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[1996] 1 C.F. 423

A-481-93

Lois Schultz (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Schultzc. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Linden et McDonald, J.C.A. — Toronto, 18 septembre; Ottawa, 2 novembre 1995.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Appel et appel incident formés contre une décision par laquelle la C.C.I. a jugé que les contribuables étaient associés à parts égales dans une stratégie de club d’investissement et dans des opérations de couvertureLa C.C.I. avait compétence pour statuer sur l’existence d’une société de personnesL’intention d’exploiter une entreprise à titre d’associés est essentielle à l’existence d’une société de personnesLes opérations commerciales réalisées en l’espèce constituent uneentrepriseau sens de l’art. 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l’OntarioLes contribuables ont exploité une entreprise ensemble en vue de réaliser un bénéficeLe ministre a agi avecdiligenceau sens de l’art. 165(3)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu en confirmant les nouvelles cotisationsLes calculs du ministre relativement aux opérations de couverture sont valablesLe choix visé par l’art. 39(4) de la Loi n’est d’aucun secours au contribuable.

Il s’agit d’un appel et d’un appel incident formés contre un jugement par lequel la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel formé par l’appelante à l’encontre d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1983 mais a accueilli ses appels concernant des cotisations établies pour les années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987. En 1983, l’appelante et son époux, qui exerçait la profession de dentiste depuis environ dix ans et gagnait un revenu relativement élevé, ont adopté, sur les conseils d’une firme de consultants, une stratégie de club d’investissement et, plus tard, une stratégie d’opérations de couverture sur des valeurs mobilières convertibles cotées en bourse. L’objet des deux stratégies était le même : fractionner le revenu et gagner un revenu supplémentaire. Chaque série d’opérations de couverture débutait par une prise de position vendeur de la part du Dr Schultz. Les fonds réalisés grâce à la prise de position vendeur, conjugués à la garantie signée par le Dr Schultz à l’égard du compte de son épouse, permettaient la suite des opérations de couverture. Le juge de la Cour de l’impôt a décidé que les contribuables, lorsqu’ils ont effectué ces opérations, étaient liés par un contrat de société plutôt que par un mandat et que l’appelante avait déposé auprès du ministre un choix exercé pour son propre compte en vertu du paragraphe 39(4) de la Loi. Les principales questions à trancher en l’espèce consistaient à déterminer si le juge de la Cour de l’impôt avait compétence pour statuer sur l’existence d’une société de personnes et, dans l’affirmative, si une telle société existait du point de vue juridique. Trois autres questions devaient être examinées : la première consistait à déterminer si le ministre avait agi avec « diligence » en confirmant ses nouvelles cotisations à l’égard des cinq années d’imposition en cause, la deuxième consistait à savoir si les calculs effectués par le ministre à l’égard des opérations de couverture étaient exacts et la troisième question était de savoir si le juge de la Cour de l’impôt avait commis une erreur en adjugeant les dépens de l’appel à l’intimée.

Arrêt : l’appel doit être rejeté, l’appel incident doit être accueilli.

Le ministre du Revenu national n’est pas en toutes circonstances limité aux hypothèses qu’il formule lorsqu’il établit une cotisation. En l’espèce, il n’était pas empêché d’invoquer une défense subsidiaire devant la Cour canadienne de l’impôt. Il n’a pas modifié le fondement de ses cotisations, il a simplement tiré des conséquences juridiques différentes du même ensemble de faits en alléguant qu’à défaut de démontrer l’existence d’un rapport découlant d’un mandat, ces faits démontraient l’existence d’une entreprise conjointe ou d’une société de personnes. Même si on pouvait affirmer que le ministre a allégué de nouveaux « faits » en faisant valoir sa thèse subsidiaire, la jurisprudence, telle qu’elle a évolué, lui permettait de le faire, mais lui imposait le fardeau de prouver ces faits. L’intimée avait le droit d’invoquer comme moyen subsidiaire l’entreprise conjointe ou la société de personnes et, en conséquence, le juge de la Cour de l’impôt avait compétence pour étudier cette question. La conclusion du juge de la Cour de l’impôt voulant qu’il y avait une société de personnes formée des appelants et que cette société de personnes, plutôt que les appelants à titre de particuliers agissant en leur propre nom, a effectué les opérations de couverture pour les années d’imposition en cause est fondée sur la preuve. L’article 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l’Ontario définit la société en nom collectif comme la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Pour déterminer l’existence d’une société, il faut interpréter le contrat et déterminer l’intention véritable des parties compte tenu de l’ensemble des faits de l’affaire. Il faut qu’il y ait une intention de réaliser des profits, peu importe que des profits soient effectivement réalisés. Les opérations commerciales en l’espèce constituaient une « entreprise » au sens de la loi ontarienne et cette entreprise était exploitée en commun, c’est-à-dire pour le compte de l’appelante plutôt que pour le compte d’autrui. Il est important de prendre en considération le comportement des contribuables pour décider si leur société de personnes était exploitée en vue de réaliser un profit. Durant toutes les années en cause, chacun d’eux a signé une garantie générale à l’égard du compte de négociation de valeurs de l’autre, permettant ainsi qu’un crédit soit établi dans un compte pour compenser un débit dans l’autre compte afin de respecter la marge obligatoire. Les dépôts additionnels sur marge ont toujours été payés par prélèvement sur un compte bancaire conjoint appartenant aux deux appelants. C’est la prise de position vendeur initiale de la part du Dr Schultz qui permettait à son épouse de prendre sa position acheteur initiale. Ces opérations jumelées étaient interdépendantes. Les appelants exploitaient leurs comptes en tandem et de façon très coordonnée plutôt que de manière indépendante, ce qui donne à penser qu’ils ont exploité ensemble une entreprise en vue de réaliser un bénéfice.

Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis une erreur en concluant que le ministre avait agi avec « diligence » en confirmant ses nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987. Les retards importants du ministre à confirmer ses nouvelles cotisations pouvaient s’expliquer par le nombre élevé de contribuables au sujet desquels le ministre faisait enquête relativement à des opérations de clubs d’investissement et à des opérations de couverture sur des titres convertibles. Ces opérations étaient nombreuses et compliquées. L’expression « avec diligence » n’imposait pas au ministre le respect de délais déterminés, mais l’obligeait seulement, selon les circonstances particulières de l’affaire, de procéder à un examen des questions dans un délai raisonnable suivant la réception des avis d’opposition; c’est précisément ce qu’il a fait. Au surplus, les appelants auraient pu interjeter appel des nouvelles cotisations en vertu de l’alinéa 169b ) de la Loi. Quant à la question de savoir si les calculs du ministre relativement aux opérations de couverture étaient exacts et valables, il convient de faire remarquer que les pertes subies, les dépenses engagées et les gains réalisés sur les opérations de couverture en cause dans la présente espèce devraient être calculés lorsqu’une position d’une opération de couverture donnée a finalement été dénouée. L’appelante a déposé un choix qu’elle a exercé en vertu du paragraphe 39(4) en 1983 afin de réduire son fardeau fiscal. Dans son appel incident, l’intimée a prétendu avec raison que, puisque cette question est régie par le paragraphe 96(3) de la Loi, le choix de l’appelante ne lui était d’aucun secours. Il n’a pas été démontré que l’adjudication des dépens, qui relevait du pouvoir discrétionnaire du juge de la Cour de l’impôt, justifiait l’intervention de cette Cour parce que ce pouvoir discrétionnaire aurait été exercé de manière irrégulière.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 39(4) (édicté par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 16; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 18; 1985, ch. 45, art. 126), 96(3) (édicté par S.C. 1973-74, ch. 14, art. 30; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 52; 1985, ch. 45, art. 13), 152(4) (mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 84; ch. 45, art. 59; 1985, ch. 45, art. 126), 165(3)a), 169b) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58; 1984, ch. 45, art. 70), 231.2 (édicté par S.C. 1986, ch. 6, art. 121), 245(1).

Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1990, ch. P.5, art. 1(1), 2, 3.

Partnership Act, 1890 (R.-U.), 53 & 54 Vict., ch. 39, s. 1(1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Johnston v. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; Wise (M.) et autres c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 169; (1985), 86 DTC 6023 (C.A.F.); Northern Sales (1963) Ltd. c. MRN, [1973] CTC 239; (1973), 73 DTC 5200 (C.F. 1re inst.); Robert Porter & Sons Ltd. v. Armstrong, [1926] R.C.S. 328.

DÉCISION EXAMINÉE :

Gardner (John) and Bowring, Hardy and Company, Limited v. Commissioners of Inland Revenue (1930), 15 T.C. 602 (C. Sess. Éc.).

DÉCISIONS CITÉES :

M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., [1964] C.T.C. 294; (1964), 64 DTC 5184 (C. de l’É.); Brewster, N C c. La Reine, [1976] CTC 107; (1976), 76 DTC 6046 (C.F. 1re inst.); Tobias (D) c. La Reine, [1978] CTC 113; (1978), 78 DTC 6028 (C.F. 1re inst.); McLeod (C.) c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 433; (1990), 90 DTC 6281 (C.F. 1re inst.); Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 2306; (1993), 93 DTC 298 (C.C.I.); Adam v. Newbigging (1888), 13 App. Cas. 308 (H.L.); Weiner v. Harris, [1910] 1 K.B. 285 (C.A.); Thrush v. Read, [1950] O.R. 276 (C.A.); LePage (A.E.) Ltd. v. Kamex Developments Ltd. et al. (1977), 16 O.R. (2d) 193 (C.A.); Smith v. Anderson (1880), 15 Ch. D. 247 (C.A.); Cox v. Hickman (1860), 11 E.R. 431 (H.L.); Fisher & Sons, In re, [1912] 2 K.B. 491; Mollwo, March & Co. v. The Court of Wards (1872), L.R. 4 P.C. 419; Marx v. Marx, [1964] R.C.S. 653; Greco (N.A.) c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2384; (1991), 91 DTC 1090 (C.C.I.); Jolicoeur, Joseph Baptiste Wilfrid v. Minister of National Revenue, [1961] R.C.É. 85; [1960] C.T.C. 346; (1960), 60 DTC 1254; Apfelbaum (H.) c. M.R.N., [1991] 1 C.T.C. 2599; (1991), 91 DTC 800 (C.C.I.); Friedberg c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 285.

DOCTRINE

Lindley & Banks on Partnership, 17th. ed. by R. C. I’Anson Banks. London : Sweet & Maxwell, 1995.

Lindley on the Law of Partnership, 13th. ed. by Ernest H. Scamell. London : Sweet & Maxwell, 1971.

Manzer, A. R. A Practical Guide to Canadian Partnership Law. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1995.

APPEL et APPEL INCIDENT formés contre un jugement par lequel la Cour canadienne de l’impôt ([1993] 2 C.T.C. 2409; (1993), 93 DTC 953 (C.C.I.)) a rejeté l’appel formé par la contribuable à l’encontre d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1983 mais a accueilli ses appels concernant des cotisations établies pour les années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987. Appel rejeté, appel incident accueilli.

AVOCATS :

Barry S. Wortzman, c.r., Martin L. O’Brien, c.r. et Donald Zaldin pour l’appelante.

Larry Olsson, c.r., Kathryn R. Philpott et Henry A. Gluch pour l’intimée.

PROCUREURS :

Zaldin & Zaldin, Toronto, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté par Lois Schultz d’un jugement en date du 5 juillet 1993 [Schultz (T.M.G.) c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 2409] par lequel la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel formé par l’appelante à l’encontre d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] (la Loi) pour l’année d’imposition 1983, a accueilli ses appels concernant des cotisations établies en vertu de la Loi pour les années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987 et a déféré les affaires au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement.

L’appel interjeté par l’appelante et l’appel incident de l’intimée ont été entendus en même temps que l’appel de l’époux de l’appelante, le Dr Thomas M. G. Schultz, et l’appel incident de l’intimée dans le dossier A-482-93 relativement à un deuxième jugement de la Cour canadienne de l’impôt portant la même date et concernant des cotisations pour les mêmes années d’imposition. Une copie des présents motifs sera versée dans ce deuxième dossier et elle en constituera dès lors les motifs.

Ci-après, l’appelante et son époux seront parfois dénommés collectivement « les appelants ».

Bien que les appels interjetés par les appelants à l’égard des années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987 aient été accueillis par la Cour canadienne de l’impôt, celle-ci ne leur a pas entièrement donné gain de cause. D’après les motifs du juge de la Cour de l’impôt, les cotisations ont été déférées au ministre pour nouvelles cotisations parce que les appelants, lorsqu’ils ont effectué les opérations décrites plus loin au cours des années en cause, étaient liés par un contrat de société plutôt que par un mandat et parce que Lois Schultz avait déposé auprès du ministre un choix exercé pour son propre compte en vertu du paragraphe 39(4) [édicté par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 16; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 18; 1985, ch. 45, art. 126] de la Loi[1]. En conséquence, à la suite de ces jugements, chacun des appelants doit faire l’objet d’une cotisation en tant qu’associé à l’égard de ces opérations et le ministre doit tenir compte du choix exercé en 1983 par Lois Schultz en vertu du paragraphe 39(4) pour établir une nouvelle cotisation relativement à son revenu pour les années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987.

EXPOSÉ DES FAITS

Voici un bref résumé des circonstances du litige. À l’automne 1983, les appelants se sont adressés ensemble à J. K. Maguire & Associates, une firme de consultants en finance et en fiscalité à Toronto. À cette époque, le Dr Schultz exerçait sa profession de dentiste depuis environ dix ans et il gagnait un revenu relativement élevé. De son côté, Lois Schultz gagnait un revenu relativement faible comme employée à temps partiel dans le cabinet de son mari. Les deux appelants, de même que J. K. Maguire, l’unique propriétaire de la firme de consultants, ont témoigné lors du procès. Le Dr Schultz a témoigné que cette consultation avait pour objet de lui permettre de gagner un revenu supplémentaire et d’effectuer un fractionnement du revenu en faveur de son épouse. M. Maguire a conseillé aux appelants d’adopter une stratégie de club d’investissement et, plus tard, une stratégie d’opérations de couverture sur des titres convertibles. En contre-interrogatoire, Lois Schultz a admis que le principe de cette stratégie consistait à [traduction] « tenter de prendre des positions compensatrices » de sorte qu’elle réaliserait des gains tandis que le Dr Schultz subirait des pertes. Voici son témoignage à ce sujet :

[traduction] Q. Mme Schultz, vous avez décrit comment vous aviez rencontré M. Maguire et aviez eu un entretien initial avec lui, et votre époux l’a expliqué également. Si je ne m’abuse, vous compreniez tous les deux le concept de base consistant à essayer d’adopter des positions compensatrices, de manière que vous-même réalisiez les gains et que votre époux prenne les pertes à sa charge.

R. Oui.

Q. C’est ce qui a été appelé le fractionnement du revenu, et l’avantage, c’était que vos propres taux d’imposition étaient moins élevés; donc, si vous pouviez vous retrouver plus ou moins avec des gains et des pertes qui, en gros, se contrebalançaient, il en découlait un avantage fiscal, car le revenu de votre époux est élevé, et le vôtre, relativement bas.

R. Oui.

Q. Ce concept s’appliquait aussi bien à la stratégie du club d’investissement qu’à la stratégie postérieure d’opérations de couverture portant sur des titres convertibles.

R. Oui.

Q. Vous compreniez cela également.

R. Oui[2].

La stratégie du club d’investissement n’a été appliquée par les appelants que durant l’année d’imposition 1983. En termes simples, il s’agissait pour le Dr Schultz de prendre une position vendeur à l’égard d’un certain nombre d’obligations du gouvernement du Canada tandis que Lois Schultz prenait simultanément une position acheteur à l’égard du même nombre d’obligations du gouvernement du Canada. Compte tenu de la décision rendue au sujet des appels des cotisations fiscales de 1983, il n’est pas nécessaire de décrire les différentes étapes franchies entre la prise de position vendeur et la prise de position acheteur. Au bout du compte, le Dr Schultz déclarait une perte qu’il déduisait d’autres revenus après avoir prétendument dénoué sa position vendeur avant la fin de l’année d’imposition 1983. Comme Lois Schultz ne dénouait pas sa position acheteur avant janvier 1984, elle déclarait le revenu et les gains afférents découlant de sa position au cours de cette année. Les appels des cotisations pour l’année d’imposition 1983 ont été rejetés pour le motif que ni le Dr Schultz ni Lois Schultz n’étaient membres d’un club d’investissement au cours de cette année d’imposition. Le juge de la Cour de l’impôt a estimé que J. K. Maguire avait effectué seul les opérations. Cette conclusion n’a pas été contestée devant la Cour.

Pour ce qui est des autres années d’imposition, il s’agissait d’opérations de couverture sur des valeurs mobilières convertibles cotées en bourse. L’objet des opérations demeurait toutefois le même : fractionner le revenu et gagner un revenu supplémentaire. Le plan exigeait que chacun des époux ouvre un compte auprès d’un courtier en valeurs mobilières de Toronto, ce qui fut fait. Chacun des appelants a signé une garantie réciproque en faveur du courtier, ce qui a permis d’abaisser la marge obligatoire. En fait, les garanties réciproques en vigueur durant les années d’imposition 1984 et 1985 garantissaient le paiement au courtier de [traduction] « toutes les dettes présentes et futures »[3], tandis que celles en vigueur durant les années d’imposition 1986 et 1987 garantissaient [traduction] « la totalité des commissions, honoraires, dépenses ou frais qui peuvent être engagés dans l’exécution de ces ordres, le paiement en votre faveur du prix d’achat ou la remise en vos mains (le cas échéant) des actions, obligations ou marchandises, et le remboursement de toute perte que vous pourriez subir sur le compte du client en raison de l’insuffisance de la marge ou autrement »[4]. En 1984 et en 1985, les appelants ont chacun signé une autorisation de négocier des valeurs qui permettait à chacun d’eux de conclure des opérations pour le compte de l’autre. Ni l’un ni l’autre des appelants n’a signé de documents semblables en 1986 ou en 1987 mais, sauf cette exception, les arrangements entre eux sont demeurés essentiellement les mêmes. Même si M. Maguire n’avait pas le pouvoir de donner au courtier des ordres d’achat ou de vente en 1984 et en 1985, il travaillait en étroite collaboration avec lui afin de trouver des stratégies de couverture pour le compte des appelants. Il pouvait conseiller les appelants et leur indiquer si, compte tenu de leur situation, certaines opérations sur des valeurs mobilières données étaient opportunes et c’est ce qu’il fit. En 1986 et en 1987, M. Maguire donnait les ordres au courtier et les appelants les confirmaient. Dans l’éventualité où les appelants ne pourraient confirmer ses ordres, M. Maguire s’était entendu avec le courtier pour faire en sorte que, sur ses instructions, les opérations de couverture puissent être effectuées sans confirmation[5].

En règle générale, chaque série d’opérations débutait par une prise de position vendeur de la part du Dr Schultz. Il en résultait un solde créditeur dans son compte sur marge auprès de la firme de courtage. Ce solde et la garantie réciproque signée par le Dr Schultz permettaient à Lois Schultz de prendre une position acheteur sans avoir à fournir la marge habituelle de 50 %. Par ailleurs, la garantie réciproque signée par Lois Schultz permettait au Dr Schultz de prendre une position vendeur sans avoir à fournir cette même marge. Comme M. Maguire l’a expliqué au cours de son interrogatoire principal, [traduction] « les courtiers savent que ce qu’une personne perd, l’autre le gagne »[6]. Lois Schultz n’avait qu’à combler la différence entre le solde créditeur du compte de son mari et le solde débiteur de son propre compte à la suite de sa prise de position acheteur. Cet écart était invariablement comblé par prélèvement sur un compte bancaire conjoint au nom des appelants comme, en fait, toute marge devant être fournie par le Dr Schultz.

Les opérations effectuées par le Dr Schultz concernaient l’achat à découvert d’actions ordinaires ou de bons de souscription d’actions. Les opérations se déroulaient toutes selon un même processus qu’illustre la première série d’opérations réalisées en 1984 avec des titres de Macmillan Inc. Le courtier devait trouver un prêteur disposant du nombre d’actions ordinaires de cette société qui devaient être vendues à découvert pour prendre ensuite le contrôle de ces actions. Afin de conclure la vente à découvert, le Dr Schultz s’engageait à payer des frais de « location » au prêteur ainsi que tout dividende auquel le propriétaire renonçait par ailleurs, de même que les honoraires du courtier. L’emprunt des actions visait à s’assurer que celles-ci seraient retournées au prêteur en temps opportun. Le jour même où le Dr Schultz prenait une position vendeur, Lois Schultz prenait une position acheteur sous forme d’une débenture du même émetteur convertible en un même nombre d’actions ordinaires que celles vendues à découvert par le Dr Schultz. Peu de temps après, Lois Schultz vendait à découvert le même nombre d’actions ordinaires au Dr Schultz qui déclarait une perte sur vente à découvert résultant de ces opérations pour l’année d’imposition 1984. À la fin de janvier 1985, Lois Schultz vendait la débenture convertible à l’égard de laquelle elle déclarait un gain. En même temps, elle couvrait sa position vendeur par rapport aux actions ordinaires pour ultérieurement déclarer une perte sur vente à découvert pour l’année d’imposition 1985.

Pour les années d’imposition 1986 et 1987, les appelants ont fait affaire avec une maison de courtage différente pour réaliser des opérations de couverture. Au cours de ces années, le Dr Schultz prenait à la fois une position vendeur et une position acheteur et il déclarait une perte lorsqu’il faisait prendre la position acheteur à Lois Schultz.

LES COTISATIONS EN LITIGE

En établissant les cotisations des appelants, le ministre a refusé de reconnaître qu’il y avait eu disposition de titres tant que la position acheteur de l’opération de couverture n’a pas été effectivement dénouée. Il s’est fondé sur l’hypothèse que Lois Schultz agissait comme mandataire du Dr Schultz et qu’en conséquence, toute perte subie ou tout gain réalisé l’était pour le compte de ce dernier et n’était déductible ou imposable qu’à l’égard de son revenu. Le ministre a en outre décidé que le Dr Schultz ne pouvait déduire les pertes puisqu’il n’y avait eu aucune disposition de titres et que, de toute manière, le Dr Schultz n’avait aucune attente raisonnable de profit à l’égard des opérations de vente à découvert. Le ministre a soutenu la même position devant la Cour canadienne de l’impôt. Subsidiairement, il a toutefois allégué que si Lois Schultz n’agissait pas comme mandataire du Dr Schultz ou comme personne désignée par lui lors des opérations de couverture, une entreprise conjointe ou une société de personnes dont les associés partageaient également les pertes et les gains découlaient de ces opérations. Le ministre a également plaidé qu’en tant qu’« associé » plutôt qu’à titre de particulier, Lois Schultz n’avait pas le droit de bénéficier du choix prévu au paragraphe 39(4).

LES CONCLUSIONS DU JUGE DE LA COUR

Le juge de la Cour de l’impôt accueille ce moyen subsidiaire lorsqu’il conclut, à la page 2423 de ses motifs :

Ainsi, la Cour conclut que, pour les années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987, M. et Mme Schultz étaient associés à parts égales dans les opérations de couverture, qu’ils partageaient à parts égales leurs profits et leurs pertes et qu’ils en avaient légalement le droit.

Par ailleurs, le juge de la Cour de l’impôt a décidé que le choix exercé par Lois Schultz en vertu du paragraphe 39(4) « doit s’appliquer à elle seulement et non à M. Schultz également, car c’était un choix personnel de sa part ». Dans son appel incident, l’intimée conteste cette conclusion. Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté les prétentions des appelants voulant que le ministre n’avait pas agi avec « diligence » au sens de l’alinéa 165(3)a) de la Loi en confirmant ses nouvelles cotisations ou que le paragraphe 245(1) était inconstitutionnel.

LES QUESTIONS EN LITIGE

Les principales questions que la Cour doit trancher consistent à déterminer si la Cour canadienne de l’impôt avait compétence pour statuer sur l’existence d’une société de personnes et, dans l’affirmative, si une telle société existait du point de vue juridique. Si nous devions conclure que le juge de la Cour de l’impôt avait compétence pour statuer sur l’existence d’une société de personnes et qu’il a à bon droit décidé qu’il existait une telle société pour les années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987, il ne serait pas nécessaire de traiter de la prétention des appelants selon laquelle le Dr Schultz avait, à titre d’associé, une attente raisonnable de profit. L’intimée l’a admis au procès comme le confirme le paragraphe 106 de sa plaidoirie écrite :

[traduction] 106. En ce qui a trait à la stratégie d’opérations de couverture sur des titres convertibles, le procureur du ministère public admet que si les rapports entre les appelants découlaient d’un mandat ou d’un contrat de société, en envisageant les deux parties de chaque opération de couverture ensemble ou collectivement, il existait une possibilité ou une attente raisonnable de profit. Par conséquent, il a été admis qu’en se fondant sur la conception du ministre, les activités pouvaient dans l’ensemble être considérées comme une entreprise ou une affaire de caractère commercial.

Si ces questions devaient être tranchées en faveur de l’intimée, il resterait néanmoins trois autres questions à régler en appel. La première est la question cruciale de savoir si le ministre a agi avec « diligence » au sens de l’alinéa 165(3)a) de la Loi en confirmant de nouveau ses cotisations à l’égard des cinq années d’imposition en cause. La deuxième consiste à déterminer si les calculs effectués par le ministre à l’égard des opérations de couverture sont valables et exacts. La troisième question est celle de savoir si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en adjugeant les dépens de l’appel à l’intimée. Il resterait à étudier la prétention formulée par l’intimée dans son appel incident selon laquelle Lois Schultz, à titre d’associée, n’aurait pas le droit de bénéficier du choix prévu au paragraphe 39(4) qu’elle a déposé auprès du ministre en 1983 à moins, naturellement, que je n’en vienne à la conclusion que les appelants ont démontré que le ministre n’a pas agi avec « diligence ».

ANALYSE

Conclusions du juge de la Cour de l’impôt

Dans sa décision, à la page 2422, le juge de la Cour de l’impôt en est arrivé aux conclusions suivantes :

Les opérations des deux Schultz avaient principalement pour objet un fractionnement du revenu, c’est-à-dire une réduction du revenu de M. Schultz, qui était élevé, visant à accroître le revenu de Mme Schultz, qui était bas. La preuve établit qu’ils effectuaient des opérations de couverture d’une manière très coordonnée. M. et Mme Schultz avaient en outre l’intention commune de réaliser un profit pour leur famille grâce à leurs opérations coordonnées. Ils croyaient que c’était possible en se fondant sur les renseignements que leur avait fournis M. Maguire. Ils croyaient également qu’ils pouvaient réaliser ce profit avant impôt et non après. M. Maguire a négligé d’inclure ses frais de consultation dans son exemple, dans lequel il y avait un droit de base relativement faible et un pourcentage substantiel de l’« impôt économisé ». Néanmoins, en utilisant l’exemple de M. Maguire concernant une opération de couverture qui rapporte un profit de 4 000 $ et en incluant ses frais, la Cour conclut qu’il était raisonnablement possible aux Schultz de réaliser un profit avant et après impôt.

À mon avis, de nombreux éléments de preuve appuient ces conclusions.

Questions concernant l’existence de la société de personnes

J’aborde en premier lieu la prétention des appelants voulant que le juge de la Cour de l’impôt n’avait pas compétence pour déterminer si les opérations de couverture effectuées au cours des années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987 l’avaient été par une société formée des deux appelants ou si elles ne constituaient pas plutôt des opérations effectuées par chacun des appelants en son propre nom. Il semble évident que, par son silence sur ce point, le juge de la Cour de l’impôt a présumé qu’il avait compétence pour statuer sur cette question.

Tout d’abord, soulignons que ni avant ni durant le procès, les appelants n’ont contesté le moyen concernant l’entreprise conjointe ou la société de personnes. Toutefois, je ne considère pas que ce défaut empêche les appelants de soulever des arguments touchant cette question.

Dans leurs avis d’appel respectifs déposés auprès de la Cour de l’impôt, les appelants contestent la thèse du ministre selon laquelle il existait un mandat en vertu duquel Lois Schultz était la mandataire de son mari relativement aux opérations de couverture. En fait, dans sa réponse à ces avis, l’intimée a admis qu’en établissant la cotisation de chacun des appelants pour les années en cause, le ministre avait considéré Lois Schultz comme la mandataire du Dr Schultz ou la personne désignée par lui. Lors de l’audience, le ministère public a admis que les cotisations pour les années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987 étaient fondées sur l’hypothèse que Lois Schultz était la mandataire de son mari et non sur l’idée que les opérations de couverture étaient effectuées par une entreprise conjointe ou une société de personnes[7].

Les appelants prétendent que le ministre ne pouvait pas modifier la base sur laquelle reposaient ses cotisations et passer ainsi de l’existence d’un mandat à celle d’une société de personnes. Selon eux, agir ainsi équivaudrait à prélever de nouvelles cotisations au-delà du délai prévu par le paragraphe 152(4) [mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 84; idem, ch. 45, art. 59; 1985, ch. 45, art. 126] de la Loi et serait préjudiciable et injuste à leur endroit.

Si je ne m’abuse, lorsqu’il établit une cotisation, le ministre n’est pas en toutes circonstances limité aux hypothèses qu’il formule. Dans l’arrêt Johnston v. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486, qui fait autorité, le juge Rand, s’exprimant au nom de la majorité, a déclaré à la page 489 :

[traduction] ... et comme l’impôt est fondé sur certains faits et certaines dispositions législatives, ce sont soit les faits en question soit l’application de la loi que l’on conteste. N’importe quel fait que détermine ou que suppose l’évaluateur ou le ministre doit donc être accepté de la façon dont ces personnes en ont traité, à moins que la partie appelante le mette en doute. Si le contribuable en l’espèce avait l’intention de contester le fait qu’il subvenait aux besoins de son épouse ... il aurait dû soulever la question dans ses actes de procédure, et il lui aurait incombé, comme à tout autre appelant, de faire la preuve que la conclusion tirée en première instance n’était pas justifiée. À cette fin, le contribuable pourrait soumettre des éléments de preuve à la Cour même s’ils n’ont pas été présentés à l’évaluateur ou au ministre, mais il lui incombait de démolir le fait fondamental sur lequel l’impôt reposait.

Depuis cet arrêt, la Cour de l’Échiquier et la Section de première instance de la Cour ont eu l’occasion de se pencher sur la place et l’importance des hypothèses formulées par le ministre dans des litiges en matière fiscale : M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., [1964] C.T.C. 294 (C. de l’É.); Brewster, N C c. La Reine, [1976] CTC 107 (C.F. 1re inst.); Tobias (D) c. La Reine, [1978] CTC 113 (C.F. 1re inst.); McLeod (C.) c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 433 (C.F. 1re inst.).

Selon moi, l’évolution de la jurisprudence en la matière n’empêche pas le ministre d’invoquer une défense subsidiaire devant la Cour canadienne de l’impôt. Il est vrai que dans sa plaidoirie, il est assujetti à certaines restrictions. Par exemple, il ne peut plaider une hypothèse subsidiaire qui aurait pour effet de modifier le fondement sur lequel reposait sa cotisation de sorte qu’il établirait une cotisation entièrement nouvelle. À mon avis, dans les affaires qui nous intéressent, le ministre n’a pas ainsi modifié le fondement de ses cotisations. Il a simplement tiré des conséquences juridiques différentes du même ensemble de faits en alléguant qu’à défaut de démontrer l’existence d’un rapport découlant d’un mandat, ces faits démontraient l’existence d’une entreprise conjointe ou d’une société de personnes. Même si on pouvait affirmer que le ministre a allégué de nouveaux « faits » faisant valoir sa thèse subsidiaire, le droit, tel qu’il a évolué, lui permet de le faire, mais lui impose le fardeau de la preuve de ces faits : Pillsbury, précité, à la page 302; Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 2306 (C.C.I.), aux pages 2310 et 2311. La même opinion est exprimée implicitement dans Wise (M.) et autres c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 169 (C.A.F.) où le juge Pratte, J.C.A., déclare, à la page 170 :

Il est établi que le Ministre avait, dans le présent cas, le fardeau d’établir l’exactitude des cotisations puisqu’il tentait de les étayer sur la foi de motifs qui différaient de ceux sur lesquels elle reposait.

Par conséquent, l’intimée avait à mon avis tout à fait le droit d’invoquer comme moyen subsidiaire l’entreprise conjointe ou la société de personnes et, en conséquence, le juge de la Cour de l’impôt avait compétence pour étudier cette question. Je ne suis pas convaincu qu’en se fondant sur ce moyen subsidiaire, le ministre a en réalité établi des cotisations entièrement nouvelles et ainsi porté préjudice aux appelants.

Il est maintenant nécessaire de se demander si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant qu’il y avait en l’espèce une société de personnes formée des appelants et que cette société de personnes, plutôt que les appelants à titre de particuliers agissant en leur propre nom, a effectué les opérations de couverture pour les années d’imposition en cause. Cette conclusion est fondée sur une analyse du droit et des faits de l’espèce. Il est à remarquer qu’il existe sans doute des cas où des époux ne devraient pas être considérés comme des associés dans une entreprise aux fins de l’impôt sur le revenu s’il est évident que chacun d’eux a agi indépendamment de l’autre. La question que nous devons trancher est celle de savoir si, dans les circonstances que révèle le dossier, le docteur et Lois Schultz ont effectué des opérations de couverture sur des titres convertibles en tant qu’associés ou en leur qualité personnelle.

L’article 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1990, ch. P.5 [en ce temps-là L.R.O. 1980, ch. 370], définit comme suit la société en nom collectif :

2. La société en nom collectif est la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Ne constitue toutefois pas une société en nom collectif, au sens de la présente loi, la relation qui existe entre les membres d’une compagnie ou d’une association constituée en personne morale par une loi générale ou spéciale en vigueur en Ontario ou ailleurs ou en application de celle-ci, ou inscrite comme personne morale aux termes d’une telle loi.

Seule la partie introductive de cet article est pertinente. Cette partie reprend textuellement la définition de société en nom collectif que renferme le paragraphe 1(1) de la Partnership Act, 1890 (R.-U.), 53 & 54 Vict., ch. 39. L’article 3 de la loi ontarienne énonce un certain nombre de règles négatives pour déterminer l’existence d’une société en nom collectif.

J’ai déjà évoqué les conclusions du juge de la Cour de l’impôt sur la question de l’existence d’une société de personnes et j’ai exprimé l’avis que la preuve appuyait ces conclusions. Il reste à trancher la question sous-jacente de savoir si, du point de vue juridique, il existait bien une société de personnes au cours des années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987. Il va sans dire que la dénégation expresse de l’existence d’une société de personnes, comme c’est le cas en l’espèce, ne suffit pas en elle-même à démontrer l’inexistence d’une société de personnes : Adam v. Newbigging (1888), 13 App. Cas. 308 (H.L.), à la page 315; Weiner v. Harris, [1910] 1 K.B. 285 (C.A.), à la page 290.

Comme l’a fait remarquer le juge Collier dans l’affaire Northern Sales (1963) Ltd. c. MRN, [1973] CTC 239 (C.F. 1re inst.), à la page 244 : « avant la Loi de 1890, le droit d’association était d’origine jurisprudentielle ... et la Loi de 1890 n’a pas introduit de changement important dans ce droit ». À la page 245, le juge Collier cite le passage suivant tiré de Lindley on The Law of Partnership, 13e éd., (Londres : Sweet & Maxwell, 1971), à la page 65 :

Comme la suite le démontrera clairement, la règle principale à suivre pour déterminer l’existence d’une société, consacrée depuis l’arrêt Cox c. Hickman, est qu’il faut interpréter le contrat et déterminer l’intention véritable des parties compte tenu de l’ensemble des faits de l’affaire. Bien que ce principe ne soit pas inscrit dans la Loi, il fait quand même partie de notre droit.

Ce même critère relatif à l’intention a été appliqué dans la décision Thrush v. Read, [1950] O.R. 276 (C.A.) et dans l’affaire LePage (A.E.) Ltd. v. Kamex Developments Ltd. et al. (1977), 16 O.R. (2d) 193 (C.A.). En l’espèce, nous ne trouvons aucune déclaration portant que les appelants avaient l’intention de faire des affaires en tant qu’associés. Toutefois, il est possible d’inférer une telle intention de l’ensemble des circonstances et plus particulièrement de la manière dont les parties se sont comportées dans l’organisation de leurs affaires et dans l’exploitation de l’entreprise en cause. Cette idée est exprimée avec la brièveté qui le caractérise par le juge Duff (plus tard juge en chef) dans l’arrêt Robert Porter & Sons Ltd. v. Armstrong, [1926] R.C.S. 328, à la page 329 :

[traduction] Une société ne peut être formée que par contrat, exprimé par déclaration expresse ou par agissements à cet effet. L’intérêt commun ne suffit pas, il faut qu’il y ait contrat.

Selon le libellé de l’article 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l’Ontario, pour qu’il y ait une société en nom collectif, il faut que deux personnes ou plus « exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice ». Selon le paragraphe 1(1) de cette loi, le mot « entreprise » s’entend notamment « d’un commerce, d’une occupation ou d’une profession ». Dans l’ouvrage Lindley & Banks on Partnership, 17e éd., (Londres, Sweet & Maxwell, 1995) l’auteur conclut à la page 8 que [traduction] « presque toute activité ou entreprise à caractère commercial ... sera considérée comme une entreprise à cette fin ». Dans l’affaire Smith v. Anderson (1880), 15 Ch. D. 247 (C.A.), à la page 258, le maître des rôles Jessel exprimait l’opinion que :

[traduction] ... tout ce qui occupe le temps d’un homme, tout ce qui retient son attention, tout ce à quoi il consacre son labeur en vue de réaliser des profits constitue une entreprise. Il s’agit d’un mot dont l’usage est largement répandu et dont la signification n’est pas définie.

À mon avis, les opérations commerciales réalisées en l’espèce constituent une « entreprise » au sens de la loi ontarienne.

Je suis également d’avis que cette entreprise a été exploitée en commun c’est-à-dire pour le compte de l’appelante plutôt que pour le compte d’autrui : Cox v. Hickman (1860), 11 E.R. 431; Fisher& Sons, In re, [1912] 2 K.B. 491.

Pour conclure à l’existence d’une société de personnes, il faut que l’entreprise ait été exploitée « en vue de réaliser un bénéfice ». Plus précisément, il faut qu’il y ait une intention de réaliser des profits, peu importe que des profits soient effectivement réalisés. Cette idée est clairement exprimée dans l’ouvrage Lindley& Banks on Partnership, précité, à la page 10 :

[traduction] L’intention de réaliser des profits (même si aucun profit n’est réalisé) se situe au cœur de la relation entre les membres d’une société. Comme l’exprimait lord Lindley :

« Une entente portant que des efforts seront déployés en vue de réaliser un bénéfice et que ce bénéfice sera partagé entre les parties à l’entente est la principale caractéristique de toute société de personnes et constitue le principal aspect commun à presque toutes les définition de ce mot ». [Notes infrapaginales omises.]

Voir également Mollwo, March & Co. v. The Court of Wards (1872), L.R. 4 P.C. 419. Un auteur a suggéré que le mot « bénéfice » aurait vraisemblablement [traduction] « son sens commercial ordinaire d’une augmentation de la valeur de l’actif ou d’un excédent du revenu sur les dépenses » (A. R. Manzer, A Practical Guide to Canadian Partnership Law (Aurora : Canada Law Book, 1995, aux pages 2 et 3). Pour les motifs explicités plus loin, je suis convaincu que la société de personnes en cause a été exploitée en vue de réaliser des profits.

Les appelants prétendent ne jamais avoir été associés et affirment au contraire qu’ils ont en tout temps agi indépendamment l’un de l’autre. Ils affirment qu’ils avaient des comptes distincts auprès de leur courtier et, que dans leurs relations avec les tiers, ni l’un ni l’autre n’avait le pouvoir de lier la société. Il est important de prendre en considération le comportement des appelants. Durant toutes les années en cause, chacun des appelants a signé une garantie générale à l’égard du compte de négociation de valeurs de l’autre, permettant ainsi qu’un crédit soit établi dans un compte pour compenser un débit dans l’autre compte afin de respecter la marge obligatoire. Les dépôts additionnels sur marge ont toujours été payés par prélèvement sur un compte bancaire conjoint appartenant aux deux appelants. Au cours des années d’imposition 1984 et 1985, chacun des appelants a signé en faveur de l’autre une autorisation écrite de négocier des valeurs mobilières pour son compte. En 1986 et en 1987, une nouvelle entente permettait au conseiller des appelants, M. Maguire, de traiter avec le courtier pour le compte de ces derniers sans autorisation préalable mais sous réserve d’une confirmation de leur part. Bien que la preuve donne à entendre qu’au cours de ces années, le courtier confirmait habituellement les instructions qu’il avait reçues avec chacun des appelants avant de procéder à l’une ou l’autre étape d’une opération de couverture, il est évident que chaque appelant comprenait que le Dr Schultz ne pouvait prendre une position vendeur que si Lois Schultz acceptait de prendre une position acheteur et vice versa. À cet égard, les comptes sur marge fonctionnaient ensemble.

D’un point de vue purement mécanique, c’est la prise de position vendeur initiale de la part du Dr Schultz qui permettait à Lois Schultz de prendre sa position acheteur initiale. Ces opérations jumelées étaient interdépendantes. Ainsi, le Dr Schultz ne pouvait s’attendre à déclarer des pertes découlant des positions vendeur qu’il avait prises à moins que Lois Schultz n’accepte de prendre et ne prenne les positions acheteur correspondantes. La preuve présentée au procès donne fortement à entendre, comme le juge de la Cour de l’impôt l’a conclu, que les appelants exploitaient leurs comptes en tandem et de façon très coordonnée plutôt que de manière indépendante. Des éléments de preuve démontrent que certains profits ont été réalisés et que les appelants s’attendaient à en réaliser davantage. À mon avis, tout ce qui précède donne fortement à penser que les appelants ont exploité ensemble une entreprise en vue de réaliser un bénéfice. C’est la conclusion à laquelle est arrivé le juge de la Cour de l’impôt qui, à titre de juge des faits, était mieux placé que la Cour pour les apprécier (voir Marx v. Marx, [1964] R.C.S. 653, le juge Martland, aux pages 654 et 655). Le juge de la Cour de l’impôt a entendu les différents témoignages y compris ceux des appelants eux-mêmes. Bien que ces derniers et leur conseiller aient nié l’existence d’une société, le juge de la Cour de l’impôt a conclu d’après leur comportement que les appelants avaient convenu et avaient l’intention d’exploiter ensemble une entreprise en vue de réaliser un bénéfice. À mon avis, d’après la preuve qui lui a été soumise, il était raisonnable pour le juge de la Cour de l’impôt d’en arriver à cette conclusion compte tenu en particulier de la façon dont les appelants menaient leurs affaires et effectuaient leurs opérations. Je retiens l’argument de l’avocat du Ministère public selon lequel chacun des appelants agissait à leur avantage commun et que l’objectif ultime consistait en l’augmentation réelle de la richesse familiale.

En résumé, une fois le plan d’ensemble élaboré par M. Maguire, il ne restait à ce dernier, aux courtiers et aux appelants qu’à veiller à son exécution. La preuve tend à démontrer qu’une fois que M. Maguire et le courtier avaient trouvé une opération de couverture potentielle, les étapes suivantes se déroulaient plutôt automatiquement—au besoin, le courtier la soumettait aux appelants qui l’approuvaient immédiatement, sauf lorsque les fonds nécessaires n’étaient pas disponibles. Aucune preuve ne tend à démontrer que l’un des appelants ait déjà refusé son approbation lorsque les fonds étaient disponibles ni que les appelants aient effectué des opérations autres que des opérations de couverture. La situation dans laquelle se trouvaient les parties ressemble en certains points à celle décrite dans l’affaire Gardner (John) and Bowring, Hardy and Company, Limited v. Commissioners of Inland Revenue (1930), 15 T.C. 602 (C. Sess. Éc.), une affaire de droit fiscal dans laquelle il s’agissait de savoir si une entente entre un importateur et exportateur de charbon et un marchand de charbon en vertu de laquelle le premier partageait avec le second les bénéfices nets réalisés sur le charbon vendu au marchand au prix coûtant équivalait à un contrat de société de personnes. En répondant à cette question par l’affirmative, le président de la Cour, lord Clyde, a souligné, à la page 610, que les ventes entre les deux parties étaient devenues :

[traduction] ... l’objet d’une opération dans laquelle les deux parties étaient intéressées et dans laquelle, une fois le plan préétabli mis à exécution et le charbon vendu par l’une d’elles, la vente n’était pas à l’avantage unique de celle-ci mais bien à l’avantage des deux parties ensemble...

La « diligence » de la part du ministre

Je passe maintenant à la question de savoir si le ministre a agi avec « diligence » en confirmant les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987. S’il ne l’a pas fait, ces nouvelles cotisations doivent être annulées. Pour cette raison, cette question est cruciale. L’alinéa 165(3)a) impose l’obligation suivante au ministre :

165. ...

(3) Dès réception de l’avis d’opposition, formulé en vertu du présent article, le Ministre doit,

a) avec toute la diligence possible, examiner de nouveau la cotisation et annuler, ratifier ou modifier cette dernière ou établir une nouvelle cotisation, ou

et en avise le contribuable par lettre recommandée.

Il est évident que des délais importants imputables au ministre se sont écoulés avant que celui-ci ne confirme ses nouvelles cotisations après le dépôt des différents avis d’opposition. Pour déterminer si le ministre a manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de la loi, il faut examiner les circonstances dans lesquelles ces retards se sont produits. Les appelants n’étaient que deux des nombreux contribuables—plus de deux cents personnes—ayant participé à des opérations de clubs d’investissement semblables au sujet desquels le ministre faisait enquête. Plus de mille contribuables au nombre desquels se trouvaient les appelants faisaient l’objet d’une enquête de la part du ministre à l’égard d’opérations de couverture sur des titres convertibles. Le ministre a dû demander à des tiers de produire des renseignements et des documents en vertu de l’article 231.2 [édicté par S.C. 1986, ch. 6, art. 121] de la Loi après que le conseiller des appelants eut fait défaut de fournir les renseignements demandés. Le ministre a proposé que les dossiers d’un certain nombre de contribuables dont les nouvelles cotisations seraient confirmées soient choisis afin de servir de causes types. Le conseiller des appelants n’a pas répondu à cette proposition. En temps opportun, le ministre a confirmé les nouvelles cotisations dans six dossiers afin que soient portées devant le tribunal six causes types représentatives. Il s’agissait des affaires « Greco et autres ». Toutefois, lorsque ces affaires ont finalement été entendues en juin 1991, l’avocat du conseiller des appelants a abandonné les arguments de droit substantiel et ne s’est fondé que sur l’argument de « diligence »[8]. Peu de temps après le prononcé du jugement dans ces affaires, le ministre a confirmé les autres cotisations dans les cas de clubs d’investissement y compris ceux des appelants.

En rejetant l’argument que les appelants veulent tirer de l’alinéa 165(3)a), le juge de la Cour de l’impôt a déclaré, aux pages 2419 et 2420 :

Étant donné les opérations compliquées auxquelles certains des courtiers eux-mêmes n’avaient jamais pris part avant de recevoir des instructions de la JKM & A ou de ses clients et le manque de réponses, Revenu Canada a évidemment eu beaucoup de mal à établir les nouvelles cotisations et à déterminer quel point de vue adopter à cet égard. Dans les « clubs d’investissement » de 1983, les paiements de comptes ont été faits sur d’autres prétendus comptes sans aucune autorisation apparente. Étant donné cette conduite de M. Maguire et prétendument de la Nesbitt, il n’est que raisonnable de la part de Revenu Canada d’avoir agi lentement et prudemment concernant l’année 1983 d’abord, puis les années ultérieures, en ce qui a trait à la multitude de clients de la JKM & A et de comptes de courtage de clients, qui portaient en l’espèce sur diverses années d’imposition de M. et de Mme Schultz et sur des positions diverses et variables à caractère de capital et de revenu[9].

Plus loin, aux pages 2420 et 2421, il conclut :

La Cour est d’avis que, dans les circonstances entourant cette affaire, l’intimée a agi avec toute la diligence possible vu la conduite de la JKM & A et la multitude de cas et de questions à examiner concernant les opérations en question dans l’affaire en instance. Les appelants avaient le droit d’interjeter appel conformément à l’article 169 après avoir déposé leur avis d’opposition et après l’expiration du délai prévu. Ce droit d’appel a été examiné à fond par le juge en chef adjoint Christie, de la Cour canadienne de l’impôt, dans l’affaire Apfelbaum (H.) c. M.R.N., [1991] 1 C.T.C. 2599, 91 D.T.C. 800 (C.C.I.), dans laquelle il a déclaré que le droit d’interjeter appel en vertu du paragraphe 169(1) est le recours de l’appelant contre tout présumé retard de l’intimé. La Cour se rallie à cette décision.

À mon avis, les appelants n’ont pas démontré que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que, dans les circonstances, le ministre avait agi avec « diligence ». Ces opérations étaient en fait nombreuses et compliquées. C’est également l’opinion qu’a exprimée le juge Mogan de la Cour de l’impôt dans l’affaire Greco précitée, lorsqu’il a souligné à la page 2387 que les questions étaient sérieuses et qu’elles « étaient d’une grande complexité ». Le juge Mogan a ajouté ce qui suit [à la page 2388] :

Tenant pour acquis que le ministre est un administrateur responsable de la Loi, qu’il ne saurait procéder à la vérification d’une opération qui semble aussi complexe que celle en l’espèce sans examiner minutieusement les dossiers qui se trouvaient dans les bureaux des parties en cause ...

Je suis également d’avis que l’expression « avec diligence » n’imposait pas au ministre le respect de délais déterminés. En fait, il a été proposé que cette expression conférait un [traduction] « pouvoir discrétionnaire que le ministre doit exercer pour la bonne administration de la Loi conformément à la raison, à la justice et aux principes de droit » (le juge Fournier dans Jolicoeur, Joseph Baptiste Wilfrid v. Minister of National Revenue , [1961] R.C.É. 85, à la page 98). À mon avis, selon cette expression, le ministre était tenu, selon les circonstances particulières de l’affaire, de procéder à un examen des questions dans un délai raisonnable suivant la réception des avis d’opposition. Je suis convaincu que c’est ce que le ministre a fait en l’espèce.

J’estime également que les appelants auraient pu interjeter appel des nouvelles cotisations en vertu de l’alinéa 169b) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58; 1984, ch. 45, art. 70] de la Loi qui dispose :

169. Lorsqu’un contribuable a signifié un avis d’opposition à une cotisation, prévu à l’article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation :

b) après l’expiration des 90 jours qui suivent la signification de l’avis d’opposition sans que le Ministre ait notifié au contribuable le fait qu’il a annulé ou ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

mais, nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté après l’expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a été expédié par la poste au contribuable, en vertu de l’article 165, portant que le Ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

Les retards imputables au ministre en ce qui a trait à la confirmation de ses nouvelles cotisations n’empêchaient pas les appelants d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt en vertu de cet alinéa. (Voir l’affaire Jolicoeur, précitée, aux pages 97 et 98.) Les appelants peuvent difficilement se plaindre de retards injustifiables de la part du ministre alors que, s’ils l’avaient voulu, ils auraient pu contester les nouvelles cotisations du ministre devant la Cour canadienne de l’impôt même s’ils n’avaient pas encore reçu de confirmation de sa part. (Voir Apfelbaum (H.) c. M.R.N., [1991] 1 C.T.C. 2599 (C.C.I.), à la page 2601.)

Calculs effectués par le ministre

En tranchant les appels, le juge de la Cour de l’impôt a déclaré, à la page 2423 :

La Cour conclut que les calculs du ministre du Revenu national fondés sur le fait que les opérations des appelants étaient conclues lorsque les deux positions avaient été adoptées sont exacts et valables et que l’on doit effectuer les calculs relatifs aux années en question en se fondant également là-dessus.

Les appelants prétendent que le ministre a commis une erreur en ne calculant pas les pertes subies et les dépenses engagées dans les opérations de couverture avant que les deux positions aient été dénouées. Je conviens avec l’avocat des appelants qu’il s’agit d’une question de temps. Les appelants invoquent l’arrêt Friedberg c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 285 pour faire valoir que les pertes subies peuvent être déduites des revenus aux fins de l’impôt sur le revenu lorsque seulement une position d’une opération de couverture est dénouée au cours d’une année d’imposition donnée. Dans cette affaire, le contribuable avait déclaré des pertes découlant de la négociation de contrats à terme sur l’or à la bourse des marchandises. Dans cette affaire, je ne trouve rien qui porte à croire que les opérations en cause concernaient une société de personnes ou que ces opérations n’avaient pas été conclues entre des personnes sans lien de dépendance. Il me semble que les pertes subies, les dépenses engagées et les gains réalisés sur les opérations de couverture en cause dans la présente espèce devraient être calculés lorsqu’une position d’une opération de couverture a finalement été dénouée. L’intimée admet que si les appelants avaient réellement dénoué une position d’une opération de couverture, il y aurait eu disposition de titres même si l’autre position était toujours maintenue. Par exemple, le ministre a accepté que des pertes soient déduites alors que les deux positions d’une opération de couverture avaient en fait été dénouées mais il a refusé de reconnaître des « pertes » sur le simple changement de position entre les appelants.

Choix exercé en vertu du paragraphe 39(4)

Comme nous l’avons vu, Lois Schultz a déposé un choix qu’elle a exercé en vertu du paragraphe 39(4) en 1983 afin de réduire son fardeau fiscal. Ce faisant, elle a décidé que chaque titre canadien qu’elle détenait serait réputé être une immobilisation. En disposant des appels, le juge de la Cour de l’impôt a conclu, à la page 2423 :

Le choix exercé par Mme Schultz selon le formulaire T123 doit s’appliquer à elle seulement et non à M. Schultz également, car c’était un choix personnel de sa part.

L’intimée conteste cette conclusion dans son appel incident. Il me semble que l’intimée a raison de prétendre que cette question est régie par le paragraphe 96(3) [édicté par S.C. 1973-74, ch. 14, art. 30; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 52; 1985, ch. 45, art. 13] de la Loi. Durant les années en cause, ce paragraphe renfermait un certain nombre de règles dont l’une prévoyait qu’un choix ou une option exercée en vertu du paragraphe 39(4) « n’est pas valide à moins ... qu’elle n’ait été signée ou faite au nom du contribuable et de toute personne qui était un membre de la société au cours de cet exercice »[10]. La preuve démontre très clairement que Mme Schultz a exercé son choix en vertu du paragraphe 39(4) personnellement. En conséquence, en calculant le revenu qu’elle avait tiré de la société de personnes pour les années en cause, ce choix ne lui est d’aucun secours. L’appel incident devrait donc être accueilli. Par souci d’équité envers les parties intéressées et le juge de la Cour de l’impôt, soulignons que le paragraphe 96(3) n’a pas été invoqué en première instance.

Adjudication des dépens en première instance

Les appelants prétendent que les dépens en première instance auraient dû leur être adjugés parce que leurs appels ont été accueillis en bonne partie puisque la thèse de l’intimée selon laquelle une relation de mandat les unissait a été rejetée. Comme la question concernant l’existence d’une société de personnes ne faisait pas partie du processus d’établissement de la cotisation et qu’elle a été soulevée pour la première fois par l’intimée dans sa réponse à l’avis d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt, les dépens auraient dû leur être accordés à eux plutôt qu’à l’intimée. Subsidiairement, ils font valoir que dans les circonstances, il n’aurait pas dû y avoir adjudication des dépens.

Il faut souligner que le Dr Schultz n’a pas réussi à faire accepter les pertes commerciales qu’il avait déclarées pour les années d’imposition en cause non plus que Lois Schultz n’a réussi à faire accepter les pertes substantielles qu’elle avait déclarées.

Je ne modifierai pas l’adjudication des dépens prononcée par le juge de la Cour de l’impôt même si les appelants ont eu en partie gain de cause puisqu’ils ont réussi à faire établir la cotisation à l’égard de leurs revenus en tant qu’associés plutôt qu’entre les mains du Dr Schultz seul pour le motif que Lois Schultz était sa mandataire. Les appelants ont également eu en partie gain de cause puisqu’ils ont réussi à convaincre le juge de la Cour de l’impôt que Lois Schultz devrait pouvoir exercer le choix visé par le paragraphe 39(4). En réalité, le fait est que les appelants ont obtenu beaucoup moins que ce qu’ils réclamaient : que les revenus et pertes soient traités aux fins du calcul du revenu en considérant que chacun d’eux agissait indépendamment l’un de l’autre. Il n’a pas été démontré que l’adjudication des dépens qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge de la Cour de l’impôt, justifie l’intervention de cette Cour parce que ce pouvoir discrétionnaire aurait été exercé de manière irrégulière. Je ne suis pas davantage convaincu que les appelants ont été privés de la possibilité de présenter des observations sur la question des dépens devant la Cour de l’impôt.

Dispositif

Je rejetterais l’appel et j’accueillerais l’appel incident avec dépens. Dans les circonstances, des dépens devraient être adjugés séparément pour l’appel et l’appel incident dans le présent dossier de même que pour l’appel et l’appel incident dans le dossier portant le numéro du greffe A-482-93.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] L’art. 39(4) dispose :

39. ...

(4) Sauf dans les cas prévus au paragraphe (5), lorsqu’un contribuable dispose d’un titre canadien dans une année d’imposition et qu’il exerce un choix, selon le formulaire prescrit, dans sa déclaration de revenu produite pour l’année en vertu de la présente Partie :

a) chacun des titres canadiens qu’il possède dans ladite année ou dans toute année d’imposition subséquente est réputé avoir été un bien en immobilisation qu’il possédait dans ces années; et

b) chaque disposition par le contribuable d’un tel titre canadien est réputée être une disposition par lui d’un bien en immobilisation.

[2] Témoignage de Mme L. Schultz, Transcription, Dossier d’appel, Annexe commune II, vol. 7, aux p. 1106, 1.24 et 1107, 1.20.

[3] Voir par exemple le cautionnement limité signé par M. T. Schultz en faveur de McLeod Young Weir en date du 24 octobre 1983, Dossier d’appel, Annexe commune I, vol. 2, à la p. 281.

[4] Voir par exemple le cautionnement illimité permanent signé par M. T. Schultz en faveur de Merrill Lynch Canada Inc. en date du 4 octobre 1986, Dossier d’appel, Annexe commune I, vol. 2, à la p. 328.

[5] Témoignage de M. Campbell, Transcription, Dossier d’appel, Annexe commune II, vol. 7, aux p. 1143, 1.14 et 1144, 1.21.

[6] Témoignage de M. Maguire, Transcription, Dossier d’appel, Annexe commune II, vol. 3, à la p. 315, ll. 16-17.

[7] Témoignage de M. Holt, Transcription, Dossier d’appel, Annexe commune II, vol. 11, aux p. 1665, 1.15 et 1668, 1.13.

[8] Voir Greco (N.A.) c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2384 (C.C.I.).

[9] L’acronyme « JKM & A » désigne J. K. Maguire & Associates.

[10] La version de ce paragraphe en vigueur durant l’année d’imposition 1984 se trouve dans les S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 52(2); la version applicable au cours des autres années d’imposition en cause se trouve dans les S.C. 1985, ch. 45, art. 13(2).

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