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T-1674-97

Disney Enterprises Inc. (anciennement The Walt Disney Company) (appelante)

c.

Fantasyland Holdings Inc. et Registraire des marques de commerce (intimés)

Répertorié: Disney Enterprises Inc.c. Fantasyland Holdings Inc.(1re inst.)

Section de première instance, juge Campbell" Toronto, 8 octobre; Edmonton, 19 novembre 1998.

Marques de commerce Enregistrement Appel d'une décision de la C.O.M.C. statuant que le concept de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas aux procédures d'oppositionDans une action en commercialisation trompeuse (passing-off) relativement à l'emploi du nomFantasylandpour désigner le parc d'attractions intérieur du West Edmonton Mall, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a jugé qu'il y avait confusionUne seconde action visant à faire interdire l'utilisation de la marque de commerce non enregistréeFantasyland Hotela été rejetée, mais l'injonction interdisant l'emploi deFantasylandautrement que concurremment avecHotela été confirméeDans l'instance d'opposition à l'enregistrement du nomFantasyland Hotel, l'appelante a soutenu que la C.O.M.C. était liée par les décisionsRien n'empêche l'application du principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige (issue estoppel) dans une affaire d'opposition postérieure à une action en commercialisation trompeuse, mais il doit s'agir chaque fois de la même questionIl ne s'agit de la même question que si les marchandises en litige dans l'action en commercialisation trompeuse sont les mêmes que dans la procédure d'oppositionLe principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne s'applique pas en l'espèce, car il n'a pas été prouvé que les marchandises en litige sont les mêmes dans les deux instances.

Fin de non-recevoir Appel d'une décision de la C.O.M.C. statuant que le concept de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas aux procédures d'oppositionLa décision s'appuyait sur la décision Sunny Crunch Foods Ltd. c. Robin Hood Multifoods Inc. de la C.O.M.C., fondée sur la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale The Molson Companies Ltd. c. HalterCette décision n'aborde pas directement la question de savoir si le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique à une opposition à l'enregistrement d'une marque de commerce pour cause de confusionElle énonce plutôt que le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas aux procédures fondées sur l'art. 44 dans lesquelles la décision relève exclusivement du registraireLe jugement Molson n'appuie pas le point de vue qui a été adopté dans l'affaire Sunny Crunch et dans des décisions ultérieures, suivant lequel l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne s'applique pas aux procédures d'oppositionLe principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige exige que l'on vérifie si la même question a déjà été tranchéeLa confusion constitue un élément commun de l'action en commercialisation trompeuse reconnue en common law et des procédures d'opposition prévues par la loiDans les deux cas, lecritèrede la confusion est en grande partie le mêmeIl ne s'agit de lamême questionque si les marchandises en litige dans l'action en commercialisation trompeuse sont les mêmes que dans la procédure d'oppositionChaque affaire devra être appréciée en fonction de ses propres faits pour déterminer les incidences du principeLe principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne s'applique pas en l'espèce, car les critères nécessaires n'ont pas été établis.

Il s'agit de l'appel d'une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce concluant qu'elle n'était pas liée par les décisions de la Cour d'appel de l'Alberta concernant l'emploi du mot "Fantasyland". L'appelante avait intenté une action en commercialisation trompeuse (passing-off ) relativement à l'emploi du nom "Fantasyland" pour désigner le parc d'attractions intérieur du West Edmonton Mall. La Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a jugé, dans une décision confirmée par la Cour d'appel, qu'il y avait preuve de confusion, et elle a rendu une injonction interdisant à la défenderesse d'employer le nom "Fantasyland" dans le cadre de l'exploitation d'un parc d'attractions. Dans une seconde action, visant à faire interdire l'utilisation de la marque de commerce non enregistrée "Fantasyland Hotel" au West Edmonton Mall, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a jugé, dans une décision confirmée par la Cour d'appel, que l'appelante n'avait pas réussi à établir les éléments nécessaires pour démontrer le bien-fondé de son action en commercialisation trompeuse relativement au nom "Fantasyland Hotel", mais a confirmé l'injonction interdisant d'employer le nom "Fantasyland" autrement que concurremment avec le mot "Hotel".

En 1987, l'intimée a déposé une demande en vue de faire enregistrer les mots "Fantasyland Hotel", et l'appelante a déposé une déclaration d'opposition. Devant la Commission des oppositions, l'appelante a soutenu que l'organisme était lié par les décisions des tribunaux de l'Alberta. L'agent d'audience a statué que le concept de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas aux procédures d'opposition, et il a rejeté l'opposition de l'appelante.

Il s'agissait de déterminer: 1) si le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige s'applique dans le cas des procédures d'opposition et, le cas échéant, 2) quelles sont les incidences de l'application de ce principe sur la présente affaire?

Jugement: il faut rejeter l'appel.

1) L'agent d'audience a commis une erreur de droit en décidant que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne s'applique pas aux procédures d'opposition. Elle s'est appuyée sur la décision Sunny Crunch Foods Ltd. c. Robin Hood Multifoods Inc., une décision de la Commission d'opposition des marques de commerce s'inspirant de la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans The Molson Companies Ltd. c. Halter. Cette décision n'aborde pas directement la question de savoir si le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique dans le cas où une opposition est formée à l'enregistrement d'une marque de commerce pour cause de confusion. La Cour a plutôt statué que le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas aux procédures fondées sur l'article 44 dans lesquelles la décision relève exclusivement du registraire. Le jugement Molson n'est pas une autorité qui appuie le point de vue qui a été adopté dans l'affaire Sunny Crunch et dans d'autres décisions ultérieures et suivant lequel l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne s'applique pas aux procédures d'opposition.

Le premier élément du principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige exige que l'on vérifie si la même question a déjà été tranchée. La confusion constitue un élément essentiel de l'action en commercialisation trompeuse reconnue en common law et des procédures d'opposition prévues par la loi. Dans les deux cas, le "critère" de la confusion est en grande partie le même, de sorte qu'on peut affirmer que la "même question" se pose dans chaque cas. Par conséquent, rien n'empêche l'application du principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige dans une affaire comportant une action en commercialisation trompeuse et, par la suite, dans une procédure d'opposition. Toutefois, pour que le tribunal puisse décider si une action en commercialisation trompeuse est bien fondée, le demandeur doit faire la preuve d'un achalandage se rapportant au nom ou à la marque en litige . En conséquence, il ne s'agit de la "même question" que si les marchandises en litige dans l'action en commercialisation trompeuse sont les mêmes que dans la procédure d'opposition. Chaque affaire devra être appréciée en fonction de ses propres faits pour déterminer les incidences du principe.

2) Le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne s'applique pas en l'espèce, étant donné que les critères nécessaires n'ont pas été établis. L'appelante affirme que le champ d'activité autorisé par l'enregistrement est vaste et qu'il pourrait donner à l'intimée le droit de fournir des services pour lesquels on a déjà constaté l'existence d'une confusion et que, pour cette raison, l'enregistrement devrait être refusé. On ne saurait accorder de valeur à cet argument. Bien que l'enregistrement de la marque de commerce confère à son titulaire le droit exclusif d'utiliser la marque, cet usage se limite aux marchandises ou services précisés dans la demande. Si l'usage que l'intimée fait de ses marchandises contrevient à l'injonction, la réparation appropriée consiste alors à présenter une demande en vue de faire respecter l'injonction.

lois et règlements

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 6(2),(5), 12(1)d), 19 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60), 38, 56(1).

Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, ch. T-10, art. 44.

jurisprudence

décisions appliquées:

Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; (1974), 47 D.L.R. (3d) 544; 74 DTC 6278; 2 N.R. 397; Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120; (1992), 95 D.L.R. (4th) 385; 44 C.P.R. (3d) 289; 143 N.R. 241; 58 O.A.C. 321.

distinction faite avec:

The Molson Companies Ltd. c. Halter (1976), 28 C.P.R. (2d) 158 (C.F. 1re inst.); Walt Disney Productions v. Triple Five Corp. et al. (1992), 130 A.R. 321; 93 D.L.R. (4th) 739; [1992] 5 W.W.R. 622; 3 Alta. L.R. (3d) 159; 43 C.P.R. (3d) 321 (B.R.); conf. par (1994), 149 A.R. 112; 113 D.L.R. (4th) 229; [1994] 6 W.W.R. 385; 17 Alta. L.R. (2d) 225; 53 C.P.R. (3d) 129; 63 W.A.C. 112 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée dans [1994] 2 R.C.S. x; (1994), 162 A.R. 319; 114 D.L.R. (4th) vii; [1994] 7 W.W.R. lxix; 20 Alta. L.R. (3d) xxxix; 55 C.P.R. (3d) vi; 178 N.R. 160; 83 W.A.C. 319; Walt Disney Productions v. Triple Five Corp. et al. (1994), 154 A.R. 161; [1994] 9 W.W.R. 45; 20 Alta. L.R. (3d) 146; 15 B.L.R. (2d) 1; 56 C.P.R. (3d) 129 (B.R.); conf. par (1996), 184 A.R. 110; [1996] 6 W.W.R. 403; 38 Alta. L.R. (3d) 441; 67 C.P.R. (3d) 444; 122 W.A.C. 110 (C.A.).

décisions examinées:

Sunny Crunch Foods Ltd. v. Robin Hood Multifoods Inc. (1982), 70 C.P.R. (2d) 244 (C.O.M.C.); Baron Petroleums Inc. v. Pronto Auto Repair Dealerships Inc. (1984), 2 C.P.R. (3d) 558 (C.O.M.C.); Simmons I.P. Inc. v. Park Avenue Furniture Corp. (1993), 49 C.P.R. (3d) 138 (C.O.M.C.); Simmons I.P. Inc. v. Park Avenue Furniture Corp. (1994), 56 C.P.R. (3d) 284 (C.O.M.C.); Georgia Pacific Corp. v. Scott Paper Ltd. (1996), 70 C.P.R. (3d) 570 (C.O.M.C.); Schering Can. Inc. v. Thompson Medical Co. Inc. (1983), 1 C.I.P.R. 148; 81 C.P.R. (2d) 270 (C.O.M.C.); Original Chalet (Can.) Inc. v. Foodcorp. Ltd. (1984), 3 C.I.P.R. 205 (C.O.M.C.); Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; (1990), 76 D.L.R. (4th) 256; [1991] 2 W.W.R. 217; 52 B.C.L.R. (2d) 160; 46 C.P.C. (2d) 1; 122 N.R. 81; 15 R.P.R. (2d) 1; Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91; (1987), 16 C.I.P.R. 282; 19 C.P.R. (3d) 3; 81 N.R. 257 (C.A.).

APPEL d'une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce statuant qu'elle n'était pas liée par les décisions de la Cour d'appel de l'Alberta concernant l'emploi du mot "Fantasyland" (Walt Disney Co. v. Fantasyland Holdings Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 356 (C.O.M.C.)). Appel rejeté car, bien que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige s'applique aux procédures d'opposition, les critères nécessaires n'ont pas été établis.

ont comparu:

Roger T. Hughes, c.r. pour l'appelante.

Michelle G. Crighton pour les intimés.

avocats inscrits au dossier:

Sim, Hughes, Ashton & McKay, Toronto, pour l'appelante.

McLennan Ross, Edmonton, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Campbell: Au cours des dernières années, les personnes morales qui sont parties au présent appel ont, dans le cadre de deux actions distinctes, obtenu un jugement de la Cour d'appel de l'Alberta au sujet de l'emploi du mot "Fantasyland". Le présent appel, qui est interjeté en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce , L.R.C. (1985), ch. T-13, concerne une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce qui a été rendue le 18 juin 1997 [(1997), 77 C.P.R. (3d) 356] sur la même question. Cette question est celle de savoir quelles sont les incidences des arrêts de la Cour d'appel de l'Alberta sur la demande présentée par l'intimée, Fantasyland Holdings Inc., en vue de faire enregistrer les mots "Fantasyland Hotel" (l'intimée a renoncé au mot "Hotel") relativement à divers services et marchandises. L'agent d'audience a conclu qu'elle n'était pas liée par l'une ou l'autre décision pour décider de l'issue de la procédure d'opposition. Le présent appel repose sur l'argument que cette conclusion constitue une erreur de droit.

A.  Les arrêts de la Cour d'appel de l'Alberta

Dans l'affaire Walt Disney Productions v. Triple Five Corp. et al. (1992), 130 A.R. 321 (B.R.), l'appelante à l'instance avait introduit une action en commercialisation trompeuse (passing-off) relativement à l'emploi du nom "Fantasyland" pour désigner le parc d'attractions intérieur du West Edmonton Mall.

À la page 343, le juge Dea en est arrivé à la conclusion suivante:

[traduction] Les défenderesses ont affirmé tout au long du procès que personne ne confondait ou ne pouvait confondre le parc d'attractions appelé Fantasyland, situé à Disneyland, et le parc d'attractions appelé Fantasyland, situé au West Edmonton Mall. Elles ont soutenu énergiquement que cette prétendue confusion était un élément du délit que la demanderesse ne pouvait pas prouver.

Or, la preuve révèle plusieurs cas de confusion parmi les membres du public. Ainsi, la demanderesse a été interrogée au sujet d'un accident survenu dans des montagnes russes au West Edmonton Mall. On a cité le témoignage de personnes qui, interrogées au sujet des liens qui existaient entre le Fantasyland du West Edmonton Mall et la demanderesse, ont répondu qu'elles en étaient incertaines. Dans les décisions les plus récentes, les tribunaux ont toutefois reconnu que les déclarations inexactes créent presque toujours un risque de confusion. En l'espèce, la preuve démontre que, bien que beaucoup de Canadiens associent en règle générale Fantasyland au parc d'attractions de la demanderesse à Disneyland, cette association n'existe pas à Edmonton. Compte tenu du critère de la confusion, et du changement qui, aux dires de M. Senders [le témoin expert de la demanderesse], est survenu en ce qui concerne le degré d'association constaté après l'ouverture du Fantasyland des défenderesses au West Edmonton Mall, il y a des éléments de preuve permettant de conclure à une confusion même au sens traditionnel du terme.

La Cour d'appel de l'Alberta a confirmé ces conclusions à (1994), 149 A.R. 112 (C.A.). L'autorisation de former un pourvoi à la Cour suprême du Canada a été refusée [[1994] 2 R.C.S. x].

Le juge Dea a prononcé l'injonction suivante à l'égard de cette action:

[traduction]

LA COUR:

INTERDIT à la défenderesse, conjointement et individuellement, de même qu'à ses administrateurs, dirigeants, employés, préposés, mandataires et à toutes les personnes qui relèvent de son autorité ou de son contrôle ou avec lesquelles elle agit conjointement d'employer en tout ou en partie le nom FANTASYLAND dans le cadre de l'exploitation d'un parc d'attractions, et lui ENJOINT notamment:

a.  de modifier sans délai l'apparence intérieure et extérieure des immeubles et des améliorations du West Edmonton Mall pour en supprimer le nom FANTASYLAND;

b.  de cesser sans délai toute publication, publicité et promotion écrite, verbale ou visuelle dans laquelle est utilisé le nom FANTASYLAND ou tout autre nom semblable créant de la confusion et de s'abstenir par la suite de toute publicité, action ou autre pratique dans laquelle le nom FANTASYLAND est employé;

c.  de cesser sans délai toute action, publicité ou autre pratique qui laisse entendre de quelque manière que ce soit que la défenderesse est de quelque manière que ce soit liée à la Walt Disney Company ou à toute autre entreprise affiliée ou liée à Disney;

d.  de cesser sans délai d'utiliser le nom FANTASYLAND, West Edmonton Mall FANTASYLAND ou tout autre nom ou dessin incorporant le mot "FANTASYLAND" ou tout mot semblable qui crée de la confusion;

e.  d'enlever et de supprimer sans délai tout annonce, logo, marque, brochure, publication, marchandise, affiche, article cadeau, vêtement, verre, serviette, ballon, dessin ou toute autre chose portant le nom "FANTASYLAND", quel qu'en soit l'emplacement, et qui sont sous l'autorité de la défenderesse ou de personnes qui agissent de concert avec elle;

f.  d'aviser sans délai la compagnie de téléphone et tous les autres services d'annuaires dans lesquels la défenderesse a fait inscrire le nom FANTASYLAND que toute inscription et publicité figurant dans tout annuaire, notamment tout annuaire téléphonique, doivent être modifiées de manière à ce que le nom FANTASYLAND n'y soit plus employé;

g.  ACCORDE à la défenderesse trente (30) jours à compter de la date du prononcé de la présente ordonnance pour se conformer à la présente ordonnance.

Une seconde action en commercialisation trompeuse a été intentée par l'appelante à l'instance contre Triple Five Corporation ((1994), 154 A.R. 161 (B.R.)). Dans cette seconde action, l'appelante cherchait à faire interdire l'utilisation de la marque de commerce non enregistrée "Fantasyland Hotel" au West Edmonton Mall. Dans cette affaire, l'appelante soutenait également que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige (issue estoppel ) empêchait la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta de rendre une décision différente de celle qu'avait prononcée la Cour d'appel de l'Alberta dans la première action. L'appelante soutenait essentiellement que la défenderesse était irrecevable à employer le mot "Fantasyland" en raison de la première décision.

Ce moyen a été jugé mal fondé par le juge Rooke, qui a conclu que l'appelante n'avait pas réussi à établir les éléments nécessaires pour démontrer le bien-fondé de son action en commercialisation trompeuse relativement au nom "Fantasyland Hotel". Voici un extrait du dispositif de ce jugement:

[traduction]

[. . .] LA COUR:

a.  Interdit à la défenderesse, à ses administrateurs, dirigeants, employés, préposés, mandataires et à toutes les personnes qui relèvent de son autorité ou de son contrôle ou avec lesquelles elle agit de concert d'utiliser les mots:

i.  "Fantasyland" autrement que concurremment avec le mot "Hotel", qui devront chacun avoir la même importance;

ii.  "Resort" concurremment avec les mots "Fantasyland Hotel";

iii.  "Fantasyland" de manière à ce qu'il puisse être associé au parc d'attractions du West Edmonton Mall, sauf selon les modalités prévues à l'alinéa b),

et ordonne que tous les objets qui se trouvent en la possession ou sous la garde ou le contrôle de la défenderesse soient, dans les 90 jours de la présente ordonnance, modifiés, interrompus, stoppés, supprimés et changés de manière à satisfaire aux modalités de la présente ordonnance;

b.  Statue que la défenderesse, ses administrateurs, dirigeants, employés, préposés, mandataires et toutes les personnes qui relèvent de son autorité ou de son contrôle ou avec lesquelles elle agit de concert ont le droit:

i.  de continuer à employer les mots "Fantasyland Hotel" sur les affiches extérieures de l'hôtel et à l'intérieur du West Edmonton Mall dans la même mesure qu'elle le faisait jusqu'au 3 septembre 1993;

ii.  de faire état, dans tout publicité concernant le "Fantasyland Hotel", de la proximité de celui-ci par rapport au West Edmonton Mall ou de ses liens avec ce dernier, et d'afficher cette publicité à l'intérieur du West Edmonton Mall dans la mesure seulement où pourrait le faire tout tiers indépendant qui ne serait pas associé au West Edmonton Mall ou qui n'aurait pas légalement le droit de le faire ou n'y serait pas autorisé par le West Edmonton Mall.

Cette décision a elle aussi été confirmée en appel par la Cour d'appel de l'Alberta ((1996), 184 A.R. 110 (C.A.)).

B.  La demande soumise à l'agent d'audience

Le 13 février 1987, l'intimée a déposé une demande en vue de faire enregistrer les mots "Fantasyland Hotel" relativement aux marchandises et services suivants:

[traduction]

Marchandises: toutes les marchandises se rapportant à l'exécution de services d'hôtellerie, de restauration et d'hospitalité, à savoir des articles de fantaisie, en l'occurrence des tasses, des verres, des cuillers souvenirs, des assiettes, des figurines, des cendriers, des statuettes, des chapeaux, des casquettes, des tee-shirts, des sweatshirts, des tabliers, des casques de football miniatures, des autocollants pour voiture, des macarons, des fanions, des banderoles, des affiches, des articles de papeterie, à savoir des enveloppes, du papier d'écriture, des tablettes à écrire, des plumes, des crayons, des gommes à effacer, des porte-crayons, des porte-clés, des taille-crayons, des porte-feuilles, des plaques, des salières et des poivrières, des parapluies, des moulinets, des jouets en peluche, des cartons d'allumettes, des bougies, des bougeoirs, des ballons, des essuie-verres, des serviettes de table, des porte-serviettes, des broches, des épinglettes, des dessous-de-bouteille.

Services: (1) Services hôteliers. (2) Services de restauration et d'hospitalité, à savoir la promotion, l'organisation et la tenue de congrès, de foires commerciales, de visites guidées locales.

L'intimée revendiquait un usage remontant au 1er octobre 1986 pour ce qui était des services hôteliers. Elle faisait reposer le reste de sa demande sur son emploi projeté au Canada de marchandises et de services de restauration et d'hospitalité. L'intimée a renoncé au mot "Hotel" et l'a retranché de la marque de commerce.

La demande a été annoncée le 30 mars 1988 dans le Journal des marques de commerce aux fins d'opposition. Le 14 avril 1988, l'appelante a déposé une déclaration d'opposition en vertu de l'article 38 de la Loi sur les marques de commerce. La déclaration d'opposition a été modifiée le 14 juillet 1995 après autorisation.

L'appelante invoquait quatre moyens pour s'opposer à l'enregistrement de la marque de commerce "Fantasyland Hotel":

[traduction]

a.  La marque de commerce n'est pas enregistrable car elle crée de la confusion avec la marque de commerce DISNEYLAND qui a déjà été enregistrée sous les numéros 107,332, 144,094 et 164,194 relativement à une gamme étendue de marchandises;

b.  Les marques de commerce FANTASYLAND et DISNEYLAND avaient, avant la présumée date de premier emploi et avant la date du dépôt, été révélées au Canada par l'opposante; la requérante n'est donc pas la personne qui a droit à l'enregistrement;

c.  Telle qu'elle est demandée, la marque de commerce ne permet pas de distinguer les marchandises ou les services de l'opposante, étant donné qu'elle crée de la confusion avec la marque de commerce DISNEYLAND qui a déjà été enregistrée, employée et révélée au Canada par l'opposante et avec la marque de commerce FANTASYLAND qui a déjà été enregistrée, employée et révélée au Canada par l'opposante;

d.  La requérante, une personne morale située en Alberta, est irrecevable à demander l'enregistrement de la marque de commerce en litige en raison de jugements rendus par des tribunaux de l'Alberta.

C.  Décision de l'agent d'audience

Devant la Commission des oppositions, l'appelante a déposé en preuve les décisions rendues par les tribunaux albertains et a soutenu que la Commission était liée par ces décisions pour déterminer l'issue de l'opposition. Sur cette question, l'agent d'audience a tenu les propos suivants aux pages 363 et 364 de sa décision, qui est publiée à (1997), 77 C.P.R. (3d) 356 (C.O.M.C.):

[traduction] À l'alinéa 1d) de la déclaration d'opposition,l'opposante cite dans la présente procédure d'opposition le jugement rendu par le juge Dea. Les deux parties ont mentionné lors du débat les décisions des juges Rooke et Dea. Je tiens à préciser d'entrée de jeu que je ne crois pas que je sois liée par l'une ou l'autre de ces décisions pour me prononcer sur l'issue de la présente opposition. Il est de jurisprudence constante que le concept de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas aux procédures d'opposition (voir la décision Sunny Crunch Foods Ltd. v. Robin Hood Multifoods Inc. (1982), 70 C.P.R. (2d) 244 (C.O.M.C.)). Le registraire est libre de décider chaque cas comme un cas d'espèce. Si le registraire n'est pas lié par les décisions antérieures rendues par la Commission des oppositions ou par la Cour fédérale, il s'ensuit que les décisions rendues par d'autres tribunaux en matière de commercialisation trompeuse n'ont elles non plus aucun caractère obligatoire. Il est inévitable que les points litigieux soulevés dans d'autres actions soient à tout le moins légèrement différents, que la preuve soumise soit différente de celle qui est présentée dans la procédure d'opposition et que les dates importantes diffèrent. Dans le cas du parc d'attractions, par exemple, le marque était différente de celle dont il s'agit en l'espèce, étant donné que le mot "Hotel" n'y figurait pas. Les marchandises et les services étaient différents, étant donné que la défenderesse exploitait un parc d'attractions, et non un hôtel, et, dans le dispositif du jugement, le tribunal a bien précisé que toutes les restrictions apportées à l'emploi du mot FANTASYLAND se rapportaient à un parc d'attractions. On ne saurait donc les interpréter sans tenir compte du contexte comme l'opposante essaie de le faire en prétendant que le présent jugement ne devrait pas empêcher la requérante d'enregistrer la marque FANTASYLAND HOTEL pour l'employer en liaison avec des ballons, des serviettes et des verres. Qui plus est, la preuve administrée au procès dans ces deux affaires était beaucoup plus détaillée que celle qui a été présentée dans la procédure d'opposition. On y trouvait notamment des résultats d'enquêtes, des témoignages, des transcriptions de demandes de renseignements et sans doute beaucoup d'autres éléments de preuve. Dans l'action en commercialisation trompeuse relative à l'hôtel, bien que la marque soit la même, les marchandises et les services ne sont pas aussi nombreux que dans la présente demande, étant donné qu'ils ne débordent pas vraiment le cadre de la simple exploitation d'un hôtel.

En dernière analyse, l'agent d'audience, après avoir procédé à une analyse fouillée et complète de la preuve, a rejeté l'opposition formée par l'appelante à l'enregistrement des mots "Fantasyland Hotel". Aucune erreur de droit ne lui est reprochée en ce qui a trait à cette analyse.

D. Questions litigieuses découlant de la décision de l'agent d'audience

1.  Le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige s'applique-t-il dans le cas des procédures d'opposition?

L'appelante affirme que les tribunaux albertains ont déjà statué qu'il existe une confusion entre la marque de l'appelante et celle que l'intimée entend employer et que, par conséquent, l'agent d'audience est lié par les décisions rendues par les tribunaux albertains. Sur cette question, l'appelante invoque l'arrêt Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248, dans lequel le juge Dickson, tel était alors son titre a formulé les commentaires suivants aux pages 253 à 255:

Anciennement, la chose jugée en tant que fin de non-recevoir (estoppel) était appelée estoppel by record, c'est-à-dire, une fin de non-recevoir de par l'effet des registres et procès-verbaux d'une cour d'archives, mais maintenant on emploie le plus souvent l'expression générique estoppel per rem judicatam. Cette forme de fin de non-recevoir, comme le Lord Juge Diplock l'a dit dans l'arrêt Thoday v. Thoday ([1964] P. 181), à la p. 198, est de deux sortes. Le premier, soit le "cause of action estoppel", empêche une personne d'intenter une action contre une autre lorsque la même cause d'action a déjà été décidée dans des procédures antérieures par un tribunal compétent. En l'espèce, nous n'avons pas à nous préoccuper du cause of action estoppel puisque l'allégation du Ministre selon laquelle Mme Angle doit la somme de $34,612.33 à Transworld, n'est évidemment pas la cause d'action dont la Cour de l'Échiquier a été saisie dans les procédures relatives à l'al. c) du par. (1) de l'art. 8. La deuxième sorte d'estoppel per rem judicatam est connue sous le nom d'issue estoppel, expression qui a été créée par le Juge Higgins de la Haute Cour d'Australie dans l'arrêt Hoysted v. Federal Commissioner of Taxation ((1921), 29 C.L.R. 537), à la p. 561:

[traduction] Je reconnais pleinement la distinction entre le principe de l'autorité de la chose jugée applicable lorsqu'une demande est intentée pour la même cause d'action que celle qui a fait l'objet d'un jugement antérieur, et cette théorie de la fin de non-recevoir qu'on applique lorsqu'il arrive que la cause d'action est différente mais que des points ou questions de fait ont déjà été décidés (laquelle je puis appeler théorie de l'"issue estoppel").

Lord Guest, dans l'arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2) ([1967] 1 A.C. 853), à la p. 935, définit les conditions de l'"issue estoppel" comme exigeant:

[traduction] [. . .] (1) que la même question ait été décidée; (2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la fin de non-recevoir est soulevée, ou leurs ayants droit [. . .]

Est-ce que la question à être décidée en l'espèce, c'est-à-dire l'existence d'une dette de Mme Angle envers Transworld Explorations Limited, est la même que celle que l'on a débattue dans l'affaire antérieure? Si elle ne l'est pas, il n'y a pas de fin de non-recevoir. Il ne suffira pas que la question ait été soulevée de façon annexe ou incidente dans l'affaire antérieure ou qu'elle doive être inférée du jugement par raisonnement. Cela ressort clairement des termes employés par le Juge en chef De Grey dans l'arrêt Duchess of Kingston's ((1776), 20 St. Tr. 335, 538 M.), cités par Lord Selborne dans Reg. v. Hutchings ((1881), 6 Q.B.D. 300), à la p. 304, et par Lord Radcliffe dans Society of Medical Officers of Health v. Hope ([1960] A.C. 551). La question qui est censée donner lieu à la fin de non-recevoir doit avoir été "fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé" dans l'affaire antérieure: d'après Lord Shaw dans l'arrêt Hoysted v. Commissioner of Taxation ([1926] A.C. 155). Les auteurs de l'ouvrage Spencer Bower and Turner, Doctrine of Res Judicata, 2e éd., pp. 181, 182, cité par M. le Juge Megarry dans l'arrêt Spens v. I.R.C. ([1970] 3 All. E.R. 295), à la p. 301, décrivent dans les termes suivants la nature de l'examen auquel on doit procéder:

[traduction] [. . .] si la décision sur laquelle on cherche à fonder la fin de non-recevoir a été "si fondamentale" à la décision rendue sur le fond même du litige que celle-ci ne peut valoir sans celle-là. Rien de moins ne suffira.

Ainsi que je l'ai déjà précisé, l'agent d'audience a conclu que le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'appliquait pas aux procédures d'opposition. À l'appui de cette conclusion, elle a cité la décision Sunny Crunch Foods Ltd. v. Robin Hood Multifoods Inc. (1982), 70 C.P.R. (2d) 244 (C.O.M.C.). Dans cette décision, la Commission des oppositions des marques de commerce a tiré la conclusion suivante, à la page 248:

[traduction] Comme dans les cas des procédures prévues à l'art. 44, les procédures d'opposition mettent effectivement en jeu l'intérêt public dans la mesure où le registraire est chargé d'assurer l'intégrité du registre. Toutefois, à la différence des procédures prévues à l'art. 44, le requérant et l'opposant peuvent présenter des éléments de preuve dans une opposition et l'une ou l'autre partie peut demander au registraire de lui permettre de contre-interroger l'autre partie au sujet de sa preuve. En conséquence, et bien que j'estime que les prétentions respectives des parties sont, dans une procédure d'opposition, beaucoup plus importantes que dans le cas d'une procédure prévue à l'art. 44, je suis d'avis que la décision du juge Gibson est obligatoire en l'espèce et que le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas dans le cas des procédures d'opposition.

La décision Sunny Crunch était fondée sur le jugement rendu par le juge Gibson dans l'affaire The Molson Companies Ltd. c. Halter (1976), 28 C.P.R. (2d) 158 (C.F. 1re inst.)1. La question qui était en litige dans l'affaire Molson était celle de savoir si le principe de l'autorité de la chose jugée s'appliquait aux procédures introduites en vertu de l'article 44 [S.C.R. 1970, ch. T-10] (maintenant l'article 45 [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 200]) de la Loi sur les marques de commerce. Cette disposition est ainsi libellée:

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l'enregistrement d'une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.

Dans l'affaire Molson, la première procédure s'était déroulée sous le régime de l'article 44 entre les mêmes parties à l'égard desquelles le registraire avait chaque fois confirmé la validité de l'enregistrement. En appel devant la Cour fédérale, l'intimée Molson maintenait que le principe de l'autorité de la chose jugée s'appliquait à la procédure dont la Cour était saisie, étant donné qu'il y avait deux décisions qui avaient déjà été rendues sous le régime de l'article 44 et que ces décisions n'avaient pas été portées en appel et qu'elles concernaient les mêmes parties et la même marque de commerce. En réponse à cet argument, le juge Gibson a conclu, à la page 181:

Toutefois, un recours en vertu de l'article 44 de la Loi sur les marques de commerce n'est pas une action ordinaire entre des parties. Par exemple, dans une telle procédure devant le registraire des marques de commerce, seule peut être produite et prise en considération par le registraire la preuve faite au moyen d'un affidavit ou d'une déclaration statutaire du titulaire de l'enregistrement. Cet affidavit ou cette déclaration statutaire ne peuvent être l'objet d'un contre-interrogatoire par une tierce partie ou par le registraire. Pour ces motifs, entre autres, le principe de la chose jugée ou un principe dont l'effet serait le même ne s'applique pas dans ce cas. Cf. Maynard v. Maynard, [1951] 1 D.L.R. 241, [1951] R.C.S. 346.

En outre, la doctrine de la chose jugée ou un principe appelé autrement mais ayant un effet semblable à celui de la chose jugée ne peuvent pas s'appliquer à des recours en vertu de l'article 44 de la Loi sur les marques de commerce. Cela s'explique du fait que ces recours mettent en jeu l'intérêt public qui veut que l'intégrité du registraire soit protégée contre les atteintes des prétentions opposées des parties agissant dans leur propre intérêt, c'est-à-dire le titulaire de l'enregistrement et toute autre personne privée intéressée à l'enregistrement. Cf. Re Wolfville Holland Bakery Ltd. (1964), 42 C.P.R. 88, à la p. 91, 25 Fox Pat. C. 169 (le président Thorson); Noxzema Chemical Co. of Canada Ltd. v. Sheran Manufacturing Ltd. et al. (1968), 55 C.P.R. 147, à la p. 156, [1968] 2 R.C.É. 446, 38 Fox Pat. C. 89; Cheerio Toys & Games Ltd. v. Dubiner (1965), 48 C.P.R. 226, à la p. 234, 55 D.L.R. (2d) 313, [1966] R.C.S. 206, à la p. 228 (le juge Judson); John Labatt Ltd. c. Carling Breweries Ltd. (1974), 18 C.P.R. (2d) 15, à la p. 26.

Je suis d'accord avec l'appelante pour dire que le jugement Molson n'aborde pas directement la question de savoir si le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique dans le cas où une opposition est formée à l'enregistrement d'une marque de commerce pour cause de confusion. Dans ce jugement, la Cour a plutôt statué que le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas aux procédures fondées sur l'article 44 dans lesquelles la décision relève exclusivement du registraire.

Je conclus donc que le jugement Molson n'est pas une autorité qui appuie le point de vue qui a été adopté dans l'affaire Sunny Crunch et dans d'autres décisions ultérieures et suivant lequel l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne s'applique pas aux procédures d'opposition.

En ce qui concerne la question de savoir si l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige devrait s'appliquer aux procédures d'opposition, l'appelante fait valoir qu'un tribunal administratif ne saurait être soustrait à l'application du principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige en raison de l'application de l'arrêt Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077. Dans cet arrêt, la Cour a qualifié de problème relevant du droit international privé la question de savoir si une décision d'un tribunal de l'Alberta devait être exécutoire en Colombie-Britannique. À la page 1095, voici ce qu'écrit le juge La Forest:

Les États modernes ne peuvent cependant pas vivre dans l'isolement le plus complet et ils appliquent effectivement les jugements rendus dans d'autres pays dans certaines circonstances. Ainsi les tribunaux d'un État reconnaissent un jugement in rem, tel un jugement de divorce rendu par les tribunaux d'un autre État en faveur d'une personne qui y habite. De même, dans certaines circonstances, nos tribunaux exécutent des jugements sur une action personnelle rendus par d'autres États [. . .] Cela a été jugé conforme aux exigences de la courtoisie, qui constitue le principe de fond du droit international privé et qu'on a définie comme la déférence et le respect que des États doivent avoir pour les actes qu'un autre État a légitimement accomplis sur son territoire. Puisque l'État dans lequel le jugement a été rendu avait compétence sur les parties au litige, il y a lieu de respecter les jugements de ses tribunaux.

J'estime que cet énoncé ne nous est d'aucune utilité pour décider si le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige s'applique aux procédures d'opposition. L'arrêt Morguard ne s'écarte pas de l'arrêt de principe en la matière, l'arrêt Angle, et ne le modifie pas. Rappelons que l'arrêt Angle a été rendu après le jugement Sunny Crunch et qu'il exige que certaines conditions soient respectées pour que le principe puisse s'appliquer.

Ainsi qu'il a été précisé dans l'arrêt Angle, le premier élément du principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige exige que l'on vérifie si la même question a déjà été tranchée. Pour pouvoir répondre à cette question, il est nécessaire de se rappeler que, ce qui est en litige dans une procédure d'opposition, c'est la question de savoir s'il existe une confusion entre une marque de commerce enregistrée et celle dont on demande l'enregistrement. C'est le principe qui est exprimé à l'alinéa 12(1)d), qui dispose:

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants:

[. . .]

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

Pour déterminer s'il existe un risque de confusion, il faut tenir compte du paragraphe 6(5), qui est ainsi conçu:

6. [. . .]

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris:

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

Il faut également tenir compte du paragraphe 6(2), qui dispose:

6. [. . .]

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

En ce qui concerne le délit de commercialisation trompeuse reconnu en common law, la Cour suprême du Canada a, dans l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, à la page 132, énuméré les éléments nécessaires qui doivent être établis:

Les trois éléments nécessaires à une action en passing-off sont donc: l'existence d'un achalandage, la déception du public due à la représentation trompeuse et des dommages actuels ou possibles pour le demandeur.

À la page 140, le juge Gonthier ajoute:

Il ne fait aucun doute que la confusion, qui constitue l'élément essentiel du délit de passing-off, doit être évitée dans l'esprit de toute la clientèle, qu'elle soit directe"dans ce cas, l'on pense aux revendeurs"ou indirecte"il s'agit alors des consommateurs. [Non souligné dans l'original.]

Pour statuer sur le deuxième élément de l'action en commercialisation trompeuse, à savoir la tromperie (déception du public due à la représentation trompeuse), les tribunaux ont souvent eu recours aux "critères" énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce . Sur cette question, le juge Rooke [154 A.R. 161] déclare ce qui suit, à la page 201, dans la seconde action susmentionnée mettant en cause les parties au présent appel:

[traduction] Les avocats souscrivent pour l'essentiel à l'argument avancé par l'avocat des défenderesses suivant lequel, bien qu'il ne soit pas nécessaire de faire la preuve d'une intention de frauder dans une action en commercialisation trompeuse"et aucune fraude n'est reprochée en l'espèce", s'il n'y a pas de fraude, la probabilité ou le risque de tromperie (je considère les mots "tromperie" et "confusion" comme des synonymes) doit être démontré par le demandeur selon la prépondérance des probabilités. [Non souligné dans l'original.]

À la page 206, il ajoute:

[traduction] Pour décider s'il y a confusion dans les cas où le nom commercial est le seul élément commun entre deux parties qui exploitent des entreprises totalement différentes, le tribunal doit tenir compte des facteurs suivants: la nature du commerce, y compris les us et coutumes du commerce et la nature du marché selon les noms qui doivent être utilisés, les acheteurs probables des marchandises en question et le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent (affaire Joseph E. Seagram & Sons c. Seagram Real Estate Ltd.,). Dans cette affaire, le seul élément commun était le mot "Seagram". Une des entreprises était un distillateur et l'autre, une agence immobilière. Le tribunal a jugé que, compte tenu de leurs caractéristiques, les services offerts ne créeraient pas de confusion dans l'esprit de la personne ordinaire d'intelligence moyenne qui est présumée connaître les caractéristiques qui permettent de façon générale de distinguer les marchandises et services d'un fournisseur de ceux de l'autre.

La décision General Motors Corp v. Bellows, à la p. 692, appuie la proposition que, lorsqu'on examine les risques de confusion, on doit tenir compte de tous les aspects du commerce envisagé et tenir notamment compte de la catégorie de personnes qui essaient de se prévaloir des services en cause et de la manière dont elles s'y prennent.

À la lumière de ce qui précède, je suis convaincu que la confusion constitue un élément essentiel de l'action en commercialisation trompeuse reconnue en common law et des procédures d'opposition prévues par la loi. Je conclus en outre que le "critère" de la confusion dans une procédure d'opposition et dans une action en commercialisation trompeuse est en grande partie le même, de sorte qu'on peut affirmer que la "même question" se pose dans chaque cas.

Ainsi, pour répondre à la question qui m'est posée, je conclus qu'il n'y a rien qui empêche l'application du principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige dans une affaire comportant une action en commercialisation trompeuse et, par la suite, une procédure d'opposition. Ceci étant dit, il y a toutefois lieu de souligner que, pour que le tribunal puisse décider si une action en commercialisation trompeuse est bien fondée, le demandeur doit faire la preuve d'un achalandage se rapportant au nom ou à la marque en litige. En conséquence, on ne peut affirmer qu'il s'agit de la "même question" que si les marchandises en litige dans l'action en commercialisation trompeuse sont les mêmes que celles qui sont en litige dans la procédure d'opposition. Chaque affaire devra être appréciée en fonction de ses propres faits pour déterminer les incidences du principe.

2.  Quelles sont les incidences de l'application du principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige sur la présente affaire?

Pour pouvoir dire que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige a des incidences sur la présente affaire, il faut d'abord déterminer que la conclusion de confusion tirée par le juge Rooke au sujet des parcs d'attractions s'applique également à l'enregistrement des mots "Fantasyland Hotel" en liaison avec les marchandises et services énumérés dans la demande de l'intimée.

L'argument qu'invoque l'appelante au soutien d'une conclusion affirmative à cet égard repose sur la crainte que, si l'enregistrement est autorisé, l'intimée pourrait un jour employer les mots "Fantasyland Hotel" à l'égard de services comme "l'exploitation de visites guidées locales" de manière à pénétrer dans le domaine où une confusion a déjà été constatée. Autrement dit, même si la demande d'enregistrement porte sur des marchandises et services "hôteliers" qui sont accessoires aux activités de l'intimée, l'appelante craint qu'un service hôtelier puisse en réalité devenir un "service de parc d'attractions" et qu'il tombe alors sous le coup de l'injonction dont le parc d'attractions fait l'objet.

Au soutien de cet argument, l'appelante invoque l'article 19 de la Loi, ainsi que l'extrait suivant des motifs du juge en chef Thurlow dans l'arrêt Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (C.A.), aux pages 102 et 103:

Avant de se pencher sur ces considérations, il convient de noter que le droit de l'appelante à l'emploi exclusif de "Mr. Submarine" ne se limite pas aux parties du Canada où l'appelante et ses concessionnaires ont exploité une entreprise, mais s'étend dans tout le Canada. L'appelante a donc droit à son emploi exclusif dans n'importe quel point de vente additionnel pour ses sandwiches qu'elle juge bon d'établir. Le droit exclusif de l'appelante n'est pas non plus limité à la vente de sandwiches par les méthodes qu'elle emploie maintenant ou qu'elle a employées par le passé. Rien n'empêche l'appelante de changer la couleur de ses enseignes ou le style de lettres de "Mr. Submarine", ou d'adopter un système téléphonique et de livraison tel que celui suivi par l'intimée ou tout autre système convenable pour la vente de ses sandwiches. Si elle devait effectuer un de ces changements, son droit exclusif à l'emploi de "Mr. Submarine" s'appliquerait tout comme il s'applique à son emploi dans l'entreprise qu'elle exploite actuellement. La question de savoir si les marques de commerce ou les noms commerciaux de l'intimée créent de la confusion avec la marque enregistrée de l'appelante doit donc être examinée en tenant compte non seulement de l'entreprise actuelle que l'appelante exploite dans la région des opérations de l'intimée, mais aussi de la possibilité de confusion si l'appelante devait exercer ses activités dans cette région de toute manière qui lui est permise en utilisant sa marque de commerce en liaison avec les sandwiches vendus ou les services exécutés dans l'exercice de son entreprise. [Non souligné dans l'original.]

L'article 19 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60] de la Loi dispose:

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services. [Non souligné dans l'original.]

L'appelante affirme que, compte tenu de la jurisprudence et des dispositions législatives applicables, le champ d'activité autorisé par l'enregistrement est vaste et qu'il pourrait donner à l'intimée le droit de fournir des services pour lesquels on a déjà constaté l'existence d'une confusion et que, pour cette raison, l'enregistrement devrait être refusé. En toute déférence, je n'accorde aucune valeur à cet argument.

Bien que l'extrait tiré de l'arrêt Mr. Submarine semble effectivement permettre à celui qui demande l'enregistrement de faire un usage libéral des marchandises et des services une fois qu'il a obtenu l'enregistrement de la marque de commerce, il ne porte aucunement atteinte au droit du requérant d'obtenir l'enregistrement. De même, l'énoncé contenu dans l'arrêt Mr. Submarine ne modifie en rien les droits énoncés à l'article 19. En effet, bien que l'enregistrement de la marque de commerce confère à son titulaire le droit exclusif d'utiliser la marque, cet usage se limite aux marchandises ou services précisés dans la demande.

Si l'usage que l'intimée fait de ses marchandises contrevient à l'injonction du juge Rooke, la réparation appropriée consiste alors à présenter une demande en vue de faire respecter l'injonction. À mon avis, la crainte sur laquelle repose l'argument de l'appelante devrait être apaisée de cette manière, et non par un refus d'enregistrer la marque.

En conséquence, en réponse à la question qui m'est posée, je conclus que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne s'applique pas en l'espèce, étant donné que les critères nécessaires n'ont pas été respectés.

E.  Dispositif

Bien que j'aie conclu que l'agent d'audience a commis une erreur de droit en décidant que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne s'applique pas aux procédures d'opposition, la décision par ailleurs non contestée qu'il a rendue sur le fond est confirmée, vu ma conclusion que l'application de ce principe est sans effet en l'espèce. Je rejette donc l'appel.

1 Il existe plusieurs décisions dans lesquelles la Commission des oppositions des marques de commerce a suivi le jugement Sunny Crunch: Baron Petroleums Inc. v. Pronto Auto Repair Dealerships Inc. (1984), 2 C.P.R. (3d) 558 (C.O.M.C.); Simmons I.P. Inc. v. Park Avenue Furniture Corp. (1993), 49 C.P.R. (3d) 138 (C.O.M.C.); Simmons I.P. Inc. v. Park Avenue Furniture Corp. (1994), 56 C.P.R. (3d) 284 (C.O.M.C.); Georgia Pacific Corp. v. Scott Paper Ltd. (1996), 70 C.P.R. (3d) 570 (C.O.M.C.); Schering Can. Inc. v. Thompson Medical Co. Inc. (1983), 1 C.I.P.R. 148 (C.O.M.C.); Original Chalet (Can.) Inc. v. Foodcorp. Ltd. (1984), 3 C.I.P.R. 205 (C.O.M.C.).

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