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[1997] 3 C.F. 565

A-505-96

Ontario Hydro (appelante) (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée) (défenderesse)

Répertorié : Ontario Hydro c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Décary et McDonald, J.C.A.—Toronto, 27 mai et Ottawa 10 juin 1997.

Énergie Appel de la décision de la Section de première instance rejetant l’action en recouvrement de la partie des frais de transfert du siège de l’Office national de l’énergie d’Ottawa à Calgary que le service public a dû payerL’art. 24.1 de la Loi sur l’Office national de l’énergie confère à l’ONÉ le pouvoir de prendre un règlement pour le recouvrement des frais afférents à l’exercice de ses attributions dans le cadre de toute loi fédéraleIl confère à l’ONÉ le pouvoir discrétionnaire de déterminer quels frais sont afférents à l’exercice de ses attributions légalesLes frais se limitent à ceux attribuables à l’exercice des attributions légalesSelon le dictionnaire, le mot « responsibility » (attributions) n’englobe pas la réinstallationL’art. 6 du Règlement sur le recouvrement des frais de l’Office national de l’énergie assimile les frais afférents à l’exercice des attributions légales de l’ONÉ au « coût de son programme » — Le coût du programme est décrit dans le plan de dépensesAucun élément n’évoque la réinstallationLorsqu’il est lu de concert avec les art. 4 et 6 du Règlement, l’art. 24.1 permet le recouvrement des frais liés au programme de l’Office, à l’exclusion des frais de réinstallation.

Interprétation des lois L’art. 24.1 de la Loi sur l’Office national de l’énergie investit l’ONÉ du pouvoir de prendre un règlement pour le recouvrement des frais afférents à l’exercice de ses attributions dans le cadre de toute loi fédéraleL’art. 6 du Règlement sur le recouvrement des frais de l’Office national de l’énergie, qui prévoit le calcul des frais recouvrables, a été pris au même moment que l’art. 24.1 a été ajouté à la LoiLes mêmes termes sont employés à l’art. 24.1 de la Loi et à l’art. 6 du RèglementLe juge de première instance a interprété le Règlement sans tenir compte de la loi habilitanteLorsque la loi et le règlement sont si étroitement liés qu’ils forment un tout, les dispositions des deux textes sont interprétées en fonction de ce cadre globalUne certaine importance devait être accordée à la formulation du Règlement aux fins d’interpréter les dispositions de la LoiLorsqu’il est lu de concert avec les art. 4 et 6 du Règlement, l’art. 24.1 autorise le recouvrement du coût afférent au programme de l’Office, lequel n’englobe pas les frais de transfert du siège de l’ONÉ d’Ottawa à Calgary.

Il s’agit d’un appel d’un jugement de la Section de première instance rejetant l’action d’Ontario Hydro intentée en vue de recouvrer la partie des frais de transfert du siège de l’Office national de l’énergie d’Ottawa à Calgary que le service public a dû payer. Au paragraphe 24.1(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, sous réserve de l’agrément du Conseil du Trésor, l’Office est investi du pouvoir de prendre un règlement afin de recouvrer les frais afférents à l’exercice de ses attributions dans le cadre de toute loi fédérale. L’article 24.1 est entré en vigueur le 1er janvier 1991. En vertu de cette disposition, le 20 décembre 1990, l’Office a pris le Règlement sur le recouvrement des frais de l’Office national de l’énergie, lequel est entré en vigueur le 1er janvier 1991 et permet à l’Office, suivant une formule donnée, de calculer puis de recouvrer auprès des entreprises exploitant un oléoduc ou un gazoduc, ainsi que des exportateurs d’électricité, certains frais afférents à l’exercice de ses attributions légales. L’article 6, qui établit quels sont les droits exigibles au titre du recouvrement des frais, emploie les mêmes termes qu’à l’article 24.1 de la Loi, c.-à-d. « frais afférents à l’exercice des attributions de l’Office dans le cadre de la Loi ou de toute autre loi fédérale ».

En 1992, l’Office a présenté à l’appelante quatre factures incluant, dans chacun des cas, les frais liés à la réinstallation de son siège dans le calcul des frais recouvrables en application du Règlement. L’appelante a acquitté chacune des factures sous toutes réserves. Le juge de première instance a rejeté l’action de l’appelante intentée pour recouvrer les sommes payées pour le motif que le Règlement envisage expressément que les frais dépassant le champ des activités normales de l’Office font partie du « coût du programme ».

La question en litige est de savoir si l’appelante était tenue de payer une partie des frais de réinstallation aux termes du Règlement pris en vertu de l’article 24.1.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Ni la Loi ni le Règlement n’autorisent l’Office à exiger de l’appelante qu’elle paie une partie de ses frais de réinstallation.

Le juge de première instance a interprété le Règlement sans tenir compte du libellé de la loi habilitante. Lorsque la loi et le règlement sont si étroitement liés qu’ils forment un tout, les dispositions des deux textes sont interprétés en fonction de ce cadre global. Le Règlement a été pris en même temps que l’article 24.1 a été ajouté à la Loi, et le libellé employé dans la partie introductive de l’article 6 du Règlement est semblable à celui de l’article 24.1. Une certaine importance devait donc être accordée à la formulation du Règlement aux fins d’interpréter les dispositions de la Loi.

L’article 24.1 confère manifestement à l’Office le pouvoir discrétionnaire de déterminer quels frais sont afférents à l’exercice de ses attributions légales. Ce pouvoir discrétionnaire n’est cependant pas absolu, car seuls les frais qui sont afférents à ses attributions légales peuvent être recouvrés. Comme, selon le dictionnaire, les « attributions » n’englobent pas la réinstallation, il s’ensuit que, sur la base des seules dispositions de la Loi, on ne peut conclure que les frais de réinstallation sont afférents à l’exercice des attributions légales de l’Office. Il était donc nécessaire de tenir compte du Règlement. Les alinéas 6a) et b) assimilent les frais afférents à l’exercice des attributions légales de l’Office au coût de son programme. Le programme de l’Office est décrit dans son plan de dépenses. Aucun élément de la description du programme n’évoque la réinstallation. Le coût du programme est énoncé dans le plan de dépenses, mais il n’y est pas défini. Lorsque l’article 24.1 de la Loi est lu de concert avec les articles 4 et 6 du Règlement, les frais recouvrables en application de l’article 24.1 correspondent au coût afférent au programme de l’Office, lequel n’englobe pas les frais de réinstallation.

L’alinéa 9a) du Règlement, sur lequel le juge de première instance s’appuie considérablement pour arriver à sa conclusion, ne vise que l’objet très restreint de la partie II de la Loi, soit la sous-activité de l’Office liée à son rôle consultatif. Il reconnaît simplement que des frais afférents au programme peuvent être engagés, à la demande du ministre, relativement à des activités qui dépassent le champ des activités normales de l’Office. S’il a pour effet d’élargir la notion de « coût du programme », ce n’est que pour inclure, en plus des frais annuels récurrents, des frais afférents au programme engagés de façon exceptionnelle et irrévocable dans le contexte de la partie II. Il ne permet pas que des frais non liés au programme de l’Office soient assimilés au coût du programme aux fins du recouvrement prévu à l’article 6.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 16.

Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, art. 7(1) (mod. par L.C. 1991, ch. 27, art. 2), 24.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 7, art. 13).

Règlement sur le recouvrement des frais de l’Office national de l’énergie, DORS/91-7, art. 4(3), 5, 6, 7, 9.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 500 et s.

JURISPRUDENCE

DÉCISION CITÉE :

R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865; [1979] C.T.C. 71; (1979), 79 DTC 5068; 25 N.R. 361.

DOCTRINE

Allen, E. The Concise Oxford Dictionary of Current English, 8th ed. Oxford : Clarendon Press, 1990. « responsibility ».

Black, Henry Campbell. Black’s Law Dictionary, 5th ed. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1979. « responsibility ».

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville (Qué.) : Éditions Yvon Blais Inc., 1991.

Reid, Hubert. Dictionnaire de droit québécois et canadien. Montréal : Wilson & Lafleur Ltée, 1994. « attributions ».

Robert, P. Le Petit Robert 1. Montréal : Les Dictionnaires Robert-Canada S.C.C., 1991. « attributions ».

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

APPEL contre le jugement de première instance (Ontario Hydro c. Office national de l’énergie (1996), 112 F.T.R. 225 (C.F. 1re inst.)) rejetant l’action en remboursement de la somme payée par l’appelante à titre de contribution aux frais de réinstallation du siège de l’Office national de l’énergie en application de l’article 24.1 de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de l’article 6 du Règlement sur le recouvrement des frais de l’Office national de l’énergie. Appel accueilli.

AVOCATS :

Eric R. Finn et Ilana Saltsman pour l’appelante (demanderesse).

Frederick B. Woyiwada et Darrell Kloeze pour l’intimée (défenderesse).

PROCUREURS :

Contentieux, Ontario Hydro, Toronto, pour l’appelante (demanderesse).

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimée (défenderesse).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Décary, J.C.A. : La question en litige aux fins du présent appel d’une décision de la Section de première instance [(1996), 112 F.T.R. 225] est de savoir si, en vertu du Règlement sur le recouvrement des frais de l’Office national de l’énergie[1] (le Règlement), l’appelante est tenue de payer une partie des frais de transfert du siège de l’Office national de l’énergie (l’Office) d’Ottawa à Calgary.

Les circonstances de l’affaire sont les suivantes. L’appelante est un service public qui exporte de l’électricité à partir de la province de l’Ontario. À ce titre, elle est visée par l’article 24.1 de la Loi sur l’Office national de l’énergie[2] (la Loi) et est donc assujettie à tout règlement pris en vertu de cette disposition « afin de recouvrer tout ou partie des frais [que l’Office national de l’énergie] juge afférents à l’exercice de ses attributions [« attributable to its responsibilities », dans la version anglaise] dans le cadre de la présente Loi et de toute autre loi fédérale ». L’article 24.1[3] est entré en vigueur le 1er janvier 1991.

Le 20 décembre 1990, sous le régime de l’article 24.1 de la Loi, l’Office a pris le Règlement, lequel est entré en vigueur le 1er janvier 1991. Suivant le Règlement, l’Office peut, en appliquant une formule donnée, calculer puis recouvrer auprès des entreprises exploitant un oléoduc ou un gazoduc, ainsi que des exportateurs d’électricité visés aux annexes I, II et III, certains frais afférents à l’exercice de ses attributions légales. L’appelante est visée à l’annexe III, partie I.

Le 21 juin 1991, le gouverneur général a sanctionné la loi modifiant le paragraphe 7(1)[4] de la Loi, qui visait à transférer le siège de l’Office d’Ottawa à Calgary. Le processus de réinstallation a pris fin le 1er septembre 1991. La modification est entrée en vigueur le 1er novembre 1991. L’Office a estimé les frais de réinstallation à 14 846 765 $, dont 50 % (7 423 383 $) devait être recouvré au cours de chacun des exercices 1992 et 1993. Des frais supplémentaires connexes ont été engagés au cours des années 1994 à 1997.

En 1992, l’Office a présenté à l’appelante quatre factures établissant le montant des droits exigibles au titre du recouvrement des frais. Dans chacun des cas, l’Office incluait les frais liés à la réinstallation de son siège dans le calcul des frais recouvrables en application du Règlement. L’appelante a acquitté chacune des factures, mais elle l’a fait sous toutes réserves pour le motif que le coût de réinstallation ne pouvait être inclus dans le calcul des frais visés à l’article 6 du Règlement. Le montant en litige pour l’année 1992 est de 83 864 $. D’autres frais ont également été portés au débit du compte de l’appelante pendant les années suivantes. L’appelante reconnaît que si les frais de réinstallation ont été à juste titre compris dans le calcul, le montant des factures est exact. Pour sa part, si l’imputation de ces frais n’est pas légitime, l’Office s’engage à dresser un nouvel état de compte et à rembourser l’appelante des sommes indûment perçues.

Dans sa déclaration, l’appelante demande le remboursement des frais de réinstallation, ainsi qu’un jugement déclaratoire voulant que de tels frais ne puissent être recouvrés sur le fondement de l’article 6 du Règlement.

Le juge de première instance a rejeté l’action et ce, essentiellement sur la base de la conclusion suivante [à la page 233] :

Je suis convaincue que, en langage ordinaire et dans le cadre des pratiques suivies par l’Office, le programme de cet organisme est considéré comme l’ensemble de ses activités et que les frais récurrents liés à ces activités représentent le « coût du programme ». Toutefois, ces activités ne permettent pas de décider du sens qu’il faut donner à l’expression « coût du programme » apparaissant dans le Règlement. J’apporte cette précision parce qu’à mon avis la présente affaire peut être tranchée à la lumière du libellé de ce texte réglementaire. En effet, l’article 6 définit essentiellement le « coût du programme » comme les coûts énoncés dans le budget. L’article 9 traite des frais recouvrables, lesquels, selon moi, s’entendent du « coût du programme » et il permet au ministre d’exclure les frais du programme qui « dépassent le champ des activités normales de l’Office ». À mon avis, il s’agit d’un indice évident que, dans le contexte du Règlement, l’expression « coût du programme » peut viser autre chose que les frais annuels récurrents liés aux activités de l’Office. Comme le Règlement paraît envisager de manière expresse que les frais dépassant le champ des activités normales de l’Office font partie du « coût du programme », je ne vois pas pourquoi les coûts de réinstallation ne pourraient être visés par cette expression.

Examinons tout d’abord les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement :

Loi sur l’Office national de l’énergie

Siège et réunions

7. (1) Le siège de l’Office est fixé à Calgary (Alberta).

Droits, redevances et frais

24.1 (1) Sous réserve de l’agrément du Conseil du Trésor, et afin de recouvrer tout ou partie des frais qu’il juge afférents à l’exercice de ses attributions dans le cadre de la présente loi et de toute autre loi fédérale, l’Office peut, par règlement :

a) imposer des droits, redevances ou frais à chaque personne ou compagnie pouvant, au titre de la présente loi, construire ou exploiter un pipeline ou une ligne internationale ou interprovinciale, exiger des droits, exporter ou importer du gaz ou du pétrole ou exporter de l’électricité;

b) déterminer leur mode de calcul à l’égard de la personne ou de la compagnie et prévoir leur paiement.

Règlement sur le recouvrement des frais de

l’Office national de l’énergie

Attendu que l’Office national de l’énergie juge que des frais sont afférents à l’exercice de ses attributions dans le cadre de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de toute autre loi fédérale,

RÈGLEMENT CONCERNANT LE RECOUVREMENT

DES FRAIS DE L’OFFICE NATIONAL DE

L’ÉNERGIE

Droits et redevances exigibles

4. …

(3) Les exportateurs figurant à la partie I de l’annexe III paient annuellement à l’Office, au titre du recouvrement des frais, les droits calculés conformément au paragraphe 14(3).

5. (1) Les compagnies figurant à la partie II des annexes I et II et les exportateurs figurant à la partie II de l’annexe III paient annuellement à l’Office, au titre du recouvrement des frais administratifs, une redevance de 10 000 $.

(2) Les compagnies figurant à la partie III des annexes I et II paient annuellement à l’Office, au titre du recouvrement des frais administratifs, une redevance de 500 $.

Calcul des frais de l’Office

6. Aux fins du calcul des droits exigibles au titre du recouvrement des frais aux termes du présent règlement, le total des frais afférents à l’exercice des attributions de l’Office dans le cadre de la Loi et de toute autre loi fédérale est égal, pour chaque année civile, au total :

a) du quart du coût estimatif du programme de l’Office, y compris les coûts des biens et services fournis à l’Office par les autres ministères et organismes fédéraux, tel qu’il est énoncé dans le plan de dépenses publié dans le Budget des dépenses du gouvernement du Canada pour l’exercice de l’Office se terminant durant cette année civile;

b) des trois quart du coût prévu du programme de l’Office, y compris les coûts des biens et services fournis à l’Office par les autres ministères et organismes fédéraux, tel qu’il est établi pour le plan de dépenses publié dans le Budget des dépenses du gouvernement du Canada pour l’exercice de l’Office commençant durant cette année civile.

7. Au plus tard le 30 septembre de chaque année, l’Office calcule, selon le cas :

a) l’excédent du total des frais déterminés conformément à l’article 6 pour l’année civile précédente sur les dépenses réelles de l’Office pour cette année;

b) l’excédent des dépenses réelles de l’Office pour l’année civile précédente sur le total des frais déterminés conformément à l’article 6 pour cette année.

9. Le ministre peut :

a) exclure du total des frais à recouvrer par l’Office tout ou partie des frais, par ailleurs recouvrables, qui sont afférents à des activités entreprises par l’Office à la demande du ministre en vertu de la partie II de la Loi et qui dépassent le champ des activités normales de l’Office;

b) exclure du total des frais à recouvrer par l’Office ou reporter à une période de recouvrement ultérieure tout ou partie des frais, par ailleurs recouvrables, qui sont afférents à des activités entreprises par l’Office durant une année civile et qui ne sont pas, durant cette année, à l’avantage direct des compagnies ou des personnes visées par le présent règlement;

Les avocats des deux parties estiment que l’issue de l’affaire repose uniquement sur l’interprétation du Règlement, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les dispositions de la loi habilitante. Le juge de première instance s’est rangé à leur point de vue, et le Règlement a été interprété sans qu’il soit tenu compte du libellé de la loi habilitante.

Cette démarche est incompatible avec la règle cardinale voulant qu’une disposition réglementaire doive être interprétée en fonction du règlement et de la loi habilitante dans leur ensemble[5] et celle selon laquelle lorsque, comme en l’espèce, les expressions employées dans le Règlement sont les mêmes que celles qui figurent dans la loi habilitante, elles doivent avoir la même portée que dans le texte législatif d’habilitation[6]. Étant donné que les avocats ont mis l’accent sur l’intention du gouverneur en conseil et sur l’objet du Règlement, nous disposons de fort peu d’éléments, si même il en est, outre les mots mêmes employés dans la loi habilitante, pour nous guider dans l’interprétation que nous devons faire du texte législatif.

Normalement, en pareilles circonstances, la Cour se penche sur les dispositions de la loi habilitante pour déterminer avec précision, dans un premier temps, ce dont le législateur a permis la réglementation. Elle examine ensuite le texte réglementaire. Il est présumé que le règlement a été pris en conformité avec les dispositions de la loi habilitante et qu’il existe une cohérence entre la terminologie de la Loi et celle du règlement[7]. La Cour s’efforce alors d’interpréter ce dernier de façon que sa portée demeure dans les limites établies par la loi habilitante. Lorsque cela se révèle impossible, le règlement ou une partie de celui-ci est jugé ultra vires. La conciliation est donc la règle, et elle est réalisée dans la plupart des cas.

Dans l’ouvrage Driedger on the Construction of Statutes[8], il est signalé que le règlement étant une sorte de loi subalterne dont l’adoption succède habituellement à celle de la loi habilitante, sa valeur est restreinte aux fins d’interpréter les dispositions législatives. Dans les cas qui s’y prêtent, lorsque la loi et le règlement sont si étroitement liés qu’ils forment un tout, les dispositions des deux textes sont interprétées en fonction de ce cadre global.

Dans la présente affaire, le Règlement a été pris en même temps que l’article 24.1 a été ajouté à la Loi, et le libellé employé dans la partie introductive de l’article 6 du Règlement, qui est au cœur du présent appel, est semblable à celui de l’article 24.1 de la Loi. Je suis donc disposé, pour interpréter les dispositions de la Loi, à accorder une certaine importance à la formulation du Règlement. En fin de compte, le caractère erroné de la démarche suivie en première instance pourrait donc avoir peu de conséquences.

Examinons tout d’abord la loi habilitante. Ses dispositions pertinentes sont le paragraphe 7(1), qui précise l’emplacement du siège de l’Office, et l’article 24.1, qui investit l’Office du pouvoir de prendre le règlement en cause.

Le paragraphe 7(1) est une disposition de nature purement administrative qui ne confère aucun pouvoir à l’Office. Il précise l’emplacement du siège de l’Office. Cet emplacement n’a pas été choisi par l’Office, mais plutôt par le gouverneur en conseil, puis par le Parlement. La Loi ne conférait pas à l’Office le pouvoir de participer à la prise de la décision administrative de transférer son siège d’Ottawa à Calgary.

Au paragraphe 24.1(1), sous réserve de l’agrément du Conseil du Trésor, l’Office est investi du pouvoir de prendre un règlement « afin de recouvrer tout ou partie des frais qu’il juge afférents à l’exercice de ses attributions dans le cadre de la présente loi et de toute autre loi fédérale ».

Manifestement, l’Office a le pouvoir discrétionnaire de déterminer quels frais sont afférents à l’exercice de ses attributions légales. Ce pouvoir discrétionnaire n’est cependant pas absolu, et les avocats de l’intimée reconnaissent que l’Office ne pourrait s’appuyer sur cette disposition pour recouvrer des frais étrangers à ces attributions. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire fait l’objet d’une autre restriction : tous les frais que l’Office engage dans l’exercice de ses activités ne peuvent être recouvrés; seuls les frais qui sont afférents à ses attributions légales peuvent l’être. Si le législateur avait voulu permettre à l’Office de recouvrer tous ses frais quels qu’ils soient il n’aurait pas pris la mesure supplémentaire qui consiste à restreindre l’application de l’article 24.1 aux frais qui sont afférents à l’exercice des attributions légales de l’Office. Les avocats de l’intimée le reconnaissent.

Dans le Black’s Law Dictionary[9], le mot « responsibility » (attributions) est défini comme [traduction] « Le fait d’être débiteur d’une obligation ». Dans The Concise Oxford Dictionary of Current English[10], ce terme est défini comme [traduction] « b. pouvoir; la capacité d’agir indépendamment et de prendre des décisions ». Selon Le Petit Robert 1[11], le terme français équivalent, « attributions », s’entend des « pouvoirs attribués au titulaire d’une fonction, à un corps ou service » et est assimilé à « compétence, droit, fonction, pouvoir, prérogative, privilège, rôle ». Dans le Dictionnaire de droit québécois et canadien[12], ce mot est défini comme « 1. Droits et devoirs attachés à une charge, à une fonction … 2. Matière ou catégorie d’actes qui relèvent des pouvoirs ou de la compétence d’une autorité ». Comme les « attributions » n’englobent pas la réinstallation, il s’ensuit que, sur la base des seules dispositions de la Loi, on ne peut conclure que les frais de réinstallation sont afférents à l’exercice des attributions légales de l’Office au sens de l’article 24.1.

Le Règlement jette-t-il un éclairage différent?

Le préambule du Règlement et son titre officiel renvoient au recouvrement de certains frais seulement. Il y a lieu de présumer que cela résulte du fait que l’article 24.1 de la Loi, comme nous l’avons vu, n’autorise pas le recouvrement de tous les frais engagés.

Les articles 4 et 5 établissent deux types de frais : les droits au titre du recouvrement des frais, calculés de la manière prévue dans le Règlement, et la redevance au titre du recouvrement des frais administratifs, dont le montant est fixe.

L’article 6 établit quels sont les droits exigibles au titre du recouvrement des frais. Il emploie, dans sa partie introductive, les mêmes termes qu’à l’article 24.1 de la Loi, c.-à-d. « frais afférents à l’exercice des attributions de l’Office dans le cadre de la Loi et de toute autre loi fédérale ». Ce libellé doit donc avoir la même portée que celui de la Loi.

Les alinéas 6a) et b) assimilent les frais afférents à l’exercice des attributions légales de l’Office au coût de son programme. Le juge de première instance disposait d’éléments de preuve lui permettant de conclure que le « coût du programme » correspondait aux frais annuels récurrents, ce qui n’englobe habituellement pas le coût d’un projet particulier, comme la réinstallation. La preuve révèle également que, dans le plan de dépenses établi par l’Office, le « programme » de ce dernier est décrit comme suit :

4. Description du Programme

Fonctions : l’Office national de l’énergie agit en tant que tribunal quasi judiciaire. Il est chargé, en qualité d’organisme de réglementation, de surveiller les travaux de construction et d’exploitation d’installations énergétiques approuvées. L’Office réglemente les droits et les tarifs des sociétés pipelinières relevant de la compétence du gouvernement fédéral pour s’assurer que ces droits sont justes, raisonnables et non discriminatoires. Il conseille également le gouvernement sur des questions de politiques particulières et entreprend périodiquement l’étude de diverses questions énergétiques tant de son propre chef qu’à la demande du ministre compétent.

Structure de l’activité : Le programme de l’Office national de l’énergie se compose d’une activité« Réglementation et consultation en matière d’énergie et de cinq sousactivités dont voici la description :

Consultations et enquêtes : Les connaissances et bases de données de l’Office servent à renseigner sur le contrôle, l’économie, l’utilisation, le transport, la commercialisation et l’exploitation du pétrole, du gaz naturel et de l’électricité, ainsi qu’à analyser ces différents domaines. Il est important, pour le maintien de la sécurité énergétique du Canada, de faire enquête sur des aspects de la situation énergétique en Amérique du Nord.

Réglementation des installations : Veiller à ce que la construction et l’exploitation des gazoducs, des oléoducs et des lignes de transport d’électricité relevant de la compétence fédérale se déroulent de façon rapide, sûre et saine du point de vue environnemental.

Réglementation du transport, des droits et des tarifs : Veiller à ce que les droits exigibles par les sociétés pipelinières relevant de la compétence fédérale soient justes et raisonnables et que les services pipeliniers soient fournis sur une base continue, sans distinction injuste et d’une manière efficace du point de vue des coûts.

Commerce énergétique : Veiller à ce que les intérêts canadiens soient protégés grâce à une participation dans le commerce nord-américain en expansion de l’électricité, du gaz et du pétrole.

Gestion du programme et des services : Fournir un appui efficace et des avis aux membres de l’Office, aux gestionnaires ministériels et aux employés de sorte que les objectifs du programme soient atteints. [Dossier d’appel, vol. IV, aux p. 669 et 670.]

Il s’ensuit, selon moi, que le terme «  attributions » employé à l’article 6 du Règlement renvoie aux rubriques « Fonctions » et « Structure de l’activité » qui précèdent. Je ne vois rien dans la Description du Programme qui évoque un tant soit peu la réinstallation.

Les avocats de l’intimée soutiennent, et le juge de première instance semble se ranger à leur avis, qu’étant donné que l’alinéa 6a) utilise les mots « coût … du programme … tel qu’il est énoncé dans le plan de dépenses publié dans le Budget des dépenses du gouvernement du Canada », les frais visés dans le plan de dépenses par l’expression « coût du programme » constituent le « coût du programme » aux fins de l’article 6. Cette prétention n’est pas fondée, car elle équivaut à dire que l’Office peut, en jouant avec les mots, englober dans le coût du programme des frais qui ne répondent pas à la définition d’un tel coût. Le coût du programme est certes énoncé dans le plan de dépenses, mais il n’y est pas défini.

À ce stade, donc, il m’est facile de conclure que lorsque l’article 24.1 de la Loi est lu de concert avec les articles 4 et 6 du Règlement, que les frais recouvrables en application de l’article 24.1 de la Loi correspondent au coût afférent au programme de l’Office, lequel coût n’englobe pas les frais de réinstallation.

Pour arriver à la conclusion que le coût du programme comprend ces frais, le juge de première instance s’appuie considérablement sur l’article 9 du Règlement. Je suis d’avis, tout au contraire, que cette disposition contribue peu à résoudre le litige.

L’alinéa 9a)—qui de toute façon n’a qu’une portée très limitée et ne vise que l’objet très restreint de la partie II de la Loi, soit la sous-activité de l’Office liée à son rôle consultatif—n’écarte pas la règle établie à l’article 6. La disposition ne peut que renvoyer, comme le signale lui-même le juge de première instance, au coût du programme mentionné à l’article 6, puisqu’il renvoie à des frais « par ailleurs recouvrables ». Elle reconnaît simplement que des frais afférents au programme peuvent être engagés, à la demande du ministre, relativement à des activités qui dépassent le champ des activités normales de l’Office. Si elle a pour effet d’élargir la notion de « coût du programme », ce n’est que pour inclure, en plus des frais annuels récurrents, des frais afférents au programme engagés de façon exceptionnelle et irrévocable dans le contexte de la partie II de la Loi. L’alinéa ne permet pas que des frais non liés au programme de l’Office soient assimilés au coût du programme aux fins du recouvrement prévu à l’article 6.

En définitive, j’arrive à la conclusion que la tentative de l’Office de recouvrer les frais de réinstallation de son siège à Calgary est illégitime. Ni la Loi ni le Règlement n’autorisent l’Office à exiger de l’appelante qu’elle paie une partie de ces frais.

L’appel devrait donc être accueilli, le jugement de première instance devrait être annulé, un jugement déclaratoire devrait être rendu selon lequel les frais engagés par l’Office national de l’énergie pour le transfert de son siège d’Ottawa à Calgary ne constituent pas des frais qui peuvent être recouvrés auprès de l’appelante en application de l’article 24.1 de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de l’article 6 du Règlement sur le recouvrement des frais de l’Office national de l’énergie et une ordonnance devrait être rendue pour enjoindre à l’Office de rembourser à l’appelante la somme de 83 864 $ au titre des frais de réinstallation pour l’année 1992, ainsi qu’une autre somme, pour les années subséquentes, dont le montant sera déterminé dans le cadre d’une référence en application des Règles 500 et suivantes [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663].

L’appelante a droit à l’intérêt avant et après jugement sur la somme remboursée, ainsi qu’à ses frais et dépens aux deux paliers de la Cour.

Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris.



[1] DORS/91-7, 13 décembre 1990.

[2] L.R.C. (1985), ch. N-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 7, art. 13).

[3] L.C. 1990, ch. 7, art. 13.

[4] L.C. 1991, ch. 27, art. 2.

[5] Voir R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865.

[6] Voir art. 16 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

[7] Voir P.-A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville (Qué.), Éditions Yvon Blais, 1991, à la p. 310.

[8] R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., (Toronto : Butterworths, 1994), à la p. 246.

[9] H. C. Black, Black’s Law Dictionary, 5e éd., St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1979, à la p. 1179.

[10] E. Allen, The Concise Oxford Dictionary of Current English, 8e éd., (Oxford : Clarendon Press, 1990), à la p. 1026.

[11] P. Robert, Le Petit Robert 1 (Montréal : Les Dictionnaires Robert-Canada S.C.C., 1991), à la p. 129.

[12] H. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien (Montréal : Wilson & Lafleur, 1994), à la p. 48.

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