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[1997] 1 C.F. 624

T-3041-89

Forest Oil Corporation (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié : Forest Oil Corp. c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson—Ottawa, 27 novembre 1996.

Énergie Paiement en trop par acomptes versés aux termes de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliersL’art. 91(1) de la Loi constitue l’intégralité des dispositions pertinentes en ce qui concerne les remboursementsLe législateur ne peut porter atteinte au droit du contribuable qu’en utilisant des termes exprèsEnrichissement sans causeFiducie légale.

Restitution La doctrine de l’enrichissement sans cause peut être invoquée à l’encontre du gouvernement en cas de paiement en trop, par un contribuable, aux termes de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliersEnrichissement, appauvrissement correspondant et absence de motif juridique (art. 91(1) de la LIRP).

Couronne Obligation de respecter les loisQuestion de restitution dans un cas d’enrichissement sans cause de la Couronne grâce à un paiement en trop par acomptes versés aux termes d’une loi fiscaleArgument voulant que l’art. 26 de la Loi sur la gestion des finances publiques empêche la Couronne de rembourser le contribuableIl n’appartient pas à la Cour de chercher comment le législateur aurait autorisé le remboursement de la somme qui est due à la demanderesseC’est à la branche exécutive du gouvernement qu’il incombera de déterminer comment elle doit procéder pour se conformer au présent jugement.

La demanderesse a contesté le refus de la défenderesse de lui rembourser un montant de 411 424 94 $ qu’elle lui a remis en acomptes de l’impôt à payer pour l’année d’imposition 1983 en vertu de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers (la LIRP). La demanderesse a cherché à obtenir une déclaration attestant que la défenderesse détenait ce montant pour le compte de la demanderesse en vertu d’une fiducie légale, et une ordonnance enjoignant à la défenderesse de remettre à la demanderesse cette somme majorée de tous les intérêts courus. Les arguments ont porté essentiellement sur la demande d’une déclaration attestant l’existence d’une fiducie légale, fondée sur la doctrine de l’enrichissement sans cause.

Jugement : l’action doit être accueillie.

Les avocats ont reconnu que la demanderesse n’avait aucun impôt à payer en vertu de la LIRP pour l’année d’imposition 1983, que le montant contesté représentait un « paiement en trop » au sens du paragraphe 91(1) de la LIRP, et qu’il y avait eu un enrichissement et un appauvrissement correspondant. La question était donc de savoir si un « motif juridique » justifiait l’enrichissement de la défenderesse.

Le paragraphe 91(1) prévoit le remboursement de tout paiement en trop si la déclaration de revenu de production d’un contribuable pour une année d’imposition a été produite dans les quatre ans qui suivent la fin de l’année. Comme la demanderesse n’a pas produit la déclaration de son revenu de production pour l’année d’imposition 1983 dans les quatre années suivant la fin de cette année, et comme le ministre ne lui a pas donné avis par écrit qu’aucun impôt n’était payable pour l’année d’imposition, il ne fait donc aucun doute que le ministre n’avait ni l’obligation ni le pouvoir, aux termes du paragraphe 91(1), de rembourser à la demanderesse la somme contestée. Si, en l’absence de tout pouvoir qui lui serait conféré par le paragraphe 91(1), le ministre n’avait absolument aucune autorité pour procéder au remboursement, il n’y aurait pas de motif juridique à l’enrichissement.

Selon la jurisprudence, pour qu’un tribunal restreigne le droit d’un contribuable à ce qui, par ailleurs, lui serait dû, il faudrait certainement que le législateur se soit exprimé en termes absolument clairs. Selon la méthode d’examen des termes dans leur contexte global pour l’interprétation des dispositions pertinentes de la LIRP, on doit conclure que le législateur, en adoptant le paragraphe 91(1) de cette Loi, avait l’intention d’y assujettir toutes les situations dans lesquelles le ministre du Revenu national pouvait être soit autorisé à rembourser les sommes versées au titre de l’impôt payable en vertu de la LIRP, soit tenu de le faire, que la contribuable soit ou non redevable d’un impôt en vertu de cette Loi pour l’année d’imposition en question.

Néanmoins, en toute équité et compte tenu de l’absence d’un libellé exprès au paragraphe 91(1), ou dans une disposition ayant un rapport avec ce paragraphe, déclarant que celui-ci constitue l’intégralité des dispositions pertinentes, il était loisible à la Cour d’imposer une fiducie légale du fait qu’il y a eu un enrichissement sans cause découlant de l’absence d’un motif juridique justifiant l’enrichissement de la défenderesse, d’après les faits de l’espèce.

En l’espèce, le principe d’enrichissement sans cause pouvait être invoqué à l’encontre du gouvernement en vue d’obtenir un remboursement. Le problème découlait du fait que la demanderesse avait respecté les dispositions de la LIRP, c’est-à-dire qu’elle avait versé des acomptes provisionnels au titre de l’impôt qu’elle devait éventuellement payer et, ce qui est plus important, du fait qu’elle avait omis de produire la déclaration de son revenu de production pour l’année d’imposition 1983 dans les délais prescrits. Le résultat obtenu à l’issue d’une série de circonstances tout à fait inhabituelles et en vertu d’un régime légal qui n’est plus en vigueur, a entraîné une sanction extraordinairement lourde qui est tout à fait hors de proportion avec l’omission de la demanderesse.

L’article 26 de la Loi sur la gestion des finances publiques (qui énonce que tout paiement sur le Trésor est subordonné à l’autorisation du Parlement) n’empêche pas un tel remboursement en l’espèce. Il n’appartient pas à la Cour de chercher un pouvoir conféré par le législateur de rembourser une somme qui, selon elle, est due par la défenderesse à la demanderesse. Il s’agit là d’une tâche qui revient à la branche exécutive du gouvernement. S’il est impossible de conclure à l’existence d’un tel pouvoir conféré par le législateur, la Cour ne croit pas que l’article 26 de la Loi sur la gestion des finances publiques l’empêche de prononcer le jugement qu’elle estime approprié, juste et conforme à la loi. S’il n’existe pas de pouvoir approprié, c’est à la branche exécutive du gouvernement qu’il incombera de déterminer comment elle doit procéder pour se conformer au présent jugement.

La défenderesse s’est enrichie au détriment de la demanderesse sans qu’un motif juridique, en l’espèce, une disposition législative, ne justifie clairement et sans équivoque cet enrichissement. Le législateur n’avait pas envisagé que le paragraphe 91(1) de la LIRP aurait l’effet que nous démontrent les faits de l’espèce. S’il avait envisagé une telle situation, il aurait certainement prévu un résultat approprié en faveur du contribuable. Comme il ne l’a pas fait, on ne peut présumer que le législateur avait l’intention de traiter le contribuable d’une façon aussi injuste. La défenderesse s’est enrichie sans cause.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers, S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, partie IV, art. 87(4), 91(1).

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 26.

Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Sorochan c. Sorochan, [1986] 2 R.C.S. 38; (1986), 74 A.R. 67; 29 D.L.R. (4th) 1; [1986] 5 W.W.R. 289; 46 Alta. L.R. (2d) 97; 23 E.T.R. 143; 69 N.R. 81; 2 R.F.L. (2d) 225; Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493; (1983), 3 D.L.R. (4th) 1; [1984] 2 W.W.R. 97; 25 Man. R. (2d) 302; 6 Admin. L.R. 206; 24 M.P.L.R. 219; 50 N.R. 264; Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. et M.R.N. (1985), 9 C.E.R. 1; [1985] 1 C.T.C. 240; 85 DTC 5169; 57 N.R. 274 (C.A.F.); Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 [1985] CTC 79; (1985), 85 DTC 5310; 60 N.R. 321 (C.A.); Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161; (1989), 59 D.L.R. (4th) 161; [1989] 4 W.W.R. 97; Consumers Glass Company Limited c. Canada, [1989] 1 C.F. 120 (1988), 17 C.E.R. 4; [1988] 2 C.T.C. 141; 21 F.T.R. 131 (1re inst.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Union Gas Ltd. c. M.R.N., [1991] 1 C.T.C. 1; (1990), 90 DTC 6659; 116 N.R. 220 (C.A.F.).

DÉCISIONS CITÉES :

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Consumers Glass Co. Ltd. c. Canada (1990), 107 N.R. 156; 3 TCT 5112 (C.A.F.).

ACTION visant à obtenir un jugement déclarant que la défenderesse était fiduciaire légale des acomptes que la demanderesse lui a remis, et une ordonnance, fondée sur la doctrine de l’enrichissement sans cause, enjoignant à la défenderesse de remettre à la demanderesse la somme visée majorée de tous les intérêts courus. Action accueillie.

AVOCATS :

Al Meghji pour la demanderesse.

Bonnie Moon pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Bennett Jones Verchere, Calgary, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Gibson : Dans sa déclaration déposée le 22 décembre 1989, la demanderesse conteste le refus de la défenderesse de lui rembourser, avec les intérêts, un montant de 360 000 $ que la demanderesse lui a remis en acomptes de l’impôt à payer pour l’année d’imposition 1983 en vertu de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers[1] (la LIRP) et un montant de 51 424 94 $ représentant des acomptes provisionnels payés en trop par la demanderesse en vertu de la LIRP pour son année d’imposition 1982, montant qui a été transféré, à la demande de la demanderesse, au compte d’impôt sur ses revenus pétroliers pour l’année d’imposition 1983.

La demanderesse recherche les redressements suivants :

[traduction]

a)   une déclaration attestant que la défenderesse détient le montant de 411 424 94 $ [soit la somme des acomptes provisionnels payés au titre de l’année d’imposition 1983 et du montant transféré au compte d’impôt de la demanderesse relativement à cette année d’imposition] pour le compte de la demanderesse en vertu d’une fiducie légale;

b)   une ordonnance enjoignant à la défenderesse de remettre à la demanderesse cette somme majorée de tous les intérêts courus;

c)   subsidiairement, un jugement ou des dommages-intérêts au montant de 411 424 94 $;

d)   des intérêts avant jugement à titre de dommages-intérêts au montant de 400 000 $, ou tout autre montant additionnel ou supérieur, selon ce qui sera prouvé au cours de l’instruction de la présente action;

e)   subsidiairement au redressement recherché au paragraphe d)…, les intérêts sur la somme de 411 424,94, calculés selon les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, et ses modifications, à compter du 28 juillet 1988 jusqu’à la date du jugement ou du paiement, conformément aux dispositions de la Judgment Interest Act, S.A. 1984, ch. J.0.5, à compter du 1er avril 1984 jusqu’à la date du jugement ou du paiement, ou aux termes des dispositions de la Loi sur l’intérêt, L.R.C. (1985), ch. C-50, et ses modifications, à compter du 2 janvier 1984 jusqu’à la date du jugement ou du paiement;

f)    ses dépens dans la présente action; et

g)   tout autre redressement que la Cour estime approprié.

Au cours de l’instruction de cette affaire, les arguments ont porté essentiellement sur la demande d’une déclaration attestant l’existence d’une fiducie légale, fondée sur la doctrine de l’enrichissement sans cause. Les parties ont convenu de reporter à une date ultérieure le règlement de la question des intérêts sur tout montant qui serait jugé payable à la demanderesse.

Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits rédigé dans les termes suivants :

[traduction]

1.   La demanderesse est une personne morale dont le siège social est établi dans la ville de Bradford, en Pennsylvanie (États-Unis), et dont l’année d’imposition se termine le 31 décembre.

2.   Au cours de l’année d’imposition 1983, soit pour une période commençant le ou vers le 14 février 1983 et se terminant le ou vers le 2 janvier 1984, la demanderesse a versé à la défenderesse une série d’acomptes applicables à l’impôt payable sur ses revenus pétroliers comme elle était tenue de le faire aux termes de l’article 88 de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers, S.C. 1980-81-82-83, ch. 68 (la « LIRP »), pour un montant total de 360 000 $.

3.   Le ou avant le 31 décembre 1983, au moment du traitement de la déclaration du revenu de production (la « déclaration ») pour l’année d’imposition 1982, la défenderesse a transféré, à la demande de la demanderesse, dans le compte d’impôt sur les revenus pétroliers de celle-ci pour l’année d’imposition 1983, un crédit supplémentaire de 51 424 94 $ représentant des acomptes provisionnels payés en trop pour l’année d’imposition 1982 au montant de 44 035 44 $, majoré des intérêts de 7 389 50 $, ce qui a porté à 411 424 94 $ le solde créditeur total dans ce compte, au 2 janvier 1984.

4.   La déclaration de la demanderesse pour l’année d’imposition 1982 a été produite le ou vers le 21 juillet 1983. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a envoyé un avis de cotisation à la demanderesse pour cette année d’imposition le ou vers le 13 février 1985.

5.   Dans une lettre en date du 23 janvier 1985, le ministre a demandé à la demanderesse de produire sa déclaration pour l’année d’imposition 1983. La demanderesse a produit cette déclaration pour cette année d’imposition le 18 juillet 1988.

6.   Dans une lettre en date du 8 septembre 1988, le ministre a informé la demanderesse que sa déclaration pour l’année d’imposition 1983 n’avait pas été reçue dans le délai prescrit de quatre ans à compter de la fin de l’année d’imposition et qu’elle n’avait droit à aucun remboursement.

7.   Le 20 décembre 1984, la LIRP a été modifiée, notamment par l’ajout de l’article 84.1. Pour les années d’imposition 1982, 1983, 1984 et 1985, le paragraphe 84.1(1) autorisait la demanderesse à faire certaines déductions sur l’impôt payable.

8.   La défenderesse détient depuis le 2 janvier 1984 la somme de 411 424 94 $. Elle a confirmé par écrit le 21 septembre 1987 qu’elle détenait toujours cette somme et elle a invité la demanderesse à produire sa déclaration pour l’année d’imposition 1983, ce qui lui aurait donné droit à un remboursement pour ladite somme.

9.   La défenderesse a refusé et continue de refuser de rembourser à la demanderesse cette somme de 411 424 94 $ ou toute partie de celle-ci.

Devant moi, l’avocat de la demanderesse a fait valoir que la défenderesse s’était enrichie sans cause comme en font foi les faits décrits dans l’exposé conjoint des faits. Pour établir l’enrichissement sans cause, il n’est pas contesté qu’il faut prouver trois éléments : premièrement, un enrichissement; deuxièmement, un appauvrissement correspondant; et finalement, l’absence de tout motif juridique justifiant l’enrichissement[2]. Le fait que la défenderesse se soit enrichie et que la demanderesse se soit appauvrie en conséquence n’a pas non plus été contesté devant moi. La question est donc de savoir s’il y a un « motif juridique » qui justifie l’enrichissement de la défenderesse.

Il est bien établi qu’une disposition législative peut constituer un motif juridique justifiant un enrichissement. Les dispositions qui m’ont été citées comme motif juridique se trouvent au paragraphe 91(1) de la LIRP qui, à l’époque pertinente, était rédigé dans les termes suivants :

91. (1) Si la déclaration de revenu de production d’un contribuable pour une année d’imposition a été produite dans les quatre ans qui suivent la fin de l’année, le Ministre

a) peut, à compter de l’expédition par la poste de l’avis de cotisation pour l’année et sans que demande en ait été faite, rembourser tout paiement en trop au titre de l’impôt;

b) doit effectuer un tel remboursement, après avoir expédié l’avis de cotisation par la poste, si le contribuable en a fait la demande par écrit, dans les quatre ans qui suivent la fin de l’année.

Ici encore, les avocats ont reconnu devant moi que la demanderesse n’avait aucun impôt à payer en vertu de la LIRP pour l’année d’imposition 1983. Ainsi donc, le montant contesté représentait un « paiement en trop » versé par la demanderesse au titre de l’impôt payable pour l’année d’imposition au sens du paragraphe 91(1) de la LIRP.

La demanderesse n’a pas produit la déclaration de son revenu de production pour l’année d’imposition 1983 dans les quatre années suivant la fin de cette année. À ce jour, le ministre ne lui a pas expédié par la poste l’avis de cotisation concernant son année d’imposition 1983. Le ministre n’a pas non plus, selon les termes du paragraphe 87(4) de la LIRP, "[donné] avis par écrit à [la demanderesse]… qu’aucun impôt n’est payable pour l’année d’imposition". Il ne fait donc aucun doute que le ministre n’a ni l’obligation ni le pouvoir, aux termes du paragraphe 91(1), de rembourser à la demanderesse la somme contestée.

Le paragraphe 91(1) de la Loi entraîne-t-il l’absence d’un motif juridique justifiant l’enrichissement de la défenderesse dans les circonstances de l’espèce?

L’avocate de la défenderesse fait valoir qu’en l’absence de tout pouvoir qui lui serait conféré par le paragraphe 91(1) le ministre n’a absolument aucune autorité pour procéder au remboursement. Il y a donc un motif juridique à l’enrichissement, c’est-à-dire l’absence de pouvoir de rembourser la somme due. Essentiellement, l’avocate de la défenderesse soutient que le paragraphe 91(1) constitue l’intégralité des dispositions traitant des remboursements qui relèvent du pouvoir du ministre et, dans les circonstances de l’espèce, qui ne satisfont pas aux paramètres du paragraphe 91(1), il y a un motif juridique justifiant l’enrichissement.

Pour sa part, l’avocat de la demanderesse prétend que le paragraphe 91(1) ne contient pas l’intégralité des dispositions pertinentes et que, de toute façon, ce paragraphe ne s’applique pas aux circonstances de l’espèce et qu’il est loisible à la Cour, en fait qu’il incombe à la Cour, de trouver ou de créer une absence de motif juridique.

Pour parvenir à ce résultat, la Cour serait obligée de déceler une obligation implicite en vertu de laquelle le ministre serait tenu de rembourser les sommes dues, au vu du paragraphe 91(1), ce qui lui permettrait de déclarer qu’il existe une fiducie légale à laquelle le ministre est assujetti et qui constitue le redressement principal réclamé en l’espèce par la demanderesse.

Dans l’arrêt Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg[3], le juge Estey a déclaré au nom de la Cour :

En langage plus moderne, pour porter atteinte aux droits d’un administré, que ce soit à titre de contribuable ou à un autre titre, les tribunaux exigent que le législateur le fasse de façon expresse. La diminution de ces droits peut ne pas avoir été législativement voulue ou même être accidentelle, mais les cours doivent trouver dans la loi des termes exprès pour conclure que ces droits ont été diminués. Ce principe d’interprétation s’impose et s’applique d’autant plus aujourd’hui que les législatures profitent de l’aide et des directives d’un conseil exécutif bien pourvu de personnel et ordinairement très averti. Les moyens disponibles pour rédiger et promulguer les lois sont tels qu’une cour doit être réticente à présumer l’oubli ou des intentions inarticulées lorsque les droits des administrés sont en cause. La législature a la maîtrise complète du processus législatif et si elle ne s’est pas exprimée clairement pour un motif quelconque, elle possède tous les moyens de corriger cette déficience d’expression. Cela est encore plus vrai aujourd’hui qu’à toute autre époque de l’histoire de notre régime parlementaire.

Dans l’arrêt Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. et M.R.N.[4], le juge MacGuigan écrit ceci [à la page 2] :

En l’espèce, le litige se ramène à la question suivante : Le gouvernement peut-il, en invoquant un délai de prescription d’un an qu’il déduit du libellé de la loi fiscale, se soustraire au paiement de la totalité du montant du remboursement qu’il devrait normalement à un contribuable? Pour qu’un tribunal restreigne de la sorte le droit d’un contribuable à ce qui, par ailleurs, lui serait dû, il faudrait certainement que le législateur se soit exprimé en termes absolument clairs.

Il continue plus loin [à la page 3] :

La nécessité d’une disposition expresse ne peut être que plus absolue lorsqu’il s’agit, non pas de la taxe elle-même, mais du remboursement d’une somme payée par erreur. On ne saurait présumer à la légère que le Parlement ne veut pas que le gouvernement paie ses dettes. Le tribunal doit par conséquent examiner minutieusement le texte de loi en question.

Le juge MacGuigan conclut ensuite dans les termes suivants [à la page 7] :

Cette façon de voir permet de résoudre l’ambiguïté des dispositions en question sans injustice pour le contribuable qui n’a pas commencé par contester son obligation de payer. Le contribuable qui paie ses taxes de bonne foi et en raison du pouvoir coercitif de la loi ne doit pas être puni s’il n’a pas contesté le droit de l’Administration à la taxe à chaque étape, c’est-à-dire chaque année, ainsi que l’a recommandé l’avocat de l’intimé lors des débats. Le respect des lois n’est pas une tare mais une attitude saine dans une société démocratique.

Le même raisonnement peut certainement s’appliquer dans le cas où ce qui est en cause n’est pas le paiement d’un impôt effectué de bonne foi, mais le paiement d’acomptes à l’avance en conformité avec la loi, lorsque la bonne foi du contribuable qui a fait ces versements ne peut être mise en doute. La seule question évidente qui se pose découle du fait que la demanderesse n’a pas produit de déclaration à la date prescrite et comme elle devait le faire, ni même quand le ministre l’a invitée à produire cette déclaration, alors qu’elle savait, ou du moins qu’elle aurait dû avoir des raisons de croire, qu’un remboursement substantiel lui était dû et que la production de sa déclaration était une condition préalable à ce remboursement.

Faisant référence à la déclaration précitée du juge Estey dans l’arrêt Morguard et à une autre déclaration que celui-ci a faite dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine[5], le juge MacGuigan déclare dans l’arrêt Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine[6] [aux pages 351 et 352] :

Dans de récentes décisions en matière d’impôt, la Cour suprême du Canada a écarté un grand nombre des ambiguïtés qui affligeaient antérieurement le droit fiscal.

Il ressort semble-t-il clairement de ces arrêts qu’il ne faut dorénavant jamais plus se fier inconditionnellement à ces anciens précédents. Le seul principe d’interprétation reconnu aujourd’hui consiste à examiner les termes dans leur contexte global en vue de découvrir l’objet et l’esprit des dispositions fiscales.

Selon la méthode d’examen « des termes dans leur contexte global » pour l’interprétation des dispositions pertinentes de la LIRP, je ne peux que conclure que le législateur, en adoptant le paragraphe 91(1) de cette Loi, avait l’intention d’y assujettir toutes les situations dans lesquelles le ministre du Revenu national pouvait être soit autorisé à rembourser les sommes versées au titre de l’impôt payable en vertu de la LIRP, soit tenu de le faire, que la contribuable soit ou non redevable d’un impôt en vertu de cette Loi pour l’année d’imposition en question. Laisser entendre que le législateur a donné au ministre la liberté d’exercer son pouvoir de faire des remboursements dans des circonstances où un contribuable, comme la demanderesse en l’espèce, n’a pas produit de déclaration dans les quatre années prévues à ce paragraphe, priverait ce dernier de tout son sens. Je ne suis pas disposé à accepter un tel résultat. De même, conclure que les expressions « l’expédition par la poste de l’avis de cotisation » et « expédié l’avis de cotisation par la poste » aux alinéas 91(1)a) et b) n’englobent pas l’avis écrit indiquant qu’il n’y a pas d’impôt à payer, comme il est prévu au paragraphe 87(4), entraînerait un résultat tout aussi intenable.

Mais ce n’est pas tout. En toute équité et compte tenu de l’absence d’un libellé exprès au paragraphe 91(1), ou dans une disposition ayant un rapport avec ce paragraphe, déclarant que celui-ci constitue l’intégralité des dispositions pertinentes, la question demeure de savoir s’il est loisible à la Cour d’imposer une fiducie légale du fait qu’il y a eu un enrichissement sans cause découlant de l’absence d’un motif juridique justifiant l’enrichissement de la défenderesse d’après les faits de l’espèce.

D’après l’arrêt Air Canada c. Colombie-Britannique[7], il semble clair que le principe d’enrichissement sans cause peut être invoqué à l’encontre d’un gouvernement en vue d’obtenir un remboursement lorsque les circonstances s’y prêtent. Le juge La Forest indique ceci, aux pages 1207 et 1208 :

La règle interdisant le remboursement d’impôts inconstitutionnels et ultra vires est une règle exceptionnelle et ne devrait pas s’interpréter d’une façon plus large que ce qui est nécessaire pour assurer le respect des valeurs sur lesquelles elle repose. Ces valeurs sont principalement la protection du Trésor public et la reconnaissance du fait que, si l’impôt était remboursé, un gouvernement moderne se verrait dans la nécessité d’adopter le moyen inefficace qui consiste à l’imposer de nouveau, soit aux mêmes contribuables, soit à ceux d’une nouvelle génération, afin de financer les opérations gouvernementales. Quoiqu’il soit toujours difficile de tracer des lignes de démarcation, je suis persuadé que cette règle ne devrait pas jouer lorsqu’un impôt a été pris à un contribuable par l’application erronée de la loi. Donc, dans un cas où l’on applique à tort une loi ou un règlement par ailleurs constitutionnels ou valides à une personne à laquelle cette loi ou ce règlement, selon leur sens véritable, ne s’appliquent pas, les principes généraux régissant la restitution de fonds versés par suite d’une erreur devraient être appliqués et, sous réserve des moyens de défense et des considérations d’équité évoqués plus haut, la règle générale devrait permettre le recouvrement. Dans des cas exceptionnels, certaines considérations d’intérêt public peuvent commander la conclusion contraire, mais ces cas exceptionnels ne justifient pas l’extension de la règle générale du non-remboursement d’impôts inconstitutionnels ou ultra vires.

On ne peut certainement prétendre que la position adoptée au nom de la défenderesse en l’espèce découle d’une application erronée de la LIRP à l’endroit de la demanderesse. Elle découle plutôt du fait que la demanderesse a respecté les dispositions de la LIRP, c’est-à-dire qu’elle a versé des acomptes provisionnels au titre de l’impôt qu’elle devrait éventuellement payer et, ce qui est plus important, du fait qu’elle a omis de produire la déclaration de son revenu de production pour l’année d’imposition 1983 dans ce qu’on pourrait appeler les délais prescrits. Néanmoins, le résultat, qui est obtenu à l’issue de ce que je peux uniquement présumer être une série de circonstances tout à fait inhabituelles et en vertu d’un régime légal qui n’est plus en vigueur, entraîne une sanction extraordinairement lourde qui, selon la seule conclusion à laquelle je puisse en arriver, est tout à fait hors de proportion avec l’omission de la demanderesse.

Dans l’arrêt Consumers Glass Company Limited c. Canada[8], le juge Cullen était saisi d’une question quelque peu analogue visée à la Loi sur les douanes [S.R.C. 1970, ch. C-40]. Il a énoncé la question dont il était saisi dans les termes suivants [aux pages 124 et 125] :

Il s’agit de décider si la demanderesse a droit, en vertu de la doctrine de l’enrichissement sans cause, au remboursement d’un montant de 322 563 64 $, soit le solde des sommes qu’elle a payées par erreur. Pour résoudre cette question, il est nécessaire de statuer sur les points suivants :

1. les sommes payées par suite d’une erreur de droit peuvent être recouvrées en vertu du principe de restitution de l’enrichissement sans cause;

2. le recouvrement des sommes payées par Consumers n’est pas interdit par les dispositions de la Loi sur les douanes [S.R.C. 1970, chap. C-40].

Le juge Cullen a conclu que la doctrine de l’enrichissement sans cause est fermement enchâssée et acceptée dans le droit canadien [à la page 141] :

Ne pas reconnaître les règles du droit relatives à la restitution et fondées sur l’enrichissement sans cause, c’est faire abstraction de l’equity et des recours fondés sur cette notion.

Il a ensuite appliqué le « principe de restitution de l’enrichissement sans cause ». Il a conclu que les dispositions de la Loi sur les douanes n’empêchaient pas Consumers Glass de recouvrer les sommes qu’elle avait versées.

La décision du juge Cullen dans l’arrêt Consumers Glass a été renversée par la Cour d’appel fédérale, non pas parce qu’il avait appliqué le principe de l’enrichissement sans cause à l’encontre du ministre du Revenu national, mais plutôt parce que les dispositions de la Loi sur les douanes empêchaient expressément Consumers Glass de recouvrer les sommes versées[9]. Le juge Pratte écrit ceci [à la page 158] :

Le paragraphe 46(1) [de la Loi sur les douanes] énonçait que la classification tarifaire et l’estimation faite au moment de la déclaration en douane étaient « définitives et péremptoires » si elles n’étaient pas modifiées conformément à ces règles.

En l’espèce, ni le paragraphe 91(1) de la Loi ni d’autres dispositions de la LIRP liées à ce paragraphe ne renferment des mots aussi explicites. Il convient de noter que la Cour d’appel n’a pas remis en question le fait que le juge Cullen a appliqué le principe de l’enrichissement sans cause à l’encontre du ministre, en l’absence d’un libellé aussi explicite.

L’avocate de la défenderesse me renvoie à l’arrêt Union Gas Ltd. c. M.R.N.[10], dans lequel le juge Pratte s’exprimait ainsi [à la page 2] :

L’avocat de l’appelante a fondé sa prétention que le Ministre n’avait pas la capacité de conclure l’entente du mois de juin 1978, sur le fait que le Ministre ne peut pas, en application de l’article 164, rembourser un montant versé pour acquitter l’impôt avant d’envoyer par la poste l’avis de cotisation de cette année-là. Cet argument est sans fondement. La raison pour laquelle le ministre ne peut rembourser un montant d’impôt payé en trop que dans les circonstances décrites à l’article 164 de la Loi se trouve à l’article 26 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), c. F-11 (autrefois S.R.C. 1970, c. F-10, art. 19), qui énonce que « tout paiement sur le Trésor est subordonné à l’autorisation du Parlement ». Il est clair que l’entente du mois de juin 1978 n’effectuait pas un paiement sur le Trésor et n’était donc pas interdite par cet article.

L’avocate retient la troisième phrase de la citation ci-dessus pour appuyer la proposition selon laquelle, si le législateur avait l’intention d’énoncer au paragraphe 91(1) de la LIRP l’intégralité des dispositions visant les situations dans lesquelles le ministre du Revenu national est soit autorisé à rembourser des sommes payées au titre de l’impôt visé dans cette loi, soit tenu de le faire, comme j’ai conclu que tel était le cas, et que ce paragraphe n’autorise pas un remboursement d’après les faits dont je suis saisi, et ne l’exige pas non plus, comme j’ai conclu que tel était aussi le cas, alors l’article 26 de la Loi sur la gestion des finances publiques[11] empêche un tel remboursement à cause des faits de l’espèce, malgré que la défenderesse ait pu s’enrichir injustement et que la demanderesse se soit appauvrie d’un montant correspondant. Avec égards, je ne peux convenir avec l’avocate que cette phrase appuie une telle proposition. Il ne m’appartient pas d’éplucher les lois du Canada pour y trouver un pouvoir conféré par le législateur de rembourser une somme qui, d’après ma conclusion, est due par la défenderesse à la demanderesse. Il s’agit là d’une tâche qui revient à la défenderesse. S’il est impossible de conclure à l’existence d’un tel pouvoir conféré par le législateur, je ne crois pas que l’article 26 de la Loi sur la gestion de finances publiques m’empêche de prononcer le jugement que j’estime approprié, juste et conforme à la loi. L’article 26 traite surtout du pouvoir exécutif. S’il n’existe pas de pouvoir approprié, c’est à la branche exécutive du gouvernement qu’il incombera de déterminer comment elle doit procéder pour se conformer à mon jugement.

D’après les faits dont je suis saisi, je conclus que la défenderesse s’est enrichie au détriment de la demanderesse. En outre, je ne trouve aucun motif juridique, en l’espèce, une disposition législative, qui justifie clairement et sans équivoque cet enrichissement. Je conclus que le législateur n’avait tout simplement pas, peut-être pour une raison tout à fait justifiable, envisagé que le paragraphe 91(1) de la LIRP aurait l’effet que nous démontrent les faits dont je suis saisi. S’il avait envisagé une telle situation, il aurait certainement prévu un résultat approprié en faveur du contribuable. Comme il ne l’a pas fait, on ne peut présumer que le législateur avait l’intention de traiter le contribuable d’une façon aussi injuste. Je conclus donc que la défenderesse s’est enrichie sans cause.

Devant moi, les avocats ont convenu que, si le jugement était prononcé en faveur de la demanderesse sur la question principale, comme ce sera le cas, les parties arriveraient probablement à s’entendre sur la question des intérêts. Par conséquent, la question des intérêts n’a pas été débattue devant moi et je n’en traiterai pas dans mon jugement. Au cas où les parties n’arriveraient pas à s’entendre dans un délai raisonnable sur cette question, je garde compétence et suis disposé à reconvoquer les parties pour débattre de cette question uniquement.

Par conséquent, mon jugement prendra la forme d’une déclaration attestant que la défenderesse, selon le principe de l’enrichissement sans cause, détient en vertu d’une fiducie légale la somme de 411 424 94 $ pour le compte de la demanderesse. L’ordonnance que je rends lui enjoint de remettre cette somme à la demanderesse.

La demanderesse a droit à ses frais.



[1] S.C. 1980-81-82-83, ch. 68 (partie IV abrogée depuis. Voir L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 45, art. 8).

[2] Voir Sorochan c. Sorochan, [1986] 2 R.C.S. 38, à la p. 44.

[3] [1983] 2 R.C.S. 493, à la p. 509.

[4] (1985), 9 C.E.R. 1 (C.A.F.).

[5] [1984] 1 R.C.S. 536.

[6] [1986] 1 C.F. 346(C.A.).

[7] [1989] 1 R.C.S. 1161.

[8] [1989] 1 C.F. 120(1re inst.).

[9] Voir (1990), 107 N.R. 156 (C.A.F.).

[10] [1991] 1 C.T.C. 1 (C.A.F.).

[11] L.R.C. (1985), ch. F-11.

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