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[1997] 3 C.F. 299

IMM-3601-95

Abu Tayub Mohammed (requérant)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay— Ottawa, 8 et 29 octobre 1996 et 12 mai 1997.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Renvoi de résidents permanents Contrôle judiciaire d’une décision de la section d’appel de la CISR, confirmant la décision de l’arbitre que le requérant était entré au Canada « par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication sur un fait important » au sens de l’art. 27(1)e) de la Loi sur l’immigrationLibellé de la disposition interprétéeLe requérant n’a pas divulgué son changement d’état matrimonial parce qu’il ne savait qu’il devait le faireFormules d’immigration remplies par d’autres personnesIl ne comprend pas l’anglais ni le françaisUne personne ne peut être admise au Canada que si, au moment de son entrée, elle satisfait aux exigences de la Loi et de ses règlementsLa charge de cette preuve incombe au requérantObligation d’informer les fonctionnaires de l’immigration de tout changement de situation pertinent relativement à la délivrance du visa, à la fois à l’étape de la procédure d’obtention de l’admission au Canada et à l’arrivée au Canada, particulièrement en ce qui concerne l’état matrimonialLa non-connaissance de l’anglais ou du français ne relève pas le requérant de son défaut de remplir l’obligation que lui imposait la Loi.

Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Contrôle judiciaire d’une décision de la section d’appel de la CISR, confirmant la décision de l’arbitre que le requérant était entré au Canada « par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication sur un fait important » au sens de l’art. 27(1)e) de la Loi sur l’immigrationLe requérant n’a pas divulgué son changement d’état matrimonial parce qu’il ne savait qu’il devait le faireL’art. 27(1)e) ne contrevient pas à l’art. 7 de la Charte car il n’y a pas violation des principes de justice fondamentaleL’art. 27(1)e) traite de fausse indication sur un fait important par une personne entrant au CanadaIl n’a pas d’objectif social plus large, il ne vise pas à redresser publiquement un tort causé à la société, ni à maintenir l’ordre et le bien-être publics dans une sphère d’activités publiqueAucun objectif public de dissuasionL’application de ce régime adopté par le législateur pour le renvoi d’une personne parce qu’elle a obtenu le droit d’établissement de façon irrégulière ne viole pas les principes de justice fondamentale.

Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales L’expulsion d’un résident ayant reçu le droit d’établissement par fausse indication sur son état matrimonial ne constitue pas un traitement cruel et inusité au sens de l’art. 12Aucune preuve que l’expulsion exposerait le requérant à un risque de persécution, de torture ou de mortRien dans la situation du requérant n’est « exagérément disproportionné », ni ne constitue une mesure excessive incompatible avec la dignité humaine.

Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l’égalité Contrôle judiciaire d’une décision de la section d’appel de la CISR, confirmant la décision de l’arbitre que le requérant était entré au Canada « par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication sur un fait important » au sens de l’art. 27(1)e) de la Loi sur l’immigrationLe requérant n’a pas divulgué son changement d’état matrimonial parce qu’il ne savait qu’il devait le faireL’ignorance de la loi et l’incapacité de comprendre les langues officielles du Canada ne sont ni une « déficience » ni d’autres motifs énumérés de discrimination interdits par l’art. 15 de la CharteElles ne constituent pas un motif de discrimination « analogue », mais sont des capacités personnelles propres au requérantLes distinctions fondées sur des caractéristiques particulières personnelles d’un individu qui n’est pas associé à un groupe historiquement défavorisé sont rarement qualifiées de discriminatoires.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé la décision d’un arbitre portant que le requérant était entré au Canada « par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication sur un fait important » au sens de l’alinéa 27(1)e) de la Loi sur l’immigration. Une mesure d’expulsion du Canada a été prise contre le requérant. L’alinéa 27(1)e) exige qu’un agent d’immigration transmette au sous-ministre un rapport écrit concernant un résident permanent qui a obtenu le droit d’établissement par des moyens frauduleux ou irréguliers ou par suite d’une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d’un tiers. Le requérant, un citoyen du Bangladesh, est arrivé au Canada en tant que personne à la charge de son père. Peu de temps avant de quitter le Bangladesh, le requérant s’est marié, mais son visa d’immigration et le document relatif à son droit d’établissement indiquaient qu’il était célibataire. À son arrivée, il n’a pas avisé les fonctionnaires de l’immigration qu’il était marié parce qu’il ne savait pas qu’il devait le faire. Parce qu’il ne comprenait ni l’anglais ni le français, un mandataire a complété les documents d’immigration du requérant, mais ne lui a pas lu les instructions suivant lesquelles il devait aviser les fonctionnaires canadiens de l’immigration de tout changement d’état matrimonial. À son arrivée, comme aucun des membres de sa famille ne comprenait l’anglais ou le français, l’agent d’immigration a simplement examiné le passeport de chacun des membres de la famille et indiqué par des gestes à chacun de signer la fiche relative au droit d’établissement. Le requérant a simplement obéi et l’agent a rempli le reste du document. L’arbitre a conclu que le requérant avait donné de fausses indications en signant une demande de résidence permanente qui l’obligeait à signaler tout changement survenu dans son état matrimonial, ce qu’il n’a pas fait, et en signant au point d’entrée la fiche relative au droit d’établissement, qui indiquait qu’il était célibataire alors qu’il était, en fait, marié.

Il s’agit de savoir (1) si l’alinéa 27(1)e) de la Loi sur l’immigration exclut de son champ d’application les fausses indications données « de bonne foi »; (2) si l’alinéa 27(1)e) contrevient aux articles 7, 12 et 15 de la Charte; et (3) si le refus de la section d’appel d’exercer sa compétence en equity constitue une conclusion de fait erronée, qu’elle a tirée de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

Jugement : la demande doit être rejetée.

(1) En raison du libellé de l’alinéa 27(1)e) et de l’économie de la Loi en ce qui concerne les visas et le droit d’établissement, la section d’appel n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’alinéa 27(1)e). Le passage « même si ces moyens ou déclarations sont le fait d’un tiers » s’applique de toute évidence à la fois aux moyens et aux déclarations. Les adjectifs « frauduleux et irréguliers » ne devraient pas être interprétés comme s’appliquant à la fois aux « moyens » et aux « fausses indications ». En interprétant l’expression « fausse indication » contenue à l’alinéa 27(1)e) de manière à ne retenir que les fausses indications volontaires ou intentionnelles dont le requérant doit être subjectivement conscient, on restreindrait le dernier membre de phrase de telle sorte que la fausse indication donnée par une autre personne que le requérant et dont ce dernier ne serait pas au courant ne serait pas considérée comme une fausse indication au sens de l’alinéa 27(1)e). Pour qu’il y ait « fausse indication », il n’est pas nécessaire qu’il y ait une non-divulgation active. Le silence lui-même peut également constituer un acte conscient de non-divulgation. Également, puisqu’une fausse indication visée à l’alinéa 27(1)e) pourrait être donnée par « un tiers », on ne peut en restreindre l’application aux seuls cas de non-divulgation active de la part du requérant. Enfin, affirmer que la fausse indication doit être donnée « sciemment » ou « délibérément » par le requérant, exige que l’on ajoute dans la Loi des mots que le législateur n’a pas exprimés. Si le législateur avait voulu incorporer une mens rea ou un élément d’intention subjective à l’alinéa 27(1)e), il l’aurait vraisemblablement fait. L’obligation de franchise qui est imposée au requérant dépend de l’importance des renseignements non divulgués. Un changement d’état matrimonial constitue un « fait important » au sens de l’alinéa 27(1)e) dans la mesure où la non-divulgation de ce fait peut raisonnablement « avoir pour effet d’empêcher qu’on pose d’autres questions ». De plus, le renseignement que le requérant n’a pas communiqué n’était pas un renseignement dont il n’était véritablement et subjectivement pas au courant. Et il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté.

Une personne ne peut être admise au Canada que si, au moment de son entrée, elle satisfait aux conditions et aux exigences de la Loi et de ses règlements, et la charge de cette preuve lui incombe. Le requérant était tenu d’informer les fonctionnaires de l’immigration de tout changement important survenu dans sa situation, qui était pertinent à la délivrance de son visa, tant à l’étape de la procédure d’obtention de l’admission au Canada qu’à son arrivée au Canada, particulièrement en ce qui concerne son état matrimonial. Le fait que le requérant n’était pas capable de comprendre le français ou l’anglais et qu’il ne pouvait communiquer dans l’une ou l’autre de ces langues ne le relève pas de son propre défaut de remplir l’obligation que la Loi sur l’immigration lui imposait.

(2) L’alinéa 27(1)e) ne viole pas l’article 7 de la Charte, qui garantit le droit de ne pas être privé de sa liberté si ce n’est en conformité avec les principes de justice fondamentale parce qu’il n’y a eu aucune violation des principe de justice fondamentale. L’alinéa 27(1)e) vise la situation de la personne qui entre au Canada en donnant une fausse indication au sujet de faits importants. Elle n’a pas d’objectif social plus large, elle ne vise pas à redresser publiquement un tort causé à la société, ni à maintenir l’ordre et le bien-être publics dans une sphère d’activités publique. Il n’y a pas non plus d’objectif public de dissuasion en jeu. Le requérant s’est tout simplement vu refuser un avantage ou un statut au motif qu’il l’avait irrégulièrement obtenu dans un premier temps. L’application du régime prévu par le législateur à l’article 7 pour le renvoi d’une personne du Canada au motif qu’elle a irrégulièrement obtenu le droit d’établissement, ne viole pas les principes de justice fondamentale. La proposition voulant que la personne qui cherche à bénéficier du régime prévu par la loi mais qui, pour une raison ou pour une autre, ne s’enquiert pas des exigences imposées par ce régime ou n’y satisfait pas, a droit à des concessions spéciales en vertu de ce régime ne fait pas partie des principes de justice fondamentale.

Les circonstances de la présente affaire ne permettent pas de conclure qu’un acte discriminatoire interdit par l’article 15 a été commis. L’ignorance de la loi et l’incapacité de converser dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada ne constituent pas une « déficience », et elles ne font pas partie des autres motifs énumérés de discrimination interdits et elles ne constituent pas non plus un motif de discrimination « analogue » visé par l’article 15. Le fait que le requérant est une personne qui ne parle ni le français ni l’anglais et qui a fait des études limitées sont des capacités personnelles, qui lui sont propres et qui ne sont pas des « caractéristiques personnelles immuables ». Et le requérant ne fait pas partie d’un groupe déterminé victime d’un « désavantage historique », et il n’appartient pas à une « minorité distincte et isolée » qui mérite la protection de l’article 15. Les distinctions fondées uniquement sur des caractéristiques particulières personnelles d’un individu qui n’est pas associé à un groupe historiquement défavorisé seront rarement qualifiées de discriminatoires.

Expulser en l’espèce le requérant ne constituerait pas un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la Charte. La question de savoir si l’expulsion porte atteinte à l’article 12 dépend de la situation particulière de la personne concernée. Rien n’est « exagérément disproportionné » au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine, eu égard à la situation particulière du requérant. Aucun élément de preuve ne montre qu’en expulsant le requérant au Bangladesh, on l’exposerait à un risque de persécution, de torture ou de mort. Renvoyer un individu du Canada au motif que les renseignements sur la foi desquels il a initialement obtenu le droit d’établissement n’étaient pas véridiques n’est pas « exagérément disproportionné » et ne constitue pas non plus une mesure excessive qui est incompatible avec la dignité humaine.

(3) L’alinéa 70(1)b) habilite la section d’appel à déterminer « eu égard aux circonstances particulières de l’espèce », si un résident permanent devrait être renvoyé du Canada. Lorsque ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi et sans être influencé par des considérations non pertinentes et qu’il n’est pas exercé de façon arbitraire ou illégale, la Cour n’a pas le droit d’intervenir, même si elle aurait pu exercer ce pouvoir discrétionnaire différemment si elle avait été à la place de la section d’appel. Au cours de l’audience devant la section d’appel, le requérant a formulé des observations au sujet des raisons d’ordre humanitaire qui, selon lui, justifiaient l’exercice par la section d’appel de sa compétence en equity. Toutefois, eu égard aux éléments de preuve portés à sa connaissance, le tribunal administratif a choisi de ne pas exercer sa compétence en equity relativement au renvoi en suspens du requérant. Les éléments de preuve qui étaient soumis à la section d’appel justifiaient raisonnablement cette conclusion.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 11, 12, 15.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1), 12(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 7), 19(2)d), 27(1)e),f), 32(2) (mod., idem, art. 21), 70(1)b), 94(1)i).

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 27(1)d)(i),e).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 12 (mod. par DORS/83-540, art. 2; 93-412, art. 8).

JURISPRUDENCE

DECISIONS APPLIQUEES :

D’Souza c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1983] 1 C.F. 343(C.A.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045; (1987), 40 D.L.R. (4th) 435; [1987] 5 W.W.R. 1; 15 B.C.L.R. (2d) 273; 34 C.C.C. (3d) 97; 58 C.R. (3d) 193; 31 C.R.R. 193; 75 N.R. 321; R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485; (1991), 11 W.A.C. 161; 61 B.C.L.R. (2d) 145; 5 B.C.A.C. 161; 67 C.C.C. (3d) 481; 8 C.R. (4th) 82; 7 C.R.R. (2d) 1; 31 M.V.R. (2d) 137; 131 N.R. 1; Boulis c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875; (1972), 26 D.L.R. (3d) 216.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345 (1990), 10 Imm. L.R. (2d) 274; 113 N.R. 1 (C.A.); Okwe c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 16 Imm. L.R. (2d) 126; 136 N.R. 261 (C.A.F.); Barrera c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 C.F. 3 (1992), 99 D.L.R. (4th) 264; 18 Imm. L.R. (2d) 81; 151 N.R. 28 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Hurd c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 594 (1988), 90 N.R. 31 (C.A.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161.

DÉCISIONS CITÉES :

Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850; (1973), 36 D.L.R. (3d) 522; Juayong c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 99 N.R. 78 (C.A.F.); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408 (1993), 103 D.L.R. (4th) 564; 155 N.R. 129 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hundal, [1995] 3 C.F. 32 (1995), 96 F.T.R. 306; 30 Imm. L.R. (2d) 52 (1re inst.); Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1507 (1re inst.) (QL); R. sur la dénonciation de Mark Caswell c. Corporation de la ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; (1978), 85 D.L.R. (3d) 161; 40 C.C.C. (2d) 353; 7 C.E.L.R. 53; 3 C.R. (3d) 30; 21 N.R. 295; R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; (1987), 45 D.L.R. (4th) 235; [1988] 1 W.W.R. 193; 61 Sask. R. 105; 37 C.C.C. (3d) 385; 60 C.R. (3d) 193; 81 N.R. 161; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; (1995), 124 D.L.R. (4th) 609; C.E.B. & P.G.R. 8216; 95 CLLC 210-025; 29 C.R.R. (2d) 79; 182 N.R. 161; 12 R.F.L. (4th) 201; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; (1995), 124 D.L.R. (4th) 693; 29 C.R.R. (2d) 189; [1995] I.L.R. 1-3185; 10 M.V.R. (3d) 151; 181 N.R. 253; 81 O.A.C. 253; 13 R.F.L. (4th) 1; Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627; (1995), 124 D.L.R. (4th) 449; 29 C.R.R. (2d) 1; [1995] 1 C.T.C. 382; 95 DTC 5273; 182 N.R. 1; 12 R.F.L. (4th) 1; Gittens (In re), [1983] 1 C.F. 152 (1982), 137 D.L.R. (3d) 687; 68 C.C.C. (2d) 438; 1 C.R.R. 346 (1re inst.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la section d’appel de la CISR confirmant la décision de l’arbitre que le requérant était entré au Canada « par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication sur un fait important » au sens de l’alinéa 27(1)e) de la Loi sur l’immigration lorsqu’il a omis de divulguer un changement dans son état matrimonial parce que, à cause de la non-connaissance de l’une ou l’autre des langues officielles, il ne savait pas qu’il devait le faire. Demande rejetée.

AVOCATS :

Emilio S. Binavince et Riri Shen pour le requérant.

Josephine A. L. Palumbo pour l’intimé.

PROCUREURS :

Binavince, Merner, Burton, Massie, Ottawa, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : La Cour statue sur une demande présentée en vue d’obtenir le contrôle judiciaire et l’annulation d’une décision en date du 6 décembre 1995 par laquelle la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la section d’appel) a confirmé la décision d’un arbitre. Celui-ci avait conclu que le requérant avait réussi à entrer au Canada « par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication sur un fait important » au sens de l’alinéa 27(1)e) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). En conséquence, une mesure d’expulsion du Canada a été prise contre le requérant en vertu du paragraphe 32(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 21] de la Loi.

Le requérant, qui est né le 8 novembre 1968, est un citoyen du Bangladesh. En 1990, le requérant a présenté, avec d’autres membres de sa famille, une demande de résidence permanente au Canada en tant que personne à la charge de son père. Ils ont reçu leur visa en juillet 1992 et, le 15 décembre 1992, le requérant est arrivé au Canada avec ses parents et cinq frères et sœurs. À son arrivée au Canada à l’aéroport de Mirabel de Montréal, le requérant et les membres de sa famille ont rencontré des fonctionnaires de l’immigration, à la suite de quoi ils ont obtenu la résidence permanente.

En novembre 1992, peu de temps avant de quitter le Bangladesh, le requérant s’est marié. Toutefois, à son arrivée au Canada, le requérant n’avait pas indiqué sur son visa d’immigration qu’il était marié et le document relatif à son droit d’établissement ne le précisait pas non plus. Il était plutôt indiqué qu’il était célibataire. Il n’a pas non plus avisé les fonctionnaires de l’immigration, à son arrivée, qu’il était marié.

Lorsque les fonctionnaires de l’immigration ont par la suite découvert le véritable état matrimonial du requérant, une enquête a eu lieu devant un arbitre, qui a conclu que le requérant avait obtenu le droit d’établissement par suite d’une « fausse indication sur un fait important » au sens de l’alinéa 27(1)e) de la Loi et qui a ordonné qu’il soit renvoyé du Canada. Cette décision a été confirmée par la section d’appel, et c’est cette décision que le requérant conteste maintenant par la présente demande de contrôle judiciaire.

Faits à l’origine du litige

Voici, en bref, les faits à l’origine du litige. Le requérant et les membres de sa famille sont originaires d’un village situé dans le Moyen Halshihahar (Chittagong), au Bangladesh. En septembre 1990, le requérant a présenté avec ses parents et ses cinq frères et sœurs une demande de résidence permanente au Canada qui devait être parrainée par son frère, un résident permanent qui vit à Ottawa. Suivant le requérant, à l’époque, ni lui ni aucun des membres de sa famille ne savait lire ou écrire le français ou l’anglais, et il n’était pas capable de remplir lui-même ses documents d’immigration. En conséquence, lui et les membres de sa famille ont dû s’en remettre à un certain Janghir Alaam, qui aurait été la seule personne du village de Mohammed qui était capable de lire et d’écrire en anglais, pour remplir au nom du requérant et des membres de sa famille la demande de résidence permanente et les documents d’immigration complémentaires.

La demande de résidence permanente est un formulaire de demande simple, dans lequel on demande au requérant de fournir des détails concernant notamment sa date de naissance, son état matrimonial, ses antécédents professionnels, ses études, le nom de son répondant et sa capacité de communiquer dans les deux langues officielles. Sur la première page du formulaire se trouve une explication de la marche à suivre. Au haut de cette page figure une case dans laquelle les instructions suivantes sont données au requérant :

AVANT DE REMPLIR LE PRÉSENT FORMULAIRE,

VEUILLEZ LIRE ATTENTIVEMENT LES

INSTRUCTIONS SUIVANTES, PUIS DÉTACHEZ

LA PRÉSENTE PAGE ET CONSERVEZ-LÀ

POUR VOS DOSSIERS.

Toutefois, malgré ces instructions, le requérant affirme que, bien qu’il ait rempli les documents en question pour le compte des membres de sa famille, M. Alaam n’a pas lu au requérant ou aux membres de sa famille les instructions qui accompagnaient la demande. Le requérant affirme en particulier que M. Alaam n’a jamais informé le requérant ou les membres de sa famille qu’il devait aviser les fonctionnaires canadiens de l’immigration de tout changement d’état matrimonial. Cette exigence est énoncée dans les termes les plus nets au quatrième paragraphe de la page d’instructions du formulaire de demande, qui est ainsi libellé :

4. Si des renseignements que vous avez fournis en réponse aux questions 9 [état matrimonial], 27 ou 31 doivent être modifiés avant votre départ pour le Canada, vous devez en informer le bureau canadien des visas chargé de votre demande et retarder votre départ tant que ce bureau ne vous a pas informé que vous pouvez toujours partir pour le Canada. [Mots non soulignés dans l’original.]

Le 4 décembre 1991, le requérant et les membres de sa famille ont été interrogés au haut-commissariat canadien à Dhaka, au Bangladesh. Le requérant déclare que, bien qu’un interprète fût présent, on ne l’a jamais interrogé au cours de l’entrevue au sujet de son état matrimonial et qu’on n’a jamais mentionné qu’il devait signaler tout changement d’état matrimonial aux fonctionnaires de l’immigration. Selon le requérant, les seules questions qui lui ont été posées concernaient son nom, son âge, sa profession et ses liens avec son répondant.

Le 30 juillet 1992, le requérant et les membres de sa famille ont reçu leur visa d’admission au Canada. Le 6 novembre 1992, environ cinq semaines avant son départ pour le Canada, le requérant a épousé Shilpi Meherun Nesa. Selon le requérant, ce mariage a été arrangé par son père à la fin d’octobre 1992, à peine une semaine avant la cérémonie. Malgré l’exigence susmentionnée qui figure sur sa demande de résidence permanente, le requérant n’a pas avisé les fonctionnaires de l’immigration de son changement d’état matrimonial avant de quitter le Bangladesh. Il déclare que la raison pour laquelle il ne l’a pas fait était qu’il ne savait pas qu’il devait le faire.

Le requérant et les membres de sa famille sont arrivés au Canada à l’aéroport de Mirabel de Montréal le 15 décembre 1992. À leur arrivée, ils ont dû se soumettre aux formalités d’immigration usuelles. Le père du requérant a été interrogé le premier, en tant que requérant principal, et a été suivi par tous les autres membres de la famille. Aucun interprète n’était présent et le requérant précise que, comme aucun des membres de sa famille ne pouvait lire ou écrire le français ou l’anglais, aucune entrevue n’a eu lieu à leur arrivée. Selon le requérant, l’agent d’immigration s’est plutôt contenté d’examiner le passeport de chacun des membres de sa famille et d’indiquer par des gestes à chacun de signer la fiche relative au droit d’établissement. Il déclare qu’il s’est alors contenté d’obéir à l’agent d’immigration, qui lui a fait signe de signer la fiche relative au droit d’établissement à l’endroit indiqué avant que l’agent ne remplisse lui-même le reste du document.

Il convient de signaler les questions nos 9 et 13 de la fiche relative au droit d’établissement. Ainsi, il est indiqué « célibataire » en réponse à la question no 9, celle relative à l’état matrimonial du requérant. À la question no 13, en réponse à la question de savoir si le requérant a des personnes à sa charge, la réponse « non » est encerclée. Cette fiche, qui porte la date du 15 décembre 1992, a été signée par le requérant. Après que l’agent d’immigration a terminé ces formalités, le requérant et les membres de sa famille ont obtenu le droit d’établissement au Canada.

Peu de temps après, le requérant a essayé de parrainer sa nouvelle femme afin qu’elle puisse venir au Canada. C’est alors que les fonctionnaires de l’immigration ont été mis au courant de son véritable état matrimonial. Par la suite, le 8 mars 1994, un agent d’immigration a rédigé un rapport dans lequel il alléguait que le requérant avait obtenu le droit d’établissement « par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication sur un fait important » au sens de l’alinéa 27(1)e) de la Loi, qui est ainsi libellé :

27. (1) L’agent d’immigration ou l’agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas :

e) a obtenu le droit d’établissement soit sur la foi d’un passeport, visa—ou autre document relatif à son admission—faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d’un tiers;

Le « fait important » au sujet duquel le requérant aurait donné une fausse indication est le fait qu’il était célibataire alors qu’il était, en fait, marié. Par suite de cette allégation, une directive prévoyant la tenue d’une enquête a été donnée le 18 août 1994.

Le 21 septembre 1994, une enquête s’est ouverte devant la Division de l’arbitrage de la CISR. L’arbitre a ordonné que le requérant soit renvoyé du Canada au motif qu’il relevait du cas visé à l’alinéa 27(1)e) de la Loi. L’arbitre a conclu que le requérant avait donné de fausses indications en signant une demande de résidence permanente qui l’obligeait à signaler à un agent des visas tout changement survenu dans son état matrimonial—ce qu’il n’a pas fait —, et en signant au point d’entrée le formulaire 1000 (la fiche relative au droit d’établissement) qui indiquait qu’il était célibataire alors qu’il était, en fait, marié. Dans sa décision, l’arbitre a notamment tenu les propos suivants :

[traduction] Votre avocat soutient que vous n’aviez pas l’intention d’induire l’Administration en erreur ou de lui faire de fausses déclarations ou de la frauder. Je reconnais que vous n’êtes pas une personne instruite et que vous n’êtes pas familier avec les règles et les procédures de l’immigration, mais j’estime que cela ne devrait pas vous excuser de ne pas vous conformer à la loi. Vous avez signé un document dans lequel vous certifiez que tous les renseignements qu’il contient sont vrais et exacts. Exciper de votre ignorance et de votre manque d’instruction créerait une norme différente de celle qui s’applique aux personnes instruites. Je ne veux toutefois pas laisser entendre que vos gestes étaient délibérés.

En conséquence, M. Mohammed, je conclus que vous relevez du cas visé à l’alinéa 27(1)e), étant donné que vous avez obtenu le droit d’établissement par suite d’une fausse indication que vous avez donnée sur un fait important. Je vous fournirai un exemplaire de l’ordonnance d’expulsion. Je tiens à vous signaler que, si vous êtes renvoyé du Canada, vous devez obtenir le consentement écrit du ministre de l’Immigration pour pouvoir revenir au Canada.

La mesure d’expulsion prise par l’arbitre contre le requérant a été prononcée en vertu du paragraphe 32(2) de la Loi, qui dispose :

32.

(2) S’il conclut que l’intéressé est un résident permanent se trouvant dans l’une des situations visées au paragraphe 27(1), l’arbitre, sous réserve des paragraphes (2.1) et 32.1(2), prend une mesure d’expulsion contre lui.

Le requérant a interjeté appel de la mesure de renvoi devant la section d’appel. Par sa décision du 6 décembre 1995, la section d’appel a rejeté l’appel et a confirmé la mesure de renvoi prise par l’arbitre.

Par la suite, le 21 décembre 1995, le requérant a présenté une demande de contrôle judiciaire. Les parties ont d’abord comparu devant moi le 8 octobre 1996, date à laquelle l’audience a été ajournée pour donner au requérant le temps de déposer et de signifier des avis de question constitutionnelle. L’audience a été reprise et complétée le 29 octobre 1996.

Thèse du requérant

Au soutien de sa thèse, le requérant invoque trois moyens pour affirmer que la section d’appel a commis une erreur : (1) en interprétant la Loi; (2) en appliquant la Loi d’une manière qui contrevient à la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]; (3) en tirant des conclusions de fait erronées.

Le moyen tiré de l’interprétation de la Loi qu’invoque l’avocat du requérant tourne autour de son argument selon lequel en confirmant la décision de l’arbitre, la section d’appel a commis une erreur de droit lorsqu’elle a interprété l’alinéa 27(1)e) de manière à inclure dans le champ d’application du passage « par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication » l’[traduction] « ignorance de bonne foi et irréprochable » du requérant, qui ne savait pas qu’il devait signaler tout changement survenu dans son état matrimonial. À cet égard, l’avocat du requérant soutient qu’une telle interprétation de l’alinéa 27(1)e) est incorrecte, étant donné que si l’on interprète bien cette disposition, les fausses indications données « de bonne foi » sont exclues de son champ d’application.

Le moyen tiré de la Charte qu’avance l’avocat du requérant est essentiellement que l’interprétation que la section d’appel a donné de l’alinéa 27(1)e) contreviendrait aux articles 7, 12 et 15 de la Charte.

Le dernier moyen que fait valoir le requérant est que la décision de la section d’appel est fondée sur une conclusion de fait erronée que la section d’appel a tirée de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments dont elle disposait. L’avocat du requérant soutient en particulier que le refus de la section d’appel d’exercer sa compétence en equity constitue une erreur qui justifie un contrôle judiciaire.

Chacun des moyens avancés par l’avocat du requérant est examiné à tour de rôle dans la suite des présents motifs, dans lesquels sont expliqués les raisons pour lesquelles une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire est maintenant prononcée.

1.         Interprétation de la Loi

Ayant attentivement examiné les moyens invoqués par les avocats au sujet de l’interprétation de la Loi et ayant tenu compte de la jurisprudence portant sur ce qui constitue une « fausse indication sur un fait important » au sens de l’alinéa 27(1)e) de la Loi, j’en viens à la conclusion que les arguments invoqués par l’avocat du requérant au sujet de ce premier moyen sont mal fondés. J’en arrive à cette conclusion tant en raison du libellé particulier de l’alinéa 27(1)e) qu’à la lumière de l’économie des dispositions de la Loi qui concernent la délivrance des visas et le droit d’établissement.

a)         Le libellé de l’alinéa 27(1)e)

L’avocat du requérant affirme que la section d’appel a commis une erreur de droit en confirmant la décision de l’arbitre qui, à son avis, est fondée sur une interprétation erronée du passage « par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication » que l’on trouve à l’alinéa 27(1)e) de la Loi. L’avocat du requérant fait reposer cet argument sur deux moyens. Il affirme en premier lieu que l’on devrait considérer que les mots anglais « fraudulent or improper » modifient à la fois le mot « means » et le mot « misrepresentation ». Il soutient en second lieu qu’une simple non-divulgation ne constitue pas une « fausse indication ». Il affirme que, parce qu’il ignorait de bonne foi qu’il était tenu de communiquer les renseignements en cause, le requérant était incapable de refuser activement de les divulguer et qu’il ne pouvait donc donner une « fausse indication » au sens de l’alinéa 27(1)e) de la Loi.

À mon avis, le libellé de l’alinéa 27(1)e) vise trois cas dans lesquels un agent d’immigration serait tenu de transmettre au sous-ministre un rapport écrit concernant un résident permanent à qui le droit d’établissement a été accordé. Il s’agit des cas dans lesquels un résident permanent a obtenu le droit d’établissement par l’un ou l’autre des trois moyens suivants : (i) sur la foi d’un passeport, visa—ou autre document relatif à son admission—faux ou obtenu frauduleusement; (ii) par des moyens frauduleux ou irréguliers; (iii) par suite d’une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d’un tiers.

Bien que je croie que le passage « même si ces moyens ou déclarations sont le fait d’un tiers » s’applique de toute évidence à la fois aux moyens et aux déclarations, je ne suis pas persuadé que les adjectifs « frauduleux et irréguliers » devraient être interprétés comme s’appliquant à la fois aux « moyens » et aux « fausses indications ». À mon avis, le libellé de l’alinéa 27(1)e) dans son ensemble ne justifie tout simplement pas une telle interprétation.

Tout d’abord, l’ajout du qualificatif « irrégulière » à l’expression « fausse indication » n’ajoute rien au sens de l’expression « fausse indication », s’il n’est pas en fait superflu. Mais ce qui est encore plus important, c’est qu’en accolant les qualificatifs « frauduleux et irréguliers », incorporant ainsi, comme le souligne l’avocat du requérant, une obligation d’une connaissance subjective de la fausse indication, on dépouillerait de son sens le dernier membre de phrase de l’alinéa 27(1)e), qui dispose : « même si ces moyens ou déclarations sont le fait d’un tiers ». En interprétant l’expression « fausse indication » contenue à l’alinéa 27(1)e) de manière à ne retenir que les fausses indications volontaires ou intentionnelles dont le requérant doit être subjectivement conscient, on restreindrait le dernier membre de phrase de telle sorte que la fausse indication donnée par une autre personne que le requérant et dont ce dernier ne serait pas au courant ne serait pas considérée comme une fausse indication au sens de l’alinéa 27(1)e) de la Loi.

À mon avis, l’interprétation avancée par l’avocat du requérant rend l’alinéa 27(1)e) non seulement contradictoire, mais y incorpore une obligation de mens rea ou d’intention illicite que le libellé non ambigu de la disposition ne justifie tout simplement pas. La jurisprudence de notre Cour ne justifie pas non plus une pareille interprétation, comme l’illustre bien l’arrêt D’Souza c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration[1].

Dans cette affaire, la mère et le fils avaient présenté une demande de résidence permanente au Canada. Le fils, en tant que personne à la charge de sa mère, avait présenté sa propre demande, qui ne comportait aucune erreur. Toutefois, la demande de sa mère contenait une fausse indication sur un fait important concernant le fils, qui n’était pas au courant de cette fausse indication. Le requérant a fait valoir l’argument de principe que, comme il n’avait pas donné de fausse indication et qu’il n’était pas au courant de celle que sa mère avait faite, l’alinéa 27(1)e) de la Loi [S.C. 1976-77, ch. 52] ne s’appliquait pas à lui. De fait, il faisait valoir que, compte tenu des conséquences graves que représentait l’expulsion dont il ferait l’objet si l’on concluait qu’il tombait sous le coup de l’alinéa 27(1)e), la disposition devait être interprétée comme étant inapplicable lorsque, au moment où il avait obtenu le droit d’entrer au Canada, il n’était subjectivement pas au courant qu’une fausse indication avait été donnée. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument et a jugé que, même si la preuve pouvait permettre de penser que le requérant n’était véritablement pas au courant de la fausse indication, le texte de l’alinéa 27(1)e) n’appuyait tout simplement pas l’interprétation suivant laquelle la disposition en question exigeait un élément de connaissance subjective. Sur cette question, la Cour a déclaré, sous la plume du juge en chef Thurlow :

Quoi qu’il en soit, pour adopter l’interprétation de la loi que propose l’appelant, il faudrait, à mon avis, trouver dans la loi d’autres termes qui restreignent son application aux situations où la personne concernée savait que la déclaration a été faite. Je ne crois pas que la Cour puisse ajouter ou insérer ces termes. À mon avis, s’il y a lieu de limiter l’application de la loi, c’est au Parlement qu’il appartient de le faire. Par conséquent, cet argument échoue[2].

Je rejette également l’argument connexe avancé par l’avocat du requérant, qui affirme que, pour qu’il y ait « fausse indication », il faut qu’il y ait une non-divulgation active. À mon avis, cette interprétation de l’expression est trop étroite. Je rejette cet argument pour les trois motifs suivants.

En premier lieu, cette définition crée à mon avis une fausse distinction, en ce sens que le silence lui-même peut également constituer un acte conscient de non-divulgation. On peut donner une fausse indication aussi facilement et efficacement en gardant le silence qu’en disant activement un mensonge. Si la définition proposée par l’avocat du requérant devait être retenue, jamais la personne qui a choisi de garder le silence plutôt que de déclarer un renseignement exact et pertinent ne pourrait être considérée comme ayant donné une fausse indication sur un fait important. De même, la personne qui refuse de répondre à une question et qui permet à la place qu’un renseignement qui n’est plus à jour ou qui est faux soit présenté comme étant exact ne pourrait jamais être considérée comme ayant donné une fausse indication sur un « fait important » au sens de l’alinéa 27(1)e).

J’estime en deuxième lieu qu’une telle interprétation n’est tout simplement pas appuyée par l’alinéa 27(1)e), qui, de par son libellé, englobe toute fausse indication, « même si [elle est] le fait d’un tiers ». Compte tenu du fait que la fausse indication visée par cet alinéa pourrait être donnée par « un tiers », comme dans l’affaire D’Souza , je ne vois pas comment on pourrait interpréter cette disposition de manière à en restreindre l’application aux seuls cas de non-divulgation active de la part du requérant.

Troisièmement, l’interprétation soutenue par l’avocat du requérant, qui affirme que la fausse indication doit être donnée « sciemment » ou « délibérément » par le requérant, exige que l’on interpole dans la Loi des mots que le législateur n’a pas exprimés. À mon avis, l’absence de tels mots permet d’inférer que le législateur a délibérément exclu une telle condition. Si le législateur avait voulu incorporer une mens rea ou un élément d’intention subjective à l’alinéa 27(1)e), il l’aurait vraisemblablement fait. De cette façon, on peut utilement mettre en contraste l’alinéa 27(1)e) avec d’autres dispositions de la Loi, comme celles que l’on trouve à l’article 94, qui énumère certaines infractions précises à la Loi, et qui prévoit explicitement la mens rea ou une connaissance subjective, à titre d’élément requis de la disposition[3]. D’ailleurs, même à l’article 27 lui-même, l’alinéa 27(1)f) déclare que l’agent d’immigration remet au sous-ministre un rapport écrit concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci :

27. (1) …

f) manque délibérément à son obligation de subvenir à ses besoins ou à ceux d’une personne à charge—membre de sa famille—au Canada,

À l’appui de l’argument que l’alinéa 27(1)e) exige la mens rea ou une intention subjective pour qu’il y ait « fausse indication sur un fait important », l’avocat du requérant cite l’arrêt Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[4]. Selon l’avocat du requérant, l’arrêt Medel appuie la proposition que, pour qu’il y ait « fausse indication » au sens de l’alinéa 27(1)e), la fausse indication doit être donnée « sciemment ». À mon avis, on peut établir une distinction entre l’affaire Medel et l’espèce.

Dans l’affaire Medel, l’appelante, une résidente du Honduras, avait demandé de venir au Canada grâce au parrainage de son mari, qui était citoyen canadien. Elle a obtenu un visa, mais avant son départ, son mari a retiré son parrainage sans l’en informer. L’ambassade canadienne à Guatemala savait que le parrainage avait été retiré, mais elle n’en a pas informé l’appelante. Elle lui a plutôt demandé de lui rendre son visa pour corriger une « erreur ». Estimant que son visa ne contenait en fait pas d’erreur, l’appelante n’a pas rendu son visa et s’en est plutôt servi pour entrer au Canada. À son arrivée au Canada, comme elle ne parlait qu’espagnol et qu’il n’y avait pas d’interprète, l’appelante n’a pas révélé à l’agent d’immigration que l’ambassade lui avait demandé de lui rendre son visa. Une enquête a par la suite été ouverte. Au terme de cette enquête, un arbitre a conclu que l’appelante ne relevait pas du cas visé à l’alinéa 27(1)e). Cette conclusion a toutefois été infirmée par la Commission d’appel de l’immigration et une mesure d’expulsion avec sursis a été prise. L’appelante a interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale, qui a annulé la décision de la Commission au motif que l’appelante n’avait pas obtenu le droit d’établissement par des « moyens frauduleux ou irréguliers », étant donné qu’elle « croyait raisonnablement » qu’elle ne cachait pas de renseignements pertinents à son admission.

À mon avis, il semble que, dans l’arrêt Medel, la conclusion suivant laquelle l’appelante n’avait pas obtenu le droit d’établissement par des moyens frauduleux ou irréguliers reposait sur deux motifs : (1) les renseignements que l’appelante n’avait pas divulgués n’étaient pas « importants », en ce sens que ce n’était pas « par suite » des renseignements qu’elle n’avait pas communiqués que l’appelante avait obtenu le droit d’établissement; (2) le renseignement important, à savoir que son mari avait retiré son parrainage, était non seulement un renseignement dont l’appelante n’était subjectivement pas au courant, mais également un renseignement au sujet duquel elle avait été induite en erreur ou du moins n’avait pas été mise au courant par l’ambassade du Canada. Compte tenu de ces faits, la Cour a conclu que l’appelante « était subjectivement inconsciente de cacher quelque chose » et qu’il était en conséquence objectivement raisonnable pour la requérante de croire « qu’à la frontière elle ne cachait rien d’important pour son admission »[5].

On peut établir une distinction entre la présente situation et l’affaire Medel pour les deux motifs suivants. Dans l’affaire Medel, la fausse indication ou la non-divulgation en question portait sur le fait que l’appelante n’avait pas déclaré de son plein gré à l’agent d’immigration que l’ambassade de Guatemala lui avait demandé de lui rendre son visa à cause d’une « erreur ». Le juge MacGuigan, J.C.A., a déclaré que ce renseignement n’était pas « important » en ce sens que ce n’était pas un renseignement qui, comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration c. Brooks[6] avait eu une « influence puissante » sur la question de savoir si l’appelante avait obtenu ou non le droit d’établissement. Se concentrant sur la question de l’« importance » ou de la pertinence des « moyens frauduleux ou irréguliers » par lesquels un requérant obtient le droit d’établissement, le juge MacGuigan a déclaré ce qui suit :

Il est constant que ceux qui cherchent à immigrer ont « l’obligation absolue d’être sincères » à l’égard de tous les faits importants dénotant une nouvelle situation depuis la délivrance du visa d’entrée, obligation reconnue par cette Cour dans l’arrêt Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Gudino, [1982] 2 C.F. 40(motifs du juge Heald). La question consiste à savoir ce que requiert l’obligation d’être sincère dans des circonstances comme celles de l’espèce.

… à mon sens la véritable question en l’espèce porte plutôt sur la pertinence des moyens, appréciés de façon raisonnable et objective. La Cour dans l’arrêt Brooks n’a donné aucune réponse définitive à la question de l’importance des faits, mais celle-ci faisait parfaitement l’objet de son examen, particulièrement en ce qui concerne les mots précisément à l’étude en l’espèce (motifs du juge Laskin, aux pages 870 et 871).

À mon avis, si l’importance de faits à l’égard desquels aucune question n’est posée est pertinente en ce qui concerne le sous-al. (viii) de l’al. e) du par. (1) de l’art. 19, ce serait en vertu des mots « des moyens frauduleux ou irréguliers ». Le sens de cette expression est assez large pour comprendre l’omission de révéler des faits qui seraient importants quant à l’admission ou à la non-admission s’ils étaient connus .

… le sous-al. (viii) de l’al. e) du par. (1) de l’art. 19 … prescrit toutefois que, quand les procédures d’expulsion prises contre un immigrant reçu antérieurement sont fondées sur un renseignement faux ou trompeur, il faut démontrer que c’est par suite d’un renseignement de cette nature qu’il est entré au Canada ou qu’il y est demeuré. L’expression « par suite de » implique plus que le simple fait de donner un renseignement faux ou trompeur; elle connote la puissance d’incitation du renseignement; c’est pourquoi je suis d’accord avec la Commission d’appel de l’immigration qu’elle introduit l’élément de caractère important. À mon avis, c’est sur cette base qu’une réponse non réfléchie ou donnée par inadvertance doit être considérée quant à ses conséquences; et c’est à ce point de vue et non comme comportant un élément de mens rea (comme l’a déclaré la Commission) que l’attestation contenue dans les documents d’admission en question, à savoir, « les réponses … sont vraies … au mieux de ma connaissance » a de l’importance aux fins du sous-al. (viii) de l’al. e) du par. (1) de l’art. 19[7]. [Non souligné dans l’original.]

Sur le fondement de cette interprétation de l’« importance » des renseignements non divulgués, le juge d’appel MacGuigan a conclu que le renseignement qui n’avait pas été communiqué—à savoir que l’ambassade de Guatemala lui avait demandé de rendre son visa et qu’elle n’avait pas fait voir le télégramme que l’ambassade lui avait adressé—n’était pas « important », en ce sens qu’« il aurait pu ne susciter alors aucun examen plus poussé »[8].

En outre, le juge MacGuigan a conclu que, de toute évidence, l’appelante « était subjectivement inconsciente de cacher quelque chose ». Elle ignorait que son mari avait retiré son parrainage, mais a plutôt été amenée à croire par l’ambassade qu’il était nécessaire de faire une correction pour lui permettre d’utiliser son visa. La Cour a fait remarquer à cet égard que l’appelante en avait été « raisonnablement incitée à déduire que son admission ne posait toujours aucun problème»[9].

À mon avis, le principe qui se dégage des propos précités formulés par le juge MacGuigan dans l’arrêt Medel est que l’obligation de franchise qui est imposée au requérant dépend de l’importance des renseignements non divulgués. Il est de jurisprudence constante qu’un changement d’état matrimonial constitue un "fait important » au sens de l’alinéa 27(1)e) de la Loi, dans la mesure où, ainsi qu’il a été déclaré dans l’arrêt Brooks [à la page 873], la non-divulgation de ce fait peut raisonnablement avoir « pour effet d’exclure ou d’écarter d’autres enquêtes »[10]. Dans le cas qui nous occupe, le renseignement que le requérant n’a pas divulgué, son changement d’état matrimonial, constituait de toute évidence un renseignement "important », étant donné que ce fait aurait potentiellement une influence directe ou puissante sur la question de savoir s’il obtiendrait le droit d’établissement au Canada.

On peut également établir une distinction entre les faits de la présente espèce et ceux de l’affaire Medel, au motif que le renseignement que le requérant n’a pas communiqué n’était pas un renseignement dont il n’était véritablement et subjectivement pas au courant. En l’espèce, le requérant savait bien qu’il était marié. Et il ne s’agissait pas, comme dans l’affaire Medel, d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté. Il ne s’agissait pas d’un renseignement qu’on lui avait dissimulé ou au sujet duquel il avait été induit en erreur par les fonctionnaires de l’ambassade. La présumée ignorance du requérant en ce qui concerne l’obligation de signaler un tel changement important survenu dans son état matrimonial et son incapacité de communiquer ce renseignement à son arrivée à un agent d’immigration ne constituent pas, selon moi, une « ignorance subjective » de renseignements importants au sens de l’arrêt Medel.

Pour ces motifs, je rejette les arguments tirés de l’interprétation législative qu’a fait valoir le requérant. Ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, je rejette ces arguments, non seulement en raison du libellé de la disposition dont j’ai déjà parlé, mais aussi en raison du fait que l’interprétation du requérant n’est pas compatible avec l’économie des dispositions de la Loi qui concernent les visas et le droit d’établissement. Je passe maintenant à l’examen de l’économie de la Loi.

b)         L’économie des dispositions de la Loi qui concernent les visas et le droit d’établissement

La procédure prévue par la Loi pour obtenir l’entrée au Canada est une procédure d’approbation à deux étapes qui suppose : (1) une évaluation initiale à l’étranger par un agent des visas qui détermine s’il y a lieu de délivrer un visa au requérant; (2) une fois que le visa est délivré, un interrogatoire par un agent d’immigration au point d’entrée et la décision de cet agent sur la question de savoir s’il y a lieu d’accorder le droit d’établissement au requérant[11]. Dans la Loi, la charge de convaincre l’agent des visas et, par la suite, l’agent d’immigration, que les conditions de la Loi et des règlements sont respectées repose de toute évidence sur le requérant.

L’article 9 [mod. par L.C. 1992, ch 49, art. 4] de la Loi porte sur les conditions qui régissent les demandes de visa. Le paragraphe 9(1) oblige tout immigrant à demander un visa avant de se présenter à un point d’entrée. Le paragraphe 9(2) prévoit qu’avant qu’un visa puisse être délivré, le cas du requérant est apprécié par un agent des visas qui détermine s’il convient d’accorder le droit d’établissement au requérant. Le paragraphe 9(3), qui oblige la personne qui demande un visa à répondre franchement à toutes les questions qui lui sont posées avant que le visa puisse lui être délivré, est ainsi libellé :

9.

(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l’agent des visas et produire toutes les pièces qu’exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

Ce n’est que lorsque l’agent des visas est convaincu que l’admission du requérant ne contreviendrait pas à la Loi ni à ses règlements que le paragraphe 9(4) prévoit que peut être délivré au requérant un visa attestant qu’il satisfait aux exigences de l’admission au Canada.

En l’espèce, en demandant la résidence permanente, le requérant était assujetti à l’obligation positive d’informer les fonctionnaires de l’ambassade canadienne de tout changement de situation pertinent à la délivrance de son visa. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, cette obligation était clairement indiquée au quatrième paragraphe de la première page de la demande de résidence permanente du requérant :

4.    Si des renseignements que vous avez fournis en réponse aux questions 9 [état matrimonial], 27 ou 31 doivent être modifiés avant votre départ pour le Canada, vous devez en informer le bureau canadien des visas chargé de votre demande et retarder votre départ tant que ce bureau ne vous a pas informé que vous pouvez toujours partir pour le Canada.

Une fois qu’un visa a été délivré, l’immigrant est alors en mesure de se présenter devant un agent d’immigration à un point d’entrée. C’est à ce moment-là qu’un second interrogatoire a lieu, cette fois-ci par un agent d’immigration, qui est chargé encore une fois de déterminer si l’intéressé satisfait toujours aux exigences de la Loi et de ses règlements au moment où il cherche à entrer au Canada. Le paragraphe 12(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 7] de la Loi dispose :

12. (1) Sous réserve des règlements, quiconque cherche à entrer au Canada est tenu de se présenter devant un agent d’immigration à un point d’entrée ou à tout autre lieu désigné par l’agent principal en vue de l’interrogatoire visant à déterminer s’il est autorisé à entrer au Canada ou s’il peut y être admis.

L’article 12 du Règlement [Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172 (mod. par DORS/83-540, art. 2; 93-412, art. 8)] impose au titulaire d’un visa l’obligation de divulguer à l’agent d’immigration, au point d’entrée, tous les faits influant sur la délivrance de son visa qui ont changé depuis que le visa a été délivré ou qui n’ont pas été révélés au moment où le visa a été délivré. L’article 12 porte :

12. Un immigrant à qui un visa a été délivré et qui se présente pour examen devant un agent d’immigration à un point d’entrée, conformément au paragraphe 12(1) de la Loi, doit

a) si son état matrimonial a changé depuis la délivrance du visa, ou

b) si des faits influant sur la délivrance du visa ont changé depuis que le visa a été délivré ou n’ont pas été révélés au moment où le visa a été délivré,

établir

c) que lui-même et les personnes à sa charge …

satisfont, au moment de l’examen, aux exigences de la Loi, du présent règlement [et d’autres règlements], y compris les exigences relatives à la délivrance du visa.

En l’espèce, le requérant était de toute évidence tenu, aux termes de l’alinéa 12a) du Règlement, de divulguer à l’agent d’immigration, à son arrivée au Canada, que son état matrimonial avait changé depuis la date de la délivrance de son visa au Bangladesh. Ainsi que le juge MacGuigan l’a fait remarquer dans l’arrêt Medel, en pareil cas, le requérant a une « obligation absolue d’être sincère » qui l’oblige à divulguer aux fonctionnaires de l’immigration tous les faits importants dénotant une nouvelle situation depuis la délivrance de son visa.

À mon avis, l’argument du requérant aurait pour effet de déplacer du requérant aux fonctionnaires de l’immigration le fardeau de la divulgation et de l’obligation de satisfaire aux exigences prescrites par la loi pour obtenir le droit d’établissement. La Loi et ses règlements sont, à mon avis, clairs. Une personne n’a pas le droit d’entrer au Canada du simple fait qu’elle possède un visa d’immigrant. Elle ne peut être admise au Canada que si, au moment de son entrée, elle satisfait aux conditions et aux exigences de la Loi et de ses règlements, et la charge de cette preuve lui incombe. L’alinéa 19(2)d) de la Loi dispose :

19.

(2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui :

d) soit ne se conforment pas aux conditions prévues à la présente loi et à ses règlements ou aux mesures ou instructions qui en procèdent, soit ne peuvent le faire.

En l’espèce, le requérant était tenu d’informer les fonctionnaires de l’immigration de toute nouvelle situation qui était pertinente à la délivrance de son visa. Il était assujetti à cette obligation aux deux étapes de la procédure d’obtention de l’admission au Canada. Il devait informer les agents des visas avant de quitter le Bangladesh, de même que le fonctionnaire de l’immigration, à son arrivée au Canada, de tout changement important survenu dans sa situation depuis la délivrance de son visa, particulièrement en ce qui concerne son état matrimonial. En tant que requérant, il était tenu de satisfaire aux exigences de la procédure dont il cherchait à se prévaloir.

À mon avis, le fait que le requérant n’était pas capable de comprendre le français ou l’anglais et qu’il ne pouvait communiquer dans l’une ou l’autre de ces langues, bien que regrettable, ne le relève pas de ce qui constitue, en fin de compte, son propre défaut de remplir l’obligation que la Loi sur l’immigration lui imposait. Le requérant n’a pas respecté l’obligation qui lui était faite d’aviser les fonctionnaires de son changement d’état matrimonial avant de quitter le Bangladesh et à son arrivée au Canada.

Au Canada, les immigrants éventuels peuvent se présenter à un point d’entrée munis d’un visa sans pouvoir communiquer dans d’autres langues que leur langue maternelle et avec des connaissances limitées, voire inexistantes, des langues officielles du Canada. À mon avis, imposer aux fonctionnaires de l’immigration l’obligation de vérifier chaque élément d’information pertinent de chaque requérant en recourant au besoin aux services d’interprètes imposerait un fardeau trop lourd à l’État et ferait jouer aux fonctionnaires de l’immigration le rôle d’enquêteurs.

L’obligation de satisfaire aux exigences prescrites par la Loi et ses règlements en ce qui concerne l’obtention de l’admission au Canada incombe de toute évidence à la personne qui cherche à être admise au Canada. Cette obligation oblige le requérant à divulguer avec franchise tous les renseignements pertinents qui sont pertinents à la délivrance de son visa, ainsi que tous les changements importants relatifs à ces renseignements. Le requérant était assujetti à cette obligation au moment où il a rempli sa demande de résidence permanente et y était toujours soumis au moment de son arrivée au Canada.

2.         Moyens tirés de la Charte

Le deuxième moyen que le requérant invoque à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire est que l’interprétation que l’arbitre a, avec l’appui de la section d’appel, donné de l’alinéa 27(1)e), viole les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). En particulier, le requérant allègue que l’interprétation que l’arbitre a retenue en interpolant les mots « erreur irréprochable commise de bonne foi » à l’alinéa 27(1)e) invalide la disposition parce qu’elle contrevient aux articles 7, 12 et 15 de la Charte. À mon avis, pour les motifs qui suivent, l’avocat du requérant n’a pas établi, eu égard aux circonstances de la présente affaire, qu’il en résulterait une violation des articles 7, 12 et 15 de la Charte.

a)         L’article 7

Le requérant soutient qu’en interprétant l’alinéa 27(1)e) comme une infraction de « responsabilité absolue », on viole l’article 7 de la Charte et qu’en le renvoyant du Canada en raison de son « erreur irréprochable commise de bonne foi », on porte atteinte à la liberté et à la sécurité de sa personne d’une manière qui n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale. Plus particulièrement, l’avocat du requérant soutient qu’en refusant d’accorder au requérant la possibilité d’éviter les graves conséquences d’un renvoi, on porte atteinte aux principes de justice fondamentale et à l’article 7 de la Charte, compte tenu des efforts que le requérant a faits pour se conformer à la loi et eu égard au fait que la « fausse indication » en question découle d’une ignorance de bonne foi.

Je rejette l’argument de l’avocat du requérant selon lequel les droits que ce dernier tient de l’article 7 de la Charte ont été violés. À mon avis, l’article 7 n’est pas en cause en l’espèce, étant donné qu’il n’y a eu aucune violation des principe de justice fondamentale en l’espèce. Contrairement à ce que l’argument de l’avocat laisse entendre, le requérant n’a pas été accusé d’une infraction pénale ou d’un manquement aux lois ou aux règlements. Il n’y a, selon moi, aucune infraction « de responsabilité absolue » en cause en l’espèce. Il n’y a pas lieu non plus de procéder à une analyse fondée sur la « diligence raisonnable », comme l’argument de l’avocat permettrait de le faire.

À mon avis, dans le contexte de l’alinéa 27(1)e), l’expulsion ne comporte aucune des caractéristiques que l’on associe généralement aux infractions pénales ou aux manquements aux lois ou aux règlements. La disposition vise la situation de la personne qui entre au Canada en donnant une fausse indication au sujet de faits importants. Elle n’a pas d’objectif social plus large, elle ne vise pas à redresser publiquement un tort causé à la société, ni à maintenir l’ordre et le bien-être publics dans une sphère d’activités publique. Il n’y a pas non plus d’objectif public de dissuasion en jeu[12]. Le requérant s’est tout simplement vu refuser un avantage ou un statut au motif qu’il l’avait irrégulièrement obtenu dans un premier temps. De cette manière, l’alinéa 27(1)e) vise à réglementer une conduite dans une sphère d’activités limitée conformément aux intentions du législateur.

La Cour d’appel fédérale a examiné le caractère non pénal que revêt l’expulsion dans ces circonstances dans l’arrêt Hurd c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[13], dans lequel le juge MacGuigan, J.C.A., a déclaré ce qui suit en réponse à la question de savoir si l’expulsion prévue au paragraphe 27(1) de la Loi constitue une « infraction » au sens de l’article 11 de la Charte :

Il ressort de cette jurisprudence qu’une procédure d’expulsion ne devrait pas être considérée comme relevant de l’alinéa 11h) de la Charte … La procédure d’expulsion ne vise pas une fin sociale, mais elle vise seulement à faire partir du Canada un indésirable. Il s’agit d’un moyen afin de dissuader une personne, et non pas la société … On ne peut pas supposer que l’expulsion d’une personne vers son pays d’origine constitue une véritable conséquence pénale. Cela peut, dans certaines circonstances, équivaloir à un grave inconvénient personnel mais non pas au genre d’inconvénients plus que purement personnels que vise l’alinéa 11h) de la Charte. L’expulsion ressemble plutôt à la perte d’un permis ou au renvoi d’un corps policier ou au retrait du droit d’exercer une profession.

Le caractère non criminel de l’expulsion représentait en fait la question même qu’a tranchée la Cour suprême dans le renvoi Reference as to the effect of the Exercise by His Excellency the Governor General of the Royal Prerogative of Mercy upon Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269, à la page 278, lorsque l’article 40 de la Loi sur l’immigration (S.R.C. 1927, chap. 93) était en vigueur avant l’adoption du paragraphe 27(1) de la Loi actuelle et les articles 42 et 43 avant celle du paragraphe 32(2).

En demandant la résidence permanente, le requérant cherchait à obtenir un avantage qui l’obligeait à respecter les dispositions et les conditions de la Loi. Or, il n’a pas respecté les obligations en question en donnant une fausse indication sur un fait important pour l’obtention de cet avantage, lequel a été, en un certain sens, accordé conditionnellement et a été retiré pour cause de fausse indication. C’est un principe bien établi que les non-citoyens n’ont pas un droit illimité d’entrer au Canada et d’y demeurer. Les raisons pour lesquelles un immigrant qui a obtenu le droit d’établissement peut être expulsé du Canada au motif qu’il a obtenu irrégulièrement le droit d’établissement ont été énoncés par le législateur à l’article 27 de la Loi. Ainsi, à l’alinéa 27(1)e), le législateur a notamment prévu l’expulsion de la personne qui « a obtenu le droit d’établissement … soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d’un tiers ». C’est le régime que le législateur a adopté et j’estime que le fait d’appliquer ce régime dans le cas qui nous occupe ne viole pas les principes de justice fondamentale. Ainsi que le juge Sopinka l’a déclaré dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[14] :

Le Parlement a donc le droit d’adopter une politique en matière d’immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu’il leur soit permis d’entrer au Canada et d’y demeurer. C’est ce qu’il a fait dans la Loi sur l’immigration … La nature limitée du droit des non-citoyens d’entrer au Canada et d’y demeurer se dégage nettement de l’art. 4 de la Loi. Suivant le par. 4(2), les résidents permanents ont le droit de demeurer au Canada, sauf s’ils relèvent d’une des catégories énumérées au par. 27(1).

La proposition voulant que la personne qui cherche à bénéficier du régime prévu par la loi mais qui, pour une raison ou pour une autre, ne s’enquiert pas des exigences imposées par ce régime ou n’y satisfait pas, a droit à une protection ou à des concessions spéciales en vertu de ce régime ne fait pas partie des principes de justice fondamentale. À mon avis, eu égard aux circonstances de la présente affaire, l’alinéa 27(1)e), tel qu’il a été interprété par la section d’appel, ne viole par l’article 7 de la Charte.

b)         L’article 15

L’avocat du requérant maintient également que, tel qu’il a été interprété par la section d’appel, l’alinéa 27(1)e) viole le paragraphe 15(1) de la Charte, parce qu’il établit une discrimination à l’égard des illettrés et des gens qui sont peu instruits. L’avocat du requérant affirme que cette interprétation crée une discrimination à l’égard du requérant en raison de son ignorance et de son incapacité de parler le français et l’anglais, et que, selon l’avocat du requérant, cette ignorance et cette incapacité sont des facteurs qui constituent une « déficience » au sens des motifs de discrimination interdits par l’article 15 de la Charte. L’avocat du requérant affirme qu’en ne mettant pas d’interprète à sa disposition à son arrivée au Canada, les agents d’immigration ont traité le requérant d’une façon discriminatoire en le traitant d’une manière différente ou inégale sur le fondement de sa « déficience ».

À mon avis, ce moyen, par lequel l’avocat du requérant prétend que les droits garantis au requérant par l’article 15 de la Charte ont été violés, est mal fondé. L’ignorance de la loi et l’incapacité de converser dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada ne constituent pas, à mon avis, une « déficience », et elles ne font pas partie des autres motifs énumérés de discrimination interdits par l’article 15 de la Charte.

Elles ne constituent pas non plus un motif de discrimination « analogue » visé par l’article 15 de la Charte. Le requérant est une personne qui ne parle ni le français ni l’anglais et qui a fait des études limitées dans son pays d’origine, le Bangladesh. Ces capacités personnelles, qui lui sont propres, ne sont pas, à mon avis, des « caractéristiques personnelles immuables », et le requérant ne fait pas partie d’un groupe déterminé victime d’un « désavantage historique » et il n’appartient pas à une « minorité distincte et isolée » qui mérite la protection de l’article 15[15]. Ainsi que le juge McIntyre l’a fait remarquer dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia[16], les distinctions fondées uniquement sur des caractéristiques particulières personnelles d’un individu qui n’est pas associé à un groupe historiquement défavorisé seront rarement qualifiées de discriminatoires :

Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement[17].

À mon avis, interpréter les dispositions de la Loi relatives aux visas et au droit d’établissement de la manière proposée par l’avocat du requérant imposerait aux fonctionnaires de l’immigration et à l’Administration fédérale l’obligation légale de mettre dès leur arrivée à la disposition de chaque requérant qui n’est pas au courant des exigences de la Loi et qui ne parle ni français ni anglais, un interprète et un avocat qui parlent leur langue maternelle. Bien qu’il soit malheureux que le requérant n’ait pas pu, à son arrivée, communiquer dans d’autres langues que la sienne, la prestation de services dans les deux langues officielles du Canada par des employés du gouvernement fédéral n’est pas un acte discriminatoire. À mon avis, les circonstances de la présente affaire ne permettent pas de conclure qu’un acte discriminatoire interdit par l’article 15 de la Charte a été commis.

c)         L’article 12

Le requérant soutient en outre que, dans les circonstances, expulser le requérant au Bangladesh en raison d’une erreur commise de bonne foi constituerait un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la Charte.

Bien que la Cour d’appel fédérale ait statué que l’expulsion ne constitue pas en soi un traitement cruel et inusité[18], dans des décisions subséquentes, les tribunaux ont laissé entendre que, eu égard aux circonstances d’une affaire déterminée, l’expulsion pouvait constituer un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la Charte. À l’appui de son argument que l’expulsion constitue effectivement un « traitement » au sens de l’article 12 de la Charte, l’avocat du requérant cite deux décisions : l’arrêt Chiarelli, précité, et l’arrêt Barrera c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[19].

L’arrêt de principe en ce qui concerne ce qui constitue une peine cruelle et inusitée au sens de l’article 12 de la Charte est l’arrêt R. c. Smith (Edward Dewey)[20], dans lequel le juge Lamer (tel était alors son titre), déclare ce qui suit :

Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l’art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes utilisés par le juge en chef Laskin à la p. 688 de l’arrêt Miller et Cockriell, précité, à se demander « si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine." En d’autres termes, bien que l’État puisse infliger une peine, l’effet de cette peine ne doit pas être exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié.

Ce critère de la "disproportion exagérée » a par la suite été interprété par la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Gonthier, dans l’arrêt R. c. Goltz[21]. La Cour a statué que ce critère impliquait que l’on soupèse « la gravité de l’infraction en elle-même d’une part et les circonstances particulières de cette infraction et les caractéristiques personnelles du contrevenant d’autre part ».

À mon avis, expulser en l’espèce le requérant ne constituerait pas un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la Charte. À mon avis, la situation particulière de la personne concernée constitue un élément clé qui permet de déterminer si l’expulsion porte atteinte à l’article 12. En l’espèce, je ne trouve rien qui soit « exagérément disproportionné » au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine, eu égard à la situation particulière du requérant.

Bien qu’elles soient utiles, les décisions citées par l’avocat du requérant ne sont pas analogues à l’affaire qui m’est soumise. Dans l’arrêt Chiarelli, après avoir conclu que l’expulsion d’un résident permanent en vertu du sous-alinéa 27(1)d)(ii) de la Loi n’était pas cruelle et inusitée, le juge Sopinka a volontairement laissé en suspens la question de savoir si l’expulsion constituait un « traitement » au sens de l’article 12 de la Charte. L’affaire Barrera, dans laquelle la Cour a également refusé de répondre à cette question, portait sur l’expulsion d’un réfugié qui avait été reconnu coupable d’infractions criminelles très graves. Toutefois, dans cette affaire, il avait déjà été reconnu que le requérant, un réfugié, « craignait avec raison d’être persécuté » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi. La Cour a fait remarquer qu’en conséquence de ce statut [aux pages 19 et 20], « il y a une possibilité sérieuse que cette personne, si elle est renvoyée, soit injustement emprisonnée et même qu’elle soit torturée et tuée ». Dans ces conditions, compte tenu des conséquences de l’expulsion sur le requérant, la Cour a, dans l’arrêt Barrera, jugé, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, que l’article 12 de la Charte s’appliquait.

À mon avis, les droits garantis au requérant par l’article 12 n’ont pas été violés en l’espèce. Dans le cas qui nous occupe, le requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention. Il n’a pas été reconnu qu’en l’expulsant au Bangladesh, on exposerait le requérant à un risque de persécution, de torture ou de mort, et aucun élément de preuve n’a été présenté en ce sens. Bien que le renvoi du requérant soit sans doute difficile et contrariant pour lui parce qu’il sera séparé de sa famille et qu’il devra faire face à l’incertitude, le renvoyer du Canada au motif que les renseignements sur la foi desquels il a initialement obtenu le droit d’établissement n’étaient pas véridiques n’est pas, à mon avis, « exagérément disproportionné », et ne constitue pas non plus une mesure excessive qui est incompatible avec la dignité humaine.

3.         Raisons d’ordre humanitaire

Le troisième et dernier moyen qu’invoque le requérant au soutien de sa demande de contrôle judiciaire est qu’en refusant ou en faisant défaut d’exercer sa compétence en equity, la section d’appel a tiré une conclusion de fait erronée d’une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. L’avocat du requérant soutient que la section d’appel disposait d’amplement d’éléments de preuve pour être obligée d’exercer sa compétence en equity, et que son défaut de le faire constitue une erreur justifiant un contrôle judiciaire. Sur ce dernier point, l’avocat invoque l’arrêt Okwe c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[22], dans lequel la Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) de ne pas exercer sa compétence en equity au motif qu’elle avait commis une erreur en tirant des inférences négatives sur le fondement d’une appréciation incorrecte des éléments de preuve qui lui étaient soumis et en se fondant sur ces inférences négatives pour justifier sa décision.

À mon avis, à la différence de l’affaire Okwe, précitée, il n’y a pas en l’espèce d’éléments de preuve qui permettent de penser que la section d’appel n’a tenu aucun compte d’éléments de preuve pertinents à la question de savoir si elle devait ou non exercer sa compétence en equity. La section d’appel ne s’est pas non plus fondée sur des éléments de preuve incomplets pour décider si elle devait ou non exercer sa compétence en equity.

Le pouvoir discrétionnaire étendu qui est conféré à la section d’appel en ce qui concerne sa compétence en equity est prévu à l’alinéa 70(1)b) de la Loi, qui habilite la section d’appel à déterminer « eu égard aux circonstances particulières de l’espèce », si un résident permanent devrait être renvoyé du Canada. Lorsque ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi et sans être influencé par des considérations non pertinentes et qu’il n’est pas exercé de façon arbitraire ou illégale, la Cour n’a pas le droit d’intervenir, même si elle aurait pu exercer ce pouvoir discrétionnaire différemment si elle avait été à la place de la section d’appel.

Au cours de l’audience qui s’est déroulée devant la section d’appel le 14 septembre 1995, l’avocat du requérant a formulé des observations au sujet des raisons d’ordre humanitaire qui, selon lui, justifiaient l’exercice par la section d’appel de sa compétence en equity. Toutefois, eu égard aux éléments de preuve portés à sa connaissance, le tribunal administratif a choisi de ne pas exercer sa compétence en equity relativement au renvoi en suspens du requérant. Les éléments de preuve qui étaient soumis à la section d’appel justifiaient raisonnablement cette conclusion. Ainsi que le juge Laskin (tel était alors son titre) l’a déclaré dans l’arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration[23], « [i]l ne faut pas examiner » les motifs de la décision d’un tel tribunal d’exercer ou non sa compétence en equity; « il suffit qu’ils laissent voir une compréhension des questions que [la loi] soulève et de la preuve qui porte sur ces questions, sans mention détaillée ».

Pour ce motif, je rejette le troisième moyen par lequel le requérant prétend qu’en n’exerçant pas sa compétence en equity, la section d’appel a commis une erreur de fait qui justifie l’intervention de la Cour.

Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je constate qu’aucune question n’est certifiée en vue d’être soumise à la Cour d’appel.



[1] [1983] 1 C.F. 343 (C.A.).

[2] Id., à la p. 345.

[3] Ainsi, l’art. 94(1)i) dispose :

94. (1) Commet une infraction quiconque :

i) fait délibérément une fausse promesse d’emploi ou une fausse déclaration destinée à inciter ou aider une personne à demander l’admission ou à lui permettre de l’obtenir;

[4] [1990] 2 C.F. 345 (C.A.).

[5] Id., aux p. 349 et 350.

[6] [1974] R.C.S. 850, aux p. 870 et 871.

[7] Précité, note 4, aux p. 348 et 349.

[8] Précité, note 4, à la p. 349.

[9] Précité, note 4, à la p. 350.

[10] Voir l’arrêt Juayong c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 99 N.R. 78 (C.A.F.).

[11] La Cour d’appel fédérale a analysé dans les arrêts Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hundal, [1995] 3 C.F. 32 (1re inst.) et, plus récemment, dans l’arrêt Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1507 (1re inst.) (QL) l’interdépendance qui existe entre ces deux étapes, c’est-à-dire la question de savoir s’il existe des « conditions » auxquelles le visa est délivré qui, si elles ne sont pas remplies au moment de l’entrée, créent un « visa d’immigration invalide » qui empêche le requérant d’obtenir le droit d’établissement.

[12] Sur cette question, voir les arrêts R. sur la dénonciation de Mark Caswell c. Corporation de la ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; et R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541. Voir également Hurd c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 594 (C.A.).

[13] Hurd, précité, note 12, à la p. 606.

[14] [1992] 1 R.C.S. 711, aux p. 733 et 734.

[15] Voir également les arrêts Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; et Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627.

[16] [1989] 1 R.C.S. 143.

[17] Id., aux p. 174 et 175.

[18] Gittens (In re), [1983] 1 C.F. 152 (1re inst.).

[19] [1993] 2 C.F. 3 (C.A.).

[20] [1987] 1 R.C.S. 1045, à la p. 1072.

[21] [1991] 3 R.C.S. 485, à la p. 505.

[22] (1991), 16 Imm. L.R. (2d) 126 (C.A.F.).

[23] [1974] R.C.S. 875, à la p. 885.

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