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[1997] 1 C.F. 475

T-1690-94

Barbara Allison en sa qualité de chef et Pauline Terbasket en sa qualité de conseillère de la Bande indienne de Lower Similkameen (demanderesses) (défenderesses reconventionnelles)

c.

Barnett Allison, Robert Edward, Nancy Allison, Karen Terbasket et Moses Louie (défendeurs) (demandeurs reconventionnels)

Répertorié : Bande indienne de Lower Similkameen c. Allison (1re inst.)

Section de première instance, juge suppléant Heald —Vancouver, 17 juin; Ottawa, 5 novembre 1996.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Élections dans une bande indienneAction en vue d’obtenir un jugement déclarant que les demanderesses ont été élues légitimement chef et conseillère respectivement, ainsi que des dommages-intérêtsAction intentée par voie de demande reconventionnelle en vue d’obtenir un jugement déclarant que l’élection des demanderesses est nulle et non avenue, ainsi qu’un mandamus ordonnant la tenue d’une nouvelle électionY avait-il attribution légale de compétence?Les défendeurs étaient simplement des membres de la bande et rien ne prouvait qu’ils agissaient à titre de mandataires de la CouronneMême si la bande était un office fédéral, la réparation recherchée n’était possible que sur présentation d’une demande de contrôle judiciaireLa Cour n’avait pas compétence pour connaître de l’action ou de la demande reconventionnelle.

Peuples autochtones Élections Les demanderesses tentaient d’obtenir un jugement déclarant qu’elles avaient été élues légitimement à titre de chef et de conseillèreLes défendeurs (demandeurs reconventionnels) tentaient d’obtenir un jugement déclarant que l’élection était nulle et non avenue, ainsi qu’un mandamus ordonnant la tenue d’une nouvelle électionSi la Cour avait eu compétence, la décision quant au fond aurait été la suivante : comme aucune des infractions mineures au règlement de la bande sur les élections selon les coutumes n’a influé sur les résultats de l’élection, il n’y a donc aucun motif d’appel ni aucune raison de déclarer l’élection nulle et non avenue.

Les demanderesses ont intenté une action en vue d’obtenir un jugement déclarant qu’elles occupent légitimement les postes de chef et de conseillère de la Bande indienne de Lower Similkameen (la BILS), ainsi que des dommages-intérêts. Les défendeurs (demandeurs reconventionnels), cinq membres de la BILS, ont également intenté une action en vue d’obtenir un jugement déclarant que l’élection des demanderesses (défenderesses reconventionnelles) était nulle et non avenue, ainsi qu’un mandamus ordonnant la tenue d’une nouvelle élection.

Il s’agissait de savoir si la Cour avait compétence pour entendre et juger l’action prise contre les cinq membres nommément désignés de la BILS et la demande reconventionnelle présentée contre le conseil de la BILS. Dans l’affirmative, il s’agissait de savoir si la Cour devait accorder la réparation recherchée par les demanderesses ou les demandeurs reconventionnels.

À l’origine, les demanderesses avaient déposé un bref d’assignation accompagné d’une déclaration au greffe de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en vue d’obtenir une injonction interlocutoire et des dommages-intérêts contre les défendeurs. Le même jour, les demanderesses avaient également déposé un avis de requête en vue d’obtenir la même mesure interlocutoire. Le juge de la Cour suprême qui a entendu l’affaire a déclaré que la demande d’injonction interlocutoire relevait de la compétence de la Cour fédérale et, pour ce motif, il a rejeté la demande.

Jugement : l’action et l’action par voie de demande reconventionnelle doivent être rejetées pour le motif que la Cour n’avait pas compétence pour trancher les questions soulevées. Si la Cour avait eu compétence, la demande reconventionnelle aurait été rejetée quant au fond et le jugement déclaratoire réclamé par les demanderesses aurait été prononcé.

La compétence de la Cour fédérale a été déterminée en fonction du critère en trois volets établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752. (1) Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral. L’examen de la Loi sur les Indiens n’a révélé aucune attribution légale de compétence en ce qui concerne les revendications en cause dans la demande principale et la demande reconventionnelle. Il restait la Loi sur la Cour fédérale. Toutefois, son alinéa 17(5)b) (qui attribue à la Cour une compétence concurrente dans les actions intentées contre un mandataire de la Couronne) n’attribuait pas de compétence car les défendeurs dans la demande principale faisaient simplement partie de la BILS. Rien ne prouvait qu’ils agissaient aux époques pertinentes à titre de mandataires de la Couronne. Rien ne prouvait non plus que les défenderesses reconventionnelles, c’est-à-dire le conseil de la BILS, agissaient aux époques pertinentes à titre de mandataires de la Couronne. Même si la BILS était un office fédéral, l’article 18 n’attribuait pas de compétence parce que la réparation visée dans cet article n’était possible que sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire conformément à l’article 18.1 de la Loi. Il n’y a dans la Loi aucune disposition qui permette de convertir une action en une demande de contrôle judiciaire ou de traiter une action comme une demande de contrôle judiciaire. Pour que l’article 25 représente une attribution légale de compétence, il aurait fallu que les demanderesses ou les demandeurs reconventionnels établissent que la demande de réparation était présentée ou le recours était exercé en vertu du droit canadien; et que cette demande de réparation ou ce recours ne ressortissaient pas à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une des Lois constitutionnelles. Il aurait pu y avoir attribution de compétence si les demanderesses et les défendeurs avaient présenté une demande de contrôle judiciaire et non pas une action. Les articles 25 et 44 seuls ne pouvaient pas attribuer une compétence à la Cour même si la réparation ne pouvait pas être demandée à un autre tribunal. Le Parlement a dû vouloir adopter, soit expressément soit implicitement, un certain droit de mise à exécution par la Cour fédérale avant qu’on puisse faire valoir une telle compétence.

Comme les défendeurs sont simplement des administrés plutôt qu’un office fédéral ou un mandataire de la Couronne, les demanderesses doivent pouvoir réclamer un jugement déclaratoire d’une cour supérieure provinciale telle que la Cour suprême de la Colombie-Britannique parce que le recours recherché est une mesure fondée en equity.

Si la réparation recherchée était le contrôle judiciaire, notre Cour avait compétence, mais la demande devait être présentée en vertu de l’article 18. On ne peut pas dire que l’article 25 dispense les parties de l’obligation de présenter une action ou une demande en bonne et due forme dans les délais prescrits.

L’article 25 ne peut pas prévoir non plus d’attribution légale de compétence à l’égard de la demande reconventionnelle. Pour que la demande reconventionnelle soit considérée comme une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un office fédéral, elle aurait dû être formulée comme telle conformément à l’article 18. L’omission de formuler une demande de contrôle judiciaire en bonne et due forme ne satisfaisait pas à l’obligation de l’article 25 selon laquelle le recours exercé ne ressort pas à un tribunal constitué ou maintenu.

La Cour n’avait donc pas compétence pour connaître de l’action, de la demande reconventionnelle ou des questions qui y sont soulevées.

Au cas où la conclusion ci-dessus aurait été erronée, la Cour a tiré les conclusions suivantes quant aux faits et au fond de l’affaire, compte tenu de la preuve présentée au procès.

(1) La directrice du scrutin a été nommée d’une manière qui contrevient à l’article 1 de la partie III du Règlement sur les élections selon les coutumes. (2) La Commission d’appel n’a pas été constituée avant la levée de l’assemblée de présentation, en contravention de l’article 9 de la partie IV. (3) Les bulletins de vote étaient inadéquats, en contravention de l’article 6 de la partie V. (4) La marche à suivre pour prêter assistance à une personne âgée n’a pas été respectée strictement, en contravention de l’article 6 de la partie VI.

Même s’il ne s’agissait pas d’un appel concernant l’élection, les motifs permettant d’interjeter appel exposés à l’article 1 de la partie VIII du Règlement (manœuvres frauduleuses, infraction qui aurait pu influer sur les résultats, personne qui a présenté sa candidature sans être éligible) fournissent un guide utile pour déterminer si une infraction particulière rendrait les résultats de l’élection nuls et non avenus ou s’il en résultait simplement une quasi-infraction qui ne minait pas l’esprit du Règlement.

Rien ne prouvait l’inéligibilité d’un candidat ou l’existence de manœuvres frauduleuses en rapport avec cette élection. La présidente d’élection, la directrice du scrutin et les scrutatrices ont agi en toute bonne foi durant le déroulement de l’élection. Et aucune des infractions dont on a prouvé la perpétration en rapport avec cette élection n’était une infraction qui aurait pu influer sur les résultats de l’élection et ainsi aucune ne constitue un motif d’appel. Comme l’élection n’était pas susceptible d’appel, il n’y avait aucune raison de déclarer les résultats de l’élection nuls et non avenus.

Le Règlement permettait la destruction des bulletins de vote s’il s’était écoulé 30 jours depuis l’élection et si aucun appel n’avait été interjeté. Les bulletins de vote ont été détruits plus de 30 jours après l’élection. Dans le délai de 30 jours, le Bureau de la bande a reçu un document contenant une plainte au sujet de l’élection, déclarant les résultats nuls et non avenus et demandant la tenue d’une nouvelle élection. Cependant, ce document ne constituait pas un appel au sens de l’article 1 de la partie VIII du Règlement. La destruction des bulletins de vote n’a eu aucun effet sur la validité de l’élection.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 17 (mod., idem, art. 3), 18 (mod., idem, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 25, 44.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Powderface c. Bande de Stoney, [1996] F.C.J. no 1113 (1re inst.) (QL); Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1996] 1 C.F. 804(C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Bande indienne de Lower Similkameen c. Allison, [1994] F.C.J. no 1177 (1re inst.) (QL); Bande indienne de Lower Similkameen c. Allison, [1996] A.C.F. no 556 (1re inst.) (QL); Bande indienne de Lower Similkameen c. Allison, [1996] F.C.J. no 589 (1re inst.) (QL); Sparvier c. Bande indienne Cowessess, [1993] 3 C.F. 142 (1993), 13 Admin. L.R. (2d) 266; [1994] 1 C.N.L.R. 182; 63 F.T.R. 242 (1re inst.); Administration régionale crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1991] 2 C.F. 422 (1991), 48 Admin. L.R. 292; [1991] 2 C.N.L.R. 41; 42 F.T.R. 160 (1re inst.); conf. par [1991] 3 C.F. 533 (1991), 81 D.L.R. (4th) 659; 1 Admin L.R. (2d) 173 (C.A.); Searle Canada Inc. c. Novopharm Ltd. (1990), 31 C.P.R. (3d) 1; 37 F.T.R. 177 (C.F. 1re inst.); Robertson c. Canada, [1986] F.C.J. no 210 (1re inst.) (QL); Canada (Commission des droits de la personne) c. Heritage Front, [1994] 1 C.F. 203 (1993), 68 F.T.R. 161 (1re inst.).

ACTION en vue d’obtenir un jugement déclarant que les demanderesses occupent légitimement les postes de chef et de conseillère de la Bande indienne de Lower Similkameen ainsi que des dommages-intérêts; DEMANDE RECONVENTIONNELLE en vue d’obtenir un jugement déclarant que l’élection des demanderesses (défenderesses reconventionnelles) est nulle et non avenue ainsi qu’un mandamus ordonnant la tenue d’une nouvelle élection. Action et demande reconventionnelle rejetées pour le motif que la Cour n’a pas compétence pour trancher les questions soulevées.

AVOCATS :

B. Rory B. Morahan pour les demanderesses.

Manuel A. Azevedo pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Morahan & Aujla, Victoria (Colombie-Britannique), pour les demanderesses.

Rankin & Company, Vancouver (Colombie-Britannique), pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge suppléant Heald : La présente affaire a commencé par le dépôt d’une déclaration le 13 juillet 1994. Il s’agit donc plutôt d’une action que d’une demande de contrôle judiciaire. À la suite de nombreuses modifications, la déclaration vise à obtenir un jugement portant que les demanderesses occupent légitimement les postes de chef et de conseillère de la Bande indienne de Lower Similkameen (la BILS). Les défendeurs dans la demande principale sont cinq membres nommément désignés de la BILS. Ils ne sont poursuivis en aucune qualité puisqu’ils n’occupent plus de postes au sein du conseil de bande.

Une demande reconventionnelle a également été présentée le 9 septembre 1994, en vue d’obtenir un jugement déclarant que l’élection des demanderesses (défenderesses reconventionnelles) est nulle et non avenue. Les demandeurs reconventionnels sont les cinq mêmes membres de la BILS nommément désignés en qualité de défendeurs dans la déclaration modifiée mentionnée ci-dessus. Les défenderesses reconventionnelles composent le conseil de la BILS. Il est reconnu en droit que le conseil d’une bande indienne est un office fédéral au sens de la Loi sur la Cour fédérale[1].

Les demanderesses ont présenté le 10 octobre 1996 une requête en vue de faire annuler la demande reconventionnelle pour le motif qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action ou en vue de la faire rejeter pour le motif que la Cour n’a pas compétence en la matière. Comme il faut de toute façon traiter la question de la compétence avant de statuer sur le fond, j’examinerai en même temps la présente requête.

I.          LES QUESTIONS EN LITIGE

A. La Cour a-t-elle compétence pour entendre et juger l’action prise contre les cinq membres nommément désignés de la BILS et la demande reconventionnelle présentée contre le conseil de la BILS?

B. Dans l’affirmative, la Cour devrait-elle accorder la réparation recherchée par les demanderesses ou les demandeurs reconventionnels?

II.         LA COMPÉTENCE DE LA COUR

1.         L’action en Cour suprême de la Colombie-Britannique

Le 30 juin 1994, les demanderesses, ainsi qu’un autre conseiller de la BILS, ont déposé un bref d’assignation accompagné d’une déclaration au greffe de la Cour suprême de la Colombie-Britannique[2] en vue d’obtenir la réparation suivante de la part de quatre des cinq particuliers défendeurs nommément désignés maintenant dans l’action intentée en Cour fédérale :

[traduction]

a) Une injonction interlocutoire et permanente interdisant à chacun des défendeurs, à leurs préposés ou représentants ou à toute autre personne d’agir à titre de signataires autorisés relativement à tout compte bancaire au nom ou sous le contrôle de la BILS ou du conseil de la BILS ou de prétendre changer ou d’essayer de changer de quelque façon les actuels signataires autorisés de ces comptes bancaires ou de toucher de quelque autre manière à l’un de ces comptes bancaires.

b) Une injonction interlocutoire et permanente interdisant à chacun des défendeurs, à leurs préposés ou représentants ou à toute autre personne d’agir en qualité de chef et de conseil de la BILS ou de quelque autre manière d’exercer ou d’essayer d’exercer les fonctions de conseil de la BILS ou de quelque autre manière de se présenter comme étant le chef et le conseil de la BILS, à moins qu’éventuellement ils ne soient dûment élus à ces postes.

c) Une injonction interlocutoire et permanente interdisant à chacun des défendeurs, à leurs préposés ou représentants ou à toute autre personne de gêner les demanderesses dans l’exercice de leurs fonctions habituelles de chef et de conseil ou le personnel de la BILS dans l’exercice de ses fonctions habituelles, dont les fonctions exercées au bureau de la BILS à Keremeos, en Colombie-Britannique.

d) Des dommages-intérêts généraux.

e) Des dommages-intérêts spéciaux.

f) Les dépens.

g) Les intérêts avant jugement.

h) Une ordonnance prévoyant que tout agent de la paix ayant compétence dans la province de la Colombie-Britannique qui a des motifs raisonnables et probables de croire que les défendeurs ou toute autre personne contreviennent à l’ordonnance arrêtera immédiatement ladite personne et l’amènera devant la cour le premier jour d’audience suivant l’arrestation pour qu’il soit procédé à une enquête afin de déterminer si elle a contrevenu à l’ordonnance et a commis un outrage au tribunal.

Le même jour, les demanderesses ont déposé un avis de requête en vue d’obtenir la mesure interlocutoire mentionnée aux alinéas a), b), c) et h) de la déclaration ci-dessus.

Le 8 juillet 1994, le juge Wong de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu une décision dans laquelle il exprimait l’opinion que l’injonction interlocutoire semblait appropriée. Cependant, en ce qui a trait à la question de la compétence, il a statué ce qui suit :

[traduction] L’avocat des défendeurs a soutenu que la Cour n’a pas compétence pour accorder la réparation demandée et que, de fait, la demande aurait dû être présentée en Cour fédérale. Il invoque l’arrêt de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan Whitefish, Rabbitskin, Joseph and Dreever vs. Department of Indian Affairs and Northern Development and Chief of Councillors of Big River Indian Band (1985), 5 W.W.R. 664, aux pages 666 et 667, et la décision plus récente de la Cour fédérale Sparvier c. Bande indienne Cowessess no 73 (1994), 1 Canadian Native Law Reports, 182, aux pages 185 et 186, qui concluent fondamentalement que, aux fins du contrôle judiciaire, le conseil d’une bande indienne et les personnes prétendant exercer le pouvoir relativement aux questions relevant des bandes indiennes, qui agissent conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, constituent un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale et relèvent donc de la compétence exclusive de la Cour fédérale.

L’avocat des demanderesses a fait valoir que la compétence exclusive de la Cour fédérale ne s’applique pas aux cas où manifestement des personnes s’arrogent indûment des pouvoirs, mais les mots-clés se trouvent à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, à savoir :

« … une personne ayant, exerçant ou censée exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale … »

Je voudrais ouvrir une parenthèse pour appuyer sur les mots "censée exercer une compétence ou des pouvoirs », qui donnent alors une compétence exclusive à la Cour fédérale. D’un point de vue jurisprudentiel, cela a bien du sens, puisque le contrôle judiciaire d’élections tenues par des bandes indiennes et de décisions prises par des conseils de bande qui sont controversées relève clairement de la compétence de la Cour fédérale. Agir autrement ne ferait que créer de l’incertitude au sujet du tribunal approprié pour accorder une réparation et ne ferait que conférer une compétence limitée à la Cour lorsque ce n’est pas nécessaire. Par conséquent, je dois déclarer que la présente demande en vue d’une injonction interlocutoire relève de la compétence de la Cour fédérale et doit être rejetée.

2.         L’action principale en Cour fédérale

Le 13 juillet 1994, les demanderesses ont déposé une déclaration au greffe de la Cour fédérale en vue d’obtenir des dommages-intérêts, un jugement déclaratoire et une injonction. Le 18 juillet 1994 [[1994] F.C.J. no 1177 (1re inst.) (QL)], Mme le juge Reed a refusé d’accorder une injonction interlocutoire. Elle a conclu à l’existence d’une question grave quant à la validité de l’élection, mais elle a refusé d’accorder la réparation pour le motif que rien ne prouvait qu’il en résulterait un préjudice irréparable si les défendeurs étaient autorisés à continuer de se présenter comme constituant le conseil de bande.

La déclaration initiale du 13 juillet 1994 a été modifiée en juillet 1995. À la suite de la modification, elle contenait sept paragraphes qui ressemblaient énormément à ceux apparaissant dans la déclaration présentée dans l’action en Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le 22 février 1996, les demanderesses ont déposé une déclaration modifiée de nouveau contenant quarante-quatre paragraphes et demandant diverses formes de réparation.

Le 25 avril 1996, le protonotaire Hargrave a ordonné que soient radiées de la déclaration modifiée de nouveau les demandes de réparation concernant le libelle diffamatoire, la diffamation verbale, les dommages-intérêts pour violation de la propriété privée, nuisance et atteinte au droit de propriété, les dommages-intérêts généraux, les dommages-intérêts spéciaux, les dommages-intérêts punitifs et les intérêts avant jugement[3]. Il a agi ainsi pour le motif que ces formes de réparation ne relevaient pas de la compétence de la Cour fédérale. Toutefois, il a refusé de radier les parties de la demande de réparation relatives à l’obstruction que les défendeurs ont opposée aux demanderesses lorsqu’elles dirigeaient le bureau de la bande et exerçaient leurs fonctions de chef et de membre du conseil élus. Il a conclu que ces dispositions étaient compatibles avec la demande de jugement déclaratoire présentée par les demanderesses au sujet de leur statut. La compétence de la Cour relativement à un tel jugement déclaratoire n’a pas été contestée et le protonotaire Hargrave n’a pas examiné la question.

À la suite de la modification la plus récente de la déclaration en date du 10 mai 1996, les demanderesses ont ramené leurs revendications aux points suivants :

[traduction]

a)   Un jugement déclarant que Barbara Allison est le chef et Pauline Terbasket est la conseillère de la BILS, durant le présent mandat pour lequel elles ont été élues respectivement, à moins que l’une d’elles ne démissionne prématurément de son poste;

b)   Des dommages-intérêts généraux;

c)   Les dépens afférents à la présente action;

d)   Toute autre réparation que la Cour peut juger convenable.

3.         La demande reconventionnelle

Ainsi qu’il a déjà été mentionné, le 9 septembre 1994, les défendeurs ont déposé une défense et une demande reconventionnelle en vue d’obtenir premièrement un jugement déclarant que l’élection des demanderesses (défenderesses reconventionnelles) au conseil de bande le 29 mars 1994 est nulle et non avenue, deuxièmement une ordonnance de la nature d’un mandamus prévoyant la tenue d’une nouvelle élection conformément au Règlement sur les élections selon les coutumes de la BILS et troisièmement les dépens afférents.

Par ordonnance en date du 3 mai 1996, le protonotaire Hargrave a rejeté la requête des demanderesses en vue de la radiation de la demande reconventionnelle pour le motif que la Cour fédérale n’avait pas compétence[4]. Les demanderesses ont fait valoir seulement une question devant lui. Elles ont soutenu qu’il n’avait pas compétence pour entendre la demande reconventionnelle car les défendeurs n’avaient pas exercé le droit que la loi leur confère d’interjeter appel auprès d’une Commission d’appel des élections et qu’ils devaient donc être privés de cette réparation discrétionnaire de la Cour. Le protonotaire Hargrave a conclu que la question de savoir s’il y avait eu ou non dépôt d’un appel constituait une question de fait contestée que le juge de première instance serait davantage en mesure de trancher avec l’aide des témoins et de la preuve orale. Il n’a formulé aucune conclusion au sujet de la compétence de la Cour en général, si ce n’est la remarque incidente selon laquelle les élections contestées des conseils de bandes indiennes relèvent de la compétence de la Cour fédérale.

4.         Les arguments des parties sur la question de la compétence

Le 13 août 1996, à la suite du procès tenu dans la présente affaire, j’ai demandé aux parties de présenter par écrit les arguments qu’elles avaient à faire valoir au sujet de la compétence de la Cour.

Les demanderesses (défenderesses reconventionnelles) ont choisi de ne pas aborder la question de la compétence de la Cour en ce qui a trait à l’audition de l’action principale. Elles soutiennent que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande reconventionnelle puisque les recours exercés ne peuvent l’être qu’au moyen d’une demande de contrôle judiciaire. Elles maintiennent que la demande reconventionnelle revêtait la forme d’une action plutôt que celle d’un contrôle judiciaire, que le délai de prescription pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire était maintenant expiré, que les demanderesses (défenderesses reconventionnelles) ne sont pas nommément désignées en leur qualité de conseil de la BILS et que, de toute façon, il n’y a aucune décision du conseil de la BILS qui soit susceptible d’un contrôle judiciaire.

Les défendeurs (demandeurs reconventionnels) ont choisi de traiter de la compétence de la Cour à l’égard de la demande et de la demande reconventionnelle en même temps. Ils sont d’accord pour dire que cette affaire ne peut pas être considérée comme un contrôle judiciaire, mais ils laissent entendre que la Cour a compétence pour trancher la question conformément aux articles 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale puisque la Cour suprême de la Colombie-Britannique a refusé de reconnaître sa compétence et qu’il existe un ensemble de règles de droit fédérales concernant les élections des conseils de bandes en vertu de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5].

5.         L’analyse de la compétence de la Cour en la matière

La compétence de la Cour fédérale est déterminée en fonction d’un critère en trois volets établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre[5]. Les éléments suivants sont essentiels à la compétence de la Cour :

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

3. La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867[6].

Il faut analyser chacun de ces éléments en rapport avec la demande principale et la demande reconventionnelle pour déterminer si la Cour a compétence en la matière.

L’attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral doit figurer soit dans la Loi sur la Cour fédérale soit dans une autre loi du Parlement. L’examen de la Loi sur les Indiens ne révèle aucune attribution légale de compétence en ce qui concerne les revendications en cause dans la demande principale et la demande reconventionnelle. Par conséquent, pour satisfaire au premier élément du critère énoncé dans l’arrêt ITO, il faut que l’attribution légale de compétence figure dans la Loi sur la Cour fédérale. Bien que les parties m’aient renvoyé aux seuls articles 25 et 44 de la Loi pour étayer la question de la compétence, j’ai l’intention de me reporter également aux articles 17 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3] et 18 [mod., idem, art. 4] et d’expliquer brièvement la raison pour laquelle je considère que les articles 17 ou 18 ne sont pas applicables en l’espèce.

i.          L’article 17 de la Loi sur la Cour fédérale

L’article 17 de la Loi sur la Cour fédérale constitue une attribution légale de compétence à l’égard de plusieurs questions, qui concernent toutes la Couronne. En l’espèce, la Couronne n’est pas partie à la demande principale ni à la demande reconventionnelle. La seule attribution légale de compétence figurant à l’article 17 qui n’exige pas que la Couronne ait la qualité de défenderesse est l’alinéa 17(5)b), qui est libellé ainsi :

17.

(5) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les actions en réparation intentées :

b) contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits — actes ou omissions — survenus dans le cadre de ses fonctions.

Les défendeurs dans la présente demande principale font simplement partie de la BILS. Rien ne prouve qu’ils agissaient aux époques pertinentes à titre de fonctionnaires, de préposés ou de mandataires de la Couronne. Par conséquent, l’alinéa 17(5)b) ne confère pas de compétence à la Cour dans de tels cas.

Les défenderesses reconventionnelles composent le conseil de la BILS et, donc, un office fédéral. Ainsi que la question a été étudiée dans les motifs de jugement que j’ai exposés dans l’affaire Powderface c. Bande de Stoney[7], un conseil de bande n’est pas présumé être un mandataire de la Couronne bien qu’il puisse agir en cette qualité dans certains cas. Rien ne prouve en l’espèce que les défenderesses reconventionnelles, c’est-à-dire le conseil de la BILS, agissaient aux époques pertinentes à titre de mandataires de la Couronne.

Par ces motifs, je conclus donc que l’alinéa 17(5)b) précité ne prévoit pas d’attribution légale de compétence en ce qui concerne la demande principale ou la demande reconventionnelle en cause.

ii.         L’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale

L’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale est rédigé ainsi :

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

(2) La Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, dans le cas des demandes suivantes visant un membre des Forces canadiennes en poste à l’étranger : bref d’habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohibition ou de mandamus.

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

Les défendeurs dans la demande principale ne sont ni la Couronne ni un office fédéral. Ce sont simplement cinq membres de la BILS, qui ne sont poursuivis en aucune qualité officielle. L’article 18 ne prévoit aucune attribution légale de compétence à l’égard des demandes intentées contre des particuliers.

La demande reconventionnelle diffère de la demande principale du fait que les défenderesses reconventionnelles, c’est-à-dire le conseil de la BILS, constituent un office fédéral. Cependant, le paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale dit clairement que, bien qu’un jugement déclaratoire et un bref de mandamus puissent être prononcés contre un office fédéral, la réparation visée dans cet article n’est possible que sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire conformément à l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale.

Comme je l’ai dit dans l’affaire Powderface, précitée, la réparation mentionnée au paragraphe 18(1) de la Loi ne peut être obtenue que sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, et la Cour n’a pas compétence pour entendre et juger une action intentée en vue d’une telle réparation. Il n’y a dans la Loi aucune disposition qui permette de convertir une action en une demande de contrôle judiciaire ou de traiter une action comme une demande de contrôle judiciaire et, de toute façon, les demandeurs reconventionnels n’ont pas présenté de requête à cet effet.

Je suis donc d’avis que l’article 18 n’attribue pas à la Cour de compétence pour juger la demande ou la demande reconventionnelle dans la présente action.

iii.        Les articles 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale

Les défendeurs (demandeurs reconventionnels) soutiennent que les articles 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale prévoient une attribution légale de compétence qui permet à la Cour d’examiner la demande et aussi la demande reconventionnelle. Ces articles sont libellés de la façon suivante :

25. La Section de première instance a compétence, en première instance, dans tous les cas — opposant notamment des administrés — de demande de réparation ou de recours exercé en vertu du droit canadien ne ressortissant pas à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 .

44. Indépendamment de toute autre forme de réparation qu’elle peut accorder, la Cour peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d’exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition soit selon les modalités qu’elle juge équitables.

Pour que l’article 25 représente une attribution légale de compétence en l’espèce, il faudrait que les défendeurs ou les demandeurs reconventionnels établissent que :

1. La demande de réparation est présentée ou le recours est exercé en vertu du droit canadien; et

2. Cette demande de réparation ou ce recours ne ressortissent pas à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une des Lois constitutionnelles.

a.         La demande principale

Ainsi que je l’ai fait remarquer précédemment, l’action intentée en Cour suprême de la Colombie-Britannique a été déposée le 30 juin 1994 et la décision du juge Wong a été rendue le 8 juillet 1994. Le moment où a été intentée l’action en Cour suprême de la Colombie-Britannique est important, car, durant la période allant du 23 juin 1994 au 11 octobre 1994, on ne savait pas encore très bien qui constituait le conseil de la BILS. C’est seulement le 11 octobre 1994 que le ministère des Affaires indiennes a réintégré et reconnu les demanderesses comme étant le conseil de bande. Ainsi, une action intentée avant le 11 octobre 1994 en vue d’obtenir une injonction pour interdire aux défendeurs de se présenter comme constituant le conseil de bande aurait réclamé une réparation de la part d’un office fédéral.

En effet, le juge Wong a considéré que l’action dont la Cour était saisie demandait le contrôle judiciaire de l’élection tenue le 23 juin 1994. Il s’est appuyé sur la décision rendue par le juge Rothstein dans l’affaire Sparvier c. Bande indienne Co-wessess[8], selon laquelle le contrôle judiciaire d’une décision prise par le conseil d’une bande indienne et des personnes censées exercer le pouvoir en rapport avec des questions concernant les bandes indiennes relevait de la compétence exclusive de la Cour fédérale conformément à l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

Par conséquent, conformément à la décision rendue par le juge Wong le 8 juillet 1994, la meilleure solution pour les demanderesses aurait été de présenter à la Cour une demande de contrôle judiciaire. Le problème se pose puisque, malgré la suggestion faite clairement par le juge Wong, les demanderesses n’ont pas présenté alors de demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. L’action a été intentée en Cour fédérale le 13 juillet 1994, également pendant le temps où les défendeurs prétendaient agir à titre de conseil de bande, sur présentation d’une déclaration. Les demanderesses n’ont pas poursuivi les défendeurs en leur qualité de conseil de bande, et elles ne le peuvent pas non plus puisque les défendeurs n’occupent actuellement aucun poste officiel de ce genre. Si les demanderesses voulaient obtenir une réparation de la part d’un office fédéral, elles auraient dû poursuivre au moyen d’une demande de contrôle judiciaire et non pas d’une action. Pour les raisons exposées ci-dessus, il n’est pas possible de considérer maintenant l’action comme une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 18.

Le juge Rouleau a émis l’opinion que, en l’absence de tout autre organisme pouvant exercer une fonction de surveillance des actes d’un administrateur fédéral s’occupant des Affaires indiennes, la Cour pourrait revendiquer une compétence conformément à l’article 44 et, vraisemblablement, à l’article 25[9]. Le juge Joyal a également donné une interprétation libérale de l’article 44 de la Loi sur la Cour fédérale[10]. En attendant que la Commission des droits de la personne se prononce définitivement sur la légalité des actes interdits, il s’est demandé s’il pouvait citer les parties pour outrage à une injonction autonome décernée par la Cour fédérale. Il a expliqué, aux pages 223 et 224 :

Je constate … que l’article 44 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] habilite notre Cour à rendre toute ordonnance selon qu’elle juge juste et opportun de le faire. Bien que ce pouvoir soit prévu dans un texte de loi, celui-ci n’est que la consécration de la compétence étendue que la common law reconnaît aux cours supérieures.

Dans le célèbre précédent Beddow v. Beddow (1878), 9 Ch.D. 89, Sir George Jessel, M.R., a fait cette observation, en page 93 :

[traduction] Je suis investi du pouvoir illimité d’accorder une injonction dans tous les cas où je juge indiqué et juste de le faire.

Le même principe ou la même doctrine a été repris par le juge en chef McEachern de la Colombie-Britannique dans Re B.C. Govt. Employees’ Union (1983), 48 B.C.L.R. 1 (C.S.), confirmé par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, (1985), 64 B.C.L.R. 113, et approuvé par la Cour suprême du Canada, [1988] 2 R.C.S. 214.

Cependant, la Cour d’appel fédérale semble être allée à l’encontre de la tendance jurisprudentielle. Dans l’affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net[11], il a été jugé que, à moins qu’il y ait eu une attribution précise à la Cour fédérale du pouvoir de se prononcer de façon définitive sur l’affaire, l’article 44 n’autorisait pas la Cour à décerner une injonction. La Cour a examiné précisément si l’article 25 pouvait attribuer une telle compétence lorsque la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6] ne le faisait pas et a rejeté cette possibilité. Donc, il semblerait que les articles 25 et 44 seuls ne peuvent pas attribuer une compétence à la Cour même si la réparation ne peut pas être demandée à un autre tribunal. Le Parlement a dû vouloir adopter, soit expressément soit implicitement, un certain droit de mise à exécution par la Cour fédérale avant qu’on puisse faire valoir une telle compétence. Cette interprétation est en accord avec des décisions rendues antérieurement par la Section de première instance[12].

De plus, la présente affaire se distingue des affaires précitées Administration régionale crie et Canadian Heritage Front, du fait qu’en l’espèce, un autre organisme a compétence à l’égard de la question et du recours. Comme les défendeurs sont simplement des administrés plutôt qu’un office fédéral ou un mandataire de la Couronne, les demanderesses doivent pouvoir réclamer un jugement déclaratoire d’une cour supérieure provinciale telle que la Cour suprême de la Colombie-Britannique parce que le recours recherché est une mesure fondée en equity. Le fait que cette Cour avait déjà été saisie de l’affaire par le biais d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision d’un office fédéral ne confère pas à la Cour provinciale le pouvoir d’entendre une action en jugement déclaratoire contre des particuliers. Tout appel formé contre cette décision devrait être porté en Cour d’appel de la Colombie-Britannique[13].

Si la réparation recherchée est le contrôle judiciaire de la décision d’un office fédéral, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a alors refusé d’accorder une telle réparation. Toutefois, il y a encore un organisme qui a compétence en la matière. Une telle demande relèverait de la compétence de notre Cour. Cependant, il en serait ainsi seulement en vertu de l’article 18. On ne peut pas dire que l’article 25 dispense les parties de l’obligation de présenter une action ou une demande en bonne et due forme dans les délais prescrits.

Donc, on ne peut pas dire qu’il n’existe pas de tribunal constitué ou maintenu qui a compétence à l’égard du recours exercé.

b.         La demande reconventionnelle

Pour les mêmes motifs, je conclus que l’article 25 ne prévoit pas d’attribution légale de compétence à l’égard de la demande reconventionnelle. Pour que la demande reconventionnelle soit considérée comme une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un office fédéral, elle aurait dû être formulée comme telle conformément à l’article 18. L’omission de formuler une demande de contrôle judiciaire en bonne et due forme ne satisfait pas à l’obligation de l’article 25 selon laquelle le recours exercé ne ressort pas à un tribunal constitué ou maintenu.

6.         Les conclusions sur la question de la compétence

Comme j’ai conclu qu’il n’y a pas attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral, je dois conclure qu’il n’a pas été satisfait au critère énoncé dans l’arrêt ITO. Je n’ai donc pas besoin d’examiner les deux autres exigences indiquées dans cet arrêt. La Cour n’a pas compétence pour connaître de l’action, de la demande reconventionnelle ou des questions qui y sont soulevées.

Toutefois, au cas où j’aurais tort de conclure ainsi, je vais exposer quelques conclusions que je suis disposé à tirer quant aux faits et au fond de l’affaire, compte tenu de la preuve présentée au procès.

III.        LES QUESTIONS RELATIVES AU FOND DE L’AFFAIRE

1. La Cour devrait-elle déclarer que Barbara Allison est le chef et Pauline Terbasket est une conseillère de la BILS pour la durée du présent mandat?

a. L’élection s’est-elle déroulée en contravention de l’une des dispositions du Règlement sur les élections selon les coutumes de la BILS?

b. Si la réponse à la question a) est affirmative, quel effet ces infractions ont-elles sur la validité de l’élection?

c. Quels sont les effets de la destruction des bulletins de vote par la présidente d’élection?

2. Sinon, la Cour devrait-elle déclarer l’élection de la BILS du 29 mars 1994 nulle et non avenue?

3. Dans l’affirmative, la Cour devrait-elle rendre une ordonnance de la nature d’un mandamus en vue de la tenue d’une nouvelle élection en conformité avec le Règlement sur les élections selon les coutumes?

IV.       L’ANALYSE DU FOND DE L’AFFAIRE

L’élection tenue par la BILS le 29 mars 1994 visait à combler les postes de chef, de conseiller (pour un mandat de quatre ans) et de conseiller (pour un mandat de deux ans). Les demanderesses dans l’action principale réclament un jugement déclaratoire qui confirme les résultats de l’élection en ce qui concerne le poste de chef, auquel Barbara Allison a été élue, et le poste de conseiller (pour un mandat de quatre ans), auquel Pauline Terbasket a été élue. Robert Heinrich, qui a été élu au poste de conseiller (pour un mandat de deux ans), n’est pas partie à la présente action. Les demandeurs reconventionnels réclament un jugement déclarant que l’élection du 29 mars 1994 est nulle et non avenue. Par conséquent, la question soulevée dans l’action principale et dans la demande reconventionnelle se limite à déterminer si l’élection du 29 mars 1994 était valide. On ne conteste pas le fait que l’élection devait se dérouler conformément au Règlement sur les élections selon les coutumes (le Règlement) de la BILS.

1. La Cour devrait-elle prononcer un jugement déclarant que Barbara Allison est le chef et Pauline Terbasket la conseillère de la BILS pour la durée du mandat actuel?

a.         L’élection s’est-elle déroulée en contravention de l’une des dispositions du Règlement sur les élections selon les coutumes de la BILS?

Dans leur défense, les défendeurs ont allégué que l’élection s’est déroulée en contravention de onze (11) dispositions du Règlement[14]. J’aborderai donc chacune de ces allégations et déterminerai quelles infractions au Règlement ont été commises durant l’élection, le cas échéant.

i.          La présidente d’élection et la directrice du scrutin n’ont pas été nommées au moins deux semaines avant la date de l’assemblée de présentation, en contravention de l’article 1 de la partie III du Règlement.

Le Règlement définit ainsi le poste de président d’élection et directeur du scrutin, à l’article 1 de la partie I :

[traduction] PRÉSIDENT D’ÉLECTION ET DIRECTEUR DU SCRUTIN s’entend d’une personne nommée par les membres de la bande afin de tenir l’assemblée de présentation et les élections du conseil de bande.

La disposition du Règlement à laquelle il aurait été porté atteinte, c’est-à-dire l’article 1 de la partie III, est libellée ainsi :

[traduction] Le président d’élection et directeur du scrutin est nommé lors d’une assemblée générale de la bande par une majorité des votants au moins deux (2) semaines avant la date de l’assemblée de présentation.

Même s’il appert des articles susmentionnés du Règlement que le président d’élection et le directeur du scrutin sont une seule et même personne, d’autres dispositions ailleurs dans le Règlement indiquent une intention qu’il y ait deux postes tenus par deux personnes distinctes. Les défendeurs ont reconnu dans les aveux sur des questions de fait

[15] que Joan Bent était présidente d’élection et avait été dûment nommée par Nancy Allison le 16 février 1994.

Quant au poste de directeur du scrutin, il ressort de la preuve que Theresa Ann Terbasket a agi en cette qualité durant l’élection. Theresa a témoigné qu’elle avait été sollicitée par quelqu’un pour être directrice du scrutin pendant cette élection : toutefois, elle ne pouvait pas se souvenir de l’identité de la personne en question. Joan Bent a déclaré sous serment que soit Karen Terbasket soit Nancy Allison avait nommé Theresa comme son adjointe.

Le Règlement exige que le directeur du scrutin soit nommé lors d’une assemblée générale par une majorité des votants, au moins deux semaines avant l’assemblée de présentation, qui a eu lieu le 14 mars 1994. Rien ne prouvait le fait que Theresa Ann Terbasket avait été nommée de la manière prescrite par le Règlement ni la date où cette nomination avait eu lieu. Il semble donc manifeste que la directrice du scrutin, Theresa Ann Terbasket, a été nommée en contravention de l’article 1 de la partie III du Règlement.

ii.         La Commission d’appel n’a pas été constituée lors de l’assemblée de présentation, en contravention de l’article 9 de la partie IV du Règlement.

Le Règlement prévoit la possibilité d’interjeter appel des résultats d’une élection dans les 30 jours suivant cette élection. Il prévoit également la constitution d’une Commission d’appel afin d’entendre ces appels. Deux articles différents du Règlement traitent de la constitution d’une commission d’appel. Ces articles se contredisent l’un et l’autre. Je me reporte à l’article 9 de la partie IV et à l’article 6 de la partie VIII, qui sont rédigés ainsi :

Part IV, Article 9

[traduction] L’article 9 de la partie IV

Avant la levée de l’assemblée de présentation, une Commission d’appel est constituée en vue seulement de l’élection à venir. La Commission d’appel est composée de cinq (5) membres de la bande. Ce sont des personnes qui ont le droit de voter, mais qui ne se présentent pas à l’un des postes à combler au sein du conseil de bande. Elles doivent examiner tous les appels et faire part de leurs conclusions au président d’élection. Le président d’élection fait son rapport aux membres de la bande lors d’une assemblée de la bande dans les trente (30) jours.

L’article 6 de la partie VIII

Le Comité d’appel est institué le jour de l’élection.

Bien que l’article 9 parle d’une commission d’appel et l’article 6 d’un comité d’appel, je suis prêt à admettre que les deux articles visaient la même entité.

À mon avis, la Commission d’appel n’a pas été constituée avant la levée de l’assemblée de présentation du 14 mars 1994. Toutefois, je pense effectivement qu’elle l’a été avant le jour de l’élection. Par conséquent, elle était en contravention de l’article 9 de la partie IV, mais pas de l’article 6 de la partie VIII.

iii.        La liste électorale n’a pas été ratifiée lors d’une assemblée générale de la bande, en contravention de l’article 4 de la partie V du Règlement.

Cet article du Règlement est libellé ainsi :

[traduction] La liste électorale est révisée et approuvée par les électeurs présents à l’assemblée de présentation; une fois approuvée, la liste électorale est considérée comme définitive et déclarée officielle.

La présidente d’élection, Joan Bent, a témoigné au sujet des actes qu’elle a accomplis lors de l’assemblée de présentation et a confirmé qu’ils ont été dûment consignés au procès-verbal de cette assemblée, qui se trouve sous l’onglet 20 de la pièce P-1. La présidente d’élection Bent a lu en entier la liste des personnes qui avaient le droit de voter, sur quoi les membres présents de la bande ont décidé à l’unanimité de radier de la liste les noms de quatre membres décédés. Il en a résulté une liste électorale définitive et officielle de 226 personnes qui avaient le droit de voter. En me fondant sur cette preuve, que j’estime crédible, je conclus qu’il a été satisfait aux dispositions de l’article 4 de la partie V du Règlement.

iv.        Le scrutin s’est déroulé en contravention de l’article 1 de la partie VI du Règlement.

L’article 1 de la partie VI du Règlement est rédigé ainsi :

[traduction] Lorsqu’une personne se présente pour voter, le président d’élection, s’il est convaincu que le nom de cette personne figure sur la liste électorale qui se trouve au bureau de scrutin, appose ses initiales sur un bulletin de vote et le remet à cette personne afin qu’elle puisse y inscrire son vote.

La présidente d’élection, Joan Bent, a déclaré sous serment que, lorsqu’un électeur arrivait au bureau de vote, elle s’assurait d’abord que le nom de l’électeur figurait sur la liste électorale. Ensuite, elle inscrivait ses initiales sur la liste à la suite du nom de l’électeur. Puis elle apposait ses initiales au dos du bulletin de vote, le pliait en trois et le tendait au votant. Joan a témoigné qu’elle a initialé chacun des bulletins déposés, à l’exception de trois. Ces trois bulletins ont été initialés par la directrice du scrutin, Theresa Ann Terbasket, pendant que Joan avait quitté momentanément la table de scrutin pour se rendre aux toilettes. Aucun élément de preuve n’est venu contredire la déposition de Joan Bent à cet égard.

À mon avis, la présidente d’élection n’a pas commis d’infraction à l’article 1 de la partie VI du Règlement en déléguant à la directrice du scrutin la tâche qui y est prévue durant ces laps de temps où elle devait absolument quitter la table de scrutin. De plus, le Règlement envisage une telle délégation à l’article 7 de la partie I, où un bulletin détérioré est défini comme un bulletin qui ne porte pas les initiales du président d’élection ou du directeur du scrutin. Je conclus donc que la preuve établit que le scrutin s’est déroulé conformément à l’article 1 de la partie VI du Règlement.

v.         Durant le scrutin, les scrutatrices ont agi en contravention de l’article 6 de la partie I du Règlement.

Cette disposition se trouve à l’article du Règlement relatif aux définitions et définit ainsi le scrutateur à l’article 6 de la partie I :

[traduction] « SCRUTATEUR » s’entend d’une personne nommée par écrit par un candidat afin de surveiller en son nom le déroulement de l’élection et le dépouillement des bulletins de vote.

Dans la version antérieure du Règlement sur les élections selon les coutumes, la définition ci-dessus contenait une phrase supplémentaire selon laquelle le scrutateur ne doit en aucune façon influencer les votants. Les défendeurs allèguent que Lillian Allison, une scrutatrice, a agi de façon à influencer les votants. Parmi les actes reprochés figurent premièrement le fait que Lillian serrait les votants dans ses bras à leur entrée dans le bureau de scrutin et deuxièmement certaines observations qu’elle faisait à l’intention des votants.

Lillian Allison a déposé qu’en effet elle serrait chacun des votants dans ses bras au moment où il entrait dans le bureau de scrutin. Selon Lillian, c’est sa façon habituelle de saluer les gens, ce qui concorde avec les dépositions d’autres témoins. Lillian a également témoigné qu’à plusieurs reprises, elle a dit aux votants : « Nous sommes venus en vue d’un changement ». Elle a expliqué qu’il ne faisait aucun doute que cette élection entraînerait un changement car Barnett Allison s’était retiré comme chef, poste qu’il avait occupé pendant trente ans, et l’un des anciens conseillers, Mona Heinrich, avait démissionné. Par conséquent, le seul candidat sortant dans cette élection était Robert Edward.

Il semble donc effectivement qu’il n’y avait rien de nouveau dans ce que disait Lillian Allison lorsqu’elle faisait des observations selon lesquelles il y aurait du changement. Bien qu’il ne convienne probablement pas qu’un scrutateur fasse des observations à l’intention des votants au sujet de l’issue de l’élection, celles de Lillian ne constituaient pas, à mon avis, une tentative d’influencer les votants. J’ai constaté qu’elle était un témoin très crédible et j’accepte son explication au sujet des actes susmentionnés.

Theresa Ann Terbasket a déclaré sous serment avoir vu Lillian Allison inciter quelqu’un à voter en lui disant, en langue autochtone : « Écris ici ». En contre-interrogatoire, Theresa a déposé que la votante concernée dans cet incident était une personne âgée, dont elle ne pouvait pas se souvenir du nom.

Lillian Allison a témoigné qu’elle se souvenait effectivement d’une personne âgée, Isobel Edward, qui avait demandé assistance auprès des scrutatrices parce qu’elle ne lisait pas l’anglais. Lillian n’était pas certaine si Mme Edward avait reçu l’assistance d’elle et de Doreen Louie ou de Gloria Bent et de Doreen Louie. Joan Bent a déposé que Mme Edward avait reçu l’assistance d’elle et de Doreen Louie. Ainsi, on ne sait pas très bien qui a aidé Mme Edward, ce qui n’est pas surprenant étant donné que ces événements se sont produits il y a plus de deux ans. Cependant, Joan Bent a témoigné que, comme Mme Edward ne lisait pas l’anglais, il avait fallu lui lire les noms des candidats à voix haute, que celle-ci avait ensuite fait connaître son choix et que quelqu’un lui avait indiqué où tracer le X.

Lillian Allison a également témoigné qu’elle-même et Doreen Louie ont prêté assistance à une autre personne âgée, Julia Qualtier, qui avait eu un accident cérébrovasculaire peu de temps auparavant. Elle a dit qu’elles l’ont accompagnée jusqu’à l’isoloir et qu’ensuite Lillian a passé en revue les noms inscrits sur le bulletin de vote et indiqué à Mme Qualtier de voter seulement pour un candidat à chaque poste. Elle a de plus déposé qu’elle-même et Doreen Louie se sont éloignées de Mme Qualtier pendant que celle-ci remplissait le bulletin de vote et qu’elles n’ont pas pu voir pour qui elle avait voté.

Je suis convaincu que l’incident décrit par Theresa Ann Terbasket ci-dessus se rapportait à l’assistance fournie soit à Mme Edward soit à Mme Qualtier. En ce qui concerne ces incidents, je ne puis trouver fautifs les actes accomplis par Lillian Allison. Au contraire, je considère que ces actes répondaient de façon délicate aux besoins de votantes plus âgées. Je conclus donc que rien ne prouve que l’une des scrutatrices ait enfreint le Règlement pendant le déroulement du scrutin.

vi.        La présidente d’élection a fourni des bulletins de vote insuffisants et inadéquats, en contravention de l’article 6 de la partie V du Règlement.

L’article 6 de la partie V du Règlement est libellé ainsi :

[traduction] Il y a des bulletins de vote indiquant les noms des candidats au poste de chef et d’autres bulletins de vote indiquant les noms des candidats aux postes de conseiller, noms qui figurent sur les bulletins de vote par ordre alphabétique.

La preuve selon laquelle le bulletin de vote utilisé dans cette élection consistait en un simple morceau de papier divisé en trois parties par des zones ombrées n’a pas été contestée. La première partie comportait les noms des candidats au poste de chef, la deuxième partie comportait les noms des candidats au poste de conseiller (pour un mandat de quatre ans) et la troisième comportait les noms des candidats au poste de conseiller (pour un mandat de deux ans). Vis-à-vis du nom de chaque candidat se trouvait un carré, d’environ ½ pouce de côté, dans lequel le votant devait apposer un X. Il est également ressorti de la preuve que, dans des élections antérieures, il y avait un bulletin de vote distinct pour le poste de chef et un autre bulletin de vote pour les postes de conseiller.

J’accepte l’argument des défendeurs selon lequel l’article 6 de la partie V du Règlement exige effectivement qu’il y ait un morceau de papier distinct qui serve de bulletin de vote pour le poste de chef et un autre morceau de papier qui serve de bulletin de vote pour les postes de conseiller.

Le Règlement n’est pas clair, à mon avis, quant à savoir s’il faut utiliser un bulletin de vote distinct pour chaque poste de conseiller. Cependant, je n’ai pas à me prononcer sur cette question. Le fait qu’une simple feuille de papier ait été utilisée comme bulletin de vote pour le poste de chef et les postes de conseiller suffit pour établir que ce bulletin contrevenait au Règlement. Par conséquent, je suis d’accord pour dire qu’il y a eu infraction à l’article 6 de la partie V du Règlement.

vii.       La boîte de scrutin n’était pas scellée correctement, en contravention de l’article 8 de la partie V du Règlement.

L’article 8 de la partie V du Règlement est rédigé ainsi :

[traduction] La boîte de scrutin est scellée à l’aide d’une serrure et d’un ruban adhésif portant les initiales du président d’élection.

La présidente d’élection, Joan Bent, a témoigné que, avant le début du scrutin, elle a fermé toutes les ouvertures de la boîte de scrutin avec du ruban masque. Elle a soutenu que plusieurs personnes, dont elle-même, avaient apposé leurs initiales sur le ruban. Joan a déclaré sous serment que, une fois la boîte de scrutin scellée de cette manière, les bulletins de vote ne pouvaient y être introduits que par la fente située sur le dessus. Elle a ajouté que la boîte de scrutin était munie d’un moraillon pour recevoir un cadenas, qu’elle a barré la boîte de scrutin et gardé la clef sur son porte-clefs. Lillian Allison a également témoigné que la boîte de scrutin était scellée avec du ruban masque et munie d’une serrure. Aucun élément de preuve n’est venu contredire les dépositions de Joan Bent et Lillian Allison à cet égard. Je suis donc convaincu que l’article 8 de la partie V du Règlement a été respecté.

viii.      La présidente d’élection a omis de prévoir dans le bureau de scrutin un endroit sûr où les votants pourraient remplir leurs bulletins de vote à l’abri des regards, en contravention de l’article 9 de la partie V du Règlement.

L’article 9 de la partie V du Règlement est libellé ainsi :

[traduction] Le président d’élection prévoit dans le bureau de scrutin un endroit où les votants peuvent remplir leurs bulletins de vote à l’abri des regards.

Joan Bent, la présidente d’élection, a déclaré sous serment qu’elle avait emprunté des isoloirs portatifs du village de Keremeos. Ils comportaient une façade et deux côtés et étaient posés sur une table. Une cloison avait alors été placée devant eux. Elle a dit que le votant pouvait remplir son bulletin de vote en privé dans cet isoloir. Lillian Allison, qui était scrutatrice, a également décrit les isoloirs d’une façon semblable dans son témoignage. Aucun élément de preuve n’est venu contredire les dépositions de Joan Bent et de Lillian Allison à cet égard.

Je suis convaincu que les isoloirs décrits par Joan Bent et Lillian Allison réservaient aux votants un endroit où ils pouvaient remplir leurs bulletins de vote à l’abri des regards. Par conséquent, il n’y a pas eu d’infraction à l’article 9 de la partie V du Règlement.

ix.        La présidente d’élection et une scrutatrice ont prêté leur assistance à des votantes d’une manière qui contrevenait à l’article 6 de la partie VI du Règlement.

L’article 6 de la partie VI du Règlement énonce de quelle manière le président d’élection peut prêter son assistance à un votant dans certains cas. Cette disposition est rédigée ainsi :

[traduction] À la demande d’un votant qui est incapable de lire, handicapé par la cécité ou empêché de voter par une autre cause physique, le président d’élection lui prête son assistance pour remplir son bulletin de vote de la façon indiquée par ce votant en présence du ou des scrutateurs des candidats dans le bureau de scrutin et d’aucune autre personne et remet le bulletin de vote initialé au directeur du scrutin pour qu’il le dépose dans la boîte de scrutin.

La présidente d’élection, Joan Bent, a témoigné au sujet de deux incidents concernant l’assistance prêtée à deux personnes âgées qui étaient venues voter, incidents qui ont déjà été examinés. L’une des personnes âgées mentionnées ci-dessus, Julia Qualtier, a demandé aux scrutatrices de l’accompagner jusqu’à l’isoloir parce qu’elle avait subi un accident cérébrovasculaire peu de temps auparavant et utilisait une marchette. Joan a dit que les deux scrutatrices qui ont aidé Mme Qualtier à se rendre jusqu’à l’isoloir ne se trouvaient pas dans l’isoloir lorsque celle-ci a rempli son bulletin de vote. Je suis d’avis que l’assistance que les scrutatrices ont prêtée à Mme Qualtier n’est pas visée par l’article 6 de la partie VI du Règlement parce que la votante pouvait remplir elle-même son bulletin de vote. Par conséquent, la procédure prévue à l’article 6 de la partie VI ne s’appliquait pas. Je conclus que ni les scrutatrices ni la présidente d’élection n’ont commis de faute en prêtant ainsi leur assistance et que cela ne contrevenait à aucune disposition du Règlement.

Joan Bent a également témoigné au sujet d’un incident où il a été prêté assistance à Isobel Edward, mentionnée aussi précédemment. Mme Edward ne lit pas l’anglais. Ainsi qu’il a déjà été examiné, les dépositions de Joan Bent et de Lillian Allison concordent pour dire que Doreen Louie a prêté son assistance à Mme Edward. Cependant, on ne sait pas très bien si Doreen a été aidée par Lillian Allison, Joan Bent ou Gloria Bent. Je ne suis pas surpris que les souvenirs se soient effacés au cours des deux dernières années. Comme Joan Bent semblait mieux se souvenir de cet incident, j’accepte sa déposition selon laquelle ce sont elle-même et Doreen Louie qui ont prêté leur assistance à Mme Edward.

Joan Bent a témoigné que, vu que Mme Edward ne pouvait pas lire l’anglais, elle lui a lu les noms des candidats à haute voix. Mme Edward a ensuite dit à Joan pour qui elle voulait voter et Joan a alors indiqué à Mme Edward les carrés dans lesquels elle devait apposer ses X.

C’est manifestement un cas envisagé par l’article 6 de la partie VI du Règlement, et les exigences de cette disposition étaient donc applicables. L’article 6 de la partie VI exigeait que la présidente d’élection prête son assistance à la votante en remplissant son bulletin de vote de la manière indiquée par celle-ci. En l’espèce, la présidente d’élection a témoigné que, bien qu’elle ait montré à Mme Edward où apposer le X, c’est Mme Edward elle-même et non pas la présidente d’élection qui a rempli le bulletin de vote. À mon avis, le fait que la votante ait rempli elle-même le bulletin de vote n’équivaut à rien de plus qu’à une quasi-infraction à la disposition et ne compromet en aucune façon la validité du vote exprimé.

L’article 6 de la partie VI exige de plus que le bulletin de vote initialé soit remis ensuite au directeur du scrutin, plutôt qu’au président d’élection, pour être déposé dans la boîte de scrutin. Rien ne prouve que le bulletin de vote de Mme Edward ait été déposé dans la boîte de scrutin par la directrice du scrutin, Theresa Ann Terbasket. Le témoignage de Joan Bent indique que le bulletin de vote de Mme Edward a, de fait, été déposé dans la boîte de scrutin par Joan Bent elle-même.

Par conséquent, bien qu’il semble que Joan Bent ait fait de son mieux pour aider Mme Edward à remplir son bulletin de vote, je conclus qu’il n’a pas été satisfait exactement aux exigences de l’article 6 de la partie VI. Je suis donc d’accord pour dire qu’il y a eu quasi-infraction à l’article 6 de la partie VI du Règlement.

x.         La présidente d’élection a omis de marquer les bulletins de vote des électeurs qui ont reçu une assistance conformément à l’article 7 de la partie VI du Règlement.

En ce qui concerne les bulletins de vote des électeurs qui ont reçu une assistance, lesquels bulletins sont décrits à l’article 6 de la partie VI, examiné précédemment, l’article 7 impose l’exigence supplémentaire suivante :

[traduction] Le président d’élection mentionne, sur la liste électorale à côté du nom du votant dans la colonne réservée aux remarques, le fait que le bulletin de vote a été rempli par lui à la demande du votant et indique pourquoi.

Joan Bent, la présidente d’élection, a déclaré sous serment avoir tenu un journal de la liste électorale. Elle a ajouté avoir consigné dans ce journal ce qui s’était produit relativement à l’assistance prêtée tant à Mme Qualtier qu’à Mme Edward. Ainsi, bien que rien ne prouve que la présidente d’élection ait mentionné sur la liste électorale même, dans une colonne réservée aux remarques, les détails de la façon dont le bulletin de vote a été rempli, il ressort de la preuve que la présidente d’élection a été consciencieuse en consignant ces renseignements dans un journal distinct. Je suis donc convaincu que l’article 7 de la partie VI a été respecté dans l’ensemble.

xi.        La présidente d’élection a omis de dépouiller les bulletins de vote conformément à l’article 10 de la partie VI du Règlement.

L’article 10 de la partie VI du Règlement est libellé ainsi :

[traduction] Immédiatement après la fin du scrutin, en présence des candidats ou de leurs scrutateurs qui peuvent être présents, le président d’élection ouvre la boîte de scrutin et :

a) examine les bulletins de vote et rejette tous ceux

(i) qui n’ont pas été initialés par lui;

(ii) sur lesquels le suffrage a été accordé à un plus grand nombre de candidats que ceux qui doivent être élus;

(iii) sur lesquels apparaît un signe permettant d’identifier le votant, mais aucun mot, aucune lettre ou aucune marque apposée par le président d’élection sur un bulletin de vote ne l’annule ou ne justifie son rejet;

b) prend note de toute objection présentée par un candidat ou son représentant à l’égard de tout bulletin de vote trouvé dans la boîte de scrutin, tranche toute question résultant de l’objection, numérote cette objection et inscrit un numéro correspondant au dos du bulletin de vote et accompagné de la mention « ACCEPTÉ » ou « REJETÉ », selon le cas, avec ses initiales.

Plusieurs témoins ont déposé au procès au sujet de la procédure suivie lors du dépouillement du scrutin. J’ai conclu ci-dessus que, bien que d’autres personnes aient pu être présentes, les personnes suivantes étaient certainement présentes pendant tout le dépouillement du scrutin : Joan Bent, présidente d’élection; Theresa Ann Terbasket, directrice du scrutin; et Lillian Allison, Gloria Bent, Doreen Louie et Brenda Terbasket, les scrutatrices. Brenda Terbasket est arrivée peu après le début du dépouillement.

Joan Bent a témoigné qu’elle avait vérifié si ses initiales se trouvaient sur chaque bulletin de vote à l’intérieur de la boîte de scrutin. Ce faisant, elle s’était assurée que, à l’exception de trois bulletins de vote, ses initiales figuraient sur tous. Quant à ces trois bulletins de vote, Joan a dit qu’ils avaient été initialés par la directrice du scrutin, Theresa Ann Terbasket, pendant qu’elle-même avait quitté la table du scrutin pour aller aux toilettes. Joan a témoigné également que Theresa Ann Terbasket avait confirmé qu’il s’agissait de ses initiales. Comme il a déjà été mentionné, je suis convaincu que la procédure suivie ne contrevenait pas au Règlement.

De plus, Joan Bent a déclaré sous serment qu’elle avait vérifié chacun des bulletins de vote pour voir s’il avait été marqué correctement d’un X. Dans ce cas, elle lisait le nom du candidat en faveur duquel le suffrage était exprimé. Chaque scrutatrice avait sa propre feuille de comptage sur laquelle elle consignait ces renseignements. Joan a témoigné qu’elle n’avait pas fait circuler les bulletins de vote parmi les scrutatrices ou les autres personnes présentes. Les dépositions de Lillian Allison, de Brenda Terbasket, de Doreen Louie et de Lauren Terbasket sont en accord avec le témoignage de Joan à cet égard. En outre, il ressort clairement de la preuve que toutes les scrutatrices sont arrivées au même décompte final des votes pour chacun des postes.

En ce qui concerne les bulletins de vote détériorés, Joan a déposé que, si un bulletin de vote n’était pas dûment marqué d’un X, elle déclarait qu’il s’agissait d’un bulletin de vote détérioré et le présentait en face d’elle pour que toutes les scrutatrices puissent le voir, mais tout en le gardant en sa possession en tout temps. Elle a dit que, une fois que les scrutatrices avaient vérifié que le bulletin de vote n’était pas dûment rempli, il était placé dans une pile réservée aux bulletins de vote détériorés.

Le témoignage de Lillian Allison concordait avec celui de Joan Bent à cet égard. Lillian a témoigné que Joan montrait le bulletin de vote détérioré à toutes les personnes présentes, énumérées ci-dessus, et qu’il n’y a pas eu de désaccord quant à savoir quels bulletins de vote étaient détériorés. Theresa Ann Terbasket a également déclaré que Joan avait montré chacun des bulletins de vote détériorés à toutes les scrutatrices et qu’il y avait eu un consensus parmi elles quant à savoir s’il était détérioré. Brenda Terbasket a déposé dans le même sens. Doreen Louie a témoigné, en contre-interrogatoire, que Joan tendait le bulletin de vote détérioré devant elle en direction des scrutatrices. Lauren Terbasket, qui n’était ni scrutatrice ni candidate et qui n’a assisté qu’à la deuxième moitié du dépouillement, a déclaré que, pendant qu’elle était présente au dépouillement, elle a vu Joan déclarer deux bulletins de vote détériorés, mais qu’elle ne se souvenait pas avoir remarqué Joan en train de montrer les bulletins de vote détériorés aux scrutatrices.

Ainsi, à l’exception de Lauren Terbasket, tous les témoins qui ont déposé relativement au dépouillement des bulletins de vote étaient d’accord pour dire que Joan Bent avait montré à toutes les scrutatrices chacun des bulletins de vote détériorés. En me fondant sur l’ensemble de la preuve, je conclus que la présidente d’élection s’assurait que chaque scrutatrice observait les bulletins de vote détériorés et qu’elle déclarait un bulletin de vote détérioré après seulement qu’il y avait eu parmi les scrutatrices un consensus selon lequel le bulletin de vote était en effet détérioré.

Je conclus donc que la présidente d’élection a dépouillé correctement les bulletins de vote conformément au Règlement.

En résumé, je conclus, d’après la preuve, que l’élection s’est déroulée en contravention de quatre dispositions du Règlement :

a)         la directrice du scrutin a été nommée d’une manière qui contrevient à l’article 1 de la partie III;

b)         la Commission d’appel n’a pas été constituée avant la levée de l’assemblée de présentation, en contravention de l’article 9 de la partie IV;

c)         les bulletins de vote étaient inadéquats, en contravention de l’article 6 de la partie V; et

d)         la marche à suivre pour prêter assistance à une personne âgée n’a pas été respectée strictement, en contravention de l’article 6 de la partie VI.

b.         Quel effet ces infractions au Règlement ont-elles sur la validité de l’élection?

À mon avis, l’omission de se conformer strictement au Règlement ne rend pas nécessairement les résultats de l’élection nuls et non avenus. Comme il a été mentionné ci-dessus, il est incontestable que l’élection devait se dérouler conformément au Règlement. Ce dernier prévoit non seulement la façon dont l’élection doit se dérouler, mais également un mécanisme en vue de remédier aux manquements. Les motifs permettant d’interjeter appel auprès de la Commission d’appel relativement à l’élection sont exposés à l’article 1 de la partie VIII du Règlement. Bien que la présente demande ne soit pas un appel concernant l’élection, ces motifs fournissent un guide utile pour déterminer si une infraction particulière, selon l’objectif du Règlement, rendrait les résultats de l’élection nuls et non avenus ou s’il en résulte simplement une quasi-infraction qui ne mine pas l’esprit du Règlement.

L’article 1 de la partie VIII du Règlement est rédigé ainsi :

[traduction] Dans les trente (30) jours suivant une élection, tout candidat à cette élection ou tout électeur ayant voté à cette élection qui a des motifs raisonnables de croire :

a)   qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses en rapport avec l’élection;

b)   qu’il y a eu une infraction au règlement qui aurait pu influer sur les résultats de l’élection; ou

c)   qu’une personne qui a présenté sa candidature à l’élection n’était pas éligible,

peut former un appel en le transmettant par écrit et par la poste à la Commission d’appel, Administration indienne de Lower Similkameen, CP. 100, Keremeos (Colombie-Britannique) V0X 1N0.

i.          Y a-t-il eu des manœuvres frauduleuses en rapport avec l’élection?

J’ai entendu les dépositions de nombreux témoins au sujet du déroulement de l’élection, dont la destruction définitive des bulletins de vote, qui sera examinée plus loin dans les présents motifs. Je suis convaincu que rien ne prouve l’existence de manœuvres frauduleuses en rapport avec cette élection. Bien qu’il y ait eu des infractions au Règlement, lesquelles seront étudiées ci-dessous, je conclus que la présidente d’élection, la directrice du scrutin et les scrutatrices ont agi en toute bonne foi durant le déroulement de l’élection.

ii.         Y a-t-il eu une infraction au Règlement qui aurait pu influer sur les résultats de élection?

J’ai déjà conclu que l’élection s’est déroulée en contravention de quatre dispositions du Règlement. Toutefois, une infraction à un Règlement ne constitue qu’un motif d’appel si une telle infraction a pu influer sur les résultats de l’élection. Par conséquent, j’examinerai chacune des infractions et déterminerai si elle satisfait à ce critère.

A.        Infraction à l’article 1 de la partie III : Nomination de la directrice du scrutin.

Je suis convaincu que la façon dont la directrice du scrutin a été nommée, bien qu’elle contrevienne au Règlement, n’aurait pas pu avoir d’effet sur les résultats de l’élection. De plus, rien ne prouve que la directrice du scrutin ait commis une faute.

B.        Infraction à l’article 9 de la partie IV : La Commission d’appel n’a pas été constituée avant la levée de l’assemblée de présentation.

J’ai conclu précédemment qu’il existait une contradiction dans le Règlement au sujet du moment où la Commission d’appel devait être constituée. Bien que je sois convaincu que la Commission d’appel a été constituée avant le jour de l’élection, et donc conformément à l’article 6 de la partie VIII, je ne suis pas convaincu que la Commission d’appel ait été constituée avant la levée de l’assemblée de présentation, ce qui contrevient donc à l’article 9 de la partie IV.

Comme la Commission d’appel n’a pas compétence pour agir tant que l’élection n’est pas terminée, et comme la Commission d’appel a été constituée avant le jour de l’élection, je conclus que l’infraction à l’article 9 de la partie IV n’aurait pas pu avoir d’effet sur les résultats de l’élection.

C.        Infraction à l’article 6 de la partie V : Forme inadéquate des bulletins de vote.

Pour déterminer si la forme inadéquate du bulletin de vote utilisé durant l’élection aurait pu influer sur les résultats, le critère retenu pour considérer un bulletin de vote comme détérioré est important. Le bulletin détérioré est défini ainsi à l’article 7 de la partie I du Règlement :

[traduction] « BULLETIN DE VOTE DÉTÉRIORÉ » s’entend :

(i)   d’un bulletin de vote qui contient plus de votes qu’il n’est permis;

(ii)  d’un bulletin de vote qui ne porte pas les initiales du président d’élection ou du directeur du scrutin;

(iii) d’un bulletin de vote qui porte des signes autres qu’un X;

(iv) d’un bulletin de vote qui n’a pas été rempli clairement de façon à identifier la personne ayant reçu le suffrage; ou

(v)  d’un bulletin de vote qui porte la mention « REJETÉ » inscrite par le président d’élection et contresignée par le votant.

La forme du bulletin de vote n’était pas adéquate parce que les trois postes étaient tous énumérés sur un même bulletin. Cette infraction au Règlement n’aurait pu influer sur les résultats de l’élection que si un bulletin de vote avait été rejeté comme étant détérioré dans son intégralité même s’il n’avait pas été rempli correctement en ce qui concerne un poste. Par exemple, s’il y avait un X à côté du nom d’un candidat au poste de chef, mais des crochets à côté des noms des candidats aux deux autres postes, et si ce bulletin de vote était considéré comme détérioré en entier, les résultats de l’élection au poste de chef auraient pu être modifiés par le bulletin de vote qui n’était pas adéquat.

La présidente d’élection, la directrice du scrutin et trois des scrutatrices ont témoigné au procès. La quatrième scrutatrice, Gloria Bent, n’a pas témoigné, toutefois des passages de sa déposition lors de l’interrogatoire préalable ont été lus au procès. Comme ce sont ces personnes qui décidaient si un bulletin de vote était détérioré, il est nécessaire d’examiner leurs dépositions à cet égard.

Joan Bent a témoigné que, dans chaque cas des neuf bulletins de vote déclarés détériorés, l’erreur commise par le votant qui avait eu pour effet de détériorer le bulletin de vote avait été commise de façon constante dans l’expression du suffrage aux trois postes. Joan a maintenu en contre-interrogatoire qu’il n’y avait pas eu de cas où des bulletins de vote étaient détériorés en partie au sens où un X aurait été apposé adéquatement pour un poste mais une marque inappropriée aurait été apposée pour un autre poste à la fois sur le même bulletin de vote. La déposition de Joan à cet égard concordait avec celle de Lillian Allison. Cette dernière a témoigné qu’il n’y avait pas eu de cas où des marques différentes figuraient pour des postes différents sur un même bulletin de vote : elle a dit que, lorsqu’un bulletin de vote était détérioré, le votant avait utilisé la même marque erronée sur tout le bulletin de vote. Aucune preuve n’est venue contredire les dépositions de Lillian Allison et de Joan Bent à cet égard.

Donc, bien que cette infraction au Règlement ait pu influer sur les résultats de l’élection, il ressort de la preuve qu’en l’espèce aucun des bulletins de vote n’était détérioré en partie et que, par conséquent, il n’y avait pas eu de cas où un vote exprimé correctement n’avait pas été compté. Ainsi, ce n’était pas une infraction qui aurait pu influer sur les résultats de l’élection.

D.        Infraction à l’article 6 de la partie VI : La procédure à suivre pour prêter assistance à une personne âgée n’a pas été strictement respectée.

Le fait que Mme Edward ait rempli elle-même son bulletin de vote et que la présidente d’élection l’ait déposé dans la boîte de scrutin, au lieu de la directrice du scrutin, ne constitue pas une infraction qui aurait pu influer sur les résultats de l’élection. Je suis convaincu que Mme Edward a été aidée de façon à pouvoir voter en faveur des candidats de son choix et que, par conséquent, ces quasi-infractions au Règlement n’ont pas influé sur les résultats de l’élection.

Je conclus donc qu’aucune des infractions dont on a prouvé la perpétration en rapport avec cette élection n’était une infraction qui aurait pu influer sur les résultats de l’élection et ainsi aucune ne constitue un motif d’appel.

iii.        L’une des personnes qui ont présenté leur candidature à l’élection était-elle inéligible?

Aucun élément de preuve ne viendrait étayer ce motif d’appel.

iv.        La conclusion sur les effets de ces infractions

Je conclus que la preuve n’est pas venue établir que l’un des motifs d’appel prévus dans le Règlement existe en rapport avec cette élection. Par conséquent, comme l’élection n’était pas susceptible d’appel fondé, je ne vois aucune raison de déclarer les résultats de l’élection nuls et non avenus. Cependant, avant de trancher cette question, j’examinerai les circonstances entourant la destruction par le feu des bulletins de vote, puisque cet événement a été à l’origine de beaucoup d’allégations lors du procès.

c.         Quels sont les effets de la destruction par le feu des bulletins de vote par la présidente d’élection?

Il est incontestable que, le 1er juin 1994, la présidente d’élection est allée au bureau de la BILS, a récupéré la boîte de scrutin et en a brûlé le contenu dans un incinérateur situé en arrière de la résidence de Barbara Allison. La boîte de scrutin contenait tous les bulletins de vote utilisés, les bulletins de vote non utilisés et le journal tenu par la présidente d’élection. À l’article 1 de la partie VII, le Règlement mentionne ce qui suit relativement à la destruction des bulletins de vote :

[traduction] Le président d’élection garde tous les bulletins de vote sous clé dans un endroit sûr durant les 30 jours suivant l’élection, date à laquelle les bulletins de vote peuvent être détruits si aucun appel n’est interjeté relativement à l’élection.

Le Règlement permet clairement au président d’élection de détruire les bulletins de vote, destruction qui pouvait se faire par le feu, s’il s’était écoulé 30 jours depuis l’élection et si aucun appel n’avait été interjeté. La date de la destruction des bulletins de vote par le feu, soit le 1er juin 1994, était grandement postérieure au délai de 30 jours suivant l’élection du 29 mars 1994.

L’autre condition à laquelle il fallait satisfaire est que, au moment de la destruction, aucun appel n’ait été interjeté. La question de savoir s’il y avait eu dépôt d’un appel a été une source de controverses lors du procès. Les articles du Règlement qui se rapportent aux appels et concernent cette question sont les articles 1 et 2 de la partie VIII, qui sont rédigés ainsi :

[traduction]

1.  Dans les trente (30) jours suivant une élection, tout candidat à cette élection ou tout électeur ayant voté à cette élection qui a des motifs raisonnables de croire :

a)   qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses en rapport avec l’élection;

b)   qu’il y a eu une infraction au règlement qui aurait pu influer sur les résultats de l’élection; ou

c)   qu’une personne qui a présenté sa candidature à l’élection n’était pas éligible,

peut former un appel en le transmettant par écrit et par la poste à la Commission d’appel, Administration indienne de Lower Similkameen, CP. 100, Keremeos (Colombie-Britannique) V0X 1N0.

2.   Lorsque la bande reçoit un appel, une copie de cet appel et de tous les documents à l’appui est transmise au président d’élection et à chacun des candidats à l’élection.

Rien ne prouvait qu’un appel avait été transmis par écrit, au moyen de la poste, à la Commission d’appel à l’administration de la BILS, comme l’exige l’article 1 de la partie VIII. Il a été prouvé qu’un document a été présenté au bureau de la bande par Gloria Bent personnellement le 27 avril 1994, document sur lequel on a apposé un timbre-dateur et qui a été déposé ensuite dans un tiroir, où il a été gardé sous clé par Katherine Terbasket, une secrétaire du bureau de la bande[16]. Ce fut le seul document produit au procès qui, de l’avis des défendeurs, constituait un appel. Par conséquent, si ce document ne constitue pas un appel, aucun appel ne peut être considéré comme ayant été déposé conformément au Règlement.

Après avoir examiné ce document, et compte tenu des éléments de preuve y afférents, je conclus que ce document ne constituait pas un appel formé contre l’élection conformément au Règlement. Premièrement, il n’a pas été posté à l’administration de la BILS. Deuxièmement, il n’a pas été adressé à la Commission d’appel. Troisièmement, il n’a jamais été transmis à la Commission d’appel, à la présidente d’élection ou aux candidats. En dernier lieu, qui plus est, le document ne constitue pas en soi un appel, à mon avis. Les deux premières pages du document, qui en contient trois, sont le procès-verbal d’une réunion tenue le 23 avril 1994, chez Gloria Bent. Assistait à la réunion un groupe de membres de la BILS qui se décrivent comme constituant le Comité d’action. Bien que le procès-verbal de cette réunion fasse connaître effectivement les plaintes du Comité d’action au sujet de l’élection, le document ne prétend pas interjeter appel des résultats de l’élection mais déclare plutôt les résultats nuls et non avenus et demande la tenue d’une nouvelle élection. Il ne réclame pas la révision du déroulement de l’élection par une commission d’appel. La troisième page du document porte la signature de 37 membres de la BILS à l’appui d’un jugement déclarant que l’élection est nulle et non avenue et ordonnant la tenue d’une nouvelle élection. À mon avis, la troisième page du document est de la nature d’une pétition et non pas d’un appel.

Par ces motifs, je conclus que ce document ne constituait pas un appel formé contre l’élection au sens de l’article 1 de la partie VIII du Règlement. Donc, comme il n’y a pas eu appel de l’élection, la présidente d’élection n’a pas outrepassé ses droits, énoncés à l’article 1 de la partie VII du Règlement, en brûlant les bulletins de vote le 1er juin 1994. La destruction des bulletins de vote n’a aucun effet sur la validité de l’élection.

2.   Sinon, la Cour devrait-elle déclarer l’élection de la BILS du 29 mars 1994 nulle et non avenue?

À la suite des conclusions de fait exposées ci- dessus, je suis d’avis que la demande reconventionnelle devrait être rejetée et qu’aucun jugement déclaratoire ne devrait être prononcé.

3.   Dans l’affirmative, la Cour devrait-elle rendre une ordonnance de la nature d’un mandamus en vue de la tenue d’une nouvelle élection en conformité avec le Règlement sur les élections selon les coutumes?

Compte tenu de ma conclusion selon laquelle l’élection du 29 mars 1994 était valide, il n’est pas nécessaire de trancher cette question.

V.        LES CONCLUSIONS SUR LE FOND DE L’AFFAIRE

Pour tous les motifs susmentionnés, si la Cour avait compétence, j’aurais prononcé un jugement déclarant que Barbara Allison est le chef et Pauline Terbasket est la conseillère de la BILS, car elles ont été dûment élues le 29 mars 1994, durant le présent mandat pour lequel elles ont été élues respectivement, à moins que l’une d’elles ne démissionne prématurément de son poste.

La déclaration demandait également des dommages-intérêts généraux. Puisqu’aucune preuve n’est venue établir que les demanderesses avaient subi des dommages, je n’aurais pas accordé de dommages-intérêts.

VI.       CONCLUSION

Par ces motifs, l’action des demanderesses est rejetée et la demande reconventionnelle est également rejetée parce que la Cour n’a pas compétence pour trancher les questions soulevées. Si la Cour avait eu compétence, j’aurais rejeté la demande reconventionnelle quant au fond et prononcé le jugement déclaratoire réclamé par les demanderesses dans la déclaration.

C’est avec réticence que j’ai conclu que les dépens doivent suivre l’issue de la cause. Les demanderesses devront payer aux défendeurs les dépens de l’action principale. Les défendeurs devront payer aux demanderesses les dépens de la demande reconventionnelle.



[1] L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1].

[2] Greffe de Vancouver, no C943678.

[3] [1996] A.C.F. no 556 (1re inst.) (QL).

[4] [1996] A.C.F. no 589 (1re inst.) (QL).

[5] [1986] 1 R.C.S. 752 (ci-après ITO).

[6] Ibid., à la p. 766.

[7] [1996] F.C.J. no 1113 (1re inst.) (QL) (ci-après Powderface).

[8] [1993] 3 C.F. 142 (1re inst.).

[9] Administration régionale crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1991] 2 C.F. 422 (1re inst.); conf., sans examen formel de ce point, par [1991] 3 C.F. 533 (C.A.).

[10] Canada (Commission des droits de la personne) c. Heritage Front, [1994] 1 C.F. 203 (1re inst.).

[11] [1996] 1 C.F. 804 (C.A.).

[12] Voir par ex. Searle Canada Inc. c. Novopharm Ltd. (1990), 31 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1re inst.).

[13] Robertson c. Canada, [1986] F.C.J. no 210 (1re inst.) (QL).

[14] Les allégations ci-dessous ont été modifiées afin de refléter les bons numéros d’article de la version de novembre 1985 du Règlement sur les élections selon les coutumes de la BILS, version qui s’appliquait à l’élection en cause. La défense se reportait erronément aux numéros d’article de la version antérieure du Règlement.

[15] Pièce P-5.

[16] Onglets 24 et 25 de la pièce P-1.

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