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[1997] 2 C.F. 706

T-1532-96

Le procureur général du Canada (requérant)

c.

Kenneth John Hester (intimé)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Hester (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson—Ottawa, 4 et 21 février 1997.

Fonction publique Compétence GriefContrôle judiciaire de la décision de la CRTFP dans laquelle celle-ci concluait que l’employeur avait enfreint la convention collective en refusant une demande de congé, et enjoignait à l’employeur d’accorder un jour de congé en sus des congés auxquels il avait droit en vertu de la convention collectiveL’art. 96(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique interdit à un arbitre de rendre une décision qui aurait pour effet d’exiger la modification de la convention collectiveLa Commission a ajouté un jour de congé aux crédits de l’intimé sans justificationElle a outrepassé la compétence qui lui est conférée par l’art. 96(2).

Dommages-intérêts Non-compensatoires Exemplaires Contrôle judiciaire de la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique statuant que l’employeur avait enfreint la convention collective en refusant une demande de congé, et enjoignant à l’employeur d’accorder un jour de congé en sus des congés auxquels il avait droit en vertu de la convention collectiveLa Commission a exprimé ses préoccupations par rapportau nombre de casdans lesquels les souhaits des employés sont écartés pour des motifs qu’elle juge non appropriésLe redressement accordé devait tenir compte des préoccupations expriméesLa Commission a imposé une réparation pour un comportement qui, selon elle, méritait d’être puni, de sorte que l’intimé en a été le bénéficiaire et qu’il a été surindemniséLa réparation est de nature punitiveLes dommages-intérêts punitifs sont accordés à l’égard d’un comportement qui justifie une peine parce qu’il est essentiellement dur, vengeur, répréhensible et malicieuxRien en l’espèce ne justifie un tel redressement.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans laquelle celle-ci a statué que l’employeur avait enfreint la convention collective et lui a enjoint d’accorder un jour de congé à l’intimé en sus des congés auxquels il avait droit en vertu de la convention collective. L’intimé, un employé de Transports Canada à l’aéroport de Winnipeg, a demandé un congé d’une journée afin d’assister à une activité sociale et sportive au cours de laquelle un prix devait lui être décerné. L’employeur lui a refusé ce congé, indiquant que la demande avait été présentée trop tard et que l’octroi de ce congé l’obligerait à payer des heures supplémentaires non prévues au budget. Il n’a pas été contesté que l’employeur avait enfreint la convention collective en refusant à l’intimé le congé demandé. Après avoir conclu que le coût des heures supplémentaires, sous le couvert des nécessités du service, n’était pas une raison valable pour refuser le congé, la Commission s’est dite préoccupée par le nombre de cas dans lesquels les souhaits des employés sont écartés pour des motifs qui sont constamment considérés comme ne relevant pas des nécessités du service. Le redressement accordé devait tenir suffisamment compte de cette préoccupation.

Les questions en cause étaient de savoir si la Commission avait outrepassé sa compétence en rendant une décision qui aurait pour effet d’exiger la modification de la convention collective; il fallait aussi déterminer si le redressement accordé était de nature punitive et outrepassait la compétence du tribunal.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Le paragraphe 96(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (qui interdit à un arbitre de rendre une décision qui aurait pour effet d’exiger la modification d’une convention collective) est une disposition limitant la compétence de la Commission et son interprétation soulève une question de compétence. Le redressement qu’elle a choisi ajoute manifestement aux droits de congé de l’intimé qui sont fixés ou qui peuvent être déterminés en vertu de la convention collective, sans fournir de justification fondée sur une disposition quelconque de cette convention collective. Au regard de toute norme de contrôle, la Commission, dans le redressement qu’elle a accordé, a commis une erreur de compétence contrevenant à la restriction claire et non équivoque qui est imposée à sa compétence aux termes du paragraphe 96(2) de la Loi.

En l’absence d’une conclusion établissant qu’il y a eu une erreur de compétence, la norme de contrôle pour déterminer si le redressement est approprié serait normalement celle de la décision raisonnable. Toutefois, lorsque la réparation est de nature punitive, l’ordonnance qui l’impose peut être considérée comme manifestement déraisonnable. La réparation accordée découlait au moins autant du comportement de l’employeur dans un « certain nombre de cas » que de son comportement dans l’affaire portée en arbitrage. En fait, la Commission a imposé une réparation pour un comportement qui, selon elle, méritait d’être puni, dont l’intimé en l’espèce, et non le trésor public, sera le bénéficiaire. Le redressement accordé est donc de nature punitive, alors que les dommages-intérêts punitifs ne peuvent être accordés qu’à l’égard d’un comportement qui justifie une peine parce qu’il est essentiellement dur, vengeur, répréhensible et malicieux. Il n’y a rien dans le dossier qui justifie une réparation de nature punitive. Selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, la Commission a commis une erreur de droit qui est susceptible de contrôle, en accordant une réparation qui surindemnise l’employé.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 91 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68), 96(2), 96.1 (édicté, idem, art. 70).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; (1994), 114 D.L.R. (4th) 385; [1994] 7 W.W.R. 1; 92 B.C.L.R. (2d) 145; 22 Admin. L.R. (2d) 1; 14 B.L.R. (2d) 217; 4 C.C.L.S. 117; Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085; (1989), 58 D.L.R. (4th) 193; [1989] 4 W.W.R. 218; 36 B.C.L.R. (2d) 273; 42 B.L.R. 111; 25 C.C.E.L. 81; 90 CLLC 14,035; 94 N.R. 321.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d) 417; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,209; 26 N.R. 341; Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369; (1996), 133 D.L.R. (4th) 129; 36 Admin. L.R. (2d) 1; 96 CLLC 210-011; 193 N.R. 81; Reibin et al. c. Canada (Conseil du Trésor) (1996), 114 F.T.R. 174 (C.F. 1re inst.); Richmond c. Canada (Procureur général), [1996] 2 C.F. 305 (1996), 108 F.T.R. 205 (1re inst.); conf. par A-197-96, juge Desjardins, J.C.A., jugement en date du 26-3-97, sera publié bientôt dans le R.C.F.

DOCTRINE

Robert-Collins, dictionnaire français-anglais, anglais-français, par Beryl T. Atkins et al., 2e éd. Paris : Dictionnaire Le Robert, 1990.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique statuant que l’employeur avait enfreint la convention collective et lui enjoignant d’accorder un jour de congé à l’intimé en sus des congés auxquels il avait droit en vertu de la convention collective (Hester et Conseil du Trésor (Transports Canada), [1996] C.R.T.F.P. no 44 (QL)). Demande accueillie.

AVOCATS :

Maureen Crocker pour le requérant.

Phillip G. Hunt pour l’intimé.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Shields & Hunt, Ottawa, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Gibson : Comme il est indiqué dans l’intitulé complet de la cause, les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’Albert Burke [[1996] C.R.T.F.P.C. no 44 (QL)], de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission), dans laquelle celle-ci, par suite d’un renvoi à l’arbitrage fondé sur l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-35 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68)] (la Loi), a statué que l’employeur avait enfreint la convention collective en cause et lui a enjoint d’accorder un jour de congé à l’intimé. Ce dernier pouvait choisir le jour qui lui convenait dans un délai de six mois suivant la date de la décision de la Commission, moyennant un préavis raisonnable à l’employeur. La Commission a également ordonné à l’employeur de ne pas déduire ce jour de congé des crédits accumulés par l’intimé. La décision de la Commission est datée du 31 mai 1996.

Les faits ayant donné naissance au dépôt du grief de l’intimé et donc à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire peuvent être résumés brièvement comme suit. Pendant toute la période pertinente, l’intimé travaillait pour Transports Canada à l’aéroport de Winnipeg, comme gestionnaire délégué des services techniques. Son emploi est régi par la convention collective EL, code 404/89 (404-92 après prorogation), en vigueur entre le Conseil du Trésor du Canada et la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 (la convention collective). Le 21 mars 1995, l’intimé a présenté une demande de congé annuel pour le 8 avril 1995. Il voulait apparemment assister à une activité sociale ou sportive au cours de laquelle un prix devait lui être décerné. L’employeur lui a refusé ce congé, indiquant verbalement que la demande avait été présentée trop tard et que l’octroi de ce congé l’obligerait à payer des heures supplémentaires non prévues au budget. Un grief a donc été déposé.

La Commission a conclu dans les termes suivants [aux paragraphes 50 à 52] :

J’ai donc conclu que l’employeur n’a pas déployé tous les efforts raisonnables pour accéder à la requête du fonctionnaire. Dans ces circonstances, le coût des heures supplémentaires, sous le couvert des nécessités du service, n’était pas une raison valable pour refuser le congé. Le préavis de 30 jours ne fait pas partie de la convention collective, de telle sorte que cette raison ne justifie pas non plus le refus. Par conséquent, l’employeur a violé la convention collective lorsqu’il a refusé au fonctionnaire de prendre congé le 8 avril 1995. Il est évidemment trop tard pour lui ordonner d’accorder ce congé. Par conséquent, je lui ordonne d’accorder au fonctionnaire s’estimant lésé, d’ici six mois, un jour de congé annuel sur demande moyennant un préavis raisonnable à l’employeur. Ce jour de congé ne doit pas être déduit des crédits de congé annuel accumulés par le fonctionnaire.

Je suis conscient que cette ordonnance donne maintenant au fonctionnaire droit à un jour de congé annuel de plus que ce que prévoit la convention collective. Je suis également conscient du fait qu’on ne m’a présenté aucune preuve démontrant qu’il avait subi une perte financière ou de graves difficultés à la suite du refus du congé du 8 avril 1995. Néanmoins, on l’a empêché d’assister à une activité sociale au cours de laquelle il devait recevoir un prix. Outre la déception que cela a dû lui causer, il ne faut pas oublier qu’il travaille par quart et qu’en règle générale il lui est plus difficile de participer régulièrement à des activités sociales, de telle sorte qu’elles sont plus susceptibles d’avoir une grande valeur pour lui. Le fonctionnaire a subi une perte.

Je suis également préoccupé par le nombre de cas tranchés par les commissaires de la Commission où les souhaits des employés sont écartés pour des motifs qui sont constamment considérés comme ne relevant pas des nécessités du service. On en a cité certains au cours de l’audience. L’employeur a conclu une entente et il doit la respecter. Dans ces circonstances, j’estime qu’une décision moins sévère que celle que j’ai rendue ne tiendrait pas suffisamment compte de la préoccupation qui vient d’être exprimée, et je signale que mon pouvoir d’ordonner un redressement est très vaste : Heustis c. La Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 768. [Soulignement ajouté[1].]

Il n’a pas été contesté devant moi que l’employeur avait véritablement enfreint la convention collective en refusant à l’intimé le congé demandé pour le 8 avril 1995. La seule question en litige a été énoncée par l’avocat du requérant et celui de l’intimé dans leurs mémoires en des termes à peu près identiques et essentiellement de la façon suivante : L’arbitre (la Commission) a-t-il outrepassé sa compétence ou a-t-il commis une erreur de droit quand il a ordonné au requérant (l’employeur) d’accorder à l’intimé un jour de congé additionnel en sus des congés auxquels il avait droit aux termes de la convention collective?

L’avocat du requérant fait valoir que, au regard de la norme de contrôle appropriée, la Commission a commis une erreur en accordant à l’intimé un redressement qui aurait pour effet d’exiger la modification de la convention collective et qui est de la nature de dommages-intérêts punitifs.

Pour sa part, l’avocat de l’intimé fait valoir que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en accordant le redressement qu’elle a choisi, que celui-ci se trouve dans les limites du large pouvoir de réparation conféré à la Commission, et qu’il a tout simplement été conçu pour remettre l’intimé le plus près possible de la position dans laquelle il aurait été si l’employeur n’avait pas à tort refusé sa demande de congé.

L’article 17.07 de la convention collective est rédigé dans les termes suivants :

L’employé-e prend normalement son congé annuel pendant l’année financière où il y devient admissible. L’employeur doit, sous réserve des nécessités du service, faire tout effort raisonnable pour

a)   prévoir un congé annuel d’au moins deux (2) semaines consécutives pour l’employé-e, si celui-ci en fait la demande au plus tard le 1er mai;

b)   donner ensuite la priorité aux demandes de congé annuel faites par les employé-e-s avant le 1er juin;

c)   prévoir, sous réserve de a) et b) ci-dessus, le congé annuel de l’employé-e à une période acceptable pour ce dernier; [Non souligné dans l’original.]

Le paragraphe 92(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[2], dispose que lorsqu’un employé a porté un grief, concernant l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective, jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et qu’il n’a pas obtenu satisfaction, il peut, sous réserve de restrictions qui ne sont pas pertinentes en l’espèce, renvoyer ce grief à l’arbitrage. L’intimé s’est prévalu de ce droit. L’article 96.1 [édicté, idem, art. 70] de la Loi dispose qu’un arbitre a, dans le cadre de l’affaire dont il est saisi, tous les droits et pouvoirs de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, ici encore sous réserve d’une exception qui n’est pas pertinente en l’espèce. Les pouvoirs de la Commission sont largement définis aux articles 21 et suivants de la Loi. Le paragraphe 96(2) de la Loi dispose comme suit :

96.

(2) En jugeant un grief, l’arbitre ne peut rendre une décision qui aurait pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

Dans l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick[3], le juge Dickson, plus tard juge en chef, écrit ceci à la page 233 :

Il est souvent très difficile de déterminer ce qui constitue une question de compétence. À mon avis, les tribunaux devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard.

Dans l’arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail)[4], le juge Cory, se référant à la citation précitée de Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, écrit ceci [à la page 400] :

L’appelante a soutenu que la question de la réparation que le Conseil pouvait accorder dans la présente espèce relève des limites de la compétence qui lui est attribuée et que, par conséquent, notre Cour devait apprécier l’ordonnance selon la norme de la décision correcte. Je ne saurais souscrire à ce point de vue. Une abondante jurisprudence met les cours de justice en garde contre la tendance à trop facilement qualifier une disposition législative attributive de compétence.

Conscient de ces opinions exprimées par la Cour suprême du Canada, je suis néanmoins d’avis que le paragraphe 96(2) est une disposition limitant la compétence de la Commission et que son interprétation soulève une question de compétence.

Dans la décision Reibin et al. c. Canada (Conseil du Trésor)[5], le juge Noël a examiné en détail la norme de contrôle applicable à une décision d’un arbitre interprétant les dispositions de la Directive sur le réaménagement des effectifs pour conclure [à la page 184] qu’il « interprète en réalité la convention collective ». Il note que la Loi ne renferme aucune clause privative. Il cite ensuite un extrait de l’arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers)[6] dans lequel le juge Iacobucci écrit ceci aux pages 590 et 591 :

Compte tenu du grand nombre de facteurs pertinents pour la détermination de la norme de contrôle applicable, les tribunaux ont élaboré toute une gamme de normes allant de celle de la décision manifestement déraisonnable à celle de la décision correcte. Les tribunaux ont également formulé un principe de retenue judiciaire qui s’applique à l’égard non seulement des faits constatés par le tribunal, mais aussi des questions de droit dont le tribunal est saisi en raison de son rôle et de son expertise. Pour ce qui est des décisions manifestement déraisonnables, qui appellent la plus grande retenue, ce sont les cas où un tribunal protégé par une véritable clause privative rend une décision relevant de sa compétence et où il n’existe aucun droit d’appel prévu par la loi.

Quant aux décisions correctes où l’on est tenu à une moins grande retenue relativement aux questions juridiques, ce sont les cas où les questions en litige portent sur l’interprétation d’une disposition limitant la compétence du tribunal (erreur dans l’exercice de la compétence) ou encore les cas où la loi prévoit un droit d’appel qui permet au tribunal siégeant en révision de substituer son opinion à celle du tribunal, et où le tribunal ne possède pas une expertise plus grande que la cour de justice sur la question soulevée, par exemple dans le domaine des droits de la personne. [Les longues citations ont été omises.]

J’aborde donc la question de savoir si la Commission, en obligeant l’employeur à donner à l’intimé un jour de congé en sus de ce qui est prévu dans la convention collective, a outrepassé sa compétence en « [rendant] une décision qui aurait pour effet d’exiger la modification d’une convention collective », aux termes du paragraphe 96(2) de la Loi. La décision de la Commission ne traite pas de ce point. Si l’on se réfère à la citation de l’arrêt Pezim ci-dessus, les questions concernant l’interprétation d’une disposition limitant la compétence de la Commission sont des questions où l’on est tenu « à une moins grande retenue relativement aux questions juridiques » et qui sont analysées selon la norme de la décision correcte.

J’ai indiqué dans la décision Richmond c. Canada (Procureur général)[7] :

Je suis convaincu que dans certaines circonstances, l’arbitre pouvait conclure que le recours aux clauses concernant les congés payés des conventions collectives était nécessaire pour respecter les clauses relatives à l’élimination de la discrimination et que, dans ces circonstances, il n’y aurait ni violation des conventions collectives ni infraction au paragraphe 96(2). Je fais droit à cet égard à la thèse présentée au nom des requérants. L’arbitre se devait d’interpréter les conventions collectives dans leur ensemble et non dans l’abstrait, indépendamment des clauses concernant l’élimination de la discrimination.

En l’espèce, il ne peut être question de prétendre que la Commission n’a pas tenu compte de l’ensemble de la convention collective dans sa décision. Le redressement qu’elle a choisi ajoute manifestement aux droits de congé de l’intimé qui sont fixés ou qui peuvent être déterminés en vertu de la convention collective, sans fournir de justification fondée sur une disposition quelconque de cette convention collective. Quelle que soit la norme de contrôle applicable, c’est-à-dire celle de la décision correcte, de la décision manifestement déraisonnable ou d’une norme qui se trouverait entre ces deux extrêmes, je suis convaincu que la Commission, dans le redressement qu’elle a accordé, a commis une erreur de compétence en contrevenant à la restriction claire et non équivoque qui est imposée à sa compétence aux termes du paragraphe 96(2) de la Loi.

Je passe maintenant à la question de savoir si le redressement ordonné par la Commission est de nature punitive. Il ne fait aucun doute que la Commission avait le pouvoir de sévir contre l’employeur dans des circonstances où elle a conclu que l’intimé avait subi un préjudice. Je suis d’accord avec l’avocat de l’intimé qui affirme que le principe au regard duquel un tel redressement doit être fixé est le principe selon lequel la réparation accordée doit, dans toute la mesure possible, remettre la personne qui a subi le préjudice ou la perte dans l’état dans lequel elle se trouverait si elle n’avait pas subi ce préjudice. Dans le contrôle d’une décision ayant pour but de concevoir un redressement approprié dans le contexte de la violation d’une convention collective, et en l’absence d’une conclusion établissant qu’il y a eu une erreur de compétence, on considérerait normalement que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable, ou une norme très approchante, étant donné que le choix de la réparation appropriée dans un tel contexte se trouve dans les limites du rôle et de l’expertise établis de la Commission, c’est-à-dire de sa « compétence spécialisée »[8]. Mais lorsque la réparation est de nature punitive, l’ordonnance qui l’impose pourrait « à bon droit [être considérée comme] manifestement déraisonnable »[9].

Dans l’arrêt Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia[10], le juge McIntyre tient les propos suivants à la page 1104 :

Il se pose des problèmes en common law chaque fois qu’on fait appel au concept des dommages-intérêts punitifs. L’attribution de dommages-intérêts punitifs exige que :

[traduction] … un tribunal civil … impose ce qui constitue en fait une amende pour un comportement qui, selon lui, mérite d’être puni, pour ensuite remettre cette amende non pas au trésor public, mais au demandeur particulier qui, par définition, sera « surindemnisé ». [Waddams, p. 563.]

La réparation imposée en l’espèce est-elle punitive ou de la nature de dommages-intérêts punitifs? Pour répondre à la question que j’ai posée, je laisserai de côté le terme anglais « deception », qui pourrait fort bien être remplacé de façon plus appropriée par le mot « disappointment », dans ce passage des motifs de la Commission cité ci-dessus. Néanmoins, je vais reproduire de nouveau le dernier paragraphe de cet extrait.

Je suis également préoccupé par le nombre de cas tranchés par les commissaires de la Commission où les souhaits des employés sont écartés pour des motifs qui sont constamment considérés comme ne relevant pas des nécessités du service. On en a cité certains au cours de l’audience. L’employeur a conclu une entente et il doit la respecter. Dans ces circonstances, j’estime qu’une décision moins sévère que celle que j’ai rendue ne tiendrait pas suffisamment compte de la préoccupation qui vient d’être exprimée, et je signale que mon pouvoir d’ordonner un redressement est très vaste : Heustis c. La Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 768.

D’après mon interprétation, le paragraphe reproduit ci-dessus signifie que la réparation accordée par la Commission découle au moins autant du comportement de l’employeur dans un certain « nombre de cas » que de son comportement dans l’affaire portée en arbitrage devant la Commission. En fait, la Commission dit : cet intimé sera indemnisé et la réparation ne sera pas calculée en fonction du préjudice ou de la perte qu’il a subi mais plutôt au regard d’une norme conçue pour s’assurer qu’à l’avenir l’employeur respectera les ententes qu’il a signées. En fait, la Commission impose une réparation pour un comportement qui, selon elle, mérite d’être puni, dont l’intimé en l’espèce, et non le trésor public, sera le bénéficiaire, avec pour résultat que l’intimé sera, par définition, surindemnisé.

Au regard de cette analyse, je suis convaincu que la Commission a imposé un redressement de nature punitive.

Le juge McIntyre poursuit dans les mots suivants aux pages 1105 et 1106 de l’arrêt Vorvis :

Quand peut-on accorder des dommages-intérêts punitifs? Il ne faut jamais oublier que lorsqu’elle est imposée par un juge ou un jury, une punition est infligée à une personne par un tribunal en vertu du processus judiciaire. Qu’est-ce qui est puni? Ce ne peut certainement pas être simplement le comportement que le tribunal désapprouve, quels que puissent être les sentiments du juge. Dans une société civilisée, on ne saurait infliger de peine sans une justification en droit. L’imposition d’une telle peine ne peut se justifier par la conclusion qu’il y a eu méfait donnant ouverture à un droit d’action et qui a causé le préjudice allégué par le demandeur.

Finalement, le juge McIntyre poursuit ainsi aux pages 1107 et 1108 de l’arrêt Vorvis :

De plus, il n’est possible d’accorder des dommages-intérêts punitifs qu’à l’égard d’un comportement qui justifie une peine parce qu’il est essentiellement dur, vengeur, répréhensible et malicieux. Je ne prétends pas avoir énuméré tous les qualificatifs aptes à décrire un comportement susceptible de justifier l’attribution de dommages-intérêts punitifs, mais de toute façon, pour que de tels dommages-intérêts soient accordés, il faut que le comportement soit de nature extrême et mérite, selon toute norme raisonnable, d’être condamné et puni.

À la lecture de la décision de la Commission ou du dossier dont je suis saisi, je ne trouve rien qui, au regard des citations précitées, justifie une réparation de nature punitive. En accordant une telle réparation, selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, je conclus que la Commission a commis une erreur de droit qui est susceptible de contrôle.

En résumé, ayant établi que la Commission, en octroyant la réparation qu’elle a conçue en faveur de l’intimé, a excédé sa compétence et a commis une erreur de droit puisque cette réparation est de nature punitive, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Une ordonnance sera rendue en conséquence, de sorte que l’affaire sera renvoyée pour examen et attribution d’une réparation qui relève de la compétence de la Commission et qui ne soit pas de nature punitive.



[1] L’avocat de l’intimé fait valoir que le mot anglais « deception », qui est souligné, devrait être considéré comme une erreur typographique et être remplacé par le mot « disappointment » qui a plus de sens dans le contexte. L’argument de l’avocat est peut-être fondé. Je suis d’avis que le mot « disappointment » convient mieux. En outre, si les deux langues officielles ont joué un rôle dans la préparation des motifs de la Commission, il convient de noter que le mot français « déception » est l’équivalent des mots « disappointment, let-down » dans le dictionnaire Robert-Collins dictionnaire français-anglais, anglais-français, 2e éd., Paris : Dictionnaire Le Robert, 1990. Toutefois, en l’absence de tout autre élément de preuve sur la question, je ne suis pas disposé à faire la substitution que me demande de faire l’avocat.

[2] L.R.C. (1985), ch. P-35 (et ses modifications).

[3] [1979] 2 R.C.S. 227.

[4] [1996] 1 R.C.S. 369.

[5] (1996), 114 F.T.R. 174 (C.F. 1re inst.).

[6] [1994] 2 R.C.S. 557.

[7] [1996] 2 C.F. 305 (1re inst.), à la p. 313; conf. par C.A.F., A-197-96, 26-3-97.

[8] Voir : Royal Oak Mines, précité, renvoi 4, à la p. 404.

[9] Voir : Royal Oak Mines, précité, renvoi 4, aux p. 405 et 406.

[10] [1989] 1 R.C.S. 1085.

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