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[1997] 1 C.F. 352

IMM-888-96

Anil Kumar Kirpal (requérant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Kirpal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson » Vancouver, 27 septembre; Ottawa, 18 octobre 1996.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Personnes non admissibles Contrôle judiciaire de la décision de la section d’appel de la CISR qui a rejeté l’appel contre le rejet de la demande parrainée d’établissement du père, de la mère et du frère du requérantCeux-ci ont été dispensés par décret de l’obligation d’obtenir un visa avant de venir au CanadaLe père a été déclaré non admissible pour raisons d’ordre médicalL’art. 77(3) prévoit le droit d’invoquer les raisons d’ordre humanitaire pour interjeter appel du rejet de la demande d’établissementLe tribunal a commis une erreur pour avoir pondéré les raisons d’ordre humanitaire par le fardeau excessif que l’admission du père imposerait probablement aux services médicaux et sociaux du CanadaSi le législateur avait voulu prévoir ce processus de pondération, il aurait employé la même formule qu’à l’art. 70(1)b), savoir « compte tenu des circonstances de l’espèce » — Le tribunal a commis une erreur faute d’avoir considéré à part les raisons d’ordre humanitaire qui justifieraient l’octroi d’une mesure spéciale au bénéfice de la mère et du frèreNi la Loi ni le Règlement n’oblige le tribunal, dans l’exercice de sa compétence en equity, à rendre la même décision à l’égard de chacun des trois intéressésLe tribunal a commis une erreur pour avoir appliqué l’art. 6(1) du RèglementL’art. 6(1) s’applique « lorsqu’une personne appartenant à la catégorie de la famille présente une demande de visa d’immigrant » — Le père, la mère et le frère ont été dispensés de l’obligation de demander un visaCertification de la question de savoir si le répondant de parents dispensés de l’obligation de demander un visa a droit d’appel sous le régime de l’art. 77(3).

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Processus d’enquête en matière d’immigration Le tribunal est habilité par l’art. 77(3) de la Loi sur l’immigration à connaître de l’appel contre le rejet de la demande d’établissement faite à l’intérieur du Canada par le père, la mère et le frère du requérantL’art. 77(1) autorise l’agent d’immigration ou l’agent des visas à rejeter la demande parrainée d’établissement présentée par un parent qui ne remplit pas les conditions fixées par la Loi ou le RèglementLe rejet est susceptible d’appel par application de l’art. 77(3)Le concept de « parent » n’est pas limité aux personnes qui ont obtenu un visa d’immigrantDu fait qu’il prévoit l’action de la part de « l’agent d’immigration », qui peut exercer ses fonctions à l’intérieur du Canada, l’art. 77(1) autorise le rejet de demandes d’établissement faites au Canada, que les demandeurs aient obtenu ou non un visaCertification de la question de savoir le terme « parent » figurant à l’art. 77(1) s’entend uniquement de ceux qui ont demandé un visa.

Recours en contrôle judiciaire contre la décision de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a débouté le requérant de son appel contre le rejet de la demande d’établissement de son père, sa mère et son frère, originaires de Fidji. Le requérant s’était engagé à pourvoir pendant dix ans aux besoins de ces derniers, lesquels étaient dispensés par décret de l’obligation de demander et d’obtenir un visa avant de venir au Canada. Par la suite, il a été jugé que le père n’était pas admissible pour raisons d’ordre médical. Le paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration habilite l’agent d’immigration ou l’agent des visas à rejeter une demande parrainée d’établissement si le parent ne remplit pas les conditions fixées par la Loi ou les règlements pris pour son application. Le paragraphe 77(3) prévoit le droit de faire appel contre ce rejet en invoquant les raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale. Le tribunal a appliqué l’alinéa 6(1)a) du Règlement sur l’immigration de 1978 (qui prévoit qu’un demandeur au titre de la famille ainsi que les personnes à sa charge doivent tous être admissibles avant que la demande puisse être accueillie comme un tout) pour conclure que l’exclusion du père pour raisons d’ordre médical entraînait l’exclusion des personnes à sa charge. Il a conclu que les facteurs favorables d’ordre humanitaire ne l’emportent pas sur le fardeau excessif que l’admission du père imposerait probablement aux services médicaux ou sociaux canadiens.

Il échet d’examiner : (1) si le tribunal avait compétence, sous le régime du paragraphe 77(3) de la Loi, pour connaître de l’appel; (2) si le paragraphe 6(1) du Règlement s’applique en l’espèce; (3) si la Cour peut prendre en considération l’argument, non proposé devant le tribunal, que l’alinéa 19(2)c) de la Loi sur l’immigration (qui interdit l’admission de l’immigrant accompagné d’un membre de sa famille qui ne peut être admis) a pour effet d’exclure la mère et le frère du requérant; et (4) s’il y a lieu de séparer les raisons d’ordre humanitaire favorables à la mère et au frère du requérant et les facteurs qui concernent directement son père.

Jugement : il faut accueillir la demande.

(1) Le tribunal avait, par application du paragraphe 77(3) de la Loi, compétence pour connaître de l’appel. Le concept de « parent » n’est limité nulle part aux personnes qui ont obtenu un visa d’immigrant. Le paragraphe 77(1) prévoit l’action de la part de l’agent d’immigration qui peut être une personne exerçant ses fonctions à l’intérieur du Canada. Le paragraphe 77(1) autorise donc le rejet de demandes d’établissement faites au Canada par des personnes qui présentent les caractéristiques propres au concept de « parent », qu’elles aient obtenu ou non un visa.

(2) Le paragraphe 6(1) du Règlement n’a pas application en l’espèce. Les premiers mots en sont « lorsqu’une personne appartenant à la catégorie de la famille présente une demande de visa d’immigrant ». Ni le père ni la mère ni le frère du requérant n’a présenté une demande de visa d’immigrant, parce qu’ils en étaient dispensés.

(3) Ce n’est pas parce qu’un texte de loi n’était pas invoqué devant le tribunal qu’il est loisible à la Cour de ne pas l’appliquer.

(4) Le tribunal a commis une erreur en pondérant les raisons d’ordre humanitaire par d’autres facteurs. Il faut présumer que le processus de pondération, prescrit par l’alinéa 70(1)b) de la Loi au moyen du membre de phrase « compte tenu des circonstances de l’espèce », doit être exclu de l’application de l’alinéa 77(3)b), qui ne renferme pas des termes identiques ou similaires. Au surplus, ni la Loi ni le Règlement n’oblige le tribunal, dans l’exercice de sa compétence en equity, à rendre la même décision à l’égard de chacun des trois parents dont le requérant parraine la demande et qui ont d’autres parents au Canada et à Fidji. Il leur appartient de décider s’ils reviendraient ensemble à Fidji.

Les questions suivantes sont certifiées : (1) Le « parent » visé au paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration ne s’entend-il que de la « personne appartenant à la catégorie de la famille » qui a fait une demande de visa d’immigrant sous le régime du paragraphe 6(1) du Règlement sur l’immigration?

(2) Le répondant qui parraine la demande d’établissement faite au Canada par une personne qui se réclame de la catégorie de la famille et qui a été dispensée de l’application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration, a-t-il le droit de faire appel sous le régime du paragraphe 77(1) de la même loi?

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) « immigrant », « parent » (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1), 3 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 2), 19(2)c), 70(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13), b) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 77(1), (3) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 15), a),b), (3.01) (édicté, idem), (3.1) (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 68).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) « parent » (édicté par DORS/93-44, art. 1), 4 (mod. par DORS/85-225, art. 2; 88-286, art. 2; 88-537, art. 2), 5 (mod. par DORS/85-225, art. 2; 88-537, art. 2); 6(1) (mod. par DORS/79-167, art. 2; 83-675, art. 2; 92-101, art. 3) a ) (mod. par DORS/83-675, art. 2), b)(i) (mod. par DORS/79-167, art. 2).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72; (1991), 66 C.C.C. (3d) 517; 7 C.R. (4th) 314; 128 N.R. 299; 49 O.A.C. 47; Granger c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1986] 3 C.F. 70 (1986), 29 D.L.R. (4th) 501; 69 N.R. 212 (C.A.); conf. par [1989] 1 R.C.S. 141; (1989), 91 N.R. 63.

DÉCISIONS CITÉES :

Gharu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. no 568 (C.A.) (QL); Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.).

DEMANDE de contrôle judiciaire contre la décision de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a débouté le requérant de son appel contre rejet de la demande parrainée d’établissement faite par des parents à l’intérieur du Canada par ce motif que les raisons d’ordre hmanitaire ne l’emportaient pas sur le fardeau excessif que l’admission de l’un de ces parents imposerait probablement aux services médicaux et sociaux du Canada (Kirpal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] I.A.D.D. no 838 (QL)). Demande accueillie.

AVOCATS :

William J. Macintosh pour le requérant.

Leigh A. Taylor pour l’intimé.

PROCUREURS :

William Macintosh Associates, Vancouver, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Gibson : Les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire introduite contre la décision en date du 22 février 1996 [[1996] I.A.D.D. no 838 (QL)], par laquelle la section d’appel (le tribunal) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, tout en reconnaissant qu’elle avait, par application du paragraphe 77(3) de la Loi sur l’immigration[1] (la Loi), compétence pour entendre l’appel formé par le requérant contre le rejet de la demande parrainée d’établissement faite au Canada par son père, sa mère et son frère, originaires de Fidji, l’en a débouté.

Les faits de la cause, qui ne sont pas contestés, sont résumés dans les motifs de la décision du tribunal comme suit [aux paragraphes 4 à 8] :

[traduction] M. Raj [le père du requérant], son épouse et Sunil [le frère du requérant] se trouvent au Canada depuis le 1er décembre 1987. Ils sont entrés au Canada à titre de visiteurs, mais leur statut de visiteurs est expiré le 1er mars 1988 sans qu’il y eût prorogation. Ils ont revendiqué le statut de réfugiés au Canada, …

Le 6 novembre 1990, l’appelant [le requérant en l’espèce] s’est engagé par écrit à pourvoir pendant dix ans aux besoins de son père, de l’épouse de celui-ci et de Sunil. Au même moment, les trois demandeurs ont demandé à être dispensés de l’application du paragraphe 9(1) de la Loi, aux termes duquel les immigrants doivent demander et obtenir un visa avant de venir au Canada.

L’engagement a été visé le 31 décembre 1990 par un agent d’immigration, qui indiquait à l’emplacement prévu à cet effet qu’il s’agissait d’une demande de « parent aidé », au lieu d’une demande de la « catégorie de la famille ». Aucune explication n’a été donnée à ce sujet, alors que les trois demandeurs étaient en fait des parents de l’appelant. Il ressort d’autres documents d’immigration que l’affaire était instruite à titre de demande de la catégorie de la famille.

Par deux décrets pris le 13 août 1991, les trois demandeurs ont été dispensés de l’application du paragraphe 9(1) de la Loi et de l’article 8 du Règlement.

Après la promulgation de ces décrets, M. Raj a été jugé non admissible pour raisons d’ordre médical, du fait qu’il souffre de cardiomyopathie avec dilatation du cœur. [Références occultées.]

Voici ce que prévoit le paragraphe 77(3) de la Loi :

77.

(3) S’il est citoyen canadien ou résident permanent, le répondant peut, sous réserve des paragraphes (3.01), (3.02)* et (3.1), en appeler devant la section d’appel en invoquant les moyens suivants :

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale.

Les paragraphes 77(3.01) [édicté, idem], (3.02)* et (3.1) [édicté, idem] n’ont pas application en l’espèce. Le requérant fonde son appel sur les deux moyens prévus au paragraphe 77(3).

Comme noté supra, le tribunal a conclu qu’il avait compétence pour entendre l’appel du requérant. Pour parvenir à cette décision, il a conclu qu’il s’agissait en l’espèce d’une demande d’établissement de la catégorie de la famille, que les demandeurs parrainés étaient effectivement des parents du requérant pendant toute la période considérée et, enfin, que leur demande était parrainée par le requérant qui était citoyen ou résident permanent du Canada.

Le tribunal a jugé que le rejet de la demande d’établissement du père du requérant était « juridiquement valide ». Voici ce qu’on peut lire dans les motifs de sa décision [aux paragraphes 23 à 24] :

[traduction] … je n’accepte pas l’argument proposé par l’avocat de l’appelant que M. Raj a acquis le droit d’établissement. Je conclus que le Ministère était en droit de rejeter la demande d’établissement de M. Raj du fait de son exclusion pour raisons d’ordre médical.

Le rejet pour raisons d’ordre médical ne faisant l’objet d’aucune contestation sur le plan juridique, je conclus que le rejet de M. Raj est juridiquement valide.

Examinant ensuite la question du droit à l’établissement de la mère et du frère du requérant, le tribunal a conclu en ces termes [aux paragraphes 27 à 29 et 32] :

[traduction] L’alinéa 6(1)a) du Règlement prévoit qu’un demandeur au titre de la famille ainsi que les personnes à sa charge doivent tous être admissibles avant que la demande puisse être accueillie comme un tout. Il est à présumer que cette règle découle de l’objectif de réunification des familles, et une politique d’immigration qui sépare le demandeur au titre de la famille et les personnes à sa charge irait à l’encontre de cet objectif… J’estime que l’alinéa 6(1)a) du Règlement s’applique à la demande en instance.

Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu non plus qu’il ait jamais été jugé, à la lumière des faits, que Mme Raj et Sunil satisfont à la condition prévue à l’alinéa 6(1)a) du Règlement. Bien que l’une et l’autre aient satisfait aux conditions d’examen médical, de casier judiciaire et de vérification de sécurité, ils demeurent soumis à l’application de l’alinéa 6(1)a) du Règlement.

À la suite de la jurisprudence Gharu, Kuldip Kaur c. M.E.I., une demande de la catégorie de la famille ne peut plus être scindée afin d’exclure le demandeur non admissible pour raisons d’ordre médical. L’exclusion de M. Raj pour raisons d’ordre médical fait que les personnes à sa charge ne sont pas admissibles non plus. D’ailleurs, à supposer que Mme Raj soit considérée comme la demanderesse principale, M. Raj qui est son époux est la « personne à charge » selon la définition qu’en donne le Règlement. À cet égard encore, l’exclusion de ce dernier pour raisons d’ordre médical fait qu’elle-même et Sunil ne sont pas admissibles.

À la lumière des conclusions ci-dessus, l’appel interjeté sous le régime de l’alinéa 77(3)a) de la Loi n’est pas fondé; il est rejeté à l’égard des trois demandeurs[2].

Le tribunal a encore examiné l’appel sous l’angle des raisons d’ordre humanitaire, en application de l’alinéa 77(3)b) de la Loi. Après avoir évoqué diverses raisons d’ordre humanitaire favorables au père, à la mère et au frère du requérant, il a fait l’observation suivante [au paragraphe 45] :

[traduction] Je dois encore mettre dans la balance l’ampleur de l’obstacle posé par la loi d’une part, et la force des raisons d’ordre humanitaire qui entrent en ligne de compte, de l’autre.

Et de conclure en ces termes [aux paragraphes 53 et 54] :

[traduction] Je sympathise avec les demandeurs. Néanmoins, après avoir mis dans la balance les facteurs favorables, en particulier l’implantation des demandeurs au Canada, le soutien dont ils y jouissent ainsi que les meilleurs services médicaux et services sociaux qui seraient à la disposition de M. Raj, d’une part, et le fardeau excessif que son admission imposerait probablement aux services médicaux ou sociaux canadiens, je n’ai pu conclure que les facteurs favorables l’emportent sur l’obstacle juridique.

Par ce motif, je conclus que l’appel interjeté sous le régime de l’alinéa 77(3)b) de la Loi n’est pas fondé, et le rejette à l’égard des trois demandeurs.

Trois points litigieux ont été débattus à l’audience. L’avocate de l’intimé soutient que le tribunal a commis une erreur en concluant qu’il avait compétence, sous le régime du paragraphe 77(3) de la Loi, pour connaître de l’appel soumis à son examen. De son côté, l’avocat du requérant soutient que le tribunal a commis une erreur en concluant que le paragraphe 6(1) Règlement sur l’immigration de 1978[3] s’applique de façon à exclure la mère et le frère de ce dernier. En outre que l’intimé n’est pas recevable à soutenir que l’alinéa 19(2)c) de la Loi a pour effet d’exclure la mère et le frère du requérant, puisque cette question n’a pas été soulevée devant le tribunal ni n’a été examinée par celui-ci dans sa décision. Et enfin que le tribunal a commis une erreur dans sa conclusion en matière de raisons d’ordre humanitaire, en mettant dans la balance les facteurs favorables au père, à la mère et au frère du requérant d’une part, et les répercussions de l’état de santé du père d’autre part. La question de savoir s’il y a lieu de séparer les raisons d’ordre humanitaire favorables à la mère et au frère du requérant et les facteurs qui concernent directement son père, a été aussi brièvement abordée, surtout par la Cour.

LA QUESTION DE LA COMPÉTENCE

À l’époque où le requérant parrainait la demande de son père, de sa mère et de son frère, les articles 4 [mod. par DORS/85-225, art. 2; 88-286, art. 2; 88-537, art. 2] et 5 [mod. par DORS/85-225, art. 2; 88-537, art. 2] du Règlement avaient pour effet de l’y autoriser. Ces dispositions figuraient sous le titre « Parent » et valaient dans les faits définition du terme « parent ». Plus récemment, une définition de « parent » a été ajoutée au paragraphe 2(1) [DORS/93-44, art. 1] du Règlement et, selon cette définition, le père, la mère et le frère du requérant étaient et demeurent ses parents.

Le passage applicable du paragraphe 6(1) du Règlement, tel qu’il est actuellement en vigueur, prévoit ce qui suit :

6. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1), (3.1), (3.2), (4), (5) et (6), lorsqu’une personne appartenant à la catégorie, de la famille présente une demande de visa d’immigrant, l’agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu’à toute personne à charge qui l’accompagne :

a) si elle et les personnes à sa charge, qu’elles l’accompagnent ou non, ne font pas partie d’une catégorie de personnes non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement;

b) si le répondant

(i) s’est engagé,

Le paragraphe 6(1) du Règlement a subi une certaine modification depuis l’époque où le requérant parrainait la demande de son père, de sa mère et de son frère, et où ils obtenaient une dispense de visa, mais cette modification n’a aucun rapport avec l’affaire en instance.

Le paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1] de la Loi prévoit que pour l’application de cette dernière, « parent » s’entend au sens des règlements.

Le paragraphe 77(1) de la Loi porte :

77. (1) L’agent d’immigration ou l’agent des visas, selon le cas, peut rejeter une demande parrainée d’établissement présentée par un parent pour l’un ou l’autre des motifs suivants—dont doit être alors informé le répondant :

a) le répondant ne remplit pas les conditions fixées par les règlements;

b) le parent ne remplit pas les conditions fixées par la présente loi et ses règlements.

C’est le rejet fondé sur le paragraphe 77(1) de la Loi qui peut être porté en appel devant le tribunal sous le régime du paragraphe 77(3). L’avocate de l’intimé soutient que si on considère la Loi et le Règlement à la lumière l’un de l’autre, en particulier à la lumière des objectifs de la politique d’immigration qui figurent à l’article 3 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 2] de la Loi, le parent dont il est question au paragraphe 77(1) doit s’entendre du parent qui a obtenu un visa d’immigrant en application du paragraphe 6(1) du Règlement. Étant donné qu’aucun visa d’immigrant n’a été délivré au père, à la mère ou au frère du requérant puisqu’ils en étaient dispensés et étaient autorisés à faire leur demande d’établissement à l’intérieur du Canada, l’avocate de l’intimé soutient que l’agent d’immigration qui leur a refusé le droit d’établissement ne l’a pas fait sous le régime du paragraphe 77(1) de la Loi et que par conséquent, sa décision ne peut pas faire l’objet de l’appel visé au paragraphe 77(3).

Le sens évident des termes figurant au paragraphe 77(1) de la Loi ne s’accommode pas de cet argument de l’avocate de l’intimé. Dans le contexte de la Loi comme du Règlement, le concept ou la définition de « parent » n’est limité nulle part aux personnes qui ont obtenu un visa d’immigration. Le paragraphe 77(1) prévoit sans équivoque l’action de la part de « l’agent d’immigration » comme de « l’agent des visas ». Les agents des visas sont des agents d’immigration en service à l’étranger. Par contre, les agents d’immigration peuvent exercer, et exercent souvent, leurs fonctions à l’intérieur du Canada. Le paragraphe 77(1) autorise donc manifestement le rejet de demandes d’établissement faites au Canada par des personnes qui présentent les caractéristiques propres au concept « parent », qu’elles aient obtenu ou non un visa. Dans R. c. McCraw[4], le juge Cory a fait l’observation suivante :

Il est bien établi qu’il faut donner aux termes contenus dans une loi leur sens ordinaire. Les autres principes d’interprétation législative n’entrent en jeu que lorsque les termes à définir sont ambigus.

Je conclus que les termes figurant au paragraphe 77(1) n’ont rien d’ambigu et qu’il faut les saisir dans leur sens ordinaire. Il serait incorrect d’y détecter quelque autre signification par référence aux objectifs de la politique d’immigration et à « l’économie générale de la Loi ».

Je conclus que le tribunal n’a pas commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en concluant qu’il avait, par application du paragraphe 77(3) de la Loi, compétence pour connaître de l’appel visé par le recours en contrôle judiciaire en instance.

DROIT À L’ÉTABLISSEMENT

Comme noté supra, aucun argument juridique n’a été proposé devant le tribunal pour contester le refus, pour raisons d’ordre médical, d’accorder le droit d’établissement au père du requérant. De même, devant la Cour, le requérant n’a argué d’aucune erreur de la part de l’agent d’immigration ou du tribunal pour ce qui est des motifs de rejet de la demande d’établissement de son père.

Le tribunal a conclu que la mère et le frère du requérant n’avaient pas droit à l’établissement par ce motif que, étant les personnes à la charge du père du requérant ou, subsidiairement, étant la demanderesse principale avec deux personnes à charge dont le père du requérant, ils ne remplissaient pas les conditions prévues à l’alinéa 6(1)a) du Règlement, du fait que l’un des trois demandeurs de la catégorie de la famille n’était pas admissible pour raisons d’ordre médical. En tirant cette occasion, le tribunal a tout simplement ignoré les premiers mots du paragraphe 6(1) du Règlement. Ce paragraphe est modulé par le membre de phrase « lorsqu’une personne appartenant à la catégorie de la famille présente une demande de visa d’immigrant ». Ni le père ni la mère ni le frère du requérant n’a présenté une demande de visa d’immigrant. Ils en étaient dispensés par décret. Il s’ensuit que le paragraphe 6(1) du Règlement ne s’appliquait pas du tout à leur égard et, ainsi que l’a reconnu l’avocate de l’intimé, le tribunal a commis une erreur sur ce point.

L’avocate de l’intimé soutient néanmoins que le tribunal est parvenu à la bonne décision en ce qui concerne le droit à l’établissement de la mère et du frère du requérant, quoique par des mauvais motifs. Elle cite à cet effet l’alinéa 19(2)c) de la Loi, qui porte :

19.

(2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui :

c) accompagnent un membre de leur famille qui ne peut être admis ou n’est pas par ailleurs autorisé à entrer au Canada;

« Immigrant » est défini au paragraphe 2(1) de la Loi comme étant la personne qui sollicite l’établissement. Le père, la mère et le frère du requérant étaient donc des immigrants. Il est reconnu que l’un d’eux, le père du requérant, ne pouvait être admis en raison de son état de santé. L’avocate de l’intimé en conclut que la mère et le frère du requérant, étant les autres membres de la famille « qui accompagnaient » le père, ne pouvaient être admis non plus.

Cet argument n’a apparemment pas été proposé devant le tribunal. Il ne se retrouve en tout cas pas directement dans la décision de ce dernier.

L’avocat du requérant soutient que cette question, n’ayant pas été soulevée devant le tribunal, ne saurait être débattue devant la Cour. Je rejette cet argument. Dans Granger c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada[5], le juge Pratte fait observer ce qui suit :

En conséquence, la prétention du requérant ne peut être autre chose que celle-ci : le juge-arbitre s’est trompé parce qu’il aurait dû, pour éviter de causer préjudice au requérant, refuser d’appliquer la loi.

Il suffit de voir la prétention du requérant sous son vrai jour pour constater qu’elle doit être rejetée. Le juge est lié par la loi. Il ne peut, même pour des considérations d’équité, refuser de l’appliquer.

On peut en dire de même en l’espèce. Ce n’est pas parce qu’un texte de loi n’était pas invoqué devant le tribunal qu’il m’est loisible de ne pas l’appliquer alors qu’une partie en fait état devant la Cour.

Je conclus en conséquence que le tribunal, par de mauvais motifs, est parvenu à la bonne conclusion au sujet de l’admissibilité au droit d’établissement de la mère et du frère du requérant. Ils ne pouvaient se voir accorder le droit d’établissement à cause de l’état de santé du père du requérant qui était un membre de la famille « accompagnant » et qui ne pouvait être admis.

RAISONS D’ORDRE HUMANITAIRE

Pour plus de commodité, voici de nouveau la disposition applicable du paragraphe 77(3) qui investit le tribunal de la compétence en la matière :

77.

(3) S’il est citoyen canadien ou résident permanent, le répondant peut … en appeler devant la section d’appel en invoquant les moyens suivants :

b) raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale.

Selon l’avocat du requérant, il faut opposer ces mots au membre de phrase qu’on retrouve au paragraphe 70(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi qui donne compétence à la section d’appel en cas d’ordonnance de renvoi ou de renvoi conditionnel prise entre autres contre un résident permanent, mais qui n’a pas du tout le même sens. Dans ce dernier cas, la compétence en equity de la section d’appel est prévue en ces termes :

70. (1) …

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

Voici l’argument proposé par l’avocat du requérant. Dans le contexte des dispositions attributives de compétence du paragraphe 70(1), il est indiqué, voire impératif, pour la section d’appel de prendre en compte toutes les circonstances de la cause, non seulement les raisons d’ordre humanitaire qui pourraient être favorables à l’appelant, mais tous les facteurs qui s’opposent à une mesure de renvoi. Par contraste, les termes attributifs de compétence du paragraphe 77(3) se limitent aux raisons d’ordre humanitaire qui justifient l’octroi d’une mesure spéciale. Les facteurs défavorables n’entrent nullement en ligne de compte dans l’exercice de la compétence de la section d’appel, c’est-à-dire du tribunal, sous le régime de l’alinéa 77(3)b).

À cet égard, le tribunal a relevé dans sa décision diverses raisons d’ordre humanitaire en faveur de l’octroi d’une mesure spéciale. Il les a mises dans la balance contre les facteurs défavorables, et a conclu [au paragraphe 45] :

[traduction] Je dois encore mettre dans la balance l’ampleur de l’obstacle posé par la loi d’une part, et la force des raisons d’ordre humanitaire qui entrent en ligne de compte, de l’autre.

Je conclus que le tribunal a commis une erreur en engageant ce processus de pondération. Si telle avait été la volonté du législateur, il aurait pu facilement employer des termes identiques ou très similaires à ceux figurant à l’alinéa 70(1)b) de la Loi. Il ne l’a pas fait, ce qui oblige à présumer qu’il visait un résultat tout autre. Le seul autre résultat que je puisse concevoir est que le processus de pondération visiblement prévu à l’alinéa 70(1)b) devait être exclu de l’application de l’alinéa 77(3)b).

Par ailleurs, il ressort de sa décision que le tribunal n’a pas examiné si les raisons d’ordre humanitaire, à l’existence desquelles il a conclu en faveur de la mère et du frère du requérant, justifiaient de leur octroyer une mesure spéciale, qu’il y eût lieu ou non d’octroyer cette mesure spéciale au père. Je ne vois rien dans les termes de la Loi qui oblige le tribunal, dans l’exercice de sa compétence en equity, à rendre la même décision à l’égard de chacun des trois parents dont le requérant parrainait la demande. L’avocate de l’intimé soutient qu’une différence de traitement dans la réparation en equity accordée aux membres de la même famille irait à l’encontre du principe de la réunification des familles. Je ne le pense pas. Il ressort de l’examen des faits de la cause que les parents dont le requérant parraine la demande ont d’autres parents à la fois au Canada et à Fidji. À supposer que les résultat final ne soit pas le même pour chacun d’eux, il reviendrait à eux-mêmes ou peut-être à d’autres membres de leur famille de décider s’ils reviendraient ensemble à Fidji ou se diviseraient entre le Canada et Fidji.

En conclusion, la demande sera accueillie par ce motif que le tribunal a commis une erreur dans l’exercice de sa compétence pour ce qui est des raisons d’ordre humanitaire. L’affaire sera renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvelle instruction par un tribunal de composition différente et à la lumière des présents motifs.

Par conclusions écrites, l’avocat du requérant recommande que la question suivante soit certifiée à titre de question grave de portée générale, du fait de ma décision et des présents motifs dont le projet lui a été communiqué :

La Cour fédérale, Section de première instance, a-t-elle excédé sa compétence dans le contrôle judiciaire, exercé en application de l’article 82.1 de la Loi sur l’immigration, d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sous le régime de l’article 77 de la même loi, du fait qu’elle a tiré des conclusions de fait relatives à des questions qui relèvent de la compétence exclusive de cette dernière, alors que ces questions n’ont pas été soulevées devant la Commission et que le requérant n’a pas eu la possibilité de produire les preuves s’y rapportant?

Cette question, dit-il, se pose en l’espèce par suite de ma conclusion que l’alinéa 19(2)c) de la Loi sur l’immigration s’applique de façon à exclure la mère et le frère du requérant de l’admission au Canada. J’en disconviens. Je n’ai tiré moi-même aucune conclusion sur les faits pour parvenir à ma conclusion au sujet de l’alinéa 19(2)c). Je m’en suis remis aux faits tels que le tribunal les a constatés. Ma conclusion portait uniquement sur le point de droit. Puisque la question proposée ne contribuerait pas, à mon avis, à une résolution de l’appel en instance, je ne la certifierai pas[6].

De son côté, l’avocate de l’intimé propose les questions suivantes à la certification :

1. Le « parent » visé au paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration ne s’entend-il que de la « personne appartenant à la catégorie de la famille » qui a fait une demande de visa d’immigrant sous le régime du paragraphe 6(1) du Règlement sur l’immigration?

2. Le répondant qui parraine la demande d’établissement faite par une personne qui se réclame de la catégorie de la famille et qui a été dispensée, en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration et de l’article 2.1 du Règlement sur l’immigration, de l’application de l’article 9 de la Loi sur l’immigration, a-t-il le droit de faire appel devant la section d’appel de l’immigration sous le régime du paragraphe 77(1) de la même loi?

Présumant que l’avocate de l’intimé a voulu citer le paragraphe 77(3) au lieu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration, je conviens que la réponse à l’une ou l’autre des deux questions proposées pourrait être déterminante en cas d’appel contre ma décision, et que les deux questions revêtent une portée générale qui va au-delà des intérêts des parties en présence. En conséquence, les questions qu’elle propose seront certifiées en remplaçant le renvoi au paragraphe 77(1) de la seconde question par la mention du paragraphe 77(3).



[1] L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 15).

* L’art. 77 (3.02) n’a jamais été édicté.

[2] Gharu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. no 568 (C.A.) (QL) (référence tirée de la décision du tribunal).

[3] DORS/78-172 (mod. par DORS/79-167, art. 2; 83-675, art. 2; 92-101, art. 3).

[4] [1991] 3 R.C.S. 72, à la p. 80 (cet arrêt n’a pas été cité par les parties).

[5] [1986] 3 C.F. 70(C.A.), à la p. 77.

[6] Voir Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.).

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