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[1997] 2 C.F. 946

A-197-96

Sheldon S. Richmond et al. (appelants) (requérants)

c.

Procureur général du Canada (Commission de la fonction publique du Canada, ministère de la Défense nationale, Revenu Canada, Douanes et Accise) (intimé) (intimé)

Répertorié : Richmond c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Desjardins et Robertson, J.C.A.—Ottawa, 11 décembre 1996 et 26 mars 1997.

Fonction publique Relations du travail Un congé payé qui aurait permis aux appelants de célébrer les Grandes Fêtes juives leur a été refuséL’employeur leur a offert d’autres options pour leur permettre de s’absenter sans perdre de salaireCette offre a été rejetéeLes jours fériés désignés payés et obligatoires dans les conventions collectives ont un effet discriminatoireL’employeur a pris des mesures raisonnables, sans que cela comporte de contrainte excessive, afin d’accommoder les appelantsLa doctrine de la contrainte excessive n’oblige pas l’employeur à accorder un congé payé pour des fins religieusesL’employeur s’est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.

Droits de la personne Les appelants ont déposé des griefs à l’encontre de l’employeur au motif qu’ils ont été victimes de discrimination aux termes de l’art. 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, étant donné que l’employeur leur a refusé un congé payé pour célébrer les Grandes Fêtes juivesLes griefs étaient fondés sur la clause d’élimination de la discrimination dans les conventions collectivesLe calendrier des « jours fériés désignés payés » a un effet discriminatoireIl s’agit d’un cas de discrimination indirecteL’employeur doit déployer des efforts véritables, sans s’imposer de contrainte excessive, pour supprimer la discrimination ayant un effet préjudiciable qu’ont subie ses employésL’employeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait en vertu de la doctrine de la contrainte excessive.

Il s’agit d’un appel d’une décision de la Section de première instance confirmant la décision de l’arbitre statuant que l’employeur s’est acquitté de son obligation d’accommoder des employés juifs qui avaient demandé des congés payéś pour observer les Grandes Fêtes juives que sont la Ros-ha-sanah et le Yom Kippour. Devant l’arbitre, les appelants ont fait valoir qu’ils étaient victimes de discrimination du fait de leur appartenance religieuse et que leur employeur avait manqué à son obligation d’« accommodement » à laquelle il est tenu par la loi. L’employeur, conformément à la politique du Conseil du Trésor intitulée « Congé payé pour obligations religieuses », a offert aux fonctionnaires s’estimant lésés différentes options pour qu’ils puissent s’absenter sans perdre de salaire, notamment un congé annuel, un congé compensatoire et des heures de travail additionnelles. Tous les appelants ont rejeté cette offre d’accommodement. L’arbitre a rejeté tous les griefs au motif que l’employeur s’était acquitté de son obligation d’accommodement. La demande ultérieure de contrôle judiciaire a été rejetée par le juge de première instance qui a statué que l’arbitre avait eu raison de conclure que l’employeur avait fait une offre d’accommodement raisonnable et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire d’examiner les clauses relatives aux congés spéciaux contenues dans la convention collective. De l’avis du juge, une offre d’accommodement se doit simplement d’être raisonnable pour satisfaire à l’obligation d’accommodement. La question faisant l’objet de l’appel consiste à déterminer si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que l’employeur a pris des mesures d’accommodement raisonnables, sans que cela comporte de contrainte excessive, pour permettre aux appelants d’observer leurs obligations religieuses.

Arrêt (le juge Robertson, J.C.A. dissident) : l’appel doit être rejeté.

Le juge Desjardins, J.C.A. (avec l’appui du juge en chef Isaac) : En vertu de la doctrine de l’accommodement raisonnable et de la contrainte excessive, un employeur doit démontrer qu’il a fait de véritables efforts, sans s’imposer de « contrainte excessive », pour supprimer la discrimination ayant un effet préjudiciable qu’ont subie ses employés. Les trois conventions collectives en l’espèce prévoient des jours fériés désignés payés obligatoires qui englobent deux fêtes religieuses chrétiennes dont bénéficient tous les employés. Un tel calendrier, quoique neutre à première vue, a pour effet d’être discriminatoire envers les membres d’un groupe identifiable à cause de leurs croyances religieuses. Le calendrier actuel des « jours fériés désignés payés » a donc un effet discriminatoire et il s’agit d’un cas de discrimination indirecte. Au vu des conventions collectives en vigueur, la doctrine de la contrainte excessive n’oblige pas toutefois l’employeur à avoir recours aux dispositions discrétionnaires de ces conventions collectives de façon à être obligé d’accorder un congé payé aux appelants pour des fins religieuses. L’intimé ne pouvait pas chercher à mettre à l’épreuve les conventions collectives ou demander qu’elles soient modifiées de façon à apporter des changements aux jours fériés désignés payés, étant donné que le jour de Noël et le Vendredi saint sont des jours fériés payés prescrits par le Code canadien du travail. Les conventions collectives sont souples dans le sens qu’elles confèrent à l’employeur un pouvoir discrétionnaire d’accorder un congé payé pour des motifs autres que ceux indiqués dans la convention. Toutefois, en vertu de la doctrine de la contrainte excessive, l’employeur n’était pas tenu d’avoir recours aux dispositions discrétionnaires des conventions collectives de manière à ajouter automatiquement les trois jours de congé payés pour la célébration des fêtes religieuses juives, sans imposer aux employés les sacrifices supplémentaires qui constituaient le fondement des griefs. L’employeur ne pouvait pas unilatéralement rendre obligatoire une clause par ailleurs discrétionnaire sans risquer de perturber sérieusement l’équilibre des conventions collectives. S’il l’avait fait, le nombre de jours de congés payés obligatoires n’auraient pas été appliqués à tous de la même manière. En plus de bénéficier des jours fériés qui représentent les fêtes religieuses de la majorité, les employés de religion juive auraient bénéficié de trois jours de congés payés obligatoires de plus pour des fins religieuses. Rien n’empêcherait alors les Chrétiens de prétendre qu’ils ont également droit à un nombre de jours supplémentaires d’observance religieuse comme congés payés. L’employeur se trouverait ainsi dans la position difficile d’avoir à faire la distinction entre les jours importants et moins importants pour les fins d’observance religieuse. La doctrine de la contrainte excessive sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne va pas aussi loin qu’on voudrait le faire croire dans cette instance.

Le juge Robertson, J.C.A. (dissident) : Tous les appelants ont droit à des congés payés. Il n’y a pas de preuve de contrainte financière, et il n’a pas non plus été prouvé que l’octroi des congés payés porterait atteinte de quelque façon que ce soit à l’intégrité des conventions collectives ou au moral des employés. L’appel soulève six questions. D’abord, jusqu’à quel point le principe de retenue judiciaire s’applique-t-il à la décision de l’arbitre? Le principe de retenue judiciaire s’applique aux décisions des arbitres, rendues en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, portant sur l’interprétation d’une convention collective. La décision d’un arbitre doit être maintenue à moins qu’elle ne soit manifestement déraisonnable au point d’être clairement irrationnelle. Aucune retenue judiciaire ne s’applique à la décision d’un arbitre sur la question de l’accommodement raisonnable. Étant donné que l’appel traite d’une question relative aux droits de la personne, il n’y a pas de retenue judiciaire à exercer à l’égard des décisions d’un tribunal dont l’expertise se limite aux questions de droit du travail. Sans prendre le soin d’interpréter les conventions collectives, l’arbitre a réglé le cas en appliquant son interprétation des principes relatifs aux droits de la personne qui sont incorporés dans l’obligation d’accommodement. En agissant ainsi, l’arbitre a quitté la sphère « protégée » du droit du travail pour pénétrer dans le domaine « non protégé » des droits de la personne. Il n’y a pas lieu de respecter le principe de retenue judiciaire à l’égard d’une décision portant sur l’application qu’il convient de donner aux principes relatifs aux droits de la personne. La question de l’accommodement religieux ne repose pas tant sur l’interprétation des lois en matière de droits de la personne que sur le sens et la portée de la doctrine de l’accommodement telle qu’elle est interprétée par la Cour suprême du Canada. La deuxième question consiste à savoir si l’employeur a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable en refusant d’accorder un congé payé prévu aux clauses relatives aux congés spéciaux. Cette question est importante parce qu’elle restreint l’analyse à la question de savoir si les appelants ont droit à des congés payés en vertu de leur convention collective respective, abstraction faite de toute obligation incombant à leur employeur de s’entendre avec eux pour qu’ils puissent observer leur religion en vertu des dispositions antidiscriminatoires de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est trop tard pour les appelants pour soulever cette question parce qu’elle n’a pas été débattue devant l’arbitre. Nulle part dans ses motifs l’arbitre n’a-t-il examiné chacune des clauses relatives aux congés spéciaux ni discuté de la jurisprudence arbitrale portant sur l’interprétation de ces clauses ou de clauses formulées de façon similaire. L’arbitre a eu tort de statuer qu’une fois que l’employeur a proposé une offre d’accommodement raisonnable, comme celle qui est exposée dans la politique du Conseil du Trésor concernant les obligations religieuses, il est inutile d’invoquer les clauses relatives aux congés spéciaux. La troisième question porte sur l’étendue de l’obligation d’offrir un accommodement raisonnable. L’obligation d’accommodement se pose quand un employé est victime de discrimination indirecte ou par suite d’un effet préjudiciable. La question de savoir ce qui est ou n’est pas raisonnable doit être tranchée par rapport aux circonstances du cas et non en fonction d’un raisonnement abstrait. L’accommodement raisonnable est synonyme d’un accommodement qui va jusqu’à la limite de la contrainte excessive. La question qu’il faut se poser en l’espèce n’est pas de savoir si l’offre d’accommodement de l’employeur est raisonnable dans les circonstances, mais plutôt si l’octroi d’un congé payé soumettra l’employeur à une contrainte excessive. Dans l’affirmative, l’octroi d’un congé non rémunéré est tout ce qui est exigé de l’employeur. L’arbitre et le juge de première instance ont commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire de proposer une mesure d’accommodement qui aille jusqu’à la limite de la contrainte excessive si un autre moyen moins onéreux d’accommodement était à la disposition de l’employeur. La réparation recherchée par les appelants en l’espèce est raisonnable dans la mesure où il est impossible qu’elle se traduise par une contrainte excessive pour leur employeur. Tout comme les employés ont droit à un congé payé raisonnable pour exercer leurs droits démocratiques fondamentaux, les appelants devraient aussi avoir droit à un congé payé raisonnable pour observer des obligations religieuses tout aussi fondamentales. On ne peut dire que si l’arbitre avait conclu en faveur des appelants, sa décision aurait eu pour effet de modifier la convention collective. Quatrièmement, la principale différence factuelle qui existe entre l’espèce et l’arrêt Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin est que, dans ce dernier cas, les employés n’ont pu rattraper leur temps d’absence et récupérer leur salaire. Cette distinction n’est pas un fondement valable pour refuser aux appelants l’accommodement qu’ils recherchaient. Si les enseignants dans l’arrêt Chambly avaient pu reprendre leur temps d’absence et récupérer leur salaire, la Cour suprême du Canada n’aurait pas réglé autrement cette affaire. La question essentielle n’est pas de savoir si un employé subira une contrainte si la réparation qu’il demande lui est refusée, mais de savoir si l’employeur subira une contrainte excessive. La différence factuelle essentielle entre l’espèce et l’arrêt Chambly n’a aucun effet sur l’issue du présent appel. La cinquième question a trait à l’argument, avancé dans l’arrêt Chambly, selon lequel accorder davantage aux enseignants de religion juive que le congé demandé créerait une discrimination à rebours en favorisant lesdits enseignants par rapport à ceux de foi catholique. Conclure que cela fait subir aux employés de religion chrétienne une injustice inacceptable du fait de leur religion équivaut à interpréter l’égalité en termes formels simplement, cette conception ayant été rejetée par la Cour suprême dans sa jurisprudence traitant des droits à l’égalité garantis par la Charte. L’objet de l’accommodement n’est pas d’arriver à un nombre égal de jours de congé religieux payés entre les employés de religions différentes, mais bien de protéger et de favoriser la liberté fondamentale de conscience et de religion. En l’espèce, il serait déraisonnable de permettre qu’une définition formelle de l’égalité ait préséance sur le fondement de l’égalité religieuse. Il ne s’agit pas d’un cas où les employés de religion juive ont droit à des jours fériés supplémentaires dans le sens usuel du mot, parce qu’un congé payé n’est pas accordé sous prétexte d’observance religieuse. Sixièmement, l’intimé a soulevé l’argument de l’effet d’entraînement, savoir que d’autres groupes religieux pourraient être visés par le résultat de cette affaire. Les musulmans, par exemple, pourraient demander d’avoir congé tous les vendredis. Cependant, la jurisprudence indique qu’il y a un corollaire à l’obligation d’accommodement raisonnable qui incombe à l’employeur, c’est-à-dire l’obligation réciproque qui incombe à tous les groupes religieux et à leurs membres de tenir compte de préoccupations séculières légitimes. Les demandes d’accommodement déraisonnables qui entraîneraient une contrainte excessive pour l’employeur ne seront pas sanctionnées par les tribunaux. Pour ce seul motif, l’argument portant sur l’effet d’entraînement doit être rejeté.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2a), 3, 15(1).

Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12.

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 166, 192.

Code du travail, L.R.Q, ch. C-27.

Human Rights Act, S.B.C. 1984, ch. 22.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 3(1) (mod. par L.C. 1996, ch. 14, art. 2).

Loi électorale du Canada, L.R.C. (1985), ch. E-2, art. 148.

Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54, art. 73.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 92 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68), 96(2).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525; (1994), 115 D.L.R. (4th) 609; 21 Admin. L.R. (2d) 169; 4 C.C.E.L. (2d) 165; 94 CLLC 17,023; 169 N.R. 281 (quant à la portée de la doctrine de l’accommodement raisonnable et de la contrainte excessive).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525; (1994), 115 D.L.R. (4th) 609; 21 Admin. L.R. (2d) 169; 4 C.C.E.L. (2d) 165; 94 CLLC 17,023; 169 N.R. 281 (quant aux faits de la cause); Ontario (Ministry of Government Services) v. O.P.S.E.U. (Kimmel/Leaf), Re (1991), 21 L.A.C. (4th) 129 (Ont.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Richmond et le Conseil du Trésor (Commission de la fonction publique) (Défense nationale) (Revenu Canada), [1995] C.R.T.F.P.C. no 43 (QL); Central Okanagan School District no 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; [1992] 6 W.W.R. 193; (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 145; 13 B.C.A.C. 245; 16 C.H.R.R. D/425; 141 N.R. 185; 24 W.A.C. 245; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin (1992), 48 Q.A.C. 34; 97 D.L.R. (4th) 661; Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres., [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; (1990), 111 A.R. 241; 72 D.L.R. (4th) 417; [1990] 6 W.W.R. 193; 76 Alta. L.R. (2d) 97; 12 C.H.R.R. D/417; 90 CLLC 17,025; 113 N.R. 161.

DÉCISIONS CITÉES :

Birks v. City of Montreal, [1955] R.C.S. 799; [1955] 5 D.L.R. 321; (1955), 113 C.C.C. 135; Ghom v. Domtar Inc. (1990), 12 C.H.R.R. D/161; 90 CLLC 17,027 (Comm. d’enq. de l’Ont.); Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; (1993), 101 D.L.R. (4th) 673; 11 Admin. L.R. (2d) 59; 93 CLLC 14,022; 150 N.R. 161; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d) 417; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,209; 26 N.R. 341; U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; (1988), 35 Admin. L.R. 153; 95 N.R. 161; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412; (1984), 14 D.L.R. (4th) 457; 55 N.R. 321; 14 Admin. L.R. 72; 84 CLLC 14,069; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1; Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571; (1996), 133 D.L.R. (4th) 449; 18 B.C.L.R. (3d) 1; 37 Admin. L.R. (2d) 1; 72 B.C.A.C. 1; 25 C.H.R.R. D/87; 194 N.R. 81; 119 W.A.C. 1; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; (1996); 140 D.L.R. (4th) 193; 40 C.R.R. (2d) 81; 204 N.R. 1; Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; (1985), 23 D.L.R. (4th) 481; 17 Admin. L.R. 111; 9 C.C.E.L. 135; 86 CLLC 17,003; 63 N.R. 185; Trans World Airlines, Inc. v. Hardison, 432 U.S. 63 (1977); Hoy et le Conseil du Trésor (Environnement Canada), [1991] C.R.T.F.P.C. no 110 (QL); Thomas et le Conseil du Trésor (Défense nationale), [1992] C.R.T.F.P.C. no 48 (QL); Madden et le Conseil du Trésor (Revenu CanadaImpôt), [1988] C.R.T.F.P.C. no 307 (QL); Gilbert et le Conseil du Trésor (ministère du Solliciteur généralService correctionnel du Canada), [1989] C.R.T.F.P.C. no 180 (QL).

DOCTRINE

Canada. Manuel du Conseil du Trésor. Gestion du personnel : rémunération, ch. I-4, et appendice A.

Green, M. A. « Reasonable Accommodation of Religious Beliefs » (1994), 6 E.L.J. 105.

APPEL d’une décision de la Section de première instance ([1996] 2 C.F. 305; (1996), 108 F.T.R. 205) confirmant la décision d’un arbitre statuant que l’employeur avait satisfait à son obligation de s’entendre avec ses employés de religion juive qui demandaient des congés payés afin de pouvoir observer les Grandes Fêtes juives de la Ros-ha-sanah et du Yom Kippour. Appel rejeté.

AVOCATS :

Dougald E. Brown pour les appelants (requérants).

Harvey A. Newman et Micheline Langlois pour l’intimé (intimé).

PROCUREURS :

Nelligan Power, Ottawa, pour les appelants (requérants).

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé (intimé).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Desjardins, J.C.A. : J’ai eu l’avantage de lire la version préliminaire des motifs de mon collègue, le juge Robertson. Bien que je sois d’accord avec sa description des faits et la plupart de ses propositions de droit, je ne peux accepter son affirmation selon laquelle l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait en vertu de la doctrine de la contrainte excessive.

Ma position est la suivante. Les conventions collectives prévoient des congés payés obligatoires pour un certain nombre de jours qui englobent, en fait, deux fêtes religieuses chrétiennes dont bénéficient tous les employés. Toutefois, au vu des conventions collectives en vigueur, la doctrine de la contrainte excessive ne va pas jusqu’à obliger l’employeur à avoir recours aux dispositions discrétionnaires de ces conventions collectives de telle sorte qu’il soit tenu d’accorder un congé payé aux appelants pour des fins religieuses. À mon avis, la doctrine n’a pas une telle portée.

Les appelants ont déposé des griefs en vertu de leurs conventions collectives respectives en alléguant qu’ils étaient victimes de discrimination, de la part de leur employeur, du fait de leur religion, étant donné qu’il leur a refusé un congé payé pour observer les Grandes Fêtes juives que sont la Ros-ha-sanah, observée pendant deux jours consécutifs, et le Yom Kippour, pendant une journée. Les appelants fondent leur réclamation sur la clause concernant l’« élimination de la discrimination » de leurs conventions collectives respectives, qui dispose comme suit[1] :

43.01 Il n’y aura aucune discrimination … du fait … de sa confession religieuse …

Ils prétendent que cette clause reflète le paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne[2]. L’alinéa 2a) et le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[3] ont également été mentionnés à l’arbitre [[1995] C.R.T.F.P.C. no 43 (QL)] comme source d’inspiration possible.

L’employeur, conformément à la politique du Conseil du Trésor intitulée « Congé payé pour obligations religieuses », a offert aux fonctionnaires s’estimant lésés différentes options pour qu’ils puissent s’absenter sans perdre de salaire, notamment un congé annuel, un congé compensatoire et des heures de travail additionnelles (pour rattraper le temps d’absence). Les extraits pertinents de cette politique sont reproduits ci-dessous[4] :

CONGÉ PAYÉ

Objectif de la politique

Prévoir certains congés payés autorisés.

Énoncé de la politique

Accorder un congé de travail rémunéré lorsque ce congé est fondé sur des obligations juridiques ou sociales, ou jugé par l’employeur comme constituant un cas où l’employé ne devrait pas subir une perte de revenu.

Exigences de la politique

Le congé payé doit être autorisé conformément aux autorisations pertinentes, c’est-à-dire la convention collective ou les conditions d’emploi pertinentes.

Dans les cas de congé suivants :

—   tenue d’un scrutin;

—   congé accordé pour des activités d’ordre récréatif ou personnel et à des occasions spéciales;

—   rendez-vous chez le médecin ou le dentiste;

—   conditions climatiques ou environnementales malsaines;

—   manifestations sportives internationales;

—   instruction au sein des Forces de réserve;

le ministère doit observer les normes et les règles de conduite énoncées à l’appendice A de la présente politique.

APPENDICE A

RÈGLES DE CONDUITE

Tenue d’un scrutin

Conformément aux normes suivantes, tous les employés, y compris les occasionnels, bénéficient d’un congé payé pour voter (même par procuration) aux élections, aux référendums et aux plébiscistes fédéraux, provinciaux et municipaux.

Élections, référendums ou plébiscites fédéraux

Quatre heures consécutives durant les heures d’ouverture du bureau de scrutin.

Élections, référendums ou plébiscites provinciaux

Le nombre d’heures consécutives stipulé dans la loi pertinente de la province ou du territoire de résidence de l’employé.

Élections, référendums ou plébiscites municipaux

Le nombre d’heures consécutives stipulé dans les lois provinciales ou territoriales qui régissent les élections, les référendums ou les plébiscites municipaux ou, à défaut, le nombre d’heures octroyé pour les élections dans la province ou le territoire de résidence de l’employé.

Congé accordé pour des activités d’ordre récréatif ou personnel et à des occasions spéciales

Dans la fonction publique, il est de pratique courante d’autoriser l’employé à s’absenter, par exemple, pour participer aux activités sociales du ministère. L’employé peut s’absenter pour ces motifs ou d’autres semblables, mais cette absence doit être imputée sur ses crédits de congés annuels. Dans le cas d’absences relativement brèves, comme le prolongement de la pause-repas, les heures de travail peuvent être réorganisées de manière à maintenir le nombre habituel d’heures de travail dans la semaine.

Rendez-vous chez le médecin ou le dentiste

L’employeur permet habituellement à l’employé de s’absenter pendant au plus une demi-journée pour aller chez le médecin ou le dentiste, sans imputer cette absence aux crédits de congés de l’employé. Toutefois, cette pratique s’applique uniquement dans le cas d’un rendez-vous périodique ou spécial.

Lorsque l’employé doit s’absenter régulièrement pour suivre un traitement, ses absences doivent être imputées aux crédits de congés de maladie.

Conditions climatiques ou environnementales malsaines

Les congés payés accordés en vertu d’un pouvoir discrétionnaire visent habituellement les cas où l’employé peut être empêché de demeurer ou de se présenter au travail.

Les conditions environnementales malsaines du milieu de travail, telles qu’une panne de chauffage, et les situations d’urgence touchant la localité, telles qu’une grave inondation ou tempête de neige, sont des cas où la direction peut devoir exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder un congé payé. L’administrateur général ou le gestionnaire délégué doit alors s’assurer que le congé payé est justifié.

Manifestations sportives internationales

Un congé payé peut être accordé à un employé pour lui permettre de s’entraîner en vue d’une manifestation sportive internationale ou de participer à une telle manifestation. La durée maximale des congés de cette nature est de trois mois civils par année s’il s’agit d’une seule période d’absence ininterrompue; ou de 66 jours ouvrables par année s’il s’agit de plusieurs périodes d’absence interrompues par des retours au travail. Un tel congé (qui inclut tout crédit inutilisé de congé annuel auquel l’employé a droit) est réservé exclusivement aux employés dont la participation à la manifestation a été recommandée par un organisme national de réglementation du sport et entérinée par l’organisation sportive gouvernementale pertinente, c.-à-d. Sports Canada. L’employé doit épuiser ses crédits inutilisés de congé annuel avant d’obtenir un congé supplémentaire.

C’est à titre d’athlète, d’arbitre officiel, de juge, d’entraîneur ou de figurant officiel quelconque qu’un employé peut être autorisé à se préparer ou à participer à une manifestation sportive internationale.

Congé payé pour obligations religieuses

Les gestionnaires devraient examiner chaque demande de congé pour obligations religieuses en envisageant tous les moyens possibles de laisser l’employé s’absenter sans lui occasionner une perte d’argent dans les limites permises par la convention collective. Ces moyens comprennent le recours aux congés annuels ou compensatoires, les échanges de quart pour les travailleurs par équipe, l’horaire variable (semaine de travail comprimée) ou des arrangements individuels pour rattraper le temps d’absence, si les impératifs du service le permettent.

Instruction au sein des Forces de réserve

On encourage les ministères à accorder aux réservistes le temps nécessaire pour les activités des Forces de réserve. Ce congé doit être conforme aux dispositions du Règlement sur les congés pour fins d’instruction au sein des Forces de réserve, établi en vertu de la Loi sur la défense nationale. [Non souligné dans l’original.]

Cette politique a été adoptée par l’employeur conformément aux conventions collectives qui lui confèrent le pouvoir discrétionnaire d’accorder des congés, payés ou non, pour des fins autres que celles indiquées dans les conventions collectives.

Les clauses pertinentes des conventions collectives sont les suivantes :

L’employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention[5]. [Clause 17.13, Convention collective du groupe CS.]

À sa discrétion, l’employeur peut accorder un congé payé pour des fins autres que celles qui sont indiquées dans la présente convention collective, y compris l’instruction militaire, les cours de formation en protection civile et les situations d’urgence touchant la localité ou le lieu de travail et lorsque des circonstances qui ne sont pas directement attribuables à l’employé l’empêchent de se rendre au travail[6]. [Clause 17.14, Convention cadre de l’IPFPC.]

L’employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a)   un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé l’empêchent de se rendre au travail. Ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;

b)   un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention[7]. [Clause 21.13, Convention collective du groupe de Vérification (AU).]

En outre, les trois conventions collectives prévoient que les jours fériés désignés payés suivants sont obligatoirement accordés[8] :

Article 12

JOURS FÉRIÉS DÉSIGNÉS PAYÉS

12.01 Sous réserve de la clause 12.02, les jours suivants sont des jours fériés désignés payés pour les employés :

a)   le Jour de l’an,

b)   le Vendredi saint,

c)   le lundi de Pâques,

d)   le jour fixé par proclamation du gouverneur en conseil pour la célébration de l’anniversaire de la Souveraine,

e)   la fête du Canada,

f)               la fête du Travail,

g)   le jour fixé par proclamation du gouverneur en conseil comme jour national d’action de grâces,

h)   le jour du Souvenir,

i)    le jour de Noël,

j)    l’après-Noël,

k)   un autre jour chaque année qui, de l’avis de l’employeur, est reconnu au niveau provincial ou municipal comme jour de fête dans la région où l’employé travaille ou, dans toute région où, de l’avis de l’employeur, un tel jour de fête additionnel provincial ou municipal n’existe pas, le premier lundi d’août,

et

l)    un autre jour lorsqu’une loi du Parlement le proclame comme jour férié national.

Les appelants prétendent que les employés du Conseil du Trésor qui sont, pour la plupart, de religion chrétienne, n’ont pas à prendre de jours de congé pour observer leurs obligations religieuses, étant donné que les fêtes chrétiennes de Noël et du Vendredi saint sont expressément désignées comme jours fériés. Et pourtant, les membres de la religion juive doivent prendre jusqu’à trois jours de congé pour célébrer les Grandes Fêtes juives. À leur avis, cela contrevient à la clause d’« élimination de la discrimination » des conventions collectives.

Un calendrier des jours fériés semblable à celui qui est reproduit ci-dessus a été analysé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Commission scolaire régionale de Chambly[9] dans lequel le juge Cory, au nom de la Cour, a déclaré qu’un tel calendrier, quoique neutre à première vue, avait pour effet d’être de discriminatoire envers les membres d’un groupe identifiable à cause de leurs croyances religieuses. Le calendrier avait donc un effet discriminatoire[10]. Par conséquent, je conclus également que le calendrier actuel des « jours fériés désignés payés » a un effet discriminatoire.

Sans cette conclusion tirée de Commission scolaire régionale de Chambly, on aurait pu être tenté de considérer que le calendrier créait une situation de discrimination directe, avec pour résultat que ces deux jours auraient pu être rayés du calendrier. En effet, il a récemment été établi dans Central Okanagan School District no 23 c. Renaud[11] que les ententes privées, que ce soit par contrat ou par convention collective, doivent céder devant les exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cependant, outre le fait que, contrairement à l’arrêt Renaud, les différents syndicats ne sont pas partie à cette instance, le Code canadien du travail[12] dispose impérativement que les employés ont droit à un congé payé pour les jours fériés qui comprennent le 1er janvier, le Vendredi saint, la fête de Victoria, la fête du Canada, la fête du Travail, le jour de l’Action de grâces, le jour du Souvenir, le jour de Noël et le lendemain de Noël et tout jour de substitution.

Par conséquent, il s’agit en l’espèce d’un cas de discrimination indirecte. La question qu’il faut se poser est donc de savoir si le juge de première instance [[1996] 2 C.F. 305 a commis une erreur en concluant que l’employeur avait pris des mesures d’accommodement raisonnables, sans que cela comporte de contrainte excessive, pour permettre aux appelants d’observer leurs obligations religieuses en fonction des préceptes de leur religion[13], confirmant ainsi l’opinion de l’arbitre selon laquelle la politique du Conseil du Trésor est conforme aux obligations de l’employeur.

Le fardeau de la preuve incombe à l’employeur qui fait valoir que l’arbitre et le juge de première instance ont eu raison de décider qu’il avait fait des offres raisonnables, en invoquant la politique du Conseil du Trésor, selon laquelle chaque cas est examiné selon son bien-fondé et où tous les efforts sont faits pour qu’un employé puisse s’absenter du travail sans subir une perte de revenu. L’employeur prétend que, dans l’arrêt Commission scolaire régionale de Chambly, il n’y avait aucune possibilité de rattraper le temps d’absence de quelque façon que ce soit, le résultat étant que les enseignants auraient subi une perte de salaire, alors que ce n’est pas le cas en l’espèce. En outre, l’employeur fait valoir que les plaintes des fonctionnaires s’estimant lésés, si la Cour juge qu’elles sont fondées, rendraient obligatoire une clause par ailleurs discrétionnaire aux termes des conventions collectives. Il prétend enfin que les employés ont aussi l’obligation, en vertu du droit établi dans l’arrêt Renaud, d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable.

L’étendue de la doctrine de l’accommodement raisonnable et de la contrainte excessive, qui sont deux façons d’exprimer un même concept, est clairement énoncée par le juge Cory dans l’arrêt Commission scolaire régionale de Chambly[14] :

L’accommodement raisonnable et la raison de cette exigence

Il peut être approprié de commencer par une question : pourquoi devrait-il y avoir accommodement raisonnable dans les cas où des règles, des normes ou des procédures en matière d’emploi, apparemment neutres, lèsent néanmoins un employé ou groupe d’employés identifiable?

La réponse à cette question doit émaner de l’objet même des lois en matière de droits de la personne. Ces lois cherchent, dans la mesure où il est raisonnable de le faire, à garantir l’équité ou la justice en milieu de travail aux personnes de toutes religions, races et nationalités. Pour la vaste majorité des Canadiens, leur travail et leur lieu de travail sont des questions d’importance fondamentale. L’équité en milieu de travail est souhaitée par tous. C’est un objectif magnifique qu’il vaut la peine de s’efforcer d’atteindre. Une fois qu’il est établi que des règles, procédures ou normes en matière d’emploi sont sources de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, l’employeur doit tenter raisonnablement de s’entendre avec les employés lésés qui appartiennent presque toujours à un groupe minoritaire. Pour qu’il y ait égalité et équité véritables en milieu de travail, quelles que soient les croyances religieuses des employés, il va de soi que l’employeur doit être tenu de prendre des mesures raisonnables pour s’entendre avec les employés lésés par les règles en matière d’emploi. Cela est essentiel à la réalisation de l’objet des lois en matière de droits de la personne. Toute mesure moindre frustre l’objet de ces lois et en fait des textes creux de peu de valeur dans le milieu de travail.

Ce principe est si important que le juge McIntyre a indiqué, au nom de notre Cour à l’unanimité, dans l’arrêt O’Malley, précité, qu’une mesure d’accommodement raisonnable fait partie intégrante du droit à l’égalité. On peut donc considérer que l’obligation d’accommodement est un aspect fondamentalement important des lois en matière de droits de la personne et une partie intégrante du droit à l’égalité en milieu de travail. Il devient alors nécessaire de déterminer précisément ce qui constitue une mesure d’accommodement raisonnable.

On a fait remarquer dans l’arrêt Renaud, précité, à la p. 989, que, historiquement, l’obligation d’accommodement constituait un moyen de limiter la responsabilité de l’employeur jugé responsable d’avoir involontairement fait preuve de discrimination en adoptant de bonne foi une règle de travail. En offrant une mesure d’accommodement raisonnable aux travailleurs touchés, l’employeur pouvait justifier la discrimination par suite d’un effet préjudiciable et éviter ainsi d’engager sa responsabilité pour les conséquences non voulues des règles en matière d’emploi.

L’étendue de l’obligation d’accommodement dans les cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable est décrite ainsi, à la p. 555 de l’arrêt O’Malley :

L’obligation dans le cas de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou la croyance, consiste à prendre des mesures raisonnables pour s’entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive : en d’autres mots, il s’agit de prendre les mesures qui peuvent être raisonnables pour s’entendre sans que cela n’entrave indûment l’exploitation de l’entreprise de l’employeur et ne lui impose des frais excessifs. (Je souligne.)

Les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer ce qui peut constituer une mesure d’accommodement raisonnable sont énoncés dans l’arrêt Central Alberta Dairy Pool, précité. Le juge Wilson, s’exprimant au nom de la majorité, décrit ainsi ces facteurs, aux pp. 520 et 521 :

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de définir de façon exhaustive ce qu’il faut entendre par contrainte excessive mais j’estime qu’il peut être utile d’énumérer certains facteurs permettant de l’apprécier. J’adopte d’abord à cette fin les facteurs identifiés par la commission d’enquête en l’espèce—le coût financier, l’atteinte à la convention collective, le moral du personnel et l’interchangeabilité des effectifs et des installations. L’importance de l’exploitation de l’employeur peut jouer sur l’évaluation de ce qui représente un coût excessif ou sur la facilité avec laquelle les effectifs et les installations peuvent s’adapter aux circonstances. Lorsque la sécurité est en jeu, l’ampleur du risque et l’identité de ceux qui le supportent sont des facteurs pertinents. Cette énumération ne se veut pas exhaustive et les résultats qu’on obtiendra en mesurant ces facteurs par rapport au droit de l’employé de ne pas faire l’objet de discrimination varieront nécessairement selon le cas.

En ce qui concerne le facteur du moral des autres employés, le juge Sopinka l’a reformulé, dans l’arrêt Renaud, précité, de manière à exiger un examen de l’effet de la mesure d’accommodement raisonnable sur les autres employés. (Voir pages 984 et 985, ainsi que 991 et 992.)

Ces facteurs ne sont pas coulés dans le béton. Il y a lieu de les appliquer d’une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas. Les situations changeront sans cesse. Par exemple, dans une grande entreprise, il peut être relativement facile de remplacer un employé par un autre. Cependant, dans une petite entreprise, le remplacement d’un employé peut imposer un fardeau déraisonnable ou inacceptable à l’employeur. Les conséquences financières d’une mesure d’accommodement varieront aussi indéfiniment. Ce qui peut être parfaitement raisonnable en période de prospérité est susceptible d’imposer à un employeur un fardeau financier déraisonnable en période de restrictions budgétaires ou de récession. Cependant, les facteurs énumérés peuvent servir de point de départ pour examiner ce qui peut constituer une mesure d’accommodement raisonnable.

Il importe de se rappeler que l’obligation d’accommodement est limitée par les mots « raisonnable » et « sans s’imposer de contrainte excessive ». Il s’agit là non pas de critères indépendants, mais plutôt de différentes façons d’exprimer le même concept. (Voir l’arrêt Renaud, précité, à la p. 984.)

Antérieurement, dans l’arrêt Renaud[15], le juge Sopinka, s’exprimant au nom de la Cour, avait clairement indiqué que, bien que les termes « à moins que cela ne cause une contrainte excessive » restreignent cette obligation, l’utilisation de l’adjectif « excessive » suppose qu’une certaine contrainte est acceptable et qu’il faut plus que de simples efforts négligeables. Il a ajouté[16] que l’effet de la convention collective est pertinent pour évaluer le degré de contrainte résultant de l’ingérence dans ses conditions et qu’une dérogation importante à l’effet normal des conditions d’emploi qu’elle comporte peut constituer une ingérence excessive dans l’exploitation de l’entreprise de l’employeur. Toutefois, le coût d’une défense contre la menace d’un grief ne constituait pas une contrainte excessive justifiant un refus de s’entendre avec le plaignant. Il a également indiqué[17] que, bien que le moral des employés soit l’un des facteurs à prendre en considération, celui-ci doit être appliqué avec prudence. Il faut tenir compte de l’opposition des employés qui résulte de craintes légitimes que leurs droits soient lésés. Par contre, les oppositions fondées sur des attitudes incompatibles avec les droits de la personne ne sont pas pertinentes.

S’agissant de définir son étendue et ses limites, la doctrine de l’accommodement raisonnable en est encore à ses débuts. Jusqu’ici, toutefois, il est clair que l’employeur doit démontrer qu’il a fait de véritables efforts, sans s’imposer de contrainte « excessive », pour supprimer la discrimination ayant un effet préjudiciable qu’ont subie ses employés.

Dans l’arrêt Renaud[18], un adventiste du septième jour, était gardien dans une école primaire et ne pouvait travailler pendant le sabbat de l’Église, soit du coucher du soleil le vendredi au coucher du soleil le samedi, comme le lui imposait sa religion. Il ne pouvait donc travailler le vendredi soir, comme l’exigeait le poste qu’il avait obtenu en faisant valoir son ancienneté. Le représentant du conseil scolaire s’est montré réceptif à une modification de son horaire de travail, mais il a indiqué que le conseil scolaire avait besoin du consentement du syndicat si une mesure d’accommodement comportait une exception à la convention collective. Le conseil scolaire a proposé la création d’un quart s’étalant du dimanche au jeudi, qui nécessitait le consentement du syndicat. Toutefois, le syndicat a refusé et a menacé de déposer un grief de principe pour empêcher la mise en œuvre de cette proposition. À la suite de vaines tentatives pour trouver un compromis viable, le conseil scolaire a finalement congédié l’employé en raison de son refus de compléter son quart de nuit normal du vendredi. L’employé a déposé une plainte contre son employeur et le syndicat en vertu de la Human Rights Act[19] de la Colombie-Britannique. La Cour suprême du Canada a approuvé la décision du membre désigné qui a conclu que la convention collective ne libérait pas l’employeur de son obligation d’accommodement. La menace d’un grief qui aurait visé à appliquer la convention collective n’aurait entraîné que le coût d’une défense contre ce grief, ce qui ne constituait pas une contrainte excessive[20].

En l’espèce, l’intimé ne pouvait pas chercher à mettre à l’épreuve les conventions collectives ou demander qu’elles soient modifiées de façon à apporter des changements aux jours fériés désignés payés, étant donné que le jour de Noël et le Vendredi saint sont des jours fériés payés prescrits par le Code canadien du travail. L’intimé aurait-il pu faire davantage dans le contexte des conventions collectives en vigueur?

Les conventions collectives sont souples dans le sens qu’elles confèrent à l’employeur un pouvoir discrétionnaire d’accorder un congé payé pour des motifs autres que ceux indiqués dans la convention. La politique du Conseil du Trésor prévoit déjà l’octroi de congés payés dans des situations comme la tenue d’un scrutin, des activités d’ordre récréatif ou personnel et des occasions spéciales, un rendez-vous chez le médecin ou le dentiste, des conditions climatiques ou environnementales malsaines, la tenue de manifestations sportives internationales et l’instruction au sein des Forces de réserve, pourvu que certaines normes et règles de conduite soient respectées. Ces cas de congé, qui s’appliquent à tous, quelle que soit leur confession religieuse, sont « autorisés conformément aux autorisations pertinentes, c’est-à-dire la convention collective ou les conditions d’emploi pertinentes ». Ils sont assujettis à d’importantes restrictions. La tenue d’un scrutin est régie par les lois en vigueur et, sauf pour les élections, référendums ou plébiscites fédéraux[21], la politique du Conseil du Trésor y fait expressément référence. Par ailleurs, un congé accordé « pour des activités d’ordre récréatif ou personnel et à des occasions spéciales » peut être accordé « mais cette absence doit être imputée sur [les] crédits de congés annuels [de l’employé] ». Les rendez-vous périodiques chez le médecin ou le dentiste sont limités à une demi-journée, et lorsque l’employé doit s’absenter régulièrement pour suivre un traitement, ses absences sont imputées à ses crédits de congés de maladie. Les conditions climatiques ou environnementales malsaines font également l’objet d’un contrôle. La participation à des manifestations sportives internationales est limitée dans le temps, elle doit être entérinée par un organisme officiel, et l’employé doit épuiser ses crédits inutilisés de congé annuel avant d’obtenir un congé supplémentaire. L’instruction au sein des Forces de réserve doit être conforme aux dispositions des lois en vigueur.

En vertu de la doctrine de la contrainte excessive, l’employeur était-il tenu d’avoir recours aux dispositions discrétionnaires des conventions collectives de manière à ajouter automatiquement les trois jours de congés payés pour la célébration des fêtes religieuses juives, sans imposer aux employés les sacrifices supplémentaires qui constituent le fondement des griefs?

À mon avis, dans l’état actuel des conventions collectives, l’employeur ne pouvait pas avoir recours aux dispositions discrétionnaires de cette façon. Le risque ne se limite pas seulement au dépôt éventuel d’un grief, comme dans l’arrêt Renaud. L’employeur ne pouvait pas unilatéralement rendre obligatoire une clause par ailleurs discrétionnaire sans risquer de perturber sérieusement l’équilibre des conventions collectives. S’il l’avait fait, le nombre de jours de congés payés obligatoires n’auraient pas été appliqués à tous de la même manière. En plus de bénéficier des jours fériés qui représentent les fêtes religieuses de la majorité, les employés de religion juive auraient bénéficié de trois jours de congés payés obligatoires de plus pour des fins religieuses. Noël et le Vendredi saint ne représentent pas toute la gamme des fêtes « religieuses » ou de « jeûne » que les Chrétiens peuvent observer, et certainement pas celles de la religion catholique romaine, comme en fait foi l’arrêt Birks v. City of Montreal[22] dans lequel l’Épiphanie, la Toussaint et l’Immaculée-Conception faisaient partie des jours d’observance religieuse. Rien n’empêcherait alors les Chrétiens de prétendre qu’ils ont également droit à un nombre de jours supplémentaires d’observance religieuse comme congés payés. L’employeur serait-il en mesure de faire la distinction entre les jours importants et moins importants pour des fins d’observance religieuse? En outre, où situerait-on la limite par rapport à toutes les autres religions? On peut difficilement répondre que chaque cas devrait être évalué selon les circonstances.

La situation est bien différente de celle de l’arrêt Commission scolaire régionale de Chambly où, jusqu’en 1983, la Commission scolaire avait accordé aux enseignants de religion juive un congé avec traitement pour célébrer le Yom Kippour et leur avait ensuite retiré ce congé payé sans fournir de motifs, pas même financiers.

La décision de la Commission de règlement des griefs des employés de la Couronne de l’Ontario (la commission) dans l’arrêt Ontario (Ministry of Government Services) v. O.P.S.E.U. (Kimmel/Leaf), Re[23] est aussi différente de la situation en l’espèce. Dans cette affaire, la convention collective, qui renfermait une clause portant sur l’élimination de la discrimination, disposait, à l’article 55.1, que l’employeur pouvait accorder, à sa discrétion, des congés payés pour des motifs spéciaux et de compassion, jusqu’à concurrence de trois jours par an. Toutefois, l’employeur avait adopté une règle selon laquelle le congé spécial avec traitement n’était habituellement pas accordé pour des fins d’observance religieuse en vertu de cet article, et il a refusé d’appliquer l’article 55.1 aux employés qui voulaient prendre les jours de congés prévus pour observer leurs obligations religieuses. Les plaignants, dans ce cas représentés par le syndicat, devaient soit prendre ces trois jours de congés sans traitement, soit utiliser leurs crédits de congé annuel.

La commission a reconnu que l’employeur n’avait pas, selon les termes utilisés dans Gohm v. Domtar Inc.[24], pris des « mesures significatives ou réelles » pour répondre aux demandes des plaignants. Elle note de plus que l’employé qui a demandé et obtenu un congé spécial pour observer ses obligations religieuses n’était pas dans une position plus avantageuse que d’autres employés. En fait, c’était plutôt le contraire qui était vrai, étant donné qu’après avoir pris son congé spécial avec traitement à cette fin, il ne pouvait plus s’en servir à d’autres fins[25].

Par suite de l’arrêt Kimmel/Leaf chacun a obtenu le droit de réclamer jusqu’à trois jours de congé pour des motifs spéciaux ou de compassion, y compris pour des activités religieuses. La mesure d’accommodement a pu être accordée sans perturber l’équilibre de la convention collective.

Il se peut fort bien que les fonctionnaires de religion juive préfèrent travailler le jour de Noël et le Vendredi saint et bénéficier de deux jours de congé payé pour célébrer les fêtes de leur propre religion. Mais il serait contraire aux conventions collectives et au Code canadien du travail de s’attendre à ce que l’employeur ouvre ses bureaux le jour de Noël et le Vendredi saint pour ses employés de religion juive, alors que ces congés payés s’appliquent à tous les employés et que tous y ont droit. Pour rattraper leur temps d’absence, selon l’offre que l’employeur leur a faite, les plaignants pouvaient effectuer des heures supplémentaires à la fin de la journée ou le samedi. De façon générale, le recours aux heures supplémentaires pour rattraper un temps d’absence est pratique courante dans bien des métiers et professions. Toutefois, rattraper un temps d’absence consacré à l’observance des préceptes de sa propre religion, alors qu’on est obligé de prendre les jours fériés prévus par la loi qui sont associés à une religion que l’on ne pratique pas, peut être une expérience difficile et frustrante.

En temps et lieu, au fur et à mesure que des modifications seront apportées au Code canadien du travail, de nouvelles conventions collectives pourront être rédigées, et exclure Noël et le Vendredi saint comme jours fériés payés. Chaque employé devra alors les assumer personnellement. Ou encore, sans que le Code canadien du travail soit modifié, de nouvelles conventions collectives pourraient permettre qu’un certain nombre de congés soient offerts à tous comme jours d’observance religieuse. Il se pourrait même que d’autres formules soient encore plus appropriées pour répondre aux préoccupations légitimes des appelants et assurer à tous un traitement égal. Mais la doctrine de la contrainte excessive sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne va pas aussi loin que les prétentions des appelants en l’espèce voudraient nous le faire croire.

Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Le juge en chef Isaac : Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. (dissident) : Le présent appel porte sur plusieurs griefs déposés par les appelants après que leur employeur leur a refusé un congé payé pour observer les Grandes Fêtes juives. Devant l’arbitre, les appelants ont fait valoir qu’ils avaient été victimes de discrimination du fait de leur confession religieuse et que leur employeur avait manqué à son obligation « d’accommodement » prescrite par la loi. L’employeur a répondu en signalant que chacun des plaignants avait eu le congé demandé et qu’il avait offert plusieurs options pour compenser la perte de traitement découlant de cette absence, notamment l’utilisation des congés annuels. Tous les appelants ont rejeté l’offre d’accommodement qui leur a été faite. À son tour, l’arbitre a rejeté tous les griefs au motif que l’employeur s’était acquitté de son obligation de s’entendre avec ses employés. La demande de contrôle judiciaire rattachée à cette décision a été rejetée par le juge de première instance.

En toute déférence, je suis d’avis que tous les appelants ont droit à des congés payés. Je reconnais qu’il n’y a pas de règle ou de principe de droit général qui oblige les employeurs à accorder à leurs employés des congés payés de façon à ce qu’ils puissent observer leurs obligations religieuses. Mais cela ne signifie pas, simplement parce qu’un employeur accorde le congé demandé et que l’employé est en mesure de faire des heures supplémentaires pour rattraper sa journée perdue, que l’employeur a satisfait à son obligation d’accommodement. Comme je l’explique ultérieurement, il ne s’agit pas d’un cas où l’employeur a établi qu’il subirait une contrainte excessive s’il était tenu d’accorder des congés payés pour l’observance des fêtes religieuses. Plus précisément, il n’y a pas de preuve de contrainte financière, et il n’a pas non plus été prouvé que l’octroi des congés payés porterait atteinte de quelque façon que ce soit à l’intégrité des conventions collectives ou au moral des employés. Par ailleurs, certains éléments de preuve appuient l’opinion selon laquelle l’employeur accorde à l’heure actuelle des congés payés à des employés pour des raisons beaucoup moins importantes que celle dont il est question dans le présent appel.

I.          LES FAITS

Au total, vingt-sept griefs déposés par seize fonctionnaires fédéraux ont été renvoyés à l’arbitrage au sujet de l’accommodement concernant l’observance des pratiques religieuses. De ce nombre, quatorze griefs avaient trait à des demandes de congé payé présentées en 1992 en vertu d’une clause d’une convention collective. Les treize autres griefs avaient trait à des demandes semblables présentées en 1993. À l’époque pertinente, Sheldon Richmond travaillait à la Commission de la fonction publique. À une exception près, les autres appelants travaillaient pour le ministère du Revenu national. Le dernier appelant était au ministère de la Défense nationale.

Tous les appelants étaient visés par l’une des trois conventions collectives. Chacune de ces conventions collectives comporte une clause d’« élimination de la discrimination » qui se lit comme suit :

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, son adhésion ou son activité au [syndicat].

De même, chacune des conventions collectives comportait une clause ayant trait à « des congés payés pour d’autres motifs » (congés spéciaux). Ces clauses sont les suivantes :

L’employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention. [Clause 17.13, Convention collective du groupe CS.]

À sa discrétion, l’employeur peut accorder un congé payé pour des fins autres que celles qui sont indiquées dans la présente convention collective, y compris l’instruction militaire, les cours de formation en protection civile et les situations d’urgence touchant la localité ou le lieu de travail et lorsque des circonstances qui ne sont pas directement attribuables à l’employé l’empêchent de se rendre au travail. [Clause 17.14, Convention cadre de l’IPFPC.]

L’employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a) un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé l’empêchent de se rendre au travail. Ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;

b) un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention. [Clause 21.13, Convention collective du groupe de Vérification (AU).]

En 1992, les appelants ont demandé un congé spécial afin d’observer les fêtes religieuses juives les plus importantes, soit la Ros-ha-sanah (les 28 et 29 septembre 1992) et le Yom Kippour (le 7 octobre 1992). Il s’agissait de jours de travail prévus à l’horaire. En 1993, un congé spécial a de nouveau été demandé étant donné que deux des trois jours de fête étaient des jours de travail prévus à l’horaire. L’employeur a chaque fois refusé les demandes de congé spécial. Toutefois, conformément à la politique du Conseil du Trésor intitulée « Congé payé pour obligations religieuses », l’employeur a offert à chaque appelant trois options pour qu’il puisse s’absenter sans perdre de traitement, notamment un congé annuel, un congé compensatoire et des heures de travail supplémentaires (pour rattraper le temps d’absence). La politique pertinente du Conseil du Trésor est rédigée dans les termes suivants :

Congé payé pour obligations religieuses

Les gestionnaires devraient examiner chaque demande de congé pour obligations religieuses en envisageant tous les moyens possibles de laisser l’employé s’absenter sans lui occasionner une perte d’argent dans les limites permises par la convention collective. Ces moyens comprennent le recours aux congés annuels et compensatoires, les échanges de quart pour les travailleurs par équipe, l’horaire variable (semaine de travail comprimée) ou des arrangements individuels pour rattraper le temps d’absence, si les impératifs du service le permettent.

Les demandes de congé spécial payé des appelants ayant été rejetées, ces derniers ont choisi de présenter des demandes de congé annuel pour les jours en question. Ces demandes ont été approuvées. Toutefois, les appelants ont porté la question du congé spécial devant un arbitre. En s’appuyant sur l’article relatif à l’« élimination de la discrimination » qui figure dans leur convention collective respective, les appelants ont fait valoir qu’ils avaient été victimes de discrimination du fait de leur confession religieuse parce que leur employeur leur a refusé un congé spécial.

II.         LES DÉCISIONS DES INSTANCES INFÉRIEURES

Devant l’arbitre, les appelants ont fait valoir que l’article concernant l’« élimination de la discrimination » témoigne de l’intention des parties d’incorporer par renvoi les motifs de discrimination illicite énoncés au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En outre, ils ont cité le paragraphe 15(1) et l’alinéa 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui enchâssent respectivement les droits à l’égalité et la liberté de religion. Pour plus de commodité, je reproduis ci-dessous les textes législatifs pertinents :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience. [Loi canadienne sur les droits de la personne.]

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

a) liberté de conscience et de religion;

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. [Charte canadienne des droits et libertés.]

Les appelants soutiennent que le refus d’accorder un congé spécial constitue de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable découlant de l’application de la politique de l’employeur concernant le « Congé payé pour obligations religieuses ». Ils font valoir que cette politique impose aux employés de religion juive des obligations que n’ont pas les employés de religion chrétienne. Les employés de religion juive doivent avoir recours aux congés annuels ou compensatoires ou prendre d’autres arrangements avec leur employeur pour éviter une perte de revenu s’ils veulent célébrer les Grandes Fêtes juives. Cette concession, selon les appelants, n’est pas exigée de la majorité de leurs collègues dont les fêtes religieuses sont désignées comme jours fériés par la loi. Les appelants font valoir que si, en vertu de la politique du Conseil du Trésor, leur employeur doit déployer tous les efforts nécessaires, en respectant les limites d’une convention collective, pour réaliser l’objectif de la politique, alors le recours au congé spécial s’impose naturellement.

Pour ce qui concerne la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, les appelants prétendent que leur employeur avait l’obligation légale de leur proposer un accommodement sans s’imposer de contrainte excessive. À leur avis, il ne s’est pas acquitté de cette obligation. On signale que l’employeur n’a fourni aucun élément de preuve visant à établir que la solution proposée par ses employés lui imposerait une contrainte excessive du point de vue financier ou opérationnel. Par conséquent, les appelants ont demandé à l’arbitre de déclarer qu’ils avaient été victimes de discrimination du fait de leur confession religieuse. Ils ont aussi demandé une ordonnance exigeant que leur soient recrédités les congés annuels utilisés pour couvrir leurs absences, de même que l’octroi d’un congé spécial pour remplacer les congés annuels utilisés.

En réponse aux observations des appelants, l’employeur a fait valoir que l’obligation qui lui est imposée est une obligation d’accommodement « raisonnable ». En outre, l’employeur n’a pu trouver aucun soutien à la proposition légale selon laquelle l’obligation d’accommodement exige qu’il accorde aux employés un congé payé. Au sujet de la politique du Conseil du Trésor, il fait remarquer que celle-ci permet aux employés d’observer leurs fêtes religieuses sans subir de perte de revenu. L’employeur soutient que les options énoncées dans la politique sont nombreuses, souples et qu’elles constituent une mesure d’accommodement raisonnable. Quant aux clauses concernant les congés spéciaux, l’employeur note qu’elles sont de nature discrétionnaire et que l’argument des employés, s’il était accepté, aurait pour effet de rendre cette clause impérative; c’est-à-dire qu’il serait obligatoire d’accorder, en toutes circonstances, un congé payé pour l’observance des obligations religieuses. Cependant, en vertu des conventions collectives en question, le congé payé n’est pas obligatoire et si les parties avaient voulu que tel soit le cas, elles en auraient expressément convenu au moment de la négociation du contrat de travail. Finalement, l’employeur fait valoir que son offre d’accommodement était raisonnable alors que l’insistance des appelants à obtenir un congé spécial constituait une demande déraisonnable.

L’arbitre a conclu que la jurisprudence pertinente ne faisait pas ressortir d’obligation d’accommodement jusqu’à la limite de la contrainte excessive, à moins qu’il n’y ait pas de moyens moins onéreux à la disposition de l’employeur pour s’entendre avec un employé. D’après l’interprétation que donne l’arbitre de l’arrêt Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, qui est l’arrêt le plus récent de la Cour suprême sur la question de l’accommodement pour des fins religieuses, l’employeur est tenu, pour s’acquitter de cette obligation, de permettre à l’employé de s’absenter sans perte de salaire, mais il n’est pas établi qu’il doive subir une contrainte pour accommoder un employé qui souhaite célébrer ses fêtes religieuses. Comme l’offre d’accommodement de l’employeur était compatible avec la politique du Conseil du Trésor, l’arbitre a statué que ce serait violer la convention collective que d’ordonner à l’employeur d’accorder un congé discrétionnaire en s’appuyant sur les clauses relatives aux congés spéciaux. Accorder aux appelants l’ordonnance qu’ils demandent aurait pour effet de rendre obligatoire le pouvoir par ailleurs discrétionnaire d’accorder un congé spécial et de porter atteinte au paragraphe 96(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35. Ce paragraphe dispose qu’un arbitre ne peut rendre une décision qui aurait pour effet d’exiger la modification d’une convention collective. Le raisonnement de l’arbitre est énoncé de façon plus détaillée aux pages 76 à 79 (QL) de sa décision :

Ayant examiné la jurisprudence pertinente, je suis convaincu que la Cour suprême du Canada a établi qu’il fallait qu’il y ait accommodement, mais que cet accommodement ne devait pas entraîner une « contrainte excessive » s’il existe une autre forme d’accommodement. En l’occurrence, l’employeur s’est doté d’une politique concernant les congés pour obligations religieuses, notamment « le recours aux congés annuels ou compensatoires, les échanges de quart pour les travailleurs par équipe, l’horaire variable (semaine de travail comprimée) ou des arrangements individuels pour rattraper le temps d’absence, si les impératifs du service le permettent ». Toutefois, aucun des fonctionnaires s’estimant lésés n’a demandé d’être accommodés [sic] autrement que par le biais d’un congé payé « pour d’autres motifs ».

Une lecture attentive de l’arrêt Chambly … n’indique pas que l’employeur doit subir une contrainte pour accommoder un membre du personnel afin que celui-ci puisse observer ses obligations religieuses. Il est indiqué par ailleurs qu’il doit accommoder un employé dans de telles circonstances et que cet accommodement doit être sous forme d’une période d’absence sans perte de salaire. Selon moi, la perte de salaire a constitué le fond même de l’arrêt de la Cour dans Chambly … lorsqu’elle a décidé de rétablir la décision de la majorité du tribunal d’arbitrage d’accorder aux enseignants en question un congé payé en ce sens que la Cour était d’avis que l’employeur a refusé de raisonnablement les accommoder en ne leur accordant qu’un congé non payé.

En l’occurrence, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont perdu aucun salaire. Ils ont tous pu prendre le congé demandé, soit un congé annuel, après qu’on eut rejeté leur première demande de congé, c’est-à-dire un congé payé « pour d’autres motifs » conformément à une clause de la convention collective qui prévoit l’autorisation d’un tel congé à la discrétion de l’employeur. Comme l’a signalé l’avocat de l’employeur, il peut se présenter des circonstances où l’employeur pourrait accorder un tel congé pour permettre à un employé d’observer ses obligations religieuses. Mais lorsque l’employé peut prendre d’autres arrangements lui permettant de s’absenter sans perte de salaire, je crois que ce serait violer la convention collective que d’ordonner à l’employeur d’accorder un congé discrétionnaire compte tenu du fait que celui-ci a mis en place un programme en vue d’accommoder un employé en lui offrant d’autres arrangements tels que ceux prévus dans la « politique » de l’employeur. À cet égard, je rappelle le paragraphe 96(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Aucun droit absolu à « un congé payé pour d’autres motifs » n’a été dévolu aux employés qui désirent s’absenter pour observer leurs obligations religieuses. Les tribunaux ont reconnu seulement le fait qu’un employeur doit accommoder l’employé en l’autorisant à s’absenter sans perte de salaire. L’exigence selon laquelle l’accommodement doit être sous réserve de contrainte excessive intervient seulement si l’employeur ne peut prendre d’autres arrangements moins onéreux pour accommoder l’employé—alors il incombe à l’employeur, à moins de contrainte excessive, d’accommoder ce dernier.

Les motifs de l’arbitre se terminent par deux grandes conclusions. Tout d’abord, l’employeur n’a pas contrevenu à la clause concernant l’« élimination de la discrimination » des conventions collectives. Deuxièmement, les appelants n’ont pas établi que l’employeur avait agi de manière arbitraire, discriminatoire, déraisonnable ou de mauvaise foi lorsqu’il a refusé de leur accorder un congé spécial.

Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, la question de la norme de contrôle appropriée a été débattue brièvement devant le juge de première instance. Celui-ci a fait observer que l’arbitre était essentiellement saisi d’une question d’interprétation des clauses antidiscriminatoires et, donc, qu’il s’agissait là d’une décision qui relevait autant du domaine des droits de la personne que de l’interprétation des conventions collectives comme telles et de la législation du travail. Au bout du compte, toutefois, le juge de première instance a jugé inutile de se prononcer sur la question de la retenue judiciaire parce qu’il s’est dit d’avis que la décision de l’arbitre était juste.

Le juge de première instance a conclu que lorsqu’un employeur propose une mesure d’accommodement déraisonnable, l’arbitre peut être forcé d’interpréter les clauses par ailleurs discrétionnaires concernant d’autres congés payés comme des clauses obligatoires afin de garantir le respect des clauses concernant l’élimination de la discrimination. Toutefois, le juge de première instance a conclu que l’arbitre avait raison de conclure à une proposition d’accommodement raisonnable de la part de l’employeur et qu’il n’y avait pas lieu de recourir aux clauses concernant les congés spéciaux. De l’avis du juge de première instance, l’extrait suivant de l’arrêt Chambly établit qu’une offre d’accommodement se doit simplement d’être raisonnable pour satisfaire à l’obligation d’accommodement (à la page 546) :

Il importe de se rappeler que l’obligation d’accommodement est limitée par les mots « raisonnable » et « sans s’imposer de contrainte excessive ». Il s’agit là non pas de critères indépendants, mais plutôt de différentes façons d’exprimer le même concept.

III.        ANALYSE

Le présent appel soulève six questions. Tout d’abord, jusqu’à quel point le principe de retenue judiciaire s’applique-t-il à la décision de l’arbitre? En termes juridiques, quelle est la norme de contrôle judiciaire appropriée? Deuxièmement, les appelants peuvent-ils faire valoir que l’employeur a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable lorsqu’il a refusé de leur accorder un congé payé conformément aux clauses relatives aux congés spéciaux? Troisièmement, quelle est l’étendue de l’obligation d’offrir un accommodement raisonnable? Plus précisément, l’exécution de cette obligation exige-t-elle que l’employeur offre une mesure d’accommodement qui soit à la limite extrême de la contrainte excessive? Ou est-il tout simplement nécessaire, comme on le prétend ci-dessous, que l’employeur fasse une offre « raisonnable »? Quatrièmement, le fait que, dans l’arrêt Chambly, les employés n’ont pu reprendre leur temps d’absence et leur salaire alors que, d’après les faits de l’espèce, les appelants n’ont pas subi le même inconvénient, a-t-il une importance cruciale pour l’issue du présent appel? Cinquièmement, le fait que les appelants pourront bénéficier de un à trois jours fériés supplémentaires si les griefs sont accueillis équivaut-il à de la discrimination à rebours? Dans l’affirmative, cela constitue-t-il un motif suffisant pour rejeter les griefs? Sixièmement, dans quelle mesure l’effet possible ou perçu de cette décision sur les réclamations d’autres groupes religieux en matière d’accommodement est-il pertinent quant à l’issue du présent appel? Je ferai référence à cette question sous l’expression « effet d’entraînement ».

A)        La retenue judiciaire

Comme je suis d’avis que la décision de l’arbitre ne peut être maintenue, je dois me prononcer sur la question de la retenue judiciaire. À mon avis, le degré de retenue qui s’applique à la décision d’un arbitre dépend de la question de savoir si on demande au tribunal d’appel de se prononcer sur l’interprétation de la convention collective donnée par un arbitre ou, subsidiairement, si la question vise des principes concernant les droits de la personne que l’arbitre doit appliquer dans un contexte de droit du travail. La retenue judiciaire s’impose dans le premier cas, mais pas dans le deuxième. Voici mon explication.

Il est bien établi en droit que le principe de retenue judiciaire s’applique aux décisions des arbitres, rendus en vertu de l’article 92 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68] de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, portant sur l’interprétation d’une convention collective. Normalement, une clause privative comme celle que l’on retrouve à l’article 101 de cette Loi, suffit pour dissuader d’avoir recours à l’intervention judiciaire. Toutefois, il est intéressant de noter que cette disposition a été abrogée par la Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54, article 73, en date du 1er juin 1993. (À ma connaissance, cet article n’a pas été remplacé. On peut s’étonner, à un moment où les tribunaux épousent la doctrine de la retenue judiciaire, que le législateur adopte en apparence une position contraire.)

Pour les fins du présent appel, je dois présumer que tous les griefs ont été déposés lorsque la clause privative était en vigueur. Cela étant, il est bien accepté en droit que la décision d’un arbitre doit être maintenue à moins qu’elle ne soit manifestement déraisonnable au point d’être clairement irrationnelle : voir Chambly, précité, à la page 537; voir également Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941 (AFPC nº 2), à la page 955 et suivantes; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; et Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412.

Toutefois, la proposition précitée doit être restreinte à des questions qui relèvent typiquement du droit du travail. À mon avis, aucune retenue judiciaire ne s’applique à la décision d’un arbitre sur la question de l’accommodement raisonnable. J’essaierai d’exposer ma position aussi succinctement que possible avant d’analyser le raisonnement, par ailleurs non décisif, de la Cour suprême sur la retenue judiciaire dans l’arrêt Chambly.

Je partage le point de vue du juge de première instance selon lequel nous traitons d’une question relative aux droits de la personne et qu’il n’y a, d’un point de vue général, pas de retenue judiciaire à exercer à l’égard des décisions d’un tribunal dont l’expertise se limite aux questions de droit du travail. Comme je l’expliquerai plus en détail ultérieurement, l’arbitre n’a pas rendu sa décision en interprétant d’abord les clauses relatives aux congés spéciaux en vue de déterminer si ces clauses lui permettaient de faire droit aux demandes des appelants, sans tenir compte de l’existence d’une obligation d’accommodement. Il n’a pas non plus cherché à interpréter les clauses relatives aux congés spéciaux payés au regard de la clause concernant l’élimination de la discrimination. Au contraire, sans même prendre le soin d’interpréter les conventions collectives, il a réglé le cas en appliquant son interprétation des principes relatifs aux droits de la personne qui sont incorporés dans l’obligation d’accommodement. En agissant ainsi, l’arbitre a quitté la sphère « protégée » du droit du travail, à l’intérieur de laquelle la doctrine de la retenue judiciaire aurait pu s’appliquer à ses décisions, pour pénétrer dans le domaine « non protégé » des droits de la personne. À mon avis, il n’y a pas lieu de respecter le principe de retenue judiciaire à l’égard d’une décision portant sur l’application qu’il convient de donner aux principes relatifs aux droits de la personne. Voici les motifs qui appuient ma position.

L’élaboration du droit concernant la discrimination fondée sur la religion et l’obligation d’accommodement est au stade embryonnaire et dépend largement de la possibilité qu’aura la Cour suprême de délimiter le cadre analytique nécessaire pour permettre aux tribunaux inférieurs, y compris à ceux chargés de l’interprétation des conventions collectives, d’appliquer le droit d’une façon uniforme et non discriminatoire. Dans la mesure où la Cour suprême a refusé d’appliquer le principe de la retenue judiciaire aux décisions des tribunaux des droits de la personne sur les questions de droit, il semble normal d’inférer qu’aucune retenue judiciaire ne doit être accordée aux décisions prises par ceux qui ne prétendent pas être des experts en matière de droits de la personne : voir Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; voir également Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571, aux pages 599 et 600; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, aux pages 894 et 895, paragraphe 61. Soutenir la position contraire nous mènerait au résultat anormal suivant, c’est-à-dire que les arbitres en matière de relations de travail feraient l’objet d’un respect beaucoup plus grand que ce qui est accordé à l’heure actuelle aux tribunaux des droits de la personne qui ont expressément pour mission de déterminer l’étendue de la doctrine de l’accommodement raisonnable.

Enfin, je suis d’avis qu’appliquer le principe de la retenue judiciaire à la décision d’un arbitre pourrait entraîner toute une série de décisions arbitrales différentes et parfois contradictoires concernant l’application des principes relatifs aux droits de la personne : voir M. A. Green « Reasonable Accommodation of Religious Beliefs » (1994), 6 E.L.J. 105, à la page 111. Ce raisonnement est particulièrement approprié au vu des résultats contradictoires notés entre l’espèce et l’arrêt Chambly, malgré les similitudes de faits que présentent ces deux causes. Il convient ici d’exposer les faits de l’arrêt Chambly et la façon dont la question de la retenue judiciaire a été traitée par la Cour suprême.

La Commission scolaire de Chambly a accordé à trois enseignants de religion juive des congés, non payés, pour observer le Yom Kippour. En vertu de la convention collective, un enseignant pouvait prendre un congé payé jusqu’à concurrence de trois jours pour s’occuper de situations indépendantes de sa volonté (clause de force majeure) : voir la sous-clause 5-14.02g), reproduite ci-dessous. De même, la convention collective conférait à la Commission scolaire le pouvoir discrétionnaire d’accorder des congés payés pour des motifs qu’elle jugeait valables : voir la clause 5-14.05, reproduite ci-dessous. Pour des fins de comparaison, les dispositions pertinentes indiquent ce qui suit :

5-14.00 CONGÉS SPÉCIAUX

5-14.01 L’enseignant en service a droit à certains congés spéciaux sans perte de traitement, de supplément ou de primes pour disparités régionales. La durée de ces congés de même que les événements y donnant droit sont ceux prévus à la clause 5-14.02.

5-14.02 a) en cas de décès de son conjoint, de son enfant ou de l’enfant de son conjoint habitant sous le même toit : sept (7) jours consécutifs ouvrables ou non incluant le jour des funérailles;

b) en cas de décès de son père, de sa mère, de son frère ou de sa sœur : cinq (5) jours consécutifs ouvrables ou non incluant le jour des funérailles;

c) en cas de décès de ses beaux-parents, de son grand-père, de sa grand-mère, de son beau-frère, de sa belle-sœur, de son gendre, de sa bru, de son petit-fils, de sa petite-fille : trois (3) jours consécutifs ouvrables ou non incluant le jour des funérailles;

d) le mariage de son père, de sa mère, de son frère, de sa sœur, de son enfant : le jour du mariage;

e) le changement de domicile autre que celui prévu à l’article 5-3.00 : le jour du déménagement; cependant, un enseignant n’a pas droit, de ce chef, à plus d’un (1) jour de congé par année;

f) le mariage de l’enseignant : un maximum de sept (7) jours consécutifs ouvrables ou non, y compris celui du mariage;

g) un maximum annuel de trois (3) jours ouvrables pour couvrir : tout autre événement de force majeure (désastre, feu, inondation, etc.) qui oblige un enseignant à s’absenter de son travail; toute autre raison qui oblige l’enseignant à s’absenter de son travail et sur laquelle la commission et le syndicat conviennent d’accorder permission d’absence sans perte de traitement, de supplément ou de primes pour disparités régionales.

5-14.05 La commission peut aussi permettre à un enseignant de s’absenter sans perte de traitement, de supplément ou de primes pour disparités régionales pour tout autre motif non prévu au présent article et qu’elle juge valable.

Le syndicat des enseignants a déposé un grief concernant le refus d’accorder un congé payé. Le tribunal d’arbitrage a conclu à la majorité que le calendrier scolaire exigeant que les enseignants de religion juive travaillent le jour du Yom Kippour avait un effet discriminatoire et contraire à certaines dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., ch. C-12, qui avaient été incorporées à la convention collective. En outre, le tribunal a conclu que la Commission scolaire n’avait pas pris de mesures raisonnables pour s’entendre avec les enseignants de religion juive de manière à leur permettre d’observer leur fête religieuse, après avoir décidé qu’elle pouvait, conformément aux dispositions de la convention collective, payer les enseignants de religion juive pour le jour en question.

(Il ne ressort pas clairement du synopsis que donne la Cour suprême de la décision du tribunal si la majorité de celui-ci a simplement interprété les clauses de la convention collective ou interprété les clauses ayant trait aux dispositions de la Charte québécoise et de la loi portant sur l’obligation d’accommodement. Certains renvois dans Chambly laissent croire que l’interprétation du tribunal a été influencée par les lois sur les droits de la personne.)

La décision majoritaire du tribunal a été confirmée par la Cour supérieure du Québec, mais la Cour d’appel du Québec [(1992), 48 Q.A.C. 34], à la majorité, a infirmé ce jugement et annulé la décision du tribunal au motif qu’elle était déraisonnable. La Cour suprême du Canada n’a pas accepté ce point de vue. Le juge Cory, s’exprimant au nom de la majorité, a statué que la Commission scolaire ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’elle avait pris des mesures raisonnables pour s’entendre avec les enseignants de religion juive, sans que cela comporte de contrainte excessive. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour établir que l’octroi de congés payés aurait imposé un fardeau financier déraisonnable à la Commission scolaire. En outre, le juge Cory a statué qu’il n’est pas nécessaire qu’une convention collective prévoie explicitement l’observance d’un jour de fête d’une minorité religieuse. Ses dispositions ne sont « qu’un facteur à prendre en considération pour déterminer si l’employeur peut raisonnablement composer avec les observances religieuses de la minorité » (à la page 549). D’après la situation exposée dans l’arrêt Chambly, la Cour a statué que la souplesse de la convention collective montrait qu’il y avait place pour une mesure d’accommodement raisonnable fondée sur les clauses concernant les cas de force majeure ou les clauses discrétionnaires de congé. L’une ou l’autre de ces clauses de la convention collective pouvait raisonnablement être interprétée comme autorisant une telle mesure d’accommodement.

L’une des questions abordées dans l’arrêt Chambly portait sur la retenue judiciaire que l’on doit exercer à l’égard de la décision du tribunal d’arbitrage au vu de la clause privative faisant partie du Code du travail [L.R.Q., ch. C-27] du Québec. Le juge Cory a fait observer que, comme la décision majoritaire du tribunal d’arbitrage était correcte, il n’était pas nécessaire d’examiner en détail le fait que la convention collective incorporait certaines dispositions de la Charte du Québec ni les mentions qu’en a fait le tribunal d’arbitrage. Plus précisément, le juge Cory a refusé de se prononcer sur la question de savoir si le tribunal d’arbitrage aurait dû statuer correctement sur la question de l’interprétation de la Charte du Québec pour échapper au contrôle judiciaire (à la page 550).

Dans une opinion minoritaire, concordante quant au résultat, les juges Gonthier et L’Heureux-Dubé ont fait observer qu’on n’avait pas demandé au tribunal d’arbitrage d’interpréter les dispositions de la Charte du Québec, mais plutôt de décider si, dans les circonstances, il était possible de s’entendre avec les enseignants de religion juive en vertu des clauses de la convention collective afin de se conformer aux dispositions antidiscriminatoires de la Charte québécoise. De l’avis des juges Gonthier et L’Heureux-Dubé, le tribunal d’arbitrage a agi dans les limites de sa compétence et sa décision n’était pas déraisonnable au point d’être irrationnelle, ce qui aurait justifié l’intervention des tribunaux.

De toute évidence, l’arrêt Chambly ne nous dit pas quelle est la norme de contrôle judiciaire appropriée et, par conséquent, la position que j’ai exposée précédemment ne repose que sur son propre bien-fondé. Cela dit, je voudrais souligner le fait qu’aucune des parties n’a cherché à démontrer que l’arbitre devait interpréter les clauses antidiscriminatoires des conventions collectives. Il est bien accepté que ces clauses ont été adoptées pour traduire ou incorporer le paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans les conventions collectives respectives. À l’égard de cette disposition, les parties conviennent également qu’elle impose aux employeurs l’obligation d’offrir une mesure d’accommodement raisonnable pour empêcher la discrimination ayant un effet préjudiciable que subissent les employés de religion juive. On n’a jamais laissé entendre qu’il était nécessaire d’interpréter le paragraphe 3(1) pour en arriver à cette conclusion.

À mon avis, que j’exprime avec la plus grande déférence, la question de l’accommodement religieux, à l’heure actuelle, ne repose pas tant sur l’interprétation des lois en matière de droits de la personne que sur le sens et la portée de la doctrine de l’accommodement telle qu’elle est interprétée par la Cour suprême : voir Chambly, précité et Central Okanagan School District no 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; comparer avec Commission Ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536 et Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561. À mon sens, il est tout à fait reconnu en droit qu’une loi qui interdit la discrimination pour des motifs religieux sera interprétée comme interdisant également la discrimination par suite d’un effet préjudiciable dans le contexte de l’emploi.

B)        L’exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire

L’employeur a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable en refusant d’accorder un congé payé prévu aux clauses de congés spéciaux? Cette question a été soulevée par les appelants dans leur mémoire et, jusqu’à un certain point, dans leur plaidoirie : voir l’exposé des faits et du droit des appelants au paragraphe 29. J’estime que cette question est d’une importance fondamentale parce qu’elle restreint l’analyse à la question de savoir si les appelants ont droit à des congés payés en vertu de leur convention collective respective, abstraction faite de toute obligation incombant à leur employeur de s’entendre avec eux pour qu’ils puissent observer leur religion en vertu des dispositions antidiscriminatoires de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

À mon avis, il est tout simplement trop tard pour les appelants pour soulever cette question. La raison en est qu’elle n’a pas été débattue devant l’arbitre. L’exposé exhaustif des arguments présentés par les appelants devant l’arbitre fait clairement ressortir, selon mon interprétation, qu’ils ont mis l’accent sur le droit à l’accommodement en vertu de la loi en vigueur plutôt que sur le caractère raisonnable du refus de l’employeur d’exercer son pouvoir discrétionnaire en leur faveur. Il est vrai que l’arbitre a conclu que l’employeur n’a pas agi de façon arbitraire, déraisonnable ou de mauvaise foi en refusant la demande de congé spécial des appelants. Mais cette conclusion repose sur le fait que l’arbitre a statué que l’offre d’accommodement présentée par l’employeur en vertu de la politique du Conseil du Trésor était raisonnable. Nulle part dans ses motifs l’arbitre n’a-t-il examiné chacune des clauses relatives aux congés spéciaux ni discuté de la jurisprudence arbitrale portant sur l’interprétation de ces clauses ou de clauses formulées de façon similaire.

La raison pour laquelle l’arbitre n’a pas analysé le caractère raisonnable du refus de l’employeur d’accorder des congés payés, ni interprété les clauses relatives aux congés spéciaux comme cela a été fait dans l’arrêt Chambly, s’appuie également sur le fait que l’arbitre a accepté un argument proposé par l’employeur [à la page 78 (QL)] :

Comme l’a signalé l’avocat de l’employeur, il peut se présenter des circonstances où l’employeur pourrait accorder un tel congé pour permettre à un employé d’observer ses obligations religieuses. Mais lorsque l’employé peut prendre d’autres arrangements lui permettant de s’absenter sans perte de salaire, je crois que ce serait violer la convention collective que d’ordonner à l’employeur d’accorder un congé discrétionnaire compte tenu du fait que celui-ci a mis en place un programme en vue d’accommoder un employé en lui offrant d’autres arrangements tels que ceux prévus dans la « politique » de l’employeur.

Selon mon interprétation du passage précité, l’arbitre dit en fait qu’une fois que l’employeur a proposé une offre d’accommodement raisonnable, comme celle qui est exposée dans la politique du Conseil du Trésor concernant les obligations religieuses, il devenait tout simplement inutile d’invoquer les clauses relatives aux congés spéciaux. Autrement dit, ordonner l’octroi de congés payés dans une situation où l’employeur a déjà fait une offre d’accommodement raisonnable contreviendrait aux conventions collectives. L’arbitre semble donc d’avis que chacune des clauses relatives aux congés spéciaux confère à l’employeur le pouvoir discrétionnaire illimité de décider si des congés payés seront ou non accordés. En toute déférence, je ne peux souscrire à cet argument.

Comme point de départ de son analyse, l’arbitre aurait dû déterminer si les appelants avaient droit à un congé payé en vertu de leur convention collective respective avant d’avoir recours à la doctrine de l’accommodement énoncée dans la jurisprudence de la Cour suprême. Il suffit de se référer aux faits de l’arrêt Chambly pour trouver un fondement à cette proposition. Dans cette affaire, le tribunal d’arbitrage a statué que les employés avaient droit à un congé payé en vertu des clauses de la convention collective. Devant la Cour suprême, la majorité a continué de débattre de la question sous l’angle des principes d’accommodement. Ni le tribunal d’arbitrage ni la Cour n’ont analysé cette cause en posant comme principe qu’il ne serait pas nécessaire d’interpréter les clauses de la convention collective si l’employeur avait fait une offre d’accommodement raisonnable.

En l’espèce, si l’arbitre avait déterminé que le refus de l’employeur d’accorder des congés payés était justifié aux termes des conventions collectives respectives, il lui aurait fallu déterminer si les congés payés devaient être accordés en vertu de la doctrine de l’accommodement. Par ailleurs, si l’arbitre en était venu à la conclusion contraire alors, d’un point de vue technique, il n’aurait pas été nécessaire de déterminer si le principe de l’accommodement offrait une solution acceptable.

Je ne citerai ni jurisprudence ni doctrine à l’appui de la proposition selon laquelle l’omission d’interpréter chacune des clauses relatives aux congés spéciaux, ou d’apprécier le caractère déraisonnable du refus de l’employeur d’accorder un congé spécial, constitue une erreur de droit. En l’espèce, toutefois, je ne suis pas disposé à renvoyer les griefs à l’arbitre pour qu’il les réexamine sur ce fondement. Je me refuse à cela pour deux raisons. Tout d’abord, les parties n’ont ni relevé ni débattu cette erreur de droit. Deuxièmement, il y a, à mon avis, une raison beaucoup plus convaincante d’accueillir l’appel, savoir la manière dont l’arbitre a compris et appliqué la jurisprudence de la Cour suprême relativement à la doctrine de l’accommodement, à l’égard de laquelle aucune retenue judiciaire ne s’applique.

Avant de passer à cette partie de mon analyse, je voudrais signaler les similitudes qui existent entre les clauses pertinentes de la convention collective dans l’arrêt Chambly et celles que l’on retrouve en l’espèce. Si l’arbitre s’était posé cette question en premier lieu, je suis convaincu qu’il aurait eu beaucoup de difficulté à ignorer l’interprétation qui est donnée à la sous-clause 5-14.02g) et la clause 5-14.05 de la convention collective applicable dans l’arrêt Chambly, quand il a interprété les dispositions des trois conventions collectives dont la Cour est saisie.

Dans l’arrêt Chambly, la clause 5-14.05 de la convention collective, reproduite précédemment à la page 980, donnait à la Commission scolaire le pouvoir d’accorder des congés payés pour tout motif jugé valable. Le juge Cory, de la Cour suprême, a statué qu’une telle clause pouvait raisonnablement être interprétée comme prévoyant le type d’accommodement recherché par les enseignants. Si, dans l’arrêt Chambly, le tribunal d’arbitrage et la Cour suprême ont interprété ce que je considère comme une clause de congé discrétionnaire en statuant qu’elle permettait un accommodement, alors il est certain qu’une telle interprétation aurait pu aussi s’appliquer à la clause 17.13 de la convention collective du groupe CS ou à la clause 17.14 de la convention collective de l’IPFPC, reproduites ci-dessus aux pages 969 et 970.

Quant à la clause concernant les cas de force majeure qui se retrouve à la clause 21.13 de la convention collective du groupe AU, celle-ci énonce expressément que l’employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé lorsque des circonstances « qui ne sont pas directement imputables à l’employé l’empêchent de se rendre au travail ». Toutefois, la clause prévoit également que « ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable ». Il est intéressant de noter que, dans l’arrêt Chambly, la convention collective renfermait également une clause applicable aux cas de force majeure—la sous-clause 5-14.02g) (précitée à la page 980). Dans ce cas, la Cour a conclu que cette sous-clause pouvait raisonnablement être interprétée, comme l’a fait le tribunal d’arbitrage, comme prévoyant un congé payé pour l’observance d’une Grande Fête juive. À la page 548, le juge Cory, s’exprimant au nom de la Cour suprême déclare ceci : « De toute évidence, la date fixée pour un jour de fête religieuse est hors du contrôle d’un enseignant de religion juive. Cependant, l’observance de cette journée doit avoir une importance majeure. »

C)        L’accommodement raisonnable

L’obligation d’accommodement se pose quand un employé est victime de discrimination indirecte ou par suite d’un effet préjudiciable. Contrairement à la discrimination directe, qui se produit quand une pratique ou une règle appliquée par un employeur établit à première vue une distinction pour un motif prohibé (par exemple, « Catholiques, prière de s’abstenir »), il y a discrimination indirecte quand une norme apparemment neutre a un effet discriminatoire sur un ou plusieurs employés : voir O’Malley, précité, à la page 551. La discrimination par suite d’un effet préjudiciable est donc établie quand un particulier ou un groupe d’employés est assujetti à une forme quelconque de restriction ou est tenu à une obligation quelconque à cause d’une caractéristique protégée, comme la religion, par suite de l’application d’une règle adoptée par l’employeur à tous les employés et neutre à tous autres égards sauf quant à son effet.

Pour contrer la discrimination ayant un effet préjudiciable, l’employeur est tenu de prendre des mesures raisonnables pour s’entendre avec les employés visés. En l’espèce, le calendrier de travail est tel que chaque année, les employés de religion juive, contrairement à leurs collègues de religion chrétienne, doivent prendre entre un et trois jours de congé pour célébrer leurs Grandes Fêtes. Pour accommoder les employés de religion juive qui subissent un effet préjudiciable du fait du calendrier de travail, l’employeur leur a accordé à tous des congés et leur a offert une série d’options qui ont été indiquées ci-dessus pour éviter les pertes de traitement et de temps. J’analyserai maintenant l’étendue de l’obligation de fournir un accommodement raisonnable.

La position essentielle de l’arbitre et du juge de première instance est la suivante : une fois qu’il a été établi que l’offre d’accommodement de l’employeur est raisonnable, il est tout simplement inutile d’avoir recours aux clauses d’une convention collective traitant des congés spéciaux. En toute déférence, je ne peux accepter ce point de vue pour trois raisons. Tout d’abord, comme j’en ai déjà discuté, l’interprétation des clauses relatives aux congés spéciaux devrait être le point de départ de l’analyse. Je ne traiterai pas de cette question plus en détail. Deuxièmement, et c’est là un élément beaucoup plus important, l’obligation telle qu’elle est formulée ultérieurement n’est pas conforme à la jurisprudence. Troisièmement, sa validité repose sur l’hypothèse selon laquelle l’octroi d’un congé payé aux appelants est une forme d’accommodement déraisonnable. Je traiterai tout d’abord de ce dernier point.

Il me semble que la question de savoir ce qui est ou n’est pas raisonnable doit être tranchée par rapport aux circonstances du cas et non en fonction d’un raisonnement abstrait : voir Renaud, précité, à la page 984, le juge Sopinka. (« Ce qui constitue des mesures raisonnables est une question de fait qui variera selon les circonstances de l’affaire ».) Pour les fins de la discussion, supposons qu’en l’espèce l’offre d’accommodement de l’employeur est raisonnable. Je ne crois pas qu’il faille inférer de cette prémisse que la possibilité d’accorder aux appelants un congé payé est nécessairement déraisonnable. Et pourtant, c’est cela même que l’on nous demande de faire. S’il en était autrement, l’arbitre aurait eu à décider si l’offre d’accommodement de l’employeur était aussi raisonnable, ou plus raisonnable, que la réparation demandée par les appelants.

J’accepte qu’il n’y a pas de règle ou de principe de droit général obligeant les employeurs à accorder aux employés des congés payés de façon à ce qu’ils puissent pratiquer leur religion. Mais, je ne suis pas non plus disposé à admettre comme règle générale que tant et aussi longtemps qu’un employé est autorisé à s’absenter en ayant la possibilité de rattraper son temps d’absence pour ne pas subir de perte de traitement, l’employeur s’est acquitté de son obligation d’accommodement. La réparation demandée par les appelants n’est pas seulement raisonnable mais, dans les faits et en droit, elle est peut-être plus raisonnable que l’accommodement offert par l’employeur.

Il faut répondre à la question du caractère raisonnable en se référant au contexte et pas simplement en ayant recours à des propositions de droit générales. Par exemple, dans une situation où il y a des quarts de travail, diverses considérations entreront en ligne de compte pour déterminer ce qui constitue une mesure d’accommodement raisonnable. Dans certains cas, il suffira peut-être d’échanger son quart avec un autre employé pour que l’employé ait la possibilité de pratiquer sa religion. Dans d’autres cas, il faudra trouver d’autres ententes. Mais plus vraisemblablement qu’autrement, la question sera traitée de façon équitable dans une convention collective. Pour donner un exemple plus extrême, mais qui illustre bien mon point, je présume, que l’on ne demandera jamais à des magistrats de religion juive de prendre un congé annuel ou de faire des heures de travail supplémentaires pour rattraper le temps d’absence attribuable à l’observance des Grandes Fêtes. Au bout du compte, si je devais accepter l’obligation d’accommodement telle qu’elle est formulée ci-dessous par les décideurs, je soupçonnerais que la loi reflète des positions idéologiques différentes plutôt que l’uniformité dans la prise des décisions. La méthode d’interprétation qui convient le mieux se trouve dans la jurisprudence de la Cour suprême.

Une fois qu’il est établi qu’une condition d’emploi en apparence neutre, comme le calendrier de travail se fondant sur le calendrier chrétien, entraîne de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, le droit actuel exige qu’un employeur fasse des efforts raisonnables pour s’entendre avec les employés défavorisés. La jurisprudence reconnaît clairement que l’accommodement raisonnable fait partie intégrante du droit à l’égalité. L’étendue de l’obligation d’accommodement dans des cas de discrimination ayant un effet préjudiciable a été énoncée dans l’arrêt O’Malley, précité, à la page 555 :

L’obligation dans le cas de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou la croyance, consiste à prendre des mesures raisonnables pour s’entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive : en d’autres mots, il s’agit de prendre les mesures qui peuvent être raisonnables pour s’entendre sans que cela n’entrave indûment l’exploitation de l’entreprise de l’employeur et ne lui impose des frais excessifs.

L’extrait précité fait clairement ressortir que ce qu’on exige d’un employeur c’est une mesure d’accommodement jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Dans l’arrêt Renaud, précité, la Cour suprême a abordé la question de l’étendue de l’obligation dans le contexte de l’argument de minimis. Cet argument découle d’une décision de la Cour suprême des États-Unis qui avait statué qu’exiger d’un employeur qu’il supporte plus qu’un coût de minimis équivalait à une contrainte excessive : voir Trans World Airlines, Inc. v. Hardison, 432 U.S. 63 (1977).

Dans l’arrêt Renaud, la Cour suprême a rejeté le critère de minimis. Exprimant l’opinion unanime de la Cour, le juge Sopinka a statué que faire correspondre la contrainte excessive à des frais ou des inconvénients minimes serait incompatible avec la méthode utilisée pour définir la doctrine de l’accommodement au Canada, c’est-à-dire une méthode fondée sur l’objet visé. Ici encore, toutefois, les limites imposées à l’obligation d’accommodement devaient être déterminées au moyen de l’application de mesures raisonnables jusqu’à la limite de la contrainte excessive. À la page 984, le juge Sopinka déclare ceci :

L’utilisation de l’adjectif « excessive » suppose qu’une certaine contrainte est acceptable; seule la contrainte « excessive » répond à ce critère. Les mesures que l’auteur de la discrimination doit prendre pour s’entendre avec le plaignant sont limitées par les expressions « raisonnables » et « sans s’imposer de contrainte excessive ». Il s’agit là non pas de critères indépendants, mais de différentes façons d’exprimer le même concept. [Non souligné dans l’original.]

Il me semble évident qu’en vertu du droit en vigueur la mesure d’accommodement raisonnable proposée par un employeur peut vouloir dire que l’employeur sera assujetti à une certaine contrainte dans la mesure où celle-ci n’est pas excessive : voir Ontario (Ministry of Government Services) v. O.P.S.E.U. (Kimmel/Leaf), Re (1991), 21 L.A.C. (4th) 129 (Ont.). L’accommodement raisonnable est donc synonyme d’un accommodement qui va jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Donc, la question qu’il faut se poser en l’espèce n’est pas de savoir si l’offre d’accommodement de l’employeur est raisonnable dans les circonstances. Il faut plutôt se demander si l’octroi d’un congé payé soumettra l’employeur à une contrainte excessive. Dans l’affirmative, l’octroi d’un congé non rémunéré est tout ce qui est exigé de l’employeur.

Il s’ensuit donc que l’arbitre et le juge de première instance ont commis une erreur dans la façon dont ils ont interprété et appliqué la loi concernant l’accommodement raisonnable. Ni l’un ni l’autre ne s’est posé la question juridique appropriée. Ils ont tous les deux commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire de proposer une mesure d’accommodement qui aille jusqu’à la limite de la contrainte excessive si un autre moyen moins onéreux d’accommodement était à la disposition de l’employeur. En outre, l’employeur a choisi de ne pas produire d’élément de preuve pour établir que la réparation demandé par les appelants lui ferait subir des difficultés financières déraisonnables ou perturberait le service. Cela étant, les appelants ont droit, par défaut, à la réparation qu’ils ont demandée. En arrivant à cette conclusion, je suis conscient du fait qu’il est à tout le moins problématique, sinon naïf, de penser que le gouvernement fédéral puisse soumettre ses livres à l’examen du public dans un effort pour dissiper la notion erronée que les gouvernements ont accès à des sources de revenus illimitées. Dans les circonstances, je suis disposé à expliquer pourquoi je suis d’avis que la réparation recherchée par les appelants en l’espèce est raisonnable dans la mesure où il est impossible qu’elle se traduise par une contrainte excessive pour l’employeur fédéral.

En appliquant le cadre analytique énoncé par le juge Cory dans l’arrêt Chambly, je peux prendre note du fait que chacune des conventions collectives renferme une clause relative aux congés spéciaux. Ces dispositions démontrent un degré de souplesse de la part de l’employeur et laissent entendre que le type d’accommodement demandé par les appelants n’est pas déraisonnable. Je ne peux toutefois ignorer que dans l’arrêt Chambly il y avait des dispositions relatives aux congés spéciaux formulées de façon semblable et que le tribunal d’arbitrage et la Cour suprême ont jugé que ces dispositions pouvaient raisonnablement être interprétées comme autorisant les congés payés : voir la discussion ci-dessus. Je prends également note du fait que les appelants demandent un maximum de trois jours de congé payé chaque année (par exemple, en 1997, deux jours seulement sur trois tombent en semaine).

En outre, les sentences arbitrales citées par les appelants, malgré qu’elles aient une importance limitée parce qu’elles traitent exclusivement d’une clause de force majeure, témoignent d’une prédisposition de l’employeur à accorder un congé payé lorsque l’absence d’un employé est imputable à des affaires urgentes de nature personnelle. Les besoins spirituels d’un employé sont, à n’en pas douter, aussi importants que ses besoins matériels. Je note que les causes citées par l’avocat des appelants ont statué que des congés payés ont dû être accordés pour des absences imputables à des problèmes de plomberie, à des conditions météorologiques défavorables, à l’absence d’une gardienne et à un cambriolage perpétré au domicile d’un employé : voir respectivement Hoy et le Conseil du Trésor (Environnement Canada), [1991] C.R.T.F.P.C. no 110 (QL); Thomas et le Conseil du Trésor (Défense nationale), [1992] C.R.T.F.P.C. no 48 (QL); Madden et le Conseil du Trésor (Revenu CanadaImpôt), [1988] C.R.T.F.P.C. no 307 (QL); et Gilbert et le Conseil du Trésor (ministère du Solliciteur généralService correctionnel du Canada), [1989] C.R.T.F.P.C. no 180 (QL).

Dans le même ordre d’idée, je note qu’en vertu d’une autre politique du Conseil du Trésor, un congé payé de courte durée peut être accordé dans les cas de rendez-vous chez le médecin et le dentiste. De même, les employés qui participent à des manifestations sportives internationales peuvent obtenir jusqu’à trois mois de congé payé par an. Je reconnais que les personnes qui participent à des activités sportives poursuivent un but dont on peut dire que le résultat rejaillit sur l’ensemble de la nation. Toutefois, je reconnais également que la liberté de conscience et de religion est une liberté fondamentale garantie par la Charte canadienne. Bref, je ne vois pas pourquoi les employés de religion juive devraient se voir refuser un congé payé alors que l’employeur trouve généralement à s’entendre avec ses employés dans des situations beaucoup moins importantes.

La meilleure analogie que l’on peut établir avec l’espèce est peut-être l’octroi d’un congé payé pour la tenue d’un scrutin fédéral, provincial ou municipal. Par exemple, la politique du Conseil du Trésor exige que tous les employés disposent de quatre heures consécutives de congé payé pendant les heures d’ouverture des bureaux de scrutin fédéraux. Abstraction faite de toute obligation légale de prévoir du temps pour aller voter, je présume que cette politique du Conseil du Trésor a été adoptée parce que le droit de vote exercé en vue d’élire les membres d’une assemblée législative est un droit fondamental dans une société libre et démocratique, comme en témoigne le fait que ce droit est enchâssé à l’article 3 de la Charte. Tout comme les employés ont droit à un congé payé raisonnable pour exercer leurs droits démocratiques fondamentaux, j’estime que les appelants devraient aussi avoir droit à un congé payé raisonnable, dans les circonstances de l’espèce, pour observer des obligations religieuses tout aussi fondamentales.

Il reste un dernier point concernant un argument traité ci-dessous (et soulevé de façon implicite dans l’exposé des faits et du droit de l’intimé au paragraphe 12) qui, à mon avis, doit être écarté. L’arbitre a accepté que la forme d’accommodement recherchée par les appelants rendrait obligatoires les clauses relatives aux congés spéciaux par ailleurs discrétionnaires. En retour, ce résultat aurait pour effet de modifier chacune des conventions collectives, ce qui est contraire au paragraphe 96(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Il est vrai que dans l’arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, aux pages 520 et 521, le juge Wilson a déclaré que la mesure d’accommodement qui avait pour effet de modifier une convention collective pouvait constituer une contrainte excessive. Il est tout aussi vrai que dans l’arrêt Renaud, la Cour suprême a statué qu’une convention collective ne peut avoir préséance sur les obligations relatives aux droits de la personne (précité, aux pages 986 et 987). Compte tenu de ces principes, je réglerai l’argument relatif à la modification en m’appuyant sur deux motifs.

Tout d’abord, cette décision a pour effet de donner préséance aux clauses antidiscriminatoires et à la Loi canadienne sur les droits de la personne par rapport aux clauses relatives aux congés spéciaux dans la mesure où elles sont incompatibles. Deuxièmement, on ne peut oublier que la valeur de précédent de cette décision ne s’étend pas au-delà des faits et de la minorité religieuse visés. Par conséquent, dans d’autres cas pouvant donner naissance à une allégation de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, on pourrait en arriver à un résultat juridique différent même si des clauses identiques d’une convention collective étaient en cause. En pareilles circonstances, on ne peut dire que si l’arbitre avait conclu en faveur des appelants, sa décision aurait eu pour effet de modifier la convention collective.

D)        Distinction avec l’arrêt Chambly?

Comme on l’a noté précédemment, la seule différence factuelle qui existe entre l’espèce et l’arrêt Chambly est que, dans ce dernier cas, les employés n’ont pu rattraper leur temps d’absence et récupérer leur salaire, ce qui n’est pas vrai pour les appelants en l’espèce. La question qu’il convient de poser est de savoir si cette distinction est un motif valable pour refuser aux appelants la mesure d’accommodement qu’ils recherchent, c’est-à-dire le congé payé avec rétablissement des crédits de congés annuels qu’ils ont dû prendre quand leur employeur a refusé d’avoir recours aux clauses relatives aux congés spéciaux. Cet argument se fonde essentiellement sur l’hypothèse voulant que, si les enseignants dans l’arrêt Chambly avaient pu reprendre leur temps d’absence et récupérer leur salaire, la Cour suprême aurait réglé autrement cette affaire. En toute déférence, je ne peux souscrire à cet argument. Je reviens à l’analyse du juge Cory dans l’arrêt Chambly pour appuyer ma position.

Dans l’arrêt Chambly, la question de la perte du revenu s’est posée dans le contexte de l’affirmation de la Commission scolaire selon laquelle l’effet préjudiciable qu’avaient subi les enseignants de religion juive était si minime qu’il n’y avait pas eu discrimination et qu’aucune mesure d’accommodement n’était nécessaire (aux pages 541 et 542). Dans son analyse, le juge Cory fait observer qu’il était impossible pour les enseignants de religion juive de rattraper une journée perdue en travaillant, par exemple, le samedi, le dimanche, à Noël ou à Pâques (à la page 542). La perte d’une journée de salaire correspondant à 1/200e du salaire annuel était importante pour les enseignants et leur famille et, par conséquent, le critère de minimis ne devrait pas s’appliquer à l’évaluation de l’existence ou de l’étendue de l’obligation d’accommodement. (Dans l’arrêt Renaud, le critère de minimis a été analysé dans le contexte du débat concernant le seuil de la contrainte que doit subir l’employeur avant de refuser ou de réduire son obligation d’accommodement. Dans l’arrêt Chambly, ce critère a été examiné en relation avec le niveau tolérable de contrainte que les employés doivent subir avant que l’obligation d’accommodement s’applique.)

La question à laquelle je dois répondre consiste à déterminer si l’arrêt Chambly aurait été réglé de façon différente si, dans cette affaire, les employés avaient pu ratrapper leur journée perdue de salaire. Je ne le pense pas. Selon mon interprétation du droit, la question essentielle n’est pas de savoir si un employé subira une contrainte si la réparation qu’il demande lui est refusée. Au contraire, la question à se poser est de savoir si l’employeur subira une contrainte excessive. Je reconnais que le juge Cory a traité de l’argument de minimis soulevé par l’employeur dans l’arrêt Chambly, mais je ne considère pas son analyse sur ce point comme étant une acceptation implicite de l’idée que les employés qui ont été victimes de discrimination par suite d’un effet préjudiciable doivent également établir qu’ils subiront une contrainte si le congé qu’ils demandent à leur employeur ne leur est pas accordé. Soutenir le contraire nous obligerait à reformuler les fondements de la doctrine de l’accommodement. En fait, l’obligation d’accommodement de l’employeur ne pourrait être invoquée que si l’employé établissait au préalable une certaine forme de contrainte. Je ne crois pas que les motifs du juge Cory s’éloignent des principes fondamentaux de l’accommodement qui ont déjà été établis.

Ayant décidé que la différence factuelle essentielle entre l’espèce et l’arrêt Chambly n’a aucun effet sur l’issue du présent appel, je dois discuter de deux questions connexes soulevées dans les plaidoiries : la question de la discrimination à rebours et, faute d’une meilleure expression, l’effet d’entraînement. Ici encore, je prendrai comme point de départ l’arrêt Chambly.

E)        La discrimination à rebours

Dans ses motifs, le juge Cory a traité de cet argument, accepté par la Cour d’appel du Québec, selon lequel accorder davantage aux enseignants de religion juive que le congé demandé créerait une discrimination à rebours en favorisant lesdits enseignants par rapport à ceux de foi catholique (à la page 547). Autrement dit, les employés de religion juive auraient droit à un jour férié payé de plus, qui n’est pas offert aux enseignants de religion chrétienne. Le juge Cory a rejeté cet argument en faisant observer que les enseignants ne demandaient rien de plus que d’utiliser raisonnablement un jour de congé payé en vertu soit de la clause relative aux cas de force majeure soit de la clause de congé discrétionnaire de la convention collective.

La question de la discrimination à rebours se pose dans les circonstances de l’espèce tout comme elle se posait dans l’arrêt Chambly, bien qu’elle ne puisse être traitée de la même façon en l’espèce parce que l’arbitre n’a pas interprété les clauses relatives aux congés payés dans les conventions collectives. Néanmoins, l’argument n’est pas non plus fondé dans les circonstances de l’espèce. L’idée de la discrimination à rebours se fonde essentiellement sur le fait qu’un groupe d’employés ne devrait pas recevoir ce qui est perçu comme un « avantage » découlant de l’appartenance à une certaine religion. Si l’on s’exprime de façon encore plus directe, l’argument veut que les employés de religion juive de la fonction publique fédérale ne devraient pas bénéficier de un à trois jours de congé payé de plus dans l’année pour célébrer leurs fêtes religieuses les plus importantes. Toutefois, conclure que cela fait subir aux employés de religion chrétienne une injustice inacceptable du fait de leur religion équivaut à interpréter l’égalité en termes formels simplement—cette conception ayant été rejetée par la Cour suprême dans sa jurisprudence traitant des droits à l’égalité garantis par la Charte.

Comme l’avocat des appelants l’a fait remarquer dans sa plaidoirie, l’objet de l’accommodement n’est pas d’arriver à un nombre égal de jours de congés religieux payés entre les employés de religions différentes. Au contraire, le but de l’accommodement est de protéger et de favoriser, dans la mesure où cela est raisonnablement possible, la liberté fondamentale de conscience et de religion. D’après la méthode d’interprétation de l’obligation d’accommodement raisonnable, en fonction de l’objet visé, le moral des employés demeure un facteur pertinent pour évaluer si un moyen d’accommodement donné entraînerait une contrainte excessive pour l’employeur. Mais dans la mesure où les préoccupations des autres sont déraisonnables, comme dans le cas des défenseurs de l’argument fondé sur la discrimination à rebours dans l’arrêt Chambly, ces préoccupations doivent demeurer non pertinentes. De la même manière, en l’espèce, il serait déraisonnable de permettre qu’une définition formelle de l’égalité ait préséance sur le fondement de l’égalité religieuse. Il en est ainsi parce que, comme l’analyse précédente l’a démontré, il n’est pas déraisonnable pour l’employeur fédéral d’accorder un congé payé aux appelants.

Je ne nie pas qu’il peut y avoir des employés qui penseront que cette décision accordera une « prime » à leurs collègues de religion juive. Toutefois, à mon avis, il faut prendre soin de distinguer la notion juridique de discrimination, qu’elle soit à rebours ou autre, de la politique du ressentiment. Je présume que personne n’en voudrait à un collègue d’avoir un ou deux jours de congé payé pour pleurer le décès d’un proche parent. De même, pourquoi en voudrait-on à un employé de religion juive d’avoir un congé payé pour célébrer ses fêtes religieuses? Nier la force de cette analogie équivaut à laisser entendre qu’il existe une hiérarchie des besoins et des valeurs à l’intérieur de laquelle la religion n’a ni préséance ni importance. Pourtant, cette dernière position est contraire à la Charte, qui garantit la liberté de religion.

Autrement dit, le concept juridique du moral des employés ne peut être invoqué pour appuyer un argument fondé sur la discrimination à rebours quand le véritable fondement de cet argument repose sur la politique du ressentiment. Il faut se rappeler qu’il ne s’agit pas d’un cas où les employés de religion juive ont droit à des jours fériés supplémentaires dans le sens usuel du mot. Je le dis parce qu’un congé payé n’est pas accordé sous prétexte d’observance religieuse. Les appelants ne demandent pas de congé payé afin de poursuivre des activités séculières, comme on pourrait le faire pendant les vacances. Bien au contraire, les appelants auraient droit à un congé payé pour observer un jour d’expiation (Yom Kippour) et célébrer le nouvel an juif (Ros-ha-sanah). La personne qui agit différemment pendant ces jours de congé n’agit pas de bonne foi. J’aborde maintenant la dernière question dont je voulais traiter : les limites de la liberté de religion ou à tout le moins un aspect de ces limites que j’ai intitulé l’effet d’entraînement.

F)        L’effet d’entraînement

Revenant une dernière fois à l’arrêt Chambly, je note que le jugement majoritaire de la Cour d’appel du Québec indiquait, en partie, que la décision arbitrale concernant le congé payé accordé aux enseignants de religion juive pour observer le Yom Kippour était déraisonnable et pouvait entraîner une situation intenable pour la Commission scolaire parce que le raisonnement de l’arbitre pourrait être étendu aux enseignants musulmans qui pratiquent leur religion tous les vendredis, ainsi que les jours précédant et suivant le mois du Ramadan. Dans son analyse, le juge Cory a traité de cette question, c’est-à-dire de l’effet d’entraînement, de la façon suivante (à la page 551) :

Je reconnais que, dans d’autres cas, il pourra exister des circonstances où l’accommodement raisonnable serait impossible. Par exemple, si un enseignant devait, à cause de ses croyances religieuses, s’absenter tous les vendredis de l’année, il pourrait bien alors être impossible pour l’employeur de composer raisonnablement avec les croyances et les exigences religieuses de cet enseignant. Cependant, c’est loin d’être le cas en l’espèce.

Donc, il est clair que l’arrêt Chambly ne peut à bon droit être invoqué comme l’arrêt de principe pour la proposition selon laquelle les membres de toutes religions auraient nécessairement le droit d’obtenir une mesure d’accommodement parfaite pour observer leur religion. En résumé, la mesure d’accommodement demandée doit être raisonnable, en fonction des circonstances du cas.

Dans sa plaidoirie, l’avocat de l’intimé a laissé entendre que d’autres groupes religieux pourraient être visés par le résultat de cette affaire. J’en conviens. Toutefois, il ne s’ensuit pas que les employeurs seront nécessairement légalement tenus de satisfaire de façon parfaite aux demandes d’accommodement dans toutes les circonstances. Bien au contraire, la jurisprudence indique clairement qu’il y a un corollaire à l’obligation d’accommodement raisonnable qui incombe à l’employeur, c’est-à-dire l’obligation réciproque qui incombe à tous les groupes religieux et à leurs membres de tenir compte de préoccupations séculières légitimes. Autrement dit, les demandes d’accommodement déraisonnables qui entraîneraient une contrainte excessive pour l’employeur ne seront pas sanctionnées par les tribunaux. Pour ce seul motif, l’argument portant sur l’effet d’entraînement doit être rejeté.

IV.       CONCLUSION

Pour les motifs ci-dessus, je suis d’avis : (1) d’accueillir l’appel avec dépens; (2) d’annuler l’ordonnance du juge de première instance en date du 13 février 1996; (3) d’accueillir la demande de contrôle judiciaire; (4) d’annuler la décision de l’arbitre en date du 15 mai 1995; et (5) de renvoyer l’affaire à l’arbitre pour qu’il la réexamine de façon à accueillir les griefs des appelants.



[1] Dossier d’appel, à la p. 56.

[2] L.R.C. (1985), ch. H-6 (mod. par L.C. 1996, ch. 14, art. 2).

[3] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[4] Manuel du Conseil du Trésor. Gestion du personnel : rémunération, ch. I-4, aux p. 1 et 2 et appendice A, aux p. A-1 à A-3.

[5] Dossier d’appel, à la p. 59.

[6] Dossier d’appel, à la p. 60.

[7] Dossier d’appel, à la p. 61.

[8] « Gestion des systèmes d’ordinateurs » (Ottawa : Conseil du Trésor du Canada, 1988), aux p. 17 et 18.

[9] Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525.

[10] Id., à la p. 541.

[11] [1992] 2 R.C.S. 970.

[12] L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 166 et 192.

[13] Commission scolaire régionale de Chambly, précité, aux p. 543 et 544.

[14] Précité, aux p. 544 à 546.

[15] Renaud, précité, à la p. 972.

[16] Renaud, précité, à la p. 972.

[17] Renaud, précité, à la p. 988.

[18] Renaud, précité.

[19] S.B.C. 1984, ch. 22.

[20] Renaud, précité, à la p. 987.

[21] Voir, toutefois, la Loi électorale du Canada, L.R.C. (1985), ch. E-2, art. 148.

[22] [1955] R.C.S. 799.

[23] (1991), 21 L.A.C. (4th) 129 (Ont.).

[24] (1990), 12 C.H.R.R. D/161 (Comm. d’enq. de l’Ont.) (Pentney), par. 96, cité à (1991), 21 L.A.C. (4th) 129, à la p. 158.

[25] (1990), 12 C.H.R.R. D/161 (Comm. d’enq. de l’Ont.) (Pentney), par. 96, cité à (1991), 21 L.A.C. (4th) 129, à la p. 162.

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