à l’article 4. Il ne peut pas y avoir eu emploi en liaison avec des « marchandises » car la définition de marchandises au paragraphe 4(1) exige la liaison dans la pratique normale du commerce. Distribuer des prospectus et des brochures afin de recruter des membres ne satisfait pas, dans le cas d’un syndicat, au critère de l’activité commerciale. La définition du mot « marchandises » comprend les « publications imprimées », mais les défendeurs ne tiennent pas une imprimerie commerciale. La seule autre possibilité est l’emploi en liaison avec des « services ». Aux termes du paragraphe 4(2), la liaison d’une marque de commerce avec des services est établie si elle est montrée dans l’« annonce » de ces services. Le terme « services » n’est pas défini dans la Loi sur les marques de commerce, mais la jurisprudence lui a donné une interprétation large : voir Hartco Enterprises Inc. c. Becterm Inc. (1989), 23 C.I.P.R. 267 (C.F. 1re inst.). Dans leurs propres marques de commerce, les défendeurs TCA présentent une description complète des services offerts en liaison avec leurs marques. Toutefois, j’estime que la distribution de prospectus et de brochures par les défendeurs ne constitue pas une « annonce ». Encore une fois, le terme « annonce » a une connotation commerciale que n’étayent pas les faits de l’espèce. Les défendeurs n’annonçaient pas des services pour gagner des revenus, quoique, je le répète, les nouveaux membres représentaient aussi d’importantes sommes d’argent sous forme de cotisations. Des cotisations ne sont cependant pas des bénéfices. Finalement, une personne qui recevrait le prospectus montrant le « Bibendum » ou les fiches de renseignements renfermant le mot « Michelin » n’établirait pas de rapport entre l’emploi des marques de commerce et la demanderesse. Je suis donc d’avis que, puisque les défendeurs TCA n’ont pas employé les marques de commerce de la demanderesse en liaison avec leurs marchandises ou services, il n’y a pas lieu de conclure à la contrefaçon sous le régime de l’article 20 ou de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce.

(vi)       Application : le critère de l’« emploi comme marque de commerce »

Même si j’avais conclu autrement et décidé que les défendeurs TCA ont employé les marques de commerce en liaison avec des marchandises ou services, la demanderesse n’aurait pas prouvé l’« emploi » sous le régime de l’article 20 car cette disposition exige aussi la preuve de l’emploi de la marque comme marque de commerce. J’accepte l’argument des défendeurs qu’ils n’employaient pas le dessin du « Bibendum » comme marque de commerce servant à indiquer que CGEM Michelin ou Michelin Canada était la source des brochures et prospectus. Les défendeurs n’ont pas employé le dessin du « Bibendum » comme marque de commerce, mais comme outil pour attirer l’attention des employés de Michelin quand ils passaient les barrières de l’usine. Il était indubitable que les défendeurs TCA étaient la source des brochures et prospectus. L’origine de ceux-ci était amplement montrée par l’utilisation du logo des TCA figurant dans le coin supérieur droit et l’appel à agir avant « qu’il soit trop tard » formulé en caractères gras au bas des prospectus et suivi du numéro de téléphone des TCA. De plus, les défendeurs TCA n’employaient pas le « Bibendum » pour identifier les marchandises et services de CGEM Michelin. Le « Bibendum » était montré pour attirer l’œil des employés de Michelin et faire contraste avec l’image habituelle de l’entreprise. Au cours de son interrogatoire préalable, le défendeur Wark a caractérisé les intentions du syndicat quant à l’emploi de la marque de commerce « Bibendum » de la demanderesse :

[traduction] Il y a la façon de le représenter de la société, serrant dans ses bras tous les travailleurs de Michelin, comme s’ils formaient une grande famille, ou celle de mon outil de communication, c’est-à-dire le message qu’il est le patron, qu’il est beaucoup plus gros, plus dur, plus fort que vous. C’est ce que j’ai voulu montrer. Ne le traitez donc pas comme votre père, mais comme il est, comme le patron de l’entreprise, c’est ce qu’il est Bib, alors attention! (Transcription de l’interrogatoire préalable de Wark, à la p. 19, lignes 12 à 19.)

Ce point acquis, je ne conclus pas en même temps que l’emploi du dessin du « Bibendum » de la demanderesse est acceptable sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur. Un peu plus loin dans le présent jugement, je donnerai les motifs pour lesquels la reproduction d’une partie importante du « Bibendum » protégé viole la Loi sur le droit d’auteur. Toutefois, quand il s’agit d’étudier les motifs propres à justifier l’accusation de violation de la Loi sur les marques de commerce, il est pertinent et crucial de déterminer l’objet de la représentation du « Bibendum » par les défendeurs TCA. Comme le « Bibendum » n’a pas été employé comme marque de commerce, il n’y a eu en effet aucun emploi du « Bibendum » selon les critères énoncés dans Clairol en ce qui a trait à l’article 20.

Le mot « Michelin » contenu dans les brochures d’information des défendeurs TCA ne remplit pas non plus les conditions pour être un emploi de la marque de commerce « comme une marque de commerce ». Je n’accepte pas les arguments de la demanderesse selon lesquels le but des défendeurs TCA, lorsqu’ils ont utilisé le mot « Michelin » sur des fiches d’information comme celle intitulée « Maladie, accident et indemnisation » (pièce P-21), était qu’on en infère que Michelin Canada était à l’origine de la fiche d’information. L’insertion du mot « Michelin » sous une ligne mince le séparant du logo TCA n’est pas une raison suffisante pour dire que les défendeurs TCA ont employé la marque comme marque de commerce. La demanderesse a versé en preuve une liasse de documents utilisés par les défendeurs dans leur campagne et auxquels elle ne s’est pas opposée parce que le mot « Michelin » y était cité comme raison sociale et non comme marque de commerce (pièce P-26). Je suis d’avis que le terme « Michelin » est représenté de la même manière dans la pièce P-21, prétendu acte de contrefaçon, et dans la pièce P-26, documents inoffensifs. Autrement dit, le terme « Michelin » est employé non pas comme marque de commerce, mais seulement comme forme abrégée de la raison sociale de l’entreprise. La fiche d’information « Maladie, accident et indemnisation » n’a aucunement pour objet d’indiquer que Michelin Canada elle-même ou la société mère, la demanderesse CGEM Michelin, est à l’origine de cette fiche.

(vii)      Éléments secondaires de la preuve

Comme la demanderesse n’a pas prouvé que les défendeurs ont employé ses marques de commerce, soit la question principale visée aux articles 20 et 22, je n’ai pas à m’appesantir sur les éléments secondaires de chaque motif propre à justifier l’accusation de contrefaçon. À l’article 20, la question secondaire est de savoir si la marque employée « créait de la confusion ». À l’article 22, la question secondaire est de savoir si l’emploi était susceptible de diminuer la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce. Toutefois, je dirais que, même si j’avais accepté les interprétations innovatrices proposées par la demanderesse et dispensé celle-ci de l’obligation de prouver l’« emploi » au sens de l’article 20 ou si j’avais élargi le sens d’« emploi », à l’article 22, au delà des critères établis à l’article 4, la demanderesse n’aurait pas prouvé les éléments secondaires de chacun des motifs propres à justifier l’accusation de contrefaçon.

Quant à l’article 20 et à l’emploi d’une « marque de commerce créant de la confusion », je ne souscris pas à la description et à l’application du critère de la confusion préconisées par la demanderesse. Celle-ci soutient qu’une marque crée de la confusion avec une marque de commerce s’il y a une simple similitude de nature à prêter à confusion entre la marque contrefaite et la marque déposée. Le terme « confusion » n’est pas défini comme tel dans la Loi sur les marques de commerce, mais l’article 6 donne un aperçu des critères permettant de déterminer quelles sont les marques créant de la confusion[7] Contrairement à la prétention de la demanderesse, le critère de la « confusion » aux termes de l’article 6 ne se résume pas à la question de savoir s’il y a ressemblance entre la marque déposée et la marque contrefaite. Essentiellement, le critère de la confusion consiste à se demander si le consommateur moyen, n’ayant qu’un souvenir vague ou imparfait de la marque de commerce déposée, conclurait de l’ensemble des circonstances énumérées au paragraphe 6(5) que la marque censée créer de la confusion est celle du propriétaire de la marque déposée (voir l’affaire Blue Cross, supra). En l’espèce, étant donné le genre de « marchandises, services ou entreprises » (alinéa 6(5)c)) de la demanderesse et la nature du commerce (alinéa 6(5)d)), il est peu probable qu’il y ait confusion au sujet de la source des prospectus et des bulletins d’information des TCA. Bien qu’il soit vrai que les marques de commerce de la demanderesse satisfont aux critères des alinéas 6(5)a) et b), parce qu’elles sont très connues et sont en usage depuis fort longtemps, le critère de la confusion repose sur l’impression générale de confusion pouvant se dégager de tous les critères de l’article 6 pris ensemble. Dans le cas qui nous occupe, des facteurs additionnels comme l’aspect menaçant de la pose du « Bibendum » dans les prospectus et brochures, ainsi que la prédominance des logos des TCA dans les prospectus et les fiches d’information, m’amènent à conclure que l’emploi des marques de commerce n’est pas susceptible de causer de la confusion chez le consommateur moyen.

Dans le même esprit, même si j’acceptais la version nuancée, proposée par la demanderesse, de l’« emploi d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage » en ce qui concerne l’article 22, la demanderesse n’aurait pas prouvé que la valeur de l’achalandage attaché à ses marques de commerce a de fait été diminuée par les activités des défendeurs. Je ne souscris pas à la conclusion du juge Lesyk dans l’affaire St-Hubert , supra, à la page 448, que le contrefacteur doit employer une marque identique à la marque de commerce déposée pour que cet emploi soit susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce. Dans Clairol, à la page 573, le juge Thurlow a défini l’« achalandage » relativement à une marque de commerce comme étant [traduction] « cette partie de l’achalandage de l’entreprise de son propriétaire qui consiste dans l’avantage global, quel qu’il soit, de la réputation et du lien, qui a pu être constitué par des années de travail consciencieux ou obtenu par des dépenses considérables, et qui est identifié aux biens distribués par le propriétaire en liaison avec la marque de commerce ». À la page 573, le juge Thurlow a, dans la même décision cruciale Clairol, analysé la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à une marque de commerce pour en conclure qu’elle s’entend de [traduction] « l’appropriation de tout ou partie de la clientèle » attachée aux marchandises et aux services liés à la marque de commerce. La demanderesse n’a pas pu prouver que les activités des défendeurs TCA étaient susceptibles d’avoir un effet négatif sur le pouvoir d’attraction de ses marques sur le marché, ou d’en diminuer la valeur. Bien sûr, la demanderesse a soutenu que l’acheteur de pneus Michelin qui verrait le prospectus des défendeurs TCA montrant le « Bibendum » avec ses bottes levées d’une manière très inamicale se méfierait de ce personnage jusque-là jovial et de la société qu’il représente. Toutefois, j’ai été frappé par une déclaration faite par l’avocat des défendeurs durant les plaidoiries orales. Il a dit que les TCA cherchent à gagner le cœur et l’esprit des employés de CGEM Michelin et non ceux de ses clients. Les prospectus et les brochures n’ont pas été distribués dans la population en général, mais seulement aux 3 000 employés de Michelin Canada aux usines de la Nouvelle-Écosse. De fait, les documents utilisés par les TCA dans leur campagne de recrutement pourraient porter atteinte à la réputation de CGEM Michelin comme employeur, mais je ne suis pas convaincu que la demanderesse a prouvé que les prospectus et les affiches nuiront à sa réputation comme fabricant, soit son rôle précis sur le marché. Certes, il y a indubitablement des personnes parmi les 3 000 employés de Michelin aux usines de la Nouvelle-Écosse qui achètent des pneus Michelin, mais ils représentent une fraction minuscule du marché.

(viii)     Résumé concernant les marques de commerce

J’ai statué d’un seul coup sur les motifs propres à justifier une accusation de contrefaçon sous le régime des articles 20 et 22. La demanderesse n’a pas établi le bien-fondé de sa thèse en ce qui concerne l’article 20, parce qu’elle n’a pas satisfait à l’exigence implicite, savoir montrer que les défendeurs ont « employé » les marques de commerce déposées suivant les critères de l’« emploi ». Quant à l’article 22, la thèse de la demanderesse doit aussi être repoussée car l’exigence d’une preuve d’« emploi » y est explicite et aussi rigoureuse. En conséquence, je conclus que les défendeurs n’ont pas contrefait les marques de commerce de la demanderesse sous le régime des articles 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce , parce qu’ils n’ont pas « employé » les marques de commerce déposées de la demanderesse pour vendre, distribuer ou annoncer des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion, ou d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à ces marques de commerce. Bien qu’elle ait fait tout son possible, la demanderesse n’a pu élargir l’aire sémantique du terme « emploi » tel que défini aux articles 2 et 4 de la Loi sur les marques de commerce, et interprété dans Clairol.

II.         Questions touchant le droit d’auteur

Les défendeurs nient toute violation du droit d’auteur parce que le « Bibendum » dans les prospectus et sur les affiches est une œuvre originale des défendeurs qui ne reproduit pas une partie importante de l’œuvre protégée de CGEM Michelin. Les défendeurs soutiennent en outre que, même s’il y a eu reproduction d’une partie importante, leur « Bibendum » est une parodie et donc une exception à la violation du droit d’auteur aux termes de l’alinéa 27(2)a.1), savoir l’utilisation équitable à des fins de critique.

Le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur définit le droit d’auteur dans ces termes :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, « droit d’auteur » s’entend du droit exclusif de produire ou de reproduire une œuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque …

Le droit d’auteur est le droit de reproduire l’œuvre ou une partie importante de l’œuvre. Selon la définition du paragraphe 27(1), la violation du droit d’auteur consiste dans tout acte non autorisé accompli par une personne qui fait un acte que seul le titulaire de ce droit peut faire.

Le paragraphe 27(1) est ainsi conçu :

27. (1) Est considéré comme ayant porté atteinte au droit d’auteur sur une œuvre quiconque, sans le consentement du titulaire de ce droit, exécute un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’exécuter.

Par conséquent, seul le titulaire du droit d’auteur peut reproduire l’œuvre ou une partie importante de l’œuvre. Aux paragraphes 7 à 14 inclus et au paragraphe 19 des aveux judiciaires versés au dossier de l’espèce, les défendeurs ont reconnu que la demanderesse est titulaire des droits d’auteur enregistrés et non enregistrés sur le dessin du « Bibendum ». La question est de savoir si le « Bibendum » reproduit dans les prospectus et sur les affiches des défendeurs constitue une reproduction d’une partie importante de l’œuvre protégée de la demanderesse et donc une violation de son droit.

(i)         Partie importante

L’expression « partie importante » n’est pas définie dans la Loi sur le droit d’auteur. La jurisprudence a décidé que la qualité, davantage que la simple quantité, est l’élément clef de la reproduction : dans U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 257 (C.F. 1re inst.), aux pages 268 et 269, le juge Richard a dit que la reproduction d’une partie importante est une question de fait à l’égard de laquelle la Cour examine si le contrefacteur présumé s’est approprié les traits distincts de l’œuvre originale. Dans l’arrêt R. c. James Lorimer and Company Limited, [1984] 1 C.F. 1065 (C.A.) (ci-après appelé Lorimer), le juge Mahoney a reconnu, à la page 1073, que l’intention du contrefacteur, qu’il soit ou non un concurrent du titulaire du droit d’auteur, n’est pas pertinente par rapport à la question de la contrefaçon :

La Loi est claire. Pour qu’il y ait contrefaçon il n’est pas nécessaire que l’œuvre contrefaite soit en compétition sur le marché avec l’œuvre originale : il suffit que l’auteur de la contrefaçon exécute un acte que seul le titulaire a la faculté d’exécuter. Il s’ensuit que, lorsque la contrefaçon du droit d’auteur a été établie, le titulaire du droit d’auteur a droit prima facie à une injonction qui interdit de continuer ces activités fautives.

Il a également été décidé dans des affaires comme Canadian Tire Corporation, Ltd. c. Retail Clerks Union, Local 1518 of United Food & Commercial Workers Union et al. (1985), 7 C.P.R. (3d) 415 (C.F. 1re inst.) (ci-après appelée Canadian Tire) et St-Hubert, supra, que l’intention du contrefacteur ou sa qualité de commerçant étaient non pertinentes par rapport à la question de la contrefaçon.

Je n’ai aucune hésitation à conclure que les défendeurs ont reproduit une partie importante du dessin du « Bibendum » de CGEM Michelin sur les affiches et dans les prospectus utilisés dans leur campagne de recrutement. L’interrogatoire préalable et la ressemblance entre le « Bibendum » des affiches et l’œuvre protégée ont rendu ardus et vains les efforts de l’avocat des défendeurs pour convaincre la Cour qu’il n’y avait pas eu reproduction d’une partie importante du « Bibendum » de CGEM Michelin. L’interrogatoire préalable du défendeur Wark établit clairement que les défendeurs ont cherché à réaliser un « Bibendum » qui soit très ressemblant.

[traduction] … [j]e pense qu’il est évident que la tête est probablement la plus ressemblante et le reste du corps n’est pas proportionné … au « Bibendum » normal, si je le photocopiais à partir de vos documents.

Q. En fait, pourtant, êtes-vous d’accord avec moi pour dire, et je veux aller plus loin que l’aveu, qu’il s’agit de la reproduction substantielle du Bib de la société Michelin?

R. Oui. Oh oui! Oui.

Q. En fait, elle était censée être aussi exacte que possible …

R. Absolument. (À la p. 21, lignes 18 à 25, et à la p. 22, lignes 1 à 4.)

Je ne peux pas accepter l’argument des défendeurs qu’en faisant mention, dans cet extrait, de la reproduction « exacte », le défendeur Wark faisait allusion à la reproduction entendue au sens de la photocopie [traduction] « conçue pour ressembler » et que cette mention ne doit pas lier la Cour dans l’application du critère de la reproduction d’une partie importante en droit. Contrairement à ce que prétendent les défendeurs, je suis certain que, lorsque quelque chose est conçu pour ressembler à autre chose, je suis autorisé à en tirer la conclusion logique qu’il ressemble de fait à cette chose!

L’avocat des défendeurs a également soutenu que le « Bibendum » dans les prospectus et sur les affiches ne reproduisait pas une partie importante du « Bibendum » original, parce qu’en tant que parodie de l’original, il constituait une œuvre entièrement nouvelle. L’avocat a cité l’affaire Joy Music Ltd. v. Sunday Pictorial Newspapers (1920), Ltd., [1960] 1 All E.R. 703; [1960] 2 Q.B. 60 (ci-après appelée Joy Music), dans laquelle le juge McNair, à la page 708 de All E.R., a décidé que le critère de la contrefaçon en matière de parodie consiste à déterminer si le défendeur [traduction] « a tellement appliqué son esprit à ce qu’il a pris et l’a tellement révisé et modifié qu’il en a résulté une œuvre originale ». Les défendeurs se sont en outre appuyés sur l’affaire Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd., [1982] 1 C.F. 638 (1re inst.) (ci-après appelée Motel 6) pour affirmer qu’il importe peu que la reproduction d’une partie importante ait été établie, s’il y a une preuve de [traduction] « création indépendante ».

Je ne partage pas l’avis des défendeurs sur la nature du critère de la reproduction d’une partie importante. Premièrement, je ne souscris pas à leur caractérisation de la conclusion tirée dans Motel 6. Les brèves observations du juge Addy sur la question de la violation du droit d’auteur n’indiquent aucunement qu’il aurait permis la reproduction d’une partie importante pour autant qu’il y ait une preuve de création indépendante. Le juge Addy a décidé que la demanderesse dans cette affaire-là n’avait même pas établi la propriété du droit d’auteur, de sorte qu’il n’allait pas s’arrêter à la question de la reproduction d’une partie importante. En fait, il a conclu dans Motel 6, à la page 648, qu’il y avait une étroite ressemblance :

J’aurais également conclu que le plagiat de cette marque de la part de la défenderesse, quoiqu’il ne s’agît point d’une copie exacte, comportait une ressemblance suffisante pour constituer une contrefaçon. Le simple fait que le dessin constitué d’une feuille de trèfle ait été évité et remplacé par un cercle n’eût pas été suffisant pour empêcher de conclure à la contrefaçon. Il y a une étroite ressemblance. Cela constitue une présomption de plagiat contre laquelle aucune preuve de création indépendante n’a été rapportée. (Voir King Features Syndicate Inc. c. O. and M. Kleemann, Ltd. ([1941] 2 All E.R. 403 (H.L.) à la page 414), décision suivie dans l’affaire Collins c. Rosenthal ((1974) 14 C.P.R. (2e) 143 à la page 147).)

Deuxièmement, durant les plaidoiries orales, les défendeurs ont mal caractérisé le critère approprié pour la contrefaçon en tirant de Joy Music la conclusion qu’il peut y avoir à la fois reproduction d’une partie importante et absence de contrefaçon pour autant qu’il y ait un effort intellectuel suffisant. Dans Schweppes Limited and Others v. Wellingtons Limited, [1984] 10 F.S.R.[8] 210 (Ch. D.), à la page 212, le juge Falconer a étudié la décision Joy Music telle que consignée dans le sommaire publié dans [1960] 2 Q.B. 60 et invoquée par la défenderesse dans Schweppes. Les défendeurs dans la présente instance ont semblé souscrire à la même caractérisation erronée de la décision Joy Music :

[traduction]Arrêt [dans Joy Music] : (1) Sur la question de savoir si une parodie d’une œuvre littéraire constitue une violation du droit d’auteur sur cette œuvre, le critère principal à appliquer consiste à se demander si l’auteur a tellement appliqué son esprit à ce qu’il a pris et l’a tellement révisé et modifié qu’il en a résulté une œuvre originale.

… Je ne saurais souscrire à cet énoncé du droit, sous cette forme. Le seul critère consiste à décider si l’œuvre du défendeur a reproduit une partie importante de l’œuvre censément protégée du demandeur. Le fait que le défendeur ait, en reproduisant son œuvre, lui-même appliqué son esprit et produit quelque chose d’original, ou qu’une partie de son œuvre soit originale, n’est pas pertinent si néanmoins l’œuvre en résultant reproduit sans autorisation une partie importante de celle du demandeur. Le critère est chaque fois, à mon sens, comme la loi le précise tout à fait clairement : y a-t-il dans l’œuvre du défendeur une reproduction d’une partie importante de l’œuvre du demandeur?

Dans Williamson Music Ltd. and Others v. The Pearson Partnership Ltd. and Another, [1987] 13 F.S.R. 97 (Ch. D.), le juge Baker a cité et approuvé, à la page 106, l’analyse du juge Falconer concernant le critère de la reproduction d’une partie importante : [traduction] « Lorsqu’il est question de parodie, je fais mien le critère énoncé par le juge Falconer : “le critère est chaque fois, comme la loi le précise tout à fait clairement : y a-t-il dans l’œuvre du défendeur une reproduction d’une partie importante de l’œuvre du demandeur?” »

En fait, dans Joy Music à la page 708, le juge McNair a conclu à l’absence de reproduction d’une partie importante. La défenderesse dans cette affaire-là avait pris une petite partie de l’œuvre originale, les paroles immortelles « Rock-a-Billy, Rock-a-Billy, Rock-a-Billy, Rock » du refrain d’une chanson rock et transformé celles-ci en légende d’un article de journal et d’une photo sur les activités sportives censément frivoles et débridées du prince Philip. La légende comportait les mots : « Rock-a-Philip Rock! Rock! », suivis de deux couplets parodiques.

Par conséquent, le véritable critère de la contrefaçon consiste à se demander si l’acte reproché est un acte que seul le titulaire du droit d’auteur a la faculté d’exécuter en vertu du paragraphe 27(1), y compris la reproduction de l’original ou d’une partie importante de l’œuvre. La présence d’un certain effort intellectuel ne suffit pas à éclipser le fait qu’il y a eu reproduction d’une partie importante d’une œuvre. Les personnes qui adaptent des romans pour le théâtre (comédie musicale) ou pour le cinéma appliquent aussi leur esprit, mais s’il y a reproduction d’une partie importante de l’original, il y a tout de même contrefaçon si le consentement du titulaire du droit d’auteur n’a pas été obtenu. Pour échapper à l’accusation de contrefaçon, le « Bibendum » des défendeurs doit représenter une œuvre entièrement nouvelle, un [traduction] « résultat original », pour reprendre les paroles du juge McNair dans Joy Music. En effet, il importe peu que les défendeurs aient appliqué leur esprit et fait preuve d’originalité s’il y a néanmoins reproduction d’une partie importante de l’original. De toute façon, j’estime tout à fait dénué de fondement l’argument des défendeurs que le « Bibendum » sur leurs affiches et dans leurs prospectus attestait un effort intellectuel et une originalité suffisants pour constituer un résultat entièrement nouveau. Il est vrai que les défendeurs TCA n’ont pas simplement photocopié un « Bibendum » Michelin existant et accolé le « Bibendum » identique de la société aux documents utilisés dans leur campagne. L’avocat des défendeurs a mis en évidence les différences apparentes entre le « Bibendum » montré dans les prospectus et sur les affiches, et l’original protégé, notamment le sourire distinctif, l’éclat particulier des yeux, le pied levé, les bottes surdimensionnées, les travailleurs placés sous la botte menaçante et le dialogue dans les bulles. Malgré toutes ces distinctions subtiles, ainsi que la finesse de la critique et l’analyse rigoureuse de l’avocat, je ne peux pas conclure à l’existence dans le « Bibendum » du syndicat d’un effort intellectuel et d’une idée indépendante suffisants pour constituer une œuvre entièrement nouvelle.

Toutefois, je conclus à l’existence d’une reproduction d’une partie importante de l’œuvre de la demanderesse« à tel point que le « Bibendum » original ressort du premier coup d’œil dans l’œuvre contrefaite. La reproduction d’une partie importante est une question d’impression que les différences mineures d’attitude du « Bibendum » et la largeur de son sourire n’annulent pas. Le syndicat a représenté un personnage qui est l’essence du « Bibendum », parce qu’il est fait de pneus, porte des bottes, est chauve, a les bras croisés et le torse gonflé. Bref, les défendeurs TCA ont reproduit une partie importante du « Bibendum » faisant l’objet des droits d’auteur enregistrés et du droit d’auteur non enregistré de la demanderesse. L’ajout des travailleurs grossièrement dessinés et du dialogue faisant office de mise en garde dans les prospectus et sur les affiches ne représente pas une différence importante dans l’utilisation du « Bibendum » faisant l’objet des droits d’auteur. Dans son interrogatoire préalable, cité précédemment à propos de la question de savoir si les défendeurs avaient employé le « Bibendum » comme marque de commerce, le défendeur Wark a dit chercher à l’utiliser comme outil de communication. Toutefois, comme la violation du droit d’auteur est une question d’impression, l’intention du contrefacteur est moins importante que le fait qu’une partie importante de l’œuvre originale a été reproduite. L’intention pourrait devenir pertinente seulement plus tard, si le contrefacteur peut faire valoir une exception à la violation du droit d’auteur, parce que l’utilisation de l’original protégé peut être qualifiée d’« utilisation équitable d’une œuvre à des fins de critique, de compte rendu ou de préparation d’un résumé destiné aux journaux ». Le message qu’est censé communiquer le « Bibendum » du syndicat ne peut pas supplanter le fait qu’une partie importante de l’original protégé a été reproduite. Le critère établissant qu’il y a eu reproduction d’une partie importante, et donc contrefaçon, n’est pas si peu strict qu’une botte levée suffit pour constituer une nouvelle création. Le proverbe dit que la critique est aisée, mais je n’hésite pas à repousser les arguments de l’avocat concernant la prétendue étincelle créative manifestée dans les affiches et les prospectus des défendeurs TCA.

(ii)        La parodie en tant qu’exception

Comme j’ai décidé que les défendeurs ont reproduit une partie importante de l’œuvre de la demanderesse et, par conséquent, violé leur droit d’auteur, il incombe maintenant aux défendeurs de prouver qu’ils peuvent se prévaloir d’une exception à la violation du droit d’auteur. À l’instar de la demanderesse en ce qui a trait à la Loi sur les marques de commerce, les défendeurs ont avancé un argument innovateur et une interprétation radicale de la loi. Ils soutiennent en l’occurrence que la parodie est une forme de « critique » sous le régime de l’alinéa 27(2)a.1), l’exception pertinente à la violation du droit d’auteur.

Cette disposition est ainsi conçue :

27.

(2) Ne constituent aucune violation du droit d’auteur :

a.1) l’utilisation équitable d’une œuvre à des fins de critique, de compte rendu ou de préparation d’un résumé destiné aux journaux, à condition qu’il soit fait mention de la source et du nom de l’auteur, s’il figure dans la source;

La parodie n’est pas traitée comme telle dans la Loi sur le droit d’auteur. Les défendeurs ont reconnu que, dans la jurisprudence, la parodie avait toujours été invoquée sous le régime du paragraphe 3(1) ou que le tribunal avait conclu à l’absence de reproduction d’une partie importante de l’œuvre protégée parce qu’il s’agissait d’une nouvelle œuvre : voir les affaires Ludlow Music Inc. v. Canint Music Corp. Ltd. et al., [1967] 2 R.C.É. 109 (ci-après appelée Ludlow); MCA Canada Ltd.-MCA Canada Ltée et al. c. Gillberry & Hawke Advertising Agency Ltd. et al. (1976), 28 C.P.R. (2d) 52 (C.F. 1re inst.) (ci-après appelée MCA); et ATV Music Publishing of Canada Ltd. v. Rogers Radio Broadcasting Ltd. et al. (1982), 35 O.R. (2d) 417 (H.C.) (ci-après appelée ATV). Dans cette longue série de causes, il a été décidé que la parodie n’est pas une exception à la violation du droit d’auteur. Les défendeurs ont tenté de démontrer que l’espèce est d’une toute autre nature en affirmant que ces causes concernaient toutes des parodies de chansons tombant sous le coup du paragraphe 3(1)[9] ou ne portaient pas sur la question de savoir si la parodie était une nouvelle œuvre comportant une idée originale qui ne violait pas le droit d’auteur, parce qu’elle ne reproduisait pas une partie importante de l’œuvre. Comme les paroles et la musique sont liées inextricablement, la cour a conclu dans ces affaires que la reproduction d’une partie importante de la musique même avec un texte parodique humoristique constituait une violation du droit d’auteur.

Je ne suis pas convaincu que ces causes soient applicables à la présente espèce quant à la situation de la parodie en droit canadien même si l’exception relative à l’utilisation équitable n’a pas été plaidée strictement. Sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur, « critique » et parodie ne sont point synonymes. La critique suppose l’analyse et l’appréciation d’une œuvre qui permettent de comprendre l’original. La parodie est définie dans Collins Dictionary of the English Language (2e éd., London : Collins, 1986) comme une [traduction] « œuvre musicale, littéraire ou autre qui imite le style d’un autre compositeur, auteur, etc. de façon humoristique ou satirique ». Dans Zamacois, Miguel v. Douville, Raymond et al., [1944] R.C.É. 208, le juge Angers a décidé, à la page 234, que la Cour tient compte du contexte général, tant de la quantité que de la qualité des citations de l’original, dans son évaluation de l’œuvre en tant que « critique » : « Le droit de critique littéraire comprend le droit de citation des passages de l’œuvre critiquée, et le nombre ou l’importance des citations ne modifie pas le caractère de la publication, si celles-ci ne servent qu’à concourir à la démonstration de la critique entreprise ». Dans la jurisprudence canadienne et celle du Commonwealth, la parodie n’a jamais été regardée comme une critique, bien que le terme critique n’y soit pas limité à la « critique littéraire ».

Les défendeurs ont donné un tour nouveau à ce raisonnement habituel en exhortant la Cour à conclure, conformément à l’arrêt récent de la Cour suprême des États-Unis Luther R. Campbell a.k.a Luke Skywalker v. Acuff-Rose Music, Inc. 114 S. Ct. 1164 (1994) (ci-après appelé Acuff-Rose), que la parodie est une forme de « critique » visée à l’alinéa 27(2)a .1). Les défendeurs ont soutenu que, bien que leur « Bibendum » constitue une reproduction d’une partie importante de l’œuvre protégée de la demanderesse, c’était un type de parodie qui, étant donné la définition même du mot « parodie », exigeait la reproduction substantielle de l’original pour être efficace. L’insertion de personnages sous la botte levée du « Bibendum », le dialogue et la modification de l’expression du « Bibendum » ont créé une nouvelle représentation intégrée qui visait à ridiculiser et railler l’image de marque de l’entreprise, savoir un « Bibendum » symbolisant une figure paternelle, incarnant la bonhomie, souriant et appelant la confiance. Les défendeurs ont aussi soutenu qu’ils n’avaient pas à citer la source, comme l’exige l’alinéa 27(2)a.1), puisque dans une parodie, la source est implicitement connue du spectateur.

Comme je l’ai fait des interprétations créatives et innovatrices, données par la demanderesse, de la Loi sur les marques de commerce, j’ai rejeté les arguments des défendeurs. Ceux-ci ont échoué parce que la jurisprudence américaine permettant la parodie à titre de critique conformément à la doctrine de l’« utilisation équitable » (fair use) n’est ni applicable ni terriblement persuasive dans le contexte canadien où la loi est différente et où la jurisprudence de longue date n’accueille pas la parodie comme exception. De plus, les exceptions à la violation du droit d’auteur doivent être interprétées strictement. Je ne suis pas disposé à donner une interprétation large du mot « critique » pour y englober la parodie et créer ainsi une nouvelle exception à l’alinéa 27(2)a.1).

(iii)       Jurisprudence américaine et interprétation stricte

Les défendeurs ont argué de l’arrêt unanime récent de la Cour suprême des États-Unis dans Acuff-Rose, supra, comme unique précédent autorisant une interprétation large de la critique, propre à englober la parodie ou à en faire une exception à la violation du droit d’auteur. En effet, les défendeurs admettent : [traduction] « Oui, nous avons violé le droit d’auteur de la demanderesse en copiant une partie importante de l’original, mais pour notre défense, nous pouvons faire valoir que nous faisions une parodie de l’original, soit une forme d’utilisation équitable à des fins de critique visée à l’alinéa 27(2)a.1). » Ils ont admis qu’ils exhortaient la Cour à accepter une nouvelle interprétation de l’alinéa 27(2)a.1) en tenant compte de l’arrêt américain. Dans Acuff-Rose, la défenderesse avait utilisé le riff de basse caractéristique et le premier vers de la chanson rock classique de Roy Orbison, Pretty Woman, dans sa propre chanson rap en y ajoutant des paroles lubriques et grossières sur un fond de motifs distinctifs de rap. S’exprimant au nom de la Cour[10], le juge Souter a déclaré, à la page 1173, que la Cour d’appel avait commis une erreur en surestimant le mobile commercial du parodiste pour nier le caractère équitable de l’utilisation : [traduction] « En faisant presque de la nature commerciale de la parodie un facteur décisif, la Cour d’appel a commis une erreur. » La version rap de Pretty Woman pouvait tout de même être qualifiée de parodie ou de critique de la fiction romantique créée par la chanson originale, et être tenue pour une exception à la violation du droit d’auteur en tant qu’utilisation équitable à des fins de critique sous le régime de l’article 107 de la loi américaine. La Cour suprême des États-Unis a renvoyé l’affaire à la juridiction de première instance afin qu’elle réexamine la version rap de Pretty Woman en tenant compte de tous les facteurs relatifs à l’« utilisation équitable » énoncés à l’article 107.

Cette affaire américaine est certes fascinante sur le plan culturel et juridique, mais je n’estime pas qu’elle fasse autorité dans le contexte du régime particulier du Canada en matière de droit d’auteur. Dans l’arrêt Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616, le juge en chef Laskin a décidé, à la page 629, qu’il convient d’appliquer avec circonspection les arrêts américains dans le contexte canadien et de prendre en considération les règles particulières de chaque système de droit : « ils n’ont d’autre autorité qu’une force de persuasion selon leur pertinence à la lumière du contexte, en tenant dûment compte des différences qui existent manifestement ». Les arrêts américains ne sont persuasifs que dans la mesure où les lois des deux pays sont semblables : voir Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357 (ci-après appelée Compo), à la page 367. La demanderesse a mis en lumière à juste titre un certain nombre de différences entre l’article 107[11] de la loi américaine sur le droit d’auteur [17 U.S.C. (1994)] et notre propre loi en la matière. Contrairement à ce que pense James Zegers, auteur d’un article intitulé « Parody and Fair Use in Canada after Campbell v. Acuff-Rose » (1994), 11 R.C.P.I. 205, j’estime que ces distinctions sont cruciales[12]. Premièrement, le système américain n’énonce pas limitativement les exceptions. Autrement dit, la liste des exceptions n’est pas exhaustive, mais chaque cas doit être étudié selon ses circonstances particulières puisque l’article 107 dit : [traduction] « à des fins telles que la critique, le commentaire » (non souligné dans l’original). En outre, les quatre facteurs énumérés à l’article 107 pour déterminer si l’utilisation est équitable ne sont pas non plus exhaustifs puisqu’ils sont précédés du mot « notamment ». Or, tel n’est pas le cas au Canada. Les exceptions à la violation du droit d’auteur sont énumérées exhaustivement aux alinéas 27(2)a) à 27(2)m) et au paragraphe 27(3) de la Loi sur le droit d’auteur. En tant qu’exceptions, elles doivent être interprétées strictement. Dans Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, le juge McLachlin a, aux pages 480 et 481, mis la Cour en garde contre une interprétation large des exceptions à la violation du droit d’auteur, étant donné les exceptions expresses et détaillées : « De plus, une exception implicite au sens littéral de l’al. 3(1)d) est, à mon avis, d’autant moins plausible que le par. 17(2) (maintenant par. 27(2)) de la Loi prévoit des exceptions expresses et détaillées dans des cas aussi divers que l’étude privée, la recherche, l’étude critique ». Je ne peux me résoudre à donner au mot « critique » une interprétation large au point d’y inclure la parodie. Je me trouverais à créer de la sorte une nouvelle exception à la violation du droit d’auteur, démarche qui relève de la compétence exclusive du législateur.

Deuxièmement, le « fair use » du système américain n’est pas équivalent à l’« utilisation équitable » du régime canadien. Contrairement à l’exigence explicite de l’alinéa 27(2)a.1), le système américain n’exige pas que le critique fasse mention de la source et de l’auteur de l’œuvre protégée si ce renseignement est fourni dans l’original. Bref, la parodie n’est pas une facette reconnue de la « critique », exception à la contrefaçon prévue dans la loi sur le droit d’auteur au Canada. J’admets que la parodie au sens générique peut être une forme de critique; toutefois, ce n’est pas une « critique » pour l’application de la Loi sur le droit d’auteur en tant qu’exception visée par la notion d’utilisation équitable.

De toute façon, la demanderesse a soutenu que le dessin du « Bibendum » dans les prospectus et sur les affiches ne pouvait même pas être qualifié de parodie, parce que l’objet de la parodie ou de la dérision doit être l’œuvre originale, le « Bibendum » original de la société Michelin et non l’action de CGEM Michelin comme employeur. Je n’entends pas analyser en profondeur cet argument touchant l’objet propre de la parodie. Dans l’arrêt Acuff-Rose, supra, la Cour suprême des États-Unis a décidé, à la page 1172, que pour être tenu pour une parodie, le commentaire doit être [traduction] « une critique du fond ou du style de la composition originale ». Comme j’ai déjà conclu que la parodie n’est pas une exception à la violation du droit d’auteur, il importe peu de déterminer si l’objet propre de la parodie dans la présente espèce est l’œuvre originale ou la société représentée par l’œuvre originale. Je dirai cependant que je crois que les deux sont en fait équivalentes dans la perception du public. Michelin est le « Bibendum » et le « Bibendum » est Michelin, de sorte que toute critique du « Bibendum » est une critique de Michelin, et vice versa.

(iv)       Mention de la source et traitement équitable

En conséquence, je conclus, en conformité avec la jurisprudence canadienne, que la parodie n’est pas une forme de critique reconnue, exception à la violation du droit d’auteur. Et même si je suivais le précédent américain Acuff-Rose et que je dise que la parodie est, à titre d’utilisation équitable, une exception à la contrefaçon, les défendeurs auraient échoué quant aux deux éléments secondaires de l’alinéa 27(2)a.1). Premièrement, ils n’ont pas fait mention de la source et du nom de l’auteur de l’original dans leurs prospectus et sur leurs affiches montrant un « Bibendum ». Or, c’est une des conditions de l’exception touchant l’utilisation équitable, puisqu’on lit à l’alinéa 27(2)a.1) : « à condition qu’il soit fait mention de la source et du nom de l’auteur, s’il figure dans la source ». Les défendeurs ont soutenu que, de par sa nature, la parodie satisfait au critère de la mention de la source et de l’auteur puisque, pour être efficace, elle doit implicitement évoquer l’essence de l’œuvre originale. Quant au sens du mot « mention », les défendeurs se sont donné beaucoup de mal pour démontrer que le terme « fait mention » est moins rigoureux qu’un autre mot comme « cite » que le législateur aurait pu employer. Ils ont en outre affirmé que le terme « mention » impliquait une simple allusion, ce que la parodie comporte par la reconnaissance implicite de l’original dans le simple fait de la ressemblance nécessaire avec l’œuvre originale.

Je me trouve malheureusement dans l’obligation de dire que j’hésite à accepter les arguments des défendeurs sur ce point. C’est par un raisonnement tautologique qu’ils affirment que la parodie fait implicitement mention de la source et de l’auteur parce qu’elle est une parodie. Qu’en est-il si la source et l’auteur ne sont pas évoqués dans l’esprit du spectateur, parce que la parodie n’est pas bien faite, que la cible du parodiste est particulièrement obscure ou que le destinataire n’est guère doué? Est-ce que seulement les « bonnes » parodies remplissent les conditions de l’alinéa 27(2)a.1)? La loi ne peut pas permettre de telles distinctions. De plus, les défendeurs sont sur la corde raide lorsqu’ils affirment que la parodie est une forme de critique qui dispense d’avoir à faire mention de la source et de l’auteur. Malheureusement pour eux, s’étant placés dans cette position très instable, ils sont tombés dans un abîme d’illogisme. D’après les défendeurs, le « Bibendum » montré dans les prospectus et sur les affiches doit être assez semblable à l’original de Michelin pour « faire mention » implicitement de la source, mais assez distinctif pour reproduire substantiellement l’original de Michelin, tout en constituant néanmoins une nouvelle œuvre critique. Les deux facettes de cet argument sont paradoxales et inconciliables. Le fait que la loi exige la mention de la source et de l’auteur est un autre obstacle à la tentative des défendeurs pour interpréter largement le mot « critique » de façon à y inclure la parodie. Si la parodie, de par sa nature, n’exige pas de mention de la source, alors la parodie ne peut pas être visée par le mot « critique » qui exige bien évidemment pareille mention. L’exigence d’une mention explicite de la source et de l’auteur s’y trouve pour une raison précise et ne doit pas être écartée à la légère. L’obligation de citer la source a été ajoutée par les modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur dans la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord- américain, L.C. 1993, ch. 44, paragraphe 64(1). La jurisprudence canadienne ne traite pas du sens du terme « mention », mais je suis d’avis comme la demanderesse qu’il va au delà d’une reconnaissance passive et implicite dans une parodie. Le Concise Oxford Dictionary of Current English (8e éd., Oxford : Clarendon Press, 1990) donne la définition suivante du terme : [traduction] « citer brièvement, nommer, révéler ou divulguer ». Quand la demanderesse utilise le « Bibendum », elle précise que la source est Michelin. L’auteur ou le créateur n’est pas nommé, de sorte qu’à tout le moins, les défendeurs doivent citer explicitement la source et non le nom de l’auteur s’ils espèrent remplir les conditions pour se prévaloir de l’exception de l’utilisation équitable prévue à l’alinéa 27(2)a.1) quand ils utilisent le dessin du « Bibendum ». Or, ils ne l’ont pas fait.

En outre, les défendeurs n’ont pas traité l’œuvre originale d’une manière équitable, autre exigence de l’exception concernant l’« utilisation équitable ». Ils ont soutenu qu’en tant que parodie, leur œuvre ne pouvait pas traiter la matière protégée avec ménagements. La parodie doit être mordante et démolir en quelque sorte la réputation de l’original. Encore une fois, cependant, les défendeurs ont cherché à diluer les règles habituelles régissant l’exception en matière d’utilisation équitable et à faire échec au libellé de l’alinéa 27(2)a.1) en dépeignant les affiches et les prospectus où figure le « Bibendum » comme une parodie. Il ne suffit pas de dire que, parce que c’est une parodie, il n’est point besoin de mentionner la source. Or, les défendeurs voudraient que la Cour décide que du simple fait de la qualification de parodie, ils sont autorisés à s’abstenir de traiter l’œuvre protégée de la demanderesse d’une manière équitable, exigence attachée à toutes les exceptions existantes comme la critique, le compte rendu et la préparation d’un résumé. Accepter les arguments des défendeurs au sujet de la parodie reviendrait à faire de la parodie une grossière échappatoire car la Cour devrait écarter deux conditions habituelles dont est assorti l’alinéa 27(2)a.1) : la mention de la source et le traitement équitable. Le terme « utilisation équitable » n’est pas défini dans la Loi sur le droit d’auteur, mais j’accepte l’argument de la demanderesse que l’utilisation de l’œuvre protégée doit être dans l’ensemble [traduction] « équitable » ou traiter celle-ci de bonne foi. Dans le dictionnaire Collins, le mot [traduction] « équitable » est défini comme suit : [traduction] « exempt de discrimination, de malhonnêteté, etc., juste; impartial ». Les deux éléments secondaires, savoir la mention de la source et le traitement équitable, sont liés puisque la condition selon laquelle le critique doit mentionner la source et le nom de l’auteur représente en quelque sorte une attestation de l’utilisation équitable. La question de savoir si l’original a été traité de bonne foi est une question de degré et d’impression qui dépend de la qualité et de la quantité des passages de l’œuvre originale reproduits : (voir Hubbard v. Vosper, [1972] 2 Q.B. 84 (C.A.)). Une fois de plus, comme lorsqu’il s’est agi de déterminer s’il y a eu reproduction d’une partie importante, c’est une question d’impression. J’ai déjà décidé que les défendeurs ne pouvaient pas se prévaloir de l’exception visée à l’alinéa 27(2)a.1), mais même si la parodie était interprétée comme une critique, les défendeurs devraient respecter l’ensemble des restrictions attachées à la critique, y compris l’obligation de traiter l’œuvre protégée d’une manière équitable. Les défendeurs ont tourné le « Bibendum » en ridicule. Au lieu du personnage doux, fait en guimauve et incarnant la sécurité et la responsabilité, le « Bibendum » est devenu le suppôt prêt à réduire deux travailleurs à l’obéissance. La quantité substantielle de l’œuvre originale utilisée dans les prospectus et sur les affiches jette aussi le doute sur le caractère équitable du traitement fait par les défendeurs.

(v)        Conclusions concernant le droit d’auteur

Je ne suis pas disposé à faire deux fois un saut dans l’inconnu comme le voudraient les défendeurs. Premièrement, en assimilant la parodie à la critique. Deuxièmement, en admettant que les défendeurs sont exemptés de l’obligation de mentionner la source et de traiter l’œuvre équitablement étant donné la nature particulière de la parodie et la reconnaissance implicite de la source qu’elle comporte. Mon rôle n’est pas de faire des lois mais d’appliquer les règles existantes conçues par le législateur. Si ce dernier avait voulu exempter la parodie à titre d’exception en vertu de la disposition relative à l’utilisation équitable, il l’aurait fait : voir l’arrêt Bishop, supra, aux pages 483 et 484. Comme les défendeurs ont fait preuve de peu de créativité en reproduisant le « Bibendum », je n’accepte pas leur prétention que leur créativité est étouffée par un régime de droit d’auteur répressif. Je ne suis pas convaincu non plus par l’argument de l’intérêt public invoqué par les défendeurs. Ils ont soulevé le spectre de l’interdit dont seraient frappés les caricaturistes politiques qui voudraient utiliser le « Bibendum » de manière parodique. Si la demanderesse était assez susceptible pour attaquer toutes les représentations peu flatteuses du « Bibendum », je serais d’avis que les caricatures de ce genre seraient protégées à titre d’œuvres suffisamment nouvelles en vertu du paragraphe 3(1), si elles ne reproduisent pas une partie importante de l’original et montrent un minimum de création suffisant pour produire un nouveau résultat. Elles ne seraient donc pas tenues pour des actes constituant une violation du droit d’auteur. La parodie serait à l’abri des poursuites en contrefaçon à cause de la dissemblance entre elle et l’œuvre originale pourvu qu’elle ne reproduise pas une partie importante de l’original. Comme l’a dit Zegers, supra, à la page 208 de son article sur la décision Acuff-Rose dans le contexte canadien, les parodies écrites seraient à l’abri parce qu’elles ne peuvent pas coller à l’original comme les chansons parodiques. En outre, les œuvres créatives montrant une certaine variante critique du « Bibendum » pourraient être à l’abri en tant que « critique » dans le contexte d’un article de journal ou de revue décrivant CGEM Michelin et sa filiale Michelin Canada.

En reproduisant substantiellement le dessin du « Bibendum » dans leurs prospectus et sur leurs affiches de recrutement, les défendeurs ont violé les droits d’auteur de la demanderesse. Ils ne peuvent pas faire valoir l’exception de l’utilisation équitable à des fins de critique prévue à l’alinéa 27(2)a.1).

Par surcroît, la demanderesse a invoqué le paragraphe 3(1) en particulier à l’encontre des défendeurs Hargrove, président des défendeurs TCA et Wark, organisateur du syndicat en Nouvelle-Écosse, parce qu’ils ont autorisé la reproduction du « Bibendum ». Dans l’arrêt Compo, supra, le juge Estey a décidé, à la page 373, que le paragraphe 3(1) établit un délit distinct consistant à autoriser la violation du droit d’auteur qui s’ajoute au délit consistant à violer le droit d’auteur. Dans Les Dictionnaires Robert Canada SCC et al. c. Librairie du Nomade Inc. et al. (1987), 16 C.P.R. (3d) 319 (C.F. 1re inst.), le juge Denault, aux pages 335 et 336, a décidé qu’une personne physique n’est pas personnellement responsable des actes d’une personne morale simplement du fait qu’elle remplit les fonctions de cadre supérieur ou de président. La question de savoir si la personne physique a agi en connaissance de cause et si son acte était volontaire et délibéré, de sorte que sa responsabilité personnelle est engagée, est une question de fait. Il ressort à l’évidence de leur interrogatoire préalable versé en preuve et du paragraphe 34 des aveux judiciaires que les défendeurs Wark et Hargrove ont autorisé la reproduction du dessin du « Bibendum ». Je décide en conséquence que les défendeurs Hargrove et Wark sont également responsables à titre individuel sous le régime du paragraphe 3(1).

Toutefois, un autre motif invoqué par la demanderesse à l’appui de l’accusation de contrefaçon sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur doit être rejeté. Dans sa déclaration modifiée, la demanderesse a invoqué l’alinéa 27(4)b) de cette Loi. L’alinéa 27(4)b) est ainsi libellé :

27.

(4) Est considéré comme ayant porté atteinte au droit d’auteur quiconque, selon le cas :

b) met en circulation, soit dans un but commercial, soit de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur;

une œuvre qui, à sa connaissance, viole le droit d’auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada.

Ce motif propre à justifier une accusation de violation du droit d’auteur n’a été plaidé que timidement durant les plaidoiries orales. Je conclus que les défendeurs ne sont pas responsables en application de l’alinéa 27(4)b) pour avoir mis en circulation une œuvre qui, à leur connaissance, violait le droit d’auteur et était de nature à porter préjudice à son titulaire. La demanderesse n’a pas présenté de preuve concernant le préjudice que CGEM Michelin risquait de subir bien que les défendeurs aient admis être au courant du droit d’auteur de la demanderesse. Aux termes de l’article 39, toute personne est réputée connaître l’existence du droit d’auteur qui est enregistré. Les défendeurs ont soutenu qu’en l’espèce aucun effet préjudiciable n’a été prouvé, contrairement à ce qui était le cas dans deux affaires qui n’ont pas été plaidées précisément sous le régime de l’alinéa 27(4)b) mais dans lesquelles les parties ont obtenu des injonctions interlocutoires et permanentes en raison de la menace de préjudice. Dans l’affaire Canadian Tire, supra, les employés en grève d’un franchisé Canadian Tire avaient fait pression en vue du boycottage du franchiseur en distribuant des dépliants montrant le logo de Canadian Tire auquel ils avaient ajouté une diagonale à la manière des signaux routiers internationaux portant « défense d’entrer ». Dans l’affaire St-Hubert, supra, les dépliants du syndicat montrant un coq St-Hubert—brandissant un couteau!—avaient été distribués dans la population en général. En l’espèce, les prospectus des TCA n’ont été distribués qu’aux employés de Michelin dans l’espoir de les recruter.

III.        Questions constitutionnelles

Comme j’ai déjà décidé que les défendeurs n’avaient pas violé la Loi sur les marques de commerce, la constitutionnalité de celle-ci n’est pas en cause par rapport à leur argument concernant la Charte canadienne des droits et libertés (qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)) (ci-après appelée la Charte). Toutefois, si j’ai conclu à tort qu’il n’y a pas eu violation de la Loi sur les marques de commerce, les principes et le résultat exposés ci-après au sujet de la violation de la Loi sur le droit d’auteur sont tout aussi pertinents pour ce qui est de la Loi sur les marques de commerce.

Les défendeurs soutiennent que leurs affiches et prospectus montrant le « Bibendum » sont des formes d’expression protégées par l’alinéa 2b) de la Charte. Ils affirment en outre que si les articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur restreignent leur droit de produire de tels dépliants et prospectus, ces articles ne sont pas sauvegardés en vertu de l’article premier de la Charte qui dit que ce droit ne peut être restreint que par « une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Toutefois, les défendeurs n’exhortent pas la Cour à simplement prendre la décision radicale d’invalider la Loi sur le droit d’auteur. Ils proposent plutôt que la Cour emploie la technique de l’interprétation atténuée du mot « mention » figurant à l’alinéa 27(2)a.1) de la Loi sur le droit d’auteur afin de préserver la constitutionnalité de la Loi et de sauvegarder les actes des défendeurs TCA.

La jurisprudence a parfois reconnu, par exemple dans les décisions Canadian Tire, supra, et Lorimer, supra, que la Charte pourrait avoir un effet dans les affaires concernant la violation du droit d’auteur. Toutefois, la nature et la portée de cet effet n’ont pas été précisées. Dans Canadian Tire, le juge Strayer a décidé ceci à la page 420 : « Il est possible que la garantie de la liberté d’expression prévue à l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés restreigne parfois la protection accordée au titulaire du droit d’auteur, mais je ne crois pas que ce soit le cas en l’espèce. » Dans l’arrêt Lorimer, supra, le moyen de défense de l’effet de la Charte a aussi été soulevé et vite rejeté. À la page 1079, le juge Mahoney a dit ceci : « Si l’interdiction de la contrefaçon d’un droit d’auteur peut parfois être interprétée comme une limitation injustifiée de la liberté d’expression du contrefacteur dans certaines circonstances, ce n’est pas le cas en l’espèce. » Il ressort du bref examen de la question de la Charte dans ces deux décisions que la Cour a conclu que l’utilisation de l’œuvre faisant l’objet du droit d’auteur exprimait une pensée originale insuffisante pour être qualifiée d’expression protégée par l’alinéa 2b).

Les défendeurs soutiennent que leur parodie du dessin du « Bibendum » de la demanderesse faisant l’objet du droit d’auteur mérite d’être qualifiée d’expression protégée. Ils soutiennent en outre que les faits particuliers et stricts de la présente espèce correspondent aux « circonstances » et aux « cas » auxquels il est fait allusion dans les décisions Canadian Tire et Lorimer. Je souscris à la prétention des défendeurs que l’utilisation d’une œuvre protégée, par un syndicat, afin de parodier le logo d’une société au cours d’une campagne de recrutement soulève certaines questions constitutionnelles[13]. Je ne suis cependant pas d’accord avec les défendeurs sur la façon de les résoudre. Je suis d’avis que le droit à la liberté d’expression des défendeurs n’a pas été restreint. La Charte ne confère pas le droit d’utiliser le bien d’autrui—l’œuvre faisant l’objet du droit d’auteur de la demanderesse—au service de la liberté d’expression. Comme il n’y a pas eu atteinte à la liberté d’expression des défendeurs, la demanderesse n’a pas à justifier les articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur en vertu de l’article premier de la Charte.

Je n’ai pas tiré cette conclusion apparemment simple sans d’abord examiner attentivement la nature des droits des parties et la caractérisation appropriée des prospectus et des affiches des défendeurs comme formes d’expression non protégées et inappropriées. J’ai donc choisi d’étudier en détail les arguments des parties tout au long de l’analyse afin de bien rendre compte de la subtilité et de la complexité des questions constitutionnelles.

Technique de l’analyse constitutionnelle

Les défendeurs ont la charge de prouver que leurs dépliants et prospectus sont visés par la liberté d’expression garantie à l’alinéa 2b) : voir l’arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, (ci-après appelé Oakes), à la page 114. Ils doivent aussi prouver que l’objet ou l’effet de la Loi sur le droit d’auteur est de restreindre la liberté d’expression. C’est seulement si les dépliants et prospectus sont des formes d’expression protégées, restreintes par la Loi sur le droit d’auteur, que l’analyse porte ensuite sur l’article premier.

L’alinéa 2b) est ainsi conçu :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

A.        L’activité des défendeurs fait-elle partie de la sphère des activités protégées par la liberté d’expression?

(i)         Les prospectus des défendeurs constituent-ils une expression?

L’activité est expressive si elle tente de transmettre une signification : arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 (ci-après appelé Irwin Toy), à la page 968. Le « Bibendum » original de l’entreprise comporte certainement une signification qui exprime quelque chose. Il transmet un message de sécurité et l’image de marque positive de CGEM Michelin et de ses filiales. Toutefois, si le message transmis par le « Bibendum » montré dans les dépliants et les prospectus des défendeurs est très différent, peuvent-ils prétendre qu’il constitue une expression protégée bien que le « Bibendum » ne soit pas le fruit de leur propre travail créatif? Dans l’arrêt Lorimer, supra, à la page 1079, le juge Mahoney a décidé, pour la Cour d’appel fédérale, que le contrefacteur ne peut pas se prévaloir du moyen de défense de la liberté d’expression lorsque « [l]’œuvre contrefaite par l’intimée contient si peu de sa propre pensée, de sa croyance, de son opinion et de son expression que c’est à juste titre qu’elle est considérée comme une appropriation de la pensée, de la croyance, de l’opinion et de l’expression de l’auteur de l’œuvre contrefaite ». Dans l’affaire Lorimer , le contrefacteur avait simplement abrégé en un seul volume les sept volumes existants de l’œuvre originale, un rapport de l’État intitulé État de la concurrence dans l’industrie pétrolière du Canada. En fait, le juge Mahoney semble affirmer que l’on ne peut pas s’approprier ou utiliser le bien d’autrui et le faire passer pour sa propre expression aux fins de la Charte.

Ce qui fait problème quand on veut appliquer cette norme au cas qui nous occupe c’est que le « Bibendum » montré dans les prospectus et les dépliants des défendeurs n’est pas « entièrement une appropriation » du « Bibendum » de CGEM Michelin, bien qu’il reproduise une partie importante de l’œuvre de la demanderesse. J’ai déjà décidé au sujet de la question du droit d’auteur que les défendeurs avaient violé le droit d’auteur de la demanderesse parce que les modifications apportées au « Bibendum » de l’entreprise, telles que le pied levé du personnage sur le point de réduire les travailleurs à l’obéissance, ne constituaient pas ce que le juge McNair a appelé, dans l’affaire Joy Music, supra, à la page 708, un « résultat original » pour l’application de l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur. Il s’agit maintenant de décider si ces modifications, bien qu’insuffisantes pour constituer une nouvelle œuvre sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur, peuvent être qualifiées d’« expression » sous le régime de l’alinéa 2b) de la Charte. Pour reprendre les propos du juge Mahoney dans Lorimer, les prospectus et dépliants contiennent-ils suffisamment de « la pensée, de la croyance, de l’opinion et de l’expression » des défendeurs pour constituer une expression?

Au fil des ans depuis la décision Lorimer de 1984, la Cour suprême du Canada a présenté une définition très large et inclusive de l’expression, y compris sous les rubriques de l’expression protégée, de la pornographie et de la littérature haineuse : voir les arrêts R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452 et R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697. L’effort intellectuel exigé est peu important puisqu’il suffit que l’expression transmette une signification. Les défendeurs ont certainement appliqué leur esprit à produire leurs prospectus et à modifier le « Bibendum ». Le « Bibendum » utilisé par les défendeurs TCA transmet aussi un message, qui est entièrement différent de celui du « Bibendum » original. Au minimum, la signification en l’occurrence est que les travailleurs de Michelin doivent s’unir avant d’être réduits à l’obéissance par la puissance de l’entreprise symbolisée par le « Bibendum ». Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le critère de l’expression n’est pas de savoir si le message ou la signification est bien accueilli car il suffit qu’il y ait tentative de transmettre une signification : voir l’arrêt Weisfeld c. Canada, [1995] 1 C.F. 68 (C.A.) (ci-après appelée Weisfeld), à la page 85. Le critère de l’expression sous le régime de l’alinéa 2b) de la Charte n’est pas non plus équivalent aux normes strictes des « œuvres originales » sous le régime de l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur. Sur cette question du critère de l’expression sous le régime de l’alinéa 2b), je conteste la brève allusion faite dans Canadian Tire, à la page 420, à la nécessité d’une « pensée originale suffisante ». Quoique les prospectus des défendeurs représentent une reproduction substantielle du « Bibendum » protégé de la demanderesse et ne soient pas des « œuvres originales » pour l’application de l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur, ils n’en sont pas moins des exemples d’expression.

(ii)        L’utilisation du « Bibendum » dans les prospectus est-elle une forme interdite d’expression?

Ma conclusion initiale que l’utilisation du « Bibendum » constitue une expression signifie-t-elle nécessairement que toute représentation d’une œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur est une expression protégée en vertu de l’alinéa 2b)? Je réponds par la négative. Il ne suffit pas de déterminer que les prospectus et affiches des défendeurs sont une expression. Dans l’arrêt Weisfeld, supra, à la page 82, le juge Linden de la Cour d’appel fédérale a décidé que la Cour doit aussi déterminer si « des circonstances spéciales justifient l’exclusion de cette expression de la sphère des activités protégées par la Charte ». La forme particulière de l’expression est l’une de ces circonstances. Certes, tout contenu est protégé en vertu de la Charte, mais toutes les formes d’expression ne le sont pas. Les formes d’expression violentes ne sont de toute évidence pas protégées : arrêt Irwin Toy, supra, à la page 970. Dans notre analyse constitutionnelle, nous devons maintenant affronter les difficultés de l’interaction du contenu et de la forme, et du rapport entre l’utilisation de biens publics et celle de biens privés au nom de la liberté d’expression. La Cour doit résoudre des questions concernant tant la caractérisation appropriée de l’utilisation du « Bibendum » par les défendeurs que la nature de l’intérêt de la demanderesse dans le droit d’auteur à titre d’élément de la propriété privée.

L’utilisation d’une œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur peut-elle être tenue pour une forme d’expression? L’expression possède à la fois un contenu et une forme, la forme étant la manière dont la signification est transmise et se trouvant souvent inextricablement liée au contenu : voir l’arrêt Irwin Toy, supra, à la page 968. Si la forme est définie comme la « manière dont la signification est transmise », il semble que l’« utilisation » d’un bien pourrait constituer une forme d’expression. La demanderesse soutient que l’utilisation du bien d’autrui est une forme interdite d’expression ou constitue une circonstance spéciale justifiant l’exclusion de cette expression de la sphère des activités protégées. Je souscris à l’argument de la demanderesse que les défendeurs ne sont pas autorisés à s’approprier le bien privé de la demanderesse—le « Bibendum » faisant l’objet du droit d’auteur—comme moyen de transmettre leur message anti-Michelin. En conséquence, l’expression des défendeurs est une forme interdite ou est assujettie à ce que le juge Linden a appelé une « restriction spéciale » dans l’arrêt Weisfeld, supra, à la page 83, et n’est pas protégée sous le régime de l’alinéa 2b).

(iii)       L’utilisation d’un bien privé et la liberté d’expression

Je ne connais aucune décision de la Cour suprême du Canada qui puisse guider explicitement le tribunal appelé à évaluer l’utilisation d’une œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur par rapport à la détermination de la portée de la protection sous le régime de l’alinéa 2b) de la Charte. Toutefois, pour affirmer que l’utilisation d’un bien privé est une forme interdite d’expression, je m’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139 (ci-après appelé République). Dans cet arrêt, la Cour suprême a émis l’avis que le choix d’un forum public d’expression pouvait limiter la portée de la protection sous le régime de l’alinéa 2b). Par analogie, j’estime que l’utilisation d’un bien privé pour manifester une expression peut aussi justifier l’exclusion de cette expression du champ d’application de la protection sous le régime de l’alinéa 2b).

De toute évidence, on ne peut pas utiliser un bien privé comme lieu ou forum pour s’exprimer. Comme l’a dit le juge Dickson (plus tard juge en chef) au nom de la majorité à la page 219 dans l’arrêt Harrison c. Carswell, [1976] 2 R.C.S. 200, rendu avant la proclamation de la Charte :

La jurisprudence anglo-canadienne reconnaît traditionnellement comme une liberté fondamentale le droit de l’individu à la jouissance de ses biens et le droit de ne s’en voir privé, même partiellement, si ce n’est par l’application régulière de la loi. La législature du Manitoba a édicté dans le Petty Trespasses Act que quiconque entre illégalement dans un terrain appartenant à une autre personne malgré l’interdiction du propriétaire d’y entrer ou d’y passer, est coupable d’une infraction. Si cette loi doit être modifiée, si l’on doit permettre à A d’entrer sur le terrain de B et d’y rester contre la volonté de ce dernier, j’estime qu’il revient à l’institution qui l’a édictée, c’est-à-dire à la législature qui représente le peuple et est constituée pour exprimer sa volonté politique, et non au tribunal, d’apporter la modification voulue.

En fait, les défendeurs ne font pas valoir le droit de distribuer des prospectus anti-Michelin à l’intérieur des barrières des usines. Ce serait une violation du droit de propriété, une forme clairement illégale ou interdite d’expression. Toutefois, les défendeurs soutiennent que leur liberté d’expression inclut le droit d’utiliser le bien de la demanderesse pour transmettre une signification. L’une des premières décisions touchant la Charte et portant sur cette question de l’utilisation de biens privés et de la liberté d’expression a été New Brunswick Broadcasting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F. 410 (C.A.) (ci-après appelée New Brunswick). Le juge en chef Thurlow écrit à la page 426 :

La liberté garantie par la Charte est la liberté d’exprimer et de communiquer des idées sans restriction aucune, que ce soit verbalement, par publication ou par d’autres moyens de communication. Il ne s’agit pas d’une liberté d’utiliser le bien d’autrui pour le faire. Elle ne confère nullement à une personne le droit d’utiliser le terrain ou la terrasse d’autrui pour faire un discours, ou la presse d’imprimerie de quelqu’un d’autre pour publier ses idées. Elle ne donne à personne le droit d’entrer dans un immeuble public et de l’utiliser pour de telles fins. [Non souligné dans l’original.]

Toutefois, l’arrêt New Brunswick, supra, a été rendu avant l’arrêt République, supra, dans lequel la Cour suprême a décidé qu’il existe un droit limité, dans certaines circonstances, d’utiliser un bien public comme lieu où l’on peut s’exprimer librement. Même dans République, toutefois, la Cour a continué de reconnaître que les biens privés ne sont pas des lieux où l’on peut s’exprimer librement. Le juge McLachlin a formulé la position la plus catégorique sur ce point, à la page 228 :

Historiquement, par exemple, elle n’a pas conféré le droit d’utiliser la propriété privée d’autrui comme forum pour s’exprimer. Le propriétaire a toujours eu le droit de décider quelles personnes utiliseront sa propriété et à quelles fins elles le feront. En outre, la Charte ne s’applique pas aux actes privés. Il est donc évident que l’al. 2b) ne confère aucun droit d’utiliser la propriété privée comme forum pour s’exprimer.

Le juge McLachlin a conclu à la page 229 que le droit à la liberté d’expression sur les biens de l’État n’allait pas de soi et que certaines conditions devaient être remplies. Aux pages 238 et 239, elle a précisé que la personne qui fait valoir un tel droit d’accès doit démontrer que l’expression en cause sert à promouvoir l’un des objectifs de la liberté d’expression qui ont été définis pour la première fois dans l’arrêt Irwin Toy, supra, à la page 976 : (i) la recherche de la vérité; (ii) l’encouragement de la participation aux organes et aux moyens de prise de décisions d’intérêt social et politique; et (iii) l’encouragement de la diversité des formes d’épanouissement personnel.

Dans République, le juge en chef Lamer n’a pas traité expressément de la question de l’utilisation de biens privés, mais il a fait une distinction à la page 154 de ses motifs entre la nature « quasi-fiduciaire » du droit de propriété gouvernemental et les droits exclusifs du propriétaire privé qui « profite en son propre intérêt des lieux dont il est propriétaire ». Il a décidé ensuite que la Cour appelée à déterminer la portée du droit de l’individu à la liberté d’expression sur la propriété publique en vertu de l’alinéa 2b) doit d’abord soupeser l’intérêt de l’État sur la propriété publique et le droit de l’individu à la liberté d’expression sur cette propriété. C’est seulement si l’expression est compatible avec la fonction principale de la propriété publique qu’elle fait partie de la sphère des activités protégées par l’alinéa 2b).

Dans République, le juge L’Heureux-Dubé est celle qui a donné la plus grande portée aux droits d’accès à la propriété publique et elle a conclu que toute restriction quant aux heures, au mode d’expression et à l’utilisation de la propriété publique devait être justifiée en vertu de l’article premier. Toutefois, elle reconnaît à la page 192 de République la situation différente et distincte des biens privés :

Si le gouvernement avait le pouvoir discrétionnaire de traiter sa propriété comme le ferait un particulier, il pourrait adopter des normes différentes sur la base du contenu ou privilégier certains points de vue, donner accès aux trottoirs, aux rues, aux parcs, à la pelouse d’un palais de justice et même à la Colline parlementaire, aux seules personnes dont le message serait conforme aux préférences du gouvernement. [Non souligné dans l’original.]

Pour deux raisons, l’arrêt République ne porte pas directement sur les faits particuliers de l’espèce—la question de l’utilisation, à titre de bien privé, d’une œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur et la liberté d’expression. Toutefois, cet arrêt énonce tout de même des principes de droit pertinents quant à la situation des biens privés et à la pondération des intérêts des parties en vertu de l’alinéa 2b). Dans République, la Cour suprême a, de diverses façons, établi ce que le juge McLachlin a, à la page 232, appelé un « critère préliminaire pour éliminer les cas qui, de toute évidence, ne sont pas visés par la garantie de liberté de parole, avant de procéder à l’analyse fondée sur l’article premier ». Quelles sont donc les différences entre les faits de l’affaire République et ceux de l’espèce? La première différence est que dans République, le bien avait servi de lieu ou de forum propice à la distribution de brochures et à d’autres types d’expression protégés. Le bien a été « utilisé » mais seulement comme toile de fond de l’expression et non pour transmettre une signification. Contrairement à ce qui s’est passé dans le cas qui nous occupe, le bien n’a pas été le véhicule du message des défendeurs. Je souscris au point de vue du juge Thurlow dans l’affaire New Brunswick, supra, selon qui le tribunal doit rejeter sur-le-champ la prétention de quiconque affirme que l’alinéa 2b) lui confère le droit d’utiliser sans permission la presse à imprimer d’autrui—ou plus vraisemblablement un ordinateur de nos jours—simplement parce qu’il en fait usage pour créer des prospectus qui sont légitimement protégés comme moyens d’expression. La solution n’est pas aussi évidente quand il s’agit de décider si l’utilisation parodique d’une œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur, cette œuvre étant elle-même chargée de signification, est analogue à l’utilisation d’une presse à imprimer. Le « Bibendum » n’est pas, comme une presse à imprimer, un bien dénué de signification. Une presse à imprimer n’est véritablement qu’un véhicule conçu pour transmettre une signification.

La seconde différence est que dans République, un aéroport, savoir un bien public, avait été utilisé. L’œuvre faisant l’objet du droit d’auteur de la demanderesse est un bien privé. Les défendeurs se sont opposés à la caractérisation habituelle de l’œuvre protégée par le droit d’auteur comme bien privé et ont prié la Cour de considérer le droit d’auteur de la demanderesse comme un type de propriété privée sanctionnée par l’État. Ils ont cherché à diminuer la nature « privée » des droits de propriété de la demanderesse pour une raison bien précise. Ils voulaient que la Cour applique à la présente espèce le cadre établi par le juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt République, supra, aux pages 204 à 206, pour la recherche de l’équilibre entre les droits de propriété publics et la liberté d’expression en vertu de l’article premier de la Charte. Je n’ai aucune hésitation à déclarer que la caractérisation du droit d’auteur de la demanderesse par les défendeurs comme un bien quasi public ne m’apparaît pas fondée. Le fait que le droit d’auteur de la demanderesse est enregistré selon les formalités établies par l’État dans la Loi sur le droit d’auteur ne diminue aucunement la nature privée du droit. Si l’on poussait à l’extrême le critère proposé par les défendeurs, soit la propriété privée sanctionnée par l’État, personne au Canada ne pourrait affirmer avec raison que sa maison est un « bien privé » car les maisons sont aussi enregistrées selon les formalités de divers régimes provinciaux d’enregistrement des biens-fonds! Je conclus donc que l’analyse du juge L’Heureux-Dubé relative à la recherche de l’équilibre entre la propriété publique et la liberté d’expression en vertu de l’article premier n’est pas applicable à la présente espèce.

Extrapoler à partir de l’arrêt République présente un autre obstacle : la Cour suprême a été unanime quant au résultat, mais les juges McLachlin, L’Heureux-Dubé et le juge en chef Lamer ont rendu des motifs distincts sur la question de la propriété publique et du champ d’application de la liberté d’expression. Comme l’a dit le juge Linden à la page 86 de l’arrêt Weisfeld, supra, « [d]ans les motifs distincts qu’ils ont prononcés, le juge en chef Lamer et Mme le juge McLachlin ont laissé entendre que la portée de l’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte peut être plus ou moins étendue selon qu’une propriété du gouvernement est en cause ou non. » Il est difficile de cerner l’opinion majoritaire sur la méthode à suivre pour définir la portée de l’expression protégée dans le cas où une personne fait usage de la propriété publique pour exercer son droit à la liberté d’expression. Il faut lire attentivement les opinions concordantes. Le juge Sopinka a souscrit sans réserve aux motifs du juge en chef Lamer, tandis que le juge Cory a, aux pages 226 et 227, souscrit aux mêmes motifs précisément sur la question de la façon de soupeser, sous le régime de l’alinéa 2b), l’intérêt du citoyen en matière de liberté d’expression et la fonction principale de la propriété de l’État. Les juges Gonthier et La Forest ont souscrit à divers éléments des motifs du juge en chef et des juges L’Heureux-Dubé et McLachlin, pour finalement conclure que dans l’examen d’affaires futures, ils les aborderaient de la manière proposée par le juge McLachlin. Par conséquent, ni la décision du juge en chef Lamer ni celle du juge McLachlin ne l’a emporté. Des décisions postérieures comme Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084 (ci-après appelée Peterborough) et Weisfeld, supra, ont considéré les trois méthodes d’examen de la portée de la protection de la liberté d’expression sur la propriété publique. Finalement, dans Toronto (City) v. Quickfall (1994), 16 O.R. (3d) 665 (C.A.), le juge Abella à la page 668 a décidé que le juge Iacobucci dans l’arrêt Peterborough, supra, avait en fait appliqué la méthode préconisée par le juge en chef Lamer pour soupeser les intérêts des propriétaires fonciers et la garantie de la liberté d’expression : [traduction] « Sans désavouer les deux autres méthodes proposées par les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin respectivement, qu’il a reproduites, le juge Iacobucci a utilisé la façon d’aborder la question énoncée par le juge en chef Lamer. » J’ai donc adopté par analogie la méthode du juge en chef Lamer pour évaluer les intérêts de l’individu qui fait valoir un droit à la liberté d’expression et l’utilisation d’un bien privé.

Bien que j’analyse les faits de l’espèce de façon assez détaillée un peu plus loin selon le principe énoncé par le juge en chef Lamer dans République à l’égard de l’examen des intérêts en cause, je conclus en outre que les défendeurs n’ont pas prouvé que leur expression était une forme protégée d’expression même suivant la méthode énoncée par le juge McLachlin dans République. Cette dernière a reconnu aux pages 229 et 230 que « [l]a protection conférée par un droit, même à première vue, ne saurait aller au-delà de ce qui peut être justifié compte tenu de l’historique de ce droit et de l’objectif auquel il répond. » Elle a établi un critère pour déterminer quand la portée de la liberté d’expression doit être restreinte dans le cadre de l’alinéa 2b). Elle a dit aux pages 238 et 239 de l’arrêt République, que celui qui revendique le droit à la liberté d’expression sur la propriété publique doit faire la preuve de l’existence d’un lien entre son utilisation de la propriété en cause et l’un des objectifs—la recherche de la vérité, la participation au sein de la société et la diversité des idées—qui sous-tendent la protection de l’expression. Une fois de plus, ce critère énoncé dans République n’est pas directement applicable en l’espèce puisqu’il concerne l’utilisation d’un bien public comme forum pour s’exprimer, mais il établit un principe utile pour distinguer la nature des intérêts des parties en cause. Je souscris à l’argument de la demanderesse que l’utilisation de son bien privé, le « Bibendum » faisant l’objet du droit d’auteur, n’était guère compatible avec tous les objectifs qui sous-tendent la liberté d’expression. Bien entendu, il y avait certainement un lien entre les prospectus et les dépliants des défendeurs qui ne montraient pas le « Bibendum » et la valeur de l’expression favorisant la participation à la prise de décisions d’intérêt social et politique. Toutefois, l’on ne doit pas confondre l’objectif capital, tout à fait acceptable et légitime socialement, que représente l’activité de recrutement des défendeurs, et leur moyen d’expression inapproprié et non protégé en vertu de l’alinéa 2b). Ceux-ci n’avaient pas besoin d’adopter une forme d’expression, soit l’utilisation d’une œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur, qui a dépouillé la demanderesse de son bien et a de fait porté atteinte à la troisième valeur consistant dans l’encouragement de la diversité des idées. Autrement dit, si le droit d’auteur n’est pas respecté et protégé, l’énergie créatrice utilisée par les auteurs et les artistes dans la promotion de la diversité des idées ne sera pas adéquatement rémunérée ou reconnue.

(iv)       Examen des intérêts en cause requis à l’étape de l’alinéa 2b)

Les défendeurs n’ont pas fait fi de leur utilisation de l’œuvre faisant l’objet du droit d’auteur de la demanderesse. Toutefois, ils ont exhorté la Cour à considérer cette utilisation comme un élément de l’analyse fondée sur l’article premier par laquelle la Cour doit évaluer la nature des intérêts et des droits des parties. La demanderesse a aussi versé en preuve, pour établir que la liberté d’expression des défendeurs n’était pas restreinte, la multitude de prospectus et de dépliants anti-Michelin que les défendeurs ont mis en circulation et qui ne comportaient pas le « Bibendum » faisant l’objet du droit d’auteur. La demanderesse a soutenu que la liberté d’expression des défendeurs n’est pas violée s’ils peuvent dire ce qui leur plaît contre Michelin (à l’exclusion des propos diffamatoires), pourvu qu’ils ne s’approprient pas le bien de CGEM Michelin. Encore une fois, les défendeurs ont soutenu que la possibilité d’utiliser d’autres forums pour s’exprimer n’est pertinente que dans le cadre de l’examen fondé sur l’article premier en ce qui a trait à la question de savoir si la Loi sur le droit d’auteur porte atteinte le moins possible au droit des défendeurs à la liberté d’expression. Ils ont affirmé qu’il était prématuré, à l’étape de l’analyse par la Cour de l’alinéa 2b), de tenir compte du fait que les défendeurs ont toute liberté pour critiquer les lignes de conduite de Michelin et faire valoir leur point de vue sans utiliser ce qui appartient à la demanderesse.

Je rejette l’opinion des défendeurs qu’il ne convient d’examiner les intérêts en cause des parties que dans le contexte de l’article premier de la Charte. Bien que les défendeurs aient raison de dire que l’évaluation des intérêts et des droits des parties s’inscrit le plus souvent dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier, la Cour doit procéder à une certaine évaluation pour déterminer si la forme d’expression est interdite, même avant de passer à l’analyse en vertu de l’article premier, en particulier quand il s’agit de l’utilisation de biens, publics ou privés. Voici ce qu’a dit le juge en chef Lamer à la page 153 dans l’arrêt République, supra :

… lorsqu’une personne invoque que sa liberté d’expression a été violée alors que celle-ci tentait de s’exprimer en un lieu dont le gouvernement est propriétaire, je suis d’avis qu’il faut entreprendre l’analyse juridique en examinant les intérêts en cause …

Je reconnais que ce principe régissant l’examen n’est pas directement applicable en l’espèce, puisque l’affaire République portait sur l’utilisation par une personne d’un lieu public comme forum pour s’exprimer. Les défendeurs ont utilisé un bien privé non comme forum mais comme moyen de transmettre un message. Toutefois, malgré ces différences, j’estime par analogie avec l’arrêt République, être autorisé à évaluer les intérêts des parties même avant l’étape de l’analyse fondée sur l’article premier pour examiner la portée de la liberté d’expression des défendeurs en vertu de l’alinéa 2b) et déterminer si l’expression revêt une forme interdite. Je conclus qu’il est raisonnable d’assimiler l’acte fait sur la propriété privée, utilisée comme forum pour l’expression, et l’utilisation d’un bien—une œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur—pour transmettre l’expression.

(v)        Les intérêts des défendeurs et de la demanderesse

Je reconnais comme le juge en chef Dickson l’a dit à la page 968 de l’arrêt Irwin Toy, supra, que la liberté d’expression est «“ fondamentale” parce que dans une société libre, pluraliste et démocratique, nous attachons une grande valeur à la diversité des idées et des opinions qui est intrinsèquement salutaire tant pour la collectivité que pour l’individu ». Les défendeurs se sont empressés de calmer l’inquiétude de la Cour devant la perspective d’avoir à rendre une décision radicale portant que tous les usages non autorisés de matériel faisant l’objet d’un droit d’auteur sont des formes protégées d’expression. Les défendeurs ont prié la Cour de tenir compte des faits particuliers de l’espèce dans son examen des effets de la Loi sur le droit d’auteur sur leur liberté d’expression. Ils ont fait valoir que la Cour pouvait limiter la portée de l’expression protégée dans son analyse de l’effet de la Loi sur le droit d’auteur. Selon eux, un tribunal pourrait déclarer que la liberté d’expression est restreinte seulement quand l’utilisation d’une œuvre faisant l’objet du droit d’auteur vise des fins non commerciales telles que la parodie du symbole d’une société par un syndicat durant une campagne de recrutement. Je suis d’accord pour dire que le cas des défendeurs est distinct en ce sens que leur expression vise une fin non commerciale liée à d’autres valeurs fondamentales consacrées par la Charte comme la liberté d’association : voir Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest (Commissaire), [1990] 2 R.C.S. 367. Cela ne signifie cependant pas que le syndicat est nécessairement une association non commerciale. L’on ne saurait laisser toute latitude aux syndicats pour utiliser le bien d’autrui simplement parce qu’ils sont en train de mener une campagne de recrutement. La liberté d’expression n’est pas une valeur absolue : voir Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, à la page 1173.

Quelle est donc la nature du droit d’auteur en tant que bien privé? Le droit d’auteur est un droit de propriété incorporel. Par conséquent, le titulaire fait face à des difficultés plus grandes lorsqu’il s’agit de contrôler l’utilisation de son bien. L’action en contrefaçon sous l’égide de la Loi sur le droit d’auteur est son principal moyen pour faire valoir ses droits. Mais ce n’est pas parce qu’il est incorporel que ce droit mérite moins la protection accordée à tout droit de propriété : voir Ladbroke (Football) Ltd. v. William Hill (Football) Ltd., [1964] 1 W.L.R. 273 (H.L.), à la page 291. Il est peut-être plus facile de cerner la nature du droit de propriété de la demanderesse sur son droit d’auteur en prenant le cas du contrefacteur d’un tableau, bien privé corporel qui, comme l’œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur, est déjà chargé de signification. Aucun contrefacteur ne pourrait alléguer de manière plausible que la liberté d’expression lui donne le droit de porter atteinte au contenu ou au message du tableau en ajoutant une moustache au tableau. Toutefois, qu’en est-il si le contrefacteur revendique le droit de copier ou de reproduire une partie importante du tableau comportant une moustache? Nous ne pourrions peut-être pas déterminer d’instinct avec autant de certitude la portée de la liberté d’expression du contrefacteur, parce que nos perceptions sont faussées par la nature incorporelle du droit du possesseur de la copie. Nous devons nous méfier de notre instinct dans la présente espèce car nous pourrions être enclins à sous-estimer la valeur du droit d’auteur de la demanderesse et à surestimer la portée de la liberté d’expression des défendeurs. Comme l’a dit le juge en chef Lamer dans l’arrêt République, supra, à la page 157 « [l]e fait que la liberté d’expression soit intrinsèquement limitée par la fonction d’un endroit public est une application de la règle générale selon laquelle les droits des uns sont toujours délimités par les droits des autres. » Les droits s’accompagnent d’obligations. Les défendeurs ne peuvent pas logiquement revendiquer le droit d’utiliser, dans l’exercice de leur liberté d’expression, le bien privé de la demanderesse, parce que la demanderesse aurait l’obligation réciproque de donner aux défendeurs accès à ce bien.

La demanderesse soutient que l’utilisation par les défendeurs de son bien porte atteinte en fait à la troisième valeur de l’expression—la diversité des idées par l’encouragement de l’épanouissement personnel. Le droit d’auteur favorise la troisième valeur en protégeant les auteurs et en les incitant à créer des œuvres expressives, parce que leurs œuvres seront protégées par la Loi sur le droit d’auteur contre la reproduction non autorisée. Je n’ai aucune raison de douter que la demanderesse cherche à protéger son intérêt dans son droit d’auteur contre tous les utilisateurs non autorisés. Les défendeurs soutiennent que le « Bibendum » est utilisé librement sans la permission du titulaire tant par les forces pro-syndicales qu’antisyndicales dans la campagne de recrutement. Toutefois, la demanderesse a présenté des éléments de preuve établissant qu’elle poursuit toute personne, pro- ou antisyndicale, qui utilise sa propriété intellectuelle sans permission. Elle a versé en preuve sur ce point des notes écrites par Me George Sutherland, avocat au contentieux de Michelin Canada. Me Sutherland a écrit aux directeurs d’usine durant une campagne de recrutement antérieure en 1986. Il leur a demandé de trouver les auteurs des prospectus antisyndicaux montrant le « Bibendum ». Les directeurs n’ont pu les trouver mais la volonté de la demanderesse de protéger ses intérêts et son bien privé contre chacun est évidente.

Il importe maintenant de décider si l’utilisation par les défendeurs du bien de la demanderesse est une forme interdite d’expression. Dans République, à la page 158, le juge en chef Lamer a décidé que, s’agissant d’une propriété publique, c’est seulement si l’expression est compatible avec la fonction principale de la propriété qu’elle est protégée. En conséquence, personne n’a le droit d’ériger un camp de la paix au milieu d’une bibliothèque publique parce que des manifestations aussi bruyantes seraient incompatibles avec l’étude silencieuse, fonction principale de la bibliothèque. Toutefois, un camp de la paix sur la colline du Parlement serait compatible avec la fonction de la Colline comme lieu de débat public : voir l’arrêt Weisfeld, supra. Si la liberté d’expression dans un forum public est limitée par des facteurs tels que la fonction du lieu, les conditions et les restrictions de l’usage de biens privés devraient être encore plus strictes. Par analogie avec le raisonnement du juge en chef Lamer sur l’utilisation de propriétés publiques, je conclus qu’une personne utilisant le bien privé d’autrui, comme une œuvre faisant l’objet d’un droit d’auteur, doit démontrer que son utilisation du bien est compatible avec la fonction du bien avant que la Cour puisse statuer que l’utilisation est réputée être une forme protégée d’expression en vertu de la Charte. Dans le cas présent, jeter le ridicule sur le « Bibendum » de la demanderesse en en faisant l’objet d’une parodie n’ est pas compatible avec la fonction de l’œuvre faisant l’objet du droit d’auteur. Un « Bibendum » sur le point de réduire à l’obéissance des travailleurs infortunés ne correspond pas à l’intention de l’auteur initial de présenter une image favorable de l’entreprise ni ne constitue une incitation à rémunérer les artistes pour l’intégrité de leur vision.

(vi)       Résumé concernant la portée de la protection en vertu de l’alinéa 2b)

Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la norme applicable pour l’interdiction de formes d’expression est élevée. Les formes violentes représentent certainement un extrême, mais une forme n’a pas à être violente pour être interdite. Dans l’arrêt Irwin Toy, à la page 970, le juge en chef Dickson n’a pas « défin[i] précisément dans quel cas ou pour quelle raison une forme d’expression choisie pour transmettre un message sort du champ de la garantie ». La norme à appliquer pour interdire des formes d’expression n’est pas si élevée que l’utilisation du bien d’autrui soit une forme acceptable d’expression. Dans l’arrêt République, supra, le juge en chef Lamer a dit que, lorsqu’une personne revendique le droit d’utiliser une propriété publique, il faut examiner les intérêts des parties avant de procéder à l’analyse fondée sur l’article premier. J’ai élargi ce principe pour conclure qu’il y a lieu de faire un examen semblable mais plus strict des intérêts si une partie, comme les défendeurs en l’espèce, revendique le droit d’utiliser un bien privé. Pour ce qui est d’évaluer les intérêts et les droits, si les défendeurs n’ont pas le droit d’utiliser le « Bibendum » de la demanderesse, ils disposent par contre d’une multitude d’autres moyens d’exprimer leur point de vue. Mais en revanche, si la demanderesse perd son droit de contrôler l’utilisation de l’œuvre faisant l’objet de son droit d’auteur, il reste peu de chose de son droit de propriété privée. Les défendeurs cherchent à élargir le champ de leur droit à la liberté d’expression pour y inclure l’utilisation du bien d’autrui.

En 1986 et 1991, les défendeurs ont également tenté en vain de syndiquer les travailleurs des trois usines de Michelin en Nouvelle-Écosse. Les deux fois, ils ont aussi utilisé le « Bibendum » faisant l’objet du droit d’auteur de la demanderesse sans sa permission. À l’époque, la demanderesse a fait valoir ses droits d’auteur dans des lettres aux défendeurs. Aujourd’hui, ces derniers prient la Cour de déclarer que leur liberté d’expression a été violée parce que la Loi sur le droit d’auteur ne les autorise pas à utiliser le « Bibendum » dans une parodie. Dans l’affaire MacMillan Bloedel Ltd. v. Simpson (1994), 113 D.L.R. (4th) 368, à la page 384, quoiqu’il s’agisse de désobéissance à une injonction interlocutoire, le juge en chef McEachern de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a fait une remarque importante sur la portée de la liberté d’expression : [traduction] « Le non-respect répété, illicite, des droits d’autrui n’est pas le contexte approprié pour l’élargissement de droits unilatéraux d’expression qui peuvent déjà être exercés librement par des moyens licites. » Les défendeurs en l’espèce ont exercé librement leur droit de critiquer Michelin et de la tourner en dérision dans des dépliants et des brochures qui ne montraient pas le bien de la demanderesse, le « Bibendum ».

B.        Quels sont l’objet et l’effet de la Loi sur le droit d’auteur?

En vertu de l’alinéa 2b), les défendeurs non seulement doivent prouver que leur expression était protégée, mais encore ils ont la charge de prouver que l’objet ou l’effet de la Loi sur le droit d’auteur était de restreindre leur liberté d’expression : arrêt Irwin Toy, supra, à la page 970. Pour décider si l’objectif de la Loi sur le droit d’auteur était de contrôler les tentatives pour transmettre une signification par cette activité, la Cour détermine si la Loi à première vue vise à contrôler le contenu de l’expression et non simplement les conséquences matérielles de la conduite expressive. Une loi qui vise à contrôler la forme et non le contenu de l’expression ne prive pas un individu de la capacité de transmettre son message par d’autres moyens : voir l’arrêt Weisfeld, supra, à la page 90. C’est seulement si elle a d’abord jugé que l’objet de la loi n’est pas de restreindre la liberté d’expression que la Cour considère les effets de la loi : voir R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, à la page 334. Si son objet est de restreindre la transmission de significations, il n’est alors pas nécessaire d’examiner les effets puisque, selon la définition large et neutre quant au contenu donnée à l’expression à la première étape de l’analyse, toute signification est une expression protégée. Pour déterminer si l’action gouvernementale ou législative a eu un effet sur la liberté d’expression du requérant, la Cour se demande si l’activité expressive en cause favorisait au moins l’un des trois objets qui sous-tendent la liberté d’expression : voir l’arrêt Weisfeld, supra, à la page 90. Comme les défendeurs en l’espèce ne se sont pas acquittés de la charge initiale, soit prouver que le droit d’utiliser le bien privé d’autrui fait partie de la sphère des activités protégées par la liberté d’expression, il n’est pas nécessaire d’examiner les objets ou les effets de la Loi sur le droit d’auteur, deuxième étape de l’analyse constitutionnelle sous le régime de l’alinéa 2b).

Je ne peux pas mettre un terme à cet examen des questions constitutionnelles sans exprimer quelques brèves idées sur l’application de l’article premier de la Charte à la Loi sur le droit d’auteur et sur l’inopportunité de la méthode de l’interprétation atténuée dans la présente instance. Même si j’ai tort de dire que les défendeurs ne se sont pas acquittés de la charge qui leur incombe en vertu de l’alinéa 2b) de la Charte, n’ayant pas prouvé l’atteinte à leur liberté d’expression, j’aurais conclu, aux termes de l’article premier, que les articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur constituent « des limites raisonnables prescrites par une règle de droit, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». La Cour suprême du Canada a établi le cadre d’analyse à deux étapes de l’article premier dans l’arrêt Oakes, supra. Premièrement, le gouvernement ou le particulier qui invoque une loi qui, selon ce qu’a constaté le tribunal, viole un droit garanti par la Charte doit prouver que l’objectif de la loi attaquée est « suffisamment important » pour justifier la suppression d’un droit fondamental : voir l’arrêt Oakes, supra, à la page 138. Je n’aurais eu aucune hésitation à décider que l’objectif de la Loi sur le droit d’auteur est « urgent et réel », critère de l’objectif suffisamment important. La protection des auteurs et la rémunération de leur énergie et de leurs œuvres créatrices sont à elles seules une valeur importante dans une société démocratique. De plus, le caractère urgent et réel de l’objectif visé par la Loi sur le droit d’auteur est corroboré par les obligations internationales du Canada découlant de traités comme la Convention de Berne 1886 [Convention Internationale pour la protections des œuvres littéraires et artistiques], révisée à Berlin en 1908 et à Rome en 1928 : annexe III (article 71) de la Loi sur le droit d’auteur, et arrêt Bishop, supra, aux pages 473 et 474.

Deuxièmement, la demanderesse en tant que partie invoquant l’article premier aurait eu à démontrer que les moyens pris pour mettre en application les objectifs de la Loi sur le droit d’auteur étaient raisonnables et que leur justification peut se démontrer : arrêt Oakes, supra, à la page 139. Ce que le juge en chef Dickson a appelé, dans Oakes, à la page 139, le critère de proportionnalité comprend trois éléments : (i) lien rationnel entre les objectifs de la loi et les moyens; (ii) atteinte minimale au droit garanti par la Charte; (iii) proportionnalité entre les effets des moyens et les objectifs. Pour la recherche de l’équilibre entre les intérêts des parties conformément au principe énoncé par le juge en chef Lamer dans l’arrêt République, supra, j’ai déjà étudié nombre des éléments du critère de proportionnalité de Oakes et tiré une conclusion défavorable au droit à la liberté d’expression auquel prétendent les défendeurs.

Qu’il suffise de dire qu’outre ce qui a déjà été dit précédemment, les objectifs de la Loi sur le droit d’auteur ont un lien rationnel avec une action en violation de droit d’auteur. Il y a un lien explicite et effectif entre l’objectif de protéger les intérêts des auteurs et des titulaires du droit d’auteur par l’attribution d’un monopole sur le droit d’utiliser et de reproduire leurs œuvres, et la capacité de défendre ces intérêts dans une action en violation du droit d’auteur. La Loi sur le droit d’auteur n’interdit pas les attaques contre les auteurs ou leurs idées. Les contrefacteurs engagent seulement leur responsabilité s’ils reproduisent l’œuvre ou une partie importante de celle-ci. De plus, le droit d’auteur porte une atteinte minimale au droit des défendeurs à la liberté d’expression étant donné la structure bien conçue de la Loi sur le droit d’auteur, notamment la liste d’exceptions des paragraphes 27(2) et (3). Dans l’arrêt Irwin Toy, supra, le juge en chef Dickson a dit à la page 999 que la Cour devait reconnaître au législateur une « certaine latitude » dans l’évaluation de ce qui constitue une atteinte minimale au droit en question garanti par la Charte. En conformité avec les opinions incidentes émises dans Irwin Toy, je ne peux pas, à la légère, substituer des moyens qui, à mon sens, sont moins radicaux, à ceux choisis par le législateur. De toute façon, je conclus que les objectifs de la Loi sur le droit d’auteur sont mis en œuvre de manière à porter atteinte le moins possible aux droits des défendeurs. En fait, au paragraphe 34 des aveux judiciaires soumis le 6 juin, les défendeurs reconnaissent [traduction] « que l’utilisation du « Bibendum » par le défendeur dans ses documents n’était pas le seul moyen par lequel ce syndicat pouvait transmettre son message aux travailleurs dans le contexte de la campagne de recrutement ». Finalement, j’estime qu’en ce qui concerne les effets préjudiciables de la Loi sur le droit d’auteur, le troisième élément du critère de proportionnalité de Oakes confirme qu’il s’agit bien d’une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dans une société libre et démocratique. La demanderesse a versé en preuve un tas de dépliants et de brochures syndicaux anti-Michelin qui n’utilisent pas le bien de la demanderesse en contravention de la Loi sur le droit d’auteur (pièce P-26). Interdire l’utilisation du « Bibendum » de la demanderesse protégé par le droit d’auteur ne cause donc pas de difficultés excessives aux défendeurs pour ce qui est de transmettre leur message aux travailleurs de Michelin.

Même si j’avais conclu que la Loi sur le droit d’auteur n’est pas sauvegardée par l’article premier, je n’aurais pas estimé que l’« interprétation atténuée » de l’alinéa 27(2)a.1) de la Loi sur le droit d’auteur constituait une réparation convenable. Dans Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, le juge Sopinka a dit à la page 102 que l’interprétation atténuée permet au tribunal d’éviter une conclusion d’inconstitutionnalité, après qu’il a d’abord déterminé quels éléments de la loi sont incompatibles avec la Charte : « pour déterminer quelle interprétation est compatible avec la Charte, il faut déterminer également sous quels aspects de son application la loi ne s’y conforme pas… On doit à cette fin conclure non seulement qu’il y a eu violation d’un droit ou d’une liberté garantis par la Charte, mais que cette violation n’est pas justifiée aux termes de l’article premier. » Autrement dit, pour faire une interprétation atténuée, le tribunal doit d’abord être en mesure de déterminer précisément quelles parties de la loi attaquée sont inconstitutionnelles. Les défendeurs ont prié la Cour d’envisager l’« interprétation atténuée » seulement du mot « mention » employé à l’alinéa 27(2)a.1) de la Loi sur le droit d’auteur, gardant intact le reste de l’article et de la Loi. Les défendeurs ont soutenu qu’il convenait d’interpréter strictement le mot « mention » de sorte qu’il s’entende, dans le cas d’une parodie, d’une simple allusion à l’auteur et à la source de l’original. Je souscris aux arguments de la demanderesse que l’application de la méthode de l’« interprétation atténuée » ne peut pas se faire de façon aussi simple et fragmentaire que le voudraient les défendeurs. Il n’est pas possible de séparer avec précision les articles ou les expressions de la Loi sur le droit d’auteur dont la constitutionnalité est douteuse suivant le raisonnement des défendeurs. Pour sauvegarder l’exception de l’utilisation équitable prévue à l’alinéa 27(2)a.1) dans la présente espèce, la Cour devrait d’abord donner une « interprétation large » de la « critique » qui y englobe la parodie. En agissant ainsi, la Cour ne se trouverait guère à garder l’alinéa 27(2)a.1) intact. Elle créerait une nouvelle exception, rôle qui revient au législateur : voir Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232, à la page 252. Je repousse l’argument des défendeurs qu’il y a lieu de recourir à l’interprétation atténuée du mot « mention » en raison des faits particuliers et stricts de l’espèce, c’est-à-dire la parodie par un syndicat d’une œuvre faisant l’objet du droit d’auteur d’une entreprise au cours d’une campagne de recrutement. En effet, adopter une telle interprétation en pareil cas serait créer une toute nouvelle exception strictement au bénéfice des défendeurs. L’interprétation atténuée est une méthode appropriée si elle sert son objet qui est d’empiéter le moins possible sur le domaine du législateur.

IV.       Conclusion

Pour les motifs qui précèdent, la Cour conclut que les défendeurs n’ont pas contrefait les marques de commerce de la demanderesse nos 255,656; 186,949 et 214,191.

Pour les motifs susmentionnés, la Cour conclut que les défendeurs ont violé les droits d’auteur de la demanderesse nos 318,640; 318,641 et 318,642 en copiant les œuvres faisant l’objet desdits droits d’auteur ou en copiant une partie importante de celles-ci, sans le consentement ou l’autorisation de la demanderesse.

De plus, pour les motifs susmentionnés, la Cour conclut que la liberté d’expression des défendeurs, protégée par l’alinéa 2b) de la Charte, n’a pas été violée.

La Cour ordonne, par les présentes, que les TCA, défendeurs, leurs dirigeants et administrateurs, leurs employés ou préposés et représentants, mandataires, commanditaires et tous ceux sur lesquels ils exercent un contrôle, ainsi que les défendeurs Hargrove et Wark, s’abstiennent de reproduire ou copier les dessins du « Bibendum » faisant l’objet d’un droit d’auteur et de faire toute imitation déguisée de ceux-ci; de fabriquer, d’importer, de vendre ou de distribuer des exemplaires non autorisés des dessins du « Bibendum » faisant l’objet d’un droit d’auteur, en les reproduisant dans des prospectus, des documents, sur d’autres articles ou sur tout produit; de porter atteinte aux droits d’auteur de la demanderesse sur les dessins du « Bibendum ».

La Cour ordonne que les défendeurs, au gré de la demanderesse, remettent ou détruisent, en faisant attester ledit acte par le serment de l’un de leurs dirigeants autorisés, dans les trente (30) jours de la date du jugement qui sera rendu dans la présente instance, les prospectus, annonces, marchandises ou articles contrefaits dont l’utilisation ou l’existence violerait toute injonction décernée dans la présente instance, et fournissent à la demanderesse dans le même délai une déclaration sous serment à cet effet, signée par un dirigeant des défendeurs TCA.

La Cour ordonne en outre que les défendeurs remettent à la demanderesse, à leurs frais, tous les exemplaires contrefaits de tous les dessins précités et toutes les planches servant ou destinées à servir à la production des exemplaires contrefaits, ou le produit de leur conversion dans le cas des exemplaires vendus.

La Cour ordonne en outre que les dommages causés, le cas échéant, à la demanderesse fassent l’objet d’une audition distincte.

Les dépens entre parties sont adjugés à la demanderesse.



[1] La marque de commerce no 255,656 vise le « Bibendum » droitier. Elle a été délivrée le 6 février 1981. D’après la description qui en a été donnée, la marque a été employée au Canada depuis 1973 en liaison avec des guides et des cartes touristiques. La marque no 186,949 visant le « Bibendum » gaucher a été délivrée le 1er décembre 1972. Elle a été utilisée depuis janvier 1975 en liaison avec des pneus et des porte-clefs.

[2] La marque de commerce no 214,191 dit que le mot « Michelin » a été employé depuis au moins 1938 en liaison avec des marchandises dans le domaine de l’automobile, dont des cartes et des guides touristiques, et depuis 1975 au moins en liaison avec des vêtements et d’autres articles.

[3] Clairol a également invoqué l’art. 7 renfermant les dispositions de la Loi sur les marques de commerce relatives à la concurrence déloyale, qui n’est pas en cause dans la présente espèce.

[4] En vertu de l’art. 196 de la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, L.C. 1994, ch. 47, l’art. 20 a été modifié par insertion du paragraphe (2), qui est ainsi libellé : « L’enregistrement d’une marque de commerce n’a pas pour effet d’empêcher une personne d’utiliser les indications mentionnées au paragraphe 11.18(3) en liaison avec un vin ou les indications mentionnées au paragraphe 11.18(4) en liaison avec un spiritueux. » S’agissant des vins et spiritueux, les indications précitées sont les dénominations du lieu d’origine reconnues comme exceptions supplémentaires à la contrefaçon de marque de commerce. L’art. 20(2) n’est entré en vigueur que le 1er janvier 1996 et n’a pas été invoqué en l’espèce.

[5] Dans St-Hubert, le juge Lesyk de la Cour supérieure du Québec ne s’est pas arrêté au sens du mot « emploi » aux art. 19 et 20 quand il a examiné la question de savoir si, dans cette affaire, un syndicat avait employé les marques de commerce de la demanderesse durant un conflit de travail. Il a décidé que l’interprétation donnée du mot « emploi » dans Clairol n’avait pas été modifiée par la jurisprudence. À la p. 447, le juge Lesyk a ajouté : « Le terme ou mot « emploi » ou « usage » défini à l’article 2 de la Loi doit recevoir, sauf indication contraire, la même signification ou sens chaque fois qu’il est utilisé dans la Loi. » Je ne saurais souscrire à l’opinion que le mot « emploi » doit recevoir la même signification chaque fois qu’il est utilisé dans la Loi sur les marques de commerce. Dans la décision Clairol, supra, le juge Thurlow a clairement ajouté un élément secondaire—la nécessité de prouver en outre l’« emploi comme marque de commerce »« au terme « emploi » employé aux art. 19 et 20 puisque l’accent y est mis sur le droit du propriétaire à l’usage exclusif. Cet élément secondaire est absent à l’art. 22. Sous tous autres rapports, je souscris à la conclusion tirée dans l’affaire St-Hubert sur la validité de la décision Clairol.

[6] Dans la marque de commerce no 340,453, déposée le 20 mai 1988, qui vise le logo utilisé par les TCA dans les prospectus du syndicat, les marchandises sont ainsi décrites : [traduction] « épinglettes, insignes, porte-documents, planchettes à pince, stylos-bille, blocs-notes ». Les services sont les [traduction] « services fournis par un syndicat à ses membres, savoir les services de négociation, les services d’information, les services d’éducation, les services médicaux, les services d’aide sociale, les services de pensions et le développement de la fraternité entre syndiqués. » La marque de commerce no 333,624, déposée le 30 octobre 1987, qui vise le sigle « TCA », ne concerne que les services et inclut une expression absente de la description des services liés au logo des TCA puisqu’elle englobe [traduction] « le développement de la fraternité entre syndiqués, et entre le syndicat et les autres syndicats et les personnes non syndiquées. »

[7] Les parties pertinentes de l’art. 6 sont ainsi conçues :

6.

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

[8] « F.S.R. » signifie « Fleet Street Reports », recueil de jurisprudence britannique en matière de propriété intellectuelle.

[9] Dans Ludlow, la chanson de Woody Guthrie, This Land is Your Land était en cause, dans MCA c’était la chanson Downtown et dans ATV c’était la chanson des Beatles, Revolution.

[10] Le juge Kennedy a émis une opinion concordante.

[11] L’art. 107 est ainsi libellé :

[traduction] Par dérogation aux dispositions des articles 106 et 106A, l’utilisation équitable d’une œuvre protégée, y compris l’utilisation par reproduction d’exemplaires ou d’enregistrements sonores ou par tout autre moyen spécifié dans cet article, à des fins telles que la critique, le commentaire, le reportage, l’enseignement (y compris les exemplaires multiples destinés à l’usage des écoles), les études et la recherche, ne constitue aucune violation du droit d’auteur. Pour déterminer si l’utilisation d’une œuvre dans un cas donné est une utilisation équitable, le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants :

(1) l’objet et le caractère de l’utilisation, y compris la nature commerciale ou le but éducatif et non lucratif de l’utilisation;

(2) la nature de l’œuvre protégée;

(3) le nombre et l’importance des passages utilisés par rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée;

(4) l’effet de l’utilisation sur le marché possible ou la valeur de l’œuvre protégée.

[12] Voir aussi Lesley Ellen Harris, Canadian Copyright Law (Toronto : McGraw-Hill Ryerson, 1995) à la p. 124, qui souligne le danger de confondre la notion américaine de « fair use » et la notion canadienne distincte d’« utilisation équitable ».

[13] En vertu de l’art. 57 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, les défendeurs devaient donner avis aux autorités fédérale et provinciales de leur contestation constitutionnelle de la Loi sur le droit d’auteur. Aucun des organismes gouvernementaux n’a choisi d’intervenir.

ANNEXE I

« Bibendum »

Marque de commerce

no TMA 255,656

« Bibendum » gaucher

Marque de commerce

no TMA 186,949

« Bibendum » modifié

Droit d’auteur no 318,641

« Bibendum »

Droit d’auteur no 318,640

« Bibendum » avec un pneu

Droit d’auteur no 318,642

ANNEXE II

« N’attendez pas qu’il soit trop tard » parce que l’emploi que vous préservez peut être le vôtre. Signez aujourd’hui pour un avenir meilleur.

Bureau des TCA à Granton : 752-7415

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