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[1996] 3 C.F. 3

T-1029-95

Kenneth G. Hale (requérant)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le Conseil du Trésor (intimée)

Répertorié : Hale c. Canada (Conseil du Trésor) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Ottawa, 13 et 23 mai 1996.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Contrôle judiciaire de la décision du délégué du sous-ministre d’approuver la recommandation du comité de règlement des griefs de classification de rejeter le griefLe comité a consulté un expert sur un aspect de la mesure de classification du poste dont la contestation n’avait pas été portée à la connaissance du requérant et sans lui donner la possibilité de répondre à la preuve de l’expertComme la décision a des conséquences financières importantes pour le requérant, l’obligation d’agir équitablement s’appliqueLe critère de cette obligation consiste à savoir si des renseignements suffisants ont été communiqués au requérant pour lui permettre de participer véritablementLe requérant n’a pas été en mesure de véritablement participer au processus étant donné qu’il n’était pas au courant de ces éléments de preuve importants déposés devant le comitéViolation de l’obligation d’agir équitablement.

Fonction publique Grief de classificationContrôle judiciaire de la décision du délégué du ministre d’approuver la recommandation du comité de règlement des griefs de classification de rejeter le griefLe comité a consulté un expert sur un aspect que le requérant ne croyait pas visé par la contestation, c’est-à-dire les conditions de travail, sans qu’il en soit informé et sans lui donner la possibilité de formuler des observations sur la preuve de l’expertLe fait que le Manuel du Conseil du Trésor indique que tous les aspects de la classification peuvent être examinés par le comité n’est pas un avis suffisantL’obligation d’agir équitablement s’applique étant donné que la décision a des conséquences financières importantes pour le requérantViolation de l’obligation d’agir équitablement parce que le requérant n’a pas eu la possibilité de participer véritablement au processus, étant donné qu’il n’était pas au courant d’une preuve importante dont était saisi le comité.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision du délégué du sous-ministre d’approuver une recommandation du comité de règlement des griefs de classification de refuser le grief déposé par le requérant. Le poste du requérant en tant qu’illustrateur technique au Centre géoscientifique de l’Atlantique était classé au niveau DD-04. Le requérant a déposé un grief demandant que son poste soit reclassé au niveau DD-05 ou dans le groupe GT-03. Après que le comité eut pris sa décision, le requérant a été informé que le comité avait consulté un expert au sujet des conditions de travail sans lui donner la possibilité de répondre au témoignage de l’expert sur lequel le comité s’était appuyé pour prendre sa décision. Le Manuel du Conseil du Trésor, qui établit la procédure de règlement des griefs de classification, dispose que la décision de l’administrateur général ou son délégué est définitive et obligatoire. Il indique également que tous les aspects de la mesure de classification du poste faisant l’objet du grief seront revus par le comité.

La question consiste à savoir si le comité a enfreint l’obligation d’agir équitablement en consultant un expert sur un aspect de la mesure de classification dont la contestation n’avait pas été portée à la connaissance du requérant et, ensuite, en s’appuyant sur les renseignements ainsi obtenus sans donner au requérant ou à son représentant syndical la possibilité de faire valoir leurs arguments.

Jugement : la demande doit être accueillie.

L’existence du devoir d’agir équitablement dépend de l’effet de la décision sur les droits du particulier, de la nature de la décision en question et de la relation existant entre le décideur et le particulier. La décision du comité de règlement des griefs et son adoption par le délégué du sous-ministre ont eu des conséquences financières importantes pour le requérant. L’équité du processus de classification revêt une grande importance pour l’agent de négociation du requérant (et, partant, pour le requérant lui-même), afin que soit protégée l’intégrité de la procédure de négociation des salaires. Une personne qui est touchée par une décision, quel que soit son droit ou son intérêt éventuel ou son espoir légitime, a droit à ce que cette décision soit soumise à l’obligation d’agir équitablement.

Le fait que le Conseil du Trésor qualifie la procédure de non contradictoire n’est pas un motif suffisant pour justifier le comité de ne pas communiquer toute l’information pertinente au requérant. Il est important d’examiner le fond du différend et la procédure utilisée. Il n’y a aucun élément dans la procédure établie par le Conseil du Trésor qui empêche le comité de règlement des griefs de communiquer aux employés le type de renseignements que demandait le requérant.

Le critère de l’obligation d’agir équitablement est respecté si les renseignements communiqués à l’intéressé lui ont permis de participer véritablement à la procédure. Ce critère n’a pas été respecté parce que l’information a été obtenue d’un expert sur un aspect de la mesure de classification dont la contestation n’avait pas été portée à la connaissance du requérant, que l’information n’a pas été communiquée au requérant, et qu’il n’a pas eu non plus la possibilité de faire valoir ses arguments. Le fait que le Manuel indique que tous les aspects de la mesure de classification seront revus par le comité n’est pas un avis suffisant pour permettre au requérant de participer véritablement au processus de décision. Le requérant n’a pas été en mesure de participer véritablement étant donné qu’il n’a pas été informé d’éléments de preuve importants dont était saisi le comité.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 7(1) (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 2), 11(2)c), 12(1).

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 91, 92 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68), 96.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; (1990), 69 D.L.R. (4th) 489; [1990] 3 W.W.R. 289; 83 Sask. R. 81; 43 Admin. L.R. 157; 30 C.C.E.L. 237; 90 CLLC 14,010; 106 N.R. 17; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879; (1989), 62 D.L.R. (4th) 385; 100 N.R. 241; Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 R.C.S. 159; (1994), 112 D.L.R. (4th) 129; 20 Admin. L.R. (2d) 79; 14 C.E.L.R. (N.S.) 1; [1994] 3 C.N.L.R. 49; 163 N.R. 241.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Chong et autre c. Canada (Procureur général) et autre (1994), 104 F.T.R. 253 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3 (1994), 25 Admin. L.R. (2d) 161; 167 N.R. 241 (C.A.); Tanack c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] F.C.J. nE 582 (1re inst.) (QL).

DOCTRINE

Blake, S. Administrative Law in Canada. Toronto : Butterworths, 1992.

Manuel du Conseil du Trésor. Module — Gestion du personnel : Classification. Ottawa : Conseil du Trésor du Canada.

DEMANDE de contrôle judiciaire concernant la décision du délégué du sous-ministre d’approuver la recommandation d’un comité de règlement des griefs de classification de refuser le grief du requérant. Demande accueillie.

AVOCATS :

Andrew J. Raven pour le requérant.

Lyndsay K. Jeanes pour l’intimée.

PROCUREURS :

Raven, Jewitt & Allen, Ottawa, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : Il s’agit en l’espèce de déterminer le contenu de l’obligation d’agir équitablement applicable à la décision d’un sous-ministre de rejeter le grief de classification déposé par un employé. La décision est celle du sous-ministre de Ressources naturelles Canada, prise par son délégué, Moodie, le 28 février 1995. Elle approuvait la recommandation du comité de règlement des griefs de classification de rejeter le grief du requérant.

Un représentant de l’agent de négociation du requérant (l’Alliance de la fonction publique du Canada) a écrit à Moodie le 17 mars 1995, pour lui demander de revoir la décision qui avait été prise parce que, notamment, le comité avait modifié le libellé utilisé pour décrire les conditions de travail du poste occupé par le requérant. La lettre indiquait qu’il s’agissait d’un changement par rapport à ce qui avait été décrit par le superviseur du requérant et que ces changements n’avaient été discutés ni avec la direction locale, ni avec le titulaire du poste, ni avec l’agent de négociation. La réponse, en date du 5 avril 1995, a été rédigée par un autre délégué du sous-ministre, A. Piscina. Elle indiquait que le sous-ministre était satisfait du travail du comité de règlement des griefs et qu’il était convaincu que le niveau de classification attribué au poste était approprié. La lettre mentionnait que le comité avait pu [traduction] « bénéficier des services d’un expert qui s’était prononcé sur la nature, la fréquence, l’intensité et la durée de l’attention, de la concentration et de la coordination mentale et sensorielle nécessaires pour ce type de poste, de même que sur d’autres aspects du travail ».

L’avocat du requérant fait valoir qu’il y a eu violation de l’obligation d’agir équitablement. Il prétend que le comité a enfreint cette règle en consultant un expert sur un aspect de la mesure de classification du poste dont la contestation n’avait pas été portée à la connaissance du requérant et, ensuite, en s’appuyant sur les renseignements ainsi obtenus pour déclasser le poste, sans donner au requérant et à son représentant syndical la possibilité de faire valoir leurs arguments. L’avocat de l’intimée fait valoir que les employés et leurs représentants syndicaux savent que, dans un grief de classification, tous les aspects de l’évaluation peuvent être réexaminés et que cette possibilité est énoncée dans le Manuel du Conseil du Trésor, au chapitre traitant de la procédure applicable à ce type de griefs. Il prétend donc qu’il n’y a pas eu violation de l’obligation d’agir équitablement.

Tout d’abord, il est nécessaire de décrire les faits en détail. Le requérant travaille comme illustrateur technique au Centre géoscientifique de l’Atlantique à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. Dans la fonction publique, les exigences et fonctions d’un poste sont énoncées dans une « description d’emploi ». Cette description est préparée par une équipe que j’appellerai la direction locale. L’exactitude de cette description peut être vérifiée sur place, ce qui a été fait en l’espèce. Une fois que la description exacte est acceptée, l’emploi est ensuite classé à un certain niveau en fonction des exigences du poste. Cette procédure de classification a pour objet d’assurer que les personnes qui occupent des emplois de nature, de complexité, de responsabilité, etc., à peu près similaires, reçoivent une rémunération à peu près semblable. Plus le niveau de classification est élevé, plus la rémunération est élevée.

En l’espèce, la description d’emploi porte la date du 19 octobre 1994. Le 4 novembre 1994, l’emploi a été classé au niveau DD-04. L’emploi a été évalué selon six facteurs et des points ont été accordés de la façon suivante : connaissance (179), responsabilité technique (80), exactitude et qualité (46), contacts (27), conditions de travail (120) et supervision (15). L’emploi a donc été évalué à 467 points, ce qui le classait au niveau DD-04. Le 30 novembre 1994, le requérant a déposé un grief demandant que le poste soit reclassé au niveau DD-05 ou dans le groupe GT-03. Les arguments présentés en son nom faisaient valoir que les points attribués aux facteurs connaissance et responsabilité technique n’étaient pas suffisants, et qu’ils devraient être augmentés à 216 et 120, respectivement.

Une audience a eu lieu devant le comité de règlement des griefs de classification le 6 février 1995 à Ottawa. Le représentant du requérant a été invité à présenter des observations et il a ensuite été prié de quitter la pièce. Cette façon d’agir est conforme à la procédure habituellement suivie par le comité. Comme il a déjà été noté, le délégué du sous-ministre a rendu sa décision le 28 février 1995, en approuvant la recommandation du comité de rejeter le grief. Le comité a refusé les arguments concernant l’augmentation des points devant être attribués au facteur connaissance, mais il a accepté les arguments du requérant au sujet de la sous-évaluation du facteur responsabilité technique. Il a donc attribué 120 points à cet aspect de l’emploi, au lieu des 80 points accordés lors de la classification initiale. Toutefois, le comité a réduit le nombre de points attribués aux conditions de travail. Il les a établis à 60 points plutôt qu’à 120. L’emploi a donc été évalué à 447 points et est demeuré au niveau DD-04. Cette modification a donné lieu à l’échange de lettres susmentionné, dont l’objet était de faire réviser la décision parce que le requérant n’avait pas eu la possibilité de présenter des observations en réponse au témoignage de l’expert sur lequel le comité s’était appuyé pour rendre sa décision concernant les conditions de travail.

Il est bien établi en droit que le contenu de l’obligation d’agir équitablement varie en fonction de la nature de la décision contestée. C’est ce qui ressort clairement de l’arrêt Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602. La Cour y a statué que les règles pouvaient varier selon la nature des intérêts visés par la décision et la nature de la procédure suivie[1]. Voir également Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la page 669. L’affaire Knight est exceptionnelle parce qu’il y était question d’un contrat de travail résiliable sur préavis de trois mois sans motif valable. La Cour a statué que, même dans cette situation, l’obligation d’agir équitablement devait être remplie avant que le requérant puisse être renvoyé. Mme le juge L’Heureux-Dubé a indiqué que l’existence du devoir d’agir équitablement dépend : de l’effet de la décision sur les droits du particulier; de la nature de la décision en question; et de la relation existant entre le décideur et le particulier. Elle a conclu, en l’espèce, qu’une obligation minimale devait être remplie, c’est-à-dire que le particulier devait être informé de la cause de son renvoi et avoir la possibilité de se faire entendre. Dans l’ouvrage de Blake, Administrative Law in Canada (Butterworths, 1992), aux pages 9 à 17, l’auteur classe les facteurs suivants au nombre des facteurs que les tribunaux prennent en considération dans l’évaluation de la norme d’équité applicable : (1) l’effet de la décision; (2) la nature de la décision; (3) le mandat du tribunal; (4) la possibilité que les erreurs puissent être corrigées par un redressement ultérieur; (5) l’assujettissement de la procédure suivie à des règles prévues par la loi.

Pour ce qui a trait à la nature des intérêts touchés en l’espèce, si le poste occupé par le requérant est classé au niveau DD-04, l’échelle de rémunération est de 31 008 $ à 37 568 $. Par ailleurs, si le poste est classé au niveau DD-05, l’échelle est augmentée de 36 281 $ à 41 259 $. La décision peut donc entraîner une différence d’environ 5 000 $ par année sur le salaire du requérant, somme qui s’ajoute à son salaire de base pour les années subséquentes. L’Alliance de la fonction publique a également intérêt à ce que l’emploi soit correctement classé. En sa qualité d’agent négociateur pour le requérant et d’autres fonctionnaires, l’Alliance négocie avec les représentants du Conseil du Trésor le niveau de rémunération qui doit être versé aux fonctionnaires. Les négociations se fondent sur les différents niveaux de classification. L’avocat prétend que si, une fois que les différents niveaux de rémunération ont été établis dans le cadre du processus de négociation, l’employeur peut arbitrairement déterminer le niveau de classification de n’importe quel emploi, alors c’est toute la procédure de négociation des salaires qui est tournée en dérision. La décision du comité de règlement des griefs, confirmée par le délégué du sous-ministre, a d’importantes conséquences financières pour le requérant. L’équité du processus de classification revêt une grande importance pour l’agent de négociation du requérant (et, partant, pour le requérant lui-même), afin que soit protégé l’intégrité de la procédure de négociation des salaires.

L’avocat de l’intimée semble prétendre que les règles d’équité ne sont pas applicables en l’espèce ou, du moins, que le contenu de ces règles est très minimal parce que le requérant n’a aucun « droit » de faire relever la classification de son poste. Il est important de rappeler ici l’analyse qui a été faite dans l’arrêt Martineau. Dans cet arrêt, la Cour suprême fait remarquer qu’il existait une tendance malheureuse dans l’analyse des situations pouvant être assujetties à un contrôle judiciaire, qui avait pour effet de « considérer les `droits’ dans le sens étroit de droits auxquels sont attachées des obligations juridiques »[2]. La Cour déclare qu’une personne qui est touchée par une décision, quel que soit son droit ou son intérêt éventuel ou son espoir légitime, a droit à ce que cette décision soit soumise à l’obligation d’agir équitablement[3].

J’aborde maintenant les dispositions législatives applicables et la procédure qui a été prescrite par le Conseil du Trésor relativement à ces décisions. Le paragraphe 7(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 2], confère au Conseil du Trésor la responsabilité de la gestion de la fonction publique :

7. (1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l’égard des questions suivantes :

a) les grandes orientations applicables à l’administration publique fédérale;

b) l’organisation de l’administration publique fédérale ou de tel de ses secteurs ainsi que la détermination et le contrôle des établissements qui en font partie;

e) la gestion du personnel de l’administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d’emploi;

Dans le cadre de ses responsabilités, le Conseil du Trésor doit assurer la classification des postes et des employés. L’alinéa 11(2)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques dispose comme suit :

11.

(2) … le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :

c) assurer la classification des postes et des employés au sein de la fonction publique;

Le paragraphe 12(1) est formulé dans les termes suivants :

12. (1) Le Conseil du Trésor peut, aux conditions et selon les modalités qu’il fixe, déléguer tel de ses pouvoirs en matière de gestion du personnel de la fonction publique à l’administrateur général d’un ministère ou au premier dirigeant d’un secteur de la fonction publique; cette délégation peut être annulée, modifiée ou rétablie à discrétion.

Les politiques et procédures relatives à la gestion de la fonction publique, établies par le Conseil du Trésor, sont énoncées dans le Manuel du Conseil du Trésor. Ce manuel contient une liste des différentes désignations utilisées aux fins de la classification (par exemple, l’abréviation DD fait référence au poste « Drafting and Illustration/Dessin et illustration »). À l’intérieur de cette désignation, sont établis neuf niveaux (DD-01 à DD-09). La fourchette de points applicable à un poste de niveau DD-04 est de 421 à 500 points; le poste de niveau DD-05 correspond à une fourchette de 501 à 580 points.

L’objectif du système de classification, selon le Manuel du Conseil du Trésor, est d’assurer une rémunération équitable aux fonctionnaires [Module—Gestion du personnel : Classification, chapitre 1, à la page 1] :

[L’objectif du système est] d’assurer que la valeur relative de tous les emplois au sein de la fonction publique soit établie de façon équitable, uniforme et efficace, aux fins de la rémunération des fonctionnaires.

Le Manuel explique également que c’est la description d’emploi qui constitue le fondement de cette classification [chapitre 2, à la page B-2] :

2.1 La description d’emploi constitue le document de base de la classification et de l’évaluation d’un poste. Elle doit être initiée par le gestionnaire axial et doit exposer les fonctions, responsabilités et autres caractéristiques du travail effectivement accompli ou si le poste est vacant, on doit décrire les fonctions de l’emploi. La description doit contenir le genre de renseignements nécessaires pour permettre d’attribuer le poste à une catégorie et un groupe spécifiques et de l’évaluer par rapport à la norme de ce groupe.

Si un employé estime que le poste qu’il occupe n’a pas été correctement classé, parce que les points qui lui ont été attribués ne tiennent pas compte des exigences du poste, il peut contester cette décision de classification par voie de grief. L’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, dispose qu’un employé a le droit de présenter un grief concernant des faits qui portent atteinte à ses conditions d’emploi. Certains de ces griefs peuvent être renvoyés à l’arbitrage. Ce n’est pas le cas des griefs de classification (voir, en termes généraux, les articles 92 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68] et 96 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique). La procédure applicable à un grief de classification est établie par le Conseil du Trésor et est énoncée dans le Manuel. L’objectif de cette procédure est décrit dans les termes suivants [chapitre 4, à la page 1] :

Fournir un mécanisme de recours aux employés qui sont mécontents de la classification attribuée aux fonctions qui leur sont assignées par l’employeur et qu’ils accomplissent.

Le Manuel indique également ce qui suit [chapitre 4, à la page 1] :

Tous les griefs de classification reçus feront l’objet d’un examen approfondi par des personnes qualifiées n’ayant pas participé à la décision prise au sujet de la classification faisant l’objet du grief. Ces personnes présenteront une recommandation à l’administrateur général ou à son délégué, dont la décision sera définitive et obligatoire[4]. [Non souligné dans l’original.]

Le Manuel du Conseil du Trésor [dans un supplément intituler « Procédure du règlement des griefs de classification »] explique le mode de constitution d’un comité de règlement des griefs de classification, le mode de présentation du grief, les délais applicables au dépôt du grief et la décision. Le Manuel énonce également, au supplément du chapitre 4, la procédure que le comité doit suivre. Voici les extraits pertinents :

F.   PROCÉDURE DU COMITÉ

1.   Le processus de règlement des griefs de classification n’a pas été conçu dans le but d’opposer deux parties, mais dans celui de permettre des audiences afin d’échanger des renseignements qui aideront les membres du comité à formuler une recommandation fondée à l’administrateur général ou à son délégué.

2.   La personne qui préside doit s’assurer que les membres du comité, et en particulier, que le plaignant soient au courant du rôle du comité et du processus de règlement des griefs. Il est très important d’informer le plaignant et/ou son représentant que tous les aspects de la mesure de classification seront revus, même si le grief ne porte pas nécessairement sur tous ces aspects, et que la décision définitive et obligatoire pourrait résulter en un relèvement, une confirmation ou un abaissement du niveau du poste. La personne qui préside devrait expliquer ensuite le rôle de chaque membre du comité ainsi que la façon dont le comité procédera, c’est-à-dire :

a.    présentation des arguments par le plaignant et/ou son représentant;

b.   information fournie par la direction;

c.    délibérations du comité;

d.   rapport du comité;

e.   décision définitive et obligatoire de la part de l’administrateur général et/ou son délégué.

3.   La personne qui préside le comité doit être bien informée de la nature et de tous les détails du poste qui fait l’objet du grief afin de fournir des explications précises et immédiates aux membres du comité quant à la relativité ministérielle. Le président doit s’assurer de contrôler le déroulement de la réunion.

G.   PRÉSENTATION DU PLAIGNANT ET/OU DE SON REPRÉSENTANT

1.   Le plaignant, son représentant, ou les deux devraient avoir l’occasion de faire une présentation, en personne ou par écrit, avant que le comité ne formule une recommandation au sujet de la classification du poste visé par le grief. Dès que leur présentation est chevée, ils doivent quitter la réunion.

H.   RENSEIGNEMENTS DU REPRÉSENTANT DE LA DIRECTION

1.    Un représentant de la direction qui connaît bien la nature du travail du poste visé par le grief devrait être disponible afin de répondre aux questions des membres du comité au sujet du poste. Le représentant de la direction ne doit pas émettre d’opinion quant à la mesure de classification qui a donné lieu au grief, tenter d’influencer les membres du comité, participer aux délibérations du comité et être présent lors des présentations qui sont faites par le plaignant et/ou son représentant.

I.   INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

1.   Si les membres du comité le jugent nécessaire, ils peuvent convoquer d’autres personnes afin d’obtenir des renseignements supplémentaires et/ou décider d’aller vérifier sur place la nature du travail du poste en question.

Il n’est pas contesté que le Conseil du Trésor a le pouvoir d’établir les conditions de travail, y compris les niveaux de classification, pour les employés de la fonction publique. Il n’est pas non plus contesté qu’il a le pouvoir d’établir des politiques dans ce domaine, notamment la procédure pour le règlement des griefs de classification. Toutefois, on fait valoir que l’application de la procédure qui a été établie doit être équitable. Cela est d’autant plus vrai que la décision prise est finale et obligatoire. Aucun mécanisme de révision n’est prévu.

L’avocat du requérant fait valoir qu’il n’est pas important de savoir que le Manuel du Conseil du Trésor affirme que le processus de règlement des griefs « n’a pas été conçu dans le but d’opposer deux parties ». En fait, ce processus a pour objet de régler un différend à partir de faits donnés et des conclusions que l’on peut en tirer. Dans ce genre de situation, l’employé adopte une position et la « direction » ou « l’employeur » en adopte une autre. Le représentant syndical de l’employé se présente devant le comité, et son rôle y est sensiblement le même que celui qui lui incombe dans d’autres procédures de règlement des griefs, c’est-à-dire qu’il présente des arguments au nom de l’employé. Je fais observer que le Manuel du Conseil du Trésor décrit lui-même l’objectif de la procédure de règlement des griefs de la façon suivante : « [f]ournir un mécanisme de recours aux employés qui sont mécontents de la classification attribuée aux fonctions qui leur sont assignées par l’employeur et qu’ils accomplissent » (non souligné dans l’original). Je ne peux accepter que, parce que le Conseil du Trésor qualifie la procédure de non contradictoire, le comité soit justifié de ne pas communiquer toute l’information pertinente au requérant. Il est important d’examiner le fond du différend et la procédure utilisée, et non pas la qualification qui en est donnée par une partie ou ceux qui ont établi cette procédure. Il n’y a aucun élément dans la procédure établie par le Conseil du Trésor qui empêche le comité de règlement des griefs de communiquer aux employés le type de renseignements que le requérant demande et de lui accorder la possibilité d’y répondre.

L’avocat du requérant fait valoir qu’en raison de la nature de la décision, du processus décisionnel lui-même et de la relation qui existe entre le décideur et l’employé, le contenu de l’obligation d’agir équitablement devrait être plus que minimal. Il note, comme il ressort clairement de ce qui a été dit ci-dessus, qu’une décision de classification a d’importantes conséquences financières pour le requérant. Deuxièmement, il fait aussi valoir que c’est le Conseil du Trésor qui négocie l’établissement des niveaux de rémunération avec le syndicat. Le Conseil du Trésor est « l’employeur ». Le sous-ministre exerce le pouvoir qui lui a été délégué par le Conseil du Trésor. C’est le Conseil du Trésor qui établit les règles de procédure utilisées par le comité de règlement des griefs. Un représentant du Conseil du Trésor siège à ce comité et c’est le Conseil qui en détermine la composition. La décision prise par le délégué du sous-ministre, sur la recommandation du comité de règlement des griefs, ne peut être portée en appel. L’avocat fait donc valoir que lorsque la direction a des intérêts contraires à ceux du requérant et à ceux du décideur final, il y a lieu d’exercer un plus grand soin qu’à l’ordinaire pour s’assurer qu’une procédure équitable est respectée. Il me semble que cet argument pourrait avoir un certain fondement, mais il n’est pas nécessaire que je m’appuie sur celui-ci.

Comme il a déjà été noté, l’avocat du requérant ne conteste pas le fait que le Conseil du Trésor a le pouvoir d’établir les conditions d’emploi des fonctionnaires. Il ne prétend pas non plus que le Conseil du Trésor n’a pas le pouvoir d’établir les règles de procédure applicables au règlement des griefs. Il ne prétend pas qu’un comité de règlement des griefs de classification n’a pas le droit d’examiner tous les aspects de la mesure de classification dont il est saisi, et même les aspects qui ne sont pas contestés par le plaignant. Il ne prétend pas qu’il est nécessaire de tenir une audience, qu’un droit au contre-interrogatoire existe, ou que le requérant ou son représentant devrait être autorisé à demeurer dans la salle d’audience après la présentation de ses arguments. Toutefois, il fait valoir que, lorsque le comité décide d’examiner un aspect de la classification que l’employé ne s’attendait pas à voir contester, et qu’il décide d’obtenir une preuve ayant trait à cet aspect et de s’appuyer sur celle-ci sans que l’employé n’en soit informé ou n’ait de renseignements à cet égard, l’équité exige que des renseignements soient fournis à l’employé et qu’il ait la possibilité de faire valoir ses arguments. J’accepte cette position.

La décision Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, nous fournit une analogie utile à cet égard. La décision à l’étude dans cette affaire concernait une plainte alléguant qu’il y avait de la discrimination fondée sur le sexe et que les employées ne recevaient par un salaire égal pour un travail équivalent à celui de leurs collègues masculins. La Commission canadienne des droits de la personne, sur la recommandation de l’enquêteur de la Commission, a décidé que l’examen de la plainte du requérant n’était pas justifié. L’enquêteur avait obtenu des renseignements du requérant/plaignant et de l’employeur. L’enquêteur a fondé sa recommandation à la Commission sur ces renseignements. La Cour suprême a noté dans sa décision que, même si la Commission n’était pas tenue d’observer les règles de la justice naturelle, qui sont applicables aux délibérations des tribunaux judiciaires ou quasi-judiciaires, elle avait l’obligation d’agir équitablement[5]. Le juge Sopinka, s’exprimant au nom de la majorité, ajoute que cette obligation avait été remplie en l’espèce parce que l’enquêteur avait informé le requérant de la substance de la preuve qu’il avait obtenu de l’employeur et qu’il avait communiqué à la Commission pour motiver sa recommandation. En outre, le requérant avait eu la possibilité de répliquer à cette preuve, par écrit, avant que la Commission rende sa décision. Voir également Mercier c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3(C.A.). Je ne vois pas pourquoi, dans le cas dont je suis saisie, le requérant n’aurait pas le droit à une communication semblable du témoignage de l’expert et à la possibilité de répliquer à cette preuve.

Deux décisions qui semblent adopter une approche différente ont été citées : Tanack c. Canada (Conseil du Trésor), [[1996] F.C.J. no 582 (1re inst.) (QL)] et Chong et autre c. Canada (Procureur général) et autre (1995), 104 F.T.R. 253 (C.F. 1re inst.). Dans la décision Tanack, le requérant n’était pas représenté par un avocat. L’analyse pertinente au cas en l’espèce se fonde sur celle qui a été faite dans la décision Chong.

Dans la décision Chong, bien qu’une description ait été donnée de la nature de l’intérêt du requérant et de la procédure suivie par le comité de règlement des griefs, la majeure partie de ce qui a été dit sur cette procédure est, à strictement parler, de l’ordre d’une opinion incidente puisque la décision à l’étude a été annulée parce que le comité n’avait pas tenu compte d’éléments de preuve dont il était saisi et non pas parce qu’il avait manqué à l’équité procédurale. Deuxièmement, le manquement à l’équité procédurale allégué dans cette affaire (c’est-à-dire le fait de ne pas avoir donné au particulier accès à la totalité des renseignements dont le comité était saisi) ne semble pas avoir entraîné de conséquence. À la page 265 de la décision, une description est faite des renseignements n’ayant pas été fournis. Il y est dit qu’il s’agissait d’« éclaircir certains éléments spécifiques du poste ». Le juge McKeown tire ensuite la conclusion suivante : « Je n’aurais pas renvoyé l’affaire au comité si le défaut de noter les réponses de la direction dans les motifs de décision était la seule erreur qu’il eût commise ». Il me semble que la principale raison pour laquelle le juge a conclu qu’il n’y avait pas eu violation par suite de l’omission de communiquer les renseignements, c’est que cette omission n’a pas eu de conséquence importante.

Ce qui est plus important, toutefois, c’est que la décision Chong s’appuie, aux pages 264 et 265, sur la décision rendue dans Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 R.C.S. 159. Elle cite un extrait de cette décision, à la page 182, dans lequel le juge déclare que la question en litige est celle de savoir si les renseignements communiqués aux appelants leur ont permis de participer véritablement à la procédure :

La question est plutôt de savoir si l’Office a fait aux appelants une divulgation suffisante pour leur permettre de véritablement participer à l’audition, leur accordant ainsi un traitement équitable dans toutes les circonstances …

C’est le critère qui a été appliqué dans la décision Chong, et c’est aussi celui qui est applicable en l’espèce.

L’application de ce critère m’amène à conclure qu’en l’espèce l’obligation d’agir équitablement n’a pas été remplie. Pour mieux expliquer cette conclusion, je note que l’avocat de l’intimée a fait valoir que l’obligation d’agir équitablement ne s’applique pas (ou, dans son contenu le plus minimal, n’exige pas la communication demandée) parce qu’aucune charge n’a été portée contre laquelle le requérant devait se défendre. Cette façon de formuler la condition pertinente ne m’est pas très utile. Cette formulation me semble se rattacher à l’argument de l’avocat de l’intimée selon lequel le requérant n’a aucun « droit » de faire reclasser son poste. À mon avis, il serait plus approprié de reformuler la question comme elle a été énoncée dans l’arrêt Québec, précité : la divulgation a-t-elle été suffisante pour permettre au requérant de véritablement participer à la procédure? Je ne sais pas comment il est possible de prétendre que ce critère a été respecté quand l’information est obtenue d’un expert, sur un aspect de la classification contestée par l’employeur sans que le requérant en soit informé, que cette information n’est pas communiquée au requérant, et qu’il n’a pas non plus la possibilité de faire valoir ses arguments au sujet de cette information.

L’avocat de l’intimée fait valoir que le requérant et son représentant savaient que tous les aspects de la classification seraient examinés par le comité. Il prétend que le Manuel indique clairement que cela se produira. Toutefois, cela n’est pas suffisant pour permettre au requérant de participer véritablement au processus de décision. Le requérant n’est pas en mesure de participer véritablement s’il n’est pas informé d’éléments de preuve importants dont est saisi le comité.

Pour les motifs indiqués ci-dessus, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen et nouvelle décision.



[1] Voir p. 618 et 619, 621 et 622, 624.

[2] À la p. 618.

[3] À la p. 619.

[4] Voir également l’art. 96(3) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

[5] À la p. 899.

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