Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1997] 3 C.F. 497

A-176-93 (T-1450-86)

Beloit Canada Ltée/Ltd. et Beloit Corporation (appelantes) (demanderesses)

c.

Valmet-Dominion Inc. (maintenant Valmet Montréal Inc.) (intimée) (défenderesse)

A-177-93 (T-2253-86)

Beloit Canada Ltée/Ltd. et Beloit Corporation (appelantes) (demanderesses)

c.

General Electric Canada Inc. (intimée) (défenderesse)

A-179-93 (T-1268-86)

Beloit Corporation (appelante) (défenderesse)

c.

Valmet-Dominion Inc. (maintenant Valmet Montréal Inc.) (intimée) (demanderesse)

Répertorié : Beloit Canada Ltée. c. Valmet-Dominion Inc. (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac et juges Stone et Desjardins, J.C.A.—Ottawa, 17, 18, 19, 20 juin 1996 et 23 avril 1997.

Brevets Contrefaçon Appel d’un jugement de première instance concluant que (1) la vente de pièces de la presse de machines à papier en vue de leur assemblage et de leur utilisation à l’extérieur du Canada et (2) la fourniture de pièces de rechange et de services n’opèrent pas contrefaçon(1) Lorsque les éléments d’une invention sont vendus sous une forme en bonne partie unifiée et combinée en vue d’un assemblage ultérieur, la contrefaçon ne peut être évitée par une séparation des pièces qui laisse à l’acheteur la tâche de les intégrer et les assemblerLe juge de première instance a omis de prendre en compte les contrats concernant des presses complètes, et non simplement des éléments constitutifsMême si la livraison s’est faite en pièces détachées, c’est toute la presse qui a été vendue et fabriquéeLa fabrication de l’ensemble des éléments constitutifs qui sont par la suite suffisamment assemblés pour permettre de vérifier l’ajustement des pièces, constitue la « fabrication » d’une invention au sens de l’art. 44 de la Loi sur les brevets(2) La fourniture de pièces de rechange ou de services pour le fonctionnement continu des presses ne constitue pas une contrefaçon, sauf si le vendeur, sciemment, pour son propre avantage, a incité ou amené un tiers à confrefaire le brevetAucun élément de preuve n’indique que le fabricant (VDI) a participé à la décision de tierces personnes de continuer à exploiter les presses arguées de contrefaçon.

Brevets Pratique Prescription des actions, recoursAppel du jugement de première instance concluant que suivant l’art. 2261 du Code civil, certaines actions en contrefaçon étaient prescrites, et accordant des dommages-intérêts dans les autres instancesAux fins de la prescription, la contrefaçon d’un brevet constitue un délit ou un quasi-délit au regard de la loi québécoiseSuivant l’art. 2261, cette action est prescrite si elle n’est pas intentée dans les deux ans du fait générateurLe demandeur qui invoque la suspension de la prescription doit prouver qu’il ignorait les faits importants donnant lieu à la cause d’action en dépit de sa diligence raisonnableLa conclusion du juge de première instance portant que, du fait de sa connaissance des activités des intimées, le breveté était informé ou aurait dû être informé des ventes arguées de contrefaçon, n’a pas été infirmée en l’absence de preuve de diligence raisonnableLes activités antérieures de plus de deux ans au dépôt des déclarations sont prescritesLa restitution des bénéfices en vertu de l’art. 57(1)b) de la Loi sur les brevets est un recours discrétionnaireElle peut raisonnablement être refusée en cas de retard excessif et de mauvaise conduite de la part du brevetéLe juge de première instance pouvait, à sa discrétion, prendre en compte la complexité et de la durée de l’instance, le fait que ce recours entraînerait d’autres frais et d’autres retards, la bonne foi des parties responsables de la contrefaçon lorsqu’elles ont conclu des contrats au moment où la Cour déclarait le brevet invalideRecours en restitution des bénéfices inapproprié en l’espèce.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance La Cour a compétence pour accorder la restitution des bénéfices en vertu de l’art. 57(1)b) de la Loi sur les brevets et des art. 3 et 20 de la Loi sur la Cour fédéraleL’art. 57(1)b) de la Loi sur les brevets autorise expressément la Cour à ordonner le règlement de comptes dans les actions en contrefaçonL’art. 20(2) de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Section de première instance compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d’une loi fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par l’art. 20(1) relativement à un brevetLa restitution des bénéfices est une réparation d’equity.

Pratique Intérêts Appel d’un jugement de première instance accordant des intérêts simples avant et après jugement dans une action en contrefaçon de brevetL’art. 36(5) de Loi sur la Cour fédérale prévoit expressément l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par la Cour relativement à l’octroi d’intérêts avant jugementBien que l’art. 37 ne renferme pas de disposition semblable, la jurisprudence reconnaît que l’octroi d’intérêts après jugement est aussi discrétionnaireÉtant donné la reconnaissance de la bonne foi du contrefacteur, il était loisible au juge de première instance d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

Dommages-intérêts Le juge de première instance a conclu qu’il y a contrefaçon de brevet lorsque l’invention consiste en la combinaison d’anciens éléments déjà connusIl a ordonné que l’évaluation des dommages soit fondée sur les ventes de presses arguées de contrefaçon avec les autres éléments constitutifsLe breveté a droit à des dommages-intérêts évalués en fonction de la vente des éléments constitutifs non argués de contrefaçon lorsqu’il est établi que cette vente s’est faite par suite de la contrefaçon de l’élément constitutif brevetéN’ayant pas tiré de conclusion spécifique à cet égard, le juge de première instance a commis une erreur en ce qui concerne l’évaluation des dommages.

Equity Appel du jugement de première instance octroyant des dommages-intérêts au lieu de la restitution des bénéfices dans une action en contrefaçon de brevetRecours en equityLe breveté a fait valoir qu’il avait les mains nettes, et qu’il disposait donc du droit prima facie de choisir la restitution des bénéficesLe juge de première instance n’est pas lié par les maximes d’equity parce qu’il s’agit, selon l’art. 57(1)b) de la Loi sur les brevets, d’un recours subsidiaire au recours en dommages-intérêts.

Code civil PrescriptionAppel d’un jugement de première instance concluant que certaines actions en contrefaçon de brevet étaient prescrites suivant l’art. 2261 du Code civilAux fins de la prescription, la contrefaçon d’un brevet constitue un délit ou un quasi-délit au regard de la loi québécoiseSuivant l’art. 2261, cette action est prescrite si elle n’est pas intentée dans les deux ans du fait générateur.

Les présents appels et l’appel incident interjetés contre le jugement rendu dans une action en contrefaçon concernaient un brevet détenu par Beloit Corporation (Beloit U.S.) pour la presse d’une machine à papier. L’invention combinait d’anciens éléments déjà connus selon une nouvelle disposition. Beloit Canada Ltée/Ltd. (Beloit), filiale canadienne de Beloit U.S., constituée en société sous le régime des lois du Québec, était le titulaire de licence canadien. L’intimée, Valmet-Dominion Inc. (VDI), fabriquait et vendait des machines à papier au Canada et aux États-Unis. VDI a pris en charge et exécuté des contrats concernant des machines à papier qui avaient été conclus par Dominion Engineering Works (DEW), une filiale de General Electric Canada (GEC). Beloit a intenté des actions en contrefaçon contre VDI, Voith et GEC, sollicitant une déclaration portant que les revendications 1, 2 et 4 à 11 de son brevet étaient valides et avaient été contrefaites. Ces actions ont été rejetées et le brevet a été déclaré invalide, mais la Cour d’appel a accueilli les appels et renvoyé les affaires à la Section de première instance. Le juge de première instance a conclu notamment que quatre des contrats argués de contrefaçon étaient prescrits par l’article 2261 du Code civil du Bas-Canada (C.c.B.-C.); que la vente au Canada d’éléments constitutifs de l’invention brevetée constituait une contrefaçon du brevet, mais que deux contrats en cause étaient prescrits par l’article 2261; et que la fabrication et la vente de pièces en vue de leur assemblage et de leur utilisation à l’extérieur du Canada n’opéraient pas contrefaçon. Le juge de première instance a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder la restitution des bénéfices, et a plutôt ordonné que des dommages-intérêts soient adjugés à l’encontre de VDI pour les presses elles-mêmes et pour tout autre élément constitutif de machines à papier qui aurait pu être vendu avec les presses. Il a ordonné le paiement d’intérêts simples avant et après jugement. Dans un jugement modifié, il a ordonné qu’une injonction soit émise contre VDI et Voith.

Les questions en litige en appel étaient notamment de savoir (1) si la vente de pièces en vue de leur assemblage à l’extérieur du Canada opérait contrefaçon; (2) si la fourniture de pièces et de services nécessaires au fonctionnement continu des machines opérait contrefaçon; (3) si certaines demandes étaient prescrites; (4) si Beloit avait le droit prima facie de choisir la restitution des bénéfices; et (5) si le juge de première instance a commis une erreur en n’ordonnant pas le paiement d’intérêts composés avant et après jugement. Dans l’appel incident, la question était de savoir si l’évaluation des dommages-intérêts devait se limiter aux presses elles-mêmes.

Arrêt : Il convient de rejeter les appels, sauf pour ce qui est de l’appel no A-179-93, où il est déclaré que les lettres patentes canadiennes 1,020,383 (le brevet Beloit) ainsi que les revendications 1, 2 et 4 à 11 ont été contrefaites par les presses à triple pince DEW; il y a lieu de rejeter l’appel incident, sauf pour ce qui est de l’évaluation des dommages-intérêts.

(1) Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la vente de pièces en vue de leur assemblage à l’extérieur du Canada n’opérait pas contrefaçon. La vente d’un article qui n’opère pas lui-même contrefaçon d’un brevet ne constitue pas une contrefaçon même si le vendeur sait que l’acheteur achète cet article dans le but de s’en servir pour contrefaire ce brevet, sauf si le vendeur vend toutes les composantes de l’invention à un acheteur pour qu’elles soient assemblées par ce dernier. Lorsque les éléments d’une invention sont vendus sous une forme en bonne partie unifiée et combinée en vue d’un assemblage ultérieur, la contrefaçon ne peut être évitée par une séparation ou une division de pièces qui laisse à l’acheteur la simple tâche de les intégrer et les assembler. Le juge de première instance a omis de prendre en compte le fait que l’intimée GEC avait de fait vendu au Canada l’invention brevetée lorsqu’elle a signé à Montréal des contrats concernant des presses complètes, et non simplement des éléments constitutifs. Même si la livraison s’est faite en pièces détachées, c’est toute la presse que GEC a vendue et que VDI a fabriquée. Un fabricant ne peut se soustraire à sa responsabilité pour contrefaçon en démontant une machine après l’avoir assemblée. La fabrication de l’ensemble des éléments constitutifs qui sont par la suite suffisamment assemblés pour permettre de vérifier l’ajustement des pièces, constitue la « fabrication » d’une invention brevetée au sens de l’article 44 de la Loi. Ainsi, VDI a fabriqué l’invention brevetée lorsqu’elle a fabriqué les éléments constitutifs pour ensuite assembler les machines à ses ateliers de Montréal dans le but d’en vérifier le caractère fonctionnel. Le fait que les presses étaient démontées en vue de leur expédition et de leur livraison ne peut soustraire VDI à la responsabilité d’avoir fabriqué au Canada des presses qui contrefaisaient le brevet. Conclure autrement récompenserait indûment VDI pour s’être soustraite à sa responsabilité sous le régime canadien des brevets.

(2) Rien ne permet d’écarter la conclusion du juge de première instance selon laquelle VDI n’a pas contrefait le brevet en fournissant des pièces de rechange ou des services pour le fonctionnement continu des presses arguées de contrefaçon. La seule fourniture de pièces de rechange et de services ne constitue pas une contrefaçon. VDI a commis une contrefaçon seulement si elle a sciemment, pour son propre avantage, incité ou amené les acheteurs des machines arguées de contrefaçon à continuer à faire fonctionner les presses. Pour inciter ou amener une autre personne à contrefaire un brevet, on doit faire quelque chose qui conduit cette personne à le faire. Aucun élément de preuve n’indiquait que VDI a participé à la décision de ces acheteurs de continuer à exploiter les presses arguées de contrefaçon.

(3) Le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale exige l’application, en matière de prescription, des lois de la province où est survenu le fait générateur, en l’occurrence le Québec. L’article 2261 du C.c.B.-C. dispose que l’action se prescrit par deux ans dans les cas de dommages résultant de délits ou de quasi-délits. Dans les autres cas, l’article 2242 impose une prescription de trente ans. Aux fins de la prescription, la contrefaçon d’un brevet est à juste titre qualifiée de délit ou de quasi-délit au regard de la loi québécoise.

Le demandeur qui invoque la suspension de la prescription doit prouver qu’il ignorait les faits importants donnant lieu à la cause d’action en dépit de sa diligence raisonnable. Le juge de première instance a inféré que, du fait de sa connaissance des activités des intimées, Beloit était informée ou aurait dû être informée des ventes arguées de contrefaçon. Il a conclu que Beloit était au courant des activités de GEC depuis 1975 à peu près. Les appelantes n’ont produit aucun élément de preuve concernant la diligence raisonnable. Le juge de première instance ayant entendu l’ensemble de la preuve, sa conclusion n’a pas été infirmée. Étant donné que Beloit a déposé une déclaration contre VDI le 4 juin 1986 et contre GEC le 20 octobre 1986, toutes activités de ces intimées antérieures à juin 1984 et octobre 1984, respectivement, sont prescrites.

(4) La Cour a compétence pour accorder la restitution des bénéfices en vertu de l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur les brevets, qui l’autorise expressément à ordonner l’inspection ou le règlement de comptes dans une action en contrefaçon, ainsi qu’en vertu des articles 3 et 20 de la Loi sur la Cour fédérale. Le paragraphe 20(2) confère à la Section de première instance compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d’une loi fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par le paragraphe (1) relativement à un brevet d’invention. Étant donné que la restitution est une réparation d’equity, la Cour a compétence pour accorder cette réparation.

La décision d’accorder la restitution des bénéfices dans les actions intentées en matière de brevets relève d’un pouvoir discrétionnaire. Le libellé de l’article 57 de la Loi sur les brevets est clair et non équivoque. Il prévoit que le tribunal ou l’un de ses juges « peut », s’ il [le] juge à propos », accorder la restitution dans une action en contrefaçon de brevet. Si le juge refuse la restitution, il peut accorder des dommages-intérêts en vertu de l’article 55. Il existe certaines circonstances dans lesquelles la restitution des bénéfices peut raisonnablement être refusée, telles que le retard excessif et toute mauvaise conduite de la part du breveté. Le juge de première instance pouvait, à sa discrétion, prendre en compte les résultats en equity du choix de la restitution des bénéfices en fonction notamment de la complexité et de la durée de l’instance. Lorsque le demandeur a eu pleinement connaissance des actes de contrefaçon, son retard à intenter des procédures en contrefaçon constitue un motif pour lui refuser la restitution des bénéfices qu’il a choisie. Le breveté a fait valoir qu’il avait les mains nettes, et qu’il disposait donc d’un droit prima facie à cette réparation, mais le juge de première instance n’était pas lié par les maximes d’equity dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser le choix de la restitution des bénéfices, étant donné qu’il s’agit selon l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur les brevets d’un recours subsidiaire au recours en dommages-intérêts. Le jugement de la Section de première instance était valide jusqu’à son annulation et les gestes posés en fonction de celui-ci l’ont censément été de bonne foi. La bonne foi du contrefacteur constitue un élément dont le juge peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder la restitution. Le recours en restitution des bénéfices n’était pas approprié.

(5) Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en refusant d’accorder des intérêts composés, avant et après jugement. Le paragraphe 36(5) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit expressément l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par la Cour relativement à l’octroi d’intérêts avant jugement et, bien que l’article 37 ne renferme pas de disposition semblable, la présente Cour a reconnu que l’octroi d’intérêts après jugement était aussi discrétionnaire. Aucun critère juridique n’exige l’octroi d’intérêts composés avant et après jugement à un breveté qui a gain de cause dans une action en contrefaçon. Accepter cette proposition impliquerait la négation du caractère discrétionnaire de l’octroi. Le juge de première instance ayant reconnu la bonne foi des intimées, il lui était loisible d’exercer son pouvoir discrétionnaire en accordant des intérêts simples avant et après jugement, et il n’y a pas lieu d’intervenir dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

En ce qui concerne l’appel incident, le breveté a droit à des dommages-intérêts évalués en fonction de la vente des éléments constitutifs non argués de contrefaçon lorsqu’il est établi que cette vente s’est faite par suite de la contrefaçon de l’élément constitutif breveté. Les motifs du juge de première instance ne renferment pas une conclusion spécifique portant que la vente des éléments constitutifs non argués de contrefaçon des machines était liée à la vente des presses arguées de contrefaçon. Il a par conséquent commis une erreur en ordonnant que VDI paie des dommages-intérêts fondés sur les autres éléments constitutifs avec lesquels les presses ont été vendues.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte des brevets de 1869, S.C. 1869, ch. 11, art. 24.

Acte pour encourager les progrès des Arts utiles en cette Province, S.B.-C. 1824, ch. 25.

Acte pour refondre et amender les lois relatives aux patentes ou brevets d’invention en cette province, S. Prov. C. 1849, ch. 24.

An act to encourage the progress of useful arts within this Province, S.U.C. 1826, ch. 5.

Code civil du Bas-Canada, art. 17(2), 983, 1056c, 1057, 2232, 2241, 2242, 2261.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(22).

Loi sur la Cour de l’Échiquier, S.R.C. 1952, ch. 98, art. 21.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 3, 18(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 20 (mod., idem, ch. 37, art. 34), 36 (mod., idem, ch. 8, art. 9), 37 (mod., idem), 39(1).

Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1980, ch. 240, art. 45(1)(g),(h).

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 34(1), 35(1).

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 27(1), 44, 54(1), 55(1) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, s. 21; L.C. 1993, ch. 15, art. 48), 57(1), 61.

Loi sur les brevets, S.R.C. 1952, ch. 203.

Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P-4, art. 28(1), 59(1)(b), 63(1).

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 53.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 234).

Patent Law, 35 U.S.C. § 271(f) (1988).

Patent Law Amendment Act, 1852 (The) (U.K,), 15 & 16 Vict., ch. 83, art. 42.

Patent Law Amendments Act of 1984, Pub. L. No. 98-622, § 101(a), 98 Stat. 3383 (1984).

Patents Act, 1949 (U.K.), 12, 13 & 14 Geo. 6, ch. 87, art. 60.

Patents Act, 1977 (U.K.), 1977, ch. 37, art. 61.

Patents Act, 1990, No. 83, 1990 (Aust.).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Régles 337(5), 500.

Statute of Monopolies, 21 Jac. 1, ch. 3.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Windsurfing Int. Inc. c. Trilantic Corp. (1985), 7 C.I.P.R. 281; 8 C.P.R. (3d) 241; 63 N.R. 218 (C.A.F.); Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1988), 18 C.I.P.R. 1; 20 C.P.R. (3d) 1; 15 F.T.R. 240; 82 N.R. 235 (C.A.F.); autorisation de pourvoi refusée [1988] 1 R.C.S. vi; (1988), 21 C.P.R. (3d) v; 69 N.R. 80; Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy (1995), 61 C.P .R. (3d) 271; 184 N.R. 149 (C.A.F.); Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147; (1986), 75 N.S.R. (2d) 109; 31 D.L.R. (4th) 481; 186 A.P.R. 109; 34 B.L.R. 187; 37 C.C.L.T. 117; 42 R.P.C. 161; Oznaga c. Société d’exploitation des loteries et courses du Québec, [1981] 2 R.C.S. 113; (1981), 42 N.R. 7; Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; (1975), 62 D.L.R. (3d) 1; 6 N.R. 359; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (1990), 68 D.L.R. (4th) 375; [1991] 1 W.W.R. 352; 76 Alta. L.R. (2d) 289; 5 C.E.L.R. (N.S.) 1; 108 N.R. 241 (C.A.); Unilever PLC c. Proctor & Gamble Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 499; 184 N.R. 378 (C.A.F.); Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1992), 18 D.L.R. (4th) 1; 45 C.P.R. (3d) 449; 150 N.R. 207 (C.A.F.); Colonial Fastener Co. Ltd. v. Lightning Fastener Co. Ltd., [1937] R.C.S. 36; [1937] 1 D.L.R. 21; Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy (1995), 61 C.P.R. (3d) 271; 184 N.R. 149 (C.A.F.); Meters Ld. v. Metropolitan Gas Meters Ld (1911), 28 R.P.C. 157 (C.A.); AlliedSignal c. Du Pont Canada Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 417; 184 N.R. 113 (C.A.F.); Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1992), 45 C.P.R. (3d) 116 (C.A.F.); Mastini c. Bell Telephone Co. of Canada et al. (1971), 18 D.L.R. (3d) 215; 1 C.P.R. (2d) 1 (C. de l’É.); Johnson Controls Inc. c. Varta Batteries Ltd. (1984), 3 C.I.P.R. 1; 80 C.P.R. (2d) 1; 53 N.R. 6 (C.A.F.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (1994), 58 C.P.R. (3d) 359; 175 N.R. 225 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1995] 2 R.C.S. v (sur la question de l’intérêt simple par opposition à l’intérêt composé).

DÉCISION INFIRMÉE :

Reeves Brothers Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd. (1978), 43 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Deepsouth Packing Co., Inc. v. Laitram Corp., 406 U.S. 518 (1972); Paper Converting Mach. Co. v. Magna-Graphics Corp., 745 F.2d 11 (Fed. Cir. 1984); Tyburm Productions Ltd v Conan Doyle, [1990] 1 All ER 909 (Ch.D.); Def Lepp Music and Others v. Stuart-Brown and Others, [1986] R.P.C. 273 (Ch. D.); PSM International plc v. Specialised Fastener Products (Southern) Ltd., [1993] F.T.R. 113 (Patents County Ct.); Irving Refining Ltd. c. Le Conseil des ports nationaux, [1976] 2 C.F. 415 (1re inst.); Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 191 (C.F. 1re inst.); Radio Corp. & America v. Philco Corp. (Delaware), [1965] 2 R.C.É. 197; (1965), 46 C.P.R. 1; 29 Fox Pat. C. 97; conf. par [1966] R.C.S. 296; (1966), 56 D.L.R. (2d) 407; 48 C.P.R. 128; 32 Fox Pat. C. 99; Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (1994), 58 C.P.R. (3d) 359; 175 N.R. 225 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1995] 2 R.C.S. v; sur la question des éléments à examiner dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder la restitution des bénéfices; J.M. Voith GMBH c. Beloit Corp. (1989), 26 C.I.P.R. 22; 27 C.P.R. (3d) 289; 30 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.); J.M. Voith GmbH et autres c. Beloit Corp. et autre (1991), 36 C.P.R. (3d) 322; 128 N.R. 54 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1992] 1 R.C.S. viii; (1992), 40 C.P.R. (3d) v; 138 N.R. 408.

DÉCISIONS CITÉES :

Skelding v. Daly et al. (1941), 57 B.C.R. 121; [1942] 1 W.W.R. 489; 1 C.P.R. 266; 2 Fox Pat. C. 161 (C.A.); Steel Co. of Canada Ltd. c. Sivaco Wire & Nail Co. (1973), 11 C.P.R. (2d) 153 (C.F. 1re inst.); Dole Refrigerating Products Ltd. v. Can. Ice Machine Co. & Amerio Contact Plate Freezers Inc. (1957), 28 C.P.R. 32; 17 Fox Pat. C. 125 (C. de l’É); Radio Corporation of America v. Andrea, 90 F.2d 612 (2d Cir. 1937); Hewitt-Robins, Inc. v. Link-Belt Co., 371 F.2d 225 (7th Cir. 1966); Cold Metal Process Co. v. United Engineering & Foundry Co., 235 F.2d 224 (3d Cir. 1956); Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius and Bruning, [1964] R.C.S. 49; (1963), 41 C.P.R. 9; 25 Fox Pat. C. 99; Club de chasse et pêche de Chartierville inc. c. Gaudreau, [1993] R.J.Q. 1529 (C.S.); Commission des droits de la personne du Québec c. Québec (Ville de), [1986] R.J.Q. 243 (C.S.); Brisson c. Leduc, [1988] R.J.Q. 1623 (C.S.); Reading& Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (1994), 58 C.P.R. (3d) 359; 175 N.R. 225 (C.A.); Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; (1984), 10 D.L.R. (4th) 641; [1984] 5 W.W.R. 1; 29 C.C.L.T. 97; Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.), [1981] 1 R.C.S. 504; (1981), 122 D.L.R. (3d) 203; 56 C.P.R. (2d) 145; 35 N.R. 390; Re Navy League of Canada, [1927] 2 D.L.R. 184; (1927), 59 N.S.R. 212 (S.C.); Electric Fireproofing Co. of Canada v. Electric Fireproofing Co. (1910), 43 R.C.S. 182; Teledyne Indust. Ltd. c. Lido Indust. Products Ltd. (1982), 30 C.P.C. 285; 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1re inst.); Grand Trunk Pacific Railway Co. v. Dearborn (1919), 58 R.C.S. 315; 47 D.L.R. 27; [1919] 1 W.W.R. 1005; Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., [1987] 2 C.F. 373 (1986), 11 C.I.P.R. 221; 12 C.P.R. (3d) 289; 7 F.T.R. 81 (1re inst.); modifié sur un point différent [1988] 2 C.F. 305 (1987), 17 C.I.P.R. 68; 16 C.P.R. (3d) 193; 79 N.R. 305 (C.A.); R.W. Blacktop Ltd. c. Artec Equipment Co. (1991), 39 C.P.R. (3d) 432; 50 F.T.R. 225 (C.F. 1re inst.); Neilson and Others v. Betts (1871) Law Rep. 5 H.L. 1; De Vitre and Others v. Betts (1873) Law Rep. 6 H.L. 319; Aro Mfg. Co. v. Convertible Top Co., 377 U.S. 476 (1964); Formea Chemicals Ltd. v. Polymer Corp. Ltd., [1967] 1 O.R. 546; (1967), 61 D.L.R. (2d) 475; 49 C.P.R. 251; 35 Fox Pat. C. 21 (C.A.); conf. par Formea Chemicals Limited v. Polymer Corporation Limited, [1968] R.C.S. 754; (1968), 55 C.P.R. 38; 38 Fox Pat. C. 116; 69 D.L.R. (2d) 114; Sharp v. Wakefield, [1891] A.C. 173 (H.L.); Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. . 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Weingarten Brothers v. Charles Bayer & Co. (1905), 22 R.P.C. 341 (H.L.); Siddell v. Vickers (1892), 9 R.P.C. 152 (C.A.); Watson, Laidlaw and Co. v. Pott (1914), 31 R.P.C. 104 (H.L.); Weingarten Brothers v. Charles Bayer & Co. (1905), 22 R.P.C. 341 (H.L.); Szuba v. Szuba, [1951] 1 D.L.R. 387; [1950] O.W.N. 669 (H.C. Ont.); Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1994), 55 C.P.R. (3d) 433; 78 F.T.R. 86 (C.F. 1re inst.); conf. par (1995), 61 C.P.R. (3d) 271; 184 N.R. 149 (C.A.F.); Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., [1988] 2 C.F. 305 (1987), 17 C.I.P.R. 68; 16 C.P.R. (3d) 193; 79 N.R. 305 (C.A.); Automatic Coal Gas Retort Co. v. The Mayor &c. of Salford (1897), 14 R.P.C. 451 (Ch. D.); Bond v. Hopkins (1802), 1 Sch. & Lefr. 413; Hanson v. Keating (1844), 67 R.R. 1; Ductmate Industries Inc. c. Exanno Products Ltd. (1987), 15 C.I.P.R. 1115 (C.F. 1re inst.); Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), 7 C.I.P.R. 205; 8 C.P.R. (3d) 289; 64 N.R. 287 (C.A.F.).

DOCTRINE

Baker, P. V. and P. St. J. Langan. Snell’s Equity, 29th ed. London : Sweet & Maxwell, 1990.

Baudouin, J.-L. La responsabilité civile délictuelle, 3e éd. Cowansville (Qué.) : Éditions Yvon Blais, 1990.

Brisson, Jean-Maurice et André Morel. « Droit fédéral et droit civil : complémentarité, dissociation » (1996), 75 R. du B. Can. 297.

Clerk and Lindsell on Torts, 17th ed. London : Sweet & Maxwell, 1995.

Fetherstonhaugh, Frederick B. and Harold G. Fox. The Law and Practice of Letters Patent of Invention in Canada. Toronto : Carswell, 1926.

Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed. Toronto : Carswell, 1969.

Linden, Allen M. La responsabilité civile délictuelle, 5e éd. Cowansville (Qué.) : Éditions Yvon Blais, 1993.

Macklin, G. Alexander. « Relief in Intellectual Property Actions » in Patent and Trademark Institute of Canada Bulletin, Series 8, Vol. 17, February 1983.

MacOdrum, Donald H. « Entitlement to an Accounting of Profits » in Patent and Trademark Institute of Canada Bulletin , Series 8, Vol. 19, November 1983.

Mathély, Paul. « Le droit français des brevets d’invention » (1974) Journal des notaires et des avocats, Paris.

Meagher, R. P. et al. Equity : Doctrines and Remedies, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1992.

Mew, Graeme. The Law of Limitations. Toronto : Butterworths, 1991.

Murphy, J. Dwyer. « Paper Converting Machine Company v. Magna-Graphics Corporation : Increased Protection Against Making and Using Combination Patents » (1985), 34 Am. U.L.R. 761.

Watt, Stuart. « Patent Infringement : Redefining the “Making” Standard to Include Partial Assemblies » (1985), 60 Wash. L. Rev. 889.

APPELS et APPEL INCIDENT contre le jugement prononcé dans une action en contrefaçon (J.M. Voith GmbH c. Beloit Corp., [1993] 2 C.F. 515 (1993), 47 C.P.R. (3d) 448; 61 F.T.R. 161 (1re inst.). Appels rejetés sauf pour ce qui est de l’appel no A-179-93, dans lequel il a été déclaré que les lettres patentes canadiennes 1,020,383 (le brevet Beloit) ainsi que les revendications 1, 2 et 4 à 11 ont été contrefaites par les presses à triple pince DEW; appel incident rejeté, sauf pour ce qui est de l’évaluation des dommages-intérêts.

AVOCATS :

Donald J. Wright, c.r. et J. Douglas Wilson pour les appelantes (demanderesses dans les dossiers T-1450-86 et T-2253-86; défenderesse dans le dossier T-1268-86).

James D. Kokonis, c.r. et A. David Morrow pour les intimées (défenderesses dans les dossiers T-1450-86 et T-2253-86; demanderesse dans le dossier T-1268-86).

PROCUREURS :

Ridout & Maybee, Toronto, pour les appelantes (demanderesses dans les dossiers T-1450-86 et T-2253-86; défenderesse dans le dossier T-1268-86).

Smart & Biggar, Ottawa, pour les intimées (défenderesses dans les dossiers T-1450-86 et T-2253-86; demanderesse dans le T-1268-86).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour :

INTRODUCTION

Les trois présents appels interjetés par Beloit Canada Ltée/Ltd et Beloit Corporation (Beloit) concernent des parties d’un jugement et d’un jugement modifié de la Section de première instance prononcés respectivement les 16 février [[1993] 2 C.F. 515 et 25 mars 1993. L’intimée Valmet-Dominion Inc. (maintenant Valmet-Montréal Inc.) interjette appel incident. Les appels interjetés par deux anciennes intimées, J.M. Voith GmbH et Voith S.A. (ci-après Voith), ont fait l’objet d’un règlement.

Les présents appels et l’appel incident concernent un brevet détenu par Beloit Corporation (Beloit U.S.) pour la presse d’une machine à papier dont Beloit Canada Ltée/Ltd (Beloit) est le titulaire de licence canadien. Le brevet, délivré à Beloit U.S. en 1976, porte sur une disposition des rouleaux et feutres dans la presse d’une machine à papier qui crée une succession de trois pinces essoreuses rapprochées, par lesquelles passe la feuille supportée (la feuille très humide à partir de laquelle le papier est fabriqué) avant le tirage ouvert. Cette configuration améliore le procédé d’essorage dans la presse de la machine à papier, ce qui donne une feuille plus résistante, réduisant ainsi le risque de déchirure et permettant aux machines à papier de fonctionner plus rapidement. Aucun des éléments constitutifs de l’invention n’est nouveau; la triple pince est un brevet de combinaison qui réunit d’anciens éléments déjà connus selon une nouvelle disposition. Cette invention est un succès sur le plan commercial.

Les parties

L’appelante, Beloit Canada Ltée/Ltd., est la filiale canadienne de Beloit Corporation, une société américaine dont le siège social est situé à Beloit, au Wisconsin. Beloit Canada a été constituée en société sous le régime des lois du Québec et elle est titulaire de licences au Canada pour tous les brevets de Beloit U.S. Beloit Canada est le fabricant et distributeur exclusif au Canada des machines à papier visées par ces brevets.

L’intimée, Valmet-Dominion Inc. (ci-après VDI), a été constituée en société en mars 1984. Elle fabrique et vend des machines à papier au Canada et aux États-Unis. La constitution en société de VDI résulte de longues négociations entre Valmet Oy et General Electric Canada (ci-après GEC). Après sa création, VDI a pris en charge et exécuté des contrats concernant des machines à papier qui avaient été conclus par Dominion Engineering Works (ci-après DEW), une filiale de GEC. L’intimée, General Electric Canada, est une société constituée sous le régime des lois du Canada dont le siège social est situé à Toronto. En décembre 1983, DEW a fusionné avec GEC pour devenir Canadian General Electric Company Limited, laquelle a subséquemment changé sa dénomination pour celle de General Electric Canada Inc. le 1er juin 1987.

Historique du présent litige

Le 4 juin 1986, dans l’instance qui a abouti aux présents appels, VDI a initialement intenté l’action no T-1268-86 contre Beloit pour contester la validité du brevet de celle-ci à raison de connaissance et de publication antérieures, en application du paragraphe 27(1) et de l’article 61 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi)[1]. Le 24 juin 1986, Beloit a intenté l’action no T-1450-86 contre VDI, alléguant, suivant le paragraphe 57(1) de la Loi, que VDI avait contrefait son brevet. Beloit sollicitait une déclaration portant que les revendications 1, 2 et 4 à 11 de son brevet étaient valides et avaient été contrefaites, une injonction, des dommages-intérêts ou la restitution des bénéfices. Beloit faisait valoir que VDI était irrecevable, du fait de l’autorité de la chose jugée et de l’abus de procédure, à conclure à l’invalidité de son brevet ou à nier la contrefaçon étant donné qu’elle était une ayant-cause de Valmet Oy, contre laquelle Beloit avait, dans une action antérieure, obtenu un jugement déclaratoire de validité et une injonction lui interdisant de contrefaire le brevet en cause[2].

Le 6 juin 1986, Voith a intenté contre Beloit l’action no T-1350-86, contestant la validité de son brevet. À son tour, le 11 juillet 1986, Beloit a intenté contre Voith l’action no T-1607-86 par laquelle elle sollicitait une déclaration semblable à celle qu’elle demandait à l’encontre de VDI. Puis, en octobre 1986, Beloit a intenté contre GEC l’action no T-2253-86 par laquelle elle sollicitait une déclaration semblable à celles qu’elle demandait dans les actions intentées contre VDI et Voith. GEC a présenté une demande reconventionnelle par laquelle elle contestait la validité du brevet de Beloit pour les mêmes motifs que les deux autres demanderesses.

Par la voie d’une ordonnance datée du 4 octobre 1988, le juge en chef adjoint a ordonné la réunion de toutes ces instances. La Cour a recueilli une preuve par voie de commission rogatoire à Heidenheim, en Allemagne, en Suède et aux États-Unis. Le procès s’est ensuite poursuivi à Toronto en avril et en mai 1989.

Le 17 novembre 1989, la Section de première instance a rejeté les actions en contrefaçon de Beloit nos T-1450-86, T-1607-86 et T-2253-86 dirigées respectivement contre VDI, Voith et GEC, et a accueilli les actions en invalidation nos T-1268-86 et T-1350-86 intentées respectivement par VDI et Voith contre Beloit, ainsi que la demande reconventionnelle présentée par GEC. De plus, la Section de première instance a déclaré que le brevet canadien no 1,020,383 de Beloit était invalide[3]. Des appels ont été interjetés dans ces cinq actions. Par arrêt daté du 4 juin 1991, la présente Cour[4] :

1. a infirmé le jugement portant rejet de l’action en contrefaçon de Beloit, invalidation du brevet canadien no 1,020,383 et octroi des dépens à Voith, VDI et GEC;

2. a confirmé la validité du brevet canadien no 1,020,383 ainsi que des revendications 1, 2 et 4 à 12 y contenues; et

3. a renvoyé l’affaire pour la reprise du procès sur la question de la contrefaçon.

Le 19 mars 1992, la Cour suprême du Canada a rejeté les demandes d’autorisation de pourvoi de ce jugement[5].

Les actions de Beloit ont été renvoyées à la Section de première instance pour la reprise du procès. Au procès, Beloit a mis en cause les contrats suivants qui, selon elle, opéraient contrefaçon de son brevet [aux pages 529 et 530] :

1. Une machine complète sauf la caisse d’arrivée, vendue par la défenderesse GEC à Midtec Paper Corporation. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) en juin 1979. Installation de la machine à Kimberly, Wisconsin.

2. Une machine complète vendue par la défenderesse GEC à Donohue-Normick Inc. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 13 août 1980. Installation de la machine à Amos (Québec).

3. Une presse remise à neuf vendue par la défenderesse GEC à Consolidated-Bathurst Inc. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 11 juillet 1980. Installation à Shawinigan (Québec).

4. Deux machines complètes vendues par la défenderesse VDI à Klockner Stadler Hunter Ltd. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 29 avril 1983. Installation des machines au Sabah du Sud, en Malaysia.

5. Une presse avec sécherie légèrement remise à neuf, vendue par la défenderesse VDI à Great Lakes Forest Products Limited. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) en février 1985. Installation à Thunder Bay (Ontario).

6. Une machine complète sauf la sécherie vendue par la défenderesse VDI à Corner Brook Pulp & Paper Limited. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 12 septembre 1985. Installation à Corner Brook (Terre-Neuve).

7. Une machine complète vendue par la défenderesse VDI à Donohue Malbaie Inc. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 18 septembre 1985. Installation à Clermont Mill (Québec).

8. Une machine complète vendue par la défenderesse VDI à Repap N.B. Inc. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 31 janvier 1985. Installation à New Castle (Nouveau-Brunswick).

9. Une presse remise à neuf vendue par la défenderesse Voith à Canadian International Paper (Gatineau).

10. Une presse remise à neuf vendue par la défenderesse Voith à British Columbia Forest Products.

Les appels et l’appel incident concernent le jugement rendu dans l’action en contrefaçon relative à ces contrats.

A.        JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

Devant le juge de première instance, les principales questions consistaient à savoir si VDI et GEC avaient contrefait le brevet de Beloit et, dans l’affirmative, quelle réparation la Cour pouvait lui accorder.

Dans des motifs détaillés, le juge de première instance a tiré les conclusions suivantes. Premièrement, que la « grande vitesse » n’était pas un élément essentiel des revendications étant donné que la configuration à trois pinces pouvait entrer dans la conception des machines rapides comme dans celle des machines lentes. Deuxièmement, que l’action relative à cinq contrats argués de contrefaçon était prescrite par l’article 2261 du Code civil du Bas-Canada (C.c.B.-C.)[6]. Ces contrats se rapportaient à [page 535] :

1. Une machine complète sauf la caisse d’arrivée, vendue par la défenderesse GEC à Midtec Paper Corporation … juin 1979.

2. Une machine complète vendue par la défenderesse GEC à Donohue-Normick Inc… 13 août 1980.

3. Une presse remise à neuf vendue par la défenderesse GEC à Consolidated-Bathurst Inc… 11 juillet 1980.

4. Deux machines complètes vendues par la défenderesse VDI à Klockner Stadler Hunter Ltd… 29 avril 1983. Installation des machines au Sabah du Sud, en Malaysia.

Troisièmement, que le contrat conclu par GEC pour vendre ultérieurement des éléments constitutifs de presse incertains constituait une vente à d’autres au sens de l’article 44 de la Loi. Quatrièmement, que la vente au Canada d’éléments constitutifs de l’invention brevetée constituait une contrefaçon du brevet en litige; le juge ayant toutefois conclu que les deux contrats en cause (la vente par GEC à Donohue et à Consolidated-Bathurst) étaient prescrits par l’article 2261 du C.c.B.-C., il a statué que la demanderesse n’était pas recevable à recouvrer des dommages-intérêts relativement à ces contrefaçons. Cinquièmement, que la fabrication et la vente de pièces livrées au Canada en vue de leur assemblage et de leur utilisation à l’extérieur du Canada n’opéraient pas contrefaçon.

Au sujet de la question des réparations, le juge de première instance a conclu que la Cour avait compétence pour accorder la restitution des bénéfices mais que cette réparation était de nature discrétionnaire et qu’elle était accordée en fonction de critères bien connus. Étant donné que tous ces critères n’étaient pas réunis en l’espèce, il a conclu que l’octroi de dommages-intérêts constituait la réparation appropriée. Enfin, il a ordonné le versement de l’intérêt avant jugement à compter de la date à laquelle la demanderesse avait intenté son action jusqu’au 31 décembre 1990.

Se fondant sur ces conclusions, le juge de première instance a accueilli l’action de Beloit à l’égard des contrats suivants conclus par VDI et Voith [à la page 552] :

1. La presse (avec remise à neuf mineure de la sécherie) vendue par la défenderesse VDI à Great Lakes Forest Products Limited.

2. La machine (sauf la sécherie) vendue par la défenderesse VDI à Corner Brook Pulp & Paper Limited.

3. La machine vendue par la défenderesse VDI à Donohue Malbaie Inc.

4. La machine vendue par la défenderesse VDI à Repap N.B. Inc.

5. La presse remise à neuf vendue par la défenderesse Voith à Canadian International Paper (Gatineau).

6. La presse remise à neuf vendue par la défenderesse Voith à British Columbia Forest Products.

À tous autres égards, il a rejeté les actions de Beloit.

Dans un jugement modifié rendu le 25 mars 1993, le juge de première instance a notamment ordonné qu’une injonction soit émise contre VDI et Voith. En vertu de la Règle 500 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], il a renvoyé l’évaluation des dommages au protonotaire. Il a refusé d’ordonner la remise des articles contrefaits ou de traiter de la question des dépens étant donné que cette question n’avait pas été soulevée au procès. Enfin, il a étendu l’ordonnance relative aux intérêts avant et après jugement à VDI ainsi qu’à Voith.

POINTS EN LITIGE

Dans l’appel principal, les appelantes soulèvent les questions suivantes :

Le juge de première instance a-t-il omis d’appliquer les critères juridiques appropriés et a-t-il mal apprécié la preuve lorsque :

i) il a refusé de reconnaître à Beloit le droit prima facie de choisir de demander la restitution des bénéfices réalisés par les intimées par suite de la contrefaçon par elles de son brevet, en l’absence de toute justification tirée de la loi ou de l’equity;

ii) il a rejeté les demandes dirigées contre VDI relativement aux machines destinées au Sabah du Sud ainsi que toutes les demandes dirigées contre GEC au motif qu’elles étaient prescrites;

iii) il a rejeté les demandes concernant la contrefaçon relativement à certaines machines vendues et fabriquées au Canada au motif qu’elles avaient été assemblées à l’extérieur du Canada;

iv) il a rejeté les demandes dirigées contre VDI pour contrefaçon du fait d’avoir fourni des pièces, des services, des renseignements et l’aide nécessaires au fonctionnement continu des presses à triple pince DEW des anciens clients de GEC au motif que Beloit n’avait pas établi que ces clients connaissaient l’existence de son brevet ou que VDI les avait en fait incités ou amenés à contrefaire ce brevet;

v) il a omis d’accorder des jugements déclaratoires indiquant quelles revendications avaient été contrefaites; une injonction précisant les personnes visées et les activités interdites; une ordonnance prévoyant les intérêts composés avant et après jugement ainsi qu’une ordonnance relative aux dépens.

Pour sa part, dans le cadre de l’appel incident, l’intimée VDI soulève les questions suivantes :

i) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en ne rejetant pas l’action en contrefaçon dirigée contre VDI au motif que celle-ci n’avait pas commis de contrefaçon parce que les revendications se limitaient aux presses à grande vitesse et qu’il s’agit d’une limite qui ne prête pas à interprétation ou qui, si elle s’y prête, ne s’applique à aucune des presses de VDI en cause?

Ou, subsidiairement :

ii) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en ne concluant pas que la restitution des bénéfices réalisés par la défenderesse ne constitue pas une réparation dont la demanderesse peut se prévaloir dans une action en contrefaçon de brevet?

iii) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en ordonnant que des dommages-intérêts soient adjugés à l’encontre de VDI pour les presses elles-mêmes et pour tout autre élément constitutif de machines à papier qui aurait pu être vendu avec les presses?

ANALYSE

1.         Interprétation du brevet

Nous estimons qu’il est utile de traiter d’abord de l’allégation contenue dans l’appel incident de l’intimée VDI selon laquelle le juge de première instance a commis une erreur d’interprétation du brevet.

Dans son appel incident, VDI allègue que le juge de première instance a commis une erreur dans son interprétation du brevet. Plus précisément, elle fait valoir que le juge de première instance n’a pas tenu compte de l’interprétation de la présente Cour qui considère la « grande vitesse » comme un élément essentiel des revendications. VDI fait aussi valoir que le juge de première instance a également commis une erreur en ne concluant pas que le brevet est ambigu à l’égard de la grande vitesse. Subsidiairement, VDI dit que même si les mots « grande vitesse » ne sont pas ambigus, le brevet est inapplicable.

En début d’analyse, il est utile de se reporter au libellé de la revendication no 1 et de l’examen fait par la présente Cour de l’interprétation du brevet. Voici la revendication no 1 du brevet[7] :

1. Un mécanisme de presse pour extraire l’eau d’une bande fibreuse en déplacement, formée dans le formeur d’une machine comprenant la combinaison d’éléments suivants :

un premier et un deuxième rouleaux forment entre eux une première pince;

un troisième rouleau forme, avec le premier rouleau, une deuxième pince;

un quatrième rouleau forme, avec le troisième rouleau, une troisième pince;

un premier feutre porteur de la feuille de papier reçoit la feuille du formeur et la fait passer par la première pince suivant le premier rouleau, et ensuite par la deuxième pince avant de s’en séparer et de laisser la feuille de papier suivre le troisième rouleau, après ladite deuxième pince, et passer par la troisième pince; un deuxième feutre passe par la première pince du côté de la feuille de papier opposée au premier feutre; et

un troisième feutre qui passe par la troisième pince avec la feuille.

Abordant la question de l’interprétation du brevet, le juge Mahoney, J.C.A., a d’abord souligné, à la page 337 de (1991), 36 C.P.R. (3d) 322[8], que le juge de première instance [(1989), 26 C.I.P.R. 22] avait « adopté l’interprétation donnée par la décision Valmet, à la page 292, de la revendication no 1 » et il a ensuite cité le passage suivant des motifs du juge de première instance :

Ce qui est revendiqué comme étant novateur et inventif dans la conception Tri-Nip est la combinaison d’éléments déjà connus dans la conception d’une presse à grande vitesse comprenant :

1. Trois pinces essoreuses avant le premier tirage ouvert;

2. Une première pince à deux feutres;

3. Un feutre de levage qui passe par les deux premières pinces sans transfert de la feuille entre celles-ci;

4. Les première et deuxième pinces sur un rouleau commun (R1); et

5. Les deuxième et troisième pinces sur un rouleau commun (R3).

Le juge Mahoney a ensuite fait remarquer ce qui suit :

Le juge de première instance note à juste titre … que « (la) vitesse de la machine, même s’il en est question dans la divulgation du brevet, ne fait l’objet d’aucune mention particulière dans les revendications en cause. » [Note de bas de page omise.]

Le juge Mahoney a ensuite examiné la question de savoir si le brevet avait été devancé par une publication antérieure de M. Christian Schiel (le mémoire Schiel). Il a infirmé la décision du juge de première instance et conclu que le mémoire Schiel ne devançait pas l’invention en cause. Il a estimé que ce mémoire ne mentionnait l’invention en cause qu’à l’égard du traitement des papiers à faible et à haute teneur en cendres. À la page 340, le juge Mahoney a écrit ceci :

Les autres paragraphes cités du mémoire Schiel sont au mieux ambivalents pour ce qui est de recommander une première presse à double feutre. Le papier journal est fabriqué par des machines à grande vitesse. Sa production, selon la conclusion de l’arrêt Valmet qui n’est pas contestée en l’espèce, est « l’application la plus courante de l’invention en cause » 

Un examen impartial du mémoire Schiel, sans le secours de témoignages oraux inadmissibles, oblige à conclure que son auteur n’envisageait nullement la possibilité qu’un montage à trois pinces, dont la première est à double feutre, pût être utilisée dans une section de presse à grande vitesse. Ces éléments essentiels de la revendication no 1 du brevet, celle sur laquelle reposent toutes les autres revendications, ne sont pas révélés par le mémoire Schiel. On ne saurait dire que ce dernier renferme « des instructions d’une telle clarté qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée ». Le mémoire Schiel n’était pas une description antérieure du brevet Beloit. [Non souligné dans l’original.]

Nous ne pouvons souscrire à l’argument de VDI selon lequel la présente Cour a interprété la revendication no 1 différemment du juge de première instance [(1989), 26 C.I.P.R. 22]. La Cour s’est spécifiquement reportée à la conclusion du juge de première instance selon laquelle la [à la page 31] « vitesse de la machine, même s’il en est question dans la divulgation du brevet, ne fait l’objet d’aucune mention particulière dans les revendications en cause » et l’a approuvée. L’examen subséquent de l’exploitation du brevet dans une presse à grande vitesse s’inscrit dans un contexte où la Cour a souligné, en parlant de Valmet, que [à la page 29] « l’application la plus courante de l’invention en cause » (non souligné dans l’original) concernait les machines à grande vitesse. Dans son examen, la Cour n’a jamais dit que la « grande vitesse » était un élément essentiel de la revendication, non plus qu’elle n’a dit que le juge de première instance avait commis une erreur d’interprétation du brevet en ne considérant pas la « grande vitesse » comme un élément constitutif. Par conséquent, nous concluons que le juge de première instance a estimé à juste titre que la présente Cour n’avait pas interprété la revendication no 1 comme incluant la « grande vitesse » au nombre de ses éléments. Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’aborder les autres arguments de VDI concernant la « grande vitesse ».

2.         Contrefaçon

Deux questions ont été soulevées au sujet de la contrefaçon. Premièrement, le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que la vente de pièces en vue de leur assemblage à l’extérieur du Canada n’opérait pas contrefaçon et, deuxièmement, a-t-il commis une erreur en concluant que la fourniture de pièces de rechange, de services, de renseignements et d’aide aux clients équivalait à de la contrefaçon? Nous traiterons séparément de chacune de ces questions.

a)         Assemblage à l’extérieur du Canada

L’une des questions qui a fait l’objet d’un débat devant nous consistait à savoir si la fabrication et la vente de pièces de rechange livrées en vue de leur assemblage et de leur utilisation à l’extérieur du Canada constituaient une contrefaçon du brevet des appelantes[9].

Cette question se pose au sujet des presses à triple pince DEW fabriquées par l’intimée VDI et vendues par GEC au Sabah du Sud, en Malaysia. Toutefois, étant donné que cette vente par GEC a été conclue avant l’expiration du délai de prescription de deux ans[10], nous estimons qu’il n’est nécessaire de prendre en compte que les activités de fabrication de VDI.

Le juge de première instance a conclu que, bien qu’il puisse y avoir eu assemblage préalable de certaines pièces de l’ensemble de la presse des machines, l’usage général consistait à assembler les machines au lieu où se trouvait l’acheteur. Il a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel l’arrêt Windsurfing Int. Inc. c. Trilantic Corp.[11] s’appliquait à l’espèce parce que, dans cette affaire, la contrefactrice avait vendu des pièces détachées de l’invention au Canada. Il a estimé qu’étant donné que le brevet de Beloit était une invention qui combinait des éléments anciens déjà connus en une nouvelle configuration, la seule protection que l’article 44 de la Loi lui assurait se limitait à la réunion de ces pièces d’une manière inédite et innovatrice qui constituait l’essentiel de son invention. Les éléments détachés de l’invention n’étaient pas protégés. Par conséquent, il a conclu que pour être considérées comme ayant contrefait le brevet de Beloit, les intimées devaient avoir vendu les éléments constitutifs de l’invention en vue de leur utilisation et de leur assemblage au Canada ou encore avoir elles-mêmes assemblé ces pièces de la manière décrite dans les revendications du brevet à l’intérieur des frontières du pays pour exporter plus tard le produit fini. Comme il ressortait de la preuve que tel n’était pas le cas, le juge de première instance a conclu que les contrats en cause n’opéraient pas contrefaçon au sens des lois canadiennes sur les brevets. Pour ce faire, il s’est fondé sur l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis Deepsouth Packing Co., Inc. v. Laitram Corp.[12]. Nous ne pouvons souscrire à la conclusion du juge de première instance pour les motifs suivants.

Bien que la notion de contrefaçon ne soit pas définie dans la Loi, la jurisprudence canadienne la définit comme tout acte qui entrave la pleine jouissance du monopole octroyé au breveté[13]. Ce monopole consiste dans le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer l’invention, de la construire, de l’exploiter et de la vendre à d’autres en vue de son exploitation. L’article 44 de la Loi dispose :

44. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou nom de l’invention, avec renvoi au mémoire descriptif, et accorde, sous réserve des conditions prescrites dans la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée y mentionnée, à partir de la date de la concession du brevet, le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent.

La défense des intimées repose partiellement sur leur prétention qu’elles n’ont pas vendu l’invention brevetée mais plutôt des éléments constitutifs fabriqués pour une presse en vue de son assemblage et de son utilisation à l’extérieur du Canada. La presse à triple pince de Beloit constitue un brevet de combinaison dans lequel la nouveauté résulte de l’idée de réunir différents éléments essentiels, tous antérieurement connus, selon une organisation particulière. Les intimées prétendent que la simple fabrication, utilisation ou vente des éléments constitutifs qui seront ensuite réunis n’est pas interdite lorsque le brevet se limite à la combinaison elle-même.

Il est bien établi que la vente d’un article qui n’opère pas lui-même contrefaçon d’un brevet ne constitue pas une contrefaçon même si le vendeur sait que l’acheteur achète cet article dans le but de s’en servir pour contrefaire ce brevet[14]. Toutefois, dans Beloit Canada Ltée/Ltd.[15], le juge Pratte, J.C.A., a statué que cette règle comportait deux exceptions :

a) si le vendeur, seul (Windsurfing International Inc. c. Trilantic Corp. (1985), 7 C.I.P.R. 281, 8 C.P.R. (3d) 241, 63 N.R. 218 (sub nom. Windsurfing International Inc. c. Big Sports Inc.), motifs de jugement additionnels (1986), 8 C.P.R. (3d) 270 (C.A.F.)) ou en association avec une autre personne (Incandescent Gas Light Co. v. New Incandescent Mantle Co. (1898), 15 R.P.C. 81), vend toutes les composantes de l’invention à un acheteur pour qu’elles soient assemblées par ce dernier; et

b) si le vendeur, en toute connaissance de cause et dans un but personnel, incite ou amène l’acheteur à contrefaire le brevet (Slater Steel Industries Ltd. v. R. Payer Co. (1968) 38 Fox Pat. C. 139, 55 C.P.R. 61 (C. de l’É.)).

Cette deuxième exception ne s’applique pas en l’espèce. Une personne qui, à l’extérieur du Canada, fabrique, construit, exploite ou vend l’invention ne contrefait pas le brevet canadien[16]. Par conséquent, la construction d’un brevet de combinaison à l’étranger ne constitue pas une contrefaçon et ne peut donc donner lieu à une complicité de contrefaçon au pays.

Le présent examen doit donc porter sur la question de savoir si les agissements des intimées au pays constituent une contrefaçon. En fabriquant et en vendant des pièces constitutives de la presse brevetée, les intimées ont-elles fabriqué, construit, exploité ou vendu l’invention brevetée au Canada?

Le juge de première instance s’est fondé sur l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis Deepsouth Packing Co., Inc. v. Laitram Corp.[17] pour conclure que les intimées n’avaient pas contrefait le brevet. Dans cet arrêt, la Cour a statué, sur division, que la vente d’éléments constitutifs d’un brevet de combinaison dans le but avoué de faire combiner les pièces par l’acheteur dans un État étranger ne violait pas les lois américaines en matière de brevet. Dans sa décision, la Cour a défini la « fabrication »[18] comme un état d’assemblage fonctionnel final.

Toutefois, il semblerait que l’arrêt Deepsouth ne représente pas l’état actuel du droit américain en matière de brevets de combinaison. En fait, la Patent Law Amendments Act of 1984[19] a eu pour effet d’écarter la décision rendue dans Deepsouth en établissant que le fait de fournir aux États-Unis ou à partir de ce pays l’ensemble ou une partie importante des éléments constitutifs d’une invention brevetée pour favoriser la combinaison des éléments à l’étranger constitue un acte de contrefaçon. De cette façon, le Congrès américain a grandement limité la possibilité de profiter de la territorialité des lois sur les brevets par la fabrication et la vente d’éléments constitutifs d’un produit breveté en pièces détachées.

De plus, dans la décision Paper Converting Mach. Co. v. Magna-Graphics Corp.[20], la Cour de circuit fédérale a rejeté la norme classique d’assemblage fonctionnel de l’arrêt Deepsouth aux fins de déterminer en quoi consiste la « fabrication » d’une invention brevetée. La Cour l’a remplacée par une norme plus souple qui inclut les assemblages partiels ne pouvant servir qu’à contrefaire un brevet. En outre, cette Cour a statué que la mise à l’épreuve d’un sous-assemblage suffit à violer les droits du breveté. L’arrêt Paper Converting Mach. donne une interprétation si restrictive de l’arrêt Deepsouth que plusieurs commentateurs juridiques ont prétendu que ce dernier avait été dépouillé de toute autorité[21].

Dans d’autres affaires américaines, il a été statué que bien que seul un assemblage fonctionnel final puisse contrefaire un brevet de combinaison, tout assemblage semblable, aussi provisoire soit-il, constituait de la « fabrication » et toute mise à l’épreuve de l’assemblage constituait une exploitation[22].

La jurisprudence canadienne n’aborde pas la question des pièces détachées, sauf dans Windsurfing Int. Inc. c. Trilantic Corp.[23]. Dans cette affaire, la demanderesse avait intenté une poursuite en contrefaçon de son brevet de combinaison portant sur des planches à voile. Les planches à voile de la défenderesse étaient vendues au Canada en pièces détachées. Toutefois, toutes les pièces vendues par la défenderesse, une fois assemblées, contrefaisaient les revendications du brevet de combinaison. Le juge Urie, J.C.A., a statué que la défenderesse avait incité les acheteurs à la contrefaçon parce qu’il ressortait des faits que l’intimée savait et voulait que l’acheteur ultime se serve des pièces de planche à voile pour l’assemblage d’une planche fonctionnelle qui, une fois assemblée, contreferait le brevet des appelantes. De cette manière, la défenderesse était devenue partie à la contrefaçon.

Bien que les défenderesses aient, dans Windsurfing, été tenues responsables d’avoir incité des tiers à la contrefaçon, le juge Urie, parlant au nom de la Cour, a aussi dit ce qui suit au sujet de la vente de pièces détachées[24] :

En l’espèce, la contrefaçon des éléments de l’invention n’a jamais été alléguée. Ils sont reconnus comme étant anciens. Ce qui constitue l’invention, c’est la combinaison de vieux composants ou éléments. Il est clair que l’intimée ne vend pas des pièces. Elle vend des pièces dans le but de constituer une planche à voile. Sans l’assemblage, il ne peut y avoir de planche à voile. Sans assemblable, l’achat des pièces disjointes n’a aucun sens puisque, disjointes, elles ne peuvent être utilisées à la fin pour laquelle elles sont achetées, à savoir faire de la voile. À mon avis, la proposition voulant qu’on puisse éviter une action en contrefaçon de brevet en vendant des pièces formant un ensemble plutôt qu’en vendant ces pièces assemblées est absurde et erronée.

C’est là, à notre avis, la bonne méthode à appliquer en ce qui concerne la fabrication et la vente de l’ensemble des éléments constitutifs d’une invention brevetée. Lorsque les éléments d’une invention sont vendus sous une forme en bonne partie unifiée et combinée en vue d’un assemblage ultérieur, l’action en contrefaçon ne peut être évitée par une séparation ou une division de pièces qui laisse à l’acheteur la simple tâche de les intégrer et les assembler.

En l’espèce, le juge de première instance a conclu que lorsque les intimées ont expédié les pièces détachées à l’extérieur du pays, elles n’avaient pas fabriqué, construit, exploité ou vendu à d’autres, au Canada, l’invention des appelantes. Il en est venu à cette conclusion parce que les intimées n’avaient pas vendu les éléments constitutifs de l’invention en vue de leur utilisation et de leur assemblage au Canada, non plus qu’elles n’avaient assemblé les machines elles-mêmes et exporté ultérieurement le produit fini.

À notre avis toutefois, le juge de première instance a omis de prendre en compte le fait que l’intimée GEC avait de fait vendu au Canada l’invention brevetée lorsqu’elle a signé à Montréal des contrats concernant des presses complètes, et non simplement des éléments constitutifs. L’aveu suivant a été produit au procès[25] :

[traduction] 17. Après la délivrance du brevet de Beloit, GEC a … conclu un contrat au Canada pour la vente à la South Sabah, en vue de l’assemblage et de l’utilisation en Malaysia, de presses de machine à papier appelées presses à triple pince qui comportent les éléments constitutifs appelés ci-dessus presses Trip Nip.

Après que GEC eut cessé toutes ses activités relatives aux presses à triple pince, VDI a entrepris de poursuivre ces activités, y compris toutes obligations découlant du contrat de vente de deux presses à triple pince complètes à Klockner Stadler Hunter Ltd. L’aveu suivant a été produit au procès[26] :

[traduction] 18. Le 28 avril 1984, GEC a cessé toutes ses activités relatives aux triples pinces DEW et VDI a poursuivi ces activités. VDI a fabriqué au Canada les éléments constitutifs de la triple pince DEW pour la South Sabah.

Ainsi, GEC a vendu à Klockner Stadler Hunter Ltd. deux machines complètes, lesquelles ont été fabriquées et livrées par VDI et que cette dernière a plus tard installées au Sabah du Sud, en Malaysia.

Même si la livraison s’est faite en pièces détachées, c’est toute la presse que GEC a vendue et que VDI a fabriquée. Les aveux faits au cours de l’interrogatoire, par Beloit, de Juhani Pakkala de VDI et GEC portant que les machines avaient été assemblées à des fins de vérification aux ateliers de Montréal, contiennent d’autres éléments de preuve indiquant que les intimées vendaient et fabriquaient toute la presse et non seulement des éléments constitutifs ou des pièces de celle-ci[27] :

[traduction] J. PAKKALA : R… . [les éléments constitutifs] étaient tous installés à Montréal à nos ateliers et ensuite emballés et expédiés au client.

Me WILSON : Q. Lorsque vous dites « tous installés à nos ateliers », vous les assembliez?

R. Nous les assemblions, oui.

Q. Pour voir si les pièces allaient bien ensemble et ensuite vous les démontiez pour les expédier?

R. Oui.

Q. Et c’était ce qui se faisait d’habitude pour toutes ces machines Sym-Press dont nous parlons?

R. Oui. J’ajouterais que nous n’assemblions pas toute la presse. Normalement, nous n’assemblions pas du tout les rouleaux. Par exemple, nous assemblions un des rouleaux et nous prenions un feutre pour vérifier chaque position, pour voir si ça allait bien ensemble, et nous présumions que les 25 rouleaux étaient tous identiques.

Q. Avez-vous procédé de la même façon pour les machines de la South Sabah?

R. Oui.

Un fabricant ne peut se soustraire à sa responsabilité pour contrefaçon en démontant une machine après l’avoir assemblée. À notre avis, la fabrication de l’ensemble des éléments constitutifs qui sont par la suite suffisamment assemblés pour permettre de vérifier l’ajustement des pièces, constitue la « fabrication » d’une invention brevetée au sens de l’article 44 de la Loi.

Ainsi, on peut dire que l’intimée VDI a fabriqué l’invention brevetée lorsqu’elle a fabriqué les éléments constitutifs pour ensuite assembler les machines à ses ateliers de Montréal dans le but d’en vérifier le caractère fonctionnel. Le fait que les presses étaient démontées en vue de leur expédition et de leur livraison ne peut soustraire VDI à la responsabilité d’avoir fabriqué au Canada des presses qui contrefaisaient le brevet des appelantes. Cette conclusion ne constitue pas une application extraterritoriale de la Loi, mais elle rend l’intimée VDI responsable de ses actes au pays.

Conclure autrement récompenserait indûment VDI pour s’être soustraite à sa responsabilité sous le régime canadien des brevets. Le monopole accordé par l’article 44 de la Loi ne saurait être interprété si restrictivement qu’il permette à un concurrent contrefacteur de fabriquer des éléments constitutifs et de les assembler pour en faire l’invention brevetée avant de les expédier, parce qu’il a eu la bonne idée de livrer le produit en pièces détachées.

Par conséquent, nous concluons que la fabrication par VDI des deux machines destinées au Sabah du Sud constitue une « fabrication » au sens de l’article 44 de la Loi et équivaut à une contrefaçon du brevet de Beloit.

b)         Fourniture de pièces, de services, de renseignements et aide aux clients

Dans son jugement et ses motifs modifiés datés du 25 mars 1993, le juge de première instance a rejeté l’argument des appelantes selon lequel VDI avait participé à la contrefaçon parce qu’elle avait fourni les pièces, les services, les renseignements ainsi que l’aide nécessaires au fonctionnement continu des presses brevetées appartenant aux anciens clients de GEC, Donohue-Normick Inc. et Consolidated-Bathurst Inc. À la page 4 des motifs du jugement modifié, il écrit :

[traduction] La demanderesse prétend qu’elle a soulevé la question dans le mémoire qu’elle a déposé en vue de l’audience d’octobre 1992 portant sur la contrefaçon. Toutefois, à l’audience, aucun argument n’a été soulevé relativement à cette question et la demanderesse ayant omis de présenter des éléments prouvant que des tiers connaissaient l’existence du brevet ou que les défenderesses les ont incités ou amenés à la contrefaçon, aucune ordonnance ne sera rendue.

Les appelantes prétendent que la décision du juge de première instance est erronée pour deux motifs. Premièrement, les deux parties ont soulevé cette question dans leur plaidoirie écrite et orale. Deuxièmement, il suffit aux appelantes d’établir que les intimées connaissaient l’existence du brevet et qu’elles voulaient que leurs clients contrefassent ce brevet.

Les intimées n’ayant répondu qu’au deuxième motif, la présente Cour se limitera à ce motif, qui soulève la question de fond consistant à savoir si VDI a participé à la contrefaçon.

Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, la présente Cour a déjà abordé, dans Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy[28], la question de la contrefaçon du fait de la vente de pièces de rechange. Dans sa décision, la Cour a examiné la question de savoir si Valmet avait désobéi à une injonction lui interdisant de fabriquer, d’exploiter, de vendre ou d’inciter d’autres à exploiter la même presse que celle qui est en cause en l’espèce. On alléguait que Valmet avait violé l’injonction en livrant à VDI des pièces devant servir à la fabrication de presses à triple pince. La Cour a conclu que Valmet n’avait pas violé l’injonction. Il est utile ici de reprendre le passage des motifs du juge Pratte, J.C.A., déjà cité[29] :

… il est bien établi qu’il n’y a pas de contrefaçon d’un brevet dans la vente d’un article qui en soi ne contrefait pas le brevet même si le vendeur sait que l’acheteur achète cet article dans le dessein de l’utiliser dans la contrefaçon du brevet. Il semble qu’il n’existe que deux exceptions à cette règle, savoir qu’il y a contrefaçon :

a) si le vendeur, seul … ou en association avec une autre personne …, vend toutes les composantes de l’invention à un acheteur pour qu’elles soient assemblées par ce dernier; et

b) si le vendeur, en toute connaissance de cause et dans un but personnel, incite ou amène l’acheteur à contrefaire le brevet … [Notes de bas de page omises.]

Subséquemment, dans Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, la présente Cour a examiné la question de savoir s’il fallait accorder la restitution des bénéfices réalisés sur les pièces de rechange et l’équipement accessoire ainsi que sur les ventes postérieures au contrat de pièces de rechange. Elle a conclu que, en règle générale, « la vente des pièces de rechange individuelles destinées à une presse contrefaite ne constitue pas en soi une contrefaçon du brevet visé en l’espèce »[30]. En outre, la Cour a écrit :

Dans notre décision de 1992 [Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1992), 45 C.P.R. (3d) 116 (C.A.F.)], précitée, nous avons clairement dit qu’à notre avis seuls les faits entrent en jeu lorsqu’il s’agit de déterminer si les bénéfices tirés de la fourniture de pièces et de services, après-vente, sont attribuables à la violation du brevet par la partie défenderesse. Le terme « pièces et services » désigne manifestement les pièces de rechange et l’équipement accessoire qui font l’objet de cet élément de la réclamation[31].

En conséquence, en l’espèce, la seule fourniture de pièces de rechange et de services ne constitue pas une contrefaçon. On considérera que VDI a commis une contrefaçon seulement si elle tombe sous le coup de la deuxième exception mentionnée par le juge Pratte, savoir qu’elle a sciemment, pour son propre avantage, incité ou amené Donohue et Consolidated-Bathurst à continuer à faire fonctionner les presses. Ainsi que l’a dit le juge Pratte :

Pour inciter ou amener une autre personne à contrefaire un brevet, on doit faire quelque chose qui conduit cette personne à le faire. Si on ne fait rien, il ne saurait y avoir lieu à incitation …

La preuve ne montre pas qu[e] [Valmet] [ait] participé à la décision de V.D.I. de continuer de fabriquer et de vendre des presses Tri-Nip[32].

De même, bien que VDI ait fourni des pièces de rechange et des services pour le fonctionnement continu des presses arguées de contrefaçon, les appelantes n’ont pas soumis à la présente Cour des éléments de preuve dont le juge de première instance n’aurait pas tenu compte et qui indiqueraient que VDI a participé à la décision de Donohue ou de Consolidated-Bathurst de continuer à exploiter les presses arguées de contrefaçon. En conséquence, rien ne permet d’écarter la conclusion du juge de première instance selon laquelle VDI n’a pas contrefait le brevet en fournissant des pièces de rechange ou des services pour le fonctionnement continu des presses arguées de contrefaçon.

3.         Prescription

Nous passons maintenant à la prétention des appelantes selon laquelle le juge de première instance a commis une erreur en appliquant l’article 2261 du C.c.B.-C. pour déclarer irrecevables les chefs de demande contre VDI relatifs aux machines installées au Sabah du Sud ainsi que tous les chefs de demande contre GEC.

Le juge de première instance a abordé la question préalable consistant à savoir si tous les chefs de demande contre GEC et les chefs de demande contre VDI relatifs aux deux machines installées au Sabah du Sud étaient prescrits. Soulignant le silence de la Loi quant aux délais de prescription, il s’est reporté au paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale[33] qui exige l’application des lois de la province où est survenu le fait générateur, soit le Québec[34].

Il n’a pas retenu l’argument des appelantes selon lequel si la restitution des bénéfices est accordée au lieu de dommages-intérêts, ce n’est pas la prescription de deux ans de l’article 2261 du Code civil du Bas-Canada qui s’applique, mais plutôt la prescription générale trentenaire de l’article 2242[35]. Les appelantes fondaient leur argument sur le fait que le mot « dommages » (damages) est employé à l’article 2261 et que celui-ci ne s’applique que si cette réparation est sollicitée. Le juge a statué qu’une action en contrefaçon de brevet est au contraire une cause d’action unique et que la réparation demandée à cet égard ne peut constituer une cause d’action distincte. Il a ainsi rejeté la décision rendue par le juge Gibson dans Reeves Brothers Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd.[36] sur laquelle les appelantes se fondaient.

Le juge a souligné que tout au long du C.c.B.-C., le terme « damages » s’emploie indifféremment dans la version anglaise, où il peut avoir deux sens : (1) préjudice causé par suite d’une faute ou d’un délit; (2) réparation ou indemnisation du préjudice causé. La première définition se rapporte à la cause d’action. La seconde se rapporte à la réparation plus justement appelée « dommages et intérêts »[37]. Il a estimé que la mention des « damages » (dommages) à l’article 2261 concerne le préjudice résultant d’une faute ou d’un délit plutôt que l’indemnisation qu’il est possible d’obtenir en cas de préjudice, ce qui l’a amené à conclure que l’article 2261 prévoit les cas donnant naissance à la cause d’action, et non pas à la réparation par « dommages et intérêts ».

Se fondant sur la décision Mastini v. Bell Telephone Co. of Canada et al.[38], le juge de première instance a statué que la contrefaçon d’un brevet constitue une faute ou un délit au regard de la loi québécoise et qu’il s’agit du type de préjudice ou de « dommages » visés par l’article 2261. L’action en contrefaçon de brevet doit donc être intentée dans un délai de deux ans. Étant donné que la preuve, du moins à l’égard de GEC, indiquait que Beloit était au courant des activités arguées de contrefaçon de l’intimée, à compter de 1975 environ, mais qu’elle n’avait pas pris de mesures avant 1986, le juge de première instance a conclu que les actions relatives aux contrats suivants étaient prescrites :

— Une machine complète sauf la caisse d’arrivée, vendue par GEC à Midtec Paper Corporation (juin 1979).

— Une machine complète vendue par GEC à Donohue-Normick Inc. (13 août 1980).

— Une presse remise à neuf vendue par GEC à Consolidated-Bathurst Inc. (11 juillet 1980).

— Deux machines complètes fabriquées par VDI et vendues par GEC à Klockner Stadler Hunter Ltd. (29 avril 1983) et installées au Sabah du Sud, en Malaysia.

Beloit fait valoir que les chefs de demande contre VDI, le fabricant des deux machines destinées au Sabah du Sud, ne sont pas prescrits, indépendamment de l’application ou non de l’article 2261. VDI étant d’accord avec cette position, il ne nous est pas nécessaire de l’examiner davantage sauf pour souligner l’erreur du juge de première instance relativement à ces deux contrats.

Beloit prétend que le juge de première instance a aussi commis une erreur en statuant que la contrefaçon d’un brevet constitue un délit ou un quasi-délit au sens de l’article 2261 du C.c.B.-C. Selon Beloit, l’action en contrefaçon de brevet procède de la loi seule, savoir la Loi sur les brevets. En conséquence, c’est la prescription générale de l’article 2242 qui s’applique et non celle de l’article 2261. De plus, Beloit allègue que le délai de prescription de deux ans ne s’applique pas en l’espèce parce qu’une demande de restitution des bénéfices ne constitue pas une demande de « dommages-intérêts » au sens de l’article 2261. En tout état de cause, les actions relatives aux chefs de demande contre GEC ne sont pas prescrites par application de l’article 2261 parce que, contrairement à la conclusion du juge de première instance, GEC n’a pas établi le moment où la prescription a commencé à courir.

La responsabilité pour contrefaçon de brevet est prévue au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, qui disposait à l’époque en cause[39] :

55. (1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, de tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au breveté ou à cette autre personne.

Dans l’arrêt Johnson Controls Inc. c. Varta Batteries Ltd.[40], la présente Cour a statué qu’une action fondée sur l’article 55 (anciennement l’article 57) de la Loi sur les brevets constitue une action « donn[ant] à la partie lésée (le breveté) le droit d’obtenir des dommages dans la mesure de la perte effectivement subie par elle en raison des gestes du contrefacteur ».

En plus des dommages-intérêts, l’article 57 de la Loi autorise d’autres mesures de redressement :

57. (1) Dans toute action en contrefaçon de brevet, le tribunal, ou l’un de ses juges, peut, sur requête du plaignant ou du défendeur, rendre l’ordonnance qu’il juge à propos de rendre :

a) pour interdire ou défendre à la partie adverse de continuer à exploiter, fabriquer ou vendre l’article qui fait l’objet du brevet, et pour prescrire la peine à subir dans le cas de désobéissance à cette ordonnance;

b) pour les fins et à l’égard de l’inspection ou du règlement de comptes,

et d’une façon générale, quant aux procédures de l’action.

Dans leur ouvrage Clerk and Lindsell on Torts, les auteurs soutiennent que l’atteinte portée à un droit d’auteur, un brevet ou une marque de commerce constitue la violation d’un droit prévu par la loi et qu’elle ne peut, par conséquent, être considérée comme un délit de common law[41]. Selon ces mêmes auteurs toutefois, les bénéfices intellectuels et industriels sont des intérêts partiellement protégés par le droit de la responsabilité délictuelle. Ils expliquent en effet que certains éléments du droit de propriété intellectuelle et industrielle présentent un caractère délictuel[42] :

[traduction] Le droit reconnaît et protège les droits [de propriété intellectuelle] mais leur existence et leur revendication tend à dépendre d’un amalgame de principes de common law et d’equity et de plus en plus de la loi. Dans une large mesure, la loi régit maintenant la protection des brevets, des droits d’auteur, des marques de commerce déposées et des dessins bien que les recours visant à réparer l’atteinte portée à ces droits comportent des aspects délictuels.

Dans certains contextes, l’atteinte portée au droit d’auteur, aux brevets et aux marques de commerce a été considérée comme présentant un caractère délictuel[43]. Par exemple, dans la décision PSM International plc v. Specialised Fastener Products (Southern) Ltd., il a été jugé que [traduction] « la violation du droit d’auteur est et a toujours été traitée comme une atteinte délictuelle à un droit de propriété »[44].

Dans le système juridique français, le droit des brevets relève aussi d’une loi tout en demeurant assujetti aux principes généraux de droit civil pour ce qui est des questions dont la loi ne traite pas. Dans ce système, la contrefaçon a été qualifiée de « quasi-délit »[45].

Au Canada, la cause d’action de la contrefaçon d’un brevet procède exclusivement de la Loi sur les brevets. Toutefois, il ne s’ensuit pas qu’aux fins de la prescription en vertu du C.c.B.-C., la contrefaçon d’un brevet devienne une « obligation procéd[ant] … de la loi seule » au sens de l’article 983 du C.c.B.-C.[46].

L’article 983 du C.c.B.-C. établit la source des « obligations », chaque source étant explicitement définie dans d’autres dispositions du C.c.B.-C. Pour déterminer la portée des mots « la loi seule » à l’article 983, il faut ainsi se reporter à l’article 1057 du C.c.B.-C.[47]. Il est évident que le mot « loi », tel qu’il est défini au paragraphe 17(2) du C.c.B.-C.[48], ne vise que les lois du Québec et non la Loi sur les brevets.

Dans Mastini c. Bell Telephone Co. of Canada et al.[49], le président Jackett a dit que la contrefaçon d’un brevet constituait indubitablement un « délit » ou une « faute » au regard de la common law et un « délit » ou une « faute » au regard de la loi québécoise, même si ces délits ou ces fautes relèvent de la compétence législative exclusive du Parlement du Canada en vertu de la catégorie 22 de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. Il est intéressant de noter que le jugement rendu dans cette affaire est antérieur au paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale[50]. Quoi qu’il en soit, nous estimons qu’aux fins de la prescription, la contrefaçon d’un brevet est à juste titre qualifiée de délit ou de quasi-délit au regard de la loi québécoise, de sorte que l’article 2261 du C.c.B.-C. rend irrecevable l’action en contrefaçon de brevet qui n’est pas intentée dans le délai de deux ans suivant l’acte reproché[51]. Dans l’arrêt Johnson Controls Inc. c. Varta Batteries Ltd.[52], la présente Cour a déjà statué qu’une action en contrefaçon de brevet intentée en Ontario était assujettie au délai de prescription de six ans de l’alinéa 45(1)g) de la Loi sur la prescription des actions[53] plutôt qu’au délai de prescription de deux ans de l’alinéa 45(1)h), qui traite des actions prévues par toute loi. Il en est ainsi parce que la Loi sur les brevets vise non pas à punir l’auteur du délit mais bien à indemniser la partie lésée du préjudice occasionné par les agissements d’autrui.

L’indemnisation du préjudice s’apparente à la responsabilité délictuelle. Plusieurs auteurs soulignent la difficulté de définir ce qui constitue un délit civil. Selon le professeur Linden, la meilleure définition à ce jour est la suivante : « un délit civil est un acte dommageable extra-contractuel, entraînant la responsabilité civile de son auteur, que la loi répare en accordant des dommages-intérêts »[54]. Baudouin affirme pour sa part que « [l]a responsabilité civile entraîne l’obligation de rétablir l’équilibre économique rompu et de réparer le dommage causé à la victim »[55]. Ces définitions reflètent le raisonnement suivi dans l’arrêt Johnson Controls et elles nous aident à confirmer le recours aux notions de « délit » et de « quasi-délit » dans la décision Mastini[56].

Subséquemment, dans la décision Reeves Brothers Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd.[57], la Section de première instance de la présente Cour a statué que si la réparation accordée est la restitution des bénéfices et non des dommages-intérêts, c’est la prescription générale trentenaire de l’article 2241 qui s’applique et non l’article 2261. Dans cette affaire, le juge de première instance a erronément défini la réparation comme s’il s’agissait de la cause d’action[58]. Étant donné que la conclusion dans cette affaire était fondée sur une définition erronée, nous estimons que la décision Reeves Brothers Inc. est erronée et qu’elle ne doit plus être suivie.

Nous concluons que le délai de prescription est celui de l’article 2261 du C.c.B.-C., soit un délai de deux ans.

Beloit conteste la conclusion du juge de première instance selon laquelle elle avait connaissance de la contrefaçon depuis 1975. Elle dit que pour que la prescription puisse courir, il appartenait à GEC de prouver que Beloit était au courant de la contrefaçon. Elle prétend que même s’il pouvait y avoir certains éléments de preuve établissant la connaissance d’ordre général que Beloit avait des activités des intimées, il n’y avait aucune preuve de la date à laquelle Beloit a été informée pour la première fois des ventes ni de la date à laquelle elle a été informée pour la première fois du fait que la presse à triple pince DEW contrefaisait son brevet.

Ainsi qu’il appert de la preuve, Richard J. Regnier, président et directeur général de Beloit Canada, a dit ceci alors qu’il était contre-interrogé sur son affidavit[59] :

[traduction] Q. Étiez-vous personnellement au courant de la formation de la coentreprise entre Valmet et Canadian General Electric qui a mené à la création de la défenderesse Valmet-Dominion Inc.?

R. Oui, j’en ai entendu parler peu de temps après.

Q. Au début de 1984?

R. C’est exact.

Q. Connaissiez-vous ses produits?

R. En général, je suis au courant de ses produits, principalement les éléments d’actif se rapportant aux machines à papier.

Q. Je suis sûr que votre société canadienne était bien renseignée au sujet de Dominion Engineering et de ses produits avant la coentreprise de 1984.

R. C’est exact.

Q. Maintenant, Monsieur, Dominion Engineering Works Limited n’a-t-elle pas, avant la création de la coentreprise qui a mené à VDI, cette compagnie, Dominion Engineering Works, n’a-t-elle pas offert en vente et vendu des presses à triple pince au Canada?

R. Je crois que c’est exact.

Q. Votre société n’a-t-elle jamais porté plainte auprès d’elle pour contrefaçon de son brevet?

R. J’ignore la réponse à cette question.

Q. Pourriez-vous vérifier et me le faire savoir?

Me WILSON[60] : Je suis d’avis qu’ils n’ont pas porté plainte et qu’il y a aujourd’hui une action en contrefaçon de brevet.

Me MORROW[61] : Q. À quand remonte cette activité » l’activité par laquelle Dominion Engineering offrait en vente et vendait des presses à triple pince? Je devrais dire : depuis quand votre société est-elle au courant de cette activité?

R. Nos renseignements nous indiquent qu’une machine a été commandée en 1975 et une autre en 1980.

Q. Et votre société … ni votre société ni Beloit U.S. n’avez jamais intenté de poursuite contre Dominion Engineering pour contrefaçon de brevet découlant de ces activités—est-ce exact, Monsieur?

R. Je ne crois pas.

Q. Dois-je considérer que votre réponse est « non » à moins que vous ne me disiez le contraire?

R. C’est exact.

Q. Je comprends, Monsieur, que votre société a été informée non seulement de l’existence de la défenderesse VDI mais aussi de ses activités dans le domaine des presses à triple pince depuis sa formation—est-ce exact, Monsieur?

R. Je crois que c’est exact.

La Cour suprême du Canada a clairement indiqué que la prescription relative aux actions en responsabilité délictuelle commençait à courir à compter de la « possibilité de découvrir le préjudice subi ». Dans l’arrêt Central Trust Co. c. Rafuse, le juge Le Dain a dit ceci au nom de la Cour :

Je suis donc d’avis que le jugement de la Cour à la majorité dans l’affaire Kamloops[62] pose une règle générale selon laquelle une cause d’action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d’action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l’être s’il avait été fait preuve de diligence raisonnable; j’estime en outre qu’on doit suivre cette règle et l’appliquer à la cause d’action délictuelle que possède l’appelante contre les intimés, en vertu de The Statute of Limitations de la Nouvelle-Écosse[63].

Dans cet arrêt, la Cour suprême a aussi élargi les types de demandes susceptibles de tomber sous le coup de la règle de la possibilité de découvrir le préjudice subi, estimant qu’il n’y avait aucune raison en principe de distinguer entre l’action pour dommages causés à un bien (comme dans Kamloops) et l’action en indemnisation pour le préjudice purement financier résultant de la négligence professionnelle. Depuis les arrêts Kamloops et Central Trust Co., la règle relative à la possibilité de découvrir le préjudice subi a été largement appliquée[64].

En ce qui concerne la loi québécoise, l’article 2232 énumère les causes de suspension de la prescription :

Art. 2232. La prescription court contre toutes personnes, à moins qu’elles ne soient dans quelque exception établie par ce code, ou dans l’impossibilité absolue en droit ou en fait d’agir par elles-mêmes ou en se faisant représenter par d’autres.

Dans l’arrêt Oznaga c. Société d’exploitation des loteries et courses du Québec[65], la Cour suprême du Canada a statué que les causes de suspension de la prescription prévues à l’article 2232 n’incluaient pas les situations où le créancier ignorait les faits juridiques générateurs de son droit d’action, à moins que cette ignorance ne résulte de la faute du débiteur. Au nom de la Cour, le juge Lamer [alors juge puîné] a écrit :

Ainsi suis-je d’avis que c’est à bon droit que de façon générale les auteurs refusent de considérer l’ignorance, par le créancier, des faits juridiques générateurs de son droit, comme étant une impossibilité absolue en fait d’agir (voir Pierre Martineau, La prescription, P.U.M., 1977, aux pp. 353 et ss.). Par ailleurs, on semble tout autant d’accord, et j’y souscris, pour reconnaître que l’ignorance des faits juridiques générateurs de son droit, lorsque cette ignorance résulte d’une faute du débiteur, est une impossibilité en fait d’agir prévue à l’art. 2232 et que le point de départ de la computation des délais sera suspendu jusqu’à ce que le créancier ait eu connaissance de l’existence de son droit, en autant, ajouterais-je, qu’il se soit comporté avec la vigilance du bon père de famille[66].

Bien que le critère établi dans l’arrêt Oznaga soit plus strict, cet arrêt ainsi que l’arrêt Central Trust Co. exigent que le demandeur qui invoque la suspension de la prescription prouve qu’il ignorait les faits importants donnant lieu à la cause d’action en dépit de sa diligence raisonnable. Le juge de première instance semble avoir inféré que, du fait de sa connaissance des activités des intimées, Beloit était informée ou aurait dû être informée des ventes arguées de contrefaçon. Il a conclu que Beloit « à l’égard de la défenderesse GEC tout au moins, … était au courant de ses activités de contrefaçon depuis 1975 à peu près »[67]. Les appelantes ne nous ont soumis aucun élément de preuve concernant la diligence raisonnable dont elles auraient fait preuve. Considérant que le juge de première instance a entendu l’ensemble de la preuve, nous sommes très réticents à infirmer la conclusion qu’il a tirée à partir des faits[68].

Nous concluons qu’étant donné que Beloit a déposé une déclaration contre VDI le 4 juin 1986 et une déclaration contre GEC le 20 octobre 1986, toutes activités de ces intimées antérieures à juin 1984 et octobre 1984, respectivement, sont prescrites.

Avant de traiter des autres questions soulevées en appel, il peut être utile de résumer nos conclusions en fonction de l’analyse qui précède. Premièrement, le juge de première instance a conclu à juste titre que la présente Cour n’a pas interprété la revendication no 1 du brevet en cause comme incluant la « grande vitesse » à titre d’élément constitutif de l’invention. Deuxièmement, la fabrication par VDI au Canada de deux machines en grande partie assemblées et vérifiées à son usine de Montréal et subséquemment démontées au Canada pour être expédiées au Sabah du Sud, en Malaysia, afin d’y être réassemblées, constitue une « fabrication » au sens de l’article 44 de la Loi et, par conséquent, une contrefaçon du brevet en cause. En conséquence, la conclusion contraire du juge de première instance était erronée. Troisièmement, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant que VDI n’a pas contrefait le brevet en cause en fournissant des pièces de rechange ou des services à Donohue et Consolidated-Bathurst pour assurer le fonctionnement continu des presses. Quatrièmement, le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a conclu que les chefs de demande contre VDI, le fabricant des deux machines destinées au Sabah du Sud, étaient prescrites. Enfin, le juge de première instance a conclu à juste titre que le délai de prescription était de deux ans.

LES RÉPARATIONS

Les autres arguments des parties se rapportent tous à la question des réparations, que nous allons maintenant examiner.

1.         Restitution des bénéfices

Dans leur appel incident, les intimées prétendent que la responsabilité pour contrefaçon et la réparation corrélative sont prévues au paragraphe 55(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 21] de la Loi, qui dispose :

55. (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci de tous dommages-intérêts que cette contrefaçon a fait subir à ces personnes après l’octroi du brevet. Il est également responsable envers ceux-ci, à concurrence d’une indemnité raisonnable, des dommages-intérêts qu’un acte de sa part leur a fait subir entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible sous le régime de l’article 10 et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été accordé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible. [Non souligné dans l’original.]

Les intimées prétendent que le recours en dommages-intérêts est le seul recours dont le breveté peut se prévaloir une fois que la contrefaçon a été établie, et que la présente Cour n’a pas compétence pour accorder une autre réparation. Elles fondent leurs prétentions sur le paragraphe 54(1) de la Loi qui donne compétence aux cours supérieures provinciales pour octroyer le « montant des dommages-intérêts réclamés » dans une action en contrefaçon.

Se fondant sur la décision de la Section de première instance Irving Refining Ltd. c. Le Conseil des ports nationaux[69], les intimées disent que le paragraphe 57(1) de la Loi ne peut être invoqué pour fonder la restitution des bénéfices dans des actions en contrefaçon de brevet. Pour plus de commodité, nous reproduisons ce paragraphe :

57. (1) Dans toute action en contrefaçon de brevet, le tribunal, ou l’un de ses juges, peut, sur requête du plaignant ou du défendeur, rendre l’ordonnance qu’il juge à propos de rendre :

a) pour interdire ou défendre à la partie adverse de continuer à exploiter, fabriquer ou vendre l’article qui fait l’objet du brevet, et pour prescrire la peine à subir dans le cas de désobéissance à cette ordonnance;

b) pour les fins et à l’égard de l’inspection ou du règlement de comptes,

et d’une façon générale, quant aux procédures de l’action. [Non souligné dans l’original.]

Les intimées prétendent que, dans ce paragraphe, l’emploi des mots « l’ordonnance », « quant aux procédures de l’action » et « sur requête » du plaignant ou du défendeur indique l’intention du législateur d’accorder une réparation dans une instance interlocutoire et non dans une instance finale intentée par voie de déclaration. Selon les intimées, le terme « règlement de comptes » vise à faciliter le calcul des dommages-intérêts octroyés en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi.

Les intimées citent aussi la décision de la Section de première instance dans Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd.[70], dans laquelle le juge Collier a statué que l’emploi du mot « comptes » à l’alinéa 57(1)b) [auparavant l’alinéa 59(1)b)] englobe la « comptabilisation des bénéfices » plus technique et autorise cette réparation dans les affaires de contrefaçon de brevet. Les intimées soulignent que le juge Collier a refusé d’accorder cette réparation en l’espèce et que sa décision a été confirmée par la Cour suprême du Canada[71]. En tout état de cause, elles prétendent que le juge Collier a eu tort d’interpréter l’alinéa 57(1)b) de la Loi comme incluant le mot « bénéfices »[72].

Les intimées opposent l’alinéa 57(1)b) de la Loi à l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce[73] et aux paragraphes 34(1) et 35(1) de la Loi sur le droit d’auteur[74], où la restitution des « bénéfices » est expressément prévue. Se fondant sur le libellé de ces lois, les intimées soutiennent que l’emploi du mot « comptes » à l’alinéa 57(1)b) de la Loi devrait être interprété comme prévoyant une ordonnance de comptabilisation du nombre et de la valeur des articles argués de contrefaçon vendus par la défenderesse, au lieu d’une injonction interlocutoire.

Les intimées prétendent en outre qu’étant donné que la Loi n’accorde pas, à leur avis, la restitution des bénéfices dans le cas d’une action en contrefaçon, l’article 20 [mod. par L.C. 1990, ch. 37, art. 34] de la Loi sur la Cour fédérale ne peut le faire. Pour étayer cette prétention, elles se fondent sur les décisions rendues par la Cour de l’Échiquier et la Cour suprême du Canada dans l’affaire Radio Corp. of America v. Philco Corp. (Delaware)[75] portant sur un conflit de demandes de brevet. Le président Jackett, plus tard juge en chef de la Cour fédérale, a estimé que l’article 21 de la Loi sur la Cour de l’Échiquier [S.R.C. 1952, ch. 98] (aujourd’hui l’article 20 de la Loi sur la Cour fédérale) ne confère compétence à la Cour que lorsque la Loi sur les brevets [S.R.C. 1952, ch. 203] accorde expressément une mesure de redressement. À la page 304, au nom de la Cour suprême du Canada, le juge Martland a écrit :

[traduction] Toutefois, il importe de souligner que depuis 1923, le Parlement a indiqué clairement dans les dispositions des différentes lois sur les brevets que, nonobstant la compétence conférée par la Loi sur la Cour de l’Échiquier à cette Cour pour traiter des conflits de demandes de brevet, le droit d’un requérant d’obtenir un redressement devant cette Cour est régi et limité par les dispositions de la Loi sur les brevets concernant les demandes conflictuelles. La conclusion que je tire de l’historique législatif des dispositions de la Loi sur les brevets concernant les conflits de demandes est que bien que l’article 21 de la Loi sur la Cour de l’Échiquier confère une compétence à cette Cour dans les affaires de conflits de demandes de brevet, le droit d’une partie concernée par un tel conflit de contester la demande de brevet d’une autre partie est régi par l’article 45 et cette partie est limitée aux droits qu’accorde cet article.

Par analogie avec ce passage, les intimées affirment que contrairement à l’alinéa 18(1)a) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4) de la Loi sur la Cour fédérale, l’article 20 de cette même Loi ne crée pas de droit à réparation et ne confère donc aucune compétence à la Cour.

Pour leur part, les appelantes prétendent que la Loi renferme une disposition expresse prévoyant la possibilité d’accorder la restitution des bénéfices dans les affaires de contrefaçon. Premièrement, elles adoptent le raisonnement du juge Collier dans la décision Consolboard, précitée, et invoquent plusieurs décisions subséquentes de la présente Cour dans lesquelles le raisonnement suivi dans Consolboard a été appliqué, y compris la décision récente AlliedSignal c. Du Pont[76]. En outre, elles affirment qu’en vertu des articles 3 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 68] et 20 de la Loi sur la Cour fédérale, lorsque l’objet se trouve par ailleurs dans les limites de la compétence de la Cour, lorsque des principes d’equity s’appliquent à la question et lorsque aucun pouvoir prévu par une loi ne lui enlève la compétence, la présente Cour a le pouvoir d’accorder toutes les réparations qu’elle peut accorder en tant que tribunal de droit et d’equity. À l’appui de cet argument, les appelantes citent trois décisions de la Section de première instance[77]. Enfin, les appelantes affirment que le pouvoir d’accorder la restitution des bénéfices dans une action en contrefaçon de brevet découle du paragraphe 20(2) de la Loi sur la Cour fédérale, qui dispose :

20.

(2) La Section de première instance a compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d’une loi fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par le paragraphe (1) relativement à un brevet d’invention, un droit d’auteur, une marque de commerce, un dessin industriel ou une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés.

Une étude de la jurisprudence et de la doctrine révèle que la présente Section de la Cour n’a jamais abordé directement la question de savoir si la Cour a compétence pour accorder la restitution des bénéfices dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet. Certains auteurs se sont demandés si la Loi prévoyait de fait la possibilité d’accorder ce type de réparation en matière de contrefaçon de brevet. Voir G. A. Macklin, c.r., « Relief in Intellectual Property Actions »[78], et D. H. MacOdrum, « Entitlement to an Accounting of Profits »[79].

À notre avis, le moment est venu pour la Cour de régler cette question. Pour les motifs qui suivent, nous estimons que la Cour a et a toujours eu compétence pour accorder la restitution des bénéfices et que cette compétence découle de l’alinéa 57(1)b) de la Loi ainsi que des articles 3 et 20 de la Loi sur la Cour fédérale.

a)         Historique de la réparation par restitution des bénéfices

Un aperçu de l’historique de cette réparation pourrait servir de point de départ utile pour l’analyse.

La réparation par restitution existe en tant qu’action en common law depuis l’an 1200 au moins bien qu’à l’origine elle se soit limitée aux actions contre les huissiers, les gardiens en socage ou les séquestres[80]. Avant 1760, la Cour de chancellerie avait compétence concurrente avec les tribunaux de common law pour ordonner la restitution dans certains cas lorsque cette réparation était nécessaire pour faire valoir un droit reconnu par la common law.

Dans le cadre de l’equity, la restitution était accordée à l’encontre de la personne qui avait violé un brevet, un droit d’auteur ou une marque de commerce au motif que celle-ci avait agi à titre de mandataire du titulaire du droit auquel il avait été porté atteinte et qu’elle était donc tenue de rendre compte des bénéfices réalisés par suite de cette atteinte. En conséquence, on considérait que le titulaire de brevet qui demandait une restitution des bénéfices avait admis l’atteinte et ne pouvait réclamer des dommages-intérêts en sus de la restitution[81] La Chambre des lords a ensuite décidé que dans une action en contrefaçon de brevet, le demandeur qui a gain de cause a le droit de choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices[82]. Depuis 1858, la restitution continue donc d’exister à titre de réparation d’equity dans les affaires de contrefaçon de brevet relevant de la compétence des tribunaux investis du pouvoir de statuer en droit et en equity.

b)         Historique législatif du paragraphe 57(1) de la Loi

La première loi du Bas-Canada sur les brevets édictée en 1824 et intitulée Acte pour encourager les progrès des Arts utiles en cette Province[83] précède de quelque 28 ans la première loi anglaise qui a codifié le droit anglais des brevets (la Patent Act de 1852), sous réserve de la Statute of Monopolies [21 Jac. 1, c. 3] de 1623. En conséquence, les lois canadiennes régissant initialement les brevets se sont inspirées des lois américaines de 1790, 1793 et 1836. Le Haut-Canada a adopté sa première loi sur les brevets en 1826[84] et en 1849, les deux lois ont été refondues[85]. Toutefois, la restitution n’est apparue qu’avec la première loi sur les brevets postérieure à la Confédération[86]. Même si L’Acte des brevets de 1869 s’inspire manifestement de la Patent Act américaine de 1836[87], le libellé de l’article 24 est presque identique à celui de l’article 42 de la British Patent Act de 1852[88]. La disposition pertinente de L’Acte des brevets de 1869 canadien dispose :

24. Il pourra être porté une action pour contrefaçon de brevet devant tout tribunal ayant juridiction jusqu’à concurrence des dommages-intérêts réclamés et siégeant dans la province où la contrefaçon sera représentée avoir été commise, et se trouvant, des tribunaux qui auront une telle juridiction dans cette province, celui dont le siège sera le plus près du lieu de résidence ou d’affaire du défendeur; et ce tribunal prononcera et adjugera les dépens; dans toute action pour contrefaçon de brevet, le tribunal, s’il siège, ou un de ses juges en chambre, si le tribunal n’est pas en session, pourra, sur requête soit du demandeur, soit du défendeur, rendre tel ordre d’injonction, interdisant à la partie adverse l’usage, la manufacture ou la vente de la chose brevetée et portant une peine en cas de transgression du dit ordre, ou rendre tel ordre d’inspection, ou de production de compte, et tel ordre concernant ces choses et les procédures dans la cause, que le tribunal ou le juge croira justes; mais on pourra interjeter appel de cet ordre, dans les circonstances et au tribunal où se porteront les appels des jugements et ordres du tribunal qui aura décerné cet ordre. [Non souligné dans l’original.]

L’article correspondant de la Patent Act de 1852 dispose :

[traduction] XLII. Dans toute action intentée devant une des cours supérieures d’archives de Sa Majesté à Westminster et à Dublin relativement à la contrefaçon de lettres patentes, la Cour, devant laquelle cette action est en instance, est autorisée, si elle siège ou, un juge de cette Cour si elle ne siège pas, sur requête du demandeur ou du défendeur, respectivement, à rendre une ordonnance d’injonction, d’inspection ou de restitution et à donner les directives relatives à l’action, l’injonction, l’inspection et la restitution et aux procédures y afférentes respectivement, que cette Cour ou ce juge estime appropriée. [Non souligné dans l’original.]

Il est à remarquer que la Patent Act américaine de 1836, qui à tous autres égards est comparable à L’Acte des brevets de 1869 canadien[89], ne fait aucunement mention d’une inspection ou d’une restitution[90]. De la comparaison qui précède, nous inférons que le Parlement avait manifestement l’intention d’adopter le droit anglais relativement à la réparation par restitution dans les affaires de contrefaçon de brevet.

Nous reconnaissons que les lois canadiennes et anglaises actuelles diffèrent au chapitre de la réparation par restitution des bénéfices en matière de contrefaçon de brevet[91]. Néanmoins, nous sommes d’avis que la jurisprudence anglaise antérieure, fondée sur des dispositions presque identiques à la loi canadienne, peut servir à l’interprétation de celle-ci. De même, la jurisprudence australienne peut aussi être utile dans la mesure où la disposition de la loi sur les brevets de l’Australie prévoit la réparation par restitution des bénéfices dans une action en contrefaçon[92].

Nous rejetons l’argument selon lequel la jurisprudence anglaise en matière de restitution des bénéfices n’est d’aucun secours au motif qu’en Angleterre l’octroi de brevets relevait de la prérogative royale alors qu’au Canada l’octroi des brevets et les réparations procèdent d’une loi[93]. À notre avis, le droit d’obtenir un brevet participe toujours de la nature de la prérogative même s’il a été incorporé dans une loi[94].

Enfin, au sujet de cette question, les intimées prétendent que les articles 3 et 20 de la Loi sur la Cour fédérale ne peuvent permettre d’accorder la réparation en cause parce que la Loi sur les brevets ne le prévoit pas expressément. À l’appui de cette prétention, les intimées se fondent essentiellement sur le jugement rendu dans Philco, précité [note 75], où le président Jackett, plus tard juge en chef, dit à la page 214 :

[traduction] Il n’existe pas de droit d’obtenir auprès d’un tribunal une réparation à cet égard sauf lorsque ce droit a été conféré expressément ou implicitement par une loi et, pour autant que je sache, la seule loi qui traite de ces requête est la Loi sur les brevets elle-même.

La réponse brève à cette prétention est que la réparation est expressément prévue à l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur les brevets. Étant donné que la restitution est une réparation d’equity et que l’article 20 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la présente Cour le pouvoir d’accorder des réparations d’equity, nous estimons que la Cour a compétence pour accorder cette réparation aux brevetés qui ont gain de cause dans les affaires de contrefaçon, si cela est opportun.

Il est à remarquer que les recours en injonction et en restitution prévus aux alinéas a) et b) du paragraphe 57(1) de la Loi ont tous deux été créés par les cours d’equity[95].

c) La réparation par restitution des bénéfices est-elle discrétionnaire et, dans l’affirmative, le juge de première instance a-t-il exercé à bon droit son pouvoir discrétionnaire en la refusant?

Les appelantes ne contestent pas le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’accorder ou de refuser le recours en equity que constitue la restitution des bénéfices, ce que le libellé facultatif de l’alinéa 57(1)b) de la Loi ne leur permettait d’ailleurs pas de faire. Elles prétendent plutôt que ce pouvoir discrétionnaire est limité. Elles soutiennent que dans une action en contrefaçon, le demandeur qui a gain de cause a le droit prima facie de choisir entre les dommages-intérêts et la restitution des bénéfices[96]. Elles ajoutent qu’ayant choisi la restitution des bénéfices dans leurs déclarations et n’ayant violé aucun des principes d’equity applicables (mains nettes, inertie ou assentiment), elles ont pleinement droit à ce recours[97]. Enfin, les appelantes prétendent que le juge de première instance a commis une erreur en refusant le recours sur la base des facteurs dont il a tenu compte, savoir la complexité et la durée excessive des actions, le retard des appelantes à intenter les actions après avoir été informées de la contrefaçon et le fait que la contrefaçon reprochée s’est produite alors que le brevet en cause avait été déclaré invalide en première instance et que cette décision de première instance a par la suite été infirmée.

Pour leur part, les intimées prétendent que s’il est possible d’accorder la réparation par restitution des bénéfices, ce recours est discrétionnaire et que la présente Cour ne devrait pas modifier la décision du juge de première instance de refuser de l’accorder à moins qu’elle ne soit convaincue que ce dernier a commis une erreur manifeste ou dominante qui a faussé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. En outre, elles prétendent que le juge de première instance a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée en tenant compte des facteurs suivants : le retard des appelantes à intenter les actions, le fait que les appelantes ont été informées de la contrefaçon un certain temps avant d’intenter les actions et le fait que la restitution des bénéfices serait peu commode et entraînerait des frais et des retards considérables. Les intimées se fondent sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Consolboard, précité, et celui de la présente Cour dans AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc.[98]. Enfin, elles prétendent que le recours en restitution des bénéfices ne devrait pas être octroyé étant donné que tous les contrats relatifs à la presse à triple pince ont été conclus alors que le brevet avait été jugé invalide par la Cour et qu’il n’y avait aucune preuve que Beloit avait soumissionné pour l’un des contrats de GEC en cause.

Les appelantes se fondent sur la jurisprudence anglaise pour établir que le demandeur qui a gain de cause dispose du droit prima facie de choisir la restitution des bénéfices. Toutefois, sans nous prononcer sur l’autorité de cette jurisprudence, nous soulignons que la jurisprudence de la présente Cour, par laquelle nous sommes liés, porte que « le choix entre les deux redressements [dommages-intérêts ou restitution des bénéfices] ne peut être laissé entièrement à la discrétion de la partie demanderesse qui a gain de cause»[99]. Dans l’arrêt Unilever PLC c. Proctor & Gamble Inc.[100], la présente Cour a statué que la décision d’accorder la restitution des bénéfices dans les affaires de brevet relève du pouvoir discrétionnaire du juge ou du protonotaire. Cet arrêt confirmait l’arrêt antérieur de la présente Cour Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd.[101], où le juge Mahoney, J.C.A., a dit que « la comptabilisation des bénéfices est un redressement de nature nettement discrétionnaire ». La jurisprudence de la présente Cour a relevé certaines circonstances dans lesquelles la restitution des bénéfices peut raisonnablement être refusée, telles que le retard excessif et toute mauvaise conduite de la part du breveté. En l’espèce, le juge de première instance a choisi de ne pas accorder de restitution des bénéfices parce que l’instance durait depuis longtemps, que ce recours pouvait entraîner d’autres retards et frais, et que les parties censées avoir commis la contrefaçon avaient agi de bonne foi lorsqu’elles avaient conclu les contrats en cause alors que la Section de première instance de la présente Cour avait déclaré le brevet en cause invalide.

Nous examinerons maintenant chacun des facteurs que le juge de première instance a pris en compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser la réparation en cause.

La complexité et la durée excessive des actions :

Bien qu’il soit vrai qu’il n’y ait aucune règle ni aucun principe d’equity en vertu duquel un breveté qui a gain de cause doit se voir refuser un recours en raison de la durée excessive ou de la complexité d’une instance, les tribunaux tant britanniques que canadiens ont maintes fois exprimé leurs préoccupations à l’égard de l’inefficacité d’un telle réparation dans des affaires de contrefaçon de brevet. Dans l’arrêt Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp.[102], le juge Létourneau, J.C.A., a souligné certains des inconvénients liés à la restitution des bénéfices :

Il a été répété à satiété que l’exercice de ce recours suscite des difficultés d’ordre pratique qui en diminuent quelque peu l’utilité. Dès 1892, le lord juge Lindley, de la Cour d’appel d’Angleterre, écrivait :

(traduction) Le demandeur avait donc parfaitement le droit de choisir, comme il l’a fait en l’occurrence, qu’il soit rendu compte des bénéfices; mais je ne connais aucune forme de reddition de compte qui soit ou puisse être plus difficile à réaliser que celle des bénéfices. On y a recours—et je l’ai vu faire à de nombreuses reprises—dans des affaires visant une société, lorsque le capital d’un associé décédé ou sortant est laissé dans l’entreprise et qu’une ordonnance de reddition de compte est rendue relativement aux bénéfices réalisés grâce à ce capital. Ces bénéfices s’apparentent à ceux qu’on peut tirer d’une invention. La difficulté d’établir le montant des bénéfices attribuables à une source donnée, quelle qu’elle soit, est énorme, au point que ce type de reddition de compte réussit rarement à satisfaire qui que ce soit. Les différends s’accumulent, les dépenses s’additionnent et le temps qui y est consacré est hors de proportion avec l’avantage qu’on finit par obtenir, à telle enseigne qu’en matière de sociétés, il me faut confesser n’avoir jamais eu connaissance de comptes rendus qui aient donné satisfaction à qui que ce soit. Je crois que dans presque tous les cas, les gens se lassent et se découragent. Par conséquent, même si la loi prévoit que le breveté a le droit de choisir le recours dont il se prévaudra, il ferait bien, en pratique, d’opter pour la détermination du montant des dommages-intérêts plutôt que de demander l’établissement des comptes relatifs aux bénéfices (Siddell v. Vickers (1892), 9 R.P.C. 152 (C.A.), aux p. 162 et 163).

Ce recours donne souvent lieu, en effet, à la réouverture du débat judiciaire sur la nature et l’étendue de la contrefaçon, en raison des tentatives faites pour minimiser le montant des bénéfices réalisés ou pour en obtenir la répartition. Fait également l’objet d’un contentieux la question des bénéfices secondaires, c’est-à-dire la détermination du niveau et du montant des gains tirés des bénéfices réalisés par le défendeur. La question de la charge de la preuve, c’est-à-dire son ampleur et son attribution, constitue un élément capital d’un tel débat, et la présente espèce ne fait pas exception à la règle.

À notre avis, le juge de première instance pouvait, à sa discrétion, prendre en compte les résultats en equity du choix de la restitution des bénéfices en fonction notamment de la complexité et de la durée de l’instance.

Le juge de première instance était bien placé pour exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser le recours puisqu’il avait entendu une référence en vue d’évaluer les bénéfices dans une affaire parallèle concernant le même brevet[103]. Il a eu raison de mentionner la complexité des présentes actions qui ont exigé des audiences partielles en Allemagne et ailleurs, un fait inhabituel dans les affaires de brevets. En outre, il pouvait prévoir la durée éventuelle de l’instance étant donné la longueur de l’affaire Valmet Oy dont il avait été saisi.

Une fois que le breveté a prouvé la contrefaçon de son brevet, la Cour, en tant que tribunal de droit et d’equity, a le pouvoir discrétionnaire de lui accorder la réparation de son choix. Le libellé de l’article 57 de la Loi sur les brevets est clair et non équivoque. Il prévoit que le tribunal ou l’un de ses juges « peut », s’« il [le] juge à propos », accorder la restitution dans une action en contrefaçon de brevet. Si le juge refuse la restitution, il peut accorder des dommages-intérêts en vertu de l’article 55 de la Loi. Étant donné que [traduction] « l’equity respecte la loi »[104], le tribunal ou l’un de ses juges n’est pas tenu de se fonder sur les maximes d’equity pour refuser au demandeur qui a gain de cause la restitution des bénéfices qu’il a choisie.

Beloit était au courant de la prétendue contrefaçon commise par GEC depuis 1975 et elle n’a pris aucune mesure avant que GEC n’intente son action en 1986 :

Il n’y a aucun doute que lorsque le demandeur a eu pleinement connaissance des actes de contrefaçon, son retard à intenter des procédures en contrefaçon constitue un motif pour lui refuser la restitution des bénéfices qu’il a choisie[105]. Toutefois, l’avocat des appelantes a exprimé l’avis que, parce que Beloit sollicite une réparation d’equity, et qu’elle a les mains nettes, elle dispose d’un droit prima facie à cette réparation. Selon celui-ci, GEC n’a pas établi quand Beloit a découvert pour la première fois les actes de contrefaçon commis par GEC et, par conséquent, la défense fondée sur l’assentiment devrait être rejetée. Or, les intimées n’ont pas plaidé l’assentiment en l’espèce. Ainsi qu’il a été mentionné, le juge de première instance n’était pas lié par les maximes d’equity dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser le choix de la restitution des bénéfices, étant donné qu’il s’agit selon la loi d’un recours subsidiaire au recours en dommages-intérêts.

Devant la présente Cour, certains éléments de preuve ont établi que Beloit était bien au courant de DEW et de ses produits avant 1984; que DEW avait offert en vente et vendu les presses à triple pince avant 1984; que Beloit était déjà au courant des activités de GEC en 1975; et que GEC avait entrepris en 1979 et cessé en 1984 les activités arguées de contrefaçon[106]. Toutefois, Beloit ne s’est pas plainte auprès de DEW ou GEC de contrefaçon, non plus qu’elle n’a pris de mesures contre GEC avant 1986.

Les contrats en cause ont tous été conclus après que le brevet a été déclaré invalide par la Section de première instance :

Les appelantes prétendent qu’aucun principe d’equity ne prévoit que le demandeur devrait se voir refuser un recours en raison d’un jugement erroné de première instance dont il a promptement interjeté appel. Bien que nous souscrivions à cet argument, nous ne croyons pas que cette erreur en soi, si erreur il y a, exige que nous modifiions la décision du juge de première instance d’accorder ou non le recours en restitution des bénéfices. Le jugement de la Section de première instance était valide jusqu’à son annulation et les gestes posés en fonction de celui-ci l’ont censément été de bonne foi. Dans l’arrêt Reading& Bates c. Baker[107], nous avons statué que la bonne foi du contrefacteur constitue un élément dont le juge peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder la restitution. En l’espèce, l’intimée VDI a accepté d’assumer les conséquences du risque qu’elle a pris en concluant les contrats dans la période suivant la décision de la Section de première instance déclarant le brevet de Beloit invalide. Ce faisant, elle courait le risque que la présente Cour infirme cette décision mais nous ne pouvons dire qu’elle n’a pas agi de bonne foi.

Il est bien établi que[108] :

En règle générale, une cour d’appel ne modifiera une décision rendue par un juge de première instance dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire que si ce juge a agi sur le fondement d’un principe erroné ou d’une appréciation fautive des faits, ou si l’ordonnance prononcée n’est pas juste et raisonnable.

Nous ne pouvons affirmer qu’en refusant le recours en restitution des bénéfices le juge de première instance a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui justifierait que nous modifiions sa décision. En conséquence, nous ne relevons aucune erreur dans sa conclusion que le recours en restitution des bénéfices n’était pas approprié eu égard aux circonstances de l’espèce.

2.         Dommages-intérêts

Dans son appel incident, VDI fait valoir que le juge de première instance a commis une erreur en ordonnant que des dommages-intérêts soient imposés à VDI pour les presses elles-mêmes ainsi que pour tous autres éléments constitutifs de machines à papier avec lesquelles les presses peuvent avoir été vendues. VDI fait valoir que l’évaluation des dommages-intérêts devrait se limiter aux presses elles-mêmes.

VDI avance trois motifs à l’appui de sa prétention selon laquelle Beloit a uniquement droit aux bénéfices réalisés par la contrefaçon des presses qui constituent l’une des quatre sections de la machine à papier. Premièrement, la déclaration de Beloit contre VDI et GEC ne concerne que les presses. Deuxièmement, il n’y a aucune preuve que la vente de l’une des presses de VDI ou de GEC était liée à la vente des autres sections de la machine. Troisièmement, la présente Cour doit écarter la décision du juge de première instance si elle veut être cohérente avec l’arrêt Beloit Canada Ltée c. Valmet (1995), 61 C.P.R. (3d) 271 (C.A.F.). En conséquence, VDI conclut que la présente Cour doit donner instruction à l’arbitre de limiter son évaluation des dommages aux presses.

Beloit fait au contraire valoir que la décision du juge de première instance est conforme à la jurisprudence et que celui-ci a inféré à juste titre de la preuve que l’inclusion des presses à triple pince arguées de contrefaçon a constitué un facteur dans les ventes par VDI et GEC des machines à papier dont elles faisaient partie.

Pour trancher ce débat, il faut répondre à deux questions. Premièrement, le breveté a-t-il droit à une évaluation de l’ensemble de l’objet vendu lorsque l’objet visé par son brevet ne constitue qu’une partie de l’ensemble de l’objet en cause? Deuxièmement, dans l’affirmative, il faut décider si Beloit, en l’espèce, a droit à une évaluation fondée sur les ventes des presses avec les autres éléments constitutifs.

En ce qui concerne la première question, la Cour suprême du Canada a, dans l’arrêt Colonial Fastener Co. Ltd. v. Lightning Fastener Co. Ltd.[109], statué que dans certains cas le breveté pouvait avoir droit à des dommages-intérêts calculés sur l’ensemble de l’objet dont l’élément breveté fait partie. Dans cette affaire, la Cour a accordé des dommages-intérêts non seulement pour l’objet contrefait, les demi-chaînes, mais aussi pour l’objet complet, les fermetures à glissière, au motif que les demi-chaînes n’avaient d’utilité qu’à titre d’éléments des fermetures à glissières. Pour arriver à cette conclusion, la Cour a adopté le principe établi dans Meters Ld. v. Metropolitan Gas Meters Ld.[110], où le juge Kerwin (tel était alors son titre) a dit ceci au nom de la Cour, aux pages 41 et 42 :

[traduction] … la Cour d’appel devait considérer le montant des dommages-intérêts auxquels la demanderesse avait droit par suite de la contrefaçon de ses brevets par la défenderesse, dont l’un se rapportait à un type particulier de came et de tige commandant l’ouverture des soupapes d’un compteur à gaz à prépaiement et dont l’autre constituait un type particulier de roue de couronne dans un compteur semblable. Il a été prouvé devant le protonotaire et le juge Eve, … , que la demanderesse aurait vendu beaucoup plus de compteurs n’eût été des gestes posés par la défenderesse, et par conséquent, il lui a été accordé 13s.4d. pour le manque à gagner afférent à chaque compteur. [Non souligné dans l’original.]

De même, dans Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Oy[111], la présente Cour a dit à la page 119, à l’égard d’une question ayant trait à l’examen préalable dans le cadre de la référence, qu’elle ne pouvait :

… [voir] en principe, aucune raison pour laquelle un breveté, dont la propriété a abusivement été appropriée par voie de contrefaçon, ne devrait pas recouvrer tous les profits, directs ou indirects, que l’auteur de la contrefaçon a tirés de sa contrefaçon illégale …

La Cour a poursuivi en soulignant que [aux pages 119 et 120] :

La question de savoir si une proportion des profits tirés par la défenderesse de la vente des parties non contrefaites des machines à papier était due à ce que ces machines comprenaient des presses contrefaites, et la détermination de leur montant, s’il en est, sont des questions de fait difficiles.

En conséquence, dans Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy[112], la présente Cour a confirmé le refus du juge de première instance d’accorder les bénéfices sur l’ensemble des machines contenant les presses arguées de contrefaçon. À la page 278, la Cour a écrit que la « question relève entièrement des faits ». À la page 279, elle a fait remarqué que le juge « tire des conclusions de fait très fermes », citant ensuite l’extrait suivant des motifs du juge de première instance [(1994), 55 C.P.R. (3d) 433 (C.F. 1re inst.), à la page 458] :

Compte tenu de la preuve, je ne puis conclure que les bénéfices tirés par Valmet de la vente des quatre machines à papier en question résultaient de la contrefaçon illicite du brevet de la demanderesse. Les faits montrent clairement qu’il existait maintes raisons pour lesquelles la soumission de la défenderesse en vue de la vente de ces machines avait été retenue. À mon avis, aucune de ces raisons ne se rapporte de quelque façon que ce soit à la presse de contrefaçon.

En nous fondant sur la jurisprudence, nous estimons qu’il convient de répondre à la première question par l’affirmative. Le breveté a droit à des dommages-intérêts évalués en fonction de la vente des éléments constitutifs non argués de contrefaçon lorsqu’une conclusion de fait établit que cette vente s’est faite par suite de la contrefaçon de l’élément constitutif breveté.

L’autre question consiste à déterminer si le juge de première instance a décidé à juste titre que Beloit avait droit à des dommages-intérêts en fonction des ventes d’autres éléments avec les éléments constitutifs de la presse. Aux pages 550 et 551, le juge de première instance a écrit ceci[113] :

Je ne peux accepter l’argument des défenderesses que les dommages-intérêts accordés à la demanderesse devraient être limités à la presse de la machine dans les cas où elles ont vendu une machine complète. La jurisprudence ne va pas dans le sens d’une limitation des dommages-intérêts au manque à gagner afférent à l’article breveté lui-même. S’il se trouve que l’article breveté est vendu séparément dans le cours normal des affaires du breveté, il se peut que ce soit là tout ce qu’il lui revient. Cependant, si l’article breveté n’est pas toujours ou nécessairement vendu seul, il est raisonnable de présumer que le préjudice causé au breveté réside, non seulement dans le manque à gagner afférent à cet article lui-même, mais dans la vente des articles dont il fait le commerce, en l’occurrence les machines à papier avec presse à triple pince. En effet, telle est la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Colonial Fastener Co. Ltd. v. Lightning Fastener Co. Ltd …

Il s’ensuit qu’au renvoi, la demanderesse aura à montrer quel bénéfice elle aurait réalisé sur la vente des trois machines vendues par la défenderesse VDI à Corner Brook Pulp& Paper Limited, à Donohue Malbaie Inc. et à Repap N.B. Inc. respectivement, des deux presses remises à neuf vendues par la défenderesse Voith à Canadian International Paper (Gatineau) et à British Columbia Forest Products, et de la presse vendue par la défenderesse VDI à Great Lakes Forest Products Limited, autant d’articles dont la Cour a jugé qu’ils constituent la contrefaçon du brevet en cause. [Non souligné dans l’original.]

Nous ne pouvons souscrire à l’énoncé du juge de première instance selon lequel « si l’article breveté n’est pas toujours ou nécessairement vendu seul, il est raisonnable de présumer que le préjudice causé au breveté réside … dans la vente des articles dont il fait le commerce ». Ainsi qu’il appert de l’examen de la jurisprudence qui précède, l’étendue des dommages-intérêts auxquels un breveté a droit n’est pas fondée sur une hypothèse mais plutôt sur une conclusion de fait. À notre humble avis, les motifs du juge de première instance ne renferment pas une conclusion spécifique fondée sur la preuve portant que la vente des éléments constitutifs non argués de contrefaçon des machines était liée à la vente des presses arguées de contrefaçon. Par conséquent, nous devons conclure, d’après le dossier, que le juge de première instance a commis une erreur en ordonnant que VDI paie des dommages-intérêts fondés sur les autres éléments constitutifs avec lesquels les presses ont été vendues plutôt que sur les presses seules.

3. Le juge de première instance a-t-il omis d’appliquer les critères juridiques appropriés pour l’octroi d’intérêts composés avant et après jugement? A-t-il omis de prononcer une déclaration indiquant quelles revendications ont été contrefaites; A-t-il omis de préciser, dans l’injonction, les personnes et les activités visées?

Bien que les appelantes aient soulevé toutes ces questions comme motif final d’appel, nous considérons qu’il convient d’examiner chacune d’elles séparément.

i)          Intérêts avant et après jugement

Dans le jugement qu’il a prononcé le 16 février 1993, le juge de première instance n’a pas traité de cette question. Toutefois, le 25 mars 1993, à la suite d’une requête présentée par les appelantes en vertu du paragraphe 337(5) des Règles de la Cour fédérale, le juge de première instance a examiné les arguments des avocats des parties sur cette question et il a modifié son jugement comme suit :

[traduction] IL EST PAR LA PRÉSENTE ORDONNÉ QUE les défenderesses Voith et VDI paient à Beloit les intérêts simples avant jugement sur le montant des dommages-intérêts à compter de la date à laquelle Beloit a intenté ses actions jusqu’au 31 décembre 1990 au taux de 10 % par année et, par la suite des intérêts simples au taux de 7 % par année jusqu’au paiement intégral.

Les appelantes prétendent que le juge de première instance aurait dû accorder des intérêts composés au lieu d’intérêts simples sur les dommages-intérêts, tant avant qu’après jugement, et elles se fondent à cet égard sur les décisions de la présente Cour dans Reading & Bates c. Baker[114] et Algonquin Mercantile c. Dart Industries[115]. Les intimées répondent ce qui suit à cet argument. Premièrement, elles affirment que l’octroi d’intérêts avant et après jugement est régi par les paragraphes 36(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 9] et 37(1) [mod., idem] de la Loi sur la Cour fédérale, qui intègrent par renvoi la loi en vigueur dans la province où est survenue la cause d’action. Deuxièmement, elles soulignent que les causes d’actions en l’espèce sont survenues au Québec et que le droit provincial applicable en l’espèce est l’article 1056c du Code civil du Bas-Canada qui dispose :

Art. 1056c. Le montant accordé par jugement pour dommages résultant d’un délit ou d’un quasi-délit porte intérêt au taux légal depuis la date de l’institution de la demande en justice.

Il peut être ajouté au montant ainsi accordé une indemnité calculée en appliquant à ce montant, à compter de ladite date, un pourcentage égal à l’excédent du taux d’intérêt fixé suivant l’article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., chapitre M-31) sur le taux légal d’intérêt.

Troisièmement, les intimées disent que le paragraphe 36(5) [mod., idem] de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour un pouvoir discrétionnaire sur l’octroi d’intérêts avant jugement; elles soutiennent que le juge de première instance ayant implicitement reconnu leur bonne foi dans ses conclusions, le pouvoir discrétionnaire qu’il a exercé en octroyant des intérêts avant jugement au taux simple plutôt qu’au taux composé était approprié et que cette décision ne devrait pas être modifiée. L’arrêt Reading& Bates c. Baker, précité, a été cité à l’appui de cet argument. Aucune prétention similaire n’a été faite à l’appui de l’octroi d’intérêts après jugement.

Nous ne pouvons accepter, comme le prétendent les appelantes, que le juge de première instance a commis une erreur en refusant d’accorder des intérêts composés, avant et après jugement. Le paragraphe 36(5) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit expressément l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par la Cour relativement à l’octroi d’intérêts avant jugement et, bien que l’article 37 de cette Loi ne renferme pas de disposition semblable, la présente Cour a reconnu que l’octroi d’intérêts après jugement était aussi discrétionnaire[116]. Il est vrai que le juge de première instance n’a pas dit pourquoi il octroyait des intérêts non composés avant et après jugement. Toutefois, cette omission ne constitue pas en soi un motif pour infirmer sa décision, si nous sommes convaincus qu’il lui était loisible d’accorder ce qu’il a accordé compte tenu des faits établis devant lui.

Devant nous, la principale prétention des appelantes à l’égard de cette question, selon ce que nous en comprenons, concerne l’omission du juge de première instance d’appliquer le critère juridique approprié pour accorder les intérêts et non sur la question de savoir si l’octroi des intérêts était justifié dans les faits.

Nous sommes tous d’avis qu’il n’y a, en droit, aucun critère juridique qui exige l’octroi d’intérêts composés avant et après jugement à un breveté qui a gain de cause dans une action en contrefaçon. Accepter cette proposition impliquerait la négation du caractère discrétionnaire de l’octroi. En fait, dans Reading & Bates c. Baker, précité, sur lequel les appelantes se fondent en grande partie, il a été expressément reconnu que l’octroi d’intérêts avant jugement avait un caractère discrétionnaire et que l’octroi d’intérêts simples pouvait être approprié dans certains cas. Le juge Létourneau, J.C.A., au nom de la Cour à l’unanimité, dit ceci aux pages 503 et 504 :

Sans aucun doute, l’analogie entre le contrefacteur et le fiduciaire n’est pas parfaite, mais il s’agit d’un raisonnement que les tribunaux, dans leur effort pour parvenir à l’équité, ont élaboré à une époque où la common law ne permettait pas l’octroi d’intérêts avant jugement, mais où l’equity commençait à l’accepter. Dans ce dernier système, le raisonnement a fini par mener à l’octroi d’intérêts composés parce que ceux-ci sont devenus une réalité moderne et se sont imposés dans la vie commerciale. La réalité moderne veut que les intérêts courant sur des prêts ou produits par des dépôts soient des intérêts composés.

À mon avis, vu cette réalité et la nécessité d’assurer l’équité dans la reddition de compte, l’octroi d’intérêts composés au titre de gains réputés tirés des bénéfices est la règle, sous réserve du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’en atténuer l’application ou de n’accorder que des intérêts simples lorsque les circonstances le demandent. La bonne foi du contrefacteur peut certes être prise en considération dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. D’autres facteurs peuvent être examinés, dont la validité douteuse de la revendication de brevet ou le fait que l’octroi d’intérêts composés déborde le domaine de l’équité pour entrer dans celui de la punition. [Non souligné dans l’original.]

Dans cette affaire, la Cour envisageait l’octroi d’intérêts avant jugement dans le contexte de la réparation d’equity par restitution des bénéfices. Or, en l’espèce, le juge de première instance a accordé le recours en dommages-intérêts prévu par une loi. À notre avis, ce seul fait rend la règle établie dans Reading & Bates c. Baker, précité, inapplicable à la présente instance. En outre, ainsi que les intimées le prétendent au paragraphe 128 de leur exposé des faits et du droit, étant donné la reconnaissance de leur bonne foi, il était loisible au juge de première instance d’exercer son pouvoir discrétionnaire en accordant des intérêts simples avant et après jugement. Pour ces motifs, nous estimons qu’il n’y a pas lieu d’intervenir dans la façon dont le juge de première instance a exercé son pouvoir discrétionnaire.

4. Le juge de première instance a-t-il omis de prononcer une déclaration indiquant quelles revendications ont été contrefaites?

À notre avis, la lecture des motifs du jugement dans leur ensemble et leur bonne compréhension ne font ressortir aucune confusion concernant les revendications jugées contrefaites, même si le juge de première instance n’a pas fait de déclaration à ce sujet. L’avocat des appelantes a inclus une telle déclaration au paragraphe 2 du projet de jugement déposé comme annexe 3 à son exposé des faits et du droit, que nous sommes prêts à adopter avec les modifications nécessaires afin de remédier à cette omission.

5. Le juge de première instance a-t-il omis de préciser, dans l’injonction, les personnes et les activités visées?

Dans son jugement modifié, le juge de première instance a rendu l’ordonnance suivante :

[traduction] IL EST ORDONNÉ QU’une injonction soit émise contre VDI et Voith,

mais il n’a pas précisé les activités à l’égard desquelles l’ordonnance restrictive était rendue.

Puisque cette objection au jugement rendu contre VDI a été retirée au cours de la plaidoirie orale, et que nous avons été informés du règlement de l’action intentée contre Voith, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire d’examiner cette question plus avant.

CONCLUSION

Par les motifs exposés ci-dessus, nous sommes d’avis de disposer des appels comme suit :

1. Pour ce qui est de l’appel no A-179-93, nous sommes d’avis accueillir l’appel, en partie, et de déclarer que les lettres patentes canadiennes 1,020,383 (le brevet de Beloit) ainsi que les revendications 1, 2 et 4 à 11 de celles-ci ont été contrefaites par les presses à triple pince DEW. Plus particulièrement, et sans limiter l’étendue de la contrefaçon devant être déterminée dans le cadre de la référence, ces revendications ont été contrefaites par :

a) la fabrication, par l’intimée VDI au Canada, de deux presses à triple pince DEW s’intégrant à des machines complètes vendues à Klockner Stadler Hunter Ltd. pour la South Sabah Pulp and Paper Mill;

b) la vente, par l’intimée VDI, d’une presse (avec sécherie légèrement remise à neuf) à Great Lakes Forest Products Limited;

c) la vente, par l’intimée VDI, d’une machine complète, sauf la sécherie, à Corner Brook Pulp & Paper Limited;

d) la vente, par l’intimée VDI, d’une machine complète à Donohue Malbaie Inc;

e) la vente, par l’intimée VDI, d’une machine complète à Repap N.B. Inc.

2. À tous autres égards, nous sommes d’avis de rejeter les appels.

3. Nous sommes d’avis d’accueillir en partie l’appel incident au motif que le juge de première instance a commis une erreur en ordonnant que VDI paie des dommages-intérêts fondés sur les autres éléments constitutifs avec lesquels les presses ont été rendues plutôt que sur les presses seules.

4. À tous autres égards, nous sommes d’avis de rejeter l’appel indicent.

5. Chacune des parties ayant eu partiellement gain de cause, nous sommes d’avis de ne pas adjuger de dépens quant aux appels ou à l’appel incident.



[1] Anciennement les art. 28(1) et 63(1), S.R.C. 1970, ch. P-4.

[2] Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), 87 C.I.P.R. 205 (C.A.F.)

[3] J.M. Voith GMBH c. Beloit Corp. (1989), 26 C.I.P.R. 22 (C.F. 1re inst.).

[4] J.M. Voith GmbH et autre c. Beloit Corp et autres (1991), 36 C.P.R. (3d) 322 (C.A.F.).

[5] [1992] 1 R.C.S. viii.

[6] Étant donné que les événements faisant l’objet des présentes instances sont antérieurs au 1er janvier 1994, c’est le Code civil du Bas-Canada et non le Code civil du Québec qui s’applique.

[7] Dossier d’appel, vol. 3A, à la p. 433.

[8] Demande d’autorisation de pourvoi refusée : [1992] 1 R.C.S. viii.

[9] J.M. Voith GmbH c. Beloit Corp., [1993] 2 C.F. 515 (1re inst.) , à la p. 539.

[10] Pour un examen du délai de prescription, voir la section 3 ci-dessous intitulée « Prescription », à la p. 529.

[11] (1985), 7 C.I.P.R. 281 (C.A.F.).

[12] 406 U.S. 518 (1972).

[13] Skelding v. Daly et al. (1941), 57 B.C.R. 121 (C.A.), aux p. 128 et 129; Steel Co. of Canada Ltd. c. Sivaco Wire & Nail Co. (1973), 11 C.P.R. (2d) 153 (C.F. 1re inst.).

[14] Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1988), 18 C.I.P.R. 1 (C.A.F.), aux p. 17 et 18; demande d’autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1988] 1 R.C.S. vi.

[15] Ibid.

[16] Dole Refrigerating Products v. Can. Ice Machine Co.& Amerio Contact Plate Freezers Inc. (1957), 28 C.P.R. 32 (C. de l’É).

[17] Précité, note 12.

[18] La loi américaine sur les brevets porte : [traduction] « Tout brevet accorde … au breveté … pour une période de dix-sept ans … le droit d’empêcher toute autre personne de fabriquer, d’exploiter ou de vendre l’invention aux États-Unis », voir 35 U.S.C. § 154 (1988).

[19] Pub. L. No. 98-622, § 101(a), 98 Stat. 3383 (1984) (codifié à 35 U.S.C. § 271(f) (1988)).

[20] 745 F.2d 11 (Fed. Cir. 1984).

[21] Voir S. Watt, « Patent Infringement : Redefining the « Making » Standard to Include Partial Assemblies » (1985), 60 Wash. L. Rev. 889; J. D. Murphy, « Paper Converting Company v. Magna-Graphics Corporation : Increased Protection Against Making and Using Combination Patents » (1985), 34 Am. U.L.R. 761.

[22] Radio Corporation of America v. Andrea, 90 F.2d 612 (2d Cir. 1937); Hewitt-Robins, Inc. Link-Belt Co., 371 F.2d 225 (7th Cir. 1966), à la p. 230; Cold Metal Process Co. v. United Engineering& Foundry Co., 235 F.2d 224 (3d Cir. 1956), à la p. 230.

[23] Précité, note 11.

[24] Id., à la p. 309.

[25] Dossier d’appel (A-176-93), vol. 2, à la p. 209. Exposé conjoint des faits.

[26] Dossier d’appel (A-176-93), vol. 2, à la p. 210. Exposé conjoint des faits.

[27] Dossier d’appel (A-176-93), vol. 3C, aux p. 751 et 752. Interrogatoire préalable de Juhani Pakkala.

[28] Précité, note 14.

[29] Id., aux p. 17 et 18.

[30] (1995), 61 C.P.R. (3d) 271 (C.A.F.), à la p. 281.

[31] Ibid.

[32] Précité, note 14.

[33] L.R.C. (1985), ch. F-7.

[34] L’art. 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale dispose :

39. (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour dont le fait générateur est survenu dans cette province.

Ce paragraphe est un exemple de cas où le droit civil complète la loi fédérale. Voir J.-M. Brisson et A. Morel « Droit fédéral et droit civil : complémentarité, dissociation » (1996), 75 R. du B. can. 297, à la p. 324.

[35] Le juge de première instance a parlé du Code civil du Québec. Techniquement, il s’agit du Code civil du Bas-Canada qui a été remplacé le 1er janvier 1994 par le Code civil du Québec. Les articles pertinents du C.c.B.-C. sont les suivants :

Art. 2242. Toutes choses, droits et actions dont la prescription n’est pas autrement réglée par la loi, se prescrivent par trente ans, sans que celui qui prescrit soit obligé de rapporter titre et sans qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi.

Art. 2261. L’action se prescrit par deux ans dans les cas suivants :

2. Pour dommages résultant de délits et quasi-délits, à défaut d’autres dispositions applicables;

[36] (1978), 43 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.).

[37] J.-L. Baudouin, La responsabilité civile délictuelle, 3e éd., Montréal, Yvon Blais, 1990, à la p. 97.

[38] (1971), 18 D.L.R. (3d) 215 (C. de l’É.), le président Jackett.

[39] Des changements ont été apportés dans une modification récente de la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 15, art. 48, particulièrement en ce qui concerne la version française. Les deux versions de l’art. 55(1) disposent maintenant :

55. (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet.

[40] (1984), 3 C.I.P.R. 1 (C.A.F.), aux p. 22 et 23.

[41] Clerk and Lindsell on Torts, 17e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1995), à la p. 1348. Dans Tyburm Productions Ltd v Conan Doyle, [1990] 1 All ER 909 (Ch. D.), il a été jugé que la violation d’un droit d’auteur étranger ne peut constituer un délit au regard de la loi anglaise. Dans Def Lepp Music and Others v. Stuart-Brown and Others, [1986] R.P.C. 273, à la p. 276, un arrêt de la Haute Cour de Justice, division de la chancellerie, il a été jugé que le droit d’intenter une poursuite en violation de droit d’auteur constituait [traduction] « au regard du droit anglais, un droit prévu par la loi et non un délit en common law ».

[42] Clerk and Lindsell on Torts, précité, aux p. 21 et 22. Le droit des brevets, dont les racines remontent aux traditions historiques de la common law, particulièrement à l’histoire britannique des monopoles octroyés en vertu de la prérogative, fait maintenant l’objet d’une loi. F. B. Fetherstonhaugh& H. G. Fox, The Law and Practice of Letters Patent of Invention in Canada (Toronto : Carswell, 1926), à la p. 1; H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions 4e éd. (Toronto : Carswell, 1969), à la p. 5; Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius and Bruning, [1964] R.C.S. 49, à la p. 56.

[43] Clerk and Lindsell on Torts, 17e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1995), à la p. 1348.

[44] [1993] F.S.R. 113 (Patents County Ct.), à la p. 116.

[45] Voir Paul Mathély, « Le droit français des brevets d’invention » (1974), Journal des notaires et des avocats, à la p. 11, Paris.

[46] L’art. 983 du C.c.B.C. dispose :

Art. 983. Les obligations procèdent des contrats, des quasi-contrats, des délits, des quasi-délits, ou de la loi seule.

[47] L’art. 1057 du C.c.B.-C. dispose :

Art. 1057. Les obligations naissent, en certains cas, de l’opération seule et directe de la loi, sans qu’il intervienne aucun acte, et indépendamment de la volonté de la personne obligée, ou de celle en faveur de qui l’obligation est imposée;

Telles sont les obligations des tuteurs et autres administrateurs qui ne peuvent refuser la charge qui leur est imposée;

L’obligation des enfants à fournir à leurs parents indigents les nécessités de la vie;

Certaines obligations des propriétaires de terrains adjacents;

Les obligations qui, en certaines circonstances, naissent de cas fortuits;

Et autres semblables.

[48] L’art. 17(2) du C.c.B.-C. dispose :

Art. 17.

2. … « loi » … [signifie les] actes, statuts ou lois de la législature de Québec …

[49] Précité, note 38.

[50] Le jugement concernant l’affaire Mastini a été rendu le 21 janvier 1971, tandis que la Loi sur la Cour fédérale est entrée en vigueur le 1er juin 1971.

[51] Les tribunaux du Québec ont statué que la violation d’une loi peut donner lieu à une action civile prescrite par le délai de deux ans prévu à l’art. 2261. Voir Club de chasse et de pêche de Chartierville inc. c. Gaudreau, [1993] R.J.Q. 1529 (C.S.); Commission des droits de la personne du Québec c. Québec (Ville de) [1986], R.J.Q. 243 (C.S.); Brisson c. Leduc, [1988] R.J.Q. 1623 (C.S.).

[52] Précité, note 40.

[53] L.R.O. 1980, ch. 240.

[54] A. M. Linden, La responsabilité civile délictuelle, 5e éd. (Cowansville (Qué.) : Éditions Yvon Blais, 1993), aux p. 1 et 2.

[55] J.-L. Baudouin, La responsabilité civile délictuelle, 3e éd., Cowansville (Qué.) : Yvon Blais Inc., 1990, à la p. 2.

[56] Un « délit » est un acte volontaire. Un « quasi-délit » est un acte involontaire. Voir J.-L. Baudouin, La responsabilité civile délictuelle , 3e éd., Cowansville (Qué.) : Yvon Blais Inc., 1990, à la p. 2.

[57] Précité, note 36.

[58] La nature de la réparation qu’est la restitution des bénéfices a été examinée dans Reading& Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483(C.A.).

[59] Dossier d’appel, vol. 3C, aux p. 785 à 787, pièce 144, interrogatoire préalable de Beloit.

[60] Avocat de Beloit.

[61] Avocat de Beloit.

[62] Kamlopps (Ville de) c. Nielsen, et autres, [1984] 2 R.C.S. 2.

[63] [1986] 2 R.C.S. 147, à la p. 224.

[64] Pour des exemples des types de demandes auxquelles la règle a été appliquée, voir Graeme Mew, The Law of Limitations (Toronto : Butterworths, 1991), aux p. 106 à 109.

[65] [1981] 2 R.S.C. 113. Cet arrêt est antérieur à l’arrêt Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.S.C. 147.

[66] Id., à la p. 126.

[67] J.M. Voith GmbH c. Beloit Corp., [1993] 2 C.F. 515 à la p. 548.

[68] Au sujet des questions de faits, le passage suivant des motifs du juge Ritchie dans Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802, à la p. 808, souvent cité, constitue un point de repère utile :

On ne doit pas considérer que ces arrêts signifient que les conclusions sur les faits tirées en première instance sont intangibles, mais plutôt qu’elles ne doivent pas être modifiées à moins qu’il ne soit établi que le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits. Bien que la Cour d’appel ait l’obligation de réexaminer la preuve afin de s’assurer qu’aucune erreur de ce genre n’a été commise, j’estime qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation de la prépondérance des probabilités aux conclusions tirées par le juge qui a présidé le procès.

[69] [1976] 2 C.F. 415 (1re inst.), à la p. 419.

[70] (1978), 39 C.P.R. (2d) 191 (C.F. 1re inst.).

[71] [1981] 1 R.C.S. 504.

[72] Les avocats ont cité les décisions suivantes : Grand Trunk Pacific Railway Co. v. Dearborn (1919), 58 R.C.S. 315, à la p. 320; Re Navy League of Canada, [1927] 2 D.L.R. 184 (C.S.N.-É.), à la p. 185; et Electric Fireproofing Co. of Canada v. Electric Fireproofing Co. (1910), 43 R.C.S. 182, à la p. 186.

[73] L.R.C. (1985), ch. T-13 (édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 234).

[74] L.R.C. (1985), ch. C-42.

[75] [1965] 2 R.C.É. 197, aux p. 214 à 216; conf. par [1966] R.C.S. 296, aux p. 302 à 305.

[76] AlliedSignal c. Du Pont Canada Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.), aux p. 444 et 445.

[77] Teledyne Indust. Ltd. c. Lido Indust. Products Ltd. (1982), 30 C.P.C. 285 (C.F. 1re inst.) (le juge Addy); Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., [1987] 2 C.F. 373 (1re inst.) (le juge Addy), modifié en appel sur un autre point, [1988] 2 C.F. 305(C.A.); R.W. Blacktop Ltd. c. Artec Equipment Co. (1991), 39 C.P.R. (3d) 432 (C.F. 1re inst.), à la p. 438 (le juge Rouleau).

[78] G. Alexander Macklin, « Relief in Intellectual Property Actions », dans Patent and Trademark Institute of Canada Bulletin , Series 8, vol. 17, février 1983, p. 1089, aux p. 1090 et 1091.

[79] Donald H. MacOdrum, « Entitlement to an Accounting of Profits » dans Patent and Trademark Institute of Canada Bulletin , Series 8, vol. 19, nov. 1983, p. 1243, à la p. 1245.

[80] R. P. Meagher, W. M. C. Gummow et J. R. F. Lehane, Equity : Doctrines and Remedies, 3e éd. (Toronto : Butterworths, 1992), à la p. 659.

[81] Neilson and Others v. Betts (1871), Law Rep. 5 H.L. 1, à la p. 22, par lord Westbury; Patents Act, 1949 (R.-U.) 12, 13 & 14 Geo. 6, ch. 87, art. 60; Patents Act, 1977 (R.-U.), 1977, ch. 37, art. 61.

[82] De Vitre and Others v. Betts, (1873) Law Rep. 6 H.L. 319.

[83] S.B.-C. 1824, ch. 25, édictée le 9 mars 1824; il est à remarquer que de nombreux auteurs mentionnent erronément 1823 comme année d’adoption de la première loi canadienne sur les brevets.

[84] An act to encourage the progress of useful arts within this Province, S.U.C. 1826, ch. 5, édictée le 30 janvier 1826.

[85] Acte pour refondre et amender les lois relatives aux patentes ou brevets d’invention en cette province, S. Prov. C. 1849, ch. 24, édictée en mai 1849.

[86] L’Acte des brevets de 1869, S.C. 1869, ch. 11.

[87] U.S. Statutes 1836, Session I, ch. 357, édictée le 4 juillet 1836 et révisée le 3 mars 1837; ch. 45.

[88] The Patent Law Amendment Act, 1852 (R.-U.), 15& 16 Vict., ch. 83.

[89] Les deux lois comptent 54 articles.

[90] La réparation par restitution des bénéfices réalisés par le défendeur a été intégrée à la loi sur les brevets américaine à la suite de l’introduction de cette réparation dans la loi sur les brevets canadienne. Toutefois, la réparation par restitution a été abolie dans la Patent Act américaine de 1946 (voir Aro Mfg. Co. v. Convertible Top Co., 377 U.S. 476 (1964), à la p. 505). Au Royaume-Uni, la loi sur les brevets a été modifiée en 1919 afin d’exclure la réparation par restitution des bénéfices pour être finalement rétablie en 1949 sur la recommandation du comité Swan, un comité ministériel du Board of Trade de 1947, Cmd. 7206, à la p. 48. Le comité a expliqué que lorsqu’un breveté est limité au recours en dommages-intérêts, il se peut qu’il soit tenu de divulguer au contrefacteur, et éventuellement à un concurrent commercial, des renseignements qui pourraient compromettre ses activités.

[91] Par exemple, l’art. 57 de L’Acte des brevets de 1869 est demeuré pratiquement inchangé depuis 1869 tandis que la version anglaise de la disposition équivalente de la loi anglaise a été modifiée pour prévoir que dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet, une demande peut être présentée, notamment [traduction] « c) pour des dommages-intérêts relatifs à la contrefaçon; d) pour une restitution des bénéfices tirés par lui [le défendeur] par suite de la contrefaçon » : Patents Act 1977 (R.-U.), 1977, ch. 37 art. 61. En outre, contrairement à la loi canadienne, la loi anglaise actuelle prévoit expressément qu’un tribunal ne peut octroyer à la fois la restitution des bénéfices et des dommages-intérêts.

[92] L’article pertinent de la Patents Act, 1990, no 83, 1990, de l’Australie, dispose :

[traduction] 122. (1) En réparation de la contrefaçon d’un brevet, un tribunal peut accorder une injonction (sous réserve des conditions, s’il en est, qu’il estime appropriées) et, au choix du demandeur, des dommages-intérêts ou une restitution des bénéfices.

[93] MacOdrum, précité, note 79, à la p. 1246, note 19; H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Invention, 4e éd. (Toronto : Carswell, 1969), aux p. 5 et 6.

[94] Formea Chemicals Ltd. v. Polymer Corp. Ltd., [1967] 1 O.R. 546 (C.A.); conf. par [1968] R.C.S. 754.

[95] P. V. Baker et P. St. J. Langan, Snell’s Equity, 29e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1990), aux p. 582 et 638.

[96] Siddell v. Vickers (1892), 9 R.P.C. 152 (C.A.), aux p. 162 et 163; Automatic Coal Gas Retort Co. v. The Mayor &c. of Salford (1897), 14 R.P.C. 451 (Ch. D.), à la p. 471 (le juge Romer); Watson, Laidlaw and Co. v. Pott (1914), 31 R.P.C. 104 (H.L.), à la p. 118; et Ductmate Industries Inc. c. Exanno Products Ltd. (1987), 15 C.I.P.R. 115 (C.F. 1re inst.), à la p. 20 (le juge Reed).

[97] Bond v. Hopkins (1802), 1 Sch. & Lefr. 413 (H.L.), à la p. 429; Hanson v. Keating (1844), 67 R.R. 1, aux p. 3 et 4; Sharp v. Wakefield, [1891] A.C. 173 (H.L.), à la p. 179, cité avec approbation dans Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la p. 155; Weingarten Brothers v. Charles Bayer & Co. (1905), 22 R.P.C. 341 (H.L.), à la p. 351; et Szuba v. Szuba, [1951] 1 D.L.R. 387 (H.C. Ont.), aux p. 388 à 391.

[98] (1995), 61 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.).

[99] AlliedSignal, précité, note 76, à la p. 444.

[100] (1995), 61 C.P.R. (3d) 499 (C.A.F.).

[101] (1992), 18 D.L.R. (4th) 1 (C.A.F.), à la p. 27.

[102] [1995] 1 C.F. 483 (C.A.), aux p. 493 et 494; demande d’autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, 1er juin 1995, no du greffe 24458 [[1995] 2 R.C.S. v].

[103] Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1994), 55 C.P.R. (3d) 433 (C.F. 1re inst.); conf. par (1995), 61 C.P.R. (3d) 271 (C.A.F.).

[104] Baker & Langan, précité, note 95, à la p. 29.

[105] Consolboard, précité, note 70 (C.F. 1re inst.), aux p. 220 à 222; conf. par [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 514.

[106] Dossier d’appel, vol. 3C, aux p. 785 à 787.

[107] Précité, note 102, aux p. 493 à 495.

[108] Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.), à la p. 49.

[109] [1937] R.C.S. 36.

[110] (1911), 28 R.P.C. 157 (C.A.).

[111] (1992), 45 C.P.R. (3d) 116 (C.A.F.).

[112] (1995), 61 C.P.R. (3d) 271 (C.A.F.).

[113] [1993] 2 C.F. 515

[114] Précité, note 102.

[115] Précité, note 77.

[116] Voir Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., [1988] 2 C.F. 305 (C.A.), à la p. 321.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.