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[1997] 2 C.F. 693

IMM-9-97

IMM-4898-96

Emmanuel Solis (requérant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson—Ottawa et Winnipeg (téléconférence), 6 mars; Ottawa, 19 mars 1997.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Renvoi de résidents permanents Le requérant est au Canada depuis 1986 à titre de réfugié guatémaltèqueIl a par la suite été déclaré coupable d’infractions criminelles gravesDemande en vue d’obtenir un sursis discrétionnaire à l’exécution d’une mesure de renvoiL’appel de la mesure d’expulsion présenté à la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié était en instance lorsque le représentant du ministre a exprimé l’avis de dangerAux termes de l’art. 49(1)b) de la Loi sur l’immigration, lorsqu’un appel est présenté à la section d’appel, il est sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce que la section d’appel ait entendu et réglé l’appel ou ait déclaré qu’il y a eu désistement d’appelComme aucune de ces conditions n’a été remplie, le sursis d’exécution d’origine législative continue de s’appliquer; aucun sursis d’exécution discrétionnaire n’est requisLa formulation d’un avis de danger n’empêche pas la section d’appel d’entendre et de trancher une question touchant la compétence que lui confère l’art. 69.4(2)L’application de l’art. 49(1)b) n’est pas subordonnée à la compétence de la section d’appel à l’égard de l’appelC’est la présentation d’un appel et non la compétence de la section d’appel qui déclenche le sursis d’exécution d’origine législative.

Interprétation des lois Aux termes de l’art. 49(1)b) de la Loi sur l’immigration, lorsqu’un appel est présenté à la section d’appel, il est sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce que la section d’appel ait entendu et réglé l’appel ou ait déclaré qu’il y a eu désistement d’appelEmploi d’une conjonction dans la version anglaise de la dispositionIl faut que la section d’appel entende et règle l’appelIl ne suffit pas de simplement « régler » l’appel au moyen de la formulation par le ministre d’un « avis de danger pour le public » — L’art. 49(1)b) ne conduit pas à une absurdité, à une incompatibilité ou à une contradiction qui obligerait à considérer cette disposition comme si elle contenait d’autres motsPour porter atteinte à des droits, il faut que le législateur le fasse de façon expresseLe droit de bénéficier d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi sur présentation d’un appel n’a pas été expressément abrogé.

Il s’agissait d’une demande en vue d’obtenir un sursis discrétionnaire à l’exécution d’une mesure de renvoi qui a été présentée en application de l’article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale. Une mesure d’expulsion conditionnelle a été prise contre le requérant, un immigrant ayant obtenu le droit d’établissement, qui avait été reconnu coupable de plusieurs infractions criminelles graves. Il a interjeté appel de la mesure d’expulsion auprès de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Aucune mesure n’avait été prise à l’égard de cet appel lorsque le représentant du ministre a décidé que le requérant constituait un danger pour le public au Canada. Le requérant a présenté une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire de cette décision, qui est encore en instance.

Les questions en litige étaient de savoir s’il existe un sursis d’origine législative à l’exécution de la mesure d’expulsion en vertu de l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur l’immigration; et si un sursis discrétionnaire devrait être accordé.

Jugement : la demande en vue d’obtenir un sursis discrétionnaire doit être rejetée; le sursis d’origine législative demeurait en vigueur puisque l’appel n’avait pas été entendu.

Un sursis d’origine législative s’appliquait vu l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur l’immigration, qui dispose que si un appel a été présenté à la section d’appel, il est sursis à la mesure de renvoi jusqu’à ce que la section d’appel ait rendu sa décision ou déclaré qu’il y a eu désistement d’appel. Aucune de ces conditions n’a été remplie. On pouvait soutenir que l’avis de danger pour le public qui a été exprimé, dans la mesure où il mettait fin à la compétence de la section d’appel, « réglait » l’appel. Toutefois, vu la conjonction employée dans la version anglaise de cette disposition en ce qui a trait à l’audition et au règlement de l’appel, il faut que la section d’appel entende et règle l’appel. L’appel n’avait pas été entendu.

La formulation d’un « avis de danger pour le public » n’empêche pas la section d’appel d’entendre et de trancher une question touchant la compétence que lui confère le paragraphe 69.4(2) (qui confère à la section d’appel une compétence exclusive pour statuer sur des questions ayant trait à sa compétence). Il est encore loisible à la section d’appel « d’entendre et de régler » l’appel. Il n’y avait aucun sursis d’exécution indéfini.

L’application de l’alinéa 49(1)b) n’est pas subordonnée à la compétence de la section d’appel à l’égard de l’appel. Aux termes de cette disposition, c’est la présentation d’un appel à la section d’appel, et non la compétence de la section d’appel, qui déclenche le sursis d’exécution d’origine législative. Le sursis reste en vigueur jusqu’à ce que la section d’appel ait rendu sa décision ou déclaré qu’il y a eu désistement d’appel. L’alinéa 49(1)b) ne prévoit pas la cessation du sursis d’origine législative lorsqu’un « avis de danger pour le public » est exprimé. Si le législateur avait voulu que d’autres restrictions s’appliquent au sursis d’origine législative, il aurait facilement pu les prévoir.

L’alinéa 49(1)b) dans sa rédaction actuelle ne conduit pas à une absurdité, à une incompatibilité ou à une contradiction qui exigerait qu’on présume l’emploi de mots comme « par la personne visée par une mesure d’expulsion — si elle a un droit d’appel devant la section d’appel » ou « ou cesse d’avoir compétence ».

Pour porter atteinte aux droits d’un administré, il faut que le législateur le fasse expressément. Ce principe devrait s’appliquer aux droits d’un résident de longue date. Le droit clair et sans équivoque de bénéficier d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi sur présentation d’un appel de cette mesure à la section d’appel n’a pas été expressément abrogé même s’il était indéniablement loisible au législateur de le faire.

La demande de sursis discrétionnaire doit être rejetée puisque le sursis d’origine législative demeure en force. Subsidiairement, le requérant n’a pas démontré qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé au Guatemala, ni que la prépondérance des inconvénients le favorisait.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la Loi sur la citoyenneté et modifiant la Loi sur les douanes en conséquence, L.C. 1995, ch. 15, art. 15(3).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.2 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 27(1)d)(i) (mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16), 32.1(4) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 12), 46.01(1)e)(iv) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9), 49(1)a) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41), b) (mod., idem), (1.1) (mod., idem), 53(1)d) (mod., idem, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12), 69.4(2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 70(5) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13), 77(3) (mod., idem, art. 15).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Grand Trunk Pacific Railway Co. v. Dearborn (1919), 58 R.C.S. 315; 47 D.L.R. 27; [1919] 1 W.W.R. 1005; Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493; (1983), 3 D.L.R. (4th) 1; [1984] 2 W.W.R. 97; 25 Man. R. (2d) 302; 6 Admin. L.R. 206; 24 M.P.L.R. 219; 50 N.R. 264.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Tsang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] F.C.J. no 151 (C.A.F.).

DÉCISION CITÉE :

Wellesley Hospital c. Lawson, [1978] 1 R.C.S. 893; (1978), 76 D.L.R. (3d) 688; 15 N.R. 271.

DEMANDE en vue d’obtenir un sursis discrétionnaire à l’exécution d’une mesure de renvoi présentée en application de l’article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, dans le contexte d’un appel en instance à l’encontre de la mesure d’expulsion et de la formulation subséquente par le ministre d’un avis portant que le requérant constituait un danger pour le public au Canada. Demande rejetée parce que le sursis d’origine législative prévu à l’alinéa 49(1)b) de la Loi sur l’immigration demeurait en vigueur.

AVOCATS :

David H. Davis pour le requérant.

Mark G. Mason pour l’intimé.

PROCUREURS :

David Matas, Winnipeg, pour le requérant

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Gibson : Les présents motifs se rapportent à une demande présentée par le requérant, Emmanuel Solis, afin d’obtenir une ordonnance fondée sur l’article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale[1] et tendant au sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi dont il a fait l’objet. La date du renvoi avait été fixée au 6 mars 1997. La présente demande a été entendue par voie de téléconférence ce jour-là. J’ai rejeté la demande. À la demande de l’avocat de l’intimé, je me suis engagé à fournir des motifs. Les voici.

Le requérant est né le 26 décembre 1976. Sa famille et lui sont entrés au Canada en 1986 à titre de réfugiés guatémaltèques. Le 22 novembre 1990, ils ont obtenu le statut d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement. Depuis 1992, le requérant a été reconnu coupable de plusieurs infractions criminelles. En 1992, il a été déclaré coupable d’introduction par effraction dans un dessein criminel. En 1993, il a été reconnu coupable de vol qualifié et de possession d’une arme. En 1993, il a été reconnu coupable de vol qualifié et de voies de fait. En 1994, il a été reconnu coupable de vol qualifié, de possession d’une arme et d’être illégalement en liberté. En 1995, il a été reconnu coupable d’introduction par effraction et de vol.

Par suite des déclarations de culpabilité prononcées en 1994, un arbitre de l’immigration (l’arbitre) a tenu une enquête le 30 novembre 1994. L’arbitre a conclu que le requérant relevait du cas visé au sous-alinéa 27(1)d)(i) de la Loi sur l’immigration[2] (la Loi). Sur le fondement de cette conclusion, l’arbitre a pris une mesure d’expulsion conditionnelle contre le requérant en application du paragraphe 32.1(4) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 12] de la Loi. Le requérant a interjeté appel de la mesure d’expulsion auprès de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la section d’appel). Jusqu’à ce jour, la section d’appel n’a pris aucune mesure à l’égard de l’appel du requérant.

Dans une lettre en date du 24 avril 1996, Citoyenneté et Immigration Canada a avisé le requérant que l’intimé déterminerait si le requérant constitue un danger pour le public au Canada en application du paragraphe 70(5) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9] de la Loi. Cette lettre invitait le requérant à présenter des observations au ministre. Elle a ultérieurement été remplacée par une autre lettre en date du 17 septembre 1996 dans laquelle Citoyenneté et Immigration Canada avisait le requérant que l’intimé déterminerait si le requérant constitue un danger pour le public au Canada en application du paragraphe 70(5), du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) et de l’alinéa 53(1)d) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12] de la Loi. La deuxième lettre mentionnait les documents que le ministre invoquerait et accordait au requérant un délai de quinze jours à compter de la date de réception de la lettre pour présenter des observations.

Des observations ont été présentées par le requérant et en son nom. Le 5 décembre 1996, un représentant du ministre a décidé que le requérant constitue un danger pour le public au Canada en application du paragraphe 70(5), du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) et de l’alinéa 53(1)d) de la Loi. Le 27 décembre 1996, le requérant a présenté une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire de cette décision. Cette demande est encore en instance. La demande de sursis d’exécution du requérant, qui fait l’objet des présents motifs, est fondée sur cette demande de contrôle judiciaire et sur une deuxième demande connexe.

L’avocat du requérant a soutenu que le requérant continue de bénéficier d’un sursis d’origine législative à l’exécution de la mesure d’expulsion en application de l’alinéa 49(1)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41] de la Loi. À titre subsidiaire, l’avocat m’a demandé d’accorder un sursis discrétionnaire. Il a prétendu qu’il existe une question sérieuse à trancher, que le requérant subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé au Guatemala et que la prépondérance des inconvénients favorise le requérant. Tout le soutien dont jouit le requérant est ici au Canada; celui-ci n’a aucun soutien, familial ou autre, au Guatemala.

L’avocat de l’intimé a invoqué l’arrêt Tsang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[3] au soutien de l’affirmation selon laquelle le sursis d’origine législative prévu à l’alinéa 49(1)b) ne s’applique pas au requérant parce que la formulation de l’avis de « danger pour le public » a mis fin à la compétence de la section d’appel dans la présente espèce. Il a en outre soutenu qu’un sursis discrétionnaire n’est pas justifié vu les faits de l’espèce. Il a reconnu que la demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse à trancher. Toutefois, il a affirmé que rien ne permet de conclure que le requérant subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé au Guatemala et qu’en raison de la conduite criminelle de ce dernier, la prépondérance des inconvénients favorise son renvoi.

Je suis arrivé à la conclusion que la demande de sursis d’exécution discrétionnaire présentée par le requérant en application de l’article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale devrait être rejetée parce que le requérant bénéficie déjà du sursis d’origine législative prévu à l’alinéa 49(1)b) de la Loi. Par ailleurs, le requérant ne m’a pas convaincu qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé au Guatemala ni que la prépondérance des inconvénients le favorisait.

Le paragraphe 49(1) de la Loi prévoit un sursis d’origine législative à l’exécution d’une mesure de renvoi. Cette disposition est ainsi libellée :

49. (1) Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi :

a) à la demande de l’intéressé« s’il a un droit d’appel devant la section d’appel—jusqu’à l’expiration du délai de présentation de l’appel;

b) en cas d’appel, jusqu’à ce que la section d’appel ait rendu sa décision ou déclaré qu’il y a eu désistement d’appel;

Le paragraphe 49(1.1) dispose :

49.

(1.1) Le sursis d’exécution ne s’applique pas dans les cas suivants :

a) l’intéressé fait l’objet du rapport prévu à l’alinéa 20(1)a) et réside ou séjourne aux États-Unis ou à Saint-Pierre-et-Miquelon;

b) la revendication a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 46.01(1)b) et l’intéressé doit être renvoyé dans un pays avec lequel le ministre a conclu un accord en vertu de l’article 108.1 en vue du partage de la responsabilité de l’examen des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention.

Le libellé du préambule du paragraphe 49(1) et de l’alinéa b) de cette disposition est clair. Si un appel a été présenté à la section d’appel, il est sursis à la mesure d’expulsion jusqu’à ce que la section d’appel ait rendu sa décision ou déclaré qu’il y a eu désistement d’appel. Aucune de ces conditions n’a été remplie. On peut soutenir que l’avis de « danger pour le public », dans la mesure où il met fin à la compétence de la section d’appel, règle l’appel. Toutefois, vu la conjonction employée dans la version anglaise de cette disposition en ce qui a trait à l’audition et au règlement de l’appel, il faut que la section d’appel entende et règle l’appel. En l’espèce, l’appel n’a certainement pas été entendu. Par conséquent, la question de savoir s’il a ou non été réglé, en raison de la décision rendue dans l’affaire Tsang, n’est pas décisoire. Tout compte fait, le sursis d’origine législative demeure en vigueur.

Dans l’affaire Tsang, la Cour d’appel s’est penchée sur l’interprétation du paragraphe 15(3) de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la Loi sur la citoyenneté et modifiant la Loi sur les douanes en conséquence[4] (le projet de loi C-44), qui est une disposition transitoire concernant les avis de « danger pour le public » prévus au paragraphe 77(3) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 15] de la Loi. La question certifiée qui a été soumise à la Cour est la suivante [au paragraphe 7] :

Lorsqu’un appel est interjeté avant le 10 juillet 1995 par un répondant devant la section d’appel de l’immigration (« la SAI ») relativement à une personne parrainée qui appartient à l’une des catégories non admissibles prévues aux alinéas 19(1)c), c.1) ou d) de la Loi sur l’immigration, et que l’audience de la SAI a commencé après le 10 juillet 1995, le fait que le ministre a exprimé l’avis que la personne parrainée constitue un danger pour le public éteint-il le droit d’appel que possède le répondant en vertu des par. 77(3) de la Loi et 15(3) du projet de loi C-44 et met-il ainsi fin à la compétence de la SAI à l’égard de l’appel?

Le juge Marceau, J.C.A., qui a rédigé les motifs de la Cour, a répondu à cette question par l’affirmative compte tenu de son interprétation du paragraphe 15(3). La conséquence de cette décision est que la formulation d’un avis de « danger pour le public » met fin à la compétence de la section d’appel, du moins dans les circonstances qui ont été examinées dans cette affaire.

L’avocat de l’intimé soutient que l’arrêt Tsang appuie l’argument selon lequel l’alinéa 49(1)b) ne peut pas s’appliquer pour maintenir le sursis d’exécution accordé au requérant parce que la formulation d’un avis de « danger pour le public » met fin à la compétence de la section d’appel pour entendre un appel. Selon l’avocat, l’appel qui a été présenté à la section d’appel avant la formulation de l’avis de « danger pour le public » n’existe plus et la section d’appel ne peut pas entendre et régler l’appel du requérant, ni déclarer qu’il y a eu désistement d’appel. Statuer autrement reviendrait à accorder un sursis d’exécution indéfini étant donné que l’appel ne pourrait jamais être entendu ni réglé, ou que la section d’appel ne pourrait jamais déclarer qu’il y a eu désistement d’appel vu qu’elle n’a pas compétence pour le faire.

Je ne puis être d’accord avec l’avocat de l’intimé. Premièrement, la Cour d’appel n’a pas examiné l’application de l’alinéa 49(1)b) dans l’affaire Tsang. Bien que cette décision ait pour conséquence que la formulation d’un avis de « danger pour le public » met fin à la compétence de la section d’appel à l’égard de l’appel, le juge Marceau n’est pas allé jusqu’à dire que, dans des circonstances semblables, la section d’appel serait dans l’impossibilité de se prononcer sur sa propre compétence en vertu du paragraphe 69.4(2) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi. Voici les remarques qu’il a faites sur ce paragraphe [aux paragraphes 8 et 9] :

Dans un arrêt récent de la Section d’appel de notre Cour, l’arrêt Watson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 21 mai 1996, dossier no T94-07075—au sujet duquel les avocats ont été invités à formuler leurs observations à titre de question préliminaire—un doute a été soulevé au sujet de la validité de la question que le juge des requêtes a certifiée en l’espèce. L’auteur de la décision a laissé entendre que la Section de première instance s’était préoccupée de la validité de l’avis du ministre eu égard aux circonstances de l’affaire, et non des conséquences de sa formulation sur la procédure de parrainage. Telle qu’elle était formulée, cette question n’était pas soumise au juge des requêtes, comme l’exigeait l’article 83 de la Loi, et en fait, elle ne pouvait l’être, étant donné que le paragraphe 69.4(2) de la Loi réserve à la section d’appel la « compétence exclusive » pour trancher les questions se rapportant à sa compétence :

69.4 (2) La section d’appel a compétence exclusive, dans le cas des appels visés aux articles 70, 71 et 77, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait—y compris en matière de compétence—relativement à la prise d’une mesure de renvoi ou au rejet d’une demande de droit d’établissement présentée par un parent.

À mon humble avis, le doute soulevé par le membre de la section d’appel n’est pas justifié. Il n’y a tout simplement aucune distinction à faire entre, d’une part, ce qu’on est convenu d’appeler la « validité » de l’avis du ministre compte tenu du « moment où il a été exprimé et [d]es circonstances dans lesquelles il l’a été »« la question présentée dans la demande de contrôle—et, d’autre part, les conséquences de cet avis sur la compétence de la section d’appel—la question que, de toute évidence, le juge a perçue dans la demande et à laquelle il a répondu. La « validité » de l’avis du ministre dépend nécessairement de ses conséquences; on dira qu’il est « valide » s’il produit la seule chose qu’il est censé produire, c’est-à-dire s’il éteint l’appel, le seul objet du pouvoir du ministre. En revanche, l’emploi par le législateur fédéral de l’expression « compétence exclusive » au paragraphe 69.4(2) de la Loi n’est certainement pas sans importance et nous oblige à faire preuve de déférence envers l’opinion de la section d’appel lorsque la question en litige est une question d’interprétation de l’économie générale de la Loi, comme dans l’affaire Canada (Solliciteur général) c. Kainth, (C.A.F.), (1994) 170 N.R. 367. On ne peut toutefois conclure que cette expression restreint le pouvoir et l’obligation constitutionnels de la Cour de trancher une question d’interprétation d’une disposition législative déterminée qui définit la compétence d’un tribunal administratif en exigeant que l’on cherche d’abord à obtenir l’opinion de ce tribunal.

À mon avis, les remarques faites par le juge Marceau dans l’extrait précité veulent dire que le paragraphe 69.4(2) n’a pas pour effet d’empêcher la Cour de trancher une question relative à la compétence de la section d’appel si cette dernière n’a pas d’abord eu la possibilité de se prononcer sur cette question. Ces remarques ne veulent pas dire que la formulation d’un avis de « danger pour le public » a pour effet d’empêcher la section d’appel d’entendre et de trancher une question touchant la compétence que lui confère le paragraphe 69.4(2). Il faut admettre qu’une décision de la section d’appel concernant sa compétence devrait être compatible avec les décisions de la présente Cour. Néanmoins, il est encore loisible à la section d’appel d’entendre et de régler l’appel du requérant. Par conséquent, l’argument de l’avocat de l’intimé selon lequel un sursis d’exécution indéfini serait accordé en raison de l’alinéa 49(1)b) est mal fondé.

Deuxièmement, l’argument de l’avocat de l’intimé repose sur une hypothèse erronée, à savoir que l’application de l’alinéa 49(1)b) est subordonnée à la compétence de la section d’appel à l’égard de l’appel. Le libellé de l’alinéa 49(1)b) ne confirme pas cette hypothèse. Aux termes de cette disposition, c’est la présentation d’un appel à la section d’appel, et non la compétence de la section d’appel, qui déclenche le sursis d’exécution d’origine législative. Le sursis reste en vigueur jusqu’à ce que la section d’appel ait rendu sa décision ou déclaré qu’il y a eu désistement d’appel. L’alinéa 49(1)b) ne prévoit pas la cessation du sursis d’origine législative lorsqu’un avis de « danger pour le public » est exprimé. Si le législateur avait voulu que l’application du sursis prévu à l’alinéa 49(1)b) se limite aux situations dans lesquelles la personne visée par une mesure de renvoi a un droit d’appel devant la section d’appel ou aux situations dans lesquelles aucun avis de « danger pour le public » n’a été exprimé, il aurait facilement pu le prévoir. En réalité, le législateur a expressément élargi l’application de l’alinéa 49(1)b), par opposition à celle de l’alinéa 49(1)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41]. Aux termes de l’alinéa 49(1)a), le sursis d’exécution s’applique à condition que l’intéressé ait un droit d’appel devant la section d’appel. L’alinéa 49(1)b) ne renferme aucune condition semblable. Par ailleurs, le paragraphe 49(1) tout entier est subordonné au paragraphe 49(1.1), qui exclut l’application du paragraphe 49(1) dans certaines situations précises. Toutefois, le paragraphe 49(1.1) ne vise pas la situation dans laquelle la section d’appel a cessé d’avoir compétence en raison de la formulation d’un avis de « danger pour le public ».

Troisièmement, pour que je parvienne à la conclusion préconisée par l’avocat de l’intimé, il faudrait que je présume l’emploi des mots « par la personne visée par une mesure d’expulsion—si elle a un droit d’appel devant la section d’appel » au début de l’alinéa 49(1)b) et des mots « ou cesse d’avoir compétence » à la fin de cet alinéa, ou quelque chose de ce genre. Subsidiairement, il faudrait que je considère le paragraphe 49(1.1) comme incluant des mots qui excluent du champ d’application du paragraphe 49(1) les personnes qui ont perdu leur droit d’appel devant la section d’appel à cause de la formulation d’un avis de « danger pour le public ». Je refuse de le faire. Dans l’affaire Grand Trunk Pacific Railway Co. v. Dearborn[5], le juge en chef Davies a établi le principe général qui régit l’introduction ou le retranchement de termes dans une disposition. Il a déclaré aux pages 320 et 321 :

[traduction] Lorsque les termes d’une loi sont clairs et dépourvus d’ambiguïté, je ne peux admettre que les tribunaux aient le droit de la modifier pratiquement soit en retranchant des mots, soit en apportant des restrictions, à moins que le sens grammatical et ordinaire du texte édicté conduise à quelque absurdité, ou à quelque incompatibilité ou contradiction avec les autres dispositions de la loi et, en ce cas, seulement dans la mesure nécessaire pour éviter cette absurdité, incompatibilité ou contradiction.

La Cour suprême du Canada a réitéré ce principe dans l’arrêt Wellesley Hospital c. Lawson[6].

Je ne suis pas convaincu que l’application de l’alinéa 49(1)b) dans sa rédaction actuelle conduit à une absurdité, à une incompatibilité ou à une contradiction qui m’obligerait à considérer cette disposition comme si elle contenait d’autres mots.

Enfin, dans l’arrêt Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg[7], le juge Estey, qui prononçait les motifs au nom de la Cour, a déclaré :

En langage plus moderne, pour porter atteinte aux droits d’un administré, que ce soit à titre de contribuable ou à un autre titre, les tribunaux exigent que le législateur le fasse de façon expresse. La diminution de ces droits peut ne pas avoir été législativement voulue ou même être accidentelle, mais les cours doivent trouver dans la loi des termes exprès pour conclure que ces droits ont été diminués. Ce principe d’interprétation s’impose et s’applique d’autant plus aujourd’hui que les législatures profitent de l’aide et des directives d’un conseil exécutif bien pourvu de personnel et ordinairement très averti. Les moyens disponibles pour rédiger et promulguer les lois sont tels qu’une cour doit être réticente à présumer l’oubli ou des intentions inarticulées lorsque les droits des administrés sont en cause. La législature a la maîtrise complète du processus législatif et si elle ne s’est pas exprimée clairement pour un motif quelconque, elle possède tous les moyens de corriger cette déficience d’expression. Cela est encore plus vrai aujourd’hui qu’à toute autre époque de l’histoire de notre régime parlementaire.

Je suis convaincu qu’il en va de même pour les atteintes aux droits de résidents canadiens de longue date comme le requérant. Par ailleurs, je suis convaincu que ce passage s’applique à l’omission de diminuer des droits lorsque cette omission peut avoir été législativement accidentelle ou constituer un simple oubli. En l’espèce, il ne fait aucun doute que l’intimé voudrait que la Cour diminue un droit clair et sans équivoque, à savoir le droit de bénéficier d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi sur présentation d’un appel de cette mesure à la section d’appel, en l’absence de conditions statutaires très précises. Je suis convaincu que ce droit n’a pas été expressément diminué alors qu’il était indéniablement loisible au législateur de le faire.

Par conséquent, comme je suis arrivé à la conclusion qu’un sursis d’exécution d’origine législative s’applique, j’ai refusé d’exercer le pouvoir dont je suis investi d’accorder un sursis discrétionnaire en application de l’article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, même si l’on m’avait par ailleurs convaincu de le faire, ce qui n’a pas été le cas, comme il est mentionné plus haut.

Par ces motifs, j’ai rejeté la demande de sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion dont le requérant a fait l’objet.



[1] L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

[2] L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16).

[3] [1997] F.C.J. no 151 (C.A.F.).

[4] L.C. 1995, ch. 15 (entrée en vigueur le 10 juillet 1995).

[5] (1919), 58 R.C.S. 315.

[6] [1978] 1 R.C.S. 893.

[7] [1983] 2 R.C.S. 493, à la p. 509.

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